LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES PEUPLES AUTOCHTONES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mardi 30 avril 2024
Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd’hui, à 9 h 2 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier les responsabilités constitutionnelles, politiques et juridiques et les obligations découlant des traités du gouvernement fédéral envers les Premières Nations, les Inuits et les Métis et tout autre sujet concernant les peuples autochtones.
[Note de la rédaction : Veuillez noter que ces délibérations peuvent contenir un langage pouvant choquer certaines personnes et qu’elles traitent de sujets sensibles qui peuvent être difficiles à lire.]
Le sénateur Brian Francis (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Avant de commencer, j’aimerais rappeler d’importantes mesures préventives à tous les sénateurs et aux autres personnes qui participent à la réunion. Afin de prévenir tout retour de son perturbateur pouvant être nocif et causer des blessures pendant la réunion, je rappelle à toutes les personnes ici présentes de tenir leur oreillette loin des microphones en tout temps. Comme le mentionne le Président dans le communiqué qu’il a adressé à tous les sénateurs le lundi 29 avril, les mesures suivantes ont été prises pour aider à prévenir les incidents de retour de son.
Toutes les oreillettes ont été remplacées par un modèle qui réduit considérablement la probabilité de retour de son. Elles sont de couleur noire, tandis que les anciennes sont de couleur grise. Veuillez utiliser uniquement les oreillettes noires approuvées. Par défaut, toutes les oreillettes inutilisées seront débranchées au début d’une réunion.
Lorsque vous n’utilisez pas votre oreillette, veuillez la placer face vers le bas au milieu de l’autocollant rond que vous voyez devant vous sur la table à l’endroit indiqué. Consultez la fiche sur la table pour obtenir des directives sur la prévention des incidents de retour de son.
Veillez à vous asseoir de manière à augmenter la distance entre les microphones. Les participants doivent brancher leur oreillette uniquement à la console de microphone qui se trouve directement devant eux.
Ces mesures sont mises en place de telle sorte que nous puissions mener nos travaux sans interruption et pour protéger la santé et la sécurité de tous les participants, y compris les interprètes. Je vous remercie tous de votre collaboration.
Sur ce, j’aimerais commencer par souligner que les terres sur lesquelles nous sommes rassemblés aujourd’hui font partie du territoire traditionnel, ancestral et non cédé de la nation algonquine anishinaabeg, et qu’elles abritent maintenant de nombreux autres peuples des Premières Nations, des Métis et des Inuits de l’île de la Tortue.
Je suis le sénateur mi’kmaq Brian Francis, d’Epekwitk, aussi connu sous le nom d’Île-du-Prince-Édouard, et je suis président du Comité des peuples autochtones. J’inviterais maintenant les membres du comité à se présenter en indiquant la province ou le territoire qu’ils représentent, en commençant par le vice‑président.
Le sénateur Arnot : David Arnot, de la Saskatchewan, territoire du Traité no 6.
Le sénateur McNair : John McNair, Nouveau-Brunswick, territoire mi’kmaq.
La sénatrice Hartling : Bonjour. Nancy Hartling, du territoire non cédé du peuple mi’kmaq, au Nouveau-Brunswick.
La sénatrice Sorensen : Karen Sorensen, Alberta, parc national Banff, territoire du Traité no 7.
La sénatrice Coyle : Mary Coyle, Antigonish, Nouvelle-Écosse, dans le Mi’kma’ki, le territoire de mon voisin ici.
Le sénateur Prosper : Sénateur P. J. Prosper, Nouvelle-Écosse, Mi’kma’ki.
Le président : Merci, chers collègues.
Avant d’aller plus loin, je précise que la présente réunion porte sur les pensionnats indiens, un sujet que certains peuvent trouver troublant. Du soutien est accessible en tout temps et gratuitement pour toute personne qui en a besoin. Vous n’avez qu’à appeler à la ligne d’écoute téléphonique de Résolution des questions de pensionnats indiens, au 1-866-925-4419, ou à la Ligne d’écoute d’espoir pour le mieux-être, au 1-855-242-3310. Vous pouvez aussi clavarder à www.espoirpourlemieuxetre.ca.
Je vais maintenant vous donner des renseignements concernant la réunion d’aujourd’hui. Vous vous rappellerez peut-être que, en mars dernier, le comité a entendu le Centre national pour la vérité et la réconciliation, ou CNVR, et le Bureau de l’interlocutrice spéciale indépendante pour les enfants disparus et les tombes et les sépultures anonymes en lien avec les pensionnats autochtones, qui nous ont parlé de leur travail destiné à honorer, à mettre en lumière et à dévoiler la vérité concernant le système des pensionnats et ses conséquences douloureuses et durables.
À la lumière de ces témoignages, le 19 juillet, le Comité des peuples autochtones a publié un rapport provisoire intitulé Honorer les enfants qui ne sont jamais rentrés auprès des leurs : vérité, éducation et réconciliation. On y recommandait notamment la tenue d’audiences publiques avec le gouvernement, les organisations religieuses et les autres entités qui continuent de refuser de divulguer les documents concernant les pensionnats et les sites qui y sont associés.
Au cours de la réunion d’aujourd’hui, nous allons continuer à entendre ces témoins. J’aimerais maintenant vous présenter notre premier témoin. Du gouvernement du Manitoba, nous accueillons le Dr John K. Younes, médecin légiste en chef. Wela’lin d’être des nôtres aujourd’hui. Il fera une déclaration préliminaire d’environ cinq minutes, qui sera suivie d’une période de questions et réponses avec les sénateurs.
Je l’invite maintenant à faire sa déclaration préliminaire.
Dr John K. Younes, médecin légiste en chef, gouvernement du Manitoba : Bonjour à tous. On m’a demandé de présenter un aperçu des activités de la province que je représente en ce qui a trait à la découverte et à la récupération de documents relatifs à des décès d’enfants survenus dans les pensionnats de la province.
Je vais faire un bref historique du système des pensionnats au Manitoba. Il y avait en tout 16 pensionnats. Le premier a ouvert ses portes en 1874, et le dernier a fermé ses portes en 1989. Tous les pensionnats sauf cinq avaient cessé leurs activités en 1970.
C’est une date importante parce que les systèmes d’enquête sur les décès de la province ont subi un changement fondamental en 1970. Jusqu’en 1970, les enquêtes sur les décès étaient gérées par un système de coroners. En 1970, le système d’enquête sur les décès a été converti en un système de médecins légistes, et une nouvelle loi a été adoptée pour régir le fonctionnement du bureau du médecin légiste. Il s’agit de la Loi sur les enquêtes médico-légales.
Malheureusement, durant l’époque des coroners, jusqu’en 1970, seules les morts violentes et les morts inexpliquées étaient signalées pour enquête. En 1970, par suite de l’adoption de la Loi sur les enquêtes médico-légales, tous les décès d’enfants devaient être signalés au Bureau du médecin légiste en chef et faire l’objet d’une enquête.
Ainsi, le système d’enquête sur les décès a été géré par des coroners pendant 90 ans à l’époque des pensionnats. Après 1970, c’était un système de médecins légistes.
Je suis allé voir nos archivistes et je leur ai demandé d’extraire tous les documents ou tous les renvois à des documents qu’ils pouvaient trouver concernant les rapports des coroners et les rapports des médecins légistes jusqu’en 1989. Ce que je peux vous rapporter est un peu décevant : en 1958 et en 1968, des décrets autorisant la destruction de tous les rapports de coroner datant de 20 ans ou plus ont été promulgués dans la province.
Ainsi, lorsque les coroners enquêtaient sur un cas, ils préparaient une petite fiche sommaire. Chaque fiche correspondait à un dossier d’enquête. Tous les dossiers d’enquête de l’époque des coroners ont été détruits. Nous avons quatre boîtes de fiches sommaires couvrant la période de 1946 à 1970. Malheureusement, même là, les fiches produites pendant huit années de cette période ont été détruites à un moment donné par une inondation et la moisissure. Les fiches dont nous disposons couvrent une période d’environ 17 ans.
J’en ai examiné un certain nombre. La quantité d’information qu’elles contiennent est variable. Le lieu du décès n’est pas toujours consigné, mais certains détails relatifs aux circonstances du décès sont fournis, de même que la cause du décès et, bien sûr, le nom et l’âge de la personne. Passer en revue ces fiches reviendrait essentiellement à les examiner une par une dans l’espoir de relever les décès d’enfants ayant pu survenir dans les pensionnats.
Les choses s’améliorent après la transition vers le bureau du médecin légiste. Là encore, j’ai à mon bureau des fiches sommaires pour chaque décès à déclaration obligatoire depuis 1970. Chacune de ces fiches est associée à un dossier d’enquête qui peut être récupéré dans les archives. Les archives contiennent littéralement des centaines de pieds cubes de rapports de médecins légistes pour les 20 années pertinentes. Pour l’essentiel, nous allons devoir examiner ces dossiers un par un et relever les décès d’enfants — généralement âgés de 5 à 18 ans — pouvant être pertinents dans l’espoir de trouver des renseignements d’identification permettant de déterminer les décès survenus dans un pensionnat ou d’identifier les enfants ayant fréquenté un pensionnat.
Ce sera une tâche difficile. Comme nous n’avons pas les noms des enfants susceptibles d’être décédés dans un pensionnat, nous ne pouvons pas cibler nos recherches en vue de repérer rapidement ces dossiers particuliers. Il faudra essentiellement éplucher une énorme quantité de données pour essayer de trouver des dossiers d’enquête relatifs à des décès d’enfants et partir de là.
En fin de compte, je dirai que je n’ai aucune hésitation ni aucun scrupule quant au fait de communiquer à mes proches ou au CNVR les renseignements que nous aurons trouvés sur les décès d’enfants dans les pensionnats. Merci.
Le président : Merci, docteur Younes. Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs, en commençant par notre vice-président, le sénateur Arnot.
Le sénateur Arnot : Docteur Younes, je vous remercie d’être des nôtres aujourd’hui. Je suis certain que vous comprenez les problèmes que pose la non-divulgation de dossiers médicaux historiques des familles des survivants des pensionnats. Les questions que je vais vous poser sont plus tournées vers l’avenir. Quelles mesures prendriez-vous pour accroître la transparence et la confiance entre les bureaux des médecins légistes et les communautés, les personnes et les familles autochtones, particulièrement en ce a trait aux documents historiques? Quels changements de politiques préconiseriez-vous pour faire en sorte que nous puissions mieux répondre aux besoins des survivants des pensionnats et de leurs familles? Quelles sont les pratiques exemplaires que vous recommanderiez?
Dr Younes : La préservation des documents aurait évidemment été utile. De nos jours, grâce au stockage numérique, c’est beaucoup plus facile de le faire qu’au XXe siècle, où tous les documents étaient sur papier et devaient être stockés dans des boîtes exposées à toutes sortes de risques.
Pour ce qui est de la communication avec les communautés autochtones et de la transparence, mon bureau est en train d’embaucher un agent de liaison autochtone qui veillera à faciliter l’échange d’information, à expliquer nos processus et nos façons de faire, ainsi qu’à expliquer pourquoi il s’agit d’une chose importante.
J’aimerais simplement répéter que, à tout le moins au Manitoba, ce n’est pas la non-divulgation de l’information qui pose problème, mais la capacité de déterminer quels renseignements sont à notre disposition et d’être en mesure de les récupérer. Là encore, je n’ai aucune objection de principe à ce que nous divulguions l’information que nous découvrons.
Le sénateur Arnot : Ce que vous dites, c’est que le système des coroners qui a été en place pendant environ 90 ans est un échec lamentable pour ce qui est des dossiers. Le nom de la personne et le lieu de son décès — des renseignements de base qu’un médecin légiste comme vous est appelé à examiner — n’étaient pas consignés. Même les coroners ont manqué à leurs responsabilités et enfreint la loi pendant cette centaine d’années, n’est-ce pas?
Dr Younes : Il est difficile de savoir ce qui se trouvait dans les dossiers d’enquête des coroners, car ils ont tous disparu. Tout ce qu’il nous reste, ce sont ces petites fiches sommaires renvoyant aux dossiers d’enquête. J’imagine que les dossiers d’enquête contenaient beaucoup plus de renseignements, y compris le lieu du décès et le lieu de naissance, par exemple. Les petites fiches sommaires mentionnent essentiellement la cause du décès, le nom de la personne et peut-être quelques détails relatifs aux circonstances.
La sénatrice Sorensen : J’ai deux questions. Étant donné que l’information date en grande partie d’avant 1970, avez-vous une idée de la procédure qui était suivie au Manitoba lors du décès d’un élève d’un pensionnat avant 1970 et après 1970? Dans quelles circonstances une autopsie était-elle pratiquée? La procédure était-elle différente de celle suivie dans les cas de décès d’enfants de la population générale?
Dr Younes : Là encore, d’après ce que j’ai compris des critères de déclaration d’un décès aux coroners, le décès devait être le résultat de violence ou de moyens non naturels, ou être complètement inexpliqué.
La sénatrice Sorensen : J’imagine que cela était le cas dans un certain nombre de pensionnats, mais…
Dr Younes : Oui. De toute évidence, un certain nombre de décès survenus dans les pensionnats auraient satisfait à ces critères et auraient fait l’objet d’une enquête, s’ils avaient été signalés au coroner. Je n’ai pas de données précises à ce sujet, mais j’imagine qu’une grande majorité des décès survenus dans les pensionnats sont attribuables à des maladies naturelles, comme la variole, la tuberculose et d’autres maladies courantes de l’époque. Ces décès n’auraient pas été signalés aux coroners aux fins d’enquête.
La sénatrice Sorensen : Dans vos commentaires, vous semblez parler au présent ou au futur, par exemple « nous allons devoir » ou « nous sommes en train d’embaucher ». Je suis curieuse; il semble que ce soit votre point de départ. C’est une question qui est sur la table depuis de nombreuses années, et de nombreuses découvertes horribles ont été faites au cours des dernières années. Pouvez-vous nous expliquer ce qui a été fait à ce jour? Tous ces efforts prévus, s’agit-il d’efforts que vous êtes en train de déployer et qui le seront dans l’avenir, si vous comprenez ma question?
Vous avez dit très clairement que la divulgation de renseignements ne vous posait aucun problème. J’aimerais simplement savoir, en fin de compte, si des dispositions législatives pourraient empêcher votre bureau de divulguer des documents relatifs à d’éventuels enfants autochtones décédés.
Dr Younes : Aucune loi provinciale ne restreint ma capacité de communiquer des renseignements aux proches parents des enfants que nous avons identifiés comme étant décédés dans les pensionnats. Il n’y a pas de problème à cet égard.
La sénatrice Sorensen : D’accord.
Dr Younes : À vrai dire, cette demande de récupération de documents n’a été portée à mon attention que très récemment, en fait dans le cadre de la préparation de la présente réunion. Le processus est en train de démarrer. Le directeur de mon bureau et moi-même devrons essentiellement examiner toutes les boîtes, essayer de trouver des documents pertinents, puis récupérer les dossiers correspondants dans les archives. Ce processus prendra un certain temps.
La sénatrice Sorensen : Là encore, ce n’est pas une critique à votre endroit, monsieur, mais je suis simplement surprise que le gouvernement du Manitoba n’ait pas entrepris quelque chose avant cela. Cela dit, nous avons hâte de voir ce que vous ferez.
Dr Younes : En ce qui concerne l’examen physique des pensionnats, le Manitoba a entrepris des fouilles limitées du site de la Première Nation de Pine Creek, en particulier le sous-sol d’une église puisque le géoradar a détecté quelques anomalies, plus précisément 10. J’ai élaboré un plan conjointement avec l’équipe d’anthropologie pour ce qui est de la façon dont les restes trouvés seront traités.
En l’occurrence, aucuns restes n’ont été trouvés, mais je crois comprendre qu’au moins une autre communauté de la province entreprendra des fouilles cet été. Le Bureau du médecin légiste en chef participera de nouveau au processus et prendra les mesures qui s’imposent si des restes sont découverts.
La sénatrice Sorensen : Merci. C’était utile.
La sénatrice Coyle : Merci, docteur Younes. J’essaie de comprendre ce qu’il faudra pour éplucher tous les documents à votre disposition. Vous avez clairement expliqué en quoi consiste le défi, la tâche que représentent ces documents incomplets, qui ne couvrent que certaines années. Je crois que vous avez mentionné que le problème tient en partie au fait que vous ne pouvez pas contrôler ces documents par rapport à quoi que ce soit. Est-il juste de dire cela? Je vais commencer par cela.
Dr Younes : Oui. Nous pourrions certainement accélérer la découverte de documents pertinents si nous avions un nom d’enfant et une année de décès à chercher, mais nous n’avons pas de renseignements de ce genre. Essentiellement, nous examinons tout ce que nous avons, à la recherche de décès qui pourraient être pertinents.
La sénatrice Coyle : J’ai deux questions à ce sujet. Je me trompe peut-être, mais je croyais que le Centre national pour la vérité et réconciliation avait un registre commémoratif — et je suis sûre qu’il n’est ni complet ni parfait — d’enfants susceptibles d’être morts pendant qu’ils fréquentaient un pensionnat. Ce registre commémoratif est-il utile pour le travail de recoupement que votre personnel et vous-même allez faire?
Ma deuxième question est la suivante : avec ou sans cela, selon vous, combien de temps faudra-t-il pour mener à bien cette tâche? Je suis certaine que vous avez fait une estimation du temps et des efforts que cela exigera. Merci.
Dr Younes : Merci de vos questions. Le site Web du CNVR contient une liste de noms d’enfants considérés comme ayant disparu pendant qu’ils fréquentaient un pensionnat, mais d’après ce que j’ai vu, il n’y a pas suffisamment d’information nous permettant de cibler la recherche en fonction du moment du décès. Nous devrons examiner ce qu’il nous reste à examiner, soit les boîtes de rapports et de fiches sommaires des coroners, ainsi que les rapports des médecins légistes à partir de 1970.
Je prévois que nous aurons fini d’examiner ces boîtes d’ici la fin de l’été, et que nous aurons récupéré les documents pertinents dans les archives de manière à ce que je puisse les éplucher et établir si les décès sont survenus ou non dans un pensionnat, puis en déterminer les circonstances et la cause.
La sénatrice Coyle : Merci.
La sénatrice Hartling : Docteur Younes, merci beaucoup de votre travail assidu. Je suis particulièrement heureuse d’apprendre qu’un agent de liaison sera embauché, car cela permettra d’établir des relations. C’est très important pour la réconciliation.
Pourriez-vous nous dire ce qui vous a mené à assumer cette fonction? Vous êtes-vous heurté à des obstacles ou à de la résistance dans le cadre de ce travail à ce jour? Dites-nous simplement quelques mots sur vous et sur ce qui vous a amené à faire ce travail.
Dr Younes : Concrètement, vous aimeriez connaître mon parcours professionnel?
La sénatrice Hartling : Non, juste quelques mots à votre sujet. C’est un travail difficile et ce n’est pas tout le monde qui serait disposé à le faire. Qu’est-ce qui vous a amené à assumer cette fonction? Je sais que vous êtes tout à fait qualifié, mais qu’est-ce qui vous a poussé à vouloir faire ce travail?
Dr Younes : J’ai commencé à travailler au Manitoba comme médecin légiste et pathologiste judiciaire en 2000. Je suis ici depuis près de 25 ans. L’ancien médecin légiste en chef était ici depuis longtemps. Lorsqu’il a quitté ses fonctions, j’étais celui qui avait le plus d’ancienneté ici. Avant son départ, il m’avait déjà choisi comme chef adjoint. Au moment de son départ en 2015, je suis devenu le chef.
Depuis, j’ai essayé de maintenir le navire à flot pendant diverses crises, y compris la COVID et l’épidémie de décès liés à la drogue, et j’assume les tâches à mesure qu’elles se présentent. De toute évidence, il s’agit également d’une tâche importante, et j’espère avoir fait ce que nous pouvons faire d’ici la fin de l’été.
La sénatrice Hartling : Merci beaucoup.
Le président : C’est tout le temps dont nous disposons pour cette partie de la séance. Je remercie encore une fois notre témoin, le Dr Younes, de s’être joint à nous ce matin. Si vous souhaitez présenter d’autres observations, veuillez les transmettre par courriel à la greffière.
J’aimerais maintenant présenter le prochain groupe de témoins. Nous accueillons Edmund Metatawabin, coordonnateur, Association Peetabeck Keway Keykaywin; Evelyn Korkmaz, survivante du pensionnat St. Anne et militante; Mike Metatawabin, survivant du pensionnat St. Anne et responsable de projet, Nee Kee Wa Nan; Anna Betty Achneepineskum, grande cheffe adjointe, Nation Nishwanwbe Aski; et Fay Brunning, conseillère juridique des survivants du pensionnat indien de St. Anne.
Wela’lin. Merci à tous d’être des nôtres ce matin. Les témoins feront une déclaration préliminaire d’environ cinq minutes, qui sera suivie d’une période de questions et réponses avec les sénateurs. J’invite maintenant M. Metatawabin à faire sa déclaration préliminaire.
Edmund Metatawabin, coordonnateur, Association Peetabeck Keway Keykaywin, à titre personnel : Je suis ravi d’être ici.
Je suis un survivant. J’ai été placé dans un pensionnat à l’âge de 6 ans, et j’y ai passé 8 ans. Je suis heureux de discuter avec vous. Je m’appelle Mattawabogimow. Je suis inscrit sous le nom d’Edmund Metatawabin.
Les pensionnats entrent dans la définition universitaire d’« institution totale ». Ces établissements, au même titre que les hôpitaux, les prisons, les établissements psychiatriques et les réserves indiennes du Canada, font partie des cinq catégories d’institutions totales recensées par des auteurs comme Erving Goffman. Viktor Frankl, dans son livre intitulé Man’s Search for Meaning, décrit les processus sociaux qui se développent parmi les détenus des camps, les rapports compris entre les gardiens et les prisonniers, ainsi que l’objectif final du programme, soit l’éclatement du groupe cible. Pour un survivant des pensionnats, il n’est pas difficile de voir les similitudes entre tous ces éléments.
Les personnes inscrites dans les pensionnats — ou les détenus — étaient des personnes dont on jugeait qu’il fallait changer le caractère, qu’il fallait guérir et enfermer, comme celles des établissements que je viens de nommer, jusqu’à ce que leur comportement et leur système de croyances correspondent à la norme canadienne de citoyen acceptable.
La réconciliation ne vise pas à changer la relation entre le Canada et les Premières Nations. Elle vise seulement l’expression de la tristesse causée par le traitement historique, mais elle continue de nier l’existence du système des réserves, où la population autochtone captive a été placée au Canada. C’est là qu’elle est confinée, définie comme devant être raffinée.
Les documents relatifs aux accords de contribution continuent d’être préparés chaque année sans consultation adéquate des Premières Nations. Il est rare, dans l’histoire du Canada, que nous, les Autochtones, ayons la possibilité d’influer sur des décisions qui auront une incidence à long terme pour ce pays.
C’est à la lumière de ces faits que la Société canadienne de psychologie a déclaré :
Des outils psychologiques inappropriés ont été utilisés pour appuyer des politiques discriminatoires qui pathologisent les peuples autochtones, ainsi que des pratiques qui ne sont ni justes ni bénéfiques pour les communautés autochtones du Canada.
Un génocide n’est pas toujours un événement ponctuel; dans le cas des Indiens du Canada, il s’agit d’un processus d’attrition sur une longue période.
Le pensionnat de Fort Albany a ouvert ses portes en 1903 avec 12 élèves inscrits. Avant cela, un jésuite du nom de Laverlochère avait fondé là-bas la première mission catholique romaine, administrant ses premiers baptêmes en 1851. Le premier acte de violence a été de séparer les enfants de leur famille élargie. Au début de la mission, l’évêque Grandin a clairement énoncé l’objectif des pensionnats lorsqu’il a dit, et je traduis :
Nous leur inculquons un dégoût prononcé pour la vie autochtone, de sorte qu’ils seront humiliés lorsqu’on leur rappellera leur origine. Quand ils sortent de nos établissements, les enfants ont perdu tout caractère autochtone, sauf leur sang.
Comme nous le savons maintenant, c’est Duncan Campbell Scott qui a conçu et pris en charge le financement du système des pensionnats. En collaboration avec l’Église, l’entreprise de suppression de la culture et de la langue autochtones a commencé pour de bon. La perte des systèmes de soutien, le renforcement négatif et les mauvais traitements sont devenus un mode de vie.
À cause de tout cela, une multitude d’élèves des Premières Nations ayant fréquenté les pensionnats ont continué de se maltraiter eux-mêmes après avoir quitté ces établissements. Beaucoup ont tourné le dos à leurs origines, et de nombreux autres se sont enfuis vers les centres urbains. Bon nombre d’entre eux sont morts des suites de sévices auto-infligés. À partir des années 1960, les religieux exerçaient une autorité absolue sur la communauté, du moins à Fort Albany.
Paradoxalement, c’est le gouvernement du Canada qui a provoqué la renaissance des peuples autochtones du Canada. Le Livre blanc de 1969 visait à retirer leur statut aux membres des Premières Nations pour en faire des citoyens du Canada par voie législative. Il n’y aurait plus d’« Indiens ».
Les chefs de l’Ouest ont réagi immédiatement. Cette suppression a été contestée avec acharnement au moyen du Livre brun. Les jeunes Autochtones se sont réveillés, se sont retroussé les manches et ont accouru vers les universités. J’étais l’un d’eux. Pour les gens de l’ouest de la baie James, le renouvellement allait se poursuivre au cours des 20 années suivantes, jusqu’à ce qu’il soit temps d’examiner la relation des Premières Nations avec le Canada. Cela ne veut pas dire que tout le monde a été guéri.
Une conférence et une réunion ont eu lieu en 1992. Les survivants ont assisté à ce premier rassemblement au pensionnat St. Anne en 1992. L’école était située à Fort Albany. L’événement a eu lieu à cet endroit. En tant que premiers détenus de cette institution totale, les participants sont arrivés en provenance des collectivités de l’ouest de la baie James et de centres urbains.
Dans le cadre de l’événement, un groupe de six professionnels ont écouté et enregistré les témoignages de 30 survivants pendant toute une journée et une partie du lendemain. D’autres personnes voulaient leur parler, mais c’était tout le temps dont nous disposions. Il y avait un programme à respecter.
Les conclusions présentées aux participants à la conférence sont devenues connues sous le nom de rapport du groupe d’experts.
Lors de la réunion immédiatement postérieure du conseil de la Première Nation de Fort Albany, le conseiller Joseph Wheesk a proposé, et je traduis :
que le rapport du groupe d’experts, qui contient des témoignages de survivants d’actes criminels commis par le personnel du pensionnat St. Anne de 1903 à 1973, soit remis à la police à des fins de suivi.
Après son témoignage, l’aîné James Carpenter a déclaré, et je traduis :
J’ai raconté mon histoire. La police est venue écouter mon histoire. C’est avec plaisir que j’ai présenté ce témoignage. Le premier ministre sait maintenant ce qui s’est passé au pensionnat St. Anne.
C’était en 1992.
Les survivants du pensionnat St. Anne s’attendaient et s’attendent toujours à ce que la police, qui est au service du gouvernement, veille à ce que nos témoignages soient entendus par le gouvernement. Il a été surprenant d’entendre ensuite les avocats du gouvernement déclarer en cour qu’ils ne savaient pas où se trouvaient les dossiers d’enquête de la police. Le juge Perell a répondu qu’il considérait cela non pas comme un comportement criminel, mais plutôt comme de l’incompétence.
Des accusations de mauvais traitements ont été portées contre le personnel du pensionnat St. Anne — cinq laïcs et deux religieuses autochtones. Le procureur de la Couronne n’a pas abordé le cas du personnel religieux. Plus tard, il a été prouvé que le père Lavoie était un pédophile en série qui ciblait les garçons et les filles. Sœur Françoise Seguin a récemment été accusée d’agression sexuelle contre des garçons.
L’Association Peetabeck Keway Keykaywin, enregistrée en 1993, a suivi l’évolution du dossier des pensionnats. Elle a présenté des rapports et a reçu un appui sous forme de résolutions du Conseil de Mushkegowuk, des Chefs de l’Ontario, de la Nation nishnawbe-aski et de l’Assemblée des Premières Nations. Elle a participé aux négociations avec le gouvernement et les représentants de l’Église concernant le mode alternatif de règlement des conflits. Il y a eu ensuite le Paiement d’expérience commune, dont est issu le Processus d’évaluation indépendant, ou PEI. C’est à ce moment-là qu’un « récit incomplet » a été fourni aux adjudicateurs du PEI pour qu’ils l’utilisent dans le cadre de leur jugement. Le récit incomplet selon lequel aucune agression sexuelle n’a été commise au pensionnat St. Anne constituait une déformation de la réalité et une dénégation de la gravité des sévices subis par les enfants.
De 2001 à 2004, l’Association Peetabeck Keway Keykaywin a participé à l’élaboration du PEI. Les aînés ont demandé à son conseil d’administration de chercher à obtenir la tenue d’un processus non conflictuel en vue d’obtenir réparation pour perte culturelle et linguistique. Les représentants du gouvernement, les quatre Églises — catholique, anglicane, presbytérienne et unie — ainsi que les représentants régionaux des survivants se sont réunis périodiquement sous une forme combinant IWC et AWC en vue d’en arriver à un règlement avantageux et justifié.
Dans le cadre du PEI, les adjudicateurs disposent de critères les aidant à déterminer l’ampleur des mauvais traitements. L’Association Peetabeck Keway Keykaywin continue de remettre en question le récit présenté par le gouvernement. Elle insiste sur le fait qu’il s’agit d’un récit incomplet.
Pour faire croire à l’électorat qu’aucune agression sexuelle n’a été commise au pensionnat St. Anne, on nie la douleur de Margaret, qui est tombée enceinte de l’évêque alors qu’elle était une jeune fille. Nous ne savons pas ce qui est arrivé au fœtus. Elle était enceinte d’environ sept ou huit mois, et cela commençait à paraître. Nous savions qu’elle était enceinte.
Elle n’était pas la seule. C’est ce qui est ressorti de l’enquête policière. Il y a eu des abus sexuels excessifs et continus.
Les avocats du ministère de la Justice nous accusent d’engager une procédure judiciaire futile et complaisante ne servant pas l’intérêt du grand public. La question de la qualité pour agir est utilisée contre l’Association Peetabeck Keway Keykaywin afin de nier l’approche collective traditionnelle — courante dans les sociétés autochtones — au moyen d’un principe du droit contractuel écartant les plaideurs trouble-fêtes.
De plus, ces mêmes avocats prétendent que le fait d’être forcé d’ingérer son propre vomi n’est pas nocif puisqu’il s’agit d’un fluide corporel. Nous nous demandons simplement comment ils peuvent le savoir.
Un matin, alors que j’avais sept ans, je me suis réveillé avec de la fièvre au pensionnat St. Anne. J’ai essayé de manger, mais j’ai tout régurgité dans mon bol de gruau. À cause de la fièvre, j’ai passé les trois jours suivants au lit. Le quatrième jour, comme je me sentais beaucoup mieux, j’ai rejoint tout le monde pour le petit déjeuner. Toutefois, on ne m’a pas servi de gruau. Sœur Marie Immaculata, notre superviseure, m’a apporté le bol de gruau dans lequel j’avais vomi quatre jours plus tôt, et elle me l’a fait manger. Mes amis étaient incapables de regarder. J’ai terminé mon bol, et je ne me souviens de rien de ce qui s’est passé au cours des six mois suivants. Tel est le moyen qu’utilise votre propre esprit pour vous protéger.
Je ne suis pas le seul à avoir subi une humiliation de ce genre. Pendant les huit années où j’ai été inscrit au pensionnat St. Anne, j’ai vu mes amis subir le même traitement. Ce n’est pas futile.
J’ai aussi vu le fouet — 20 millimètres de long, 7 millimètres de large et 2 millimètres d’épaisseur — auquel six petites cordes étaient attachées. À l’extrémité de chaque corde était fixé un écrou en métal. Un adulte de six pieds a administré 20 coups de cet instrument sur les fesses nues d’un enfant qui hurlait, étendu sur un lit de 60 millimètres de haut.
Nous avons tous dû nous asseoir sur le fauteuil électrique conçu par le frère Goulet. Pendant que nous y étions assis, un courant électrique traversait notre corps. Cela nous faisait gigoter, au grand amusement du personnel et des visiteurs.
Après le coucher du soleil avaient lieu les visites nocturnes des agresseurs sexuels, qui envahissaient les dortoirs où les enfants essayaient de se cacher sous leurs couvertures : le frère Michaud, le frère Goulet, l’évêque Beleau, l’évêque Leguerrier, le frère Jutras, le père Lavoie, la sœur supérieure Seguin, la sœur Gorretti, pour n’en nommer que quelques-uns. Le rapport d’enquête de la Police provinciale de l’Ontario contient de plus amples détails sur ces horreurs commises contre des enfants.
Nous avons présenté de façon cohérente et honnête le récit des survivants du pensionnat St. Anne. Nos aînés — eux-mêmes des survivants — ont participé avec nous à la conférence à l’origine du rapport du groupe d’experts et ont entendu les témoignages déchirants de leurs pairs. Ils ont participé à la conférence, offrant soutien et encouragement. Ils ont présenté leur propre témoignage. Nous savions qu’à cette étape tardive de leur vie, à l’approche de l’autre vie, ils ne pouvaient que dire la vérité.
C’est cet exemple sacré d’expression de la vérité qui nous guide en ces temps difficiles. Nombreux sont ceux qui ne croient pas que ce que nous avons vécu est vrai. Si quelqu’un est curieux de savoir à quoi ressemble le fond du baril, nous pouvons vous le dire, car nous l’avons vu.
La langue est un élément important d’une socialisation adéquate. Si vous pouvez communiquer avec les aînés de votre clan, vous possédez des règles et des lignes directrices qui vous aident à comprendre votre culture. Si vous entendez parler de votre histoire et de vos héros — mythiques ou réels —, et si vous pouvez désigner les ruisseaux, les rivières et des lacs de votre territoire traditionnel par leur nom originel, vous avez trouvé votre chez-vous.
Nous n’avons qu’une seule proposition. Notre idée a été un objectif difficile à atteindre jusqu’à présent. L’aîné est le pont qui nous fait passer en toute confiance du passé à l’avenir.
Ceux d’entre nous qui se remettent de leurs expériences difficiles ont suivi un programme commun de rétablissement. Nous nous inspirons de nos traditions. Nous écoutons notre langue. Personnellement, j’ai été fasciné par les histoires de James Wesley, de Miken Patrick, de James Carpenter, de Willie Stephen, de mon grand-père Simeon Metatawabin — un ancien combattant de la Première Guerre mondiale —, de Charlotte Sutherland, de Pauline Hunter, de Theresa Wabano et de bien d’autres.
J’envie les gens de médecine comme Philip Goodwin, Jules Tapas, Kane Ferries, Randy Sewap, Albert et Rose Damen, Albert Lightning et d’autres, qui me donnent un objectif à viser.
Nous avons besoin d’une maison d’enseignement des aînés, d’une université, d’un moyen de rejoindre nos jeunes à l’aide d’outils et de ressources modernes. Aujourd’hui, ils sont les prisonniers d’Internet. Nous devons les ramener chez eux. Une maison d’enseignement des aînés peut être un effort de collaboration de notre part à tous. La réconciliation, c’est cela : travailler ensemble. Tous pourront accéder aux connaissances de la maison d’enseignement. Les enseignements seront accessibles à tous ceux qui recherchent ce genre de connaissances. Le précepte des Premières Nations — « Pour ceux qui ne sont pas encore nés » — est inclusif.
Merci de m’avoir écouté.
Le président : Merci, monsieur Metatawabin. J’invite maintenant Mme Korkmaz à faire sa déclaration préliminaire.
Evelyn Korkmaz, survivante du pensionnat St. Anne et militante, à titre personnel : Nous nous trouvons sur le territoire traditionnel de la nation algonquine, et je la remercie de nous permettre de nous réunir ici dans la paix.
Je suis honorée de m’adresser au groupe de survivants du pensionnat St. Anne. Je remercie toutes les personnes ici présentes, et je remercie la grande cheffe adjointe Anna Betty Achneepineskum de son leadership. C’est un privilège de partager mes réflexions avec cet éminent auditoire.
Je m’appelle Evelyn Korkmaz. Je suis une militante crie et une survivante du pensionnat St. Anne. Je fais partie du comité consultatif Nikanigawbowin de la nation Nishnawbe Aski, et je suis membre fondatrice de l’organisme Ending Clergy Abuse and Advocates for Clergy Trauma Survivors in Canada, aussi connu sous le nom d’ACTS Canada.
Cette présentation est importante pour tous les survivants des pensionnats du territoire de la nation Nishnawbe Aski. Selon la Convention de règlement relative aux pensionnats indiens de 2006, le gouvernement canadien, les Églises et les peuples autochtones doivent fournir tous les documents relatifs aux pensionnats à la Commission de vérité et réconciliation du Canada, ou CVR. Chaque document renfermant des allégations de violence envers les enfants devait être produit en vue de chaque audience confidentielle en matière de maltraitance d’enfants.
Les survivants du pensionnat St. Anne veulent que ces audiences soient équitables. Les avocats du gouvernement ont eu recours à des tactiques juridiques et à des déclarations trompeuses pendant 12 ans, entraînant l’échec du processus de réconciliation.
Le gouvernement canadien a dissimulé des éléments de preuves relatifs à de mauvais traitements infligés aux enfants, et a occasionné une représentation inéquitable dans le système de justice en portant atteinte à des documents importants et en en refusant la divulgation, y compris des transcriptions de procès criminels, des actes de procédure et des rapports d’enquête. Malgré l’obtention en 2014 d’une ordonnance du tribunal prouvant qu’il y avait eu violation de la convention de règlement, le gouvernement n’a pas réglé les centaines de plaintes relatives à de mauvais traitements infligés à des enfants ayant déjà fait l’objet de manquements, y compris la mienne. Le non-respect des ordonnances des tribunaux nous porte à croire que le système de justice du Canada se caractérise encore par des préjugés systémiques envers les Autochtones.
Ensuite, les tombes non marquées et non documentées ont été découvertes à partir de 2021, ce qui a confirmé d’autres vérités inqualifiables. Le comité est au courant de ces détails.
Marc Miller, ancien ministre des Relations Couronne-Autochtones, a finalement révélé en 2021 que le gouvernement canadien respectait une entente parallèle de non-divulgation de documents sur les pensionnats conclue avec l’Église catholique sans le consentement ou à l’insu des peuples autochtones. Cet aveu signifie que le gouvernement et les représentants de l’Église ont violé les droits des peuples autochtones prévus par les conventions de règlement et des ordonnances de tribunaux.
Le gouvernement a libéré l’Église de son engagement à verser les 25 millions de dollars dus aux peuples autochtones pour leur guérison, et ce, sans consulter les peuples autochtones. Les ententes de non-divulgation concernant les sévices infligés aux enfants sont fondamentalement inacceptables et doivent faire l’objet d’une enquête par le comité sénatorial.
Ces ententes de non-divulgation doivent être rendues publiques. Le pape François a reconnu le génocide au Canada. L’Église catholique a sorti les documents sur les pensionnats du Canada et les a apportés à Rome. Elle ne les a pas communiqués à la Commission de vérité et réconciliation. L’Église doit être tenue de rendre des comptes, et les documents doivent être rapatriés rapidement au Canada.
Nous exigeons, au nom des peuples autochtones, que les institutions démocratiques respectent leurs obligations en matière de reddition de comptes et d’égalité, ainsi que leurs obligations juridiques. Le non-respect d’une ordonnance d’un tribunal constitue un mépris de la primauté du droit au Canada. L’Assemblée des Premières Nations a adopté une résolution demandant un examen international comme solution de dernier recours. Meegwetch. Merci.
Le président : Merci beaucoup, madame Korkmaz. Nous allons maintenant passer aux questions.
Le sénateur Arnot : Il y a trois questions que j’aimerais poser.
Monsieur Metatawabin, selon vous, quelles sont les prochaines étapes requises pour favoriser une véritable réconciliation entre le Canada — les Canadiens — et les peuples autochtones?
J’ai également une question pour Mme Korkmaz. Que pensez‑vous des contestations judiciaires en cours et du rôle de la magistrature canadienne pour ce qui est du traitement des séquelles des pensionnats? Plus particulièrement, quelles sont les prochaines étapes de vos activités de militantisme? Comment comptez-vous continuer à attirer l’attention de la communauté internationale sur le sort des survivants des pensionnats indiens?
J’aimerais aussi poser une question à Mme Brunning. Quelles sont les principales leçons que vous avez tirées des cas liés au pensionnat St. Anne et qui, selon vous, devraient être appliquées aux futures contestations judiciaires touchant aux droits des Autochtones et aux injustices historiques? D’après votre expérience, quelles réformes juridiques sont nécessaires pour faire en sorte que les injustices historiques soient traitées de façon adéquate, efficace et transparente dans l’avenir?
Ce sont mes trois questions. S’il n’y a pas assez de temps, une réponse écrite sera peut-être suffisante. Merci.
M. E. Metatawabin : Merci beaucoup. Je pense constamment à la jeune génération. Quelle serait la meilleure mesure que nous pourrions prendre pour elle? Deuxièmement, aucune victoire juridique n’incitera les jeunes à se concevoir une jupe à rubans ou à planifier la prochaine cérémonie, le prochain pow-wow ou quoi que ce soit qui ait à voir avec le fait d’encourager la confiance au sein de la population des Premières Nations. Ce n’est donc pas un programme ou une politique qui aidera les jeunes. Ce serait plutôt la connaissance de leur histoire, l’écoute de [mots prononcés en langue autochtone], les légendes qu’on nous a apportées du monde d’en haut.
L’histoire de l’origine, depuis le début… pour qu’ils comprennent au sujet de [mots prononcés en langue autochtone]. Nous y sommes restés pendant 6 000 ans. Ce fut [mots prononcés en langue autochtone] pendant 4 000 ans, jusqu’à ce que nous commencions à nous disperser. Cela fait 2 000 ans que nous sommes dans la région de Fort Albany.
Pour qu’ils puissent aussi entendre leur langue [mots prononcés en langue autochtone]… afin qu’ils comprennent les paroles des aînés lorsqu’ils leur parlent de leur famille, de leur arbre généalogique et de leur relation familiale. Leur propre histoire familiale et [mots prononcés en langue autochtone], ce sont des noms de lieux sur le territoire. Quand leur grand-père parle de [mots prononcés en langue autochtone], ils n’ont aucune idée d’où c’est. Voilà pourquoi nous essayons de les emmener faire un voyage de rafting de 300 milles à bord d’un radeau de 60 pieds de longueur par 16 pieds de largeur doté de lits superposés pour eux, d’une aire de repas et de bateaux afin que nous puissions les emmener pêcher ou explorer.
C’est leur propre système que l’on doit encourager, pas un changement de politique ou de loi. Laissons les gens lancer le mouvement populaire, et laissons le gouvernement l’examiner et voir comment il peut coopérer de cette façon. Rien de bon ne vient d’en haut. Il faut que ce mouvement puisse croître à partir de la base, à partir des gens de la communauté.
Je vois ces jeunes. Je les regarde, et je les plains. Mais je suis aussi très fier de ce que les jeunes accomplissent dans les arts, les études et l’économie. Il y a de nombreuses mesures positives. Si nous pouvons les encourager, les repérer et leur donner plus de soutien, je pense qu’ils auront de meilleures chances que les dépenses, que le gouvernement a engagées… il a dépensé 6 millions de dollars pour se battre contre nous, une somme qui aurait pu être investie ailleurs de façon plus positive. S’il a dépensé 6 millions de dollars pour lutter contre nous, qu’est‑ce qu’il cachait? De quoi a-t-il peur? Cet argent aurait pu servir à établir de bonnes relations. Au lieu de cela, le gouvernement se bat contre nous.
Nous nous battons contre le gouvernement parce que nous voulons connaître la vérité. Il ne nous croit pas; aujourd’hui, il ne nous croit pas. Il lutte contre nous. Auparavant, il avait retenu les services de trois avocats pour qu’ils se battent contre nous. Maintenant, il y en a six qui le font.
Alors, il érige une barricade d’où aucune vérité ne sortira. Nous avons deux avocats bénévoles. Ils font constamment l’objet de poursuites parce qu’ils parlent en notre nom. Le système juridique n’est pas censé nous représenter. Il ne nous représente pas. Il a très peur de nous.
Je vous remercie d’avoir posé la question. Je pense que ces mesures doivent venir de la base. Laissez-nous suggérer quelque chose. Je parle de l’Elders’ Institute. C’est une université des aînés. Ils sont les professeurs et les enseignants de leurs étudiants et d’autres étudiants. Merci.
Le président : Merci, monsieur Metatawabin.
Mme Korkmaz : J’ai oublié la question.
Le sénateur Arnot : Je vais la répéter : Vous menez ces batailles depuis longtemps, mais je voulais connaître votre point de vue sur les contestations judiciaires en cours et sur le rôle de la magistrature canadienne dans le traitement des séquelles laissées par les pensionnats. Plus précisément, quelles sont les prochaines étapes de votre travail de défense des droits, et comment comptez-vous continuer à attirer l’attention de la communauté internationale sur le sort des survivants des pensionnats indiens?
Mme Korkmaz : En tant que membre fondatrice de Ending Clergy Abuse, j’ai soulevé cette question sur les tribunes internationales. Je prends la parole aux Nations unies à Genève depuis maintenant plusieurs années. J’ai également eu une audience personnelle avec le pape François.
Parce que ce problème a eu une incidence sur ma vie — je ne peux pas lâcher l’affaire —, j’exige d’être traitée comme une égale dans le système de justice du Canada. J’ai mes droits, comme tout le monde, et les survivants du pensionnat St. Anne aussi. Nous avons été maltraités et trompés, et nous voulons maintenant que justice soit faite.
Il est honteux que le Canada ait dépensé 6 millions de dollars pour se battre contre nous, cacher des documents et les envoyer à Rome. Ces documents appartiennent au Canada. C’est notre histoire, notre véritable histoire. Ces documents prouvent au public et au monde entier que nous n’avons pas menti.
Nous voulons que ces documents soient révélés à la Commission de vérité et réconciliation afin que nous puissions enfin, après 50 ans, reprendre notre vie en main et croire en le Canada qui nous a été enseigné dans les écoles… qu’il est juste pour tout le monde.
Le président : Merci, madame Korkmaz.
Me Fay K. Brunning, conseillère juridique des survivants du pensionnat indien de St. Anne, à titre personnel : En répondant aux questions du sénateur Arnot au sujet des principales leçons tirées du litige du pensionnat St. Anne, mon travail auprès des survivants du pensionnat a fondamentalement changé ma vie. Je suis avocate plaidante depuis maintenant 35 ans à Ottawa. Le fait de voir le système de justice du point de vue des Autochtones m’a profondément changée, car je croyais que, encore une fois, grâce à mes compétences d’avocate plaidante, je pourrais donner accès à la justice à des gens qui ont vraiment besoin de croire que les systèmes peuvent fonctionner pour eux.
L’histoire a commencé en 2012. J’ai fait la connaissance d’Edmund Metatawabin. Il m’aidait à communiquer. Il interprétait mes paroles afin que je puisse parler à certains aînés de sa collectivité. Il m’a demandé : « Pourquoi n’êtes-vous pas au courant des procès criminels? » J’ai répondu : « Quels procès criminels? Il n’y a aucune communication à ce sujet. » Il m’a posé des questions et demandé pour qui je travaillais. J’ai répondu que je travaillais pour un cabinet d’avocats. Il m’a demandé si je travaillais pour le gouvernement ou l’Église. Je lui ai répondu par la négative. Il m’a parlé de ces procès, et je lui ai dit : « Je vous promets que je vais enquêter là-dessus. »
J’ai commencé à investiguer et, grâce à Google, j’ai trouvé des accusations portées en 1997 contre sept anciens superviseurs. Ensuite, j’ai rencontré des gens qui avaient témoigné dans le cadre de certains de ces procès criminels. J’ai écrit à l’adjudicateur en chef pour lui dire : « On arrête tout là. Selon ce récit, il n’y a pas eu d’agressions sexuelles à St. Anne… pas d’agressions sexuelles entre élèves. Il n’y a rien sur la condamnation criminelle de certains de ces superviseurs. » L’adjudicateur en chef a dit : « Nous ne savons rien au sujet de cette enquête policière. Vous devriez vous adresser à telle ou telle personne au gouvernement du Canada. » Je me suis dit que je ne pouvais pas le faire parce que ces personnes ont des avocats.
Alors, j’ai donc écrit au ministère de la Justice. Les responsables ont feint de ne pas être au courant. Ils ont répondu : « Dans la mesure où vous avez dit qu’il y avait eu des procès criminels, ces éléments de preuve ne seraient pas admissibles aux audiences sur la violence faite aux enfants. » Je me suis dit : « À quelle école de droit êtes-vous allé? » La situation n’a fait qu’empirer à partir de ce moment-là.
Mais ce qui s’était passé, et que j’ai été capable de prouver dans la conclusion en 2014, c’est que les avocats du ministère de la Justice et ceux de l’Église catholique avaient des transcriptions de procès criminels. Ils avaient les plaidoyers de près de 160 survivants. La police avait recueilli 700 déclarations de témoins signées par des survivants, et les policiers avaient obtenu des mandats de perquisition émis par le tribunal, s’étaient rendus aux bureaux des églises de Montréal, d’Ottawa, de Moosonee et de Fort Albany et avaient saisi des documents en vertu de ces mandats. Aucun de ces documents n’avait été présenté lors des audiences du PEI. Et nous avons prouvé que les avocats du ministère de la Justice cachaient tous ces documents dans leur chambre forte à Toronto. Et ce n’était qu’en format papier; les documents n’ont jamais été convertis au format électronique. Et ils ne les ont jamais remis à leurs propres clients d’Affaires autochtones. Pourtant, ce sont leurs clients de ce ministère qui rédigeaient les rapports et communiquaient les documents.
C’est très important parce que, si un de mes clients se présente et dit : « J’ai été maltraité par le père Lavoie », par exemple, le rapport sur le père Lavoie comptait deux pages. Il présentait des lacunes concernant la période où ce dernier était au pensionnat et ne mentionnait absolument rien au sujet des allégations contre lui. Et c’était la même chose pour presque tous les superviseurs, parce qu’aucune de ces allégations n’avait été communiquée.
Alors, en 2014, nous sommes tous allés devant les tribunaux et nous avons obtenu gain de cause. Le ministère de la Justice a produit 12 300 documents comportant 47 000 pages d’éléments de preuve de la violence faite aux enfants. Les avocats ont dit qu’ils pensaient que ces documents étaient visés par l’engagement présumé. Mais ils ont tous été générés… je veux dire que nous avons obtenu les plaidoiries de la Cour supérieure, les transcriptions de procès criminels et l’enquête policière… ce que j’ai également pu établir en contre-interrogatoire, c’est qu’ils avaient obtenu tous les dossiers d’enquête de la police avant la signature de la convention de règlement.
La détermination des survivants du pensionnat de St. Anne à poursuivre ces démarches a été mise à très rude épreuve. Ce sont des gens résilients, dignes et honorables. Je ne les remercierai jamais assez de ce qu’ils ont fait pour eux-mêmes, pour les jeunes de leurs collectivités et pour le grand public… pour nous tous qui espérons que l’honnêteté et la vérité l’emporteront au bout du compte et que ces promesses de vérité et de réconciliation sont sincères.
Toutefois, il a été très difficile d’amener le système judiciaire à se regarder dans le miroir. Vous entrez dans la salle, et l’avocat de la partie adverse est celui du ministère de la Justice… c’est déjà un point de marqué contre vous. Je sais que, sous le régime de la Loi sur le ministère de la Justice, ces avocats sont censés faire respecter les lois du Canada. C’est leur travail. Mais j’avais déjà prouvé que c’étaient eux qui avaient violé la convention de règlement. Ils avaient caché ces documents. Aujourd’hui, en 2021, nous entendons dire que l’Église catholique, bien au‑delà de St. Anne, avait obligé des tiers à cacher les documents des pensionnats.
Il faut mener une enquête en bonne et due forme et convoquer les personnes qui ont pris ces décisions, les faire témoigner et les mettre à l’épreuve sous serment. Parce que c’est la réconciliation, de mon point de vue : lorsque les processus internes, ce qui se passe derrière les rideaux… on ouvre les rideaux et on voit ce qui se passe. Quelles sont les ententes parallèles? Où sont-elles et qui les a conclues? Ces gens doivent être tenus responsables. Ici même, à Ottawa, des gens qui ont désobéi à des ordonnances de tribunal durant le « convoi de la liberté » font l’objet de procès criminels. Qu’arrive-t-il si c’est un avocat du ministère de la Justice qui désobéit à une ordonnance de tribunal? Rien.
Ils sont consternés par le fait que les survivants du pensionnat St. Anne ont la force et l’audace de défendre leurs droits. N’oubliez pas qu’en vertu de la Loi sur les Indiens, c’est le ministère de la Justice qui donne les avis juridiques aux Affaires autochtones. Ce sont les responsables de ce ministère qui leur disent comment appliquer la loi. C’est eux qui le faisaient il y a longtemps, même à l’époque des pensionnats. Il y a là une mentalité.
Combien d’ordonnances obligatoires Cindy Blackstock a-t-elle obtenues de la Commission canadienne des droits de la personne avant qu’ils commencent enfin à obéir? Elle a affirmé que nous avons besoin d’une enquête publique sur le ministère de la Justice. Je pense que c’est le cas, car, si nous voulons la réconciliation, nous devons nous assurer que les avis juridiques que le ministère de la Justice donne au gouvernement du Canada sont conformes à la loi. Autrement, notre démocratie est en difficulté.
Les peuples autochtones souffrent encore du racisme systémique. Simplement pour vous décrire une de ces audiences, la personne assise là, la seule à être mise à l’épreuve, c’est la personne autochtone qui prétend avoir subi de mauvais traitements. Et il faut la mettre à l’épreuve parce que, bien entendu, elle pourrait mentir pour de l’argent. Mais personne n’a mis les accusés à l’épreuve. Personne n’a mis l’Église à l’épreuve. Personne n’a demandé au gouvernement si ses rapports étaient véridiques ou s’il avait fourni tous les documents qu’il était censé fournir. Et notre système judiciaire est fondé là‑dessus. Il est fondé sur la mise à l’épreuve des personnes en position d’autorité.
Une audience aura lieu en novembre, et le gouvernement du Canada tente de faire invalider la cause juridique de M. Metatawabin et d’un certain nombre d’autres survivants du pensionnat St. Anne qui essaient encore de faire respecter l’ordonnance de 2014. Le gouvernement tente de faire radier notre plaidoirie en affirmant que M. Metatawabin n’a pas qualité pour agir, qu’il ne devrait pas avoir le droit de faire ceci ou de représenter son peuple, que les décisions antérieures… cette décision a déjà été rendue. Mais, en 2019, la Cour suprême du Canada a rendu une toute nouvelle décision qui a annulé les décisions précédentes.
Il y a aussi de nouveaux éléments de preuve, et c’est que le gouvernement du Canada a finalement admis que, lorsque nous avons obtenu cette ordonnance en 2014, il n’a jamais assuré la réparation à l’égard des affaires qui avaient déjà été instruites. Ainsi, plus de 215 demandes d’indemnisation de survivants du pensionnat St. Anne ont été violées et n’ont jamais été réglées. Pouvez-vous imaginer? On a conclu qu’il y a eu rupture d’un contrat aussi sacré que la Convention de règlement relative aux pensionnats indiens adoptée sous forme de loi par les tribunaux, et les avocats du gouvernement n’ont pas respecté cette décision. Ensuite, ils n’ont pas assuré la réparation exigée, n’ont pas demandé d’autres directives et n’ont fait que s’opposer à nous avec des objections préliminaires pendant des années. Voilà où nous en sommes. Et c’est fatigant. Les survivants du pensionnat St. Anne ne devraient pas avoir à assumer seuls ce fardeau. Nous sommes une démocratie.
C’est pourquoi j’ai bon espoir que votre comité, en tant que membre du principal pilier de notre système démocratique, pourra enquêter davantage. Vous pourrez prendre le temps qu’il faut pour vous assurer que ces processus sont révélés, qu’il y a transparence et responsabilisation.
Permettez-moi de vous raconter quelque chose au sujet d’un des hommes que j’ai aidés… et j’ai réussi à obtenir une reprise de son audience. Et il m’a fallu trois ans de lutte pour amener cet homme… au départ, sa revendication avait été rejetée. Elle a été instruite. Même après avoir obtenu gain de cause pour St. Anne, premièrement, le gouvernement n’avait toujours pas produit tous les nouveaux documents. Il avait un autre avocat. L’homme est venu retenir mes services parce qu’il était hospitalisé et suicidaire, car on ne le croyait pas. Je me suis battue jusqu’au bout, et nous lui avons obtenu… c’est le pire cas d’agression sexuelle que j’aie jamais rencontré. Vous ne pourriez jamais l’imaginer. Mais il a rendu sa transcription publique, en retirant son nom parce qu’il disait : « Ce n’est pas ma faute, j’étais un enfant, et ce prêtre m’a fait ça. »
Lorsque j’ai dîné avec lui il y a quelques semaines, il m’a dit : « Je veux simplement vous dire que je souhaite vous remercier parce que j’ai maintenant de la nourriture dans mon réfrigérateur. » C’est parce que l’autre chose que je l’ai convaincu de faire… c’est que je lui ai dit : « Lorsque vous recevrez cet argent, veuillez vous procurer une rente. Établissez‑vous une pension », car le gouvernement fédéral refuse de verser des indemnités à règlement échelonné. Alors, il a obtenu une rente. Au milieu de chaque mois, il reçoit un paiement supplémentaire. Il ne faisait que dire : « J’ai de la nourriture dans mon réfrigérateur, maintenant. »
Cet homme est autonome parce que quelqu’un se battait pour lui, que nous le croyions et que nous savions que ce qu’il disait était vrai. Je dois dire que je pense que les survivants du pensionnat St. Anne sont devenus autonomes parce qu’ils se battent pour eux-mêmes, qu’ils se tiennent debout et qu’ils font des choses incroyables.
Alors, la réconciliation consistera en partie à ce que le reste d’entre nous s’habitue au fait que nous devons prêter attention aux peuples autochtones du pays, les écouter et apprendre d’eux. Nous avons beaucoup à apprendre. À mesure qu’ils deviendront plus forts et qu’ils se réapproprieront leurs cultures, notre pays tout entier sera plus fort, selon moi.
Désolée, j’ai parlé trop longtemps.
La sénatrice Coyle : Je remercie tous nos témoins, ceux qui ont pris la parole, et la grande cheffe adjointe que nous n’avons pas encore entendue.
C’est une journée très importante pour nous, pour les personnes présentes dans la salle et pour celles qui nous regardent. En fait, j’ai de la difficulté à revenir aux questions que je voulais poser, mais je tiens à vous féliciter pour votre force et vos efforts incroyables. Je sais que ces félicitations ne veulent rien dire si nous ne faisons rien.
Je veux seulement savoir; nous vous entendons et, en tant que groupe, nous ne pouvons pas laisser cette affaire s’arrêter dans la transcription de la séance. Lorsque nous recevrons la transcription, je veux lire chaque mot, et je veux regarder de nouveau l’enregistrement afin de pouvoir entendre comment les mots nous ont été transmis. Ce que chacun d’entre vous a dit aujourd’hui est très important, et encore plus ce que vous avez fait pour en arriver là où vous en êtes. Je pensais savoir quelque chose, mais je suis scandalisée. Je le suis encore plus que je n’aurais cru l’être compte tenu de ce que j’entends ici aujourd’hui.
J’aimerais poser trois questions aux trois personnes que nous avons entendues. Si la cheffe veut aussi intervenir, je la prie de le faire. Je vais essayer d’être brève. Désolée pour le préambule. Je suis un peu dans tous mes états.
Vous avez dit, madame Korkmaz : « Nous avons été maltraités, nous avons été trompés et nous voulons maintenant que justice soit faite. » Vous avez parlé des ententes parallèles avec le gouvernement canadien et l’Église catholique. Vous avez dit que les accords de non-divulgation doivent être mis au jour. Lorsque vous dites : « Nous voulons maintenant que justice soit faite », pourriez-vous nous dire très précisément ce qu’est cette justice à vos yeux?
Monsieur Metatawabin, je vous remercie également de votre leadership et de vos sages paroles. Vous avez mis un bel accent sur la prochaine génération. C’est vraiment inspirant de vous entendre. Si je ne me trompe pas — et je veux m’en assurer —, je voudrais que vous alliez plus loin. Vous souhaitez soutenir la prochaine génération afin qu’elle puisse s’immerger dans le bien-être sain de la langue, de la culture et des façons de faire. Pourriez-vous nous expliquer un peu ce que vous entendez par là? À quoi cette immersion ressemblerait-elle?
Maître Brunning, vous avez parlé de la nécessité de mener une enquête sur les terribles processus internes et sur les abus que les gens ont subis en raison de ces processus internes menés par nos institutions gouvernementales. Pourriez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet? Pouvez-vous nous aider à comprendre de quoi il s’agit?
Désolée, j’ai de grandes questions pour chacun d’entre vous. Alors, madame Korkmaz, la justice?
Mme Korkmaz : Selon moi, la justice consiste à mettre fin au litige et à conclure un règlement avec nous, les survivants de St. Anne, afin que nous puissions aller de l’avant et commencer à croire que nous sommes reconnus comme des égaux dans le système judiciaire canadien. Cela fait 12 ans que le gouvernement canadien se bat contre nous; je pense que c’est assez. Nous avons prouvé qu’il a caché des documents, qu’il les a envoyés à Rome et qu’il a conclu des ententes secrètes.
J’ai rencontré Marc Miller un jour sur la Colline du Parlement lors du dévoilement du monument aux survivants des pensionnats. Je l’ai coincé parce que c’est le genre de personne que je suis, et je lui ai demandé ce qui se passait. J’ai dit : « Que contiennent ces documents qu’on nous cache? » Il a seulement répondu : « Tout se joue dans les détails », puis il est parti. Je me suis demandé ce que cela signifiait. Comme il est avocat, cette réponse peut vouloir dire beaucoup de choses.
Nous voulons simplement que tout soit mis au grand jour. Nous n’avons rien à cacher. Nos histoires sont publiques. Elles ne sont pas belles. Nous n’en sommes pas fiers, mais elles existent. Nous voulons maintenant que le gouvernement mette cartes sur table et nous accorde une audience équitable, et que nous passions à autre chose, que nos enfants nous regardent et soient fiers que nous n’ayons pas abandonné.
Je le fais pour mes petits-enfants parce que je veux qu’ils se lèvent fièrement, qu’ils se tiennent la tête haute et qu’ils disent : « Je suis un Autochtone du Canada. C’est mon pays, et mon pays me traite comme il se doit, sur un pied d’égalité, dans tous les domaines. »
Je ne veux pas qu’ils se promènent avec la honte que j’ai portée pendant des années. Je ne la porte plus parce que je suis très fière de qui je suis. J’ai dû réapprendre mon histoire. Je remercie M. Metatawabin. Il m’a beaucoup appris. C’est mon mentor et une personne que j’admire. J’essaie de suivre ses traces du mieux que je peux, mais il est plus doux que moi. Je suis plus directe, et je ne peux pas m’en empêcher. Voilà.
M. E. Metatawabin : Merci. Je pense que c’est en partie comment je compare la façon dont, en tant que survivants, nous avons négligé nos familles. Nous n’étions pas vraiment là parce que nous étions tellement occupés, comme je l’ai mentionné, à nous auto-infliger des sévices. J’avais la tête ailleurs. Mes aînés ne se sont pas assis avec moi pour me dire : « Ressaisis-toi. Voici ce que nous faisons. »
Il m’a fallu beaucoup de temps avant d’entrer dans une suerie. J’avais déjà près de 40 ans, aussi tard que cela. Que puis-je faire à 40 ans pour être présent à l’étape du développement de mes enfants? C’était et c’est encore mon regret, que je n’aie pas pu le faire, mais il n’est pas trop tard. J’ai mes petits-enfants — Maitreya et Divya — à qui penser. Il y en a d’autres. Quand je commencerai à nommer des gens, j’oublierai, mais vous comprenez ce que je veux dire.
Je suis présent maintenant, et voici ce que je tente de faire. Je leur donne de l’information. Je leur raconte l’histoire. Parfois, je parle trop à table, à raconter des histoires du passé, mais ma mère le faisait. Elle parlait d’Abe, mon père. C’était un trappeur; il parlait des animaux, beaucoup au sujet de [mots prononcés en langue autochtone], de tous les personnages de nos textes, je suppose, de nos manuels, [mots prononcés en langue autochtone]... les Memekwesiw, Wesakechak et bien d’autres. Nous avons Tshakapesh et Ayas. Nous avons nos propres histoires d’odyssée, et elles sont très longues.
Maintenant, à l’âge que j’ai, je commence à comprendre ce que mes aînés disaient lorsqu’ils me parlaient. Cela pourrait me prendre deux jours pour vous raconter leur histoire. Dans mon cas, c’était bien parce que je me souvenais de ces histoires. J’étais prêt à m’asseoir là, à écouter et à essayer de saisir toutes ces choses. Il m’en manque, et j’essaie de faire les liens, mais il manque des parties. Je les cherche encore. Je continue de le faire. J’essaie toujours de relier toutes les histoires.
Mais je peux vous parler pendant une semaine de ce que j’ai appris de mes aînés. Quand je dis « université des aînés », il faut qu’elle commence dès maintenant. J’ai appris de Louis Bird. J’ai appris d’autres membres de notre communauté qui parlent notre langue. Je les ai écoutés.
J’ai perdu mon oncle récemment. Il était mon dictionnaire. « Comment dit-on ceci? » Il me dirait quel est le mot. J’ai perdu cet oncle, alors je commence à avoir l’impression qu’il vaudrait mieux que je fasse quelque chose. Je ferais mieux d’aider vraiment les jeunes à comprendre et à lire ces livres. J’appelle les aînés « les livres qui marchent » parce que chacun se concentre sur différents aspects de sa vie.
Je pense que c’est important. Si vous pouviez faire quelque chose au sujet de l’Elders’ Institute et de sa mise sur pied, j’aimerais bien participer à une deuxième séance.
La sénatrice White : Je suis désolée, monsieur le président, mais je dois informer du fait qu’aujourd’hui, la petite-fille de M. Metatawabin présente un exposé sur lui et les pensionnats au niveau provincial à l’Île-du-Prince-Édouard. Alors, vous avez jeté les bases. Je voulais simplement vous en remercier, et j’ai trouvé que c’était un moment opportun. Wela’lin.
Le président : Je vous remercie pour cette information, sénatrice White. Merci.
Me Brunning : En ce qui concerne la tenue d’une enquête gouvernementale sur les processus gouvernementaux, la Convention de règlement relative aux pensionnats indiens est une structure juridique très importante. Les parties ont signé l’entente, mais elle a été adoptée sous forme de loi par neuf cours supérieures, et plus tard par une dixième à Terre-Neuve. Toutefois, les cours l’ont adoptée parce que le principal défendeur est le gouvernement du Canada.
Alors, il y a déjà des ordonnances identiques dans toutes les cours qui ont adopté cette convention sous la forme d’une loi.
Encore plus près de la fin du PEI, l’Assemblée des Premières Nations a demandé qu’une vérification soit effectuée afin que l’on évalue si les processus avaient été suivis. Selon l’annexe D relative au PEI pour les audiences sur la violence faite aux enfants, chaque document contenant des allégations de violence faite aux enfants devait être produit en vue de l’audience, pour les récits, puis pour chacun des auteurs. Disons que c’était le père Lavoie, tous ces documents devaient être produits juste pour lui dans chaque affaire où il est nommé en tant qu’auteur.
En outre, l’annexe N est la plus vaste; elle concerne la Commission de vérité et réconciliation. Les Églises et le gouvernement devaient déjà lui avoir transmis tous leurs documents sur les pensionnats. Lorsque nous avons eu gain de cause dans l’autre affaire, en 2014, la Commission de vérité et réconciliation et l’Assemblée des Premières Nations ont lancé des processus judiciaires à l’appui appelés « demandes de directives », et elles ont également affirmé ne pas avoir obtenu ces documents.
La question devient la suivante : comment se fait-il que le ministère de la Justice ait estimé, par exemple, que les textes des procès criminels n’étaient pas pertinents dans le cadre des audiences sur la violence faite aux enfants?
Après que nous avons obtenu gain de cause dans l’affaire de St. Anne, premièrement, les gens du ministère ont fini par faire une concession, c’est-à-dire qu’ils ont enfin produit — pour tous les pensionnats du Canada… parce qu’ils avaient des tonnes de transcriptions de procès et de plaidoyers de culpabilité à l’égard de bon nombre de ces auteurs. Comment ont-ils pu cacher ces documents? Où est l’avis juridique sur lequel ils se sont appuyés pour les cacher?
C’est un critère prévu par la Loi sur le ministère de la Justice. Le procureur général du Canada — et c’est un débat dont, vous vous en souvenez peut-être, Jody Wilson-Raybould a parlé, qui séparait le ministre de la Justice du procureur général du Canada. Elle a parlé du fait que, dans le cas du procureur général du Canada, on a une responsabilité prévue par la loi et par la common law et toutes les responsabilités légales de faire respecter les lois du Canada. Le ministère de la Justice doit le faire aussi, et ses avis juridiques doivent être à l’avant-plan. Il faut un vote favorable de 51 %.
De plus, juste avant son départ en janvier 2019, Jody Wilson-Raybould a fait adopter une directive sur les affaires autochtones : le ministère de la Justice, si l’argument présenté par les peuples autochtones était raisonnable, ne pouvait pas le contester devant les tribunaux. Elle essayait de réduire le nombre de litiges. Combien d’argent des Autochtones est dépensé en frais d’avocat?
Comme l’a dit M. Metatawabin, Michael Swinwood et moi‑même avons agi de façon entièrement bénévole. Nous sommes reconnaissants de pouvoir parfois obtenir du financement, mais la réalité, c’est que, en vertu de la Convention de règlement relative aux pensionnats indiens, même s’il y avait des problèmes juridiques, les tribunaux ont oublié d’accorder du financement aux Autochtones pour qu’ils puissent faire avancer les dossiers. En plus, le gouvernement menaçait d’engager des frais contre nous. À un moment donné, il m’a personnellement réclamé 25 000 $ de frais. Les frais ont été annulés, mais on s’en est pris à moi personnellement parce que, lorsque vous êtes un dénonciateur, c’est ce qui arrive : on s’en prend à vous, on s’attaque à votre réputation et on s’attaque à votre situation financière. C’est mon point de vue partial.
La réalité, c’est que nous devons créer plus d’égalité au sein des tribunaux. Certains avocats du ministère de la Justice touchent un plein salaire, avec pensions et avantages sociaux. Ils ne paient pas de loyer. Ils disposent de personnel et de toutes les ressources dont ils ont besoin. Comment peut-on se mesurer à cela en tant qu’avocat bénévole? C’est très difficile.
Donc, comment est-ce que je vois cela? Il faut revenir à la Convention de règlement relative aux pensionnats indiens, consultez les ordonnances des tribunaux et faire venir des avocats du ministère de la Justice. Lorsqu’on a obtenu cette conclusion… j’ai inclus les décisions dans les documents que j’ai fournis à votre greffière… Le juge Perell, à l’époque — j’essayais, en 2014, de trouver comment cela s’était passé et qui avait pris les décisions —, a dit : « Je n’ai pas besoin d’établir s’il y avait eu ou non de la mauvaise foi. Je préfère présumer qu’ils ont mal interprété la convention. » Il a donc laissé tomber. Il ne voulait pas que je me prononce sur la façon dont cela s’est passé, mais je pense que vous devriez le faire; vous devriez vous pencher là-dessus parce que, même aujourd’hui, il s’agit des gens de St. Anne. En ce qui concerne l’absence de documentation, nous nous battons à ce sujet depuis 12 ans.
Même pour vous, je ne suis pas sûre qu’ils pourraient invoquer le secret professionnel de l’avocat concernant certains de ces documents qu’ils devraient probablement produire pour ce qui est des obligations de tiers envers l’Église catholique de ne pas divulguer de documents. Qu’est-ce que c’est que cela? L’Église catholique a signé la convention, et elle est tout aussi responsable. L’annexe O-3 — je peux vous dire — précise que les avocats du gouvernement doivent respecter la convention de règlement. Ils ne peuvent pas représenter l’Église catholique, et les avocats de l’Église catholique doivent respecter la convention de règlement ainsi que la loi.
Il est très important que, dans notre système de justice, la justice commence par le fait que la personne ait le courage de s’adresser à un avocat. C’est une situation difficile dans laquelle se retrouvent de nombreux Autochtones, surtout lorsque leur confiance a été gravement ébranlée par des personnes en position d’autorité. Certaines personnes venaient me voir et me chuchotaient leurs histoires parce qu’on leur avait dit que si jamais elles parlaient en mal des gens saints, elles et leur famille iraient en enfer. Beaucoup de personnes. Vraiment! C’est exactement ce qu’on leur a enseigné. Il leur a donc fallu beaucoup de courage pour venir s’adresser à des avocats.
Au départ, j’ai présumé que le ministère de la Justice était responsable de toutes les communications et qu’il ne devrait donc pas y avoir de problème. Nous devrions pouvoir lui faire confiance, mais cela n’a pas été le cas. Il me combat depuis.
En tant que pays, nous devons déterminer si le ministère de la Justice respecte la loi. C’est vraiment fondamental. Si ce n’est pas le cas; peut-être qu’un petit remaniement aiderait beaucoup. À mon avis, cela favorisera aussi la réconciliation, car si les fonctionnaires du ministère de la Justice pensent qu’ils seront tenus responsables à un moment donné de ne pas avoir respecté la loi, ils pourraient alors tenir tête à leurs superviseurs. Ils pourraient se lever et dire : « Je suis désolé, mon avis juridique est complètement différent. Nous devons demander des instructions au tribunal. » Dans la convention de règlement, ce n’est pas à eux de décider; ils étaient censés s’adresser au tribunal et demander des instructions s’ils avaient une idée des raisons pour lesquelles ces documents seraient retenus. Ils ne l’ont pas fait.
Je ne sais pas exactement comment cela se passerait. Je vous recommanderais d’en parler aussi à Cindy Blackstock. M. Metatawabin et tous mes clients de St. Anne m’ont dit que j’avais déjà gagné cette ordonnance du tribunal. Et je le sais, mais les personnes dont le droit de revendiquer a été violé n’ont jamais obtenu de réparation ni d’avis qu’il y avait de nouvelles preuves. Elles n’ont jamais eu de nouvelles audiences. Lorsque je disais : « Je représente maintenant X. Je veux les nouveaux éléments de preuve le concernant », les avocats disaient : « Vous devez intenter une procédure judiciaire. » Je répondais : « Non, j’ai déjà gagné en 2014. Je veux les preuves. Ensuite, je pourrais donner un avis à mon client quant à savoir s’il devrait tenter de rouvrir le dossier. » Ils ne voulaient pas nous les donner. Des centaines de personnes n’ont pas obtenu justice.
Le sénateur Prosper : Je remercie chacun d’entre vous d’être ici et de représenter vos collectivités et votre peuple. Il y a beaucoup de gens, j’en suis sûr, qui se penchent là-dessus pour évaluer la situation et, espérons-le, trouver une solution aux nombreux problèmes dont vous avez parlé. Je suis certain que de nombreuses générations passées et futures veulent vous saluer pour la poursuite de vos efforts, qui a pris de nombreuses années.
Je tenais à le souligner. C’est une source d’inspiration, même s’il est difficile pour nous de digérer ce témoignage et de trouver un sens à quelque chose qui est impensable sous tous les aspects au sein du gouvernement canadien… en particulier au ministère de la Justice. Il faut qu’il y ait un mécanisme sous forme d’enquête permettant d’ajuster ou de vérifier la conduite des fonctionnaires. C’est une question importante.
J’ai beaucoup appris de votre témoignage, de vos histoires et de la façon dont vous vous êtes appuyés sur vos traditions, votre culture et vos collectivités pour tracer la voie à suivre.
Monsieur Metatawabin, vous avez parlé des aînés qui créent un pont entre le passé et l’avenir et des enseignements compris dans votre culture ainsi que de la maison d’apprentissage et de la nécessité pour les générations futures et actuelles de compter sur elle.
À mesure que nous avançons et que ce long passé se dévoile, lorsque vous retournez dans vos collectivités, que vous parlez à vos aînés et que vous écoutez les jeunes, vous avez tous une vision profonde de la façon dont les choses peuvent évoluer… espérons que, du fait de ce long passé, les choses peuvent évoluer dans le bon sens.
Madame Korkmaz, vous avez parlé de justice en réponse à une question de la sénatrice Coyle. J’aimerais que vous nous donniez d’autres renseignements sur la vision que vous entrevoyez quant à un résultat qui peut être représentatif d’une véritable justice dans le sens le plus large du terme, pour vous et votre peuple. Wela’lin. Merci.
M. E. Metatawabin : Je reviens toujours à ce que les personnes âgées peuvent faire pour les jeunes, car c’est ce qui m’a aidé à survivre aux bouleversements qui continuent de se produire dans nos vies. Je prends comme exemple Louis Bird, de Peawanuck. Il ne cesse de parler de qui nous sommes, de qui nous étions et de ce que nous pouvons être. Il raconte constamment ce que nous avons fait, où nous étions, ce qui s’est passé il y a 12 000 ans et comment nous avons survécu. Lorsqu’il parle, il utilise beaucoup de mots positifs. Si vous vous sentez déprimé, vous vous levez de nouveau après lui avoir parlé.
Il s’agit de l’importance de comprendre les paroles de vos aînés et d’entendre leur point de vue. En même temps, je pense qu’ils ont besoin de contacts avec les jeunes pour vivre plus longtemps plutôt que de s’éteindre lentement. Cela fonctionne dans les deux sens.
Pour ce qui est du fait d’avancer, nous avons une proposition concernant l’institut des aînés. Il s’agit d’un document volumineux… trop volumineux, je suppose, mais nous en avons un. Nous serions heureux de vous le laisser pour que vous puissiez l’examiner et entamer le processus d’élaboration d’une forme de début de projet. Nous ne parlons pas tant de l’immeuble que de l’aide à apporter aux personnes qui racontent leur histoire en ce moment et qui essaient de s’en sortir par leurs propres moyens.
Nous avons le camp culturel Lawrence Mark à Fort Albany, et nous avons un site pour les jeunes et un site de désintoxication. Nous sommes toujours en train d’organiser cela, mais le financement augmente puis diminue de nouveau. Nous avons besoin de quelque chose de continu. Ce serait bien d’avoir quelque chose sur quoi s’appuyer.
La sénatrice Hartling : Nous avons un témoin en ligne. J’aimerais savoir s’il est prêt à parler de certaines des choses que nous avons entendues ce matin.
Merci beaucoup de votre témoignage. C’est enrichissant, et en même temps, très difficile. Je comprends très bien ce que vous dites.
Le président : Monsieur Metatawabin, avez-vous des commentaires à faire?
Mike Metatawabin, survivant du pensionnat St. Anne et responsable du projet, Nee Kee Wa Nan, à titre personnel : Bonjour. Je remercie la sénatrice qui a souligné ma patience et mon attente.
Je remercie tous les membres du comité d’avoir pris le temps d’écouter et d’entendre l’histoire. Je remercie mes collègues, mon frère, M. Edmund Metatawabin, notre collègue, Mme Korkmaz et notre conseillère juridique, Me Brunning.
Alors que je suis assis ici et que j’écoute, beaucoup de choses me viennent à l’esprit en ce qui concerne les autres éléments qui pourraient être explorés, examinés et pris en considération. Je pense à ce que mon frère a dit au sujet de ce qu’il faut faire pour nos jeunes.
J’ai 61 ans. J’ai deux frères cadets. Ils ont été les derniers à quitter le pensionnat à Fort Albany lorsqu’il a fermé ses portes en 1976. Depuis ce temps… lorsque le dernier groupe de survivants a quitté le pensionnat, c’était comme libérer les prisonniers dans la collectivité. Cette expérience en soi est une autre chose qu’il faut explorer.
Lorsque nous parlons de ce dont nous avons besoin pour l’avenir de nos jeunes, il s’agit de la capacité de continuer à raconter notre histoire de façon constructive, de parler de ce sombre chapitre dont nous parlons aujourd’hui et de l’inclure dans notre histoire. Nous avons une longue histoire à raconter sur notre peuple, une histoire qui a commencé bien avant l’arrivée des colons, une histoire qui a été transmise par nos aînés, qui parlent des légendes et de ce qu’était la vie il y a longtemps. Pourtant, au cours de notre vie, notre expérience a été vraiment extrême, très triste et très traumatisante. Aujourd’hui encore, nous vivons avec ce traumatisme.
Pour ma part, ce traumatisme continue de se manifester. Il ne se passe pas un jour sans que quelque chose se déclenche en moi. Je peux être troublé par n’importe quoi, par un événement ou simplement par le fait que lorsque je m’occupe de mes petits-enfants, lorsqu’ils se languissent de leurs parents, cela me trouble parce que j’étais autrefois cet enfant qui, dans un pensionnat, se languissait de l’étreinte et de l’amour de ses parents, qu’il n’a jamais eus pendant les années où il se trouvait là-bas.
Le commentaire du ministre des Affaires autochtones m’a rappelé que… le diable se cache dans les détails. Cela aussi a été un déclencheur pour moi, et je dois vous dire pourquoi. Pendant ma première année au pensionnat, vers l’âge de cinq ans, j’ai rêvé d’un diable devant un autel. Pouvez-vous imaginer un tel rêve à cinq ans? Vous commencez à vous demander ce que vous avez fait. Quel péché avez-vous commis? Et vous vivez avec cela. Vous vivez avec cette peur et ce traumatisme, et ce n’est qu’aujourd’hui, tout récemment, lorsque nous avons commencé à parler des pensionnats dans les années 1990, que j’ai commencé à comprendre et à réaliser ce que signifiait ce rêve. Je rêvais des gens qui devaient s’occuper de nous et prendre soin de nous. Je voulais partager cela avec vous.
Pour conclure, je voudrais dire au sujet de la législation que nous sommes régis par une loi d’assimilation. Il s’agit de déresponsabilisation, de déplacement et de perte des terres sur lesquelles notre peuple a vécu pendant des millénaires, bien avant l’arrivée des colons. C’est une telle loi qui nous régit. Et lorsque Me Brunning parle de Justice Canada, nous n’avons pas de représentation juridique lorsqu’il s’agit de législation. Nous n’avons personne qui puisse parler en notre nom — mis à part des personnes comme Me Brunning —, qui ait le courage, la dignité et la volonté de se lever et de parler en notre nom. Je sais qu’il y a beaucoup d’autres personnes comme elle, mais pour l’instant, c’est Me Brunning qui me vient à l’esprit. Elle a parlé plus tôt.
Je tiens à vous remercier. Alors que j’étais assis ici, je me suis rappelé une fois où j’ai attendu. Un jour, mon père m’a déjà laissé derrière lui lorsque nous étions en train de faire du piégeage. Il m’a dit qu’il y avait une loutre qui allait sortir et je devais rester là et attendre. Il n’a pas dit pendant combien de temps. J’ai donc attendu. Plus de quatre heures plus tard, cette loutre est apparue; je l’ai ramenée à la maison, et mon père était vraiment fier. C’est la formation que j’ai reçue ou l’expérience que j’ai acquise en étant patient. Je remercie la sénatrice de m’avoir demandé de faire quelques commentaires en guise de conclusion. Merci beaucoup.
Le président : Merci, monsieur Metatawabin. Cela nous amène à la fin des témoignages de notre groupe.
Je veux prendre une minute pour vous remercier tous de votre force et de votre courage extraordinaires. Vous nous avez transmis beaucoup d’information aujourd’hui, et il est honteux qu’après tant d’années, le gouvernement fédéral continue de lutter contre la divulgation de dossiers. Vous avez le droit de savoir ce qui s’est passé. Je tiens à vous assurer que nous vous entendons, que nous vous voyons et que nous sommes avec vous. Merci.
(La séance est levée.)