LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES PEUPLES AUTOCHTONES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mardi 2 mai 2023
Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd’hui, à 10 h 1 (HE), avec vidéoconférence, afin d’étudier les responsabilités constitutionnelles, politiques et juridiques et les obligations découlant des traités du gouvernement fédéral envers les Premières Nations, les Inuits et les Métis et tout autre sujet concernant les peuples autochtones.
Le sénateur Brian Francis (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Honorables sénateurs, je voudrais commencer par reconnaître que la terre sur laquelle nous nous rassemblons est le territoire traditionnel, ancestral et non cédé de la nation algonquine anishinabe et qu’il abrite maintenant de nombreuses autres communautés des Premières Nations, des Métis et des Inuits de l’île de la Tortue.
Je suis le sénateur mi’kmaq Brian Francis d’Epekwitk, également connu sous le nom d’Île-du-Prince-Édouard, et je suis le président du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, ou APPA. Je demanderai aux membres du comité de se présenter.
Le sénateur Arnot : Je suis le sénateur David Arnot de la Saskatchewan, territoire du Traité no 6.
La sénatrice LaBoucane-Benson : Patti LaBoucane-Benson, de l’Alberta, territoire du Traité no 6.
[Français]
La sénatrice Audette : [Mots prononcés en innu-aimun.] Michèle Audette, du Québec. [Mots prononcés en innu-aimun.]
[Traduction]
La sénatrice Sorensen : Karen Sorensen, de l’Alberta, territoire du Traité no 7.
La sénatrice Boniface : Gwen Boniface, de l’Ontario.
La sénatrice Coyle : Mary Coyle, mi’kmaq de la Nouvelle-Écosse.
La sénatrice Greenwood : Margo Greenwood, de la Colombie-Britannique, le meilleur territoire du Traité no 6.
Le président : Sénateurs, nous poursuivons aujourd’hui notre étude sur l’efficacité avec laquelle le cadre canadien des droits de la personne encourage, protège et concrétise les droits des peuples autochtones. Plus précisément, nous cherchons à savoir s’il est possible d’améliorer les mécanismes existants ou s’il faut en créer de nouveaux, y compris les mécanismes propres aux Autochtones.
Je voudrais maintenant présenter notre témoin. Nous accueillons aujourd’hui Jeremy Matson, qui comparaît à titre personnel.
Merci de vous joindre à nous aujourd’hui, monsieur Matson.
M. Matson prononcera une allocution d’ouverture d’environ cinq minutes, qui sera suivie d’une séance de questions et réponses avec les sénateurs. Nous invitons à présent M. Matson à prononcer son allocution d’ouverture.
Jeremy Matson, à titre personnel : Bonjour, sénateurs. Je tiens à remercier le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones de son travail acharné pour corriger et promouvoir les droits de la personne des Autochtones ici au Canada.
Je m’appelle Jeremy Matson. Je suis membre de la nation Squamish et j’ai des liens ancestraux directs avec les communautés Musqueam, Tsleil-Waututh, ainsi qu’avec d’autres communautés salish de la côte.
C’est un privilège d’être ici aujourd’hui pour discuter de l’appel à la justice 1.7 du rapport final de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, à savoir « [...] créer un poste d’ombudsman national des droits des Autochtones et des droits de la personne [...] et de mettre sur pied un tribunal national des droits des Autochtones et des droits de la personne ».
Il est grand temps de créer un cadre national des droits de la personne des Autochtones. La Commission canadienne des droits de la personne, la CCDP, a également proposé ce processus à la page 14 de son rapport de 2008 intitulé Toujours une question de droits.
Ce régime potentiel des droits de la personne est une étape essentielle vers la souveraineté autochtone et la souveraineté de l’État sur la voie de la réconciliation. Il est nécessaire de réformer le système de la Loi canadienne sur les droits de la personne, les structures provinciales et territoriales des droits de la personne et la Charte canadienne des droits et libertés, car ils ne traitent pas adéquatement des droits de la personne des Autochtones et ne tiennent pas compte des ramifications de l’arrêt de la Cour suprême du Canada concernant les décisions Matson et Andrews. Ces décisions ont limité les types de plaintes qui peuvent être déposées par des membres des Premières Nations et des non-Autochtones.
Ces décisions ont été invoquées au Yukon, dans l’affaire Ladue, et en Colombie-Britannique, dans l’affaire Phillips, afin de limiter ces compétences en matière de droits de la personne, toutes les plaintes fédérales en matière de droits de la personne et maintenant les plaintes déposées par des non-Autochtones concernant les dispositions législatives et le libellé d’une loi.
L’accès à la justice est un droit de la personne. Il est inscrit dans chaque traité, chaque déclaration, chaque principe, chaque observation générale et chaque rapport thématique des procédures spéciales pour les États membres des Nations unies. L’accès à la justice est inscrit dans les traités, déclarations et structures de l’Organisation des États américains.
Le droit international prévoit des normes minimales en matière de droits de la personne. Selon les paragraphes 26 et 27 de la Recommandation générale no 39 du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes des Nations unies, ou CEDAW, six composantes sont interreliées :
[...] justiciabilité, disponibilité, accessibilité, bonne qualité, offre de voies de recours pour les victimes et obligation de rendre compte des systèmes judiciaires [...]
[...] les États doivent garantir que tous les systèmes de justice, autochtones et non autochtones, agissent de manière opportune pour offrir des recours adaptés et utiles [...]
Les structures nationales d’ombudsman des droits des Autochtones doivent respecter les Principes de Paris. Autrement, elles seront considérées comme une autre idée coloniale. Si les Principes de Paris ne sont pas respectés, cette nouvelle structure potentielle des droits de la personne n’aura pas les mêmes pouvoirs que la Commission canadienne des droits de la personne et que notre institution nationale des droits de l’homme, ou INDH. Si les Principes de Paris ne sont pas respectés, la souveraineté autochtone sera considérée comme inférieure à la souveraineté de l’État, et le règne colonial deviendra apparent.
Les principes directeurs de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, ou la DNUDPA, et d’autres lois internationales de premier plan doivent être au cœur de ce processus. Le comité dispose de ressources abondantes qu’il peut consulter en ce qui concerne les normes et structures des instituts nationaux de protection des droits la personne et leurs responsabilités en tant qu’organisme quasi juridictionnel et quasi judiciaire.
Le nouvel ombudsman des droits de la personne éventuel devrait être invité à être membre de l’Association canadienne des commissions des droits de la personne, connue sous le nom d’ACCDP, puisqu’il y a des Autochtones dans toutes les administrations du Canada.
Le nouvel organisme des droits de la personne devrait également être membre de l’Alliance mondiale des institutions nationales des droits de l’homme, ou GANHRI. En tant que membre de l’alliance, le nouvel ombudsman des droits de la personne peut être accrédité. Il devrait y avoir un bureau de l’ombudsman dans toutes les provinces et tous les territoires.
Le document intitulé La Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones : Un manuel à l’intention des institutions nationales des droits de l’homme permet de comprendre de manière approfondie ce qu’est une INDH selon la DNUDPA. Ce manuel de 152 pages des Nations unies décrit les Principes de Paris et les INDH du point de vue de la DNUDPA. Le chapitre 8 donne des conseils aux États membres à l’égard des articles 39, 40 et 42 de la DNUDPA, des Principes de Paris et du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale. Le chapitre 9, intitulé « Enquêtes et plaintes », est important, car il est lié aux articles 40 et 42 de la DNUDPA et aux Principes de Paris.
Institutions nationales des droits de l’homme : Histoire, principes, rôles et responsabilités est lui aussi un manuel important des Nations unies. Ce manuel définit les structures des INDH et propose six formes qu’elles peuvent prendre, y compris l’ombudsman. La dernière, qui se trouve à la page 19 et se nomme « Multitude d’institutions », décrit la situation exacte dont nous discutons aujourd’hui : plusieurs institutions nationales pour les droits de l’homme dans un État, y compris une institution des Autochtones.
Merci. C’est ce qui conclut mes remarques préliminaires.
Le président : Je vous remercie, monsieur Matson. J’invite maintenant notre vice-président à lancer la série de questions.
Le sénateur Arnot : Monsieur Matson, je vous remercie d’être parmi nous aujourd’hui. Je pense que vous donnez une voix unique et très importante à ces questions, étant donné que vous avez toujours eu à composer avec le cadre actuel des droits de la personne au Canada. Il est manifeste que les modèles actuels n’inspirent pas confiance aux Autochtones du pays. Je suis heureux que vous ayez mentionné les Principes de Paris. Je pense qu’il s’agit d’une occasion unique de voir plus loin que les modèles coloniaux, comme vous l’avez dit. C’est très unique.
Je me demande quelles lignes directrices ou quels conseils vous pourriez donner au sujet de la création d’un modèle, ou de divers modèles, qui serait peut-être propre à une région au Canada. À votre avis, comment devons-nous procéder? À quoi ce modèle pourrait-il ressembler, selon vous?
M. Matson : Je vous remercie de votre question, sénateur Arnot. C’est toujours un privilège de pouvoir répondre à vos questions.
En ce qui concerne les structures, des organismes internationaux ont fait de nombreux commentaires, y compris les procédures spéciales et les organes des Nations unies chargés de surveiller l’application des traités. Ils ont plusieurs lignes directrices. J’en ai parlé dans d’autres mémoires que j’ai remis à votre comité au cours de la dernière année.
En ce qui concerne les structures, l’idée d’un ombudsman, d’une seule une personne à la barre, a été légèrement critiquée; il y a toutefois des façons de corriger ce problème. Un comité consultatif ou un groupe d’experts est en place pour aider l’ombudsman de sorte qu’il n’y ait pas qu’un seul point de vue. Ensuite, il y a l’ombudsman adjoint. Un ombudsman adjoint pourrait être désigné pour chaque secteur des droits de la personne, de sorte qu’il y en ait un pour les femmes, les enfants, le logement et bien d’autres, et qui relèveraient tous de l’ombudsman.
Il y a d’autres structures ici au Canada qui donnent un bon aperçu des structures qui pourraient être mises en place. Je donnerai l’exemple du commissaire aux droits de la personne de la Colombie-Britannique parce que c’est l’une des plus récentes structures des droits de la personne créées au Canada — et du Code des droits de la personne de la Colombie-Britannique. Je me suis toujours intéressé à ce sujet. Les structures et les responsabilités du commissaire sont décrites aux articles 47.01 à 47.24 de ce code. Votre comité pourra s’inspirer de quelques-uns des éléments qui s’y trouvent.
Les articles 47.15 et 47.16 établissent des lignes directrices sur les enquêtes. Les enquêtes sont importantes lorsqu’il s’agit de questions systémiques parce qu’il est possible que certaines plaintes individuelles ne puissent être réglées aux termes d’un règlement à l’amiable ou une médiation quelconque. Lorsqu’il s’agit de la Loi sur les Indiens et du nombre considérable de personnes qui sont assujetties à cette dernière, il est préférable de trancher certaines de ces questions systémiques dans le cadre d’un processus d’enquête.
Si nous poursuivons avec le processus d’enquête dans la structure du commissaire aux droits de la personne de la Colombie-Britannique, nous arrivons à l’article 47.19 du code, qui est une disposition très puissante. Cet article donne une importance au rapport d’enquête présenté par le commissaire. Il y est indiqué que les conclusions du commissaire ont la même importance que celles tirées par la Cour suprême de la Colombie-Britannique. Ainsi, quand un commissaire est investi d’un tel pouvoir quasi judiciaire, cela confère à cette structure ou à ce nouvel ombudsman potentiel une importance comparable à celle d’une décision judiciaire d’un tribunal. Ce n’est pas ainsi dans bien d’autres codes ici au Canada qui relèvent de la compétence de l’Association canadienne des commissions et conseil des droits de la personne.
Il existe d’autres structures internationales comme la Convention américaine relative aux droits de l’homme, dont les structures sont identiques à celles de la Commission interaméricaine des droits de l’homme. La Cour interaméricaine des droits de l’homme, par l’intermédiaire de cette Convention américaine des droits de l’homme, donne également quelques directives.
J’espère que cela répondra à certaines de vos questions.
Le sénateur Arnot : Merci beaucoup. C’est excellent, je vous remercie.
Le président : Vous pouvez poser vos questions, sénateurs.
Monsieur Matson, quels autres témoins nous proposez-vous d’entendre pour la suite de notre étude sur l’efficacité des institutions pour les droits de la personne des Autochtones?
M. Matson : Vous avez déjà entendu la professeure Naiomi Metallic, je crois. Comme vous le savez, elle a dressé un bilan en profondeur de l’accès à la justice.
En ce qui concerne les autres témoins que vous pourriez entendre — j’ai vu dans un autre groupe d’experts que vous aviez fait appel à une foule de compétences provinciales et territoriales. Vous pourriez peut-être inviter d’autres membres de l’ACCDP à venir s’exprimer sur certaines de ces questions. Comme vous le savez, j’ai fait une présentation devant les Nations unies au sujet de l’accès à la justice pour les peuples autochtones ici au Canada parce que les deux structures — et maintenant dans les provinces et les territoires — nous limitent, surtout dans les provinces et les territoires, en raison de l’article 91 de la Loi constitutionnelle.
Mme Anne Levesque est professeure agrégée à l’Université d’Ottawa. Elle est une professeure des droits de l’homme très bien informée, et elle a participé aux premières étapes du dossier de Cindy Blackstock.
J’en ai beaucoup d’autres à vous suggérer, mais je devrais vous fournir l’information plus tard.
Le président : Envoyez une liste au greffier, je vous prie. Je ne cherchais pas à vous mettre dans l’embarras.
M. Matson : Oui, je le ferai.
[Français]
La sénatrice Audette : Merci beaucoup, monsieur Matson.
Sachant que nos mères, pour plusieurs d’entre nous, ont été expulsées parce qu’elles ont marié une personne sans statut, comme un Québécois, ou pour toutes sortes de raisons, à cause de la Loi sur les Indiens, on discrimine les femmes, et maintenant, on discrimine les hommes et les femmes.
Sachant que dans nos communautés, le gouvernement fédéral a abandonné le leadership autochtone en disant : « Reprenez ces familles et on va vous donner plus de territoires et plus de maisons. » On parle des années 1980 et 1990, cependant, ce n’est pas arrivé. Donc, il va se créer dans nos communautés, si vous êtes d’accord avec moi, monsieur Matson, une forme de discrimination et de violence latérale envers des personnes non inscrites et inscrites en vertu des paragraphes 6(1) et 6(2).
Tranquillement, on réalise qu’on est en train d’embrasser une loi coloniale et discriminatoire, ce qui fait qu’aujourd’hui, on ne sait même plus pourquoi on agit comme cela envers les femmes et les enfants, ou contre des gens comme vous et votre famille.
Si on veut atteindre un objectif en ce qui concerne le travail d’une personne ou de plusieurs personnes, au sein d’un bureau d’ombudsman et d’un tribunal pour les droits des peuples autochtones, comment peut-on trouver l’équilibre? Je vois déjà les chefs de l’Assemblée des Premières Nations, les leaders des peuples autochtones — peut-être pas les Métis, à cause de la Loi sur les Indiens —, mais surtout les leaders des Premières Nations dire : « Ne venez pas me dire comment faire les choses chez nous, mais on peut continuer à discriminer le monde chez nous; on va juste rendre compte des situations où le Canada est fautif. »
Comment trouver l’équilibre pour revenir au fait que la racine est coloniale? Si, personnellement, je veux déposer une plainte à titre de femme innue, je ne suis pas sûre d’être appuyée par tous les chefs du Canada dans ce rêve d’un ombudsman et d’un tribunal autochtone.
Je ne sais pas si vous pouvez m’aider, car vous en avez parlé souvent : parfois ce sont nos conseils de bande qui nous bloquent. Comment peut-on trouver une approche hybride lorsqu’on est aux prises avec une loi coloniale qui appartient au Canada et qui est imposée par le Canada, alors qu’on a aussi une responsabilité à l’égard des citoyens?
Y avez-vous réfléchi et avez-vous des suggestions à nous proposer?
[Traduction]
M. Matson : Je vous remercie de votre question.
Comme vous le savez, les projets de loi C-31, C-3 et S-3 qui portent sur les gens et d’autres scénarios de femmes, de leurs descendants et de nos enfants ne mettent pas un terme à la situation... Le gouvernement du Canada nous libère quand nous obtenons le statut d’Indien en vertu de l’article 6, puis il nous laisse en plan et ne nous fournit aucune réadaptation communautaire.
Il existe un manuel à l’intention des institutions nationales pour les droits de l’homme pour les personnes déplacées. Ce sont ces gens que les projets de loi C-31, C-3 et S-3 visent. Il s’agit de personnes déplacées à l’intérieur du pays en raison de violations des droits de la personne commises par le gouvernement du Canada et ses politiques.
Dans les cas où des individus portent une affaire devant le tribunal, les voies au Canada ne sont pas accessibles. C’est ce que les Nations unies ont déterminé dans mon cas, et c’est ce que la jurisprudence a établi, jusqu’à la décision rendue par la Cour suprême dans les affaires Matson et Andrews en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Comme je l’ai dit au sénateur Arnot, pour ce qui est de l’enquête, à laquelle vous avez participé et qui était très importante... Il faut qu’un ombudsman présente une enquête du point de vue autochtone au moyen de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones et d’autres lois internationales parce que l’Instance permanente sur les questions autochtones des Nations unies, le Rapporteur spécial et d’autres organes conventionnels ont tous dit que non seulement les gouvernements des États doivent respecter le droit universel et les gouvernements autochtones, mais leurs lois et procédures doivent le faire aussi.
Chaque gouvernement qui se trouve sur le territoire de l’île de la Tortue a l’obligation de respecter le droit international et de veiller au respect des normes, en particulier la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones adoptée par le gouvernement fédéral en juin 2021 et qui entrera en vigueur le mois prochain. Les responsables de la déclaration des Nations unies doivent s’adresser à d’autres gouvernements pour dire que leurs lois et procédures ne respectent pas ces normes minimales en matière de droit de la personne. Tout gouvernement raisonnable trouverait — d’autant plus que le Canada appuie la déclaration des Nations unies, sa mise en œuvre ici et d’autres normes — qu’une enquête d’un ombudsman soulagerait le fardeau des individus. Une enquête peut porter sur des multitudes de questions systémiques et de violations des droits de l’homme. Si une importance quasi judiciaire est conférée aux rapports d’enquête par l’intermédiaire d’une loi, les communautés l’utiliseront comme un document informatif, qui contient des éléments contraignants qui permettraient à l’ombudsman d’orienter le gouvernement fédéral et les gouvernements des Premières Nations.
La sénatrice Audette : Merci.
La sénatrice Coyle : Bienvenue de nouveau parmi nous, monsieur Matson. Je suis heureuse de vous revoir. Vous nous êtes toujours très utile. Votre témoignage est riche et avisé.
Nous savons que vous avez éprouvé vos propres frustrations à l’égard de l’appareil canadien des droits de la personne, et vous nous avez dit que vous estimez que l’appel à la justice 1.7 — qui demandait la création d’un ombudsman national des droits de la personne pour les Autochtones par tous les gouvernements en partenariat avec les peuples autochtones et le tribunal national des droits des Autochtones et de la personne — aurait dû être mis en œuvre depuis longtemps. Nous connaissons donc votre opinion à cet égard.
Vous nous avez donné de bonnes indications sur ce qui doit être fait pour atteindre les résultats demandés dans cet appel à la justice.
Jennifer Moore Rattray, la représentante spéciale du ministre, a comparu devant nous. Elle a une lourde tâche, qu’elle peut accomplir de toutes sortes de façons lorsqu’elle formule des recommandations.
Avez-vous des conseils ou des suggestions à présenter sur le type de consultation que vous jugeriez utile et essentiel de mener auprès des peuples et des communautés autochtones pour aider la représentante à faire progresser ce processus vers le résultat souhaité?
M. Matson : En ce qui concerne les directives à donner à la représentante spéciale, étant donné que je n’ai pas vu son témoignage, je devrais d’abord savoir ce qu’elle a dit.
Il faudrait consulter l’Association du Barreau Autochtone à ce sujet. L’Association du Barreau canadien a également sa section du droit autochtone. Il y a plein de membres et d’esprits brillants qui pourraient vous donner quelques commentaires sur les structures qui pourraient être mises en place pour elle.
Je lui dirais qu’il y a différentes façons d’y parvenir. La Commission canadienne des droits de la personne actuelle, un organisme fédéral, n’a pas de bureaux dans les provinces et les territoires, même si elle le devrait. Elle en a un à Ottawa, et un autre petit à Winnipeg. À mon avis, il serait avantageux pour la représentante spéciale d’avoir plusieurs bureaux dans toutes les administrations. C’est le genre de commentaire que je donnerais. Il n’est pas efficace pour les ressources humaines ou pour le véritable déroulement de l’accès à la justice d’avoir à se déplacer et d’envoyer des membres du personnel d’un bureau central rendre visite à chaque personne qui dépose une plainte.
Je n’ai pas beaucoup de commentaires à lui formuler. Je pourrais rédiger un mémoire pour répondre de façon plus complète à votre question.
La sénatrice Coyle : Merci beaucoup, je vous en suis très reconnaissante.
La sénatrice Sorensen : Bonjour, je suis heureuse de vous revoir. Je reviendrai à la dernière fois où vous avez comparu devant nous et, sans aucun doute, aux commentaires que vous avez faits aujourd’hui et je parlerai de votre cas personnel de transmission de votre statut à vos enfants.
Tant de témoins comparaissent devant le comité, et je me demande souvent quelle est la réponse, et je ne suis pas sûr que vous ayez la réponse. Croyez-vous que le gouvernement fédéral a un rôle à jouer pour déterminer qui a le statut, ou la réponse est-elle plutôt que cette responsabilité revient à chaque communauté de notre vaste et diversifié pays? À votre avis, existe-t-il une autre solution?
M. Matson : Je vous remercie de votre question. Je vous ai parlé de ce scénario lors de mon dernier témoignage.
Pour revenir à la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, à d’autres lois internationales et aux appels d’organismes internationaux, toute la discrimination issue de la Loi sur les Indiens doit être résorbée dans le respect de l’article 8 de la DNUDPA. Le gouvernement du Canada a le devoir de corriger tout ce qui s’est passé, tout ce qui se passe actuellement et tout ce qui se passera à l’avenir afin de mettre fin à l’assimilation. Une fois que ces choses auront été accomplies en ce qui concerne l’identité autochtone, il faudra passer à la réhabilitation communautaire pour les personnes qui ont subi ces discriminations et tout effacer du règne colonial du gouvernement du Canada. Ensuite, il serait possible de déterminer à l’échelle communautaire les personnes qui sont des Indiens inscrits, les membres de la communauté et les constructions individuelles de chaque bande et nation autochtones, conformément aux articles 9 et 33 de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. L’article 10 de la Loi sur les Indiens en parle, mais cette disposition date de 1985. Comme nous le savons, depuis 1985, la discrimination persiste à plusieurs égards dans nos lois et pratiques canadiennes.
Comme je l’ai dit à la sénatrice Audette, le fait que ces questions soient soumises à un ombudsman potentiel — je ne suis pas trop sûr du temps qu’il faudrait pour créer une telle structure — et tranchées par celui-ci dans le cadre d’une enquête allège le fardeau des personnes. Ces personnes ont beaucoup de poids sur les épaules quand elles présentent ces questions juridiques, dont le règlement peut survenir après des décennies. Les professeurs Lee et Horn-Miller de l’Institut Yellowhead ont rédigé en novembre 2022 un article très instructif dans lequel ils soulèvent d’autres questions systémiques.
Nous devons nous en occuper. Nous ne pouvons plus le balayer sous le tapis. Il y a toute une série d’autres questions — l’article 6 et d’autres dispositions de la Loi sur les Indiens — qu’il appartient aux gouvernements des Premières Nations et à un éventuel nouvel ombudsman de régler parce que la Commission canadienne des droits de la personne ne peut plus trancher certaines questions en raison de la jurisprudence établie par les décisions Matson et Andrews. Ainsi, même si la Loi canadienne sur les droits de la personne ne dit pas directement que nous ne pouvons pas déposer de plainte en matière de droits de la personne, c’est ce que les tribunaux avaient interprété, ce qui enfreint le droit international et les directives des organes conventionnels internationaux et des procédures spéciales au sujet des structures.
La sénatrice Sorensen : Je vous remercie. Pourrais-je demander à la greffière de trouver ce rapport? J’aimerais le consulter. C’est toujours utile d’avoir des documents supplémentaires à lire.
Le président : Absolument.
Monsieur Matson, pourrais-je vous demander d’étoffer un peu plus l’une de vos réponses précédentes? Certains ouvrages laissent entendre que les populations et les communautés autochtones en savent peu sur les lois entourant les droits de la personne au Canada, mais en plus, elles rencontrent des obstacles financiers et autres qui les empêchent d’avoir un accès équitable aux institutions nationales et internationales. À quel point avez-vous eu de la difficulté à faire entendre votre affaire? Que faut-il faire pour remédier à ce manque de connaissance et d’accès?
M. Matson : Donc, l’accès à la justice englobe une notion de « connaissance ». Notre institution nationale pour les droits de la personne, la Commission canadienne des droits de la personne, est un organisme qui fait la promotion des droits de la personne ici au Canada, et elle a fait du bon travail. Elle a été ma voix. Elle m’a donné une voix. Sans son aide, je ne serais pas ici aujourd’hui pour vous parler. Je vais lui donner cela. Elle s’est battue avec acharnement pour défendre les droits des Autochtones ici au Canada.
L’ombudsman... J’ignore s’il existe des structures précises quant au moment où un nouvel ombudsman pourrait être créé en vertu de la loi ici au Canada, mais le nouvel ombudsman des droits de la personne serait une voix formidable. En outre, en tant qu’institution nationale pour les droits de l’homme, il peut également s’adresser aux Nations unies et fournir aux organes conventionnels l’examen périodique universel.
Toutefois, en ce qui concerne le rôle du Sénat à cet égard, j’ai hâte de voir le rapport sur l’accès à la justice dont nous parlons aujourd’hui, à l’image du rapport C’est assez!.
La sénatrice LaBoucane-Benson : Ma question a deux volets.
Tout d’abord, lorsque vous avez suivi le processus de plainte relative aux droits de la personne, vos plaintes ont-elles été réglées d’une façon adaptée à la culture et qui tient compte des traumatismes?
Le 19 avril, nous avons également été informés de l’arriéré du tribunal. Je me demande si vous avez dû attendre longtemps avant que votre plainte soit traitée. Dans l’affirmative, quelle incidence cette attente a-t-elle eue sur vous?
M. Matson : Je vous remercie de votre question, sénatrice.
J’ai déposé une plainte relative aux droits de la personne en 2008. Il n’y avait à ce moment-là aucune perspective culturelle. C’était une nouvelle structure. Il n’y avait pas d’information sur la façon de tenir compte des traumatismes. Certaines de ces questions systémiques portent sur des problèmes familiaux et cela devient très personnel. Plusieurs larmes ont été versées. Beaucoup d’éléments ont rejailli lorsque ces questions ont été abordées. Ces enjeux deviennent très intimes lorsqu’il est question de structures familiales et du retrait de son identité et de l’appartenance à sa communauté.
Pouvez-vous me rappeler rapidement quelle était l’autre question que vous avez posée? Portait-elle sur la liste d’attente?
La sénatrice LaBoucane-Benson : Oui. Nous avons été informés d’un arriéré au tribunal des droits de la personne. Avez-vous été touché par cette situation et, le cas échéant, quelle incidence a-t-elle eue sur vous?
M. Matson : Bien sûr. Ce n’était pas très efficace. De 2008 à 2013, ma plainte a été brièvement examinée par la commission avant d’être transmise au tribunal en 2009. De 2009 à 2013, c’était le processus. Il y avait sans aucun doute un arriéré.
D’autres témoins ont dit qu’ils essayaient d’améliorer leurs systèmes dans les provinces et les territoires par la médiation et le règlement à l’amiable. Le Tribunal canadien des droits de la personne n’a pas de souci à se faire au sujet des plaintes des Premières Nations, il n’y a donc pas d’arriéré pour ce genre de plaintes, ou pour certains scénarios juridiques, parce qu’ils ne peuvent pas être présentés, selon la Cour suprême du Canada et les tribunaux inférieurs.
La médiation et le règlement à l’amiable permettent d’accroître l’efficacité. Comme je l’ai dit au sénateur Arnot, il sera impossible de régler bon nombre de ces questions systémiques par la médiation et le règlement à l’amiable parce que le gouvernement fédéral dira qu’il y a trop de parties intéressées. Il dit qu’il ne peut pas simplement nous offrir un recours — à notre famille et à nous à propos de certains scénarios — parce qu’il devra l’offrir à tous les autres Autochtones qui sont dans la même situation.
La médiation ne fonctionnera pas pour certaines choses, même si c’est un bon outil.
La sénatrice LaBoucane-Benson : Je vous remercie.
La sénatrice Boniface : Monsieur Matson, je vous remercie de votre présence. Je suis une intruse à ce comité. Je n’ai pas examiné les témoignages antérieurs.
Dans le cadre de vos recherches, de vos préparatifs et de vos rapports avec les Nations unies, pouvez-vous me dire si vous avez eu vent de pays — ou si vous en connaissez — qui ont fait des progrès en ce qui concerne la nomination de personnes pour trancher ces questions touchant les Autochtones?
M. Matson : À l’échelle nationale, il n’y a pas eu d’amélioration. L’abrogation de l’article 67 a donné lieu à des gains, mais le ministère de la Justice et Services aux Autochtones du Canada les ont tous effacés.
Parmi les autres points négatifs, mentionnons la présence de pièges dans les provinces et les territoires en ce qui concerne la compétence prévue à l’article 91 des lois constitutionnelles. Ainsi, les structures provinciales et territoriales des droits de la personne ne traitent pas les plaintes des Premières Nations. Elles disent de faire appel à la Commission canadienne des droits de la personne. Ensuite, lorsque la Commission canadienne des droits de la personne dit qu’elle ne peut pas accepter notre plainte à propos de certains sujets à cause de la jurisprudence établie dans les décisions Matson et Andrews, il en résulte une perte totale de la protection des droits de la personne dans les provinces et les territoires pour une multitude de raisons.
Cela ne répond pas à vos questions. Je mentionne d’autres points négatifs de nos systèmes ici au Canada qu’il faut corriger et réformer. J’espère que cet ombudsman sera créé et que ces structures seront en place pour permettre aux Autochtones d’avoir accès à la justice.
La sénatrice Boniface : Je vous remercie de votre réponse.
Y a-t-il une compétence en Australie ou en Nouvelle-Zélande — ou dans n’importe quel pays à votre connaissance — où un poste semblable est en place et qui a connu un certain succès à cet égard? Je ne connais pas la réponse. Je me demande simplement si vous la connaissez.
M. Matson : J’ai examiné brièvement le manuel des Nations unies que j’avais mentionné au sujet de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones à l’intention des institutions nationales pour les droits de l’homme. J’ai lu rapidement que certains gains avaient été réalisés dans les structures d’autres pays, mais aucun ne me vient spontanément à l’esprit pour répondre à votre question.
La sénatrice Boniface : Merci beaucoup. Je vous remercie de votre travail sur ce sujet. C’est pour le moins décourageant.
Le sénateur Arnot : Monsieur Matson, j’ai beaucoup aimé votre observation selon laquelle il faut trouver des solutions systémiques à la discrimination systémique. Je pense que le mandat confié à l’ombudsman sera important.
Je veux parler d’un événement survenu hier soir lors de la réunion du comité des droits de la personne, au cours de laquelle des Canadiens noirs ont présenté des témoignages où ils indiquaient n’avoir aucunement confiance en la Commission canadienne des droits de la personne et réclamaient en fait son démantèlement. À la lumière de votre expérience personnelle à l’égard des litiges, des retards et des règlements par médiation — mais qui ne s’appliquent pas à toute une cohorte de personnes —, je vous le demande : pourquoi ne pas le faire? Je le mentionne parce que c’est la première fois que j’entends un témoin parler d’un commissaire à l’équité des Noirs qui serait un agent indépendant du Parlement.
Cette entité aurait comme caractéristique de relever directement de la Chambre des communes et du Sénat, les deux Chambres du Parlement. Vous pourriez, par exemple, donner un mandat très solide à un ombudsman pour qu’il effectue des recherches, des enquêtes et des activités d’éducation, et qu’il rende compte de la mise en œuvre continue des appels à la justice.
Cette entité aurait une indépendance judiciaire, le plus haut niveau d’indépendance, et ne serait donc pas restreinte par le gouvernement. Elle relèverait également du pouvoir législatif, et non exécutif du gouvernement, ce qui obligerait le pouvoir exécutif du gouvernement à rendre compte de la mise en œuvre de solutions systémiques ainsi que des appels à la justice par la Commission des femmes et des filles autochtones disparues et assassinées.
Je vous le présente afin que vous puissiez y réfléchir. Nous en avons déjà parlé.
Pourriez-vous mener des recherches à ce sujet et donner des conseils à notre comité sur cette question? Il y a beaucoup de points communs entre ce que j’ai entendu hier soir au comité des droits de la personne, les plaintes, et ce que vous avez dit aujourd’hui et dites depuis longtemps — depuis 2008, en fait.
Je vous demande de me présenter un tel modèle. Si vous avez des conseils à ce sujet, je pense que notre comité pourrait profiter de vos réflexions parce que vous avez vécu concrètement ces questions qui ont poussé la communauté noire au Canada dans une direction très claire — soit une absence totale de confiance dans la Commission canadienne des droits de la personne.
Vous pouvez le faire à n’importe quel moment et prendre le temps de réfléchir et de consulter le témoignage du témoin. Vous le trouverez convaincant.
Je ne fais que lancer l’idée — et je vous demande de nous faire part de toute réflexion que vous pourriez avoir à ce sujet.
Il y a une occasion de créer un mandat très fort, qui est sans doute unique dans le monde occidental, en ce qui concerne la relation des peuples autochtones avec le gouvernement, soit la Couronne dans le cas présent.
M. Matson : Je vous remercie.
Je n’ai pas vraiment de commentaire à faire à ce sujet. Comme vous le savez, le pouvoir exécutif du gouvernement, y compris son non-respect de ma décision juridique internationale dans la communication 682014, l’a ignoré et a dit qu’il ne s’y conformerait pas.
Vous avez donc raison. Je vous félicite de soulever cette question parce que le pouvoir exécutif ne fonctionne pas ici au Canada lorsqu’il s’agit de vouloir maintenir des questions systémiques qui leur tiennent à cœur parce qu’il y a une foule de gens.
Je sais que l’Association du Barreau autochtone s’était associée à l’Association des avocats noirs du Canada, ou AANC, à ce sujet. Elles se méfiaient de l’incapacité réelle de régler certaines questions systémiques et du fait que le système colonial régnait en maître sur les Autochtones et les personnes d’ascendance africaine. Je le sais d’après la littérature que j’ai lue sur les mêmes éléments dans les procédures spéciales des Nations unies.
Le sénateur Arnot : L’un des témoins à la réunion d’hier soir était l’AANC, je suis donc heureux que vous l’ayez mentionné. Nous vous saurions gré de nous présenter tout autre conseil sur ce genre de questions. Je vous remercie.
Le président : Je vois que personne n’a de question; c’est donc ainsi que prend fin notre réunion. Encore une fois, monsieur Matson, merci beaucoup de votre témoignage. Nous vous en sommes réellement reconnaissants.
(La séance est levée.)