LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES PEUPLES AUTOCHTONES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mercredi 22 novembre 2023
Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd’hui, à 18 h 50 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier les responsabilités constitutionnelles, politiques et juridiques et les obligations envers les Premières Nations, les Inuits et les Métis, ainsi que tout autre sujet concernant les peuples autochtones.
Le sénateur Brian Francis (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Honorables sénateurs, j’aimerais d’abord souligner que nous nous réunissons sur le territoire traditionnel, ancestral et non cédé de la nation algonquine anishinabe, qui abrite maintenant de nombreux autres peuples des Premières Nations, des Métis et des Inuits de toute l’île de la Tortue.
Je suis le sénateur mi’kmaq Brian Francis, d’Epekwitk, aussi connu sous le nom d’Île-du-Prince-Édouard, et je suis le président du Comité des peuples autochtones. Je vais maintenant demander aux membres du comité ici présents de se présenter en mentionnant leur nom et leur province ou territoire.
Le sénateur Arnot : Je m’appelle David Arnot. Je suis un sénateur de la Saskatchewan. Je vis sur le territoire visé par le Traité no 6.
La sénatrice Hartling : Nancy Hartling, sénatrice du Nouveau-Brunswick et du Mi’kma’ki.
La sénatrice Martin : Bonsoir. Yonah Martin, de la Colombie-Britannique.
La sénatrice Sorensen : Karen Sorensen, Alberta, territoire du Traité no 7.
La sénatrice Coyle : Mary Coyle, Antigonish, Nouvelle-Écosse, Mi’kma’ki.
Le président : Merci à vous tous.
Aujourd’hui, nous poursuivons notre étude sur l’efficacité du cadre canadien des droits de la personne pour ce qui est de la promotion, de la protection et de l’exercice des droits des peuples autochtones. Plus précisément, nous examinons la question de savoir si les mécanismes existants peuvent être améliorés ou s’il faut en créer de nouveaux, notamment des mécanismes propres aux Autochtones.
J’aimerais maintenant vous présenter nos témoins : Laura Aguiar, coordonnatrice du projet Iskweu du Foyer pour femmes autochtones de Montréal; Cindy Blackstock, directrice exécutive de la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations; et Krysia Przepiorka, avocate au sein de l’Association du Barreau autochtone.
Wela’lin. Merci à vous toutes d’être parmi nous. Les témoins feront une déclaration préliminaire d’environ cinq minutes, qui sera suivie d’une période de questions et réponses avec les sénateurs. J’invite maintenant Laura Aguiar à faire sa déclaration préliminaire.
Laura Aguiar, coordonnatrice du projet Iskweu, Foyer pour femmes autochtones de Montréal : Bonsoir. Je m’appelle Laura Aguiar, et je suis coordonnatrice du projet Iskweu du Foyer pour femmes autochtones de Montréal. Je vous parle depuis Tiohtià:ke, qui se trouve sur un territoire mohawk non cédé où de nombreux Inuits, Métis et membres des Premières Nations vivent en milieu urbain. Au nom du projet Iskweu et des femmes, des filles, des personnes transgenres, des personnes bispirituelles et des familles auprès desquelles nous travaillons, je vous remercie de nous accorder du temps et une tribune, et de vous intéresser aux femmes, aux filles et aux personnes bispirituelles et autres autochtones disparues et assassinées — les FFADA2E+ — dans le cadre de votre travail.
Le projet Iskweu est une réponse directe à la crise des FFADA2E+ à Montréal. Nous soutenons les femmes, les filles et les personnes transgenres ou bispirituelles autochtones qui sont exposées à des formes de violence très meurtrières, et nous intervenons également dans les cas de disparition ou d’assassinat de femmes, de filles, de personnes transgenres ou de personnes bispirituelles autochtones à Montréal pour veiller à ce que la police prenne les mesures qui s’imposent. Le projet Iskweu a vu le jour en raison des violations répétées des droits de la personne des femmes, des filles, des personnes transgenres et des personnes bispirituelles autochtones dans le contexte de la justice et de l’accès à la sécurité.
Dans le cadre de notre travail auprès des survivantes de la violence et des familles des FFADA2E+, la nécessité de renforcer les mécanismes de protection dans tous les domaines des droits de la personne apparaît de manière extrêmement évidente. Les femmes, les personnes transgenres et les personnes bispirituelles que nous côtoyons ont toutes été victimes de violations répétées des droits de la personne au cours de leur vie, et c’est cela même qui enlève toute véritable chance aux survivantes et qui les pousse dans des situations de violence et d’exploitation. Par exemple, la plupart de ces femmes ont subi dans leur enfance des actes de violence qui tirent leur origine d’un traumatisme intergénérationnel et qui, bien souvent, demeurent non signalés et passent inaperçus. Elles peuvent avoir ensuite vécu des expériences au sein du système de protection de l’enfance qui les ont forcées à quitter leur communauté d’origine, puis une transition difficile du système de protection de l’enfance vers la rue à 18 ans.
Ces violations répétées des droits de la personne se traduisent par une absence de perspectives et placent les femmes devant un faux dilemme : se mettre en danger dans la rue toutes seules ou se mettre en danger avec l’aide d’un proxénète ou d’un bourreau qui peut leur fournir un endroit où dormir et combler leurs besoins fondamentaux. Le message qu’envoient ces violations répétées des droits de la personne aux femmes, aux filles, aux personnes transgenres et aux personnes bispirituelles autochtones, c’est qu’il est normal que leurs droits les plus fondamentaux soient violés.
Cette situation dans laquelle se trouvent les femmes autochtones exposées à la violence les oblige aussi à craindre pour leur survie au quotidien. Les personnes régulièrement exposées à des violations de leurs droits les plus élémentaires — notamment l’accès à la nourriture, à la sécurité, au logement et à des vêtements — n’ont bien souvent pas assez de temps dans une journée pour exercer des recours ou chercher à obtenir justice relativement à ces violations comme l’exigeraient de nombreuses institutions de défense des droits de la personne. C’est pourquoi toute institution de défense des droits de la personne destinée aux Autochtones doit être peu contraignante et facilement accessible pour les personnes plus marginalisées.
Il est également essentiel qu’une institution de ce genre s’emploie à débanaliser la violence faite aux femmes, aux filles, aux personnes transgenres et aux personnes bispirituelles autochtones, et la violation continue des droits de la personne constitue une autre forme de violence coloniale. La mise en place d’un processus permettant d’obtenir justice pour ces violations serait une très bonne façon de procurer un sentiment de justice et d’apaisement à des gens qui reçoivent si rarement ce genre de choses.
Bien souvent, les familles des personnes FFADA2E+ n’ont pas assez de temps pour pleurer la perte d’un être cher, car elles doivent lutter contre les obstacles systémiques et les violations des droits de la personne afin d’obtenir un semblant de justice. Il est impératif de disposer d’une institution qui soit axée sur les personnes survivantes et qui rende des comptes aux communautés, étant entendu que la justice prend une forme différente pour chaque famille et chaque personne survivante.
Comme dans le cas plus général de la crise des personnes FFADA2E+ et de la violence faite aux femmes, aux filles, aux personnes transgenres et aux personnes bispirituelles autochtones, la protection des droits de la personne doit être axée sur la prévention. Tout comme nous ne pouvons pas simplement attendre qu’une autre femme autochtone soit assassinée ou portée disparue pour agir, nous ne devons pas attendre que les droits de la personne des peuples autochtones soient violés pour agir et chercher à obtenir justice.
Merci.
Le président : Merci, madame Aguiar.
Cindy Blackstock, directrice exécutive, Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations : Merci, monsieur le président et membres du comité.
J’ai été aux premières loges de l’une des plus longues affaires en matière de droits de la personne de l’histoire du Canada. Elle concernait l’un des groupes suscitant le plus la sympathie. La question était celle de savoir si nous traitons les enfants de façon équitable dans la prestation des services publics ou si nous donnons moins aux enfants des Premières Nations, même après la fermeture des pensionnats. Le gouvernement du Canada a répondu : « En effet, nous les traitons comme s’ils ne méritent pas d’argent. » Nous avons fourni des données probantes, et nous avons proposé des solutions que le gouvernement a choisi de ne pas mettre en œuvre. Il n’a pas échoué à les mettre en œuvre; il a choisi de ne pas le faire. Par conséquent, nous avons dû nous en remettre à la Loi canadienne sur les droits de la personne. Cette expérience nous a permis de faire un certain nombre d’observations au sujet de la responsabilisation, et je veux les porter à l’attention du comité.
Tout d’abord, on ne peut pas se fier à la logique ou à la moralité d’un gouvernement ou d’une autre institution pour faire respecter les droits de la personne. Dans le cadre de l’affaire en question, le gouvernement du Canada a invoqué dès le départ des motifs de compétence. Il a tenté de faire classer l’affaire à huit occasions en invoquant cet argument, même si ses propres dossiers montraient que des enfants souffraient et même mouraient. Quel que soit le mécanisme que vous mettrez en place, cette stratégie doit être prise en compte. Il ne doit pas permettre que la procédure et les querelles juridiques prennent le pas sur le fond de l’affaire.
La Loi canadienne sur les droits de la personne, par l’entremise du tribunal, a permis de faire un énorme pas en avant en matière de justice pour les enfants des Premières Nations dans cette affaire, mais cela a été rendu possible par le courage d’appliquer de bonnes dispositions législatives dans les limites de la loi. L’une des choses qu’elle a permises, c’est de créer des ordonnances de non-conformité du gouvernement canadien. À l’issue d’un procès de 72 jours, la plainte a été jugée fondée, et le tribunal a rendu sa décision en déclarant : « Mettez fin à la discrimination et empêchez que cela se reproduise ». C’est ce que la plupart des défendeurs auraient fait, mais pas le gouvernement, et il y a eu 20 ordonnances de non-conformité depuis. Donc, quel que soit le mécanisme, il doit avoir le mordant requis pour ordonner une réparation, et il doit aussi avoir le mordant requis pour exiger des comptes relativement à une procédure en matière de non-conformité. À mon avis, une façon d’améliorer la Loi canadienne sur les droits de la personne consisterait à ajouter des sanctions visant ceux qui ne respectent pas les ordonnances judiciaires.
La Loi canadienne sur les droits de la personne devrait prévoir des fonds pour les particuliers qui déposent des plaintes systémiques. Vous avez peut-être entendu parler de la décision Matson, où l’adjudication des dépens n’a pas été autorisée. Pour notre part, nous n’avons pas pu obtenir de financement en vue d’intenter un recours collectif, et même après que nous avons obtenu gain de cause, nous n’avons pas réussi à faire adjuger les dépens contre le Canada. Pourtant, des avocats spécialisés dans les recours collectifs obtiennent des fonds dans le cadre de recours collectif contre le Canada, et souvent ces affaires ne réparent pas l’injustice en matière de droits de la personne. Pour favoriser les activités de défense des droits de la personne qui permettent de remédier au problème et à la discrimination, nous devons assurer l’accès à la justice à l’intérieur même du système de justice grâce à un financement adéquat des frais de justice.
Une autre modification consisterait à mettre à jour la Loi canadienne sur les droits de la personne pour renforcer les dispositions relatives à l’indemnisation. Le montant actuel de 20 000 $ a été fixé en 1998. Même s’il était rajusté en fonction de l’inflation, il devrait être d’environ 36 000 $ en dollars d’aujourd’hui. Dans les cas où l’argent n’est pas vraiment une préoccupation pour l’une des parties, il devrait y avoir des sanctions supplémentaires correspondant à l’ampleur et à la gravité de l’infraction.
J’ajouterais que l’une de vos tâches consiste à protéger ce tribunal et le système des droits de la personne. Au fil des ans, j’ai vu divers gouvernements le vider de sa substance en négligeant de nommer des membres, en réduisant son financement et en prenant toutes sortes de mesures pour neutraliser cet important point d’accès qui permet aux Canadiens, y compris les peuples autochtones, de faire respecter leurs droits de la personne. L’une des principales choses à faire, c’est de maintenir le système tel qu’il est, puis de l’améliorer.
Une autre chose que nous avons constatée au tribunal, c’est que les enfants doivent avoir la possibilité d’intervenir dans le cadre d’affaires systémiques. La Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant garantit aux enfants le droit de témoigner dans le cadre de procédures criminelles et devant un tribunal de la famille, mais il n’existe aucune garantie de ce genre pour ce qui est du témoignage des enfants dans les affaires systémiques. C’est une chose à laquelle vous devez réfléchir dans le cadre de votre travail. Comment faire pour que les enfants puissent se sentir en sécurité et intervenir devant les instances de ce genre?
Il faut aussi prendre en considération les enfants et les familles qui ont besoin d’un accès direct à cela. Nous le faisons au sein de l’organisme que je représente. Nous avons réalisé des gains auprès du gouvernement en ce qui a trait à la conformité, mais il y a encore de graves problèmes de non-conformité relativement au principe de Jordan. Des familles sont venues nous voir et nous ont dit : « Écoutez, nous ne pouvons pas attendre six semaines pour que le processus judiciaire suive son cours, pour qu’il y ait un appel ou pour que les fonctionnaires fassent leur travail. » En fait, nous avons puisé dans nos propres fonds afin de nous assurer, par exemple, qu’une famille n’ait pas à passer les derniers jours de l’un de ses enfants en soins palliatifs à se battre avec le gouvernement. Ce genre de ressources et de mesures empreintes de compassion sont nécessaires pour que les gens n’aient pas à attendre.
Je préconise également que le processus que vous mettrez en place, quel qu’il soit, prévoie des mesures injonctives. Même si nous avons pris le temps lorsque nous avons déposé la plainte en 2007 de concert avec l’Assemblée des Premières Nations, pour obtenir un jugement, cela a pris neuf ans. C’est une génération entière d’enfants. Nous n’avons pas pu changer les choses pour eux pendant cette période. De toute évidence, des mesures injonctives doivent être accessibles pendant de telles périodes.
L’autre point que j’aimerais soulever, c’est qu’il doit y avoir des mesures de protection contre les représailles. La protection contre les représailles offerte par le Canada aux plaignants en matière de droits de la personne ou aux dénonciateurs est l’une des plus faibles. C’est inacceptable. J’ai moi-même subi des représailles de la part du gouvernement du Canada. Ce n’est pas une question d’opinion; c’est une question de dossier judiciaire. Cela a un fort effet dissuasif si des communautés particulièrement vulnérables ne se sentent pas en sécurité lorsqu’elles se présentent devant des instances censées faire respecter leurs droits de la personne ou si des témoins tenus de participer à un tel processus ont l’impression que le gouvernement ou une autre entité va réduire leur financement.
Il y a un groupe formidable appelé Front Line Defenders. Je vous recommande fortement de prendre contact avec cet organisme international pour comprendre comment il est possible d’enchâsser dans le droit canadien et dans le système des droits de la personne lui-même des mesures pour protéger les personnes, interdire les représailles et autoriser les injonctions.
Dans mon cas particulier, le Canada surveillait mes actions en ligne, me suivait, prenait des notes au sujet des réunions auxquelles j’assistais, et cetera. Cela a duré de nombreuses années, mais l’ordonnance n’a été rendue que quatre ou cinq ans après cela. Entretemps, il n’y avait rien pour arrêter le Canada. Même lorsque l’ordonnance a été rendue en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne, on a seulement pu m’octroyer un dédommagement. Il n’y a pas eu d’ordonnance pour mettre fin à ce comportement. Il est important pour le comité de se pencher là-dessus.
Enfin, il est important que le processus soit clair et accessible. Au moment où nous avons déposé la plainte, selon la campagne de relations publiques, il s’agissait d’un processus convivial pour les citoyens. Je me suis dit : « Oh, c’est bien », car à l’époque, je n’avais pas de diplôme en droit. J’en ai obtenu un plus tard, mais je n’en avais pas à ce moment-là. Si le processus est trop obscur, les gens ne pourront pas y participer. Ce qui est naturel pour les avocats ne l’est pas nécessairement pour les citoyens. Le Canada va mettre à vos trousses le plus gros cabinet d’avocats — c’est-à-dire le ministère de la Justice —, et il va vous inonder de questions de compétence, de procédure et de divulgation et de toutes sortes de choses de ce genre. L’application régulière de la loi est importante, mais il faut trouver un moyen de rendre cela accessible de manière à ce que même une personne qui n’est pas représentée puisse avoir accès à la justice devant cette instance.
Surtout, il y a une chose que je vous demanderais de ne pas faire, et c’est de présenter un autre cheval de Troie ou un tigre de papier. J’ai vu beaucoup trop de défenseurs des droits sans mordant. Ils formulent des recommandations qui dorment ensuite sur les tablettes, qui ne changent jamais la vie des gens et qui ne remédient jamais à la discrimination. Le recours à ce genre de procédure officielle en vue de masquer toute action doit être rejeté. Si on nous dit : « Nous allons trouver quelqu’un qui pourra aller écouter les gens », je répondrai que ce n’est pas ce dont nous avons besoin. Nous avons déjà fait ce travail. Nous connaissons les solutions. C’est là qu’entrent en jeu les appels à la justice de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. Ce qu’il nous faut, c’est quelqu’un qui est prêt à intenter des poursuites systémiques et des poursuites particulières, selon les besoins, quand les gouvernements n’améliorent pas les choses alors qu’ils pourraient le faire.
Merci.
Le président : Merci, madame Blackstock.
Me Krysia Przepiorka, avocate, Association du Barreau autochtone : Bonsoir. Je m’appelle Krysia Przepiorka. Je suis avocate criminaliste à Calgary, en Alberta, et je suis membre de l’Association du Barreau autochtone, ou l’ABA.
Ce que souhaite dire l’ABA, c’est qu’il est préoccupant qu’on n’ait pas cherché à faire appel à elle ni à la consulter. Ses membres exercent le droit dans un large éventail de cabinets partout au Canada et sont prêts à coopérer. Toutefois, elle constate que, à ce jour, on n’a pas fait appel aux services juridiques de ses membres.
Voilà ce que nous avons à dire pour l’instant. Merci.
Le président : Merci, maître Przepiorka.
Nous allons passer aux questions des sénateurs. Compte tenu du temps dont nous disposons et par souci d’équité envers tous, chaque sénateur disposera de cinq minutes pour une question et une réponse, et il y aura une deuxième série de questions si le temps le permet.
Je vais commencer par poser une question à Mme Blackstock et à quiconque veut y répondre. Des témoins nous ont dit que les systèmes mis en place par les institutions des droits de la personne ne sont pas adaptés sur le plan culturel et ne tiennent pas compte des traumatismes. Vous avez aussi mentionné des lacunes en ce qui concerne la participation des enfants dans le cadre des procédures de ce genre et le traitement qui leur est réservé. À votre avis, que pourrait-on faire pour améliorer le fonctionnement des institutions dans ces contextes?
Mme Blackstock : Nous avons eu de la chance. Nous avons déposé la plainte en 2007. Vous vous souviendrez peut-être que la Loi canadienne sur les droits de la personne comportait à ce moment-là une disposition interdisant toute poursuite liée à la Loi sur les Indiens. Elle n’a été abrogée qu’en 2009, de sorte que notre plainte a littéralement été la première à se rendre devant le tribunal. Nous avons eu de la chance, car les membres du tribunal ont permis la tenue d’une cérémonie, autorisé le témoignage des aînés, adopté les lignes directrices relatives aux Autochtones de la Cour fédérale comme pratique courante et permis la participation des enfants. Je sais qu’il est encore saisi de l’affaire, mais selon moi, il serait utile d’étudier cette affaire pour voir comment le tribunal a adapté la salle d’audience en vue d’accueillir les Autochtones et les enfants. Il ne s’agissait pas seulement d’enfants des Premières Nations. Il s’agissait d’enfants de divers horizons qui se sont présentés à cet endroit et qui se sont sentis à l’aise. Je pense que c’est important.
L’autre chose que je dirais, c’est que nous avons pu transporter cet esprit devant la Cour fédérale. En l’occurrence, certains ont dit que le tribunal des droits de la personne était hors de contrôle. J’ai lu des choses de ce genre dans les journaux. Eh bien, la vérité, c’est que nous avons comparu sept fois devant la Cour fédérale, et qu’elle a confirmé chaque fois ses décisions. Nous avons même comparu devant la Cour d’appel fédérale, et ses décisions ont été maintenues. Il ne s’agit donc pas d’un tribunal hors de contrôle. Ses décisions sont bien fondées en droit. En fait, ses pratiques ont été adoptées par la Cour fédérale, de sorte que nous avons pu amener des enfants devant la Cour fédérale. Nous avons pu tenir une cérémonie à la Cour fédérale et à la Cour d’appel fédérale. Il y a donc assurément une façon de faire cela s’il y a une ouverture d’esprit et un espace accueillant au sein de l’appareil judiciaire.
Le président : Merci, madame Blackstock.
Mme Aguiar : Dans le cadre du projet Iskweu, nous entendons très souvent les familles nous parler de ce dont Mme Blackstock vient de parler, soit les belles paroles quant au fait que nous devons constamment raconter notre histoire et que des gens veulent vous écouter et nous parler. Cela peut être très dommageable pour les gens lorsqu’il n’y a pas de suivi ou de mesures concrètes. À mon avis, le fait de devoir faire cela risque fort de causer un traumatisme ou un nouveau traumatisme aux familles. Je crois qu’il est vraiment impératif que les gens puissent éprouver un certain sentiment d’apaisement ou de justice, et qu’un mécanisme de responsabilisation adéquat fasse en sorte que cela se produise.
Le président : Maître Przepiorka, avez-vous un commentaire à faire?
Me Przepiorka : Non. Merci, monsieur.
Le sénateur Arnot : Merci beaucoup aux témoins d’être venus ici ce soir. Je pense que vous formez un excellent groupe.
J’aimerais que chacun d’entre vous réponde à ma question pour m’aider à comprendre quelque chose. À mes yeux, l’actuel système des droits de la personne au Canada est un modèle colonial. Selon moi, les poursuites relèvent d’un modèle colonial. Je comprends que les avocats plaidants aiment plaider. C’est leur métier. L’affaire à laquelle vous avez participé, madame Blackstock, représente à mes yeux un exemple typique d’échec lamentable du système des droits de la personne.
Ma question est donc la suivante. Je pense que nous avons la possibilité de créer un poste d’ombudsman national des droits de la personne et un tribunal national des droits de la personne distincts du modèle actuel, qui repose sur la Loi canadienne sur les droits de la personne et la Commission canadienne des droits de la personne. Il serait conçu de telle sorte qu’il ne reproduirait pas la pensée coloniale ni un modèle colonial, où l’unique solution consiste à intenter des poursuites et à plaider sa cause. Je crois qu’il y a une occasion d’instaurer la médiation et d’utiliser d’autres outils de résolution de problèmes afin de traiter les questions qui touchent les Autochtones de façon beaucoup plus efficace et rapide et d’éviter de faire traîner les choses pendant une quinzaine d’années. J’aimerais savoir ce que vous en pensez.
Madame Blackstock, je pense que vous êtes probablement la meilleure personne au Canada pour nous dire comment faire les choses différemment ou comment créer un mécanisme complètement différent, un mécanisme respectueux et conçu par les peuples autochtones pour être appliqué aux peuples autochtones. J’aimerais avoir votre avis sur cette façon de voir les choses, car je vois là une occasion de faire quelque chose de tout à fait différent. Je pense que vous dites en quelque sorte que le système actuel pourrait être corrigé grâce à huit ou dix mesures, et que ce serait peut-être une façon adéquate d’aborder la question par opposition à quelque chose de différent. Ce qui est différent, c’est que tous les éléments mentionnés sont très axés sur les procédures judiciaires, par exemple les mesures injonctives.
J’ai simplement besoin de l’avis de tous les témoins sur ce que devrait être ce modèle et sur la façon d’éviter qu’il s’agisse simplement d’un autre modèle colonial qui ne répond pas vraiment aux besoins des peuples autochtones et qui, en fait, ne répond pas vraiment aux besoins des Canadiens.
Mme Blackstock : En fait, nous avons essayé la médiation. Nous avons essayé les cercles. Nous avons essayé les rapports. Nous avons discuté avec le gouvernement. Nous avons élaboré les solutions de concert avec le gouvernement. Il a choisi de ne pas les mettre en œuvre. Sheila Fraser, la vérificatrice générale de l’époque, a confirmé de façon indépendante nos constatations au sujet de l’inégalité.
La question qui se pose est la suivante : si vous n’intentez pas de poursuite contre celui qui choisit de ne pas remédier à la discrimination, quelle autre solution s’offre à vous? Je pense que l’outil du recours aux tribunaux est nécessaire. En fait, pour notre part, avant d’intenter une poursuite, nous avons essayé pendant 10 ans d’amener le Canada à agir pour atténuer les torts causés aux enfants. Toutefois, lorsqu’il est devenu évident qu’il ne le ferait pas, nous avions le devoir envers nos enfants d’intenter une poursuite. Puis, à plusieurs reprises dans le cadre de la procédure, nous avons eu recours à la médiation. Ou bien le Canada a opposé un refus, ou bien il s’est contenté de belles paroles sans se conformer. C’est ce qui a mené à cela. Je ne suis pas en train de dire que cela ne peut pas englober d’autres processus, mais lorsque la partie adverse est campée sur ses positions et refuse de faire quelque chose, les cercles de discussion ne fonctionneront pas. La médiation ne fonctionnera pas. Il est donc peut-être nécessaire de disposer d’une liste plus complète d’options pouvant être retenues dans des situations données. C’est ce que je conseillerais.
Le sénateur Arnot : Il pourrait donc y avoir une série de processus complètement différents, mais qui comprendrait un processus de poursuites plus convivial.
Mme Blackstock : C’est exact. Je pense que nous devons prendre du recul et examiner cela. Grâce à cette mesure législative, nous avons pu offrir aux enfants des Premières Nations plus de trois millions de services qui, autrement, leur auraient été refusés. Pour la première fois dans l’histoire, on investit beaucoup d’argent pour faire en sorte que les familles des Premières Nations demeurent unies. Cela ne s’était jamais produit au cours des 150 années précédentes, même si des recommandations avaient été formulées en vue de remédier à ces inégalités.
Le président : Maître Przepiorka ou madame Aguiar, avez-vous un commentaire à formuler?
Me Przepiorka : Oui, merci, monsieur.
Je peux peut-être aborder la question d’un niveau inférieur. Je me concentre sur la criminalité. Le tribunal autochtone de Calgary est l’une des choses que la Ville a lancées depuis 2019. Le rôle de ce tribunal est d’adopter une approche thérapeutique et holistique qui permet aux personnes dans le système de justice de passer d’un tribunal ordinaire à une audience spécialisée. Lorsque l’on entre dans cette salle d’audience, la séance s’ouvre par une purification et par la prière d’un aîné. La salle est aménagée de manière à ce que tout le monde soit au même niveau — elle est circulaire —, de sorte que tout le monde ait une voix égale, pour ainsi dire, au sein de ce tribunal.
En ce qui concerne l’aspect fonctionnel de ce tribunal, une équipe de gestion des cas a été mise sur pied pour servir de ressource dans la collectivité et permettre aux participants de ce tribunal de suivre une thérapie, que ce soit pour le traitement d’un traumatisme, de la toxicomanie ou d’un TSPT traumatisant. Il y a dans la communauté des ressources qui sont liées à ce tribunal. Tout cela se fait sans financement gouvernemental, mais l’équipe a été créée par le tribunal même. En réalité, c’était pour permettre aux participants de se faire entendre. Ils se présentent devant le tribunal. Ils parlent de ce qu’ils vivent. Ils parlent des progrès qu’ils ont faits. Toutes les deux semaines, ils viennent informer les tribunaux.
Ce tribunal offre également des cercles de responsabilité, ou de conciliation, et ceux-ci font partie de la table de gestion des cas avec les ressources. Ils permettent également au participant, et, au dossier, il s’agirait du plaignant… que ce soit une affaire conjugale, de relation intime, familiale ou touchant la collectivité en général, à l’aspect conciliation ou guérison de devenir plus importants que les participants eux-mêmes.
En outre, si le plaignant dans un dossier ne veut pas participer, une option lui permet de continuer sur cette voie et de devenir un membre significatif et utile de la société. On est en mesure de trouver des substituts pour intervenir et permettre le déroulement de ce processus.
Alors, même si c’est à petite échelle, une partie de ce travail a déjà commencé dans notre système de justice, mais c’est toujours dans le contexte des litiges. Je ne sais pas si cette réponse a été utile, mais c’était le meilleur exemple que je pouvais vous donner. Merci.
Le président : Merci.
Mme Aguiar : D’après notre travail avec les familles des FFADA et avec les survivants, encore une fois, les gens avec qui nous travaillons essaient simplement de survivre chaque jour. Au niveau le plus fondamental, leurs droits les plus fondamentaux ne sont pas respectés. Il s’agit en réalité de demander à beaucoup de ces gens, ces survivants avec qui nous travaillons, de s’asseoir et de participer à un processus de médiation ou même d’assister à une cérémonie. Bien souvent, on demande aux personnes d’être sobres à la cérémonie, par exemple. Beaucoup de gens avec qui nous travaillons sont même exclus des activités culturelles, alors que ce sont probablement eux qui en ont le plus besoin. Dans le cas d’un membre de la famille d’une personne disparue, assassinée ou faisant face à beaucoup de violence, ou toutes ces choses, au lieu d’attendre qu’il se manifeste, nous devons commencer à nous attaquer de façon proactive à ces violations afin que les gens n’aient pas à se battre simplement pour que leurs besoins les plus fondamentaux soient satisfaits.
Dans le cadre de notre travail à Iskweu, nous essayons vraiment de centrer les gens qui font face à la plus grande marginalisation, aux multiples formes de marginalisation qui se recoupent, et de leur donner accès à leurs droits de la personne les plus fondamentaux. C’est une grande question, et il est difficile pour les gens de pouvoir participer à ces processus lorsqu’ils se battent simplement pour survivre chaque jour.
Nous savons très bien ce qui doit arriver aux personnes qui sont dans des situations de survie, dans des situations de violence où le risque de mortalité est élevé. Les appels à la justice sont accessibles. Il faut des mesures de responsabilisation plus rigoureuses pour veiller à ce qu’ils soient mis en œuvre adéquatement. Merci.
Le président : Merci, madame Aguiar.
La sénatrice Sorensen : Ma première question s’adresse à Mme Aguiar. J’aimerais parler un peu du refuge que vous exploitez, si j’ai bien compris. Si mes notes sont exactes, vous offrez des services exclusivement aux femmes autochtones et à leurs enfants?
Mme Aguiar : Oui, le Foyer pour femmes autochtones de Montréal est l’organisme avec lequel Iskweu est géré, mais notre service est davantage axé sur la sensibilisation. Nous ne travaillons donc pas au refuge, mais, actuellement, le refuge est la seule ressource à Montréal où les femmes autochtones et leurs enfants peuvent se rendre.
La sénatrice Sorensen : Je vais poser ma question en sachant que vous ne travaillez peut-être pas directement avec cet aspect. Je suis curieuse de savoir ce qui arrive à un enfant qui se retrouve dans un refuge — c’est traumatisant pour n’importe quelle mère et n’importe quel enfant — dans la situation où les familles autochtones ne reçoivent souvent pas les mêmes services que d’autres personnes… qu’arrive-t-il à un enfant qui se retrouve dans un refuge, surtout s’il avait des besoins particuliers, comme des besoins de santé ou des besoins spéciaux en matière d’éducation? Les enfants qui vivent dans un refuge ont-ils accès à l’éducation et à des services médicaux? Dans le contexte de notre conversation de ce soir, je parle des enfants autochtones.
Mme Aguiar : Exact. Dans le contexte des enfants qui vivent dans des refuges, il est extrêmement difficile de trouver un refuge qui prendrait une mère avec des enfants.
La sénatrice Sorensen : D’accord.
Mme Aguiar : Et c’est en présumant qu’elle n’en a qu’un ou deux. Si quelqu’un a quatre, cinq ou six enfants, il est très difficile de trouver un refuge qui puisse les accueillir tous et répondre à leurs besoins culturels en tant que famille autochtone.
Par exemple, au Québec, les survivantes de violence familiale se font retirer leurs enfants parce qu’ils sont exposés à de la violence familiale. Cependant, la mère ne se verrait pas offrir le soutien nécessaire pour qu’elle puisse quitter cette relation, trouver un logement et trouver une stabilité financière afin d’emmener ses enfants en lieu sûr. Les mères sont placées dans une position tout à fait impossible pour ce qui est de trouver un refuge.
La sénatrice Sorensen : Je vous remercie de cette réponse.
Ma prochaine question s’adresse à Mme Blackstock. Je tiens à m’excuser de mon ignorance concernant cette histoire. Je suis là pour apprendre, alors je vais poser des questions auxquelles je ne connais tout simplement pas les réponses. J’ai bien aimé votre déclaration préliminaire. Je crois savoir qu’il y a eu une affaire qui remonte à 2007. Selon les notes que j’ai sous les yeux, il s’agissait d’une décision historique. Je crois comprendre que, quelle qu’ait été la décision rendue quant à ce qu’il fallait faire à propos de cette affaire, on n’y a pas donné suite.
Mme Blackstock : Exact.
La sénatrice Sorensen : Une dernière chose, puis je vous laisserai répondre. Je remarque également que vous mentionnez le gouvernement. Depuis, il y a eu différents gouvernements. Ce que j’entends dire, c’est que, peu importe le gouvernement, les solutions ne sont pas apportées, la responsabilité n’est pas assumée et les comptes ne sont pas rendus.
Mme Blackstock : C’est exact. Si l’on conçoit un bon système des droits de la personne, il doit être efficace, peu importe qui est au gouvernement.
La sénatrice Sorensen : Oui, il faut éliminer la partisanerie.
Mme Blackstock : Exactement.
L’affaire en soi concernant une situation où le gouvernement du Canada finançait les services publics destinés aux enfants des Premières nations et le faisait à un rythme beaucoup moins soutenu que pour n’importe qui d’autre. Cette situation, à laquelle s’ajoutait le traumatisme causé par les pensionnats, faisait en sorte que le taux auquel les enfants des Premières Nations étaient séparés de leur famille était plus élevé que dans les pensionnats; il était de six à sept fois plus élevé que celui des autres enfants à l’époque.
Lorsque nous avons rédigé ce rapport en 2000, nous avions élaboré des solutions avec le gouvernement pour remédier à cette situation. On a choisi de ne pas les mettre en œuvre. On a produit un autre rapport. L’inégalité s’est accentuée, tout comme les difficultés des enfants. Voilà pourquoi nous avons intenté cette action en justice : pour tenter de remédier à ce financement inégal dont le gouvernement a déjà reconnu l’existence.
La sénatrice Sorensen : Dans votre dernière réponse, vous avez parlé du financement. Vous avez utilisé une somme d’argent. Où se situe cet argent dans cette histoire?
Mme Blackstock : Le tribunal a corroboré la discrimination en 2016 dans une décision historique. Il a ordonné au gouvernement du Canada de cesser…
La sénatrice Sorensen : Pardon, en 2016, de 2007?
Mme Blackstock : C’est exact. Il nous a fallu attendre jusqu’en 2016 pour obtenir la décision. Depuis 2016, des ordonnances de non-conformité ont forcé le gouvernement à corriger certaines de ces inégalités. Les trois millions de services offerts aux enfants des Premières nations le sont en conséquence d’une ordonnance du tribunal. Il s’agit de l’ordonnance 2017 TCDP 35, un ordre donné au gouvernement de mettre pleinement en œuvre le principe de Jordan en tant qu’ordonnance de non‑conformité, et c’est à partir de ce moment-là qu’il l’a fait.
La sénatrice Sorensen : Merci. C’est très utile.
Mme Blackstock : Je vous en prie.
La sénatrice Martin : Je suis heureuse de prendre la parole après la sénatrice Sorensen, car cette intervention m’a aidée à comprendre le contexte du témoignage.
Merci à tous les témoins.
Mes questions s’adressent à Mme Blackstock, mais, tout d’abord, je vous remercie de la liste de suggestions sur la façon d’améliorer le système judiciaire actuel. En fait, cela me fait penser qu’avec votre expérience et votre expertise accumulées au fil des ans dans ce dossier, vous feriez une excellente conseillère, si ce n’est l’une des architectes du tribunal autochtone proposé. Il ne s’agit-là que d’un commentaire et de mon observation.
Vous avez mentionné Front Line Defenders dans votre déclaration, qui, à mon avis, était pleine de très bons renseignements. Ce n’est pas une organisation canadienne? C’est une organisation internationale? Pouvez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet, et avons-nous une organisation équivalente ou quelque chose du genre au Canada?
Mme Blackstock : Je vous remercie de votre question.
Front Line Defenders est une organisation internationale. D’après ce que j’ai cru comprendre, ce sont des gens d’Amnistie internationale qui surveillaient le système international des droits de la personne et qui ont vu des défenseurs de ces droits être persécutés. Je crois que sa devise est « En protéger un, c’est en habiliter un millier », et ses membres protègent les défenseurs pacifiques et respectueux des droits de la personne, soit dit en passant, pas tout le monde qui se plaint.
Ils offrent de la formation aux défenseurs des droits de la personne. Ils militent auprès des États quant à la façon de renforcer leurs mécanismes pour éviter les représailles contre ces défenseurs. Par exemple, comment fait-on pour s’assurer que, si on est suivi par un État ou par un cartel de la drogue ou quoi que ce soit d’autre dans le monde… comment peut-on assurer sa propre sécurité et celle de sa famille — et parfois de ses collègues au sein d’une organisation — pendant que l’on s’occupe de la question des droits de la personne? Ils ont toutes sortes de ressources formidables, et, personnellement, je les ai trouvées très utiles. C’est une organisation très respectée. Elle est basée à Dublin.
Il n’y a pas d’équivalent canadien clair. Il existe diverses organisations qui défendent les dénonciateurs, mais rien de ce genre.
La sénatrice Martin : Le travail que vous faites à la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada consiste également à offrir un soutien de première ligne aux familles. Je me demande comment l’aide juridique et les autres services de soutien peuvent être structurés de manière à ce que l’on puisse s’assurer que les Autochtones, surtout ceux qui vivent dans des collectivités éloignées ou mal desservies, ont un accès adéquat à ces institutions des droits de la personne.
Mme Blackstock : Je pense que nos amis de l’Association du Barreau autochtone auraient de bons conseils à ce sujet.
Je dirais que, lorsqu’on regarde l’accès à la justice dans les régions rurales et éloignées, il est vraiment important que les gens aient accès à diverses voies pour y accéder, et il ne faut pas seulement compter sur Zoom. Notre collègue Laura Aguiar parlait de la sensibilité des histoires personnelles. Il me semble qu’il y a beaucoup d’acteurs différents qui pourraient demander justice au moyen d’un mécanisme de reddition de comptes, mais, s’il s’agit d’une histoire personnelle, il est possible que l’on veuille avoir cette interaction personnelle. Il est important que l’on puisse créer des mécanismes permettant aux gens de se déplacer, mais aussi, comme le font beaucoup de tribunaux, se rendre dans certaines de ces collectivités rurales et éloignées, y fournir des services juridiques et former des membres de la collectivité afin qu’ils puissent offrir du soutien par les pairs aux gens de ces endroits pendant qu’ils suivent le processus.
Je m’intéresse davantage aux cas systémiques, et je peux vous recommander un rapport de Naiomi Metallic et de son collègue, Hadley Friedland. Il s’intitule Doing Better for Indigenous Children and Families: Jordan’s Principle Accountability Mechanisms Report. Il porte sur une sorte de système à trois volets où les enfants, les familles et les jeunes auraient accès à la justice, puis il y a un autre système qui réglerait certains des problèmes systémiques. C’est une sorte de combinaison, tribunal et responsabilisation, tout à fait dans la veine de ce que vous explorez maintenant. Je pense que les idées qu’elle a documentées dans ce rapport sont certainement des choses que je veux vraiment voir mises en œuvre au Canada.
La sénatrice Martin : Me Przepiorka voudrait-elle répondre à ma question concernant l’aide juridique et les autres services de soutien?
Me Przepiorka : Merci.
Ce que je peux dire, c’est — du moins, c’est la situation que je connais — qu’en Colombie-Britannique, il y a des centres de justice autochtone qui sont répartis à de nombreux endroits dans la province et qui permettent aux collectivités éloignées ou plus éloignées d’avoir accès à des avocats. Ils sont en quelque sorte des chefs de file en matière d’accès à la justice grâce à une représentation adaptée à la culture offerte dès que possible.
Je peux vous dire que l’Alberta vient de lancer son projet pilote à Calgary. Malheureusement, à l’heure actuelle, on met l’accent sur la criminalité. Je suis présidente de ce conseil, et l’accent est mis sur la criminalité, parce que c’est ce que je crois comprendre pour l’instant. L’idée est d’étendre nos activités une fois que nous serons établis, car j’ai remarqué au cours de mes années de carrière qu’il ne s’agit pas seulement de l’accès à la justice, mais aussi de l’accès à une représentation adaptée à la culture dans le domaine où on en a besoin. Le changement a été lent, mais il s’en vient, et j’ai remarqué que la Colombie-Britannique montre la voie à suivre avec ses centres de justice autochtones. C’est un long processus. Il nous a fallu plus d’un an pour mettre sur pied un tel programme en Alberta, même seulement pour nous concentrer sur la criminalité à l’heure actuelle, et nous sommes en quelque sorte le projet pilote de la province. Encore une fois, c’est sans l’appui du gouvernement. Nous avons dû nous adresser à des organismes externes afin de réaliser ces projets.
La sénatrice Martin : Merci.
Le président : Je vais intervenir pour poser une question qui s’adresse aux trois témoins. Un futur organisme des droits de la personne devrait-il être en mesure de rendre des ordonnances pour imposer une obligation de protéger la sécurité de la personne, comme dans le cas de la pauvreté ou dans d’autres situations? Je vais commencer par Mme Blackstock.
Mme Blackstock : Absolument. Ces organismes devraient pouvoir rendre des ordonnances et infliger des sanctions en cas de non-respect de ces ordonnances.
Le président : Je vous remercie de cette réponse.
Nos autres témoins voudraient-elles formuler des commentaires?
Me Przepiorka : Je reprendrais simplement les mêmes propos, tout à fait.
Mme Aguiar : Oui, j’abonde aussi dans le même sens que Mme Blackstock. Merci.
Le président : Je vous remercie de ces réponses.
La sénatrice Coyle : Merci à chacun de nos trois témoins ici présents ce soir. En fait, j’ai une question pour chacun d’entre vous. J’espère avoir le temps de les poser.
Madame Blackstock, l’une des choses importantes dont vous avez parlé, ce sont les manigances relatives à la compétence : « Non, cela ne relève pas de notre compétence; c’est de la leur et, par conséquent, ne nous dérangez pas ». Selon vous, comment ce nouveau tribunal des droits de la personne autochtones et l’ombudsman qui s’y rattachera organiseront-ils les choses de manière à ce que ces manigances ne puissent pas être tolérées? Avez-vous des conseils précis à nous donner? Évidemment, il y aura des problèmes de compétence. Il y en aura des particuliers. D’après votre expérience, quel genre de conseils pourriez-vous nous donner?
Mme Blackstock : C’est une question importante, et je veux y réfléchir davantage, mais deux choses se produisent : il y a deux façons dont la compétence nuit vraiment à la justice pour les enfants. La première, c’est l’attaque du gouvernement contre le système même, lorsqu’il affirme que, en fait, l’affaire en question n’est pas assujettie à la Loi canadienne sur les droits de la personne ou — et cela nous ramène aux observations importantes du sénateur Arnot — qu’il y a d’autres tribunes auxquelles nous devrions avoir recours au lieu d’intenter des poursuites. Mais nous avions déjà eu recours à ces forums, et le gouvernement n’y avait pas donné suite. Alors, je pense qu’il faut se préparer à cela et examiner sérieusement toute loi afin que, dans le cas de ce genre de contestation de la loi en soi, pour qu’il soit possible d’instruire la cause, ces portes soient fermées le plus possible.
Pour ce qui est des conflits de compétence entre les mécanismes, je pense que le principe de Jordan est vraiment utile. Je ne suis pas avocate, mais nous avons l’avantage d’avoir des avocates au sein du présent groupe de témoins, alors peut-être qu’il y a un moyen de le faire et de donner aux citoyens et, peut-être, aux organisations — peu importe qui soulève le problème — un choix de tribunes, et ce choix devra être respecté, et le conflit de compétence quant à savoir qui peut instruire l’affaire ou quoi que ce soit d’autre se réglera en coulisse. Je suis certaine que ma collègue de l’Association du Barreau autochtone a des idées à ce sujet.
La sénatrice Coyle : Merci.
Madame Aguiar, je vous remercie infiniment pour le travail que vous faites. Vos observations nous sont très utiles, car on voit que vous êtes sur la ligne de front.
J’aimerais beaucoup, si vous le pouviez, que vous nous en disiez un peu plus. Vous avez parlé de mettre davantage l’accent sur la prévention, et je crois que vous avez dit quelque chose en réponse à l’une des questions concernant le traitement proactif de ces violations. Pourriez-vous nous parler de ces deux déclarations et nous en dire un peu plus à ce sujet?
Mme Aguiar : Absolument, et je vous remercie d’avoir posé cette question.
J’ai l’impression que c’est vraiment demander beaucoup à une personne qui, encore une fois, vit en mode survie et n’a pas accès à ses besoins de base. Tout cela devrait être un acquis, en quelque sorte. La façon dont nous nous y prenons pour empêcher les gens de se retrouver dans ces situations de survie est… si on regarde, par exemple, le nombre de survivantes autochtones de la traite de personnes à des fins sexuelles, le nombre de survivantes qui sont passées par le système de protection de l’enfance est extrêmement élevé. Quant aux violations des droits de la personne dans le contexte de la protection de l’enfance, si on regarde le système de protection de l’enfance, il empêche les femmes de se retrouver dans des situations très dangereuses où il est très difficile pour une personne de même penser à ce qui va se passer dans 15 minutes ou à ce qui va se passer dans une heure si ses besoins ne sont pas comblés à ce moment-là. Il faut un niveau de protection de base auquel beaucoup de survivantes n’ont tout simplement pas accès pour l’instant.
La sénatrice Coyle : Je veux m’assurer de bien comprendre ce que vous dites. Je crois avoir entendu deux ou trois choses. L’une d’elles portait davantage sur les efforts déployés en amont, si on veut, pour empêcher les gens d’atteindre le stade dont vous parlez, cette situation d’extrême vulnérabilité, alors les investissements à ce niveau; et, ensuite, lorsqu’ils sont au niveau de vulnérabilité que vous décrivez à l’âge adulte, il faut répondre à leurs besoins fondamentaux et ne pas… cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas s’attendre à grand-chose de leur part, mais il faut être conscient de l’importance de stabiliser la situation chez la personne en question. Est-ce là que vous voulez en venir?
Mme Aguiar : Oui, c’est là que je veux en venir. En outre, il est impératif d’examiner la mise en œuvre des appels à la justice décrits par la commission d’enquête et de travailler en harmonie avec la lutte contre les violations des droits de la personne des femmes, des filles et des personnes transgenres et bispirituelles autochtones et, encore une fois, de prévenir la violence et les violations.
La sénatrice Coyle : Merci.
J’ai une autre question, mais je vais probablement devoir la poser au prochain tour.
Le président : Nous n’aurons pas le temps, malheureusement.
La sénatrice Hartling : Je remercie les témoins des excellents exposés qu’ils ont présentés ce soir à tous les niveaux, de celui des gens qui vivent dans les refuges à celui des aspects juridiques, en passant par le travail dans la collectivité.
Avez-vous des exemples précis de cadres bien conçus en matière de droits de la personne, dans n’importe quel pays, qui pourraient être un bon exemple, un exemple éclatant? Cela a-t-il été fait? Impose-t-on de tels cadres? Avez-vous des idées? Madame Blackstock?
Mme Blackstock : Encore une fois, je me concentre sur un cas systémique où un intimé résiste à contrer la discrimination. Si la Loi canadienne sur les droits de la personne avait comporté des améliorations qui donnaient aux membres du tribunal une plus grande capacité de mettre fin aux magouilles du gouvernement et de régler cette affaire en tant que question de procédure, au lieu de ce qui a été une affaire de droits de la personne vraiment dévastatrice, par des solutions claires, cela aurait été une amélioration.
Plus tôt, nous avons parlé des représailles. Lorsque nous avons intenté cette poursuite en tant qu’organisme sans but lucratif, nous avons perdu tout notre financement gouvernemental en l’espace de 30 jours, et l’Assemblée des Premières Nations a subi des compressions budgétaires très importantes. Or, jusqu’à maintenant, étonnamment — et grâce aux collectivités et à tout le monde —, nous sommes toujours, à la Société de soutien, le seul organisme national sans but lucratif pour les Premières Nations, les Métis ou les Inuits qui ne reçoit pas d’argent du gouvernement. Mis à part ce que le tribunal ordonne que l’on nous paye, nous sommes indépendants. Il faut qu’il y ait des mécanismes indépendants permettant d‘intenter des poursuites comme celle-ci, parce que les collectivités sont très occupées à faire le travail important consistant à servir leurs membres. Elles sont également vulnérables parce qu’elles sont nombreuses à recevoir du financement du Canada. Lorsqu’on nous a demandé d’intenter cette poursuite, ou lorsque nous en avons discuté avec les collectivités, elles ont dit : « Eh bien, si nous soulevions une préoccupation au sujet du Canada et que nous le traînions devant les tribunaux, nous n’obtiendrions peut-être pas le financement dont nous avons besoin pour notre refuge destiné aux victimes de violence familiale », ou de quoi qu’il ait pu s’agir.
C’est en suivant les conseils d’aînés, lors de la création de la Société de soutien, qu’il a été décidé qu’il fallait qu’une organisation puisse mourir dans ce litige. On ne devrait jamais tomber amoureux de la Société de soutien, on ne devrait jamais tomber amoureux de sa carte de visite, on peut seulement tomber amoureux des enfants, parce qu’on pourrait devoir sacrifier ces deux choses pour eux. Et nous l’avons fait. Nous avons tout misé. En réalité, ce n’est pas tout le monde qui peut le faire.
Lorsqu’on envisage la mise en place d’un système, il y a des exemples comme le U.S. Native American Rights Fund, où un groupe d’avocats est en mesure d’aider à régler des cas systémiques et de les porter devant les tribunaux afin qu’il n’incombe pas à la nation ou à un membre d’intenter la poursuite. On peut en faire un instrument indépendant du gouvernement et offrir une résistance courageuse. C’est vraiment essentiel.
La sénatrice Hartling : Merci.
Le président : Je vais donner la parole à la sénatrice Coyle pour la dernière question, et je vais demander à nos témoins de bien vouloir répondre par écrit en raison des contraintes de temps.
La sénatrice Coyle : Ma question s’adresse à Me Przepiorka. Vous représentez l’Association du Barreau autochtone, et vous n’avez pas fait une longue déclaration au début. Je crois vous avoir bien entendu dire que le gros problème pour vous tient au fait que les membres de votre association n’ont pas été suffisamment mobilisés. Pourriez-vous, dans votre réponse écrite, expliquer un peu plus en détail ce que vous entendez par là et à quoi elle ressemblerait, idéalement, selon vous? C’est peut-être comme ce que vous proposiez, comme le système américain…
Le président : J’aurais souhaité que nous ayons plus de temps, mais, malheureusement, nos témoins suivants attendent, alors le temps dont nous disposions pour le présent groupe est écoulé. Je remercie encore une fois tous les témoins d’avoir été des nôtres aujourd’hui. Si vous souhaitez formuler des observations subséquentes, veuillez les faire parvenir à Andrea Mugny, notre greffière, d’ici sept jours.
J’aimerais maintenant présenter notre prochain groupe de témoins, soit Maxwell Johnson, membre de la Première Nation Heiltsuk, et Maria Martin, conseillère du Heiltsuk Tribal Council. De plus, nous accueillons à titre de représentant de la Première Nation Pekuakamiulnuatsh, Patrick Courtois, conseiller élu de la Première Nation Pekuakamiulnuatsh de Mashteuiatsh.
Wela’lin. Merci de vous joindre à nous aujourd’hui. Les témoins feront une déclaration préliminaire d’environ cinq minutes, qui sera suivie d’une période de questions et réponses avec les sénateurs. J’invite maintenant Maxwell Johnson et Maria Martin à faire leur déclaration préliminaire.
Maria Martin, conseillère du Conseil tribal Heiltsuk, Nation Heiltsuk : Bonjour. Mon nom traditionnel est Q’umala. Mon nom anglais est Maria Martin. Je suis membre élue du Conseil tribal Heiltsuk et membre de la Première Nation Heiltsuk.
Les mécanismes existants de défense de droits de la personne sont inadéquats, car ils ne considèrent pas l’identité autochtone comme un motif de protection. C’est ce que je propose ici. L’identité autochtone doit être incluse comme motif de protection au Tribunal canadien des droits de la personne.
Nous espérons que les témoignages des expériences vécues que nous livrons aujourd’hui seront révélateurs de la nécessité de garantir des droits de la personne justes et équitables pour tous les peuples autochtones. Les peuples autochtones du Canada ont une histoire riche et unique en tant que premiers peuples de ces terres non cédées. Nos droits de la personne ont été négligés et bafoués depuis la colonisation. Cela fait en sorte que nous ne pouvons pas vivre sans subir de discrimination et faire l’objet de racisme dans le monde d’aujourd’hui. Peu importe, où nous sommes, il y en a, et c’est répandu.
Nous avons été forcés de vivre selon un ensemble de lois qui régissaient notre lieu de résidence, notre mode de vie, la façon dont nous pouvons nous identifier, les lois que nous pouvions appliquer et la langue que nous pouvions parler en vertu de la Loi sur les Indiens. Nos enfants ont été emmenés dans des pensionnats chrétiens sous la menace de l’emprisonnement de nos parents. Nos enfants et nos familles autochtones ont perdu de nombreux aspects de leur vie, soit la culture, la langue, la relationnalité familiale, les traditions et les lois. Les enfants n’ont rien acquis en fréquentant les pensionnats. En fait, il s’agissait d’institutions, et certainement pas d’éducation. Ils ont dépouillé chaque enfant de son identité. Il s’agissait de formation forcée et de travail domestique et agricole, et cela comprenait les nombreuses atrocités dont nous entendons parler aux nouvelles aujourd’hui. Ces institutions visaient à écraser et à amoindrir nos identités. Il faut noter qu’à ce jour, quelque 154 enfants ne sont jamais revenus de ces institutions. Le colonialisme a également eu une influence sur les externats, les pensionnats et la rafle des années 1960, qui représentent des tentatives continues d’éradiquer qui nous sommes en tant que peuples autochtones.
Le Canada et la Couronne ont sans cesse réduit nos droits moraux et juridiques. Nous ne pouvions pas voter; nous ne pouvions pas acheter de terres; nous ne pouvions pas obtenir un prêt bancaire; nous ne pouvions pas retenir les services d’un avocat; nous ne pouvions pas recevoir une éducation occidentale… tout cela en vertu de la Loi sur les Indiens, un document paternel et contrôlant qui continue de marginaliser les peuples autochtones à ce jour.
Ce ne sont là que quelques exemples des répercussions continues de la discrimination depuis la colonisation. Dans tous les systèmes auxquels nous sommes confrontés, nos droits fondamentaux sont inégaux. Les mécanismes existants de défense des droits de la personne qui ont comme motifs de protection la race, l’origine ethnique, la couleur ou la religion sont inadéquats en ce qui concerne les peuples autochtones. Ils ne reconnaissent pas les traumatismes et le traumatisme intergénérationnel qui touchent la plupart d’entre nous. Ils ne reflètent pas notre passé tragique, attribuable aux lois canadiennes et coloniales ni les conséquences permanentes de ces lois, comme le racisme systémique. Ils ne reflètent pas non plus la relation unique que le Canada et la Couronne ont avec les peuples autochtones et les obligations qu’ils ont envers les peuples autochtones. Il doit y avoir un motif de protection supplémentaire fondé sur l’identité autochtone dans chaque mécanisme de défense des droits de la personne au Canada. La Colombie-Britannique a déjà prévu cela dans son code des droits de la personne, le Human Rights Code.
Je vous encourage fortement à examiner le rapport de Mme la juge Ardith Walkem intitulé Expanding Our Vision, qui se traduit par « élargir notre vision », et qui comprend les mesures prises par la Commission de vérité et réconciliation, l’enquête nationale sur les FFADA2E et la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Il demande l’intégration des lois autochtones, l’augmentation du nombre de membres du personnel autochtones et de la participation générale, la sensibilisation du public et la création d’un processus de plaintes spécifiquement destiné aux Autochtones.
Si le Canada devait mettre en place un mécanisme de défense des droits de la personne destiné aux Autochtones, celui-ci devrait avoir le même rôle, le même pouvoir et les mêmes privilèges que les commissions et les tribunaux canadiens et provinciaux des droits de la personne. Comme le dit l’article 34 de la Déclaration des Nations unies :
Les peuples autochtones ont le droit de promouvoir, de développer et de conserver leurs structures institutionnelles et leurs coutumes, spiritualité, traditions, procédures ou pratiques particulières et, lorsqu’ils existent, leurs systèmes ou coutumes juridiques, en conformité avec les normes internationales relatives aux droits de l’homme.
Comme les nations autochtones disposent de lois, de protocoles et de mécanismes différents pour régler les problèmes, il est nécessaire de mener des consultations à l’échelle nationale afin d’intégrer les visions du monde, les coutumes et les lois des Autochtones de façon respectueuse et significative.
Pour bien envisager la création d’une commission ou d’un tribunal national de défense des droits de la personne pour les Autochtones, le Sénat devra sans aucun doute tenir davantage de consultations avec tous les organismes de réglementation au Canada en vue d’élaborer ce programme de nature sui generis. Entretemps, les tribunaux et commissions fédéraux et provinciaux des droits de la personne peuvent faire de l’identité autochtone un motif de protection.
Les systèmes et les processus marginalisés continuent de présenter des obstacles et d’avoir une place pour les peuples autochtones. Nous nous présentons devant vous aujourd’hui dans l’espoir que nos expériences vécues et nos témoignages donnent le coup d’envoi pour une société meilleure à laquelle prennent part les peuples autochtones.
Merci.
Le président : Monsieur Johnson, avez-vous une déclaration préliminaire à faire?
Maxwell Johnson, membre, Nation Heiltsuk : Bonjour. Mon nom officiel est Walkesh, un nom héréditaire transmis par mon père, Matthew Johnson. Mon nom anglais est Maxwell Johnson.
Il y a quelques années, j’ai amené ma petite-fille, qui avait 12 ans à l’époque, à la BMO, la Banque de Montréal, dans le but d’ouvrir un compte bancaire pour elle à Vancouver. Les gens de la banque ont appelé la police parce qu’ils croyaient que nos cartes de statut étaient fausses. Ils ne m’ont pas posé de questions ni ne m’ont dit qu’ils pensaient qu’il y avait un problème. Les policiers nous ont détenus, ma petite-fille et moi, et ils nous ont menottés tous les deux. La procédure de protection des droits de la personne s’est terminée par un règlement, et c’était un pas en avant, mais cela a été un processus très long, et la guérison n’est pas terminée.
Le comité sénatorial a demandé si les mécanismes existants de protection des droits de la personne pouvaient être améliorés afin de mieux garantir le respect des droits de la personne des Autochtones, y compris les droits fondamentaux. Oui, il faut les améliorer. Mon expérience avec le SPV, le service de police de Vancouver, et la BMO m’a appris que je ne pouvais pas ouvrir de compte bancaire pour ma petite-fille. Au lieu de cela, nous avons été menottés.
Je ne suis pas le seul. Beaucoup d’Autochtones ont de la difficulté à accéder aux services de base en raison de leur identité. Il y a des préjugés entourant les cartes de statut. C’est ce qui est arrivé à ma petite-fille et à moi. Beaucoup de non‑Autochtones ne comprennent pas à quel point on peut se sentir en danger lorsqu’on est autochtone et qu’on essaie d’avoir accès à des services.
Les organismes de défense des droits de la personne avec lesquels j’ai traité — le Tribunal des droits de la personne de la Colombie-Britannique et la Commission canadienne des droits de la personne — ne s’attaquent pas aux répercussions réelles de la discrimination et du racisme envers les Autochtones. Il s’agit de notre culture et de notre communauté. Lorsque j’ai été menotté, toute ma communauté a été touchée. Cela m’a rappelé des moments douloureux où la police a abusé de son pouvoir auprès des Heiltsuk. La nation Heiltsuk et moi-même voulions un règlement adapté à la culture, et nous en avions besoin. Selon la tradition juridique de la nation Heiltsuk, si quelqu’un fait quelque chose de mal, le fautif est censé présenter des excuses publiques devant la communauté. C’est un processus de guérison.
Il devrait y avoir plus de place dans nos systèmes actuels de défense des droits de la personne pour des lois autochtones et des règlements des plaintes relatives aux droits de la personne adaptés à la culture. De nouvelles institutions de défense des droits de la personne propres aux Autochtones sont nécessaires afin de garantir le respect des droits de la personne des Autochtones. Toute nouvelle institution de défense des droits de la personne des Autochtones doit vraiment comprendre tous les différents groupes autochtones et toutes les traditions juridiques et cultures autochtones du Canada. Je suis Heiltsuk, alors ce qui m’est arrivé devait être réglé par les Heiltsuk, mais quelqu’un d’une autre nation pourrait avoir besoin que ce soit fait par son propre système juridique. Quel que soit le fonctionnement d’un nouveau système, peu importe qu’il soit lié aux droits de la personne comme c’est le cas actuellement, l’accent devrait être mis sur l’obtention de règlements pour les peuples autochtones qui sont victimes de discrimination et de violations des droits de la personne. Il ne devrait pas s’agir d’une couche de plus qui ajoute d’autres obstacles pour les peuples autochtones.
Le comité a posé une question au sujet des compétences fédérales et provinciales et des droits de la personne. C’est un problème pour moi, parce que j’ai dû diviser mon dossier. Une plainte en matière de droits de la personne contre une banque est portée devant la commission fédérale des droits de la personne. Une plainte en matière de droits de la personne contre la police de Vancouver est portée devant le tribunal des droits de la personne de la Colombie-Britannique. Pour obtenir un règlement avec les agents de police concernés, il fallait que ce soit dans le cadre d’un processus disciplinaire en vertu de la Police Act de la Colombie-Britannique. Ces différentes compétences… elles n’ont pas d’importance à mes yeux, et nous ne devrions pas avoir à passer par toutes ces différentes cases. Ce ne sont pas des cases Heiltsuk. Ce sont des cases coloniales. L’accent devrait être mis sur la meilleure façon de traiter le cas où un Autochtone subit un préjudice, et non sur la case à cocher.
Walas giaxsixa. Merci.
Le président : Merci, monsieur Johnson. La parole est maintenant à M. Courtois.
[Français]
Patrick Courtois, conseiller élu de la Première Nation des Pekuakamiulnuatsh de Mashteuiatsh : Kuei kassinu etshiek.
Je suis Patrick Courtois, un conseiller élu de la Première Nation des Pekuakamiulnuatsh de Mashteuiatsh.
Au nom de notre Première Nation, je tiens à souligner que je prends la parole ce soir à partir de Nitassinan, territoire légué par nos ancêtres sur lequel nous exerçons nos droits et notre titre ancestral, que nous occupons depuis des millénaires et encore aujourd’hui.
Ces dernières années, nous avons dû faire des démarches judiciaires, notamment au Tribunal canadien des droits de la personne, afin de démontrer que notre service de sécurité publique est sous-financé par les gouvernements et que cela constitue de la discrimination.
Le Tribunal canadien des droits de la personne nous a donné raison à l’hiver 2022. Malgré une décision favorable en notre faveur en première instance fédérale, le dossier a cependant été porté en appel par le Canada.
Selon nous, notre expérience met en lumière qu’encore à ce jour, c’est une perspective coloniale qui teinte les mécanismes existants visant la protection des droits de la personne.
Justement, en se concentrant sur la personne, donc les droits individuels, le système en place ne prend pas en compte la collectivité qui est centrale au sein de nos nations.
Les mécanismes actuels de protection des droits de la personne ne prévoient pas de réparations à la collectivité. Dans un cas comme le nôtre, les réparations devraient pourtant être collectives, puisque c’est l’ensemble de notre communauté qui écope de la discrimination systémique que les gouvernements perpétuent en sous-finançant notre sécurité publique.
De plus, nous notons que les droits culturels et leur protection ne sont pas représentés au sein des mécanismes en place actuellement.
Bref, nous nous demandons si nous pouvons être bien servis par un tribunal qui se concentre sur l’individu sans prendre en compte l’aspect collectif, et qui n’inclut pas les droits culturels. Il y a aussi les enjeux de compétences avec les provinces à considérer, car actuellement, les décisions du tribunal ne s’appliquent pas systématiquement à celles-ci.
Dans notre dossier, nous sommes également confrontés aux problèmes engendrés par le manque d’effectifs au Tribunal canadien des droits de la personne. En effet, malgré le fait que la décision du tribunal en notre faveur ait été portée en appel, aucun juge n’est actuellement disponible pour entendre la cause au Tribunal canadien des droits de la personne. Le manque de ressources engendre donc des délais importants qui ont des impacts sur notre Première Nation, qui est toujours en attente d’une résolution satisfaisante dans cette affaire.
Même lorsque le manque d’effectifs n’est pas en jeu, les délais demeurent extrêmement longs. Dans notre cas, nous avons dû attendre six ans avant d’obtenir une décision. C’est problématique, parce que pendant ce temps, nos peuples continuent de subir de la discrimination et des injustices.
Nous croyons aussi que les intervenants engagés dans les dossiers concernant les droits autochtones devraient obtenir une formation précise. Ce ne sont pas tous les juges et tous les procureurs qui sont respectueux et au fait de nos réalités.
En somme, nous sommes d’avis que des mécanismes de protection des droits des Autochtones seraient bénéfiques pour les Premières Nations, les Inuits et les Métis dans tout le pays. Ces mécanismes devraient cependant s’appuyer sur les perspectives autochtones dans les notions de droits et de réparations qu’ils traitent. Ils devraient également avoir des ressources suffisantes et adéquates, notamment grâce à la formation donnée aux juristes.
Tshinashkumitnau. Merci.
[Traduction]
Le président : Merci, monsieur Courtois.
Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs. Afin de respecter l’horaire et d’assurer l’équité pour tous, chaque sénateur disposera de cinq minutes pour poser une question et recevoir une réponse. Si le temps le permet, nous ferons un deuxième tour.
Le sénateur Arnot : Je remercie les témoins.
J’ai une question et je vais demander à tous les témoins d’y répondre. Croyez-vous qu’un ombudsman indépendant de défense des droits de la personne des Autochtones à l’échelle nationale et un tribunal national de défense des droits de la personne des Autochtones seraient en mesure de répondre à certains des besoins en matière de justice fondée sur les droits des personnes que vous représentez et de tenir compte de l’expérience vécue par vos communautés? C’est une question générale. Vous pouvez y répondre de la façon dont vous voulez, mais j’aimerais connaître la réponse à cette question, s’il vous plaît. Merci.
Mme Martin : Oui, je crois que la nomination d’un ombudsman est un bon point de départ. Cela nous permettra de nous attaquer à la discrimination et à l’injustice qui continuent de toucher tous les peuples autochtones, peu importe l’endroit. Nous vous demandons de travailler en partenariat avec nous et de chercher des façons de corriger ces systèmes qui continuent d’échouer et de marginaliser les peuples autochtones. Je crois que c’est un facteur, un aspect qui constituerait un bon point de départ dans la mise en œuvre de solutions visant à remédier à la disparité.
[Français]
M. Courtois : Je pense que oui, effectivement, un système d’ombudsman et un tribunal qui pourrait traiter uniquement des causes autochtones dans tout le pays pourraient être bien. Bien entendu, il y a beaucoup de chemin à faire, à mon avis. Il y a toute la notion de droit collectif par opposition aux droits individuels.
Actuellement, le système de droit est axé sur les droits individuels alors que le système de droit qui devrait s’appliquer aux Premières Nations en est un qui devrait s’appuyer sur le droit collectif. C’est clair que j’essaie de comprendre comment traduire cela dans un système juridique. Jusqu’à maintenant, rien n’existe vraiment dans ce sens-là.
Aussi, il faut tenir compte, bien entendu, des dimensions culturelles.
Il faut des ressources. On manque de ressources un peu partout, dans toutes les provinces actuellement au en ce qui concerne chacune des structures qui existent. Donc, c’est très difficile de combler cette lacune. On le voit actuellement dans le processus d’attente concernant le règlement de notre situation relativement à notre sécurité publique. Le jugement a été rendu en notre faveur, mais on attend depuis six ans et il faut encore attendre, faute de ressources, parce qu’aucun juge n’est disponible pour entendre la cause en appel.
En ce qui concerne un système juridique canadien, je me pose des questions à savoir si le système pourrait être apte à traiter des causes qui impliqueraient un litige entre une Première Nation, un gouvernement provincial et le gouvernement fédéral. C’est le cas actuellement de notre situation dans le dossier de la sécurité publique. On a un dossier que cela concerne. On est à la fois financés par le gouvernement provincial et le gouvernement fédéral.
Donc, j’essaie de comprendre, encore une fois, comment un système juridique canadien autochtone pourrait traiter une situation qui concerne aussi la sphère de compétence provinciale.
[Traduction]
Le président : Monsieur Johnson, avez-vous quelque chose à ajouter?
M. Johnson : J’invite… Qu’est-ce que c’est? Une personne à… Je ne comprends pas votre écriture.
Le sénateur Arnot : Monsieur Johnson, je tiens à souligner la nature choquante et traumatisante de l’incident que vous avez vécu. En tant que commissaire aux droits de la personne en Saskatchewan, j’ai vu des choses semblables. J’ai eu un cas presque identique au vôtre, en 2012, mettant en cause la Banque de Nouvelle-Écosse et le service de police de Saskatoon. C’est une expérience traumatisante. Vous êtes passé par le système. Vous avez constaté des problèmes. J’aimerais savoir ce qui, selon vous, a fonctionné, mais surtout, ce qui peut être amélioré et ce qui pourrait être fait pour un tribunal des droits de la personne des Autochtones, ou un ombudsman des droits de la personne des Autochtones, qui améliorerait considérablement votre expérience et qui reconnaîtrait le traumatisme qui, selon vous, n’est toujours pas réglé?
M. Johnson : Merci.
Pour moi, il était difficile d’avoir deux tribunaux différents. Par exemple, lors de la partie du SPV, il y avait environ trois personnes qui assistaient à la réunion, et elles ne se sont présentées qu’après que j’ai interrompu la réunion. Il aurait été bien qu’elles viennent me parler et me disent qui elles étaient, au lieu que j’interrompe la réunion et que je leur demande de s’identifier, afin que nous puissions continuer. En outre, le fait d’en savoir plus sur le tribunal aurait été très utile.
Le sénateur Arnot : Merci. Avez-vous quelque chose à ajouter?
M. Johnson : Non.
Le président : J’ai une question supplémentaire pour vous trois. L’accès à une représentation juridique gratuite et à d’autres mesures de soutien adaptées à la culture devrait-il également être offert aux Autochtones qui souhaitent déposer une plainte par l’entremise d’institutions des droits de la personne des Autochtones? Madame Martin, voulez-vous commencer?
Mme Martin : Oui. Je suis d’accord pour qu’il y ait des mesures de soutien juridique gratuites à tous les échelons, provincial et fédéral, permettant de remédier à toute injustice envers les Autochtones. Nous vivons dans des sociétés marginalisées. Rien n’est facile. Nous devons toujours faire plus avec moins. Par exemple, quels que soient les efforts et l’engagement d’une personne dans un emploi, il y a une énorme disparité salariale, et des coûts supplémentaires et des circonstances difficiles peuvent décourager toute démarche visant à lutter contre les injustices liées aux droits des Autochtones. Le simple fait d’avoir ce soutien financier ne constitue qu’un aspect qui atténuerait grandement le stress que subissent les Autochtones. Peu importe le système, fédéral ou provincial, ce serait certainement très avantageux à davantage d’égards que celui de l’aspect financier. Merci.
Le président : Je vous remercie, madame Martin.
M. Johnson : Oui. Je pense qu’on devrait offrir cela aux gens qui ont besoin d’un avocat dans le cadre d’une plainte relative aux droits de la personne ou de toute autre plainte concernant la façon dont ils ont été traités. Même si ce qui est arrivé à ma petite-fille et à moi-même date de plus de trois ans, je reçois encore des messages sur Facebook de personnes me demandant comment j’ai réussi à obtenir les services d’avocats et d’essayer de les aider à trouver des avocats pour eux-mêmes; je pense donc qu’il devrait être loisible aux membres des Premières Nations de faire ce qu’ils ont à faire.
Le président : Merci, monsieur Johnson.
[Français]
M. Courtois : On pense que le fait de pouvoir accéder à une défense gratuite, pour certains membres de certaines Premières Nations, pourrait être effectivement une perspective intéressante, notamment pour beaucoup de gens ou d’individus ou même de collectivités qui sont sous-financés ou qui n’ont pas les moyens de se défendre.
Par contre, cela m’amène à une autre question. On est à l’aise avec un système de défense gratuit pour les Premières Nations, pourvu que cela ne porte pas atteinte à la qualité de cette défense et qu’on est certain d’être bien représenté.
[Traduction]
Le président : Dans quelle mesure est-il important que le soutien juridique offert aux Autochtones soit adapté à la culture et qu’il tienne compte des traumatismes? Madame Martin, voulez-vous répondre à cette question?
Mme Martin : Tenir compte de la culture…
Le président : Adapté à notre culture et tenant compte des traumatismes.
Mme Martin : Adapté à la culture et tenant compte des traumatismes… Je pense que c’est un grand pas dans la bonne direction. Trop souvent, les stéréotypes de la société font en sorte qu’il est très difficile pour tous les Autochtones de naviguer dans les systèmes, et la défense des droits est difficile. Selon moi, le fait d’être adapté à la culture et de tenir compte des traumatismes dans toutes les circonstances ferait une énorme différence en ce qui concerne l’ensemble des services de soutien, les relations et la façon dont la société et les systèmes traitent les Autochtones. Oui, ce serait vraiment idéal et positif. Merci.
Le président : Merci, madame Martin.
Monsieur Courtois, vous en avez un peu parlé dans votre réponse. Pourriez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet?
[Français]
M. Courtois : Est-ce à propos de la dernière question que vous venez de poser?
[Traduction]
Le président : Oui.
[Français]
M. Courtois : En effet, c’est important que l’aspect culturel soit pris en compte par le système juridique. Comme dans tous les pays, c’est une question de respect pour les personnes qui sont présentes dans la salle.
Maintenant, cela risque quand même d’être complexe, et nous en sommes conscients. Il y a plusieurs cultures différentes à la grandeur du pays. Cela peut être une tâche colossale.
Il y aurait peut-être moyen de mettre en place une instance qui serait responsable de déterminer des traits culturels communs à chacune des Premières Nations, dans l’ensemble du pays, afin que tout le monde s’y retrouve. Sinon, si chacune des Premières Nations s’attend à être reconnue, selon ses propres traits culturels identitaires, cela risque de rendre la tâche des institutions juridiques très difficile, à cause de la pluralité des cultures autochtones qu’on trouve au pays.
Par contre, un bout de chemin peut sûrement être fait pour qu’une culture soit reconnue, de façon générale, pour l’ensemble des Premières Nations du pays, à mon avis.
[Traduction]
Le président : Merci, monsieur Courtois.
Monsieur Johnson, avant de poursuivre, avez-vous un commentaire?
M. Johnson : Non.
Le président : Merci.
La sénatrice Coyle : Merci beaucoup à nos témoins.
Monsieur Johnson, je me souviens d’avoir entendu parler de votre cas, et cela a dû être une situation vraiment humiliante, surtout avec votre petite-fille. Je vous remercie d’être ici avec nous, parce que vous êtes une personne qui n’a pas simplement accepté ce qui lui est arrivé. Vous vous êtes manifesté, et je pense que ce que vous faites pour votre propre cause sera utile à d’autres personnes. Je tiens à vous en remercier.
J’ai tellement de questions, mais je pense que je vais commencer, si vous me le permettez, par Mme Martin. J’entends deux choses différentes de votre part. L’une d’elles est que vous donnez des conseils sur la création d’un tribunal national des droits de la personne pour les Autochtones, ce dont nous parlons aujourd’hui. Je crois que vous avez dit — vous pouvez peut-être me dire si j’ai bien compris — qu’un tel tribunal devrait avoir le même rôle, les mêmes pouvoirs et les mêmes privilèges que nos tribunaux nationaux et provinciaux des droits de la personne en place au pays, et qu’il serait important qu’il y ait des consultations à l’échelle nationale dans le cadre de sa mise sur pied.
En plus de vos conseils sur ce tribunal, je crois que votre autre recommandation est que nous devons nous pencher sur notre Code canadien des droits de la personne actuel et le modifier en ajoutant un motif de protection supplémentaire, à savoir l’identité autochtone. Vous avez dit que cela figure déjà dans le Human Rights Code de la Colombie-Britannique. Pourriez-vous expliquer quel était le processus — si j’ai bien compris — qui a mené à l’inclusion de cette disposition dans le Human Rights Code de la Colombie-Britannique? De plus, pourriez-vous confirmer que c’est une bonne chose d’aller de l’avant avec la mise en place d’un tribunal des droits de la personne et d’un ombudsman des Autochtones, alors que, en même temps, vous recommanderiez cette autre mesure liée à notre Loi canadienne sur les droits de la personne?
Mme Martin : En ce qui concerne l’actuel Human Rights Code de la Colombie-Britannique, il est mentionné dans la déclaration que les peuples autochtones ont le droit de promouvoir, de développer et de conserver des structures institutionnelles et des coutumes, une spiritualité, des traditions, des procédures ou des pratiques particulières et, lorsqu’ils existent, des systèmes ou coutumes juridiques, en conformité avec les normes internationales relatives aux droits de l’homme.
Pour ce qui est de l’avenir, nous espérons voir un processus qui soit inclusif de ce que la Colombie-Britannique est en train de mettre en place et que le tribunal commence à défendre les droits de toutes les Premières Nations distinctes de la province. Rien qu’en Colombie-Britannique, il y a 203 Premières Nations différentes, mais nous entendons des histoires similaires sur la manière dont les injustices se produisent. Il faut ajouter ou intégrer au système la prise en compte des besoins en matière de droits de la personne.
La sénatrice Coyle : Merci.
Monsieur Courtois, vous avez parlé d’un certain nombre de questions, notamment celle de s’assurer que les droits individuels et collectifs sont bien représentés ou pris en compte par ce nouveau tribunal. Vous avez aussi parlé de la nécessité d’une formation spécialisée à l’intention des juges et de ressources plus adéquates pour le personnel afin que le processus judiciaire ne soit pas retardé. Pourriez-vous nous parler de ce genre de formation spécialisée? Selon vous, qu’est-ce qui serait essentiel dans cette formation spécialisée?
[Français]
M. Courtois : Principalement, la formation dont je parle concerne surtout l’aspect culturel. Il s’agit de pouvoir adopter une approche plus autochtone dans le cadre des interventions qui pourraient être faites auprès des personnes qui pourraient utiliser cette instance.
Il y a l’aspect culturel, l’aspect social; il y a différents aspects à traiter en ce qui concerne les Premières Nations, lorsqu’on parle avec elles. Il faudrait du temps pour expliquer tout cela; il faut adopter une approche particulière pour les gens qui n’ont pas la chance de savoir parler le français ou l’anglais. Il faut des interprètes et des juges plus sensibles à cette dimension culturelle. Si c’est un aîné qui parle uniquement sa langue maternelle, ce sera très difficile pour lui de suivre. Cela crée un ralentissement et la personne ne doit pas se sentir mal de passer en cour ou de s’y trouver. Il faut adopter un traitement particulier pour les Premières Nations.
Ces variables sont aussi différentes d’une communauté à l’autre et d’un individu à l’autre. Certaines personnes auront plus de facilité à utiliser ce genre d’instance, alors que d’autres n’auront pas cette facilité, car leur approche n’est pas moderne. Sur le plan culturel, ils n’ont même pas l’idée d’utiliser ce genre d’instance. Ce sera alors important d’user d’une certaine sensibilité en ce qui concerne les intervenants juridiques, que ce soient des avocats, des juges ou même le personnel.
Porter une attention particulière à ces petits détails qui concernent les Premières Nations pourrait, selon moi, faire toute une différence dans le cadre des différentes causes.
La sénatrice Coyle : Merci.
[Traduction]
Le sénateur Prosper : Je remercie les témoins de nous avoir fait part de leurs connaissances et de leur expérience dans une vaste gamme de domaines d’étude. J’ai trois questions pour chacun d’entre vous. Je vais essayer d’être bref.
Tout d’abord, madame Martin, j’ai vraiment tiré profit de votre exposé sur ce qu’ont subi les peuples autochtones historiquement, des politiques gouvernementales aux actes de déni. Vous dites que le racisme est très répandu, et vous parlez aussi de l’identité autochtone comme motif de protection. Je vous ai également entendu parler de l’intégration du droit autochtone. Pourriez-vous nous parler du droit autochtone et de la reconnaissance de l’identité autochtone? Peut-être que plus tard, avec la permission du président, je pourrai poser les autres questions.
Mme Martin : En ce qui concerne le droit autochtone, il s’agit d’intégrer la hiérarchie des dirigeants de nos communautés. Je vais vous donner un exemple de notre système de justice réparatrice. Celle-ci intègre notre culture, nos coutumes et nos traditions, et elle intègre notre identité et la façon dont nous faisons les choses, qu’il s’agisse d’une intervention disciplinaire ou d’une célébration. Cela renforce vraiment les relations et procure ce contexte historique et cette connaissance de notre identité. Cela change beaucoup de relations, cela change des attitudes, et c’est vraiment un processus fondé sur les valeurs qui exige une volonté d’apprendre comment nous faisons les choses et d’y participer. Ce sujet m’amène à parler de la compétence culturelle. C’est différent pour chacun des peuples autochtones, mais le fait d’intégrer ce à quoi cette compétence ressemblera dans tout processus et de faire participer les groupes et les dirigeants autochtones permet de boucler la boucle quant à l’imputabilité et de vraiment nous inclure dans un processus que les peuples autochtones attendent depuis longtemps. Merci.
Le sénateur Prosper : Merci.
Je poserais ensuite une question à M. Johnson. Merci de nous avoir raconté votre histoire. J’ai pris note de ce que le sénateur Arnot a dit lorsqu’il a traité d’une affaire similaire. Ce que j’entends d’une partie de votre témoignage, c’est que les processus existants, en général, qui traitent des questions liées aux droits de la personne ne sont pas holistiques. Cela s’inscrit en quelque sorte dans un cadre colonial, et il n’existe pas vraiment de processus de règlement adapté à la culture. Vous avez parlé de vos façons de faire et de celles de votre peuple, et vous avez dit qu’il s’agissait d’un processus de guérison. J’aimerais que vous nous en disiez davantage sur ce mécanisme de tribunal des droits de la personne. Quelles sont les choses qu’il doit faire afin d’intégrer votre savoir?
M. Johnson : Se renseigner sur notre mode de vie. Un grand nombre de Premières Nations ont leurs propres Gvilás. C’est le mot qui désigne les lois dans notre langue. Ce qui est le plus important pour qu’une institution comprenne où elle se situe et à qui elle a affaire, c’est de s’éduquer. Nous avons des lois encadrant nos potlatchs et nous avons des lois régissant notre vie quotidienne. Je suis l’un des chefs culturels des potlatchs, et je suis l’une des personnes qui participent aux danses. Nous avons des danses sacrées, et il y a des lois pour cela.
Je le dis à tout le monde depuis le début, l’éducation. Renseignez-vous sur les enjeux des Premières Nations. Plus vous en saurez, plus la vie sera facile pour tout le monde. La cérémonie d’excuses que nous étions censés avoir ne peut pas avoir lieu parce que les deux agents ne se sont jamais présentés. Dans notre mode de vie, tout le monde doit être présent pour rendre compte de ce qui s’est passé. C’est un moyen de guérison pour nous.
On m’a enseigné nos cultures depuis le début des années 1990, et aujourd’hui, j’en apprends encore sur notre culture. Il y a encore beaucoup à apprendre, et, pour comprendre notre mode de vie, je pense que le mieux qu’on peut faire est de s’éduquer.
Le sénateur Prosper : Je vais poser rapidement ma question, qui s’adresse à M. Courtois. Je vous remercie également de votre témoignage.
J’aimerais m’attarder sur le fait que vous avez mentionné que le système est passablement colonial en ce qui concerne les droits de la personne, du fait qu’il est individualiste. Vous avez aussi mentionné — et je l’ai noté — que la communauté est au cœur de notre nation. J’aimerais savoir ce que vous pensez de la relation ou de l’équilibre que vous envisagez au sein d’un tribunal. Comment concevez-vous l’équilibre entre les droits individuels et les droits collectifs?
[Français]
M. Courtois : Tout dépend des causes qui pourraient être traitées par ce tribunal. Il est bien entendu qu’il y a des causes qui sont d’ordre individuel, parce qu’elles concernent des individus personnellement, mais il y a des causes collectives, et c’est là que le système juridique actuel en place, qui prévaut au Canada, ne tient pas nécessairement compte du droit collectif.
Donc, pour ce qui est des droits d’une nation, le meilleur exemple que je peux vous donner concerne la propriété du territoire. Chez nous, notre Première Nation n’a jamais signé de traité numéroté. Par conséquent, elle n’a jamais cédé de titre foncier. Maintenant, il y a des gens au sein de notre Première Nation qui pensent de façon moderne; ils croient que le terrain de chasse qu’ils occupent comme territoire est leur propriété individuelle, mais du point de vue technique, la façon dont on conserve actuellement le territoire est la même qu’avant l’arrivée des Européens : la propriété du territoire est collective, elle appartient à tout le monde en même temps, donc à une instance, un gouvernement. Nous devons le gérer collectivement.
Malheureusement, le système juridique ne tient pas compte de cela. Il va tenir compte du droit d’un individu, mais on ne peut pas tenir compte nécessairement des droits d’un ensemble de personnes.
Sincèrement, je n’ai pas de réponse précise à donner parce qu’actuellement, il n’y a pas de système juridique qui peut bien illustrer l’aspect collectif ou l’aspect non individuel du droit autochtone, malheureusement. Cela pourrait être un très beau sujet de doctorat pour un futur étudiant en droit dans une université du pays.
[Traduction]
Le sénateur Prosper : Merci.
Le président : Merci, sénateur Prosper.
Le temps est maintenant écoulé pour ce groupe de témoins, et je tiens à remercier tous les témoins de s’être joints à nous.
Merci, monsieur Johnson. Votre force à vous faire entendre a ouvert la voie vers l’avenir. C’est tellement troublant que tant de membres des Premières Nations, y compris des enfants, continuent de subir une discrimination persistante. C’est également le cas des Micmacs du Canada atlantique, et j’espère que vous trouverez le soutien et la justice que vous méritez et que la situation s’améliorera pour tous les membres des Premières Nations du Canada.
J’aimerais rappeler aux témoins que, s’ils souhaitent présenter d’autres mémoires, ils doivent le faire auprès de notre greffière, Andrea Mugny, dans les sept jours.
Merci, honorables sénateurs, de votre présence ce soir.
(La séance est levée.)