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APPA - Comité permanent

Peuples autochtones


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES PEUPLES AUTOCHTONES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mardi 25 avril 2023

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd’hui, à 9 heures (HE), avec vidéoconférence, pour étudier les responsabilités constitutionnelles, politiques et juridiques et les obligations découlant des traités du gouvernement fédéral envers les Premières Nations, les Inuits et les Métis et tout autre sujet concernant les peuples autochtones.

Le sénateur David Arnot (vice-président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le vice-président : Honorables sénatrices et sénateurs, j’aimerais commencer en soulignant que nous nous réunissons sur les territoires traditionnels, ancestraux et non cédés de la nation algonquine anishinabe, où vivent aujourd’hui de nombreux autres peuples des Premières Nations, métis et inuits de l’île de la Tortue.

Je suis le sénateur David Arnot, de la Saskatchewan, et je suis le vice-président du Comité des peuples autochtones.

Je vais maintenant demander aux membres du comité qui participent à la réunion de se présenter.

La sénatrice Greenwood : Bonjour. Je suis Margo Greenwood, de la Colombie-Britannique, originaire du magnifique territoire du Traité no 6.

La sénatrice Sorensen : Bonjour. Je suis Karen Sorensen, de la province de l’Alberta. Je vis à Banff, sur le territoire du Traité no 7.

[Français]

La sénatrice Audette : [Mots prononcés en innu] Michèle Audette [mots prononcés en innu], du Québec.

[Traduction]

La sénatrice Coyle : Bonjour. Bienvenue. Je suis Mary Coyle. Je viens d’Antigonish, en Nouvelle-Écosse, dans le Mi’kma’ki.

Le vice-président : Aujourd’hui, nous poursuivons notre étude sur l’efficacité du cadre canadien des droits de la personne dans la promotion, la protection et la mise en œuvre des droits des Autochtones. Plus précisément, nous allons examiner si les mécanismes existants pourraient être améliorés ou si de nouveaux mécanismes sont nécessaires, y compris des mécanismes axés sur les Autochtones.

J’aimerais maintenant présenter notre première témoin, Mme Jennifer Moore Rattray, représentante spéciale du ministre, Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada. Merci d’être avec nous aujourd’hui.

Madame Moore Rattray, vous allez pouvoir nous présenter votre déclaration préliminaire, et nous passerons ensuite aux questions des sénateurs.

J’invite maintenant Mme Moore Rattray à nous présenter sa déclaration préliminaire.

Jennifer Moore Rattray, représentante spéciale du ministre — Appel à la justice 1.7, Relations Couronne-Autochtones et Affaire du Nord Canada : Ekosani. Merci beaucoup, sénatrices et sénateurs. Tansi et aniin et bonjour.

Je suis une fière citoyenne de la nation crie Peepeekisis, établie en Saskatchewan, comme on l’appelle maintenant, et mes racines maternelles remontent à Oxford House, à Norway House et à Fisher River, dans ce qui est aujourd’hui le Manitoba.

[mots prononcés en cri]

Je veux vous remercier tous et toutes de votre invitation à témoigner ici aujourd’hui et de votre engagement à mettre fin à la crise nationale des femmes, des filles et des personnes 2ELGBTQQIA+ disparues et assassinées.

Je veux remercier mes ancêtres et célébrer cette merveilleuse journée et dire que je suis reconnaissante d’être reçue sur le territoire traditionnel, ancestral et non cédé de la nation algonquine anishinabe.

Et, puisque ce sera enregistré, je souligne que, peu importe où vous êtes, vous êtes sur une terre sacrée.

Comme mentionné, je suis ici en tant que représentante spéciale du ministre pour l’appel à la justice 1.7, qui concerne l’établissement d’un poste d’ombudsman national des droits des Autochtones et des droits de la personne.

C’est un honneur de travailler avec les familles et avec les survivantes, et cela a été l’un des grands honneurs de ma vie d’être la directrice générale de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées.

Je veux ouvrir ma déclaration en affirmant, rien de moins, que nous vivons une situation d’urgence. Nos femmes, nos filles et nos personnes bispirituelles et de diverses identités de genre disparaissent et sont assassinées; il s’agit d’une épidémie de violence continuelle.

Le travail que nous faisons aujourd’hui est urgent. Je suis en poste depuis un peu plus d’un mois seulement, et je suis en train de consulter les familles, les survivantes ainsi que les gouvernements et les organisations autochtones, mais l’information dont nous disposons nous montre que les mécanismes actuels de protection des droits des personnes ne sont pas suffisants et n’ont pas donné suffisamment de résultats. Il n’est pas question ici d’écarts, mais bien d’abîmes. Je vais donc commencer par le plus simple.

Il n’existe aucune catégorie de plainte spécifique pour les peuples autochtones. Cela veut dire qu’on ne reconnaît pas l’identité autochtone comme étant un motif de plainte relativement aux droits de la personne, et cela veut aussi dire qu’on ne tient pas compte de l’intersectionnalité, des personnes qui sont femmes et autochtones ou bispirituelles et autochtones.

Les mécanismes existants sont limités en ce qui concerne la compréhension, le respect et la protection des droits des Autochtones, et aucun de ces mécanismes ne reflète la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, aussi appelée la DNUDPA.

Deuxièmement, il y a un manque de confiance énorme envers le gouvernement et ses autorités affiliées. L’on doute, à juste titre, que ces autorités vont défendre nos droits de la personne, après ce qui s’est passé dans les pensionnats et les externats, après la rafle des années 1960, après la situation des services à l’enfance et à la famille et, bien sûr, après la crise dont nous discutons ici.

Il manque d’information sur la façon d’accéder à ces mécanismes, d’un point de vue logistique, si vous vivez dans une collectivité rurale ou éloignée, et aussi du point de vue des énormes ressources — en temps et souvent en argent — nécessaires pour réussir à présenter une plainte relative aux droits de la personne.

Le processus n’est pas rapide, et cela décourage beaucoup de personnes de porter plainte, puisque ce recours pourrait prendre non pas des jours ou des mois, mais bien des années. Le temps est un luxe que seuls les privilégiés peuvent se permettre d’avoir.

Souvent, les mécanismes existants des organisations ne reflètent pas les peuples autochtones. Il y a, tout simplement, peu de représentation, malgré l’importance de la représentation. En conséquence, les entités ne sont pas culturellement sécuritaires ni sensibles aux traumatismes, la plupart du temps. Il y a souvent, au gouvernement et dans ses autorités affiliées, un manque de sensibilisation aux enjeux autochtones et au passé colonial du Canada. Les systèmes d’éducation n’ont tout simplement pas préparé les gens à cela, et même si nous devons renforcer les capacités des organisations et des entités existantes, ça ne suffira pas.

Au-delà de cela, il y a un manque de connaissances et d’expertise spécifiques sur les droits autochtones dans les mécanismes existants. Il n’y a pas non plus d’outils de surveillance, d’enquête et d’application de la loi. Un petit nombre réussit à vaincre le labyrinthe des mécanismes existants, mais nous avons besoin de plus que de la médiation. Nous avons besoin de réparation et que la loi soit appliquée.

Il peut aussi y avoir de graves problèmes de compétence. Il suffit de penser à Jordan River Anderson de Norway House au Manitoba et de la longue route qui a abouti au principe de Jordan. Nous avons besoin d’un mécanisme pouvant régler à la fois les violations des droits aux niveaux fédéral, provincial et territorial. Il n’y a pas d’ombudsman fédéral.

Enfin, les mécanismes existants sont, intrinsèquement, réactifs au lieu d’être proactifs.

Le racisme et la discrimination sont profondément ancrés dans nos structures et nos systèmes coloniaux, et il n’existe pour les Premières Nations, les Inuits et les Métis aucune façon simple, efficace, rapide et gratuite d’agir en cas de violation des droits des Autochtones, des droits de la personne ou des droits issus de traités.

Les parents et les proches ont insisté sur le fait qu’ils avaient besoin de mécanismes de plainte indépendants, sécuritaires et confidentiels ainsi que de soutiens intégrés. Ils ont dit très clairement qu’ils croient qu’il y a peu d’interventions et peu de reddition de comptes.

C’est pour cette raison que tout nouveau mécanisme de défense des droits des Autochtones et des droits de la personne doit être contraignant, parce qu’il est évident que « l’encouragement » à lui seul ne suffit pas.

Donc, il y a effectivement place à l’amélioration dans nos mécanismes actuels de protection des droits de la personne. J’ai aussi effectivement compris qu’il faut de nouvelles organisations de défense des droits de la personne réservées aux Autochtones pour garantir que les droits de la personne des Autochtones seront respectés. Malgré tout, pour conclure mes commentaires d’aujourd’hui, je dois dire que j’ai espoir.

Lors de la première table ronde nationale, organisée par le Canada le 10 janvier 2023, j’ai vu des survivantes, des membres de la famille, des aînés et des chefs autochtones ainsi que des chefs fédéraux, provinciaux et territoriaux coopérer pour mettre en commun leurs efforts et discuter de collaboration.

Nous pouvons tout faire si nous le faisons ensemble.

Nous avons maintenant une occasion de créer un nouvel avenir ensemble. Je vous remercie, sénatrices et sénateurs, de braquer les projecteurs sur cet enjeu. Je vous suis grandement reconnaissante.

Dans un peu plus d’un mois, ce sera le quatrième anniversaire de la publication du rapport final de l’enquête nationale et des appels à la justice. Mettons fin à l’urgence. Honorons les familles et les survivantes en leur montrant ce que nous pouvons accomplir avant qu’une autre année soit écoulée. Les familles et les survivantes ne méritent rien de moins que de voir les appels à la justice honorés.

Ekosani. Chi-miigwech. Merci. Je répondrai à toutes vos questions avec plaisir.

Le vice-président : Merci, madame Moore Rattray, de nous avoir présenté votre déclaration.

J’ai une question de nature générale pour vous, puis les sénatrices et les sénateurs auront d’autres questions. Voici ma première question, essentiellement : le travail que vous faites est vraiment important. Selon vous, qu’est-ce que notre comité sénatorial pourrait faire pour vous aider dans votre travail?

Je serais aussi curieux de savoir à quelle date vous prévoyez déposer votre rapport et aussi si vous avez des commentaires sur certaines des difficiles questions de compétence que vous avez mentionnées plus tôt.

Mme Moore Rattray : Merci beaucoup, sénateur. Ce sont de très bonnes questions. Premièrement, pour ce qui est de ce que vous pouvez faire vous, en tant que sénateurs et sénatrices, je pense que votre étude est un excellent début. Vous utilisez vos pouvoirs et votre privilège pour braquer les projecteurs sur ce dossier, et c’est très important. Plus précisément, vous pourriez peut-être songer à... À dire vrai, j’ai demandé aux survivantes et aux membres des familles, avant de venir ici, ce qu’ils voulaient que je dise, parce que leur voix est la plus importante. Ils m’ont parlé de l’alerte robe rouge et de son importance cruciale. Essentiellement, les systèmes et les structures sont tous déjà en place; les mécanismes et la technologie sont tous déjà en place, prêts à servir, et cela est justement très important, mais il faut que ce soit les familles qui établissent les paramètres et qui décident quand une alerte robe rouge doit être lancée. Voilà une des considérations.

Une autre grande considération est le revenu universel de base, en tant que mesure préventive, puisqu’il s’agit de donner à une personne assez d’argent pour qu’elle ait les ressources nécessaires pour être en sécurité. C’est tellement important. C’est une autre grande considération, le revenu universel de base.

La troisième chose dont les gens ont parlé était le manque cruel de logements abordables, qui fait en sorte que les gens restent dans des circonstances peu sécuritaires, parce qu’ils n’ont nulle part où aller. Nous avons parlé des maisons de tradition... pardon, de transition — ce pourrait être des maisons traditionnelles aussi, mais je parle des maisons de transition pour les femmes, les enfants et les personnes bispirituelles. C’est tellement important. Il y a aussi les refuges. Il n’y a pas suffisamment de refuges, et certains d’entre eux — je suis sûre que vous le savez déjà — dépassent largement leur capacité d’accueil au Canada.

Il y a certains enjeux très concrets dont je peux parler. Vous avez posé d’autres très bonnes questions. En ce qui concerne le calendrier, comme je sens qu’il y a urgence, et parce que les familles et les survivantes ont dit que c’était très urgent, je travaille très dur. Un certain nombre de réunions sont prévues, puis je vais pouvoir m’assurer qu’il y a toujours un processus de validation, c’est-à-dire une façon de retourner consulter les familles et les survivantes. Peut-être que je vais expliquer brièvement le processus.

J’ai commencé mes consultations, et cette phase est en cours actuellement. Je rencontre les familles et les survivantes, ainsi que les gouvernements et les organismes autochtones. Après, je vais consulter les provinces, les territoires, le Canada et diverses autres entités. Ensuite, je vais retourner consulter les familles et les survivantes pour leur dire : « Voici ce qui s’en vient, voici ce que j’ai entendu. Est-ce bien ce que vous avez dit? Trouvez-vous cela logique? Qu’est-ce qui est légitime? Qu’est-ce que je n’ai pas bien compris? Qu’est-ce qui pourrait être corrigé? » Après tout cela, je pourrais présenter quelque chose qui correspond à ce que les familles et les survivantes et les gouvernements et organisations autochtones m’ont dit. Le processus va continuer jusqu’en décembre de cette année. Donc, je travaille avec acharnement pour m’assurer que cela se fasse. Il va y avoir des recommandations provisoires, puis un rapport final d’ici décembre de cette année.

Voilà mon but. Je pourrais prendre un peu plus de temps, si j’en ai besoin, mais je ne veux pas prendre ce temps, parce que nous devons agir rapidement. Voilà la réponse à votre deuxième question.

Pour ce qui est des compétences, c’est une question très complexe. Un autre enjeu qui a été porté à mon attention, quand j’ai consulté des experts juridiques autochtones, des familles et des survivantes, c’est le choix. Est-il possible de choisir l’endroit? Serait-il possible d’avoir un bureau de l’ombudsman qui l’emporte sur les autres compétences et auquel une survivante ou un membre de la famille autochtone pourraient décider de s’adresser? Cela fait partie de l’architecture qui doit être conçue, alors je vais chercher des personnes très intelligentes pour en discuter avec elles.

Si nous prenons l’exemple de l’enquête nationale sur les familles et les filles autochtones disparues et assassinées, cela concernait toutes les provinces et tous les territoires du pays ainsi que le gouvernement du Canada. Tous ont signé et ont collaboré, et nous n’avons besoin de rien de moins, aujourd’hui. Merci.

Le vice-président : Merci.

La sénatrice Coyle : Merci, madame Moore Rattray, d’être avec nous et aussi du travail que vous faites.

J’ai deux questions assez évidentes, surtout vu la façon dont vous avez décrit les mécanismes existants et leurs limites.

Premièrement, comme nous le savons, l’appel à la justice 1.7 de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées visait la création d’un poste d’ombudsman national des droits des Autochtones et des droits de la personne, en partenariat avec les peuples autochtones, en codéveloppement, qui aura autorité dans tous les domaines de compétence, ainsi que la mise sur pied d’un tribunal national des droits des Autochtones et des droits de la personne. Pouvez-vous formuler des commentaires là-dessus et nous dire comment les choses progressent?

Ma deuxième question est la suivante : pourriez-vous faire des commentaires sur toute mesure prise par le gouvernement, le cas échéant, depuis la publication des appels à la justice et des recommandations connexes visant à réformer le cadre canadien des droits de la personne actuel et à mieux l’adapter aux droits et aux besoins des Autochtones?

Mme Moore Rattray : Merci beaucoup, ce sont de très bonnes questions.

L’appel à la justice 1.7 touche deux enjeux. D’abord, il y a la création d’un poste d’ombudsman, puis la création d’un tribunal. Mon mandat concerne le premier enjeu, la création d’un poste d’ombudsman et la forme que cela pourrait prendre. D’après ce que j’ai entendu jusqu’ici et, encore une fois, nous n’en sommes qu’au début, les gens ont désespérément besoin d’outils — pour savoir comment utiliser les mécanismes — et de services de médiation; ils ont besoin d’un endroit sécuritaire où ils peuvent aller et qu’ils peuvent trouver, qu’ils connaissent, qui existe dans leur collectivité ou, du moins, dont ils connaissent l’existence. La sensibilisation est quelque chose de très important. Je pourrais en parler longtemps.

L’autre partie, c’est que, lorsque la médiation ne fonctionne pas et qu’il n’est pas possible de régler le problème, l’autre partie de l’équation, le tribunal, est absolument nécessaire. Même si cela ne fait pas partie de mon mandat, je crois ce que les gens m’ont dit, c’est-à-dire qu’un tribunal est absolument essentiel et absolument important. Voilà l’autre aspect de la question. C’est l’application de la loi, c’est la réparation, qui ne fait pas normalement ou habituellement pas partie du travail de l’ombudsman.

Pour ce qui est du travail que le Canada et les provinces et les territoires font... En ce qui a trait aux mécanismes existants, je sais qu’il y a de nombreuses entités et autorités qui travaillent dur pour améliorer leurs services et pour les rendre culturellement sécuritaires, pour faire en sorte que leurs services soient ce qu’ils doivent être, c’est-à-dire adaptés aux traumatismes et représentatifs des Autochtones. Cependant, je ne crois pas que ce sera suffisant. Je crois que les deux mécanismes sont nécessaires. Merci.

La sénatrice Sorensen : Bienvenue, et merci d’être avec nous ici aujourd’hui. Je dois commencer par vous dire que j’ai beaucoup de respect pour le travail difficile que le tribunal ou l’ombudsman devront accomplir, c’est-à-dire travailler dans notre monde colonial avec les administrations municipales et les gouvernements provinciaux et fédéral et collaborer avec chacun d’entre eux pour obtenir des réponses. Je voulais souligner que cela sera un défi, en effet. Voici ma question : comment pouvons-nous nous assurer que la fonction de l’ombudsman des droits de la personne aura du mordant? Par exemple, quel rôle l’ombudsman devrait-il jouer s’il devait demander au gouvernement de rendre des comptes par rapport au sous‑financement des collectivités autochtones et de leurs services? Quelle forme cela pourrait-il prendre? Certains témoins ont dit à notre comité qu’ils s’étaient heurtés à d’importants obstacles, parce qu’ils s’étaient avérés incapables de citer des témoins à comparaître et d’obtenir des documents. Tout particulièrement, nous avons eu une longue discussion sur la capacité d’obtenir des documents.

De quel genre de pouvoirs spéciaux l’ombudsman aurait-il besoin pour être en mesure d’accomplir certaines de ces tâches qui, jusqu’ici, se sont avérées difficiles, sinon impossibles?

Mme Moore Rattray : Merci beaucoup, madame la sénatrice. Je pense que vous avez vraiment mis en relief la raison pour laquelle ce travail est tellement important et pourquoi la création de ce poste est si importante. À dire vrai, l’expression « du mordant » a été prononcée lors de la toute première discussion que j’ai eue avec les familles et les survivantes, après l’annonce de mon mandat. C’est exactement ce qu’ils ont dit : peu importe ce que vous faites, il faut que cela ait du mordant; il faut que cela ait un impact réel. On ne peut pas se contenter de belles paroles; il faut plus que de belles paroles. Il y a littéralement des vies qui sont en jeu.

D’après ce que m’ont dit les membres des familles et les survivantes, il y a évidemment des discussions sur la nécessité de pouvoir citer des témoins à comparaître et obtenir des documents. D’après les discussions et les études, jusqu’ici, peut-être que ce rôle pourrait revenir au tribunal. Encore une fois, cela dépasse mon mandat, mais peut-être que ce rôle pourrait être celui du tribunal — l’orientation, la défense des droits, les discussions et les grandes idées — parce que ce sont les communautés qui savent. Les femmes savent, les familles savent et les personnes bispirituelles savent ce qu’elles veulent et ce dont elles ont besoin. Elles ont dit qu’il devrait y avoir des défenseurs des droits de la personne qui travailleraient au bureau de l’ombudsman. Elles ont formulé d’autres très bonnes idées comme celle-ci, par exemple que le travail de l’ombudsman devrait se concentrer sur l’orientation, la défense des droits et la médiation. Elles ont aussi dit que le tribunal, l’autre aspect de la question, devrait avoir « du mordant » pour citer des témoins à comparaître, obtenir des documents, etc.

Nous n’en sommes qu’au début, mais c’est ce que je vois jusqu’ici. Merci.

La sénatrice Audette : Je voulais remercier mes collègues de leurs questions, qui sont bonnes et importantes. Certains parmi vous ont mentionné le travail important sur... Je ne veux pas dire problème, mais plutôt urgence, si je peux reprendre votre terme. Merci d’avoir accepté cette mission, parce que je suis convaincue que ce sera un parcours historique.

Lors de l’enquête nationale, j’étais reconnue comme étant, si je puis dire, quelqu’un qui réfléchissait trop à l’avenir, comme les 7 ou 10 années suivantes. La commissaire Robinson devait toujours me ramener au présent, en me disant : « Qu’en est-il aujourd’hui? » Malgré tout, cela reste dans mon cœur, dans mon esprit.

Madame Moore Rattray, avez-vous songé à discuter avec Innovation 7, étant donné que ces deux mandats sont intimement reliés? Vous avez parlé de « mordant » avec la sénatrice Sorensen... et du fait que les mandats devront aussi être respectueux des Métis, des Premières Nations et des Inuits. Nous avons tendance à mettre tous les peuples autochtones dans le même panier, alors que nous avons des protocoles différents. Avez-vous des réflexions là-dessus?

Aussi, va-t-il y avoir une composante législative? Je n’ai rien vu dans votre mandat prévoyant une telle fondation, mais c’est quelque chose que les familles, les survivantes et notre propre gouvernement autochtone ont proposé, en plus bien sûr des organisations de première ligne qui sauvent les gens et qui sont chaque jour au côté des membres de la famille.

Mme Moore Rattray : Merci beaucoup de votre question, sénatrice Audette. Vous avez absolument raison. Il existe des distinctions, et il est très important de reconnaître et de respecter ces distinctions. Il y a de nombreuses nations différentes. Les peuples des Premières Nations sont très différents d’un océan à l’autre, tout comme le sont les Métis et les Inuits. Je connais aussi très bien la réalité des Autochtones qui vivent en milieu urbain. Je connais aussi très bien la réalité des personnes bispirituelles ou de diverses identités de genre. Je crois tout à fait que les recommandations, peu importe ce qu’elles seront — et je vais avoir des discussions à ce sujet littéralement dans une semaine ou deux — vont absolument devoir respecter et englober ces distinctions. C’est absolument primordial.

Pour répondre à votre question sur la loi, il devra y avoir une loi, parce que tout cela devrait être permanent. Le poste d’ombudsman ou le tribunal — si c’est ce qui est décidé — devront être correctement financés et être établis à perpétuité. C’est très important qu’il y ait une loi. Peut-être que ce sera une occasion pour les sénateurs d’intervenir. Merci beaucoup.

Le sénateur Tannas : Merci d’être des nôtres, et bonne chance pour votre travail. C’est énorme.

J’aimerais approfondir un peu plus deux sujets que je ne comprends pas très bien. Le premier concerne les personnes résidant en milieux urbains et dans les réserves et les différents problèmes qu’elles ont, le cas échéant, dans leurs interactions avec leurs propres gouvernements, les gouvernements autochtones. Quel rôle envisagez-vous, ou quel rôle est envisagé, pour l’ombudsman? Nous avons rapidement parlé des provinces, des municipalités et du gouvernement fédéral, mais qu’en est-il du gouvernement autochtone, en particulier dans le contexte de ce qui s’en vient dans quelques années, c’est-à-dire — et je crois que c’est inévitable et que cela ne devrait pas être arrêté — le transfert des responsabilités, des pouvoirs et de l’argent aux gouvernements autochtones? Vous avez parlé de perpétuité. Quel est votre point de vue sur cette transition, sur le transfert des pouvoirs et des compétences aux gouvernements autochtones? Pouvez-vous nous parler de cela, des expériences passées, présentes et futures?

Mme Moore Rattray : C’est toute une question. En ce qui concerne les droits des Autochtones et les droits de la personne, les ordres de gouvernement qui n’ont pas respecté les droits des Autochtones, les droits issus de traités et les droits de la personne lorsqu’il est question des peuples autochtones, sont les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux. Si vous me demandez si je crois que les droits de la personne devraient s’appliquer à tout le monde, peu importe que la personne vive dans la communauté — comme on dit quand elle vit dans la réserve — ou en milieu urbain, je répondrais absolument. Mais ce que je vois, ce n’est rien de moins qu’un génocide, et les auteurs de ce génocide sont les ordres de gouvernement : le Canada, les provinces et les territoires. Les discussions ont surtout tourné autour de ce sujet jusqu’ici, en ce qui concerne les familles et les survivantes que j’ai rencontrées.

Le sénateur Tannas : Bien sûr, ce serait évidemment le cas pour les familles et les survivantes. Mais pour la suite des choses — et c’est votre rôle, n’est-ce pas, d’être celle qui regarde en avant et non vers le passé —, je voulais simplement savoir, allons-nous construire une structure pour quelque chose qui sera bientôt dépassé et ignorer ce qui va probablement être un obstacle pour les personnes dans l’avenir?

Je sais que c’est une question délicate, mais quelqu’un doit être pragmatique et penser aux sept prochaines générations, et je me demandais, êtes-vous cette personne? Croyez-vous que cela fera partie de votre rapport, ou du moins, allez-vous aborder la question de savoir qui va demander des comptes aux gouvernements autochtones qui ne respectent pas les droits de la personne des gens de la communauté? Qui va faire cela? Comment tout cela fonctionnera-t-il, tout cela ensemble? Parce que cela va probablement arriver. C’est arrivé avec les trois derniers ordres de gouvernement. Le gouvernement, c’est le gouvernement.

Mme Moore Rattray : Je commence mon mandat. Je suis certaine que je vais avoir des discussions plus approfondies avec les familles, les survivantes, les gouvernements autochtones, les organisations et, bien sûr, avec le Canada, les provinces et les territoires. Absolument, je pense que tout le monde serait d’accord pour dire que les droits de la personne, les droits des Autochtones et les droits issus de traités doivent être respectés, peu importe où vous vivez, mais il est encore trop tôt dans mon mandat pour que je puisse dire exactement quelle forme cela devrait ou va prendre. Merci.

La sénatrice Greenwood : Merci beaucoup d’être ici aujourd’hui. Merci du travail que vous accomplissez, dans ce poste important.

J’ai une question en deux parties. Vous avez déjà dit certaines choses, mais j’essaie simplement de comprendre. Vous avez parlé des organismes de protection des droits de la personne. Vous avez aussi parlé des organismes de protection des droits de la personne axés sur les Autochtones. Si vous deviez donner des conseils — et vous avez déjà dit certaines choses en ce sens — aux organismes de protection des droits de la personne existants, quels seraient les domaines clés sur lesquels ils devraient travailler, selon vous, afin d’être plus efficaces pour les gens qu’ils servent, c’est-à-dire les Premières Nations, les Inuits et les Métis du Canada? Je vais vous laisser réfléchir à cette première partie.

La deuxième partie — et il s’agit d’une question plus théorique... si nous avions effectivement des organismes de protection des droits de la personne axés sur les Autochtones en plus des organismes existants de protection des droits de la personne, quelle serait leur relation?

Je serais aussi très curieuse de savoir comment vous allez circonscrire le mandat de l’ombudsman, qui est seul, dans l’avenir, parce que c’est tellement vaste. Voilà mes questions, si vous pouvez y répondre. Vous avez déjà dit certaines choses, mais j’aimerais que vous formuliez des conseils.

Mme Moore Rattray : Absolument. Merci. Encore d’autres questions vraiment intéressantes.

Je pense que votre première question porte sur ce que peuvent faire les organismes et les mécanismes des droits de la personne actuels. J’ai abordé quelques points. Tout d’abord, je pense qu’il faut simplement rappeler que les membres de ces communautés ont besoin de savoir qu’ils existent. Dans de nombreux cas, ils ne le savent pas. Ils sont en dehors du monde dans lequel nous travaillons au quotidien. Je pense qu’il faut éduquer, sensibiliser, faire prendre conscience, rendre ces organismes plus faciles d’accès, moins intimidants, culturellement adaptés et sensibles aux traumatismes et qu’il faut que toutes ces bonnes choses se réalisent.

Disons que vous arrivez dans un environnement très intimidant. Par exemple, si vous allez devant un tribunal des droits de la personne ou au bureau d’un ombudsman, je pense qu’il est très important que vous soyez accueilli par quelqu’un qui vous ressemble. Il faut s’assurer que des Autochtones — des membres des Premières Nations, des Inuits et des Métis — au sein de ces organisations vous informent sur les processus et sur l’expérience vécue dans ces environnements. Il y a pas mal de travail à faire à ce chapitre.

En ce qui concerne les délais, d’après ce que je comprends, le mode de financement de bon nombre des mécanismes et des organismes actuels ne leur permet pas de répondre en temps opportun. C’est le point que j’ai soulevé; lorsque vous avez un problème urgent, vous ne pouvez pas attendre. Vous souhaitez obtenir une réponse dans les jours ou les semaines qui suivent, ou même les mois, mais pas après des années. C’est tout simplement impossible.

On peut faire beaucoup de choses. Je pense également que les connaissances et l’expertise spécifiques de ces organismes concernant les droits de la personne des Autochtones, les droits des Autochtones et les visions du monde autochtones — qui n’existent pas actuellement — sont également importantes.

Une foule de gens formidables dans tout le pays travaillent d’arrache-pied tous les jours pour répondre aux besoins et, parfois, je pense qu’ils ne disposent pas de tous les outils nécessaires pour répondre aux besoins. Je pense qu’il faudrait du financement, des soutiens et des ressources supplémentaires. Ce sont les points que je peux rapidement aborder.

Votre seconde question concernait les droits de la personne des Autochtones et les mécanismes de défense des droits des Autochtones et comment ils pourraient être reliés aux mécanismes actuels. C’est vraiment l’une des questions les plus épineuses. J’ai bien sûr mené des consultations, de manière très préliminaire, et je vais assurément le faire de manière plus approfondie dans les prochains mois, sur ce à quoi cela pourrait ressembler. Certains outils juridiques que j’examine actuellement sont envisageables, et ils semblent prometteurs, mais c’est vraiment une question de compétence. Les familles et les survivants ont dit qu’ils veulent avoir le choix et la possibilité d’aller dans un endroit qui répond à leurs besoins pour obtenir l’aide qu’ils veulent et dont ils ont besoin.

En ce qui concerne la compétence, il n’y a, par exemple, pas d’ombudsman fédéral. C’est un cas simple; il n’y aurait pas de chevauchement et il serait facile de savoir qui fait quoi.

Je reviens toujours à l’enquête nationale, la première véritable enquête nationale du pays, à laquelle ont participé toutes les provinces et tous les territoires. Je pense que, puisque les provinces et les territoires et le Canada participent actuellement à la discussion... La première table ronde a eu lieu en janvier, et de nombreuses personnes veulent trouver un moyen de faire fonctionner cela. Il y a beaucoup de bonne volonté. Il y a beaucoup de dévouement réel à cet égard en ce moment. Les gens se rendent compte que nous sommes en crise. Avec de la volonté et un peu de créativité, je suis tout à fait certaine que nous pouvons y parvenir.

La sénatrice Audette : J’aimerais remercier le sénateur Tannas de toujours poser des questions sur l’avenir des Autochtones et sur le gouvernement autonome. Quand on parle des Premières Nations... je viens d’une collectivité qui était assujettie à la Loi sur les Indiens. Bien sûr, grâce à l’enquête nationale, on comprend que la cause profonde, dont on voit toujours les répercussions aujourd’hui, est l’imposition de la Loi sur les Indiens et sa mise en œuvre dans nos collectivités.

Je pense que c’est une question importante, si, dans votre travail, on peut trouver une recommandation visant à poursuivre les études ou à faire en sorte que les femmes, les hommes et les familles autochtones soient protégés. Encore une fois, je donnerais en exemple ma nation, la nation innue.

Il est également évident que, si une femme veut se plaindre au conseil de sa bande — j’utiliserai le vocabulaire de la Loi sur les Indiens —, il y a un endroit où elle se sent protégée lorsqu’elle va au bureau de l’ombudsman. En même temps, les gens doivent comprendre la cause profonde. Il ne s’agit pas ici d’une loi canadienne; c’est la Loi sur les Indiens qui a créé cette discrimination ou ces complications. C’est très important.

Recommanderiez-vous également dans votre rapport que les députés et les sénateurs qui vont débattre d’un projet de loi relatif à une nation ou à une collectivité — et voter sur celui-ci — ajoutent l’aspect de la protection des hommes et des femmes? Nous avons cette responsabilité, nous devons donc faire de la prévention. Bien sûr, cela se fait à deux, avec la nation ou la collectivité. Plus nous avons de recommandations de notre côté, plus nous devenons responsables.

Mme Moore Rattray : Merci beaucoup. C’est un point vraiment excellent, essentiel et important. Absolument. Merci.

Le sénateur Tannas : Vous ne voulez pas ouvrir un autre abîme.

Mme Moore Rattray : Oui. Tout à fait.

Le vice-président : Madame Moore Rattray, il me semble que, sous la rubrique de la réconciliation, vous avez une excellente occasion de vraiment construire quelque chose d’efficace et d’autochtone en vous fondant sur des perspectives culturelles autochtones qui ne sont pas limitées par les mécanismes coloniaux. C’est une excellente occasion.

Prévoyez-vous, dans votre rapport, de proposer la conception, les mécanismes et les processus pour faire de cela une institution et un ombudsman adaptés aux Autochtones?

Ensuite, vous prévoyez qu’une loi va créer le poste d’ombudsman, selon le rapport que vous allez préparer, je suppose.

Je vous laisse répondre à cette question.

Mme Moore Rattray : Merci beaucoup. Dès la première réunion, j’ai reçu d’excellentes suggestions sur la façon dont ce bureau de l’ombudsman pouvait être un véritable bureau d’ombudsman autochtone, pour les Premières Nations, les Inuits, les Métis et les personnes bispirituelles. À la toute première réunion, après l’annonce du mandat, l’une des grands-mères a dit : « Bien sûr, il faut que des grands-mères, des aînés et des gardiens du savoir en fassent partie, et nous devrons réfléchir à la manière d’en faire des éléments indissociables de ce bureau de l’ombudsman et de son but. » Bien sûr! Les gens — la famille, les survivants, les gouvernements autochtones et les organismes autochtones — ont d’excellentes idées, et je veux en retenir le plus possible; je veux aussi en dégager des façons d’aller de l’avant d’une façon réellement décolonisée.

Nous ne voulons pas simplement adopter... Je pense que c’est ce qui s’est passé dans certaines parties du pays avec la loi sur les services à l’enfance et aux familles, par exemple, et avec le transfert des responsabilités. Pour répondre à ce que vous disiez, comment crée-t-on quelque chose qui est vraiment et véritablement à nous par rapport à quelque chose de colonial, tout en travaillant au sein de cet État-nation moderne qui s’appelle le Canada? Il s’agit d’établir un véritable équilibre, et une bonne loi permettra de trouver cet équilibre.

La sénatrice Coyle : À ce sujet, ce que nous essayons d’équilibrer — votre point sur l’équilibre —, lorsque nous recevons une loi de ce genre, c’est ce qui doit se passer avant que cette loi ne soit adoptée et ce qui doit se passer une fois que cette loi sera en vigueur. Honnêtement, c’est une tension permanente, particulièrement quand il est question d’une loi qui doit absolument permettre de répondre aux exigences d’un appel à l’action comme celui-ci et aux besoins des multiples peuples autochtones du Canada.

Je suis simplement curieuse de savoir ce que vous pensez des délais, compte tenu de votre responsabilité. Vous avez parlé, au début, de l’urgence. Quelle est la part du travail très important que vous effectuez... et, comme vous disiez, les gens ont déjà beaucoup de bonnes idées sur ce à quoi cela doit ressembler. À quoi ressemble ce juste équilibre, dans le contexte du travail que vous entreprenez actuellement, en espérant qu’il conduira à l’élaboration d’une loi importante et solide? Que se passera-t-il une fois que cette loi sera en vigueur? Parce que nous savons qu’il y a toujours plus de travail à faire à ce stade. Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet? Je pense que cela nous aiderait vraiment.

Mme Moore Rattray : Absolument. Merci beaucoup de vos excellentes questions.

Pour répondre à votre question sur le temps, je pense qu’il nous faut suffisamment de temps pour bien faire les choses, mais pas une seconde de plus. Il y a urgence. Je pense qu’une loi créée conjointement sera meilleure. Le Canada compte quelques juristes brillants parmi les membres des Premières Nations, les Métis et les Inuits, et on pourrait les réunir dans le cadre d’une méthode de travail vraiment différente... d’une manière qui représente vraiment la réconciliation en action. Si ces esprits brillants se réunissaient pour un mois, pour quelques semaines ou pour une corvée législative — je ne sais pas — et qu’ils se concertaient, je crois vraiment que rien n’est impossible. Ce serait le plus beau et le plus excellent des projets de loi, car les membres de ces familles et les survivants — dont certains sont des avocats — travaillent et se concentrent sur ce dossier depuis des années et des décennies. Les connaissances y sont. Je suis convaincue que les connaissances se trouvent dans les collectivités. Les connaissances y sont déjà, et tout ce que les organisations traditionnelles ont à faire, c’est s’en servir.

Par conséquent, je pense qu’il s’agirait de s’asseoir, de simplement se retrousser les manches et de se mettre au travail, littéralement, pour rédiger ce projet de loi. J’ai une certaine expérience de la rédaction de lois, du point de vue d’une personne qui a travaillé pour la province du Manitoba à un moment donné, et je sais que cela peut prendre beaucoup de temps. Mais je sais également que, lorsque des choses urgentes doivent être faites, elles peuvent l’être très rapidement et de manière efficace et efficiente.

Je sais que cela ne vous donne pas la date ou le mois précis. J’aimerais pouvoir vous donner cette information, mais je me contenterai de répéter « suffisamment de temps pour bien faire les choses, mais pas une minute de plus ».

Le vice-président : Madame Moore Rattray, vous prévoyez beaucoup de coopération et d’aide constructive dans vos consultations. Je crois comprendre que vous pensez que vous en obtiendrez et que vous êtes emballée par l’occasion.

J’ai deux ou trois questions. L’autre moitié de l’appel à la justice 1.7 concerne la création d’un tribunal. Allez-vous être limitée quant à vos commentaires sur la construction de ce tribunal?

Mon autre question est la suivante : vous avez été partie intégrante de la création des appels à la justice dans le cadre de votre précédent rôle. L’appel à la justice 1.10 concerne la création d’un mécanisme visant fondamentalement à surveiller la mise en œuvre des appels à la justice et à en rendre compte. Avez-vous discuté de cela avec quiconque, ou avez-vous des idées sur la façon dont cette institution ou ce mécanisme particuliers doivent être créés?

Mme Moore Rattray : Je tiens à préciser que les appels à la justice ont été créés par les membres des familles, les survivants et le commissaire. J’ai eu le privilège de jouer un petit rôle dans ce processus, en tant que directrice exécutive, mais oui, absolument, les appels à la justice viennent de ce que les familles et les survivants ont dit aux commissaires. C’est comme ça qu’ils ont été créés... simplement pour préciser ce point.

Quant à mon mandat, il ne concerne pas le tribunal. Il concerne le bureau de l’ombudsman et également la partie relative à l’évaluation — avoir un mécanisme pour évaluer les programmes et services offerts par le Canada, les provinces et les territoires et à quoi cela ressemble. Il s’agit d’un mandat important à remplir avant la fin de l’année. C’est mon mandat.

Cependant, les membres des familles et les survivants — et j’ai de nombreux autres interlocuteurs — parlent déjà de l’aspect du tribunal. Ils me parlent déjà. Bien que cela ne fasse pas partie de mon mandat, je peux certainement réfléchir aux commentaires qu’ils m’ont spécifiquement faits au sujet du tribunal. Je peux en tenir compte. Je manquerais à mon devoir si je n’en tenais pas compte dans mes rapports provisoires et finaux.

En ce qui concerne l’appel à la justice 1.10 qui vise en fait à rendre les gouvernements, au pluriel — ainsi que les institutions et les organismes — responsables des appels à la justice, c’est tout autre chose. C’est lié, oui, mais c’est tout autre chose. Cela a été fait, je crois, par une organisation du nom d’Innovation 7.

Merci.

La sénatrice Coyle : Vous avez très clairement dit que votre mandat concerne l’ombudsman des droits de la personne des Autochtones. S’agit-il d’un ou de deux projets de loi? C’est la simple question qui me vient à l’esprit. Vous avez été très claire sur le fait que le rôle de l’ombudsman aura une contrepartie essentielle — un tribunal qui sera l’instrument d’application de la loi — avec, comme vous l’avez dit, assez de mordant pour répondre à cet appel à la justice très important. Pourriez-vous nous dire si vous les verriez réunis dans un seul projet de loi ou pas? Quelle serait votre recommandation à cet égard?

Mme Moore Rattray : Merci beaucoup, sénatrice. Je pense que je ne suis pas assez avancée dans mon mandat pour correctement en parler, et j’essaie d’en dire moins plutôt que plus lorsque je ne suis pas certaine. Je sais que les délais sont très importants, mais bien faire les choses l’est également. Je vais en rester là, mais je vous en remercie.

La sénatrice Coyle : D’accord. Cela suscite toutes sortes de questions.

Mme Moore Rattray : Tout à fait, j’en ai beaucoup également. C’est un processus. Merci.

La sénatrice Coyle : Je vous en remercie.

Le vice-président : Madame Moore Rattray, nous arrivons au moment où vous devez conclure, dire tout ce que vous voulez réitérer ou présenter d’autres commentaires au comité. Vous avez dix minutes.

Mme Moore Rattray : Ma foi, si j’avais su que je disposais de dix minutes, j’aurais eu un PowerPoint... non.

Je tiens à tous vous remercier de votre temps et de votre attention et d’avoir mis en lumière cette question essentielle et très importante. Tous les appels à la justice sont importants, essentiels et cruciaux, mais celui-ci est vraiment l’un des éléments fondamentaux. Si nous pouvons créer un bureau de l’ombudsman, et bien le faire, cela permettra à de nombreux autres appels à la justice d’aboutir. C’est très important et urgent.

L’un des points que j’ai rapidement abordés, mais que nous n’avons pas eu l’occasion d’approfondir concerne la partie sur l’évaluation et sur la création d’un organisme — un bureau de l’ombudsman — capable de réellement évaluer ces services et programmes.

La plupart des programmes et des services destinés aux Autochtones, aux Premières Nations et aux Métis au Canada ne sont pas fournis par des Autochtones. Nous pouvons utiliser plus efficacement nos ressources si nous fournissons ces services à nous-mêmes, car nous connaissons les besoins. Il y a des cas où des organismes non autochtones ont reçu du financement pour soutenir des Autochtones et se sont ensuite adressés aux organismes autochtones de la collectivité en disant : « Pourriez-vous nous aider? Il n’y a pas d’Autochtones parmi nous et nous venons de recevoir du financement. » Cela pose quelques problèmes.

Si les mécanismes, les structures et les systèmes actuels fonctionnaient, on n’aurait pas un écart de 11 ans — qui ne cesse de croître — au Manitoba au chapitre de l’espérance de vie entre les Premières Nations et les autres citoyens du Manitoba, et on retrouve des statistiques similaires dans tout le pays. Vous avez plus de chances de grandir dans la pauvreté, sur mon territoire, que d’obtenir un diplôme d’études secondaires, en 2023. Il n’y aurait pas 75 % d’Autochtones parmi les personnes sans-abri à Winnipeg, ou 81 % à Brandon, la deuxième population d’Autochtones sans abri par la taille dans un pays prospère comme le Canada. Et 94 % des personnes sans abri, à Thompson, dans le Nord du Manitoba, sont Autochtones. Si nos structures et nos systèmes actuels fonctionnaient, si quelqu’un tenait ces systèmes et ces structures responsables, on n’aurait pas ces statistiques alarmantes. C’est pourquoi je dis que ce travail est urgent.

Un autre proche parent formidable a été retrouvé la semaine dernière, au Manitoba, dans l’un de nos quartiers proches de la rivière. Il y a des veillées toutes les semaines, et parfois plus d’une par semaine, dans ma collectivité. Je sais qu’il y a des cas similaires dans tout le pays.

Nous devons travailler ensemble, nous tous, Autochtones et non-Autochtones. C’est cela, la réconciliation. Il s’agit de réunir les plus de 2 000 familles et survivants qui ont raconté les pires moments de leur vie, afin que l’on puisse établir le rapport final de l’enquête nationale et ont fait connaître leur vérité à des commissaires comme la sénatrice Audette, afin que l’on puisse transformer tout cela en quelque chose de significatif, parce qu’il n’y a rien de plus dévastateur que la perte d’une vie magnifique, quand cela ne signifie rien, quand le changement n’a pas lieu.

Je vous exhorte, dans le cadre de vos postes de pouvoir, à faire tout ce que vous pouvez pour apporter ce changement, pour y arriver. Je sais qu’une foule de personnes veulent aider à ce que cela se produise, mais il s’agit de rester concentré sur le dossier. C’est aussi urgent que tout ce qui se passe dans le monde en ce moment, et je crois que c’est la question la plus importante dans notre pays.

Je vous remercie énormément de votre temps et de votre attention et d’avoir commencé d’une si belle manière, par la purification, en faisant de cet espace un espace sacré. C’est un espace sacré. Vous en faites tous partie. Merci, et meegwetch.

Le vice-président : Madame Moore Rattray, merci beaucoup de votre témoignage ici aujourd’hui. Je vous souhaite bonne chance dans votre travail. S’il y a quoi que ce soit qui devrait selon vous être porté à l’attention du Comité sénatorial des peuples autochtones, au cours de votre travail, n’hésitez pas à communiquer avec la greffière et nous ferons en sorte de vous entendre sur toute question que vous jugerez importante pour nous. Tous les membres du comité présents se joignent à moi pour vous souhaiter sincèrement bonne chance dans votre travail. C’est tellement important. Merci beaucoup d’être venue.

Mme Moore Rattray : Merci beaucoup.

Le vice-président : Chers collègues, dans notre deuxième groupe de témoins, nous accueillons Mme Charlotte-Anne Malischewski, présidente et première dirigeante intérimaire; Mme Valerie Phillips, directrice générale des services des plaintes; et Mme Tabatha Tranquilla, directrice des politiques, de la recherche et des relations internationales, toutes les trois de la Commission canadienne des droits de la personne.

Je remercie les témoins de s’être jointes à nous aujourd’hui. Madame Malischewski, vous avez cinq minutes pour nous donner un aperçu général, au moyen de votre déclaration préliminaire, après quoi nous inviterons les sénatrices et les sénateurs à poser leurs questions, à vous et à vos collègues. Merci.

Charlotte-Anne Malischewski, présidente et première dirigeante intérimaire, Commission canadienne des droits de la personne : Bonjour, honorables sénatrices et sénateurs. Merci beaucoup de m’avoir invitée à comparaître devant votre comité.

Je suis accompagnée aujourd’hui de mes collègues, Mme Tabatha Tranquilla et Mme Valerie Phillips.

C’est avec humilité que nous nous réunissons sur le territoire traditionnel non cédé de la nation algonquine anishinabe qui a entretenu et entretient toujours les terres et les eaux aujourd’hui connues sous le nom d’Ottawa.

L’amélioration de la protection et de la promotion des droits de la personne des peuples autochtones sont depuis longtemps au cœur du travail que nous faisons, à la commission. Nous avons vu de nos propres yeux que l’accès à un véritable processus de défense des droits de la personne peut être un agent de changement puissant. Nous sommes également au fait des lacunes et des obstacles inhérents à tout système de défense des droits de la personne fondé sur la colonisation. Un des plus grands obstacles était inclus dans notre loi fondatrice. Au moment de l’entrée en vigueur de la Loi canadienne sur les droits de la personne, en 1977, un article appelé l’article 67 interdisait aux gens de déposer une plainte pour discrimination relativement à toute question relevant de la Loi sur les Indiens. Cela signifiait qu’il était interdit à des centaines de milliers de membres des Premières Nations de déposer une plainte pour discrimination relative aux règles et aux systèmes qui influençaient leur quotidien. Pendant de nombreuses années, nous avons réclamé un changement et enfin, en 2008, le Parlement a abrogé l’article 67.

Il s’en est suivi, au cours des années suivantes, un afflux spectaculaire de plaintes nouvelles et complexes, dont de nombreuses étaient précédemment interdites par l’article 67. D’autres affaires ont découlé d’une plus grande sensibilisation des peuples autochtones au système des droits de la personne, en partie grâce au travail de sensibilisation réalisé autour de l’appel.

Depuis, soit pendant plus de 15 ans, nous avons représenté et défendu l’intérêt public dans des affaires complexes qui ont soulevé des questions systémiques relatives aux droits de la personne des Autochtones. Par exemple, l’inscription et l’appartenance à une bande en vertu de la Loi sur les Indiens; le droit de transmettre son statut à ses enfants biologiques, à ses enfants adoptifs ou à ses petits-enfants; le droit à un logement convenable dans les réserves; le financement des services de police des Premières Nations; le financement de l’éducation des Premières Nations; la sécurité et la santé des femmes autochtones en prison; et surtout, peut-être, les droits des enfants des Premières Nations de vivre en sécurité avec leur famille.

Nous avons continué tout au long d’apprendre de ces affaires, des Autochtones, des collectivités et des défenseurs. En 2013 et 2014, la commission a parcouru le pays pour rencontrer les femmes autochtones et les organisations qui les soutiennent. Dans notre rapport, Hommage à la résilience de nos sœurs, nous avons documenté 21 obstacles à la justice et aux droits de la personne auxquels se heurtent les femmes autochtones, qu’elles nous ont elles-mêmes exposés. Des obstacles tels que les différences culturelles dans les visions du monde, la langue, la confusion en matière de compétences et de droits, l’absence de soutien juridique, les déséquilibres du pouvoir et la crainte de représailles.

Nous continuons d’améliorer nos processus, et ces améliorations sont en cours. En réalité, aucune organisation ne peut être le modèle parfait, la voie parfaite vers la justice. La société évolue, la protection des droits de la personne doit aussi évoluer. C’est pourquoi, aujourd’hui, nous sommes enthousiastes à l’idée de parler d’une autre étape importante vers l’amélioration des droits de la personne des Autochtones du Canada.

Soyons clairs : la Commission canadienne des droits de la personne soutient entièrement la création de mécanismes de défense des droits de la personne pour les Autochtones du Canada. Nous estimons que tout nouveau mécanisme indépendant qui favorise la décolonisation et l’autodétermination est le bienvenu et est attendu depuis longtemps.

Cela dit, nous avons trois points principaux à soumettre à l’examen du comité. Premièrement, tout nouveau mécanisme de défense des droits de la personne des Autochtones doit être élaboré et dirigé par les divers peuples autochtones et pour les divers peuples autochtones; deuxièmement, tout nouveau mécanisme doit être conçu dans le but de protéger et de promouvoir les droits intersectionnels des femmes autochtones dans diverses populations, surtout celles en situation de vulnérabilité; troisièmement, tout mécanisme doit avoir le pouvoir de traiter les problèmes systémiques et d’y remédier.

En ce qui concerne mon premier point, il est essentiel que tout nouveau mécanisme soit élaboré et dirigé en permanence par les divers peuples autochtones et pour ces derniers. Il s’agit notamment de s’assurer que les mécanismes disposent de ressources et de soutiens suffisants pour remplir leur mandat; qu’ils soient suffisamment indépendants de tout gouvernement — fédéral, provincial, territorial, municipal et autochtone —; et qu’ils soient faciles d’accès et d’utilisation et qu’ils produisent des solutions et des recours significatifs.

En ce qui concerne notre second point pour votre comité, la commission croit qu’il est tout aussi essentiel que les nouveaux mécanismes protègent et défendent les droits intersectionnels des femmes autochtones et des populations diverses, y compris celles en situation de vulnérabilité. Tout nouveau mécanisme doit veiller à ce que l’accès à la justice, pour la défense des droits de la personne, soit protégé pour les femmes des Premières Nations, inuites et métisses qui ont constamment dû se battre contre les systèmes existants pour que leurs droits et les droits de leurs enfants soient reconnus.

De plus, tout nouveau mécanisme doit défendre, pour les Premières Nations, les Inuits et les Métis, les droits des personnes handicapées, des personnes bispirituelles, des personnes des autres communautés LGBTQQAI+, des enfants, des jeunes et des aînés, des personnes vivant dans la pauvreté et de celles qui sont sans abri. Tout nouveau mécanisme doit inclure toutes ces voix dans son élaboration et dans son application.

Cela m’amène à mon dernier point : il est essentiel que tout nouveau mécanisme ait le pouvoir de traiter les problèmes systémiques et d’y remédier. Un changement important et durable doit être l’objectif ultime de cette quête.

Je conclurai en disant que, à mesure que diverses options seront présentées, la commission se fera un plaisir de partager son expertise. Nous avons hâte de jouer le rôle que le Parlement et les Autochtones envisagent de nous confier. Merci. Nous serons heureuses de répondre à vos questions.

Le vice-président : Merci, madame Malischewski. Vous avez travaillé et cerné 21 obstacles auxquels font face les femmes autochtones au Canada, après avoir mené de vastes consultations. Avez-vous réussi à appliquer des mesures pour diminuer ce nombre d’obstacles, êtes-vous parvenue à en diminuer le nombre? J’aimerais aussi que vous parliez des besoins en ressources parce que l’absence de ressources est sans doute directement liée au fait que les Autochtones ne possèdent aucun processus pour composer avec les infractions à la Loi sur les droits de la personne. Pourriez-vous commenter?

Les trois enjeux que vous avez relevés sont aussi importants. Je pense que la Commission canadienne des droits de la personne a une perspective unique sur le sujet parce que je crois qu’elle aurait des suggestions et des idées concernant chacun de ces enjeux, particulièrement les enjeux systémiques et pourrait trouver des recours et des mécanismes systémiques pour régler les problèmes.

Pouvez-vous commenter l’ensemble de ma question?

Mme Malischewski : Merci beaucoup. Nous avons effectivement travaillé afin de cerner ces obstacles et travaillons sur les façons de les surmonter. Je serais heureuse de parler de ce que nous avons fait.

Par contre, j’aimerais commencer par soulever un point important, selon moi, qui est au cœur de notre vision de la situation : les mécanismes existants doivent toujours évoluer et s’améliorer, et c’est ce que nous devons faire à la commission.

Cela dit, les plaintes liées aux droits de la personne et les processus judiciaires sont des outils clés pour qui veut faire changer les choses, mais les roues de la justice tournent lentement, et notre expérience nous a montré que le système actuel comporte toujours des lacunes et des obstacles et ne peut traiter tout l’éventail des droits de la personne des Autochtones.

La Loi canadienne sur les droits de la personne n’est qu’un des nombreux outils qui favorisent le changement et l’égalité, au Canada, et nous croyons qu’il faudra des actes dépassant la portée de cette loi pour qu’un changement important s’opère pour les Autochtones du Canada. C’est pour cette raison que je voulais commencer par ce point, puisque les Autochtones ont déjà réclamé des mécanismes qui leur seraient propres. Je veux être claire dès le départ, avant de répondre à votre question en disant que nous les appuyons à cet égard.

Pour ce qui est du travail que nous avons fait, nous avons effectivement réussi à surmonter certains obstacles, et, comme l’a laissé entendre la représentante spéciale du ministre — et vous aussi, dans votre question —, il ne fait aucun doute qu’on pourrait en faire plus avec plus de financement. Je ne le nierai pas. J’aimerais avoir plus de financement. À une certaine époque, l’organisation n’avait pas de fonds réservés pour un dossier précis, comme l’Initiative nationale autochtone pour laquelle nous avons reçu cinq ans de financement, et c’est tout.

Pour surmonter les obstacles, nous avons mis à contribution toute l’organisation : nous avons notamment favorisé la représentation parmi notre personnel, offert de la formation à tout notre personnel et modifié nos processus — cela fait partie de la modernisation —, mais nous avons aussi modifié notre système à la lumière des préoccupations qui nous ont été présentées et aussi en cherchant à aider les gens qui ont de la difficulté à s’y retrouver. C’est ce que nous avons fait pour notre mécanisme de traitement des plaintes, mais nous avons aussi beaucoup travaillé à la défense des droits devant les tribunaux.

Je vais maintenant laisser la parole à ma collègue, Mme Phillips, qui vous parlera du mécanisme de traitement des plaintes, du travail effectué devant les tribunaux et de la façon dont nous avons réglé les problèmes dans ces domaines.

Valerie Phillips, directrice générale des services de plaintes, Commission canadienne des droits de la personne : Merci de votre question. Je présume, sénateur Arnot, que vous parlez de notre rapport Hommage à la résilience de nos sœurs.

Je vais commencer par les obstacles de nature juridique. Le premier est notre Constitution elle-même, la division des pouvoirs au titre des articles 91 et 92, qui n’était pas un concept venant des communautés autochtones. Cette division des pouvoirs constitue un obstacle important à l’accès au système de justice canadien lorsqu’il est question de droits de la personne.

La commission est intervenue devant la Cour suprême du Canada dans l’affaire NIL TU, O Child and Family Services, pour parler à la Cour d’un sujet précis, soit l’obstacle que crée cette division des pouvoirs à l’accès à la justice dans des affaires liées aux droits de la personne.

Nous travaillons avec l’Association canadienne des commissions des droits de la personne, l’ACCDP, et, en 2014, nous avons élaboré un guide de pratiques exemplaires fondé sur le principe de Jordan. L’idée, c’est que la première commission qui reçoit la plainte l’admet et travaille avec l’autre responsable pour tenter de différer la question, parce qu’il y a de nombreuses zones grises pour les organisations autochtones, particulièrement dans les réserves.

Je crois que vous discuterez avec M. Jeremy Matson, demain, et je soupçonne qu’il vous parlera de cela. Dès que les droits se sont appliqués aux Autochtones, après l’abrogation de l’article 67, les contestations juridiques ont commencé. La première visait à savoir si la Loi canadienne sur les droits de la personne pouvait être utilisée pour contester certains articles de la Loi sur les Indiens, plus précisément les articles sur l’inscription. Cette affaire s’est rendue jusqu’en Cour suprême. Encore une fois, les avocats de la commission étaient plaideurs, dans cette affaire. Il a été conclu que seule la Charte pouvait être utilisée pour contester les lois non discrétionnaires et que l’adoption de lois par le Parlement n’était pas un service au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne. C’est un autre obstacle, et il s’étend maintenant aux lois autochtones aussi, particulièrement aux codes électoraux. Il a été décidé que la Loi canadienne sur les droits de la personne ne peut pas être utilisée pour contester les codes électoraux.

Parlons ensuite de la portée de la Loi canadienne sur les droits de la personne. D’autres témoins vous ont dit qu’elle n’englobe pas tous les droits mentionnés dans la Déclaration de l’ONU sur les droits des peuples autochtones.

Les frais sont actuellement exclus, selon la Loi canadienne sur les droits de la personne, et cela est un problème pour un plaignant qui veut retenir les services d’un conseil. Le plaignant ne peut réclamer les dépens à la fin du processus.

La Loi canadienne sur les droits de la personne comprend une liste fermée de motifs, contrairement à la Charte, qui prévoit des motifs analogues.

Votre témoin précédent vous a parlé de l’identité autochtone, et certains codes provinciaux en tiennent compte. On a aussi entendu parler des Autochtones qui résident sur des terres autochtones et de ceux qui ne vivent pas dans une réserve et des services et prestations auxquels ils ont accès.

En ce qui concerne le rapport Hommage à la résilience de nos sœurs, nous avons travaillé avec notre partenaire, l’ACCDP, parce que l’éducation relève des provinces et territoires. La commission a collaboré à la conception d’un certain nombre de bons outils destinés aux communautés autochtones, entre autres un guide en langage clair expliquant les droits conférés par la Loi canadienne sur les droits de la personne. On a aussi conçu un guide pour les répondants des Premières Nations afin qu’ils sachent à quoi s’attendre, quand il leur faut répondre.

Nous avons aussi conçu une boîte à outils pour les communautés qui voulaient élaborer leur propre mécanisme de règlement des plaintes et tenter de composer avec les droits de la personne au sein de la communauté. Maintenant, il faut savoir que la commission ne reçoit ni subvention ni contribution des autorités et qu’elle n’a pas pu financer ces programmes, mais, lorsque nous avons créé cette boîte à outils, nous avons travaillé avec un certain nombre de communautés pour tenter de concevoir, ensemble, un exemple de ce à quoi pourrait ressembler un mécanisme de règlement des plaintes axé sur la communauté.

Le vice-président : Merci beaucoup.

La sénatrice Sorensen : Je suis assise ici en train de me dire que je suis sénatrice depuis un an et demi, et j’ai réalisé que le plus bel avantage, quand on est au Sénat, c’est qu’on en apprend sur tellement de sujets différents, dans les comités, particulièrement de nos témoins. Donc, merci beaucoup de tout ce que vous avez dit aujourd’hui. J’en ai appris beaucoup au cours des 10 dernières minutes.

Bonne nouvelle, madame Phillips, ma question semble concerner un peu le même sujet, donc vous pourrez peut-être en dire davantage. Tout d’abord, est-ce que la Commission canadienne des droits de la personne a son mot à dire sur les activités des communautés des Premières Nations? Je pense que la réponse est oui, mais pourriez-vous nous en dire plus? Y a-t-il des problèmes au chapitre des compétences qui ont une incidence sur la capacité des Autochtones habitant dans les réserves de demander réparation pour des infractions aux droits de la personne? Que fait la commission pour aider une personne qui dépose une plainte et qui doit se retrouver dans ce processus?

Mme Phillips : Merci de la question. Oui, la répartition des pouvoirs est un gros obstacle, particulièrement pour les Autochtones au Canada. La commission a-t-elle compétence sur les communautés autochtones? Je pense que la réponse est complexe.

La sénatrice Sorensen : D’accord.

Mme Phillips : Je pense que les Autochtones ont compétence inhérente au Canada. L’article 35 de notre Constitution vise à protéger ces droits. Malheureusement, il faut aller jusqu’en Cour suprême pour faire respecter un grand nombre de ces droits. Donc, l’étendue de ces droits n’est pas claire, mais il est certain que la Déclaration de l’ONU sur les droits des peuples autochtones aide à les cerner.

Si vous interprétez la Constitution de façon très stricte, la Loi sur les Indiens est une loi fédérale, et tous les services et toutes les prestations qui en découlent sont techniquement de compétence fédérale. Cependant, comme je l’ai mentionné, les affaires de Jeremy Matson et de M. Andrews se sont rendues à la Cour suprême du Canada, et il a été conclu clairement que la Loi canadienne sur les droits de la personne ne peut pas être invoquée pour contester les articles de lois non discrétionnaires, comme l’article 6 de la Loi sur les Indiens, qui est la disposition sur l’inscription.

Il est vrai que nous nous sommes d’abord attardés sur les communautés des Premières Nations parce que l’article 67 concernait la Loi sur les Indiens. Nous nous sommes d’abord concentrés sur ce sujet, mais la portée de notre travail s’est élargie. Il y a des magasins de détail, des stations-service, des services de santé et des écoles dans les réserves. Tous ces services relèvent habituellement des provinces ou des territoires. Cela fait des années qu’il y a des contestations visant à savoir ce qui est de compétence fédérale et ce qui est de compétence provinciale et territoriale.

Pour régler le problème, nous avons adopté le guide de pratiques exemplaires conçu avec l’ACCDP et nous travaillons en collaboration étroite avec nos collègues des provinces et des territoires pour faire en sorte que ce fardeau ne repose pas uniquement sur les épaules des plaignants. Nous tentons d’assumer nous-mêmes ce fardeau. Nos avocats ou notre personnel de première ligne se téléphoneront ou s’enverront des courriels pour tenter de déterminer quelle entité a compétence pour recevoir la plainte. Nous encourageons toujours les plaignants à déposer une plainte aux deux entités si ce n’est pas clair.

La sénatrice Sorensen : Merci.

La sénatrice Coyle : Merci beaucoup. Comme l’a dit ma collègue, la sénatrice Sorensen, c’est vraiment un privilège pour nous de vous avoir ici et d’apprendre de vos expériences si importantes. Merci du travail que vous faites à la Commission canadienne des droits de la personne. C’est très important pour toutes les Canadiennes et tous les Canadiens.

J’étais contente et loin d’être surprise de vous entendre dire très clairement que vous appuyez la création d’un tribunal national pour les droits de la personne propre aux Autochtones, et j’ai bien écouté vos observations très réfléchies sur tout ce qui, selon vous, sera essentiel à la réussite de ce projet, ainsi que vos recommandations, qui ne sont pas contraignantes du tout.

J’étais très intéressée par tout ce que vous aviez à dire, mais j’aimerais vous questionner davantage au sujet de votre troisième point, afin de mieux le comprendre, tout en reconnaissant bien entendu que vous ne tentez pas d’imposer quoi que ce soit ni de nous influencer; vous ne faites que cerner les aspects qui, selon vous, sont très importants pour la réussite de ce tribunal. Évidemment, votre premier point, c’est qu’il soit dirigé par la diversité autochtone et qu’il voie le jour.

J’aimerais vraiment comprendre votre point de vue quant au mandat, au pouvoir et à l’autorité qu’aura ce tribunal au moment de trancher des questions systémiques et de proposer des recours. Est-ce que j’ai bien compris? J’aimerais, si vous le pouvez, que vous nous expliquiez davantage pourquoi, selon vous, c’est important, et quelles mesures pourraient être prises pour y arriver.

Mme Malischewski : Avec plaisir. Je pense que mes collègues auront des choses à ajouter à ce sujet.

Je commencerais par souligner que nous savons que les mécanismes de défense des droits de la personne actuels — et il est évident que nous en sommes un exemple — mettent assez de poids sur les épaules des personnes qui déposent une plainte ou de leurs représentants. Les parties qui présentent une affaire à la Commission canadienne des droits de la personne, en ayant recours à notre mécanisme de plaintes, ou encore à l’entité provinciale, doivent expliquer le problème et dire en quoi il relève de notre compétence au titre de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Nous avons décidé de nous appuyer sur notre capacité de travailler avec les parties pour bien cerner les problèmes et pour cerner les problèmes systémiques, si les parties elles-mêmes ne l’ont pas fait. C’est une des choses que nous pouvons faire, à la commission, en tant qu’organisme de contrôle, ce qui diffère un peu de certains autres modèles provinciaux que vous connaissez peut-être et qu’on qualifie parfois d’accès direct, alors qu’ils ne sont que des tribunaux.

Ensuite, en ce qui concerne les questions systémiques sur lesquelles se penche la Commission canadienne des droits de la personne, je pense que l’affaire qui fait les manchettes, ces jours-ci, concernant les services à l’enfance et à la famille, est un bon exemple de ce qui peut être accompli lorsque des défenseurs incroyablement dévoués comme Cindy Blackstock utilisent ce mécanisme. Évidemment, nous avons consacré énormément de ressources, en tant que commission, à ce litige.

Je pense que c’est un bon exemple qui montre qu’il est possible d’aborder des enjeux systémiques même à l’aide de ce modèle de mécanisme de plaintes plus individuel. Je dirais qu’il s’agit d’un excellent exemple, mais, bien entendu, vous savez depuis combien de temps dure cette affaire et quelle quantité incroyable de ressources a été nécessaire. Cela fait aussi partie de l’histoire, et nous devons en tirer des leçons.

Notre travail à la commission va quand même au-delà du mécanisme de plaintes. Pour défendre les droits, nous examinons les enjeux systémiques. Je suis convaincue que ma collègue, Mme Tranquilla, peut vous en parler. Je vais peut-être m’en remettre à elle à ce propos.

Tabatha Tranquilla, directrice des politiques, de la recherche et des relations internationales, Commission canadienne des droits de la personne : Bien entendu. Merci de la question. C’est vraiment une très belle discussion jusqu’à présent.

Une des limites du système — et elle est loin de concerner seulement la Loi canadienne sur les droits de la personne —, c’est que le système ne traite pas efficacement les infractions aux droits économiques et sociaux. Je sais qu’un certain nombre de témoins vous l’ont dit, y compris Mme Moore Rattray, ce matin.

Lorsque nous parlons de droits économiques et sociaux, nous pensons, entre autres, aux droits à un niveau de vie suffisant, au logement et à la sécurité alimentaire. Il s’agit là de droits fondamentaux de la personne et, s’ils ne sont pas respectés, nos autres droits n’ont plus autant d’importance. Or, l’approche utilisée traditionnellement par le Canada pour assurer leur respect consiste à élaborer des politiques et des programmes pour fournir du financement ou des prestations gouvernementales. Généralement, ce ne sont pas des choses justiciables, selon nos processus juridiques, et il n’existe aucun recours lorsque ces droits sont bafoués.

Nous disons que nous devons chercher à savoir comment un nouveau mécanisme pourrait régler un large éventail de cas de violations des droits de la personne en offrant des recours, mais il y a quelque chose qu’il faut garder à l’esprit. Bien entendu, la commission peut défendre les droits à cet égard, et elle le fait, mais pour en revenir à ce qu’a dit Mme Moore Rattray ce matin, soit qu’on avait besoin d’avoir plus de mordant, je pense que c’est quelque chose dont il faut tenir compte dans toutes les lois, à l’avenir.

La sénatrice Coyle : Merci. C’est très utile.

[Français]

La sénatrice Audette : Je vais m’exprimer en français, car il y a des mots compliqués à dire en anglais; je ne suis pas du tout juriste, mais je suis vraiment passionnée par les droits des femmes autochtones.

Merci beaucoup de votre présentation, et merci d’avoir fait référence à un rapport de 2013-2014 auquel beaucoup d’organisations de femmes autochtones ont contribué et qui traite des 21 obstacles. Merci d’y avoir fait référence.

J’ai une première question à laquelle vous n’avez pas besoin de répondre aujourd’hui, mais si vous aviez un outil ou un tableau pour le commun des mortels, comme moi... Qu’est-ce qui est faisable ou non si je suis une femme autochtone et si je veux porter plainte dans ma communauté ou à l’extérieur de ma communauté? C’est quelque chose qui pourrait arriver dans les prochaines semaines. Je suis visuelle, alors cela m’aiderait à comprendre. La raison est que la Loi sur les Indiens est fédérale, mais l’inscription, dans mon cœur à moi, est fédérale aussi.

Vous m’apprenez qu’il y a quelque chose que je ne peux pas contester. Pas que je ne peux pas contester, mais je ne peux pas frapper à votre porte. Je voudrais comprendre cela. Voici pourquoi. Les compétences, qu’elles soient fédérales, provinciales ou des gouvernements autochtones... Au Québec, il y a une loi qui dit qu’il n’y a que le français qui sera honoré et respecté. Je comprends, je suis à moitié Québécoise. Cependant, il y a plein de nations autochtones qui sont encore très vivantes.

Quand on parle de compétences, comment peut-on proposer à un futur « ombudsoffice » et à un futur tribunal autochtone les chemins les plus rapides, les plus importants et les mieux faits pour assurer que l’on soit protégé avec une entité autochtone? Qu’on ne leur dise pas la même chose de l’autre côté : « Je n’ai pas de pouvoir, je n’ai pas de compétence là-dessus, allez voir ailleurs. » Parce qu’il n’y en a plus d’autres après.

Si vous avez des exemples à nous donner plus tard ou à partager avec nous sur les complexités sur le plan des compétences, si vous connaissez des succès dans des dossiers canadiens ou avec des provinces qui peuvent servir d’exemples pour l’exercice que l’on fait pour un tribunal autochtone et un bureau d’« ombudsperson » autochtone... Il y a un commissaire aux langues autochtones pour le Canada qui dit qu’il ne peut pas interférer avec une loi provinciale. Cela a un impact direct sur mon [mots prononcés dans une langue autochtone]. Pour ne pas qu’on arrive avec ça... Je vous remercie.

Mme Malischewski : Merci beaucoup pour la question. Nous serions heureux de nous pencher sur cette demande.

Ce sera quand même un défi, je dois l’avouer, de faire cela dans un tableau. Ce pourrait être compliqué, mais cela vous donnera une idée de toutes les complexités et des endroits où c’est plus clair et d’autres où ce l’est moins.

À la commission, nous croyons vraiment que c’est très important qu’il y ait de bonnes relations avec n’importe quel nouveau mécanisme qui est créé. Ce sera vraiment important de se parler, pour qu’on s’assure vraiment que pour les gens, la création d’autres mécanismes ne rend pas la vie plus compliquée. Cela aide plutôt à servir les populations d’une manière que les mécanismes qui existent maintenant ne font pas. Il s’agit de pouvoir faire plus et de donner le choix aux personnes autochtones du Canada. Cela dépendra de la façon dont tout cela se déroulera et du mécanisme exact qui sera créé. Les questions de compétences seront sûrement très importantes. Ce sera un gros défi, et ce sera notre défi et notre responsabilité de travailler ensemble pour s’assurer qu’on fait de notre mieux pour que les personnes aient accès efficacement et le plus simplement possible au mécanisme de leur choix.

Vous avez parlé de la question des langues autochtones. Je pense à quelque chose d’autre qui pourrait vous être utile, juste pour comprendre ce que nous avons fait à la commission. Il existe des ressources que nous avons préparées dans diverses langues autochtones, pour s’assurer que les personnes qui viennent frapper à notre porte comprennent les services que nous offrons dans une langue qu’ils comprennent.

[Traduction]

La sénatrice Audette : Si je peux me le permettre, monsieur le président, j’aimerais seulement préciser quelque chose. Lorsque j’ai parlé du commissaire aux langues autochtones, je renvoyais à la Loi sur les langues autochtones, non pas à votre bureau.

Mme Malischewski : D’accord.

La sénatrice Audette : Nous frappons à une porte ou à l’autre, parce que les lois du gouvernement du Québec auront une grande incidence sur les Autochtones, ici, et on nous a répondu : « Je m’excuse, je n’ai pas compétence. »

Mme Malischewski : Merci.

La sénatrice Audette : Je veux m’assurer qu’on ne refasse pas la même chose au cours de l’exercice actuel.

Merci.

Mme Malischewski : Oui, tout à fait. Je vais peut-être demander à ma collègue, Mme Phillips, de répondre à cette question très importante pour, si je comprends bien, trouver le moyen d’éviter ce bras de fer entre compétences au moment de mettre sur pied un nouveau mécanisme.

[Français]

Mme Phillips : Merci pour votre question. Je vais faire une précision en anglais.

[Traduction]

L’inscription au titre de la Loi sur les Indiens relève du gouvernement fédéral. Et on ne peut pas invoquer la Loi canadienne sur les droits de la personne pour la contester. La Charte canadienne des droits et libertés est le seul document qui nous permet de le faire — mais il faut suivre un processus juridique —, et certains diront que c’est beaucoup plus onéreux...

[Français]

Par contre, il faut dire également que ce processus est, lui aussi, toujours fédéral.

[Traduction]

Ensuite, quand il s’agit de circuler d’une compétence à une autre, entre les gouvernements fédéral, provinciaux, territoriaux et autochtones, notre Constitution est un obstacle, donc il n’y a pas de réponse évidente à cette question.

Idéalement — et c’est à cela que sert l’ACCDP, l’Association canadienne des commissions des droits de la personne, des entités fédérales —, il faut que nous ayons notre place à la table; il nous faut nous réunir et discuter des questions qui se recoupent, et des questions d’intérêt commun et partager les ressources.

Je pense que, pour ce qui est en train d’être mis sur pied, il serait utile d’avoir une sorte de conseil national qui permettrait d’avoir ce genre d’échanges et de surmonter les obstacles.

La sénatrice Audette : Merci beaucoup.

Le sénateur Tannas : Excusez-moi, mais je veux seulement m’assurer de bien comprendre.

Vous parlez continuellement de « mécanisme ». Êtes-vous un mécanisme? Est-il juste de dire que vous êtes le mécanisme et que vous n’essayez pas en quelque sorte de disséquer la notion de tribunal autochtone?

Mme Malischewski : Tout à fait, et je pense que si nous utilisons le terme « mécanisme », c’est vraiment pour avoir un terme au sens le plus large possible, parce que nous ne savons pas vraiment ce que voudront en faire les Autochtones.

L’appel à la justice 1.7 comporte effectivement certains paramètres, mais nous ne voudrions pas être prescriptifs. Parfois, lorsque nous utilisons des termes comme « commission » ou « tribunal », nous pensons à des mécanismes qui existent déjà, alors c’est vraiment une occasion de penser au-delà des concepts coloniaux.

On pourrait finir par choisir de l’appeler commission ou tribunal, mais je pense que l’on doit mettre l’accent sur ce que fait le mécanisme et la façon dont il sert les gens plutôt que sur son nom.

Il est vrai que nous n’avons pas d’avis à ce propos.

Le sénateur Tannas : Vous avez aussi parlé de « choix ». Laissez-vous entendre que, si ce mécanisme était mis en place, vous ne feriez pas marche arrière, que vous diriez en quelque sorte « eh bien, vous pouvez vous adresser à nous », ou à eux?

Je viens du milieu des affaires. Tout ça est très abstrait pour moi, donc je veux seulement m’assurer de bien comprendre, parce que, à un certain moment, nous allons tous devoir arrêter de parler et commencer à construire, et je veux m’assurer de bien comprendre l’objectif.

Pensez-vous que, un jour, un Autochtone pourra décider de l’endroit où déposer sa plainte? Il pourrait se plaindre à un gouvernement autochtone ou pourrait toujours s’en remettre à un modèle colonial pour régler son problème, et vous auriez le pouvoir ou la compétence de dire à un gouvernement autochtone « vous devez faire ceci ou cela ».

Est-ce ainsi que vous voyez les choses?

Mme Malischewski : Merci beaucoup de votre question.

Je commencerais peut-être par expliquer que, vu ce qui existe actuellement, certains choix sont déjà possibles. Vous pouvez décider de vous adresser à une commission fédérale, à un tribunal ou à une commission provinciale. Vous pouvez vous présenter devant les tribunaux. Vous pouvez tenter de trouver un recours au sein de votre communauté pour vous prévaloir d’une autre méthode de règlement des conflits.

Certains choix existent déjà. Évidemment, nous prévoyons qu’ils continuent d’exister.

La question de savoir comment la commission, ou le modèle commission plus tribunal, au titre de la Loi canadienne des droits de la personne, pourrait interagir avec un nouveau mécanisme autochtone dépend vraiment de la forme que prendra ce nouveau mécanisme et de ce qu’il sera habilité à faire. Il s’agit de savoir s’il pourra faire sensiblement la même chose que ce que la Loi canadienne sur les droits de la personne nous permet de faire aujourd’hui, et, si c’est le cas, il y aura alors peut-être des compétences concurrentes — donc il y aura un choix à faire à cet égard. Peut-être aussi que ce nouveau mécanisme retirera certains pouvoirs et certaines responsabilités à la Loi canadienne sur les droits de la personne et les conférera à une autre entité.

Présentement, nous recevons effectivement des plaintes des Autochtones. Nous recevons bel et bien des plaintes contre le gouvernement fédéral, qui est en quelque sorte le principal intimé dans ce genre de plaintes, mais nous en recevons aussi contre les gouvernements autochtones.

En ce qui concerne la question du choix, à la lumière de nos engagements, il est évident que les gens désirent avoir un choix. Selon nous, la chose la plus importante, c’est que les Autochtones soient en mesure de choisir la façon dont leurs plaintes seront traitées. Si le nouveau mécanisme finit par créer des compétences concurrentes, ce sera à nous — comme je l’ai laissé entendre plus tôt — de nous assurer que tout se fait le plus souplement possible.

Le vice-président : Y a-t-il d’autres questions sur un des sujets ayant été abordés?

Merci beaucoup à nos témoins d’être venues ici aujourd’hui. C’était vraiment encourageant de vous entendre parler des trois points soulevés et de votre idée de coopération et de mise sur pied d’un nouveau tribunal autochtone des droits de la personne, possiblement. Cela a été très informatif.

J’apprécie ce que vous faites. Votre expertise pourrait être très utile. Comme nous le savons tous, il faut se pencher sur la question des compétences qui se chevauchent, mais il faut le faire de façon coopérative et collaborative. C’est ainsi que nous obtiendrons un bon résultat. Je suis content de vous l’entendre dire.

Y a-t-il autre chose que vous aimeriez dire avant que la réunion prenne fin?

Mme Malischewski : J’aimerais surtout tous vous remercier d’avoir entrepris cette étude importante et je vous inviterais à communiquer avec la commission si vous pensez que nos expériences ou notre expertise pourraient être utiles au comité.

Aujourd’hui, nous avons eu l’occasion de vous expliquer un peu ce que nous faisons. Nous savons très bien que nous avons beaucoup d’autres choses à faire aussi. Nous sommes prêtes à le faire pour nous assurer de servir au mieux les Autochtones du Canada tout en respectant le cadre dans lequel nous fonctionnons.

Nous faisons aussi beaucoup de travail sur la scène internationale. Si vous avez des questions sur les interactions entre tous ces travaux, sachez que de nouveaux mécanismes pourraient déjà exister ailleurs, et que c’est quelque chose que nous pourrions examiner.

Évidemment, d’autres enjeux pourraient être soulevés par d’autres témoins, au fur et à mesure de votre enquête. J’aimerais vraiment insister sur les trois points que nous avons soulignés dans nos déclarations au début de la réunion, soit qu’il est très important pour nous que ce mécanisme soit géré et dirigé par les Autochtones et qu’il serve vraiment toute la diversité des peuples autochtones.

Les mécanismes qui sont présentement en place à l’échelle fédérale et partout au Canada ne sont tout simplement pas suffisants pour traiter l’éventail des enjeux auxquels font face les Autochtones en matière de droits de la personne. C’est une bonne occasion de commencer à examiner cette question très importante.

Merci beaucoup de m’avoir permis d’être ici ce matin et merci de vos questions.

Le vice-président : Merci beaucoup à nos témoins.

La sénatrice Audette : Oui. J’aimerais prendre quelques minutes avec les sénateurs pour parler d’une initiative liée à un des commentaires qu’a faits la première témoin.

Le vice-président : Merci beaucoup. Nous allons maintenant poursuivre cette discussion à huis clos.

Merci à nos experts.

(La séance se poursuit à huis clos.)

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