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APPA - Comité permanent

Peuples autochtones


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES PEUPLES AUTOCHTONES

TÉMOIGNAGES


Ottawa, le mardi 21 novembre 2023

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd’hui, à 9 h 1 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier les responsabilités constitutionnelles, politiques et juridiques et les obligations découlant des traités du gouvernement fédéral envers les Premières Nations, les Inuits et les Métis et tout autre sujet concernant les peuples autochtones.

Le sénateur Brian Francis (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Chers collègues, j’aimerais tout d’abord reconnaître que nous nous réunissons sur le territoire ancestral non cédé du peuple algonquin anishinabe, et qui est maintenant le foyer de nombreuses Premières Nations, d’Inuits et de Métis sur l’île de la Tortue.

Je suis le sénateur mi’kmaq Brian Francis d’Epekwitk, aussi connu sous le nom d’Île-du-Prince-Édouard, et je suis président du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones.

Avant de commencer notre réunion, j’aimerais demander aux députés de se présenter en indiquant leur nom et leur province ou territoire.

Le sénateur Arnot : Bonjour et merci, monsieur le président. Je suis le sénateur David Arnot, et je viens de la Saskatchewan.

Le sénateur Prosper : Bonjour à tous. Je suis le sénateur Paul J. Prosper, et je représente la Nouvelle-Écosse, le territoire traditionnel du peuple mi’kmaq.

La sénatrice Coyle : Je suis la sénatrice Mary Coyle, et je viens d’Antigonish, en Nouvelle-Écosse, dans la région Mi’kma’ki.

Le président : Je vous remercie, mesdames et messieurs les sénateurs.

Nous poursuivons notre étude sur l’efficacité du cadre canadien des droits de la personne en ce qui concerne la promotion et la protection des droits des peuples autochtones, et sur la mise en place éventuelle de mécanismes de protection des droits de la personne des Autochtones. Plus précisément, nous nous demandons si les mécanismes existants pourraient être améliorés, ou si de nouveaux mécanismes sont nécessaires, en intégrant notamment des composantes propres aux peuples autochtones.

Je voudrais maintenant présenter notre témoin. M. José Francisco Calí Tzay est rapporteur spécial sur les droits des Peuples autochtones, aux Procédures spéciales du Conseil des droits de l’homme. Wela’lin. Monsieur Tzay, je vous remercie de vous être joint à nous aujourd’hui. C’est un plaisir de vous revoir. J’invite maintenant M. Tzay à faire une déclaration préliminaire d’environ cinq minutes, qui sera suivie d’une période de questions et réponses avec les sénateurs.

José Francisco Calí Tzay, rapporteur spécial sur les droits des Peuples autochtones, Procédures spéciales du Conseil des droits de l’homme : Je présente mes salutations au président et aux honorables membres du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones.

J’aimerais commencer par remercier le comité de m’avoir invité dans le cadre de son étude sur les peuples autochtones et le cadre canadien des droits de la personne, et plus précisément, sur l’étude de l’appel à la justice 1.7 de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. L’un des appels recommande la création d’un poste d’ombudsman national des droits des Autochtones et des droits de la personne, qui aura autorité dans tous les domaines de compétence, ainsi que d’un tribunal national des droits des Autochtones et des droits de la personne, axé sur le rôle du gouvernement fédéral.

Lors de ma visite au Canada cette année, j’ai obtenu des renseignements préoccupants concernant les femmes et les filles autochtones assassinées et disparues. De nombreux organismes de surveillance des traités des Nations unies et titulaires de mandat de rapporteur spécial ont formulé des observations sur cette épidémie de violence. Ils déplorent notamment le faible nombre de cas signalés aux forces policières, la pénurie de refuges, le manque de ressources et de mesures de protection, et les lacunes au niveau de la collecte de données. Par ailleurs, peu de contrevenants font réellement l’objet d’enquêtes, de poursuites et de condamnations.

Les défis auxquels sont confrontés les peuples autochtones du Canada sont tous interreliés. Le poids de la colonisation et de la discrimination raciale continue de provoquer des déplacements au sein des populations autochtones, qui se retrouvent dépossédées de leurs terres et de leurs ressources. Ce phénomène engendre des problèmes d’itinérance, de faible taux de scolarisation, de chômage, de pauvreté, et de mauvais état de santé et de bien-être. Par ailleurs, les personnes autochtones sont souvent victimes de profilage racial, de recours excessif à la force par les forces de l’ordre, ainsi que d’arrestations faites de manière arbitraire et discriminatoire, ce qui engendre un grave problème d’incarcération excessive.

Les organisations représentant les peuples autochtones au Canada ont exhorté le gouvernement fédéral à mettre en place un tribunal des droits de la personne et un bureau d’ombudsman, tous deux indépendants et dirigés par des Autochtones, afin de vérifier que le pays respecte la Loi sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Par conséquent, en vertu de la mesure 19 de son plan d’action, le gouvernement s’engage à « créer un mécanisme indépendant relatif au suivi, à la surveillance, aux recours ou aux mesures de réparation des droits des autochtones [...] ». Le processus de mise en place d’un tribunal des droits de la personne et d’un bureau d’ombudsman doit être mené dans le cadre de consultations sérieuses avec les peuples autochtones du Canada.

Le gouvernement fédéral doit faciliter ce processus, et doit garantir le droit à un consentement préalable, libre et éclairé pour l’ensemble des intervenants, conformément à la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, et à d’autres normes internationales afférentes. Dans le cadre de la mise en place de l’appel à la justice 1.7, le tribunal et l’ombudsman devront être dotés de ressources suffisantes pour remplir leur mandat.

Dans mon rapport, je recommande que le Canada mette en place un mécanisme indépendant de protection des droits de la personne dirigé par des Autochtones, conformément aux Principes concernant le statut des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l’homme, les Principes de Paris, afin de veiller à ce que le Canada mette en œuvre la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones et la Loi sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones.

Le gouvernement fédéral doit garantir l’indépendance et l’impartialité du tribunal et de l’ombudsman, qui devra posséder le pouvoir de traiter des plaintes relatives à des violations des droits des autochtones et des droits de la personne, ainsi que le mandat de mener des évaluations approfondies de manière indépendante des services gouvernementaux destinés aux peuples autochtones et à leurs communautés. Les dispositions détaillées du mandat et des étapes procédurales propres à chaque mécanisme devront être mises en place en étroite collaboration avec les peuples autochtones du Canada.

Je tiens à rappeler que le gouvernement fédéral doit, sans plus tarder, mettre en pratique les recommandations formulées dans le cadre de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, notamment l’appel à la justice 1.7. Le suivi concret de ces recommandations est essentiel pour gagner la confiance des peuples autochtones du Canada et pour maintenir un dialogue constructif. Le Canada s’est engagé sur la voie de la réconciliation et doit démanteler les fondements d’une discrimination raciale structurelle à l’encontre des peuples autochtones. La mise en place de l’appel à la justice 1.7 par le gouvernement fédéral représente une étape importante dans l’atteinte de cet objectif.

Je vous remercie de votre attention.

Le président : Merci, M. Calí Tzay.

Avant de céder la parole à mes collègues, j’ai moi-même une question pour vous. D’après vos expériences et vos connaissances, en quoi devraient consister concrètement le mandat, les responsabilités et le cadre institutionnel d’un éventuel bureau d’ombudsman et d’un tribunal dirigés par des Autochtones? Quels sont les modèles dans d’autres régions du monde qui pourraient être étudiés et servir d’inspiration pour la création de ces institutions?

M. Calí Tzay : Comme je l’ai dit dans ma déclaration d’ouverture, je pense que ces institutions doivent être indépendantes, et qu’elles doivent être habilitées non seulement à analyser des éléments de preuve, mais aussi à mener des enquêtes. Le tribunal comme l’ombudsman doivent être en mesure de faire appliquer la loi; s’il ne s’agit que d’organismes d’enquête, cela ne suffira pas à rétablir la confiance des peuples autochtones envers l’État canadien.

Le président : Je vous remercie.

Le sénateur Arnot : Je remercie notre témoin pour sa présence parmi nous aujourd’hui. Monsieur Calí Tzay, j’apprécie réellement votre apport à notre discussion, et j’aimerais avoir votre avis concernant certains enjeux.

En vous reportant à votre expérience internationale et à vos observations de ce qui se fait dans d’autres pays, vous dites être favorable à la création d’un tribunal et d’un bureau d’ombudsman, deux institutions nationales dirigées par des Autochtones. Ma question est la suivante : comment se prémunir contre l’adoption de modèles susceptibles de reproduire des pratiques coloniales? Avez-vous des conseils à nous donner à ce sujet?

Par ailleurs, je m’attends à ce que plusieurs communautés autochtones affichent un certain scepticisme par rapport à la création de ces deux nouvelles instances, et qu’elles proposent des solutions très différentes. J’aimerais savoir quels sont vos conseils et vos recommandations pour répondre aux personnes sceptiques. Les pratiques coloniales se sont traditionnellement appuyées sur des modèles de litige et de concurrence dans la défense des intérêts, et cela n’a jamais bien fonctionné. Par conséquent, je préconise pour ma part la mise en place d’une approche axée sur la médiation et la résolution des problèmes. Comme je l’ai dit, vous possédez beaucoup d’expérience en la matière. Êtes-vous d’accord avec ma manière de voir les choses? Selon vous, comment s’assurer que ces deux nouvelles instances puissent bien fonctionner au sein d’un système colonial principalement axé sur les litiges? Nous vous saurions gré de nous éclairer à ce sujet. Merci.

M. Calí Tzay : Merci beaucoup, sénateur.

Je dirais qu’il n’existe pas de recette universelle en la matière. Le gouvernement du Canada a proposé une excellente initiative, qui est d’ailleurs la première dans son genre au monde. C’est la raison pour laquelle beaucoup de pays suivent la situation au Canada et s’intéressent de près aux mesures que vous allez prendre.

Conformément à l’article 19 de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, la création d’un poste d’ombudsman national des droits des Autochtones et des droits de la personne doit se faire en tenant des consultations sérieuses auprès des communautés autochtones. Voilà la différence majeure avec les initiatives précédentes portant sur ce genre d’enjeux. Lorsque je préconise la consultation et la collaboration avec les peuples autochtones, je fais référence aux Premières Nations, aux Métis et aux Inuits. Je sais que le processus de réconciliation risque d’être long et complexe, mais l’établissement de ces deux instances marque un premier jalon majeur.

J’ai constaté de nombreux problèmes dans le monde par rapport aux enjeux autochtones, mais je n’hésite pas à dire que le Canada est l’exemple à suivre pour la création de ce type d’institutions. Comme je l’ai mentionné, il n’existe pas de recette miracle; la réconciliation est un travail inachevé, et l’on ne saurait trop insister sur l’importance de la participation des peuples autochtones.

La sénatrice Coyle : Je tiens à remercier notre témoin. Monsieur Calí Tzay, vos observations et vos conseils sont très clairs, et vont nous être particulièrement utiles pour améliorer le résultat de notre travail. Comme vous l’avez si bien dit, le monde entier observe le Canada. J’aurais aimé me tourner vers des modèles dont nous pourrions nous inspirer, mais ce n’est pas le cas.

Étant donné l’immense diversité en matière de cultures, de lois et de traditions autochtones au Canada, je pense qu’il est important que le nouveau poste d’ombudsman et le tribunal puissent refléter l’ensemble des peuples autochtones. En effet, même parmi les trois principaux groupes autochtones, c’est-à-dire les Premières Nations, les Métis et les Inuits, on retrouve une incroyable diversité de sous-groupes et de sous-cultures. À ce stade précoce du processus, comment s’assurer d’intégrer adéquatement toute cette belle pluralité au sein des deux nouvelles institutions, nommément le bureau de l’ombudsman et le tribunal?

M. Calí Tzay : Comme vous l’avez dit, sénatrice, le Canada est un pays unique en ce qui a trait à toute la diversité qu’on y retrouve, et je pense notamment aux Premières Nations, aux Métis et aux Inuits. C’est une société pluraliste et cosmopolite.

Comme je l’ai dit, la participation des peuples autochtones est essentielle à la réussite d’un tel projet. C’est pourquoi je pense que les commissaires devraient être nommés directement par les peuples autochtones selon certaines procédures qui correspondent aux articles 3 et 4 de la Déclaration des Nations unies.

Plus important encore, le nouveau tribunal devra offrir des recours individuels et systémiques, comme le respect des normes énoncées dans les Principes concernant le statut et le fonctionnement des institutions nationales pour la protection et la promotion des droits de l’homme. Pour la suite des choses, il est essentiel de conférer au bureau de l’ombudsman le pouvoir d’offrir des recours efficaces tant sur le plan individuel que sur le plan collectif.

Comme je l’ai recommandé lors de ma dernière visite officielle au Canada, il est nécessaire que le gouvernement fédéral mette en place un mécanisme de défense des droits de la personne indépendant, à l’image du principe de Paris, et dont la direction sera assurée par des Autochtones. Cette instance devra être dotée des fonds suffisants pour répondre de manière efficace aux besoins des peuples autochtones. En Amérique latine, on dit souvent que toute organisation qui manque de ressources est condamnée à n’émettre que des vœux pieux. Ainsi, le nouveau bureau de l’ombudsman doit se doter d’un mandat très clair, de mécanismes efficaces pour traiter les besoins des peuples autochtones du Canada, mais aussi d’un bon budget de travail.

Telle est ma réponse aux questions que vous m’avez posées.

La sénatrice Coyle : Je vous remercie.

Le président : Monsieur Calí Tzay, pouvez-vous nous expliquer de quelle manière la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, la DNUDPA, peut nous aider à jeter les bases de ces nouvelles institutions?

M. Calí Tzay : Comme l’indique l’article 46 de la DNUDPA, la DNUDPA ne fait qu’énoncer les exigences minimums en matière de droits des peuples autochtones. Elle doit donc être comprise comme l’assise, et non le plafond, de par laquelle entreprendre l’élaboration d’un processus qui respecte et réaffirme les droits de la personne.

En intégrant l’ensemble des principes établis dans la DNUDPA, nous aurons suffisamment de matière pour faire respecter les différents droits des peuples autochtones, notamment le droit au consentement préalable, libre et éclairé, et le droit à la consultation. La DNUDPA constitue en quelque sorte un plan de travail dont nous devons nous inspirer pour créer le bureau de l’ombudsman, avant de passer aux prochaines étapes. C’est ainsi que je vois les choses.

Le président : Je vous remercie.

Le sénateur Prosper : Merci beaucoup, monsieur Calí Tzay, pour votre témoignage. Merci de nous faire profiter de votre expérience.

Ma question comporte deux volets. Vous avez mentionné tout à l’heure qu’il s’agit du premier mécanisme proposé pour les peuples autochtones. Comme vous l’avez dit, d’autres pays vont prendre exemple sur le Canada. Étant donné la nature unique de ce mécanisme et le fait qu’il soit le premier du genre, j’aimerais faire appel à votre vaste expérience. Étant donné qu’il s’agit de quelque chose de nouveau, connaissez-vous d’autres mécanismes, qu’il s’agisse d’un tribunal de cette nature ou même d’un bureau de l’ombudsman, qui pourraient nous fournir une orientation ou nous être utiles dans notre réflexion sur la création de ce bureau? C’est ma première question.

Ma deuxième question concerne le fait que, comme vous le savez, il y a parfois une interaction entre les droits collectifs et les droits individuels au sein des communautés autochtones, mais aussi dans le cadre plus large des litiges et autres. Pourriez-vous nous suggérer des façons d’intégrer ces interactions ou en tenir compte dans le cadre de cette entreprise? Je vous remercie.

M. Calí Tzay : Merci beaucoup. Ces questions sont très vastes et il nous faudrait toute la journée pour discuter de tous les éléments à prendre en compte pour y répondre.

En Amérique latine, l’histoire des droits de la personne est malheureusement très négative. C’est aussi pourquoi il existe en Amérique latine de très bons bureaux de l’ombudsman des droits de la personne. Ils ont de très bons bureaux. Je pense que nous devons notamment déterminer quels sont ceux qui sont aux côtés des gens, qui défendent les droits de la personne, non seulement des peuples autochtones, mais aussi de l’ensemble de la société de l’Amérique latine. Il y a de très bons exemples. L’un des bons exemples que je peux citer et dont je me souviens est celui de l’ombudsman du Chili, mais aussi ceux de l’Argentine, du Costa Rica et de la Colombie, et du Mexique, qui dispose également d’un très bon bureau de l’ombudsman, qui travaille aux côtés de la population.

En ce qui concerne le Canada, je pense que l’on devrait investir une institution nationale de la compétence de promouvoir et de protéger les droits de la personne des peuples autochtones. On devrait confier à une institution nationale un mandat aussi large que possible. Celui-ci devrait être clairement défini dans un texte constitutionnel ou législatif, précisant sa composition et son champ de compétence. Je sais qu’au Canada, l’inscription de cette compétence dans la constitution sera un processus très long, mais je pense qu’avec une seule loi, nous pourrions donner cette compétence au bureau de l’ombudsman national des droits de la personne.

Je pense également qu’une institution nationale devrait, entre autres, avoir certaines responsabilités. Elle devrait par exemple être chargée de soumettre sans crainte son opinion au gouvernement, au Parlement, au Sénat, ainsi qu’à toute autre partie compétente, à titre consultatif. Elle le ferait soit à la demande des autorités concernées, soit par l’exercice de son pouvoir d’entendre les griefs. Je pense qu’on devrait lui accorder ce pouvoir, ainsi que la capacité de formuler des recommandations et des propositions, ainsi que de faire rapport sur toute question concernant la promotion et la protection des droits de la personne, que ce soit à vous, au gouvernement, ou à un compagnon de l’État au moment de compiler les rapports nationaux pour une institution internationale comme les comités de l’Organisation des Nations unies. Ce n’est qu’un exemple. Je pense à des exemples. La promotion et la garantie de l’harmonisation de la législation, de la réglementation et des pratiques nationales avec l’instrument national des droits de la personne sont une autre question que le bureau de l’ombudsman doit traiter au Canada, parce qu’il est absolument nécessaire d’harmoniser la législation nationale avec la législation internationale en matière de droits de la personne. Il doit bien entendu également encourager la ratification des instruments des droits de la personne que le Canada n’a pas encore ratifiés. C’est très important. Je sais que le Canada a ratifié presque tous les instruments relatifs aux droits de la personne, mais il doit parfois en ratifier d’autres.

Il doit avoir le droit d’exprimer son opinion au sujet de son autonomie. Je mets l’accent sur l’autonomie du bureau de l’ombudsman. Il est très important de créer un bureau autonome. Il faut que ce bureau soit indépendant, faute de quoi il ne sera qu’un autre bureau créé par le Canada, et beaucoup d’Autochtones continueront de se méfier de l’État comme c’est le cas actuellement.

Je ne sais pas si j’ai répondu à vos deux questions avec les commentaires que j’ai formulés.

Le sénateur Prosper : Je vous remercie. Vous nous fournissez une mine d’informations.

J’aimerais tirer parti de votre expertise et de votre expérience dans le domaine secondaire des droits individuels et collectifs. La notion de droits collectifs peut souvent varier d’une communauté à l’autre et d’une nation à l’autre. Ces droits concernent les terres, les titres de propriété associés à ces terres et les ressources, et sont acquis soit par l’entremise de traités ou d’une occupation antérieure. Ces droits se heurtent parfois également aux droits individuels. Avez-vous d’autres suggestions sur la manière dont nous pouvons concilier ces deux éléments, les droits collectifs et les droits individuels?

M. Calí Tzay : C’est la particularité des peuples autochtones. Selon le droit international en matière de droits de la personne, ils jouissent de droits individuels et collectifs. C’est très important pour les peuples autochtones. Il est donc très intéressant de créer ce bureau au Canada. Pourquoi? Parce qu’il aura la lourde tâche non pas de cerner, mais de défendre les droits individuels et collectifs des peuples autochtones au Canada. Je parle de défense parce que j’ai l’habitude d’utiliser ces mots dans tous les autres pays où je voyage. Le problème est qu’ils doivent défendre leurs droits. Ici, ils doivent exercer les droits qu’ils ont au Canada. Je sais que l’on se demande souvent si le Canada respecte ou non les droits des peuples autochtones, mais la situation du Canada est différente de celle des autres pays d’Amérique latine, d’Afrique ou d’Asie. C’est pourquoi il est important de déterminer quelles mesures le Canada va prendre à ce stade.

Les pensionnats sont le principal point de référence pour le Canada depuis deux ou trois ans. Que va-t-il se passer après cela? Je pense que c’est ce qui est important. La création de ce bureau sera une étape positive pour l’histoire du Canada et pour regagner la confiance des peuples autochtones dans l’État. C’est pourquoi, comme je l’ai dit, il est nécessaire de disposer non seulement d’un mandat clair, mais aussi d’un budget suffisant pour collaborer avec les peuples autochtones, afin d’obtenir justice pour les violations passées ou présentes de leurs droits de la personne, notamment des droits que vous avez mentionnés liés à la terre, au territoire, aux ressources et aux droits individuels. Il y a beaucoup de travail à faire.

Le sénateur Prosper : Merci beaucoup, monsieur Calí Tzay.

Le président : Monsieur Calí Tzay, d’autres témoins nous ont dit que les frais d’avocat constituaient un obstacle à l’application de la Loi canadienne sur les droits de la personne, car les parties ne peuvent pas obtenir leur remboursement à l’issue de la procédure. Seriez-vous d’accord pour dire que les peuples autochtones devraient avoir accès à des services juridiques et à d’autres formes de soutien lorsqu’ils préparent une plainte auprès d’un ombudsman ou d’un tribunal? Les Autochtones devraient-ils avoir accès à des cliniques juridiques gratuites?

M. Calí Tzay : Je pense que le rôle du bureau de l’ombudsman doit être d’accompagner les Autochtones dans leur quête de justice, mais pas de plaider au nom des Autochtones, car cette tâche relèvera d’un autre bureau. C’est pourquoi, dans l’une de mes réponses, j’ai dit que le bureau de l’ombudsman doit avoir le pouvoir d’enquêter, mais qu’il doit aussi être une partie autonome chargée d’enquêter et de mener toutes les enquêtes qui aideront les peuples autochtones... Par exemple, il devra non seulement être une partie autonome, mais aussi jouer le rôle d’un témoin expert devant les tribunaux, non pas pour plaider au nom des peuples autochtones, mais pour être la conscience de l’État du point de vue des peuples autochtones. Je pense que le Canada doit créer un important bureau d’accompagnement juridique pour les peuples autochtones.

Le président : Merci.

J’ai une autre question à vous poser. Comment les lois autochtones peuvent-elles être reflétées dans un mécanisme des droits de la personne?

M. Calí Tzay : C’est une question très importante. C’est l’un des éléments dont ce bureau doit tenir compte.

Malheureusement, tant au niveau national qu’international, lorsqu’ils appliquent leur justice, on demande aux peuples autochtones de respecter les droits de la personne. Mais quel système viole les droits de la personne lorsque le système juridique des peuples autochtones tente de réparer les dommages qu’ils causent, par exemple, dans le cas d’un crime ou d’un délit? Un système judiciaire national n’est pas un système de réparation, c’est un système de punition. Lorsque vous êtes déclaré coupable, vous êtes immédiatement emprisonné, ce qui signifie que vous quittez votre famille. Conformément à la loi des peuples autochtones, vous avez la responsabilité non seulement d’accompagner votre famille, mais aussi, si vous êtes déclaré coupable, de réparer les dommages que vous causez à votre famille, à votre communauté ou à d’autres personnes. Je pense que le droit des peuples autochtones doit également se fonder sur le respect des droits de la personne au sein du bureau de l’ombudsman.

Le président : Merci.

J’aimerais vous poser une dernière question. Pouvez-vous citer d’autres institutions qui s’appuient sur les lois et les processus autochtones dans leurs politiques et leurs pratiques, peut-être en dehors du domaine des droits de la personne?

M. Calí Tzay : Le Canada est un pays très important à prendre en exemple, tout comme les États-Unis. Vous avez des tribunaux autochtones, des tribunaux indiens, des juges indiens et des cours indiennes. Ces pratiques existent déjà, non seulement au Canada, mais aussi aux États-Unis. Elles n’existent pas en Amérique latine, en Afrique ou en Asie. Vous disposez d’une base qui vous permet d’introduire ces exemples dans le bureau de l’ombudsman. Je pense que vous avez beaucoup avancé en ayant des juges autochtones et inuits. Je pense que vous avez maintenant également des juges métis. Je pense que le Canada et les États-Unis sont de bons exemples.

Le président : Merci.

Les sénateurs peuvent encore poser des questions. Les sénateurs ont-ils des questions à poser? Je ne vois aucune main se lever.

Merci beaucoup, monsieur Calí Tzay, de vous être joint à nous aujourd’hui. Nous vous remercions pour votre témoignage.

J’aimerais maintenant présenter notre prochain témoin, Madeleine Redfern, présidente de la Commission des services juridiques du Nunavut. Wela’lin. Merci de vous joindre à nous aujourd’hui. Mme Redfern aura environ cinq minutes pour formuler ses observations liminaires, qui seront suivies d’une période de questions et réponses des sénateurs.

Madeleine Redfern, présidente, Commission des services juridiques du Nunavut, L’aide Juridique du Nunavut : Bonjour à tous. Merci beaucoup pour votre invitation.

Je suis originaire d’Iqaluit, la capitale du Nunavut, qui est ma communauté d’origine.

En bref, la Commission des services juridiques du Nunavut est chargée de fournir une aide juridique sur notre territoire. Elle est dirigée par un conseil d’administration composé de représentants de nos trois cliniques régionales, de deux membres extraordinaires, et d’un membre de la Law Society of Nunavut et du gouvernement du Nunavut. Le ministre de la Justice nomme tous les membres de la Commission des services juridiques pour un mandat de trois ans. Je travaille pour l’aide juridique depuis 2007.

La prestation de services juridiques aux Nunavummiut admissibles se fait dans le cadre d’un partenariat entre le gouvernement fédéral et le gouvernement du Nunavut. La Commission des services juridiques fournit une aide dans les domaines du droit pénal, du droit de la famille et du droit civil. C’est en fait assez unique dans ce pays, si l’on fait abstraction des Territoires du Nord-Ouest. Pour ce qui est du droit civil, nous apportons une aide dans les domaines du logement et de la location, du travail et de l’emploi, des droits de la personne, de la pauvreté, de l’inconduite policière et, à l’occasion, des enquêtes. Nous fournissons également des services d’éducation et d’information juridiques au public.

Comme la plupart des régimes d’aide juridique au Canada, la Commission des services juridiques n’a aucun lien de dépendance avec le gouvernement et doit être suffisamment autonome en ce qui concerne l’offre de ses services.

Au Nunavut, il existe un certain nombre d’autres organismes publics et autochtones importants, notamment le Tribunal des droits de la personne du Nunavut, qui n’est pas une commission, le Conseil Qulliit de la condition féminine du Nunavut, le Représentant de l’enfance et de la jeunesse du Nunavut; la Nunavut Inuit Women’s Association, dont je suis membre du conseil d’administration et présidente, ainsi que d’autres organismes inuits comme Nunavut Tunngavik Incorporated et nos trois associations inuites régionales, l’une dans la Qikiqtani, la région de Baffin, une dans la région de Kivalliq et une dans la région de Kitikmeot. Elles sont toutes chargées de défendre ou de protéger les droits des membres inuits en vertu de l’Entente sur les revendications territoriales du Nunavut.

La difficulté, cependant, est que les pouvoirs et autorités de la majorité de ces organismes non gouvernementaux, en particulier ceux mis en place et financés par le gouvernement territorial, se limitent à la défense des droits. C’est notamment le cas du Conseil Qulliit de la condition féminine du Nunavut, et du Représentant de l’enfance et de la jeunesse du Nunavut qui, bien qu’il émette des recommandations ou des conclusions, n’ont aucun pouvoir. Les deux organismes publics qui jouent un rôle légèrement différent sont la Commission des services juridiques du Nunavut et le Tribunal des droits de la personne du Nunavut, au sein desquels nous sommes en mesure de recourir à certains mécanismes et à certaines voies juridiques pour soutenir l’accès direct à la justice, notamment en cas de violation des droits de la personne.

Malheureusement, le Nunavut n’a pas de Commission des droits de la personne. Les Nunavummiut peuvent présenter une demande d’aide juridique pour obtenir de l’aide d’un avocat en droit civil, à condition qu’ils remplissent nos conditions d’admissibilité financière. Le cas échéant, notre avocat les aide à trouver le meilleur recours. Il pourrait s’agir du Nunavut Labour Board, du Labour Standards Compliance Office, du Residential Tenancies Office ou du dépôt d’une plainte en vertu des droits de la personne.

Il est toutefois difficile de déposer une plainte auprès du Tribunal des droits de la personne du Nunavut, car celui-ci ne compte que trois employés et est situé dans une région très éloignée du Nunavut. Le cadre et les procédures posent également des problèmes, ce qui complique la tâche de ces employés, des membres du tribunal et des personnes qui envisagent de déposer une plainte officielle ou de celles qui en ont déposé une. Il faut des années pour qu’une plainte soit traitée.

Bien que la création d’un ombudsman national autochtone présente un intérêt dans la mesure où, en vertu de la Constitution canadienne, les peuples autochtones relèvent directement de la responsabilité du gouvernement fédéral, nous vivons dans des provinces et des territoires où la majorité des services sont en fait fournis par nos gouvernements provinciaux ou territoriaux. Ces services comprennent les soins de santé, l’éducation, le logement, les services aux familles, la protection de l’enfance et l’éducation, et les études postsecondaires. Il est très difficile pour la plupart de nos concitoyens de comprendre le gouvernement et de s’y retrouver, même pour obtenir des services de base. C’est encore plus difficile lorsqu’ils sont confrontés à un racisme systémique historique et actuel, auquel s’ajoute le sexisme dans le cas des femmes autochtones.

Lorsque vous êtes déjà marginalisé et vulnérable, il est difficile, voire effrayant, d’envisager de déposer une plainte ou de suivre une procédure de plainte pour demander des comptes au gouvernement qui a violé vos droits. C’est d’autant plus vrai dans un endroit où la population est peu nombreuse, et c’est encore plus difficile lorsque votre emploi, vos prestations ou vos services, ou ceux de votre famille, risquent d’être encore plus menacés. Au Nunavut, le gouvernement territorial est le principal employeur, et vous êtes chanceux si votre emploi est assorti d’un logement de fonction. Toutefois, si vous mettez votre emploi en péril, votre logement est également menacé.

Les provinces et les territoires qui ont des ombudsmans ont de la chance, mais nous n’avons pas de tel bureau. L’absence d’un ombudsman ou d’organismes publics dotés d’une plus grande autonomie ou de pouvoirs faisant autorité fait en sorte que notre peuple est exposé à des risques et à des préjudices sans grand recours. L’aide juridique peut fournir — et fournit — une certaine aide, mais notre capacité d’aide est restreinte en raison de la loi, de la charge de travail partagée et du fait que les avocats sont affectés en priorité aux affaires pénales et familiales qui concernent particulièrement la prise en charge, le bien-être, la garde et le soutien des enfants.

Nous devons composer avec d’autres contraintes, comme le budget et l’expertise spécialisée. Je peux vous dire que nous n’avons pas assez d’avocats pour travailler dans un grand nombre de domaines particuliers du droit. Depuis la pandémie de COVID-19, nous faisons du rattrapage dans des affaires qui ont été suspendues ou retardées en raison de l’horaire des tribunaux, et c’est là que nous accordons notre priorité et notre attention depuis quelques années.

Il serait bon qu’il existe un ombudsman autochtone national qui puisse aider à évaluer l’état des bureaux d’ombudsman provinciaux et territoriaux existants afin d’être adéquatement informé et formé pour apporter du soutien et réagir aux violations systémiques des droits de la personne, surtout dans une province comme le Nunavut où il n’y a pas d’ombudsman et où les organismes publics sont aux prises avec d’importantes limites, devant appuyer la promotion d’une plus grande autonomie et de plus grands pouvoirs afin d’apporter de vrais changements qui contribueraient grandement à réduire les risques et les préjudices découlant du racisme et du sexisme systémiques, et surtout de l’intersection des deux, qui mettent en danger les familles inuites et surtout les femmes et les enfants inuits.

Merci.

Le président : Je vous remercie beaucoup, madame Redfern, de cet exposé.

Le sénateur Arnot : Je vous remercie, madame Redfern, de vos conseils et de votre témoignage de ce matin. Cela nous est fort utile.

J’ai quelques questions. Je crois comprendre que vous êtes favorable à la création des deux organismes proposés, et je pense que nous le sommes aussi. Je sais que vous défendez vigoureusement les droits des femmes, particulièrement en ce qui concerne le harcèlement sexuel. D’après mon expérience en matière de droits de la personne, lorsqu’il y a des preuves d’une forme de discrimination, il existe probablement d’autres formes de discrimination, comme l’âgisme, le sexisme et le capacitisme. Je pense aux besoins et aux droits des femmes et des enfants autochtones en situation de handicap ou appartenant à la communauté LGBTQ2S. Il y a beaucoup d’intersectionnalité. Vous en avez parlé. Pouvez-vous nous dire comment, selon vous, ces deux nouveaux organismes qui pourraient voir le jour pourront s’occuper de toutes ces questions, de tous ces besoins?

Mme Redfern : D’après mon expérience, il est extrêmement utile d’avoir un bureau, ne serait-ce que pour effectuer des recherches et déceler les lacunes. Comme il n’existe même pas de bureau d’ombudsman au Nunavut, les lacunes sont très importantes. Il y a très peu de ressources auprès desquelles les gens peuvent obtenir du soutien. S’ils essaient de s’adresser à leur maire, à leur conseil ou à un représentant élu, cela peut porter fruit dans certains cas, mais pas dans d’autres.

Je vis dans un endroit où, malheureusement, je dirais que non seulement le gouvernement éprouve de la difficulté à recueillir et à gérer des données, mais il n’est même pas capable de faire le suivi des enfants pris en charge par l’État ou de vérifier les casiers judiciaires pour s’assurer que les enfants sont placés dans des endroits sûrs, comme l’indique le troisième rapport publié récemment par la vérificatrice générale du Canada sur les Services à la famille du gouvernement du Nunavut. Nous avons besoin d’un organisme indépendant qui comprend et apprécie la valeur des données et qui détermine si les services fonctionnent adéquatement. Bien que le Bureau du représentant des enfants et des jeunes ait préparé des rapports, son dernier rapport était rempli de points d’interrogation. Il ne peut pas faire plus que souligner qu’il y a des problèmes et laisser ensuite les députés de notre assemblée législative s’en occuper ou non.

Pour ce qui est de la question de l’intersectionnalité que vous avez soulevée, il ne fait aucun doute que de 30 à 80 % de nos gens vivent dans la pauvreté, selon le rapport qu’on examine. Je pense en fait que c’est le chiffre le plus élevé, en partie parce que quand un enfant d’âge préscolaire inuit sur quatre est en situation d’insécurité alimentaire et la plupart de nos ménages ont des enfants, nous affichons des taux élevés de pauvreté, de faibles niveaux d’éducation et des taux élevés de chômage, et avons des logements surpeuplés où deux, trois ou quatre générations vivent dans une maison. Même si on travaille, il y a très peu d’employeurs, et il est effrayant de déposer une plainte ou d’essayer de faire valoir un droit auprès de son employeur parce que le gestionnaire peut s’en formaliser et cela met l’emploi en péril. En se manifestant, on met son emploi en danger.

Quand une personne est déjà très marginalisée et vulnérable, la discrimination systémique, les préjugés et les biais sont omniprésents. Elle sait que si elle ose dénoncer ou simplement demander de l’aide, elle risque de se mettre en danger. Il y a tellement de façons de mettre directement ou subtilement quelqu’un en danger. Je vis dans un endroit où nous sommes censés jouir de la protection des droits de la personne, y compris dans le territoire, en vertu des lois et de la constitution, mais nous voyons bien des gens qui osent parler perdre ensuite leur emploi ou leur logement. L’intersectionnalité au Nunavut est tellement forte et omniprésente que les gens n’osent généralement pas faire valoir leurs droits. Je connais des avocats inuits qui ne le feraient pas eux-mêmes. Je peux attester du fait que j’ai perdu des avantages parce que j’étais prête à m’exprimer. C’est la réalité dans laquelle nous vivons.

Le sénateur Arnot : Si ces deux organismes nationaux voient le jour, d’après ce que vous dites, pensez-vous qu’il y a de la place pour une certaine flexibilité au sein de ces organismes nationaux pour tenir compte des circonstances uniques qui s’observent au Nunavut, comme celles dont vous venez de parler?

Mme Redfern : Ce sera très difficile sans la collaboration avec un bureau de l’ombudsman territorial. C’est la vérité. Ce sera difficile pour le Tribunal des droits de la personne du Nunavut, qui n’est pas une commission et qui ne compte que trois employés. Ce sera difficile même pour la Commission des services juridiques du Nunavut parce que nous sommes déjà débordés par notre charge de travail actuelle, donc si on y ajoute des responsabilités, en dépit de notre manque de ressources, ce sera véritablement difficile. Je pense qu’il est important de le souligner.

Idéalement, il faudrait démontrer au gouvernement territorial la valeur et le bien-fondé d’une fonction d’ombudsman, surtout d’un ombudsman qui se concentrerait sur les droits autochtones, et j’espère que les membres de l’assemblée législative reconnaîtraient la valeur et le bien-fondé de créer un bureau de l’ombudsman territorial. Il faut les faire valoir au niveau stratégique. Il y a une grande lacune ici. Il nous est difficile de faire ce travail. Ce serait déjà formidable s’il existait un bureau de l’ombudsman territorial général, pas nécessairement axé sur les peuples autochtones, parce que bien que nous représentions 85 % de la population, dans les faits, il serait censé nous défendre.

Si ce bureau de l’ombudsman territorial travaillait avec les autres bureaux de l’ombudsman provinciaux et territoriaux et qu’on prévoyait une orientation et une formation culturelles adaptées, étant donné que la population autochtone ne connaît peut-être pas très bien le concept et qu’elle n’y voit peut-être pas un espace sûr, comment les bureaux de l’ombudsman provinciaux et territoriaux travaillent-ils avec les communautés inuites ou des Premières Nations vivant sur leur territoire?

La deuxième plus grande communauté inuite au Canada se trouve ici, à Ottawa. On n’en a pas nécessairement conscience. La plus grande se situe en fait dans ma ville natale, à Iqaluit. Il y a beaucoup d’émigration de nos régions pour toutes sortes de raisons, telles que le manque de soins médicaux adéquats ou de services de traitement des dépendances, le besoin de fuir de la violence familiale, la perte de logement, la perte d’emploi et même le non-respect des droits de la personne, lorsque les gens estiment qu’ils ne peuvent plus vivre et travailler dans leur propre communauté parce qu’elle n’est plus sûre pour eux. Nous estimons nécessaire que l’ombudsman de l’Ontario connaisse non seulement les droits des Autochtones, mais aussi les raisons pour lesquelles les Autochtones quittent leur réserve ou leur région d’origine, et la façon dont ils le font. C’est un facteur important.

Le sénateur Arnot : Je vous remercie de cette réponse détaillée.

Le sénateur Prosper : Merci beaucoup, madame Redfern, de nous avoir présenté un point de vue très complet sur certaines des réalités propres à votre territoire et certaines des choses à prendre en considération dans la réflexion sur la création d’un bureau de cette envergure sur votre territoire, qui comprendrait un ombudsman et un tribunal des droits de la personne, compte tenu de toutes les interactions qu’il aurait avec les ressources qui y existent, ou qui y manquent. C’est une grande chance que nous avons de pouvoir nous asseoir autour d’une table comme celle-ci et d’écouter des témoignages sur les diverses réalités actuelles. Je ne savais pas que la deuxième plus grande communauté inuite au Canada se trouvait à Ottawa.

Compte tenu des répercussions qu’il pourrait y avoir, et qu’il y a déjà, en fait, lorsqu’on s’interroge sur des questions qui doivent être examinées, à juste titre, comme les obstacles systémiques et des choses de cette nature, j’essaie de voir ce qu’il faudrait particulièrement prendre en considération en vue de la création de ces deux types d’institutions. Vous avez dit que ces mécanismes pourraient, en réalité, exercer une pression supplémentaire sur les ressources déjà limitées qui existent et qu’ils devraient interagir avec leurs homologues provinciaux. Quelle forme cette interaction devrait-elle prendre, selon vous? Je sais que vous en avez déjà parlé un peu, mais je serais curieux de savoir quels sont les liens entre votre territoire et ces institutions nationales. Pourriez-vous nous donner plus de détails à ce sujet?

Mme Redfern : Merci.

Souvent, nos dirigeants ne savent pas ce qu’ils ne savent pas. Dans une certaine mesure, ils ne savent probablement pas que le Nunavut est l’un des deux seuls endroits au Canada où il n’y a pas de bureau de l’ombudsman provincial/territorial et ce qu’un tel bureau pourrait faire. Je pense que les bureaucrates, en particulier, ont parfois peur de créer un autre organisme, parce qu’il en existe déjà tellement. Nous avons tellement d’autres institutions ou organismes que cela devrait suffire. Pourtant, les résidants eux-mêmes savent que ce n’est pas suffisant.

Le gouvernement du Nunavut a essayé de mettre en place diverses choses, comme un bureau des relations avec les patients lorsqu’il y a des problèmes touchant les soins médicaux. Beaucoup de gens ne se sentent pas à l’aise de porter plainte ou, s’ils ont déjà essayé de le faire, cela n’aboutit que rarement. La réponse de notre actuel ministre de la Santé au commentaire qu’a fait un député sur le fait qu’il semble y avoir des problèmes de discrimination systémique, même parmi ceux qui travaillent au sein du gouvernement, a suscité de vives critiques. Le ministre a répondu qu’il suffisait de revoir le processus. On lui a rétorqué que le processus lui-même était problématique, parce qu’il est tellement ancré dans le système.

Bien que je comprenne l’utilité de créer une fonction d’ombudsman national autochtone ou les autres entités proposées, le gros du travail consiste à comprendre la situation sur le terrain, ce qui existe, ce qui fonctionne, ce qui ne fonctionne pas, l’intérêt de créer le tribunal des droits de la personne et la nécessité d’établir une commission des droits de la personne au Nunavut. Les deux seraient complémentaires, mais joueraient des rôles distincts. Il y aurait de la valeur et un bien-fondé à créer un bureau de l’ombudsman territorial. Comment fonctionnerait-il et quelle serait sa place dans le paysage global? Dans quelles provinces y a-t-il un modèle qui fonctionne bien? Quel est le meilleur modèle?

Je suis une personne très pragmatique. Je ne suis généralement pas très favorable à la création d’une autre structure, mais il y a des besoins à combler et il y aurait de la valeur à ce projet, parce qu’on constate une lacune importante. Comment faire pour que cela fonctionne bien? Je suis tout à fait convaincue que la simple existence d’organismes capables d’obliger les gouvernements ou les auteurs de violations de droits de la personne à rendre des comptes peut inciter les employeurs ou les diverses entités à hésiter un peu plus avant de porter atteinte à ces droits. Toutefois, s’il n’y a pas de conséquences à la violation des droits, parce que ces organismes n’ont pas d’autres pouvoirs que de mettre le problème en lumière, de faire des recommandations et de rédiger des rapports qui ne généreront pas de réels changements, c’est un problème. Je crois fermement qu’il ne faut pas adopter l’approche du bâton, mais qu’il faut faire comprendre à nos dirigeants, à notre gouvernement et à nos organisations inuites qu’il s’agit d’une bonne chose. Cela fonctionne bien et améliore la vie des citoyens là où ces structures existent, de sorte que le jeu en vaut la chandelle.

Le sénateur Prosper : Merci.

Le président : Madame Redfern, pouvez-vous me dire quels types de services existent au Nunavut pour les femmes et les enfants inuits susceptibles d’être victimes de violence?

Mme Redfern : Il y a un petit nombre de refuges, mais pas dans toutes les collectivités. À Iqaluit, nous avons la chance d’avoir un refuge qui a également élargi ses services pour offrir des logements de transition. J’ai été heureuse d’y contribuer. Cette ressource a été créée pour savoir comment obtenir un logement abordable de la SCHL et faire ces demandes. Le problème, c’est que bon nombre de nos collectivités n’ont pas de refuge. Depuis la pandémie de COVID, certains de nos centres de santé, qui sont habituellement visités par une infirmière d’agence, ne sont même pas ouverts. Les gens vivent dans des localités où, au mieux, ils peuvent faire un appel téléphonique. Il y a bel et bien des services à la famille, et bien souvent, notre refuge d’Iqaluit accueille les femmes d’autres collectivités, surtout si la police a établi qu’une femme et ses enfants sont tellement à risque qu’ils ne peuvent pas rester dans leur milieu. Il n’y a tout simplement pas assez de place, et les victimes finissent par rester dans des situations de violence. Nous avons la Loi sur l’intervention en matière de violence familiale, qui est censée permettre aux victimes de faire sortir de la maison la personne qui cause des préjudices, mais il est très difficile d’y avoir accès et de la faire respecter.

Malheureusement, la grande majorité des cas de violence familiale se produit quand la personne est sous l’emprise de l’alcool. Quand ils ne sont pas dans cet état, ces individus sont aimants. C’est un peu comme la situation de Dr Jekyll et M. Hyde. C’est difficile quand la personne est sobre, car elle est sans abri ou sa partenaire veut être avec elle. Nous n’avons pas encore de centre de traitement de la toxicomanie. Nous sommes en train d’en bâtir un, mais nous n’y avons pas encore accès. Il s’agit d’une particularité des Autochtones ou des Inuits, mais nos hommes qui ont des problèmes de toxicomanie, qui souffrent de traumatismes intergénérationnels et qui se sentent impuissants — des sentiments qui sont fortement exacerbés par l’alcool surtout, ou encore par d’autres substances — deviennent souvent très instables, blessés et en colère. Ils s’emportent souvent et font du mal à leurs êtres chers. Nous devons également veiller à leur offrir des services, parce que ce sont nos frères, nos pères, nos fils, nos cousins et nos neveux. Même si je comprends la tendance naturelle à s’attarder aux femmes et aux enfants, nous avons souvent entendu nos femmes, nos mères, nos sœurs et nos filles dire que « nous devons aider nos hommes. »

Le président : Je vous remercie.

Comment un mécanisme national pourrait-il chapeauter les diverses lois autochtones? Pouvez-vous nous donner des exemples propres aux Inuits?

Mme Redfern : C’est une question difficile. J’ai travaillé au sein d’un certain nombre d’organismes nationaux. Il existe de nombreuses distinctions entre les Premières Nations, les Inuits et les Métis, et même au sein des régions et des collectivités inuites. Cela dit, il faut être représenté au sein de cet organisme national, et peut-être même avoir une sorte de bureau secondaire. C’est ainsi qu’a été abordée la réconciliation nationale sur les pensionnats. Un sous-comité a été formé puisqu’il y a des distinctions régionales et chez les Inuits.

La seule véritable distinction dont j’ai été témoin et qui a été officiellement légalisée, c’est l’adoption selon les coutumes inuites. Je crois savoir que d’autres nations autochtones au Canada pratiquent elles aussi l’adoption selon les coutumes autochtones. Nous l’avons inscrit dans la loi, mais peut-être pas aussi bien que nous l’aurions pu. Nous avons aussi des traités qui ont été signés, des ententes sur les revendications territoriales, mais ils contiennent très peu d’éléments sur les droits sociaux ou culturels. Ils sont axés sur les territoires et les ressources.

Sur un autre sujet, j’ai été très choquée et déçue que ma propre organisation de revendications territoriales décide que nos droits sont collectifs plutôt qu’individuels. Les membres ont beaucoup de mal à obtenir l’aide de notre organisation inuite lorsque nos droits individuels sont violés, comme l’emploi. Vous pouvez imaginer à quoi ressemblerait l’ensemble des lois canadiennes si nous choisissions d’interpréter ainsi les droits des Canadiens garantis par la Charte, de sorte que les droits individuels de tout le monde ou d’un énorme groupe devraient avoir été violés avant de pouvoir présenter une demande. Non. Nous bénéficions de nombreux droits garantis par la Charte étant donné qu’une personne a poursuivi le gouvernement devant les tribunaux, puis que la cour a déterminé non seulement que les droits de cette personne ont été violés, mais aussi que nos droits à tous ont été menacés. Des ajustements énormes ont été apportés à la façon dont les services de police ou l’État doivent se comporter en raison des décisions de la Cour suprême du Canada découlant de la Charte.

Pour revenir à votre question initiale, nous devons bel et bien être représentés à ce conseil national. Des bureaux secondaires seront probablement nécessaires.

Le président : Je vous remercie de cette réponse.

La sénatrice Audette : [mots prononcés dans une langue autochtone] Ces mots veulent dire « mon chef. » Ils nécessitent deux pages. C’est une longue expression. Je vous remercie beaucoup, madame Redfern. Je vous suis sur Twitter et ailleurs. Votre contenu est rafraîchissant. Vos propos sont très intéressants et pertinents.

Nous ignorons ce qui va se passer. Il y a deux rapports qui s’en viennent, notamment du rapporteur spécial ou représentant spécial du ministre, et de cet organisme, qui avait le mandat de plancher sur les deux appels à la justice, soit 1.7 et 1.10. Nous sommes au début de ce que l’avenir pourrait nous réserver. Je tiens à ce que nos chemins se croisent encore une fois, parce que vos connaissances et votre expertise sont très importantes. Ma mère, les autres femmes de notre nation et moi tentons toujours de préserver l’équilibre entre les droits individuels et collectifs, et nous encourageons la non-violence chez nos hommes. Nous avons besoin qu’ils nous protègent et qu’ils protègent la communauté. Par contre, il y a des organisations politiques ou des organismes de défense qui détiennent nos droits. Comment pouvons-nous trouver le juste équilibre? Un jour, nous pourrons présenter un projet de loi ou une législation pour montrer à quoi cela pourrait ressembler. Nous avons pour mandat de déposer un projet de loi, de modifier des dispositions, de les améliorer ou d’y mettre un terme. Nous avons cette capacité, ou cette passion, pour ma part. Il serait bon de vous convoquer à nouveau bien avant cela, bien sûr. Mais lorsque nous serons prêts, nous devons nous assurer de trouver un juste équilibre entre les dirigeants de votre peuple et les communautés, les gens qui travaillent tous les jours pour protéger les femmes, les enfants et les hommes. Je suis impressionnée. Je vous remercie beaucoup.

Mme Redfern : La façon dont vous érigez le cadre ou le bureau est extrêmement importante étant donné qu’elle en dictera habituellement le fonctionnement pendant très longtemps. Nous devons bien faire les choses, car il est parfois beaucoup plus difficile d’apporter des ajustements et des changements lorsque c’est en place. Il y a une véritable propension à dire — et je suis ici depuis longtemps — que « c’est ainsi que nous faisons les choses, et ce sera toujours ainsi. » Il est important et nécessaire d’admettre que ces nouvelles entités ont besoin de la participation des personnes qu’elles tentent d’aider, et qu’elles doivent s’adapter en conséquence. Souvent, bon nombre des évaluations prennent tout simplement la forme d’auto-évaluations. Je suis toujours étonnée et choquée de voir à quel point les gouvernements dialoguent peu avec les gens qu’ils servent dans le cadre du processus d’évaluation. C’est étrange. En fait, le processus d’évaluation se limite à dire : « Nous faisons un bon travail, et dans le cas contraire, ce n’est pas notre faute. » Tellement de choses peuvent être contraintes par l’attitude, les préjudices ou les préjugés.

Même lorsque j’examine une chose comme l’arrêt Gladue, de la Cour suprême du Canada, qui visait à lutter contre le racisme systémique, je constate que celui-ci s’attarde à l’individu. Oui, ce sera bien sûr fait lors de la détermination de la peine avec les circonstances atténuantes et aggravantes, peu importe qui est devant vous. Or, je suis étonnée que Gladue ne traite pas de ce que nous sommes censés faire du racisme systémique au sein de nos forces de police, du bureau du procureur de la Couronne, du système juridique ou de tous les autres systèmes en raison duquel une personne a des démêlés avec la justice. Je suis encore tout à fait déconcertée que cette décision refuse pratiquement d’examiner et de lutter contre les préjugés systémiques internes en raison desquels une personne a des démêlés avec la justice, plutôt que de réussir. La réponse logique serait de réduire la peine. Il est vrai que des peines peuvent être trop longues en raison des préjugés, mais les responsables refusent souvent d’effectuer une réflexion personnelle des plus importante.

Ce que je dis, en réponse à la sénatrice, c’est que même si vous créez une telle entité, vous devez être prêts à reconnaître que ce ne sera pas parfait et que vous devrez continuellement faire cette auto-évaluation à l’aide des gens que vous essayez de servir. Le bureau de l’ombudsman pourrait jouer un rôle tellement important, et vous avez besoin de cette rétroaction. C’est vrai. Vous devez être prêts à admettre que vous ne faites pas toujours bien les choses et à apporter des ajustements et des changements en conséquence.

Le président : Madame Redfern, un éventuel organisme de défense des droits de la personne devrait-il être en mesure de rendre des ordonnances afin d’imposer une obligation positive de protéger la sécurité de la personne, comme dans le cas de la pauvreté ou d’autres situations? Comment un éventuel bureau peut-il tenir compte des droits culturels et sociaux?

Mme Redfern : La réponse facile est tout à fait, oui. Je pense à la poursuite de Cindy Blackstock. Beaucoup de temps et d’argent ont été gaspillés sans cesse pour même en arriver là. Ensuite, le gouvernement était prêt à accepter la décision et à prendre des engagements financiers à l’égard du principe de Jordan pour remédier à la discrimination systémique que les enfants autochtones ont subie par manque de soutien et même d’aide équitable. Je crois fermement — c’est ce que mon expérience et la recherche démontrent — qu’en investissant en amont, vous aiderez le plus souvent les gens à réussir, alors que vous dépenseriez beaucoup plus d’argent à l’autre extrême, dans le système de justice pénale et le système de soins de santé.

La plupart du temps, les enfants et les peuples autochtones veulent la même chose que tout le monde. Ils souhaitent se sentir en sécurité. Ils ne veulent pas se rendre à un bureau de médecin ou un hôpital et être oubliés dans la salle d’attente, ou que le personnel ne croit pas leurs symptômes et pense qu’ils tentent en réalité d’obtenir de la drogue pour se sentir mieux. Si je souffre, bien sûr que je veux un médicament pour alléger ma douleur. C’est vrai pour tout le monde. La personne est en douleur. Les Autochtones veulent que leur maladie sous-jacente ou leurs blessures soient évaluées et traitées comme il se doit.

En présence de risques réels et de préjudices, nous avons besoin d’une chose comme une ordonnance du tribunal disant au gouvernement qu’il doit régler le problème, et arrêter de causer du tort aux personnes. Si cela nécessite un décret proactif et positif, qu’il en soit ainsi. C’est ce que nous faisons avec la Charte. Quand une personne sourde et muette va à l’hôpital, les tribunaux affirment qu’ils ont droit à un interprète. Ils ont le droit d’être en mesure de communiquer avec leur médecin afin que celui-ci comprenne leur maladie, leur trouble ou leur blessure et puisse les traiter. Une ordonnance du tribunal dit que les personnes handicapées devraient tout à fait pouvoir monter à bord d’un train. Les décrets positifs sont souvent la seule façon d’inciter la personne qui cause le préjudice à rectifier le tir. S’il s’agit tout simplement de remarquer qu’une personne s’expose à un risque, une indemnisation individuelle pourrait leur être offerte, mais personne d’autre ne devrait jamais être exposé au même type de risque et de préjudice. Ce n’est pas acceptable.

Le sénateur Prosper : Le dialogue est très enrichissant, et je vous remercie de discuter avec nous aujourd’hui.

Vous avez mentionné plus tôt, et encore maintenant dans votre réponse, la nécessité de bien faire les choses lors de la mise sur pied d’un cadre comme celui-ci. J’ai aimé vos observations sur les évaluations. Parfois, il est important que le gouvernement mette à contribution les personnes auxquelles ces services sont destinés pour évaluer le type de service offert et la manière de procéder. Soyons réalistes, il est toujours possible d’approuver des éléments.

En ce qui a trait à l’évaluation, c’est peut-être une question injuste, mais je veux essayer. Si nous regardions l’avenir et présumions que le cadre est établi et sur pied — et qu’une évaluation révélait que les choses ont été faites correctement —, quels sont les indicateurs, à votre avis, que vous verriez apparaître et qui me porteraient à croire que vous êtes sur la bonne voie? Pourriez-vous nous en parler?

Mme Redfern : L’une des choses qui seraient extrêmement utiles, lorsque vous aurez terminé la séance d’orientation et de formation aux bureaux existants de l’ombudsman sur notre histoire et la réalité autochtone, ce serait de rendre ces lieux beaucoup plus accessibles aux peuples autochtones. Dans le cas contraire, il faudrait pouvoir se rendre à un bureau national de l’ombudsman autochtone et dire qu’il y a un vrai problème. J’espère bien que non, mais vous constaterez peut-être que les Autochtones n’y ont pas accès. C’est un problème.

Il faut aussi mettre en commun les ressources pour éviter de dédoubler les 11 séances d’orientation et de formation qui existent déjà. Il y a peut-être des choses qui devront être adaptées à l’Alberta ou au Yukon, étant donné que ce sont des régions distinctes ayant des cultures et des valeurs propres. Si des choses fonctionnent bien — les leçons tirées par des ombudsmans provinciaux et territoriaux, où des Autochtones se présentent et qu’il faut mettre en lumière l’origine des préjugés systémiques, de la discrimination et des préjudices —, il est important de divulguer l’information aux autres provinces et territoires.

Je ne veux pas nécessairement qualifier le tout de système judiciaire ou de système purement politique, mais ce réseau est nécessaire et valable. Je ne sais pas à quel point le réseau interagit déjà, mais je soupçonne que certains bureaux visent la réconciliation avec les Autochtones, alors que d’autres ne le font peut-être pas. J’ai affaire à de nombreuses organisations nationales qui s’occupent de toutes sortes de dossiers différents, qu’il s’agisse du logement ou des études postsecondaires. Nous avons tous du mal à saisir ce que signifie réellement la réconciliation avec les Autochtones dans les faits. Comment pouvons-nous y être plus attentifs et sensibles, et ajuster notre travail en conséquence? Les femmes autochtones sont allées jusqu’à l’ONU lorsqu’elles ont été victimes de discrimination en perdant leur appartenance à la bande et leur statut d’Indien, qui est une grande part de l’identité, en raison de la Loi sur les Indiens.

Il est valable et pertinent d’avoir des mécanismes qui sont idéalement harmonisés, mais qui sont au besoin assez distincts pour pouvoir travailler à un dossier avec une province ou un territoire lorsque les choses ne fonctionnent pas aussi bien qu’elles le pourraient ou le devraient. Ce sont des systèmes complexes et compliqués qui comportent de nombreuses facettes. Cela ne signifie pas que ce n’est pas possible ou réalisable. Nous voyons ces mécanismes fonctionner de toutes sortes de façons merveilleusement compliquées. Nous nous penchons sur ce qui existe actuellement et ce qui fonctionne le mieux.

Lorsque j’ai aidé à mettre sur pied la Commission de vérité du Qikiqtani, nous avons fait un exercice semblable. Nous avons ratissé large en examinant les commissions destinées expressément aux Autochtones non seulement au Canada, mais aussi à l’étranger, et nous avons pris ce que nous croyions être le meilleur. Nous avons alors créé notre propre commission unique, et elle a atteint son objectif. Il est important de faire de vastes recherches initiales. La participation des Autochtones sera bien sûr extrêmement utile. Le mécanisme ne peut pas être une panacée, mais il est possible de repérer une chose à améliorer et de continuer en ce sens chaque année, ou probablement aux trois à cinq ans, pour que ce soit plus gérable. Nous pourrions prendre de l’ampleur et nous adapter lorsque les résultats sont moins bons. Peut-être que nous devons procéder différemment pour que les autres bureaux d’ombudsman qui existent dans les provinces et les territoires y voient une valeur, car c’est vraiment valable. Il faut les aider à comprendre comment et pourquoi ils arrivent ou non à servir leurs citoyens autochtones. Ces ombudsmans provinciaux et territoriaux existent pour une raison.

Il serait intéressant de savoir si certains d’entre eux comptabilisent le nombre d’Autochtones qui s’adressent à eux. S’ils représentent 4 % de la population nationale, de quel pourcentage s’agit-il dans leur territoire? Y a-t-il même des rencontres? Je suppose qu’il y a beaucoup plus de violations des droits de la personne chez les peuples autochtones. Le nombre de personnes qui s’adressent à un ombudsman n’est probablement même pas proportionnel à leur population, mais les Autochtones subissent des torts considérables. Les gens disent être victimes de racisme chaque jour. J’y songeais pendant que je conduisais. C’est le cas de ma fille, de mes petits-enfants, et aussi de mon frère et ma sœur. Il est renversant de constater à quel point il y en a. Il s’agit parfois de microagressions ou d’un manque de respect de faible intensité. D’autres fois, c’est vraiment grave, et il n’y a pas de nombreux endroits légitimes où une personne peut aller. Il est difficile de s’adresser à l’organisme gouvernemental même qui vous fait du tort. C’est un chemin semé d’embûches.

Je ne sais pas si j’ai répondu à votre question.

Le sénateur Prosper : C’est excellent. Je vous remercie.

Le président : C’est une excellente réponse.

Madame Redfern, je vous remercie de votre témoignage aujourd’hui. Je n’ai personne d’autre sur ma liste. Nous avons vraiment beaucoup bénéficié de votre témoignage. C’était très instructif. Si vous voulez faire parvenir plus tard à la greffière des renseignements supplémentaires, vous avez sept jours pour le faire.

C’est ce qui termine notre réunion.

(La séance est levée.)

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