LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES BANQUES ET DU COMMERCE
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mercredi 30 mars 2022
Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd’hui, à 18 h 30 (HE), avec vidéoconférence, en vue d’étudier toute question concernant les banques et le commerce en général, tel que précisé à l’article 12-7(8) du Règlement.
La sénatrice Pamela Wallin (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Bonjour à tous. Je suis Pamela Wallin, présidente du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce. Je vous souhaite la bienvenue à tous.
Avant de poursuivre la partie officielle de notre étude sur les marchés du travail, j’aimerais rappeler aux sénateurs et aux témoins de bien vouloir garder leurs microphones en sourdine en tout temps, à moins que la présidence ne leur donne la parole.
J’aimerais aussi rappeler aux sénateurs et aux témoins de bien vouloir garder leurs interventions, leurs questions et leurs réponses les plus brèves possible, afin que nous puissions entendre le plus de questions et de réponses possible durant notre séance. Il semble y avoir très peu de temps.
Permettez-moi de présenter les membres du comité qui participent aux délibérations d’aujourd’hui : le vice‑président et sénateur C. Deacon, de la Nouvelle‑Écosse, la sénatrice Bellemare, le sénateur Gignac, le sénateur Loffreda, la sénatrice Marshall, le sénateur Massicotte, la sénatrice Ringuette, le sénateur Smith, le sénateur Woo et le sénateur Yussuff.
Aujourd’hui, notre réunion se concentrera sur le marché du travail canadien. Pour notre premier groupe de témoins, nous avons le plaisir d’accueillir Leah Nord, directrice principale, Stratégies en matière d’effectifs et croissance inclusive, de la Chambre de commerce du Canada; et Bea Bruske, présidente du Congrès du travail du Canada, qui est accompagnée ce soir par Chris Roberts, directeur, Politiques sociales et économiques.
Bienvenue à vous tous. Merci de vous joindre à nous. Nous allons commencer par la déclaration liminaire de Mme Nord, qui sera suivie de Mme Bruske.
Leah Nord, directrice principale, Stratégies en matière d’effectifs et croissance inclusive, Chambre de commerce du Canada : Bonsoir, madame la présidente, monsieur le vice‑président et mesdames et messieurs les membres du comité. Je vous remercie de me donner l’occasion de comparaître devant vous aujourd’hui.
Je vous parle depuis Ottawa, sur le territoire traditionnel non cédé du peuple algonquin anishinabe. J’utilise le pronom elle. Aujourd’hui, je porte une chemise à rayures noires, une veste aubergine et des lunettes violettes, et je vous parle depuis mon bureau au sous‑sol, avec un tableau blanc en arrière‑plan.
Je m’exprime au nom de la Chambre de commerce du Canada, qui est la voix des entreprises canadiennes. Nous représentons 200 000 entreprises au pays, dans tous les secteurs et de toutes les tailles, et disposons d’un réseau de 450 chambres de commerce locales d’un océan à l’autre.
Nous sommes tous bien conscients de la pénurie de main‑d’œuvre dans le pays. Il y a actuellement près de un million de postes vacants au Canada, ce qui est du jamais vu. Actuellement, c’est dans les soins de santé, la construction et les secteurs manufacturier, de l’hébergement et de la restauration, ainsi que dans le commerce de détail que ces emplois sont les plus nombreux, mais nous avons des pénuries dans tous les secteurs, dans toutes les collectivités et régions, qui touchent les entreprises de toutes les tailles. Comme vous l’entendrez lors de votre prochaine réunion avec la BDC, les entreprises, notamment les petites entreprises, disent que les pénuries de main‑d’œuvre sont un de leurs obstacles à la croissance économique, et souvent le plus important.
Avec la relance qui s’amorce, nous devrions non pas nous attarder sur les hauts et les bas du marché du travail pendant la crise de la COVID‑19, mais nous concentrer plutôt sur le fait que nous en sommes exactement au même point qu’avant le début de la pandémie : nous souffrons d’un déficit structurel, dans notre marché de l’emploi, pour lequel il n’existe pas de solution unique ou facile. Pour espérer que l’économie se remette des conséquences de la pandémie, il faudra s’attaquer au déficit systémique sur le marché du travail. Si les entreprises canadiennes ne peuvent pas trouver la main‑d’œuvre dont elles ont besoin pour maintenir ou accroître leurs activités, notre économie risque de stagner à un moment où renouer avec la croissance est une nécessité.
Malheureusement, il n’existe pas de solution miracle pour combler ce déficit structurel. Mais heureusement, il existe une série de recommandations qui, combinées, faciliteront une reprise inclusive. Il n’est pas question de choisir entre « l’une ou l’autre » ni d’opter pour « les deux/et ». Ce qu’il faut, c’est une solution globale, à multiples facettes, « à la fois... et... et... et ». Pensez à une recette : pour la réussir, tous les ingrédients sont essentiels.
Pour nous, à la Chambre de commerce du Canada, ces ingrédients sont des recommandations que l’on a regroupées dans trois catégories. La première est l’information sur le marché du travail et la planification de la main‑d’œuvre, du côté de la demande. Elle jette les bases de toutes les autres. Elle n’est pas très attrayante; c’est la pâte, en quelque sorte, pas très appétissante en soi, mais un ingrédient essentiel pour le reste de la préparation. Nous parlons beaucoup de l’écologisation de l’économie et des emplois verts. En quoi consistent ces emplois? De combien en a‑t‑on besoin maintenant et dans les années à venir? Où sont‑ils requis? Quelles aptitudes et compétences exigent‑ils? Cela vaut pour tous les secteurs, comme l’agriculture, les mines, l’économie bleue, la cybersécurité, la construction, l’électrification ou l’économie des soins. Qui plus est, nous avons besoin de données et d’une planification non seulement par secteur, mais aussi dans une perspective géographique. Où a‑t‑on besoin de ces emplois; à l’échelle provinciale et territoriale, régionale, par RMR et par collectivité? Et puis, comme je l’ai déjà mentionné, nous devons nous concentrer sur les spécifications des emplois en suivant une approche fondée sur les aptitudes et les compétences.
Cela nous permet d’établir de manière proactive les fondements de notre deuxième série de recommandations, qui concerne l’éducation, la formation et le perfectionnement des compétences. Il y aurait tant de choses à dire ici, mais je vais me concentrer sur trois aspects principaux. Le premier consiste à améliorer la navigation dans les programmes de formation et d’éducation, les portails et les bases de données existants, ainsi que les mesures incitatives, tant pour les particuliers que pour les entreprises. Le deuxième vise à soutenir les voies d’apprentissage flexible, dans un éventail de formats, pour tous les travailleurs, tout au long du parcours d’emploi, afin que les gens aient accès à du perfectionnement et à du recyclage professionnels. Le troisième consiste à déterminer les principaux ensembles de compétences humaines et durables nécessaires dans le monde du travail de demain, afin de mieux faire correspondre les programmes de formation et d’éducation aux besoins des entreprises et au marché du travail.
Avant de poursuivre, j’aimerais faire deux autres observations. Premièrement, pour résorber ces pénuries de main‑d’œuvre structurelles et profondes et assurer une reprise inclusive, il faut que « tout le monde participe ». Outre les nouveaux diplômés, la productivité, l’automatisation, les initiatives en matière de diversité, équité et inclusion, l’amélioration des compétences, et cetera, nous devons nous efforcer de garder les travailleurs d’âge mûr plus longtemps sur le marché du travail; d’intégrer les anciens combattants dans la main‑d’œuvre civile, d’intégrer les personnes handicapées sur le marché du travail; de nous attaquer au problème des chômeurs de longue durée; et d’étudier des options novatrices pour les jeunes à risque. Deuxièmement — et j’espère que nous pourrons parler de ce point de manière plus approfondie pendant la séance de questions et réponses — nous devons nous assurer que les consultations actuelles du gouvernement sur le programme d’assurance‑emploi sont vraiment exhaustives. Il faut notamment se concentrer sur la partie II, que l’on connaît sous le nom de mesures actives du programme, qui dispose d’un budget de plus de 2 milliards de dollars par an et prévoit des transferts aux provinces et aux territoires pour les programmes de formation et de soutien ainsi que la gouvernance.
Ma troisième série de recommandations relève du domaine de l’immigration. Il y aurait tellement de choses à dire, mais je me concentrerai sur trois principales recommandations, reconnaissant que les immigrants jouent un rôle important dans la croissance inclusive et la diversité de la main‑d’œuvre et des communautés canadiennes. Premièrement, il faut favoriser une prise de décisions plus proche des besoins des entreprises et continuer de décentraliser les processus de sélection des immigrants et de soutenir les solutions trouvées par les collectivités elles‑mêmes pour répondre aux besoins locaux en main‑d’œuvre. Deuxièmement, on doit moderniser le Programme des travailleurs étrangers temporaires, en mettant l’accent sur la mise en œuvre d’un programme d’employeurs dignes de confiance et de voies d’accès à la résidence permanente. Troisièmement, le gouvernement devrait faciliter l’intégration des travailleurs formés à l’étranger dans la population active afin de maximiser leur potentiel, et faire preuve de leadership national en accélérant la reconnaissance des titres de compétence étrangers et en simplifiant le processus.
Je vous remercie, et je suis maintenant prête à répondre à vos questions.
La présidente : Merci beaucoup, madame Nord. Nous allons maintenant donner la parole à Mme Bruske.
Bea Bruske, présidente, Congrès du travail du Canada : Bonsoir, madame la présidente, et mesdames et messieurs les membres du comité. Je vous remercie de me donner l’occasion de m’exprimer devant vous ce soir. Je suis Bea Bruske, présidente du Congrès du travail du Canada.
Je viens du territoire visé par le Traité no 1, où vivent les Anishinabes, les Cris, les Oji‑Cris, les Dénés et les Dakotas, qui est aussi la terre natale de la nation métisse.
Le Congrès du travail du Canada, ou CTC, est la plus grande centrale syndicale du Canada, et il s’exprime sur des questions d’importance nationale pour 3 millions de travailleurs syndiqués au Canada. Je suis heureuse de discuter des grandes priorités du CTC en matière de politique du marché du travail. Il s’agit d’aborder l’inégalité sur le marché du travail, la précarité de l’emploi et la qualité de l’emploi; l’investissement dans le travail de prestation de soins et l’économie des soins; la transition équitable et la transition vers une économie carboneutre; et l’investissement dans la formation et l’apprentissage continu pour soutenir les travailleurs dans le monde du travail en constante évolution.
En ce qui concerne les questions d’inégalité, de précarité et de qualité de l’emploi, nous savons que, au Canada, les emplois précaires et atypiques ont connu une croissance rapide. Les travailleurs occupant des emplois précaires sont confrontés à de faibles salaires, à peu d’avantages sociaux, à peu de contrôle sur les horaires ou le travail, à l’absence de syndicat et à une faible sécurité d’emploi. Nous savons qu’il y a un risque plus élevé de dangers physiques et mentaux au travail et moins de possibilités de perfectionnement et d’avancement. Les travailleurs quioccupent des emplois précaires sont souvent des personnes ayant une faible scolarité, des nouveaux arrivants au Canada, des femmes, des jeunes et des travailleurs de couleur.
La pandémie de COVID‑19 a mis en lumière la vulnérabilité des travailleurs occupant des emplois précaires. La réponse du gouvernement a montré que des mesures pratiques peuvent réduire de manière importante la précarité et l’insécurité. La Prestation canadienne d’urgence, la Prestation canadienne de relance économique et les mesures temporaires de l’assurance‑emploi, ou AE, qui ont aidé les travailleurs vulnérables incapables d’accéder à l’AE ou d’y survivre en temps normal, les ont couverts au moment où ils en avaient le plus besoin. Les travailleurs défavorisés ont pu bénéficier d’un soutien d’urgence en cas de maladie et de prestation de soins. Par conséquent, nous avons vu la pauvreté diminuer fortement au milieu d’une crise de l’emploi.
Il faut maintenant s’attacher à améliorer systématiquement la qualité de l’emploi et à tirer des leçons de la pandémie. En soi, un renforcement du marché du travail n’améliorera pas la qualité de l’emploi. C’est pourquoi une réforme des normes du travail et des améliorations du droit du travail sont essentielles. Le gouvernement fédéral doit lutter systématiquement contre la mauvaise classification des employés. Il doit supprimer tous les obstacles auxquels se heurtent les travailleurs qui veulent se joindre à un syndicat, promouvoir activement la négociation collective et renforcer la voix des employés sur le lieu de travail. Le gouvernement fédéral devrait mettre en œuvre ces recommandations et d’autres tirées du Rapport du Comité d’experts sur les normes du travail fédérales modernes. Il devrait aussi établir un programme d’assurance‑emploi accessible comportant des avantages adéquats.
Dans l’économie des soins et pour le travail de prestation de soins, l’une des étapes les plus importantes pour réduire l’inégalité a été le progrès vers la fourniture de services de garde d’enfants abordables, accessibles et de haute qualité pour les familles de l’ensemble du Canada. Nous savons que cela a le potentiel d’améliorer de façon notable la participation des femmes au marché du travail et de réduire les pénalités sur le plan de l’emploi et du salaire des femmes qui découlent d’une répartition inégale du travail de prestation de soins. Cependant, la planification de la main‑d’œuvre et les investissements sont nécessaires pour que l’on s’assure que des éducateurs et des travailleurs en garderie qualifiés et très compétents sont disponibles pour répondre aux besoins des familles de demain. La grande valeur de ce travail doit être reconnue par une rémunération et des conditions de travail décentes.
On peut dire la même chose du travail de prestation de soins en général. Ce travail est souvent associé aux soins de santé, mais il comprend également les services de travail social et d’éducation, y compris les services de garde d’enfants, les travaux domestiques, les soins personnels, ainsi que les services de travail social et de santé mentale. Ces types d’emplois représentent près d’un emploi sur cinq au Canada, et ils sont tous dominés par des femmes. Le Canada a besoin d’une stratégie pour accroître les investissements dans les services de soins et les mesures de soutien dont les personnes et les familles ont besoin. Les politiques globales en matière de soins produisent des résultats positifs sur le plan de la santé, de l’économie et de l’égalité des sexes, au profit des enfants, des parents, des personnes âgées et des personnes handicapées.
Le CTC demande au gouvernement fédéral de mettre sur pied une commission sur l’économie des soins afin d’étudier, de concevoir et de mettre en œuvre une stratégie nationale en matière de soins. Une commission sur l’économie des soins serait chargée de mettre en œuvre le cadre des cinq R du travail décent de l’Organisation internationale du Travail, dont les objectifs sont les suivants : reconnaître, réduire et redistribuer le travail non rémunéré dans le secteur des soins, récompenser les travailleurs rémunérés dans le secteur des soins en favorisant un travail plus décent pour les travailleurs des soins et garantir la représentation des travailleurs des soins, le dialogue social et la négociation collective.
En ce qui concerne la question de la transition équitable, nous devons porter notre attention sur la transition équitable et le changement climatique, car nous ne pourrons pas atteindre nos objectifs climatiques sans un investissement important et concret dans les travailleurs. Les travailleurs doivent voir leur propre avenir reflété dans une vision d’un Canada carboneutre. Pour réussir, la transition doit profiter aux travailleurs au lieu de se faire à leurs dépens. Sinon, l’incertitude, le ressentiment et l’opposition continueront de faire obstacle à la transition accélérée nécessaire pour nous permettre d’atteindre nos objectifs climatiques. Il est essentiel d’adopter des mesures concrètes de transition équitable qui mettent l’accent sur de bons emplois verts, des possibilités de formation et de perfectionnement et une voie vers la sécurité financière et la retraite pour les travailleurs âgés. Les travailleurs et les syndicats doivent jouer un rôle dans les décisions prises à propos de leur avenir et de l’avenir économique de leurs collectivités. Nous attendons avec impatience une loi sur la transition équitable qui enchâsse ces principes.
En ce qui a trait à l’évolution de la main‑d’œuvre canadienne et du monde du travail, ce que nous devons apporter, c’est le fait que seule une minorité d’employeurs investit de manière importante dans la formation en cours d’emploi. Selon le Conference Board du Canada, l’investissement des employeurs canadiens par employé dans l’apprentissage et le perfectionnement des compétences a atteint un sommet en 1993, les dépenses s’élevant à 1 409 $ — en dollars constants de 2022 — avant de tomber à 889 $ dans l’année de déclaration 2016‑2017. Les employeurs qui investissent dans la formation ont tendance à fournir davantage de possibilités de formation aux employés qui ont déjà un niveau de scolarité élevé. Les travailleurs moins qualifiés ayant un faible niveau d’éducation formelle sont les plus menacés par l’automatisation, la numérisation et les changements technologiques. Pourtant, ces travailleurs sont les moins susceptibles de recevoir des possibilités de formation. Les dépenses publiques du Canada en matière de formation et de programmes actifs du marché du travail ont tendance à être inférieures à celles des autres comparateurs. Nous avons encore beaucoup à faire dans ce domaine.
Je crois que mon temps est écoulé, mais je suis prête à répondre à vos questions.
La présidente : Je vous remercie de vos exposés. Nous allons maintenant passer aux questions et voir si nous pouvons continuer d’avancer.
Le sénateur C. Deacon : Merci, madame Bruske et madame Nord, de vos exposés.
J’aimerais que vous citiez, si vous le pouvez, les pratiques exemplaires que vous avez observées au Canada et ailleurs pour ce qui est du perfectionnement des travailleurs entre les secteurs. Je pense aux employés du service à la clientèle qui peuvent souvent être transformés en vendeurs, mais pas dans le même secteur. Quels sont les meilleurs programmes que vous avez vus au Canada et ailleurs dans le monde qui pourraient être élargis?
Mme Bruske : Merci de poser cette question importante.
Les meilleurs programmes que j’ai vus sont ceux négociés entre les employeurs et les syndicats, lorsqu’il s’agit de fonds en fiducie pour la formation qui offrent des possibilités de formation aux employés d’un lieu de travail, afin qu’ils puissent améliorer leurs compétences et leurs capacités pour pouvoir postuler des classifications d’emploi plus élevées. Aussi, de nombreux syndicats font beaucoup de travail auprès des personnes handicapées afin d’offrir des programmes de formation en collaboration avec les employeurs, en fonction des conventions collectives négociées entre les parties.
Le sénateur C. Deacon : Précisément, si vous passez d’un secteur à un autre, vous risquez de perdre ce lien syndical, alors j’aimerais que vous me parliez de certains programmes particuliers. Vous avez énoncé un principe, et c’est bien et je l’accepte volontiers, mais je veux connaître certains programmes particuliers ou exemples précis de pratiques exemplaires.
Mme Bruske : Je n’ai pas d’exemple précis à vous donner pour le moment, sénateur, mais nous pouvons certainement vous en fournir.
La présidente : Veuillez transmettre cela à la greffière. Ce serait utile.
Mme Nord : Dans l’ensemble du Canada, aux échelons fédéral, provincial et municipal, il y a eu du financement pour de petits projets novateurs et entre les secteurs, même pendant la pandémie, dans les secteurs les plus durement touchés pour le perfectionnement et le recyclage d’autres personnes. Le problème que nous connaissons au pays, c’est qu’ils sont petits et disparates, et qu’ils répondent aux besoins locaux, ce qui est formidable, mais notre prochain défi sera de les élargir concrètement.
Je peux donner des exemples. Je travaille pour la Chambre de commerce du Canada, en étroite collaboration avec mes collègues de la Chambre de commerce des États‑Unis. Depuis 2016, ils ont un programme actif dans 33 États qui se concentre sur la planification de la main‑d’œuvre et la gestion de la réserve de talents du côté de la demande. Ce programme a connu un grand succès, non seulement en matière de perfectionnement et de recyclage, mais aussi d’initiatives axées sur la diversité, l’équité et l’inclusion, ou DEI. Pendant la pandémie, par exemple, en Floride, il y avait une collaboration à l’échelle de l’État dans le secteur de la fabrication. Ils ne voulaient pas perdre de travailleurs du secteur pendant la pandémie, parce qu’ils savaient qu’ils voudraient les récupérer après la mise à pied temporaire, alors ils ont travaillé sur un processus où — comprenez bien qu’il s’agit souvent de grands concurrents — ils envoyaient des employés travailler dans d’autres entreprises, dans des postes identiques ou équivalents, pour s’assurer qu’ils resteraient actifs et n’iraient pas ailleurs. Je peux vous donner plus d’information sur ce programme.
La présidente : Si vous avez quelques détails précis, veuillez nous les envoyer.
Le sénateur C. Deacon : Si vous pouviez toutes deux penser à des programmes destinés aux travailleurs précaires et à ceux qui ne sont pas représentés par des syndicats — la majeure partie de la population ne l’est pas — tout exemple sera utile.
Le sénateur Gignac : Je remercie nos témoins de se joindre à nous pour cette séance importante sur les marchés du travail.
Ma question s’adresse à Mme Nord. Vous parlez de garder les travailleurs âgés sur le marché du travail beaucoup plus longtemps. S’agit‑il d’un appel aux entreprises pour qu’elles fassent preuve de plus de flexibilité et offrent plus de temps partiel ou quatre jours par semaine plutôt que cinq, d’un appel au gouvernement pour qu’il mette en place des incitatifs fiscaux pour que les gens restent au travail, ou encore d’un appel au report de l’âge de la retraite? Je suis curieux. Pourriez‑vous nous en dire plus et fournir quelques solutions aux importantes suggestions que vous avez faites?
Mme Nord : Merci, monsieur le sénateur, de poser cette question.
Ma réponse serait « les deux/et ». On pige ici et là dans toutes les colonnes. Par exemple, dans le milieu des affaires, nous devons devenir beaucoup plus novateurs. Les infirmières, par exemple, font un excellent travail en gardant les infirmières chevronnées ou expérimentées dans des rôles de mentor pour les jeunes infirmières. Il y a beaucoup à apprendre et beaucoup de façons d’être créatif. Beaucoup de choses doivent changer en ce qui concerne les finances et les pensions. Je ne suis pas sûre de l’âge de la retraite en tant que tel, mais je pense qu’il doit permettre une certaine souplesse pour que vous puissiez continuer de travailler et de toucher une pension sans pénalité. Encore une fois, ce sont deux choses à la fois. C’est une question importante à aborder, car nous avons besoin d’une attitude où tout le monde participe et continue pour faire face à ces pénuries de main‑d’œuvre. Le mentorat est aussi bénéfique pour toutes les personnes concernées, et cela va dans les deux sens, soit dit en passant.
La sénatrice Bellemare : Merci beaucoup d’être ici.
Vous avez toutes les deux insisté sur le fait que la formation et l’éducation doivent s’adapter pour faire face aux pénuries. Les provinces ont le pouvoir, et le gouvernement fédéral a l’argent. Une bonne partie de ce que vous avez dit est très complexe à réaliser. Avez‑vous une idée de la façon dont nous pouvons effectuer cette transition et régler notre problème dans le marché du travail?
Mme Bruske : Pour nous, cela signifie que le gouvernement fédéral doit déterminer les priorités et assortir de conditions l’argent qui est dépensé en fonction de la façon dont il doit être dépensé, qu’il soit consacré aux infrastructures existantes, aux collèges, aux universités ou aux projets d’emploi en milieu de travail. Il faut adopter une approche globale dans tout le Canada. Cet argent doit être assorti de lignes directrices très claires sur la façon dont il doit être affecté, compte tenu des besoins de la collectivité, des entreprises et de la main‑d’œuvre dans cette région particulière du pays.
Mme Nord : Je me fais l’écho des commentaires de ma collègue. Nous en parlions déjà avant la pandémie.
C’est une culture de l’apprentissage tout au long de la vie. C’est un parcours qui nous concerne tous. Je pense qu’il est important de noter — et cela a été noté par ma collègue du Congrès du travail du Canada — que nous devons encourager ceux qui sont le moins susceptibles d’apprendre. Bien souvent, le chœur est déjà en train d’apprendre, et ce fameux chœur peut et doit continuer d’apprendre. C’est mon premier commentaire.
Encore une fois, c’est une question très complexe pour tous les intervenants — les gouvernements fédéral et provinciaux, les établissements de formation, les collectivités, les entreprises et les syndicats — mais ce n’est pas parce que c’est difficile que nous ne devons pas nous y attaquer. Je connais le modèle québécois et les différentes tables qui réunissent de nombreux acteurs. Nous pouvons en tirer des leçons. Pour aller de l’avant, il est essentiel que tout le monde participe à la discussion, aborde les principes et fasse avancer ces efforts. J’ai vu ces tables réunissant plusieurs intervenants faire de grands progrès dans ce genre d’approche.
Le sénateur Loffreda : Je remercie nos intervenants d’être ici.
Depuis la Seconde Guerre mondiale, le rendement du capital s’est situé ici, et le rendement du travail a été beaucoup plus faible. Pensez‑vous que nous sommes au début d’une ère nouvelle, où le rendement du travail va rattraper le rendement du capital? Nous sommes dans une ère d’augmentation des coûts et d’inflation. Je pense que ces coûts seront refilés aux consommateurs. Comment cela influera‑t‑il sur l’économie et l’inflation? Cela aura un effet sur le marché du travail, je suppose. J’aimerais entendre vos réflexions à ce sujet. Merci.
Mme Bruske : Je vais demander à mon collègue de fournir une réponse plus complète.
Chris Roberts, directeur, Politiques sociales et économiques, Congrès du travail du Canada : Très rapidement, je pense que vous avez tout à fait raison, monsieur le sénateur : le rendement du capital est beaucoup plus élevé que celui du travail, et les impôts sur le travail ont tendance à être plus élevés que les impôts sur l’automatisation et les robots et le capital. C’est définitivement un problème.
Je pense que notre argument général, c’est que la démographie ou le resserrement des marchés du travail en raison des changements démographiques ne suffiront pas en soi pour redresser les déséquilibres et les inégalités qui se sont accumulés au cours des décennies précédentes. Nous devons nous attaquer aux sources institutionnelles de la mauvaise répartition des gains issus de la croissance de la productivité et autres, et cela passe par l’amélioration des normes du travail et des modifications de la réforme du droit du travail dont nous avons parlé.
Pour ce qui est de l’inflation, j’ajouterais que les sources d’inflation que nous voyons aujourd’hui sont très différentes de celles qu’elles étaient dans les années 1970, par exemple, lorsque des mouvements syndicaux robustes s’en prenaient aux entreprises qui gonflaient les prix et que cela créait un genre d’effet de spirale dû aux salaires qui suivaient l’augmentation des prix. Aujourd’hui, les sources d’inflation sont beaucoup plus récentes, nouvelles et difficiles à reconnaître — les perturbations, les problèmes de la chaîne d’approvisionnement, et cetera.
Je ne suis pas sûr que ce que nous voyons aujourd’hui soit nécessairement révélateur ou représentatif de ce que nous verrons dans l’avenir, et non transitoire, mais ce n’est que mon avis.
Mme Nord : Je commencerai par dire que je ne suis pas économiste de formation. Les pressions inflationnistes et salariales vont de pair, et il y a des préoccupations. Ce n’est pas que nous n’ayons pas besoin d’augmentation dans certains domaines, mais il y a des pressions artificielles.
J’aimerais parler du commentaire sur le rendement des investissements. Je pense que nous devons commencer par le milieu des affaires et avoir un rendement des investissements. Je sais que ce n’est pas très attrayant en dehors du milieu des affaires, mais en ce qui concerne la formation et le rendement des investissements liés aux employés, si nous commençons par ce langage, c’est plus acceptable pour le milieu des affaires. Un rendement des investissements signifie une meilleure rétention et une meilleure intégration. Tout cela se traduit par des économies. Je pense que, en commençant à utiliser ce langage, nous pouvons faire avancer les choses dans ce domaine.
Le sénateur Woo : Merci aux témoins.
Pouvez-vous me dire si les problèmes structurels que vous décrivez dans le marché du travail aujourd’hui sont différents de ceux que vous avez observés avant la COVID? Pour dire les choses autrement, la COVID a‑t‑elle changé quoi que ce soit sur le plan structurel au sujet des marchés du travail au Canada? Devrions‑nous, à la suite de cela, penser différemment aux types de solutions qui sont nécessaires pour l’avenir?
Mme Bruske : Je ne sais pas si la COVID a nécessairement changé quelque chose sur le plan structurel. Je pense qu’elle a mis en évidence les préoccupations et les problèmes existants qui touchaient le marché du travail depuis très longtemps, à savoir que nous n’avons plus d’emplois à temps plein prêts et disponibles pour les diplômés de l’université, par exemple. Il y a des problèmes structurels en ce sens que nous avons de plus en plus d’emplois à temps partiel et d’emplois précaires, et que les travailleurs ont moins envie de rester dans ces emplois à long terme, mais qu’ils n’ont pas la possibilité de les quitter. C’est quelque chose que nous devons corriger collectivement.
Mme Nord : Je dirai non — et je l’ai dit dans mes commentaires — la pandémie n’a en fait rien changé. Nous avons toujours le même écart structurel. Je m’appuierais sur des choses différentes. La première, c’est que, même en ce qui concerne l’assurance‑emploi, il s’agissait d’une anomalie passagère. C’était une pandémie. Les réponses que nous avons apportées à l’assurance‑emploi étaient nécessaires et importantes, et aussi temporaires. Je pense que nous devons veiller à l’avenir à ne pas utiliser cela comme une panacée. C’était une pandémie, et nous devons être résilients et prêts à faire face à une pandémie dans l’avenir, mais dans les faits, la pandémie n’a pas modifié les changements structurels. Nous devons nous attaquer à ces changements structurels. Ils sont exposés; ils s’aggravent. Pour la croissance économique et la reprise inclusive du pays, nous devons commencer à les aborder de manière systémique.
La sénatrice Ringuette : J’ai deux questions. D’après votre banque de données, quelle sera l’incidence nette du programme de garderies abordables sur le retour au travail des femmes? Nous disons les femmes, mais il y a des pères qui s’occupent de leurs enfants. C’est ma première question.
Mon autre question est plutôt un commentaire. Il y a quelques années, nous avons donné 1 milliard de dollars au Future of Work Lab, 1 milliard de dollars, pour faire une étude sur la main‑d’œuvre, que nous avions déjà. Elle était déjà en cours dans différents groupes de réflexion et universités, et cetera. Si nous avions pris ce milliard de dollars et avions fourni des incitatifs aux entreprises pour qu’elles offrent une formation à court terme, un perfectionnement ou une mise à niveau à leurs employés, quel aurait été l’effet?
Mme Bruske : Je vais demander à M. Roberts de nous donner les renseignements sur la question de la garde d’enfants, avant tout.
M. Roberts : Oui. Quel serait l’effet? Je pense que nous avons quelques données probantes du Québec. Lorsqu’il a mis en place son système de garde d’enfants, il a constaté que l’activité économique accrue, les heures de travail rémunérées plus longues effectuées par les femmes, par les jeunes mères, ont porté fruit en amenant des revenus plus élevés, mais aussi des recettes plus importantes pour le gouvernement. L’écart entre le revenu des femmes et celui des hommes s’est généralement amélioré. Je pense qu’il serait raisonnable de s’attendre à certains des mêmes gains globaux pour le Canada, en dehors du Québec, à l’avenir.
Mme Bruske : Madame la sénatrice, je pense que vous cherchiez un chiffre, cependant, et nous nous assurerons de vous le fournir en fonction de ce que les études montrent.
Mme Nord : J’aimerais dire sans équivoque que la Chambre de commerce du Canada et notre conseil pour la promotion des femmes se sont prononcés en faveur d’un leadership national en matière de garde d’enfants. C’est une question économique, pas une question qui touche les femmes. Les données et le temps nous le diront. Cependant, nous faisons preuve d’un optimisme prudent. Pour les femmes entrepreneures, le principal problème reste — nous les avons interrogées — la garde des enfants, mais elles ont besoin d’horaires non traditionnels. Elles n’ont pas d’horaires réguliers et fixes. Nous devrons voir comment cela se passe à l’échelle des administrations également. Il existe un certain nombre d’administrations où un certain nombre de garderies gérées par des femmes entrepreneures, ces femmes qui ont créé des entreprises au fil des ans, connaissent également des difficultés. Nous faisons preuve d’un optimisme prudent, mais nous devrons surveiller la situation.
Lorsque vous parlez du travail, ce que je dirai au chapitre de cet investissement, c’est qu’un certain nombre de bons projets sont en cours. Je vous inviterais à demander aux personnes qui dirigent ces projets et qui y ont participé de vous parler; ce serait mieux. Comme mes commentaires l’ont montré, c’est les deux/et. Je remarque encore une fois qu’une grande partie de tout cela se concentre sur l’offre de travail, la main‑d’œuvre et le marché, mais j’ai commencé par dire que nous devons vraiment nous concentrer sur les chiffres et la planification de la demande. C’est la pièce manquante du casse‑tête de la main‑d’œuvre, ici au Canada, qui permettra de compléter le tableau.
La sénatrice Ringuette : Je suppose que mon commentaire était que c’est bien d’avoir des données, des chiffres et des études, mais à un moment donné, nous avons besoin de politiques publiques et d’une action pour remédier à ces lacunes que vous avez toutes les deux relevées.
La présidente : Est-ce une simple déclaration, sénatrice Ringuette?
La sénatrice Ringuette : Oui, c’est cela.
Le sénateur Massicotte : Merci aux deux invitées de se joindre à nous ce soir.
Quand j’ai entendu vos discours, je dois dire que j’ai senti une longue liste de choses à faire, et cela devient compliqué pour moi. C’est peut‑être un problème personnel. Quoi qu’il en soit, je pense que vous devez cibler votre message et vous concentrer sur deux ou trois choses.
Le défi le plus important que nous ayons à relever est probablement celui du secteur pétrolier ou gazier, où il doit y avoir une dislocation importante, si vous voulez, de ces personnes vers d’autres secteurs. En une ou deux étapes simples, que devons‑nous faire? Parce que c’est réel. Si vous regardez le programme sur le changement climatique qui a été publié hier, une réduction très importante de 30 % de la main‑d’œuvre est prévue. Que devons‑nous faire? Quel est l’objectif?
Mme Bruske : Nous sommes tout à fait favorables, si tout va bien, à une loi sur une transition équitable plus tard cette année. Pour nous, cela signifie qu’il doit y avoir une recommandation pour, tout d’abord, élaborer un plan, un programme, qui doit être communiqué et mis en œuvre, puis surveillé et évalué au fur et à mesure. Tout type de programme d’élimination progressive du charbon ou des combustibles fossiles doit faire participer toutes les parties à la table, c’est‑à‑dire les employeurs, les syndicats, ainsi que, bien sûr, les collectivités, afin que nous puissions déterminer comment passer des combustibles fossiles aux emplois verts et voir les possibilités au sein de ces collectivités. Il faudra une approche du type « tout le monde sur le pont », y compris les gouvernements provinciaux et les administrations municipales, afin de ne laisser personne pour compte. Selon nous, ces discussions doivent avoir lieu le plus tôt possible. Nous devons nous assurer que ces programmes et ces plans établis sont complets et qu’ils prévoient non seulement de nouveaux emplois, mais aussi des programmes de transition pour les employés qui ne sont peut‑être pas en mesure d’assumer ces nouveaux rôles. Il y a beaucoup de travail à faire, mais il est très clair pour nous que toutes les parties doivent participer à ces discussions.
Mme Nord : Pour commencer, je suis absolument du même avis, et j’aimerais renforcer ce message.
L’autre élément — que j’ai présenté au début de mon exposé, même si ce n’est rien de très intéressant ou de captivant ou quoi que ce soit d’autre —, c’est la planification de la main‑d’œuvre du côté de la demande. Où sont les emplois verts? De quoi a‑t‑on besoin présentement? De quoi va‑t‑on avoir besoin dans l’avenir? Quelles sont les aptitudes et les compétences nécessaires pour que les gens qui font la transition depuis le secteur pétrolier et gazier ou qui viennent d’autres secteurs sachent ce qu’ils ont et ce dont ils ont besoin? Ensuite, ils pourront suivre des programmes de réorientation pour obtenir ce dont ils ont besoin. Les programmes de réorientation ne fonctionnent pas dans le néant. Nous avons besoin d’informations, et nous avons besoin de créer des bassins de talent durables. Pour cela, il faut de la planification.
La présidente : Mais qui organise cette réunion? Ce que vous dites va de soi, à certains égards. Nous savons que, s’il va y avoir une transition, nous avons besoin de programmes, mais qui est le responsable?
Mme Bruske : À mon avis, il faut établir un groupe de travail sur la transition équitable, qui va poursuivre le travail au cours des prochaines années, pour superviser les divers programmes et pour réunir les gens.
Le sénateur Massicotte : Dans la vraie vie, il faut habituellement se concentrer sur deux ou trois choses. Je sais qu’il doit y avoir des réunions, et que nous devons préparer un plan, mais sur quoi devons‑nous miser pour réussir? Que devons‑nous faire pour nous assurer que, dans cinq ans, nous pourrons dire : « Nous avons fait du bon travail? » Ces deux ou trois choses, quelles sont‑elles?
Mme Nord : Absolument. On ne peut pas mesurer la réussite à moins d’en avoir défini les paramètres. De combien d’emplois avons‑nous besoin? Combien d’emplois ont été comblés? Pour une entreprise, ce serait les emplois, le recrutement, le maintien en poste et l’avancement dans le secteur. Voilà comment on mesurerait cela, de notre point de vue.
Mme Bruske : J’ajouterais que vous ne pouvez pas mesurer la réussite simplement en se demandant si ces personnes ont trouvé de nouveaux emplois; il faut aussi s’attarder à la qualité des nouveaux emplois qu’ils vont occuper.
Le sénateur Yussuff : Merci aux témoins d’être avec nous ce soir.
J’ai lu vos exposés, et j’ai remarqué beaucoup de points communs quant aux sujets que vous abordez. Il y a peut‑être des similarités, mais peut‑être que l’approche pour atteindre le but est différente. Puisque notre objectif est d’étudier les enjeux stratégiques auxquels nous sommes confrontés, qu’est‑ce que nous pouvons faire? Nous discutons de cela avec vous, ce soir, mais quand avez‑vous ces discussions avec le gouvernement au sujet des recommandations et pour continuer de discuter avec lui des enjeux? Ce dossier ne date pas d’hier. Donc, quels seraient les instruments stratégiques que le gouvernement fédéral pourrait donner, aux employeurs et aux travailleurs réunis, pour que vous puissiez discuter et trouver des solutions? Plus important encore, comment pouvons‑nous maintenir le flux d’information, pour qu’on puisse savoir comment avancent les choses?
C’était ma première question, et j’aurai une petite question de suivi ensuite.
Mme Bruske : Je ne suis pas certaine de ce que le gouvernement pourrait nous donner, d’un point de vue structurel, pour véritablement forcer les employeurs et les syndicats à collaborer. Je crois que tous les employeurs et tous les syndicats doivent avoir une approche du type « tout le monde sur le pont », en ce qui concerne les changements actuels dans le marché du travail, et c’est ce que nous voyons aux tables de négociation, mais nous devons faire cela de façon plus structurée, comme dans le cadre d’un examen sectoriel. Je ne sais pas ce qu’on pourrait mettre en place pour favoriser ce genre de discussions, mais je demanderais que les travailleurs soient toujours présents à ces tables, parce qu’ils voient, aux premières lignes, la façon dont les emplois changent et évoluent et la façon dont les marchés du travail évoluent dans les diverses collectivités.
Mme Nord : Je crois que le gouvernement fédéral, l’échelon fédéral, a un rôle très important à jouer, et il doit faire preuve de leadership à l’échelle nationale. Je sais que cela peut être frustrant. Il y a énormément d’échelons, énormément d’acteurs et énormément de tables de discussion. Un rôle très important que le gouvernement fédéral devrait jouer serait de tous nous réunir.
Je vais vous donner rapidement un exemple. Parfois, on ne peut pas séparer les choses. Vous savez que ce n’est pas monolithique. Nous avons souvent parlé, avec nos collègues ici, de séparer les choses par secteur. Si vous prenez le secteur des soins et celui de l’économie des soins — disons les services de garde et les travailleuses et travailleurs de garderie —, il n’y a aucune table nationale présentement. Il n’y a pas de table provinciale non plus, par exemple. Si on veut discuter des salaires, cela ne relève pas de la compétence fédérale, mais les discussions sur les compétences et l’accès à la profession, si. De ce côté‑là, le gouvernement fédéral pourrait réunir les syndicats, les travailleuses et travailleurs de garderie eux‑mêmes et les entreprises pour mettre en place une approche nationale structurée, axée sur les aptitudes et les compétences, qui soit organisée selon la compétence administrative, et cela va favoriser des salaires convenables et la reconnaissance des titres.
Le sénateur Yussuff : Rapidement, j’ai une question complémentaire sur l’immigration, un sujet que vous avez toutes les deux abordé d’une façon ou d’une autre. Nous avons des milliers — ou selon les données que vous voulez utiliser, des centaines de milliers — de travailleurs dans l’économie qui n’ont pas de statut. Devrions‑nous, en tant que gouvernement national, intervenir en disant « pourquoi ne pas simplement offrir l’amnistie à ces travailleurs, pour qu’ils puissent avoir un statut? » Plus important encore, les employeurs ont de la difficulté à trouver des travailleurs dans notre économie actuellement. Ces gens sont déjà ici, et surtout, ils pourraient contribuer. Y a‑t‑il quelque chose dont nous pourrions tirer parti, ici, compte tenu de la difficulté de trouver des travailleurs qualifiés dans notre pays actuellement?
Mme Bruske : Oui, à 100 %. On fait déjà quelques tentatives présentement pour cela dans la région de Toronto avec un certain syndicat, l’Union internationale des journaliers d’Amérique du Nord, pour que les travailleurs sans statut aient des voies d’accès à des emplois en bonne et due forme, pour qu’ils puissent rester au Canada et avoir un statut. Ce serait utile d’élargir ces efforts, parce que nous savons qu’il y a beaucoup de travailleurs au Canada qui sont ici et qui pourraient faire partie du marché du travail actuel, mais qui ne le sont pas techniquement, et c’est pour cette raison que nous devons élargir ce genre de programme. Nous devons examiner d’autres façons d’ouvrir des voies d’accès à la citoyenneté, y compris pour les travailleurs étrangers temporaires, et peut‑être qu’il faudrait élargir la portée de cela.
Mme Nord : Merci de la question, monsieur le sénateur.
À dire vrai, je ne suis pas au courant des chiffres que vous avez mentionnés, mais, même à l’égard de l’immigration, cela s’inscrit dans cette approche du type « à la fois... et... et », n’est‑ce pas? Nous avons des gens ici : des résidents permanents, des étudiants internationaux, des travailleurs étrangers temporaires et des gens sans statut. Donc, c’est l’aspect « et... et... et », parmi ces gens qui sont ici. Il y a aussi des gens à l’étranger. Il y a à la fois des immigrants économiques et des réfugiés. Il faut que l’approche soit du type « et... et... et », il ne faut pas qu’il y ait une catégorie subordonnée à l’autre ou une qui ait priorité sur l’autre. Nous devons avoir une approche globale, qui inclut tout le monde, mais il faut aussi fournir au ministère et à d’autres les ressources dont ils ont besoin pour traiter les dossiers et examiner tout cela correctement.
Le sénateur Smith : J’aimerais parler un peu plus d’immigration et des histoires qu’on entend sur des gens qui étaient chirurgiens dans leur pays. Ils arrivent ici — comme vous l’avez dit, sénateur Yussuff —, mais on ne reconnaît pas leurs qualifications. Ils doivent retourner à l’école, devenir infirmiers ou infirmières, et cela leur prend, disons, 10 ans pour faire à nouveau reconnaître leurs titres de compétences. Dans leur pays, ils sont chefs de service de chirurgie, ou quelqu’un avec énormément d’expérience en gestion, mais leurs compétences ne sont pas reconnues dès qu’ils arrivent dans notre pays. Je me demandais si, concrètement, le gouvernement pouvait jouer un rôle auprès des entreprises pour essayer de faire reconnaître les compétences des gens, afin qu’ils puissent être mis à niveau, surtout en ce qui concerne la technologie et la technologie de pointe. Nous avons besoin d’ingénieurs pour élargir cette industrie. Comment pouvons‑nous y arriver?
Mme Nord : Merci de la question, monsieur le sénateur.
Parmi mes trois recommandations prioritaires venant de la Chambre de commerce du Canada en matière d’immigration, il y en avait une sur la reconnaissance des titres de compétences étrangers. C’est une question qui est à l’étude depuis longtemps, et je dirais que, au fil du temps, les choses ont même régressé. Pour être honnête, ce n’est pas seulement le gouvernement et l’industrie qui doivent jouer un rôle. Parfois, surtout à l’échelon fédéral, nous avons le plus petit rôle, mais nous pouvons tout de même assumer un rôle de leadership en réunissant tous les acteurs, au besoin et méthodiquement, et en prenant des mesures incitatives, sans agir de façon fragmentaire. Je crois que c’est quelque chose qu’il faut faire, et il faut bien le faire. Au moins, la pandémie ouvre énormément de possibilités, dont celle dont je viens de parler.
Il y a eu quelques bons projets pilotes, en particulier dans la région de Toronto, concernant certains fournisseurs de soins de santé. Alors, tirons‑en des leçons et augmentons ces efforts. Encore une fois, ce n’est pas mon rôle, et ce n’est pas le vôtre, de réglementer ces professions, mais nous pouvons réunir les intervenants pertinents pour trouver des moyens de réellement aller de l’avant. C’est nécessaire, nous n’avons pas le choix.
Le sénateur Smith : Si je puis intervenir pour poser rapidement une question, le gouvernement fédéral administre conjointement, avec les provinces et les territoires, le Programme des candidats des provinces. Dans le cadre de ce programme, 5 000 invitations à présenter une demande ont été lancées en février 2022. Beaucoup des petites provinces comptent là‑dessus également. Je me demandais quel rôle le gouvernement fédéral pourrait jouer auprès des provinces, de façon à éviter de tomber dans le piège des compétences et de qui est responsable de quoi. Quelle approche simple et élémentaire pourrions‑nous mettre en place, le gouvernement fédéral et les provinces, pour régler certains des problèmes clés que vous avez décrits?
Mme Nord : Absolument. Je crois que c’est nécessaire, et nous croyons même que ce processus devrait être davantage décentralisé. Il y a de nombreux exemples, comme le Programme d’immigration au Canada atlantique, et aussi beaucoup de projets pilotes d’immigration dans les collectivités rurales et du Nord. Mais, encore une fois, puisque c’est collectivité par collectivité, on ne peut pas vraiment résoudre du jour au lendemain le problème du mastodonte que sont les professions réglementées, mais au moins, les collectivités peuvent décider de qui elles ont besoin et pour faire quoi, et cela devrait faciliter énormément le processus.
La présidente : Il nous reste un peu plus de 10 minutes, et j’ai six intervenants sur ma liste. Essayons de procéder aussi rapidement que possible.
Le sénateur Loffreda : Changeons d’optique. Quand je regarde les taux de chômage en 2021, je vois que les chiffres dans la catégorie des 15 à 24 ans sont relativement plus élevés par rapport au taux de chômage national. Vous avez dit que le recrutement, le maintien en poste et les promotions étaient quelque chose de très important. Il y a un mot clé, et c’est « développement ». Comment expliquez‑vous que nous avons une telle pénurie de main‑d’œuvre, alors que le taux de chômage est relativement élevé pour cette catégorie d’âge? Je ne veux pas commencer à donner des chiffres, mais c’est plus de 10 %. Est‑ce qu’il y a un lien avec les travailleurs à la demande? Est‑ce qu’il y a un lien avec le fait que, comme je l’ai dit, le rendement du capital est ici, en haut, et le rendement du travail est là, en bas, et qu’il s’agit de jeunes personnes? J’aimerais avoir votre opinion là‑dessus, et savoir quelles politiques permettent de vraiment corriger cela et de rétablir le marché du travail.
Mme Bruske : À mon avis, cela tient à la qualité des emplois disponibles, et en ce qui concerne l’économie à la demande, c’est problématique pour les travailleurs. On demande aux travailleurs de travailler à la demande, de se placer eux‑mêmes dans une situation où ils ont de la difficulté à concilier le travail et la famille, parce qu’ils ne savent pas combien d’heures par semaine leur employeur va leur donner; peut‑être que ce sera 40 heures cette semaine, et 10 heures la semaine prochaine. C’est très difficile de maintenir les gens en poste dans ce contexte. Beaucoup d’employés doivent jongler avec deux ou trois types d’emplois différents pour réunir ce dont ils ont besoin pour survivre. Nous avons besoin de meilleures lois du travail, relativement aux exigences pour les employés et pour éviter que les employés soient mal catégorisés, pour qu’ils soient véritablement des employés désignés et qu’ils aient des droits, comme une paie de vacances et un accès à une couverture en vertu des normes d’emploi dans leur travail à la demande, et aussi quelques protections en cas de licenciement.
La sénatrice Bellemare : Il y a beaucoup de pays — même en Europe — qui ont adopté des cadres nationaux de classification des titres de compétence, pour déterminer les aptitudes et les compétences dont on a besoin et les aptitudes que d’autres ont. Des confédérations, comme l’Australie, ont aussi adopté cela. Que pensez‑vous de ces cadres nationaux de classification des titres de compétence? Seriez‑vous disposés, en tant que partenaires dans le marché du travail, à participer à l’élaboration d’un tel cadre, avec les gouvernements fédéral et provinciaux?
Mme Nord : Je crois que nous pouvons apprendre énormément de ces structures, par exemple en regardant les structures compétentes de l’Union européenne. Ce sont des pays souverains. De notre côté, les administrations compétentes sont les provinces et les territoires, mais c’est la même chose. L’Australie a un modèle encore meilleur — merci de l’avoir donné en exemple, madame la sénatrice —, parce qu’il y a une communication vers l’amont. Là‑bas, les choses sont différentes quant à l’entité qui a la responsabilité globale en vertu de la Constitution ou des sphères de compétence, mais je crois que nous pouvons en apprendre énormément et que cela pourrait vraiment faire avancer les choses.
Mme Bruske : Nous sommes d’accord, évidemment. Les syndicats voudraient toujours participer à ces discussions.
Le sénateur Woo : Je vais poursuivre sur la lancée de la sénatrice Bellemare. À propos de la planification de la main‑d’œuvre du côté de la demande, ai‑je raison de dire que cela n’a jamais été fait avant? Dans la mesure où cela a déjà été fait — comme Mme Nord l’a mentionné — pouvez‑vous nous dire quel niveau d’agrégation s’est avéré efficace, et à quel point il sera difficile de faire une mise à l’échelle, si on compare, disons, les travailleurs du secteur pétrolier et gazier du Nord de l’Alberta aux travailleurs de l’industrie pétrolière et gazière dans son ensemble, et même à l’industrie de l’énergie dans son ensemble? Ce que je veux dire c’est pouvez‑vous nous donner une feuille de route?
Mme Nord : Absolument. C’est faux de dire que cela n’a jamais été fait au Canada. Il y a des entreprises et des sociétés qui ont pris l’initiative individuellement, et parfois même un secteur. Dans le passé, nous avions des conseils sectoriels nationaux, provinciaux et territoriaux. Il y a un processus pour trouver ce qui fonctionne, et cela dépend de certaines choses, monsieur le sénateur. Je vais m’appuyer sur mes collègues qui ont mis en œuvre un processus qu’on appelle la gestion des talents. Aux États‑Unis, ce processus existe dans 33 États, et on l’utilise à l’échelon communautaire, dans les collectivités tant urbaines que rurales, à l’échelon régional et à l’échelon de l’État. C’est même utilisé de façon transfrontalière, par exemple à Ottawa‑Gatineau ou à Thunder Bay‑Manitoba et même à Battlefords... d’une province à l’autre. C’est un processus qui réagit aux besoins de la collectivité, et qui permet de déterminer votre aire de recrutement, la meilleure. Vous pouvez même prendre l’Alberta et diviser la province en quatre zones. C’est un processus qui sert à répondre aux besoins. Les besoins sont déterminés, et c’est tout à fait possible d’augmenter ou de réduire l’échelle. Encore une fois, il y a eu de petites enclaves ici au Canada où cela a été fait. Je ne dis pas que cela n’a pas été fait, mais la prochaine étape, comme vous l’avez dit, est de mettre cela à l’échelle pour que ce soit applicable de façon utile pour l’ensemble d’un secteur ou d’une entreprise, indépendamment de sa taille.
Ce que je dirais, pour conclure, c’est qu’un facteur clé serait de réunir les employés dans ce que nous appelons des coopératives, en particulier les petites et moyennes entreprises, parce qu’elles n’ont pas de ressources humaines ou les capacités pour cela. Si vous fournissez un service de guide‑expert, et que vous le fournissez de concert avec d’autres employeurs, non seulement vous avez une voix plus forte, mais vous avez aussi la capacité. Cela autonomise les petites entreprises.
Le sénateur Woo : Et ce guide-expert, c’est le gouvernement fédéral?
Mme Nord : Non, le guide-expert, habituellement, d’après notre expérience, c’est la Chambre de commerce, un agent local de développement économique ou un conseil sectoriel qui appartient à la communauté du secteur et qui fait les choses « par les entreprises, pour les entreprises », qui parle la langue des affaires et ensuite qui va rencontrer nos autres partenaires. C’est un autre facteur clé. Quand les autres partenaires arrivent, la table est déjà plus grande, mais c’est d’abord à nous de mettre de l’ordre dans nos affaires avant de nous attaquer au problème plus large.
Le sénateur Yussuff : Aujourd’hui, le marché du travail est composé à plus de 50 % de femmes. Si vous jetez un coup d’œil sur le programme d’assurance‑emploi et la façon dont il a été utilisé dans le passé pour combler les besoins — et compte tenu, bien sûr, de l’évolution du marché du travail depuis — et puisque le gouvernement a déclaré qu’il envisage de réformer le marché du travail d’une façon ou d’une autre, comment changeriez‑vous le programme d’assurance‑emploi pour vous assurer qu’il reflète la réalité actuelle? La moitié de la main‑d’œuvre aujourd’hui est composée de femmes, et ce programme n’a jamais été conçu pour tenir compte des besoins des femmes.
Mme Bruske : Nous avons un certain nombre de points à faire valoir sur la réforme du programme d’assurance‑emploi. La priorité serait d’examiner le régime des prestations, les niveaux des prestations, pour voir s’ils répondent vraiment aux besoins des travailleurs. Selon nous, ce n’est pas le cas, et les niveaux de prestations doivent être augmentés. Il faudrait aussi examiner là où on place la barre pour ce qui est de l’admissibilité et de la présentation d’une demande. Il faudrait aussi faire quelque chose, bien sûr, pour gérer les interruptions d’emploi, quand les gens prennent des congés parentaux, un congé pour prendre soin des enfants ou n’importe quel autre type de congé. Nous voulons aussi examiner ce qui se passe quand des travailleurs se voient refuser l’accès aux prestations, et ce qu’ils pourraient faire pour contester ce genre de décisions. Il faut moderniser les choses pour les travailleurs qui ont subi ce genre de conséquence.
Nous avons présenté toute une série de propositions, et je demanderais à M. Roberts de vous parler de certaines de nos autres priorités.
M. Roberts : Les femmes, bien sûr, ont davantage tendance à travailler à temps partiel, à faire des semaines courtes ou à faire un travail atypique. Les critères d’admission au programme d’assurance‑emploi sont discriminatoires pour ces travailleuses, selon nous. Le programme est structuré d’une façon qui défavorise les femmes, lesquelles sont représentées de façon disproportionnée dans ces genres d’emploi. Il faut faire quelque chose de ce côté‑là. Il y a certaines modifications simples qui pourraient être faites immédiatement pour atténuer ce qui pénalise les femmes actuellement. Il faut corriger le fait qu’on ne peut pas combiner des prestations de chômage et des prestations spéciales. Vous avez tout à fait raison, monsieur le sénateur, de dire que le programme défavorise intrinsèquement les femmes, et il est grand temps d’y remédier.
Mme Nord : Je vais prendre les choses sous un autre angle : je ne peux pas parler de toutes les femmes, mais il y a certaines femmes qui ne peuvent pas travailler. Soit vous êtes en congé parental ou en congé de maternité, soit vous ne l’êtes pas. Il n’y a pas de nuance. Le programme ne permet aucune flexibilité. Il y a la question des travailleuses indépendantes, mais soit vous l’êtes, soit vous ne l’êtes pas, mais vous ne pouvez pas être les deux. C’est une ligne très tracée dans le sable. Il faut qu’il y ait plus de flexibilité et plus de choix. Si vous voulez prendre congé, parfait. Si vous ne voulez pas ou si vous voulez un petit congé, il faut qu’il y ait plus de flexibilité à ce niveau‑là pour répondre surtout aux besoins des femmes, mais aussi aux besoins parentaux dans cette situation.
La présidente : J’aimerais vous remercier tous énormément de vos commentaires aujourd’hui. Nous étudions le marché du travail dans le contexte de ce qui se passe dans les autres secteurs de l’économie, alors tout cela nous est très utile. Si vous pouviez tous et toutes nous faire parvenir ces exemples précis ou n’importe quoi d’autre qui vous vient à l’esprit, cela nous serait utile pour la préparation de notre rapport, alors soyez précis afin que nous puissions demander aux décideurs de regarder cela.
Nous remercions Mme Leah Nord, directrice principale, Stratégies en matière d’effectifs et croissance inclusive, de la Chambre de commerce du Canada; Mme Bea Bruske, présidente du Congrès du travail du Canada; et M. Chris Roberts, directeur, Politiques sociales et économiques du Congrès du travail du Canada. Merci beaucoup à vous tous d’avoir été avec nous aujourd’hui.
Nous allons continuer d’étudier la main‑d’œuvre et le marché du travail avec notre deuxième groupe de témoins. Nous sommes heureux d’accueillir M. Pierre Cléroux, vice‑président, Recherche et économiste en chef de la Banque de développement du Canada; et M. Tony Bonen, directeur général intérimaire du Conseil de l’information sur le marché du travail. Merci à vous deux. Nous allons commencer par la déclaration préliminaire de M. Cléroux, puis ce sera au tour de M. Bonen.
Pierre Cléroux, vice-président, Recherche et économiste en chef, Banque de développement du Canada : Bonjour à tous. Merci de me permettre d’être ici.
[Français]
Il est inutile de présenter longuement la Banque de développement du Canada (BDC), qui compte 75 ans d’expérience et a une visibilité accrue depuis le début de la pandémie. Rappelons toutefois que la BDC est la seule banque qui se consacre uniquement aux entrepreneurs.
Nous sommes une société d’État qui relève du Parlement par l’entremise de la ministre de la Petite Entreprise, de la Promotion des exportations et du Commerce international. Nous exerçons nos activités de prêteur et d’investisseur sans lien de dépendance avec le gouvernement. En ce sens, nous sommes un complément aux prêteurs du secteur privé plutôt qu’un concurrent. Cela signifie que nous prenons plus de risques que les autres institutions financières et que, lorsque l’économie faiblit, nous intervenons.
Durant la pandémie, nous avons notamment fourni un soutien financier direct de 2,8 milliards de dollars, ainsi qu’un soutien indirect de plus de 4 milliards de dollars en collaboration avec des institutions financières partout au pays. Nous offrons également du capital de risque et des services‑conseils.
[Traduction]
Je suis ici pour témoigner à propos de ce dernier point. Mon équipe de recherche économique soutient non seulement la planification interne de la BDC, mais aussi nos clients en publiant régulièrement et gratuitement des rapports et des analyses qui les aident à comprendre le contexte économique dans lequel évoluent les PME. Ces rapports présentent des observations générales à propos de l’économie et des tendances du marché, en plus de fournir des conseils pratiques pour les entrepreneurs.
L’étude sur la pénurie de main‑d’œuvre actuelle fait suite à une étude similaire que nous avons réalisée en 2018. Certaines observations clés, à commencer par les tendances démographiques, sont bien connues. Malgré tout, elles méritent d’être répétées.
La proportion de personnes âgées de 65 ans ou plus au Canada est passée de 13 % en 2000 à 19 % en 2021; les baby‑boomers quittent le marché du travail, tandis que la population en âge de travailler augmente plus lentement; de 2000 à 2012, la population active a augmenté de 12 %, mais on s’attend à une augmentation de 3,8 % seulement au cours de la présente décennie, ou peut‑être même moins. En d’autres mots, la pénurie de main‑d’œuvre va se poursuivre, surtout si on se fie à la demande prévue de travailleurs.
En plus de ces tendances à long terme, la pandémie a amplifié le problème. Sans la COVID, il y aurait 440 000 personnes de plus au Canada. L’immigration a chuté de moitié en 2020 et en 2021, à cause des restrictions liées à la COVID, mais la situation devrait s’améliorer en 2022.
De plus, 20 % des travailleurs qui ont perdu leur emploi durant la pandémie se sont réorientés vers d’autres secteurs. Cela veut dire que le nombre de postes vacants au Canada a plus que doublé depuis 2015, et le manque de personnel s’est fait particulièrement ressentir dans les secteurs de l’hébergement et des services de restauration, et aussi dans le secteur manufacturier.
Ces pénuries ont des répercussions sur les entrepreneurs, et certains ont décidé de prendre des mesures.
Parmi les répercussions, mentionnons la faible croissance, les pressions exercées sur les employés actuels, les attentes liées à la rémunération et la capacité de répondre aux demandes. Les répercussions se font ressentir d’un bout à l’autre du pays, et les entreprises ont de la difficulté à embaucher : cela va de 29 % dans les Prairies à 67 %, en Ontario.
Les entrepreneurs ont déjà adopté certaines approches pour atténuer les pressions sur eux : par exemple, 37 % des entrepreneurs au Canada ont adopté des ententes de travail flexible, 35 % offrent plus de formation à l’interne, et 26 % recrutent des travailleurs plus jeunes.
Outre ces tactiques, nous recommandons de suivre quatre stratégies qui ont fait leurs preuves et qui peuvent aider au plus haut point, vu que les problèmes de pénurie de main‑d’œuvre sont là pour de bon : avoir un processus d’embauche formel; offrir un régime de rémunération plus compétitif; élargir votre bassin d’embauche; et, enfin et peut‑être par‑dessus tout, puisque les pénuries seront un problème à long terme, investir dans la technologie et l’automatisation.
Selon notre étude, l’utilisation de la technologie peut être la meilleure stratégie pour atténuer le problème de la pénurie de main‑d’œuvre. Les entreprises canadiennes qui utilisent l’automatisation ont un meilleur rendement et une croissance plus rapide. La technologie est maintenant disponible pour tous les secteurs, y compris ceux des services et de la vente au détail.
Compte tenu du contexte, je tiens à souligner que la BDC est heureuse de contribuer au Programme canadien d’adoption du numérique, qui a été annoncé il y a quelques semaines. Dans le cadre du volet no 2 du PCAN, on a annoncé, dans le budget de 2021, un investissement de 2,6 milliards de dollars pour la BDC afin d’aider les PME à financer la mise en œuvre de leur plan d’adoption de la technologie. La BDC offrira des prêts à un taux d’intérêt de 0 % afin d’accroître la productivité, d’améliorer le service aux clients et de renforcer la compétitivité.
Merci de m’avoir écouté. J’espère que nous aurons maintenant une excellente discussion à propos de tout cela.
La présidente : Merci. L’un de nos témoins de la semaine dernière, M. Paul Desmarais, nous a dit de faire venir autant d’Ukrainiens que possible. Il y a tous ces gens, et nous avons besoin de tout le monde ici. Merci de nous avoir présenté votre exposé.
Je vais maintenant demander à M. Bonen de nous présenter ses commentaires.
[Français]
Tony Bonen, directeur général intérimaire, Conseil de l’information sur le marché du travail : Bonsoir et merci aux membres du comité et au président de me recevoir aujourd’hui. C’est un grand honneur de vous parler des défis les plus pressants des marchés du travail au Canada et de poser un regard sur l’information liée au marché du travail.
Je représente le Conseil de l’information sur le marché du travail, ou CIMT. Nous sommes une organisation indépendante, mais fondée par le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux et territoriaux.
[Traduction]
Nous sommes plus précisément soutenus par les ministères d’un bout à l’autre du Canada ainsi que par Statistique Canada. Notre mission consiste à veiller à ce que les Canadiens aient accès à de l’information pertinente et de haute qualité sur le marché du travail afin d’éclairer leurs décisions. Je tiens pour acquis que vous n’entendez pas souvent l’expression « information sur le marché du travail », contrairement à moi, alors je vais vous expliquer brièvement ce que cela veut dire.
L’information sur le marché du travail, c’est d’abord et avant tout les données que nous utilisons pour suivre l’évolution et les résultats du marché du travail. L’information sur le marché du travail, c’est aussi les concepts, les catégories, la taxinomie et les façons dont nous envisageons, mesurons et suivons les tendances du marché du travail, par exemple la façon dont nous regroupons les emplois similaires en professions, ou la façon dont nous catégorisons les compétences et surveillons l’émergence de compétences en demande.
Pourquoi l’information sur le marché du travail est‑elle importante? Mme Nord, qui a témoigné précédemment, a dit que c’était la pâte, mais c’est aussi ce qui nous aide à brosser un portrait de ce qui arrive dans le monde du travail. Elle nous permet d’aller au‑delà des anecdotes et des conjectures et d’évaluer, de façon quantitative et axée sur les données, la réalité actuelle pour que nous ayons un portrait plus juste de ce à quoi nous pouvons nous attendre dans l’avenir. Elle nous permet de communiquer de façon uniforme et cohérente, afin que les domaines de la politique, ceux de la défense des intérêts et de la recherche puissent parler une même langue. Nous avons besoin de l’information sur le marché du travail pour avoir une compréhension commune de la situation et élaborer des politiques éclairées par les données.
Si vous me le permettez, je vais maintenant vous parler de quelques tendances émergentes clés ainsi que de certaines difficultés dans les marchés canadiens du travail. Mes distingués collègues ont déjà abordé de nombreux sujets aujourd’hui, alors je vais m’en tenir à deux défis cruciaux et au rôle que peut jouer l’information sur le marché du travail pour nous aider à les relever.
Le premier défi a déjà été mentionné : c’est celui de la concurrence mondiale pour les talents, et notre incapacité à mesurer objectivement les pénuries de talent : où y a‑t‑il des pénuries, à quel point sont‑elles graves et quelles interventions peuvent et devraient être mises en œuvre pour y réagir. Les pénuries sont un sujet d’actualité. Il ne fait aucun doute que de nombreuses entreprises et organisations ont de la difficulté à trouver les bonnes personnes pour soutenir leurs activités, mais l’information sur le marché du travail à ce sujet... Il n’y a aucune façon normalisée de mesurer les pénuries. Il n’y a même pas de concept pratique qui recueille un consensus. Un poste vacant reflète‑t‑il nécessairement une pénurie, est‑ce qu’un poste doit être vacant pendant une certaine période, ou y a‑t‑il seulement une pénurie quand l’employeur a d’abord essayé de hausser le salaire proposé? C’est à ce genre de questions importantes que nous devons répondre si nous voulons cibler nos politiques et nos programmes pour les entreprises et les secteurs qui sont aux prises avec des pénuries. Nous devons donc évaluer objectivement l’existence et la gravité des pénuries dans le marché du travail.
Le deuxième grand défi qui pointe à l’horizon concerne les changements structurels des emplois dans tous les secteurs. Cela concerne notre capacité de prévoir les changements en matière d’emploi dans les secteurs en fonction de facteurs comme l’économie verte, les répercussions de la COVID‑19 et les changements technologiques liés à l’automatisation, l’intelligence artificielle, et ainsi de suite. Nous devons regarder vers l’avant et nous préparer à cet avenir, en mettant sur pied, comme on dit, une main‑d’œuvre à l’épreuve de l’avenir, et cela en offrant des programmes de recyclage professionnel et en amorçant ce processus avant que les secteurs ne soient gravement perturbés. À cette fin, nous devons prendre de l’avance et prévoir les perturbations; ainsi, lorsque les changements surviendront, les gens ne seront pas laissés à eux‑mêmes. Pour avoir des prévisions plus exactes, il faut des données plus exactes et des intrants plus détaillés, c’est‑à‑dire de l’information sur le marché du travail plus locale et plus granulaire.
Pour résoudre ces problèmes et aussi bien d’autres problèmes connexes, le Canada a besoin d’un système d’information sur le marché du travail vraiment novateur, qui fournit, en temps opportun, des données locales et granulaires. Cela suppose de revoir la façon dont nous utilisons les données administratives au Canada. Présentement, l’information sur le marché du travail au Canada est fondée presque exclusivement sur des sondages, le principal étant l’Enquête sur la population active, réalisée mensuellement. Essentiellement, toutes les prévisions sur le marché du travail s’appuient dans une certaine mesure sur cette source d’information, une enquête ciblant environ 60 000 ménages. Parmi les enquêtes, l’Enquête sur la population active est un modèle d’excellence au Canada, mais elle demeure extrêmement limitée, parce qu’il ne s’agit que d’une enquête.
Au CIMT, nous avons travaillé avec Statistique Canada pour extraire les données les plus locales et les plus granulaires possible à partir de cette enquête et d’autres, mais cela n’est pas suffisant pour nos partenaires provinciaux et territoriaux. Les provinces et les territoires du Canada sont responsables de la mise en œuvre de la grande majorité des programmes de soutien et de formation liés au marché du travail, et ceux‑ci sont financés dans une grande mesure par le gouvernement fédéral, par l’entremise des ententes de transfert relatives au marché du travail. Les provinces demandent systématiquement des données plus locales et plus granulaires sur le marché du travail, pour soutenir leur élaboration de programmes ciblés et efficaces, mais les enquêtes sont coûteuses et exigent beaucoup d’efforts.
C’est donc là que les données administratives entrent en jeu. Nous recueillons déjà une énorme quantité d’information sur le marché du travail de façon incognito, presque accidentellement, et nous ne l’utilisons pas pour élaborer des solutions stratégiques axées sur les données, même s’il fallait le faire. Mais qu’est‑ce que cela veut dire, des données administratives? Je parle des données que les employeurs et les personnes recueillent et envoient au gouvernement en utilisant des systèmes comme celui de l’assurance‑emploi, des transferts du RPC et des impôts annuels. Il y a de l’information cruciale à propos des gens au Canada qui se trouve dans les données administratives, mais cette information n’est pas utilisée pour éclairer les politiques. Cette information comprend combien de temps une personne a travaillé pour une entreprise en particulier, l’endroit où se trouve son travail, le titre précis de son poste, son salaire ou son revenu actuel et quand et pourquoi elle a perdu son emploi. Cette information existe dans les bases de données administratives, sans qu’on en tire parti.
Certains pays ont des systèmes d’information sur le marché du travail très novateurs et très utiles, et ils utilisent les données administratives, mais pas le Canada, pas encore. La Finlande et les autres pays nordiques, par exemple, utilisent abondamment les données administratives. Aujourd’hui, j’ai fait quelques recherches sur Google, et j’ai appris que, en Finlande, il y a seulement 4 % de femmes qui sont à la tête de sociétés publiques. Ce genre de données existent aussi au Canada, mais c’est impossible de les trouver et de les consulter. Il n’y a pas de suivi de l’information d’une année à l’autre qui permettrait de dégager les tendances et de voir si les choses s’améliorent.
Imaginez si nous pouvions recueillir ce genre de détails, sans enquêtes coûteuses et fastidieuses. Si nous le pouvions, alors nous pourrions éviter des situations comme nous en avons vues durant la COVID‑19, où les taux de réponse à l’Enquête sur la population active ont précipitamment chuté. À certains endroits, comme au Nunavut, seuls 10 % des ménages ont répondu à l’enquête, même si c’est obligatoire. Avec les données administratives, nous n’avons pas besoin que les personnes ou les entreprises nous donnent cette information. Elle est absorbée automatiquement par nos systèmes actuels. Ce serait une tâche colossale d’essayer de réunir ces diverses sources de données administratives.
Une autre possibilité à plus long terme, et ce changement qui nous permettrait de recueillir de l’information sur le marché du travail encore plus utile, serait de permettre aux organismes administratifs, comme l’Agence de revenu du Canada, de recueillir de l’information qui pourrait aider et soutenir d’autres secteurs stratégiques, comme les programmes axés sur le marché du travail. Actuellement, l’Agence du revenu du Canada a seulement le mandat de recueillir l’information nécessaire pour le calcul des taux d’imposition. Cela veut dire que les dossiers fiscaux ne contiennent pas d’information sur votre emploi, votre titre de poste, votre ancienneté ou votre salaire. Si on ajoutait quelques questions de ce genre lors de la collecte des dossiers fiscaux, dans le cadre d’un processus existant, ces changements mineurs dans le système feraient une différence énorme quant au volume, à l’exactitude et au caractère local de l’information que nous avons sur le marché du travail. Cela pourrait nous aider à résoudre beaucoup des problèmes que nous avons soulevés et dont nous discutons aujourd’hui.
La présidente : Je vous invite à conclure le plus rapidement possible. Merci.
M. Bonen : Oui. Pour poursuivre dans cette voie, il faut prendre ici en considération de nombreux facteurs concernant la protection de la vie privée. Je ne veux pas minimiser la situation, mais je crois que nous pouvons faire énormément de choses pour faire avancer ce dossier. Merci.
La présidente : C’est merveilleux. Je suis certaine que nous en apprendrons davantage au cours de la période de questions.
Le sénateur C. Deacon : Merci à tous nos témoins.
Monsieur Cléroux, j’aimerais approfondir un point que vous avez souligné selon lequel les entreprises les plus concurrentielles peuvent se permettre de dépenser le plus d’argent. Je crois que l’inverse est probablement vrai. Il y a eu, dans l’histoire récente du Canada, une faible croissance de la productivité, et l’OCDE laisse entendre que la situation ne va pas s’améliorer au cours des quatre prochaines décennies. Lorsqu’on regarde l’investissement par travailleur des entreprises, on constate que les États‑Unis investissent deux fois plus que nous.
Compte tenu de ces questions, j’aimerais que vous parliez de la concurrence et de la productivité comme facteurs importants pour composer avec les pénuries et les problèmes de main‑d’œuvre. Quelques‑uns des meilleurs pays offrent les meilleurs salaires, et ils offrent certainement d’excellents emplois. Pourriez‑vous, tous les deux, en parler?
M. Cléroux : Merci de votre question.
Vous avez raison. Nos recherches ont révélé que les entreprises qui investissent dans la technologie augmentent leur productivité et obtiennent un meilleur rendement que d’autres entreprises. Non seulement ces entreprises connaissent une croissance plus rapide, mais elles réalisent aussi plus de profits, au chapitre de leurs ventes, que d’autres entreprises. Nous croyons que l’investissement dans la technologie et l’automatisation est non seulement une solution face à cette pénurie de main‑d’œuvre, mais également une manière d’augmenter l’efficacité et la productivité.
Comme nous le savons, la productivité est l’une des nombreuses raisons de la réussite d’une entreprise. Dans le cadre d’une étude précédente, nous nous sommes penchés sur les entreprises au Canada qui ont connu la croissance la plus importante. Celles qui ont connu la plus grande croissance étaient les plus productives. Aujourd’hui, si vous comparez la productivité de deux entreprises, vous saurez laquelle réussira dans 10 ans. C’est celle qui détient le plus haut niveau de productivité. La productivité est essentielle, et nous croyons que cela va de pair avec la situation actuelle. Accroître la productivité est l’une des solutions à la pénurie de main‑d’œuvre.
Le sénateur C. Deacon : Monsieur Bonen, pourriez-vous approfondir la question? Il semble que l’adoption de technologies et l’automatisation, lesquelles présentaient une menace pour la main‑d’œuvre, sont devenues un atout pour la main‑d’œuvre. Observez‑vous des tendances au chapitre des investissements en matière de formation dans ces entreprises productives?
M. Bonen : C’est une excellente question. Les données n’ont pas encore été recueillies. Quelqu’un a fait référence aux chiffres du Conference Board qui datent de 2016. Il s’agit du dernier sondage ayant recueilli des données précises sur des montants d’argent. Je crois qu’une autre personne a indiqué que le sondage révèle que de nombreuses entreprises font aujourd’hui plus d’investissements, grâce aux questions suivantes : « Faites‑vous des investissements? Oui ou non? » Le sondage ne demandait toutefois pas de préciser le montant. C’est un projet que nous poursuivons pour tenter de régler cette question et de recueillir ces renseignements.
Le sénateur C. Deacon : Toutes données dont l’un ou l’autre d’entre vous pourrait nous faire part seraient utiles. Ces données pourraient être envoyées à la greffière.
La présidente : C’est une bonne idée. Nous pourrions ensuite intégrer ces données dans notre rapport.
[Français]
Le sénateur Gignac : Bienvenue à nos témoins. Ma question s’adresse à mon ex‑confrère, membre du groupe des économistes en chef. Monsieur Cléroux, dans votre rapport de décembre, vous avez dit que 55 % des entreprises éprouvent des difficultés à embaucher des travailleurs qualifiés. Puisque vous donnez des conférences partout au pays et que vous rencontrez des gens d’affaires, avez‑vous en tête un programme, dans une province en particulier, qui, selon vous, serait un modèle à répéter partout au Canada? Au lieu de faire des chevauchements, comment le gouvernement fédéral pourrait‑il appuyer un tel programme existant d’une province quelconque pour trouver une solution à cet enjeu?
M. Cléroux : Merci, Clément. On peut se tutoyer, car on se connaît depuis longtemps. Il y a un programme qui n’est pas directement lié aux employés qualifiés, mais qui m’a toujours beaucoup impressionné. Comme vous le savez probablement, le taux de chômage des immigrants au Canada est plus élevé que chez les gens qui sont nés au Canada, à l’exception d’une province, soit la Nouvelle‑Écosse. Cette province a lancé un programme, il y a plusieurs années, pour aider non seulement les immigrants à se trouver un emploi, mais à faire le lien avec des entreprises locales. Ce programme a beaucoup de succès. C’est la seule province où le taux de chômage est aussi peu élevé pour les immigrants que pour les non‑immigrants. C’est un bel exemple du genre d’accompagnement que l’on peut faire pour aider non seulement les immigrants, mais aussi le marché du travail.
Le sénateur Gignac : Merci.
La sénatrice Bellemare : Ma question s’adresse aux deux témoins et concerne les informations sur le marché du travail. Monsieur Cléroux, vous proposez de faire l’automatisation. Normalement, cette solution répond aux pénuries dans le secteur manufacturier, mais il y en a beaucoup également dans le secteur des services. Monsieur Bonen, vous parlez d’information granulaire très précise dont nous avons besoin.
Ne pensez‑vous pas que l’information sur le marché du travail doit aussi permettre à la main‑d’œuvre, soit aux travailleurs et aux travailleuses, de faire la transition d’un secteur à l’autre? Cette information qui permet de reconnaître les compétences des travailleurs et de nommer les compétences recherchées ne serait‑elle pas un projet important pour le Canada?
[Traduction]
Autrement dit, ne pensez‑vous pas qu’un cadre de normes nationales touchant les compétences, lequel est utilisé partout dans le monde, pourrait pallier la pénurie de main‑d’œuvre dans l’économie des services et nous donner de l’information concrète sur les besoins du marché du travail?
M. Cléroux : La question s’adresse davantage à M. Bonen qu’à moi, mais j’aimerais dire que le marché du travail a été très dynamique. Nos recherches révèlent que, parmi les 3 millions de personnes qui ont perdu leur emploi au début de la pandémie, 20 % ont changé de secteur de travail. C’est parce qu’elles ont compris que d’autres secteurs offraient davantage de possibilités, de meilleures possibilités. La plupart de ces personnes ont quitté les secteurs du commerce de détail, de l’hébergement et de la restauration pour aller travailler des secteurs qui offraient des débouchés et, probablement, de meilleures conditions de travail. Par exemple, ces personnes n’avaient pas à travailler les fins de semaine ou gagnaient un meilleur salaire. Je suis d’accord avec vous pour dire qu’avoir de l’information est essentiel, mais l’information est déjà accessible. Nous constatons que les gens ont déjà pris des décisions en fonction de la nouvelle réalité du marché du travail.
La présidente : Cette question est de votre ressort, monsieur Bonen.
M. Bonen : Merci d’avoir posé la question.
Je suis tout à fait d’accord, comme vous pouvez vous en douter. Au bout du compte, la situation du Canada à l’égard de la croissance économique et de la croissance du marché du travail est très positive, mais certains secteurs connaîtront un ralentissement. Ces secteurs ne vont pas très bien s’en tirer. Les personnes qui subiront les effets de ce bouleversement doivent changer de domaine. En effet, il existe à l’heure actuelle une tendance importante vers l’embauche axée sur les compétences, comme vous l’avez mentionné, laquelle s’éloigne de la reconnaissance des titres de compétence traditionnels. Les données relatives à la demande de compétences sont accessibles, et nous pouvons en faire le suivi à l’aide, par exemple, de la publication d’offres d’emploi en ligne. Ce n’est pas parfait, mais on obtient de bonnes informations. À mon avis, la principale lacune à laquelle nous faisons face à l’heure actuelle concerne les personnes qui doivent quitter un emploi où elles détiennent un ensemble de compétences et qui ne savent pas comment acquérir les nouvelles compétences qui lui manquent. Quel programme de formation ou d’études s’offre à elles? Si vous songez à tous ces différents programmes de développement rapide, de compétences et programmes collégiaux et à tout ce qui est offert, conjuguer ces programmes à des compétences qui peuvent être perfectionnées, de manière solide, sera essentiel à cette transition.
Le sénateur Loffreda : Je remercie tous les experts d’être venus ici.
J’aimerais revenir sur la question du taux annuel de chômage chez nos jeunes. Les jeunes sont vraiment importants. L’autonomisation des jeunes est importante pour le marché du travail, la productivité et d’autres choses. Nous pouvons examiner les statistiques. M. Bonen a fait mention de données exactes. J’aimerais connaître votre point de vue sur la question. Nous pouvons nous pencher sur les statistiques sur le marché du travail qui concernent les jeunes de 24 ans et moins. Leur taux de chômage est à peu près de 15 %, tandis que le taux national de chômage s’approche de 5 %.
Nous avons mentionné que des travailleurs de nombreux secteurs, comme celui de l’hébergement, sont passés d’un emploi à l’autre, mais je crois que le problème ne se limite pas à cela. Quel est le problème? Pourquoi le taux de chômage chez les jeunes est‑il aussi élevé? Nous avons parlé de recrutement, du maintien de l’effectif et d’avancement, mais il est également question du perfectionnement. Si ce taux est si élevé en raison de la transition professionnelle, que pouvons‑nous faire? Quelles politiques pouvons‑nous mettre en place pour perfectionner les compétences de nos jeunes et les intégrer au marché du travail afin qu’ils contribuent à l’augmentation de la productivité du Canada?
[Français]
Monsieur Cléroux, j’aimerais également connaître votre analyse. Vous avez l’avantage de voir l’économie à travers plusieurs industries. J’ai parlé à des membres dirigeants de l’exécutif du domaine financier qui m’ont dit qu’il y a un énorme manque de personnel dans leur secteur. Pourtant, on voit notre jeunesse, et on voit que le taux de chômage est très élevé.
[Traduction]
M. Bonen : Le taux de chômage chez les jeunes a été en général, bien avant la pandémie, beaucoup plus élevé que chez les adultes âgés de 25 à 54 ans. On pourrait décrire la situation de cette manière. Les jeunes sont surreprésentés. Ce sont les jeunes employés dans les secteurs des services qui connaissent encore des difficultés. Le taux d’emploi, par exemple, est en baisse de 10 % dans les secteurs des services directs à la clientèle, comme vous l’avez mentionné. Mais le problème ne s’arrête pas là, notamment comme la mise en place de systèmes et de programmes de formation. Si une personne perd son emploi — ce sont plus souvent les jeunes qui occupent des emplois précaires — où peut‑elle aller? Les jeunes ont‑ils accès à un programme de formation ou à autre chose qui les aiderait à saisir des possibilités de travail durant les périodes de chômage? Ce type de mesures de soutien pourrait être très utile.
M. Cléroux : Je crois que la situation changera un peu. Nous constatons que des entreprises engagent des personnes de plus en plus jeunes qui n’ont aucune expérience. Il est très difficile d’engager des personnes ayant de l’expérience, et les entreprises embauchent donc de plus en plus de jeunes. Elles offrent également plus de formation à l’interne. Parfois, étant donné qu’il est très difficile de recruter des gens, les entreprises engageront des personnes plus jeunes et les formeront pour qu’elles acquièrent de l’expérience au sein de l’entreprise. La pénurie de main‑d’œuvre profitera en fait aux personnes qui ont moins d’expérience. C’est ce que nous constatons à l’heure actuelle. De plus en plus d’entreprises engagent des jeunes. Elles les forment au sein de l’entreprise.
Le sénateur Loffreda : Merci. Voilà une bonne nouvelle.
La présidente : Par contre, nous avons entendu la semaine dernière un témoin, David Dodge, l’ancien gouverneur de la Banque du Canada, qui a mentionné à maintes reprises que nous ne pouvons faire fi des personnes âgées dans notre population qui ont été obligées de quitter le marché du travail en raison de la retraite obligatoire ou de quelque chose du genre. Elles sont là et elles sont anxieuses. Si elles retournent travailler, elles apporteront également leur contribution. Monsieur Bonen, commencez par aborder cette question, si vous le voulez bien.
M. Bonen : La proportion des travailleurs âgés qui sont employés est beaucoup plus faible que celle d’autres économies avancées; on peut donc faire beaucoup au chapitre de la retraite obligatoire. Je crois qu’ils peuvent aider à transférer les compétences, les connaissances et la sagesse qu’ils ont acquises au fil des ans aux jeunes personnes qui vont tôt ou tard intégrer le marché du travail, comme l’a également dit M. Cléroux, ce qui est tout à fait juste, à mon avis.
M. Cléroux : Je suis d’accord avec M. Bonen, mais le pourcentage de Canadiens âgés de plus de 55 ans sur le marché du travail augmente, et je crois que c’est une bonne nouvelle. De plus, nous constatons que des entreprises offrent des conditions de travail plus souples qui profiteront aux personnes qui veulent peut‑être continuer à travailler, mais pas cinq jours par semaine étant donné qu’elles ont plus de 60 ou 65 ans. Ce type d’entente est de plus en plus répandu dans les entreprises.
La présidente : Merci.
La sénatrice Ringuette : Monsieur Cléroux, c’est un plaisir de vous revoir. C’est toujours très intéressant de vous entendre. La BDC fait du bon travail.
J’ai deux questions à vous poser. Vous avez mentionné que, durant la pandémie, vous avez investi presque 6,8 milliards de dollars dans les entreprises canadiennes. Pouvez‑vous nous dire quelle proportion de ces montants les entreprises ont investie dans la microformation et dans le perfectionnement des compétences, tout en profitant du temps d’inactivité pour perfectionner leur main‑d’œuvre?
M. Cléroux : Malheureusement, je n’ai pas la réponse. Nous disposions de 2,8 milliards de dollars pour des prêts directs et nous avions également obtenu 4 milliards de dollars pour des prêts indirects auprès d’autres institutions financières. Les entreprises étaient censées utiliser ces prêts pour passer à travers de cette pandémie, alors nous n’avons pas établi de règle quant à la manière dont elles pouvaient s’en servir. Le but était de les aider à traverser cette pandémie, surtout en 2020, lorsque la demande de produits et de services avait considérablement diminué. Bon nombre d’entreprises avaient besoin de plus d’argent pour améliorer leur flux de trésorerie afin de surmonter cette crise. Je ne crois pas qu’il y ait des données précises sur la façon dont ces investissements ont été dépensés.
La sénatrice Ringuette : Je comprends vos commentaires. Cependant, j’ai attentivement examiné le nouveau programme, qui a été annoncé il y a une semaine, en ce qui concerne l’adoption des technologies pour les entreprises, et les critères du programme ne comprennent aucun type de perfectionnement ou de recyclage professionnels des employés actuels de ces entreprises pour qu’elles puissent assurer la transition. Nous parlons du secteur pétrolier et du fait qu’il devra faire la transition, mais il y a également les microtransitions concernant l’adoption de la technologie et de l’intelligence artificielle. Cela doit faire partie des coûts de ces investissements pour le milieu des affaires.
Je suis certaine que vous comprenez mon point de vue. Nous pouvons parler de la pénurie de main‑d’œuvre, mais si à chaque fois il y a des politiques publiques et des programmes incitatifs qui permettent de financer la technologie, mais pas le perfectionnement professionnel et la transition nécessaires à ces employés pour maintenir ces emplois et rester sur le marché du travail, je dirais alors qu’il nous manque 50 % des crédits.
M. Cléroux : Je suis d’accord avec vous pour dire que ce programme ne vise pas à le faire. Ce programme cible l’adoption du numérique, et c’était l’objectif. Il n’a pas été conçu par la Banque de développement du Canada. Il a été conçu par Innovation, Sciences et Développement économique Canada, mais nous allons prêter l’argent. On a peut‑être besoin d’un programme différent pour cibler ce que vous cherchez. Ce programme vise en particulier à aider l’adoption du numérique, car, au Canada, nous sommes à la traîne par rapport aux autres pays industrialisés, surtout par rapport à notre partenaire commercial le plus important, les États‑Unis. Ce que nous cherchons à faire avec ce programme, c’est à aider les petites entreprises à avoir un plan et à investir de la bonne façon afin d’améliorer leur adoption de la technologie.
La présidente : Monsieur Bonen, avez‑vous un commentaire à cet égard?
M. Bonen : J’aimerais seulement dire que je suis d’accord avec les commentaires au sujet de la conception de ce programme, mais je crois comprendre que ce programme cible les jeunes qui entrent sur le marché du travail dans le secteur des technologies. De nombreuses formations seront élaborées, mais, bien sûr, ce sera pour les nouveaux employés, et non pas pour les employés actuels.
Le sénateur Woo : Monsieur Bonen, quels sont les obstacles procéduraux, réglementaires et les plus importants, les obstacles législatifs, qui empêchent l’élaboration du type d’information de qualité sur le marché du travail que vous recherchez? Je me concentre sur l’aspect législatif, car c’est ce que nous contrôlons le mieux. Pouvez‑vous être aussi précis que possible concernant le genre d’ambitions que nous devons avoir au Sénat pour vous permettre d’obtenir les informations sur le marché du travail dont vous avez besoin?
M. Bonen : J’essaierai d’être précis, mais je ne connais pas très bien l’ensemble des lois sur la protection de la vie privée qui sont en vigueur, et c’est la tension fondamentale à laquelle nous faisons face. Il y a eu cet appel pour obtenir plus de données locales et détaillées, mais les gens ont des préoccupations légitimes quant au fait que le gouvernement recueille autant de données spécifiques et les rende disponibles. Le point de départ sera la Loi sur la protection de la vie privée et la Loi sur les statistiques, où sont énoncées les règles concernant ce qui peut être communiqué, dans quelles conditions et à qui. Je n’ai pas les détails de ces lois qui mèneraient nécessairement à un changement. C’est l’aspect législatif.
En ce qui concerne l’aspect administratif, il s’agit de la collaboration avec les partenaires fédéraux, provinciaux et territoriaux. Il y a une énorme quantité de données stockées dans tout, depuis les bases de données les plus élaborées aux tiroirs de classeur, dans certains cas, dans certains ministères, d’après ce que j’ai entendu. Il faut réunir ces gens, avoir le soutien voulu pour le faire et éliminer les obstacles, dans certains cas. Voici un petit exemple : je sais que certaines provinces ont des règles strictes au sujet de la communication de leurs données entre les administrations, et cela rend les choses extrêmement difficiles. Pour elles, les défis tiennent à leurs règles et règlements internes, alors le gouvernement fédéral n’a aucun rôle à jouer à ce chapitre, mais encourager le partage entre toutes les administrations est également une mesure importante que nous pouvons prendre dans ce dossier.
Le sénateur Woo : Quel est le principal acteur qui peut faire en sorte que cela se produise? Y en a‑t‑il un ou plusieurs? Est‑ce que c’est vous?
M. Bonen : Nous sommes une petite organisation au Conseil de l’information sur le marché du travail; nous nous occupons des acteurs du système, de sorte que nous aimerions soutenir cette initiative. Malheureusement, nous ne sommes pas habilités en tant qu’organisme indépendant pour apporter les changements nécessaires, mais nous jouons un rôle en encourageant les gens, en leur montrant la valeur de la communication de ces données et en apportant ces changements.
La présidente : Monsieur Cléroux, avez‑vous un commentaire au sujet de la question de la protection des renseignements personnels? Tout le monde réagit à cela. Que devez‑vous savoir de plus, ou pouvez‑vous tirer parti de ce qui existe déjà sans nous en demander plus? Avez‑vous un commentaire à ce sujet?
M. Cléroux : Non, merci.
Le sénateur Yussuff : Je remercie les témoins d’être ici, avec nous, ce soir.
Monsieur Cléroux, vous avez laissé entendre qu’il faut investir beaucoup plus dans les technologies. Comme vous le savez, le gouvernement fédéral avait prévu des déductions fiscales très généreuses pour les investissements dans les nouveaux équipements, mais malgré les nombreuses années et les gouvernements successifs, nous avons constaté que cette initiative stratégique visant à inciter les entreprises à faire ce qu’il faut n’a pas eu d’effet. À part les cajoler pour leur dire ce qu’elles doivent faire, comment pouvons‑nous changer la dichotomie dans laquelle nous nous retrouvons, qui n’a pas vraiment changé depuis presque deux décennies?
M. Cléroux : C’est une très bonne question.
En tant qu’établissement financier, nous menons de nombreuses recherches pour comprendre comment les entreprises investissent et pourquoi elles n’investissent pas plus qu’elles ne le font. Au cours des deux dernières décennies, il y a eu de nombreux travailleurs au Canada. Une grande partie de la croissance à long terme dépend de la productivité et de l’offre de main‑d’œuvre, et au cours des 20 dernières années, nous avons eu assez de travailleurs pour assurer notre croissance. Aujourd’hui, c’est en train de changer. La situation est maintenant différente. Nous savons que, avec tous ces baby‑boomers qui partent à la retraite, nous ne disposerons pas, pendant la prochaine décennie, de la main‑d’œuvre que nous avions dans le passé. Du côté des entreprises, nous voyons un changement de mentalité. Les gens investissent plus. Ils se rendent compte que non seulement il est difficile de trouver des travailleurs, mais que c’est aussi beaucoup plus coûteux. Ils doivent augmenter les salaires et les autres types d’indemnités.
Je pense que ce sera l’élément déclencheur et que nous verrons davantage d’investissements dans la technologie au Canada qu’auparavant. Si l’on veut que les entreprises poursuivent leur croissance et que les exportations se poursuivent, il faut changer le modèle qu’on a utilisé jusqu’à présent. J’ai le privilège de parler à de nombreux entrepreneurs grâce à mon travail, et ce que j’entends les gens dire le plus, c’est qu’ils investissent plus. Ils prévoient d’investir parce qu’ils prennent conscience du coût de la main‑d’œuvre et du fait qu’il est beaucoup plus difficile de la trouver. Nous pensons que cela changera la donne au Canada. Nous espérons voir plus d’investissements dans les cinq prochaines années.
La présidente : Monsieur Bonen, avez‑vous d’autres commentaires?
M. Bonen : Non, je pense que M. Cléroux a dit ce qu’il fallait.
Le sénateur Smith : Merci, messieurs, de vous être joints à nous, ce soir.
L’une des choses dont nous entendons parler, c’est que, au cours des 5 à 10 dernières années, notre pays a connu une baisse des investissements étrangers. Nos conditions ont changé. La conjoncture dans le monde entier a changé. Avec la guerre et ce qui se passe aux États‑Unis, il semble que tous les concepts des relations et des partenaires commerciaux semblent être — je ne suis pas certaine s’ils diminuent ou s’ils sont moins importants qu’ils ne l’étaient dans le passé —, mais, avec ce genre de nouvel ordre mondial, je me demande comment cela touche un pays comme le Canada dans ses efforts pour devenir plus productif? Monsieur Cléroux, vous avez dit que la clé de la réussite était la productivité, mais vous parlez également de l’éducation. J’essaie de comprendre, compte tenu du changement de la dynamique mondiale et de toute l’activité géopolitique en cours, comment un pays comme le Canada peut faire concurrence aux États‑Unis et à certaines grandes économies dans le monde, de sorte que nous puissions maintenir ou améliorer notre compétitivité, par rapport à d’autres pays comme les grands acteurs?
M. Cléroux : C’est une question complexe.
Je pense que le nouvel ordre, comme on l’appelle, peut être bénéfique pour le Canada, parce que nous produisons un nombre important de ressources naturelles.
La croissance de l’économie mondiale entraîne l’augmentation de la demande de ressources naturelles. Elle augmentait avant la guerre, et elle augmente encore plus pendant la guerre. Beaucoup de gens, comme vous l’avez dit, pensent que l’ordre mondial changera, et je pense que le Canada, vu nos ressources nationales, en tirera parti.
Pour le reste de l’économie, nous sommes dans une situation qui a vraiment changé au cours des 20 dernières années. Nous ne produisons plus de produits à forte valeur ajoutée. La structure des coûts au Canada est telle que le secteur dans lequel nous pouvons faire concurrence est celui de la production de produits complexes, où il y a une forte valeur ajoutée, beaucoup de technologie. Notre niveau d’éducation au Canada est très élevé, et nos salaires correspondent à ceux des autres pays industrialisés, étant beaucoup plus élevés que ceux des économies émergentes. C’est là que nous pouvons faire concurrence. Nous pouvons continuer d’être concurrentiels là où nous investissons dans la technologie, et nous utilisons la technologie pour produire des produits complexes. Je pense que c’est l’avenir pour notre pays.
Le sénateur Smith : Si vous me permettez de poser une autre question, la deuxième partie de cette question est la suivante : compte tenu de l’évolution vers une économie verte, du changement d’orientation de notre secteur pétrolier et gazier et des possibilités qu’il y a actuellement pour le Canada, en Europe et dans d’autres pays du monde, voyez‑vous une certaine forme de changement politique qui reconnaîtra le fait que le monde aura besoin de ces ressources clés à l’avenir? Cela pourrait représenter une autre possibilité pour nous d’établir des relations stratégiques. Un autre pipeline aux États‑Unis a été annulé il y a un an et demi. Quel est votre avis sur certains des changements qui pourraient avoir lieu, des possibilités que nous pourrions avoir, et comment trouver le juste équilibre entre cela et le défi des changements climatiques auxquels nous faisons face? C’est une question très vaste, mais je pense qu’on doit se la poser.
M. Cléroux : Je pense que, à long terme, l’objectif est très clair. Nous voulons réduire notre empreinte carbone. C’est l’objectif à long terme, et de nombreux pays partagent cet objectif. Pour y arriver, ce sera assez difficile. Je pense que le Canada peut assurément aider le reste du monde à cet égard. Je pense que l’objectif à long terme est le même. Nous voulons investir davantage dans la technologie et nous ne voulons pas nous écarter de cet objectif que nous nous sommes fixé, soit de réduire notre empreinte carbone.
La présidente : Toutefois, j’aimerais revenir un instant sur cette question, monsieur Cléroux. Pouvons‑nous accélérer les choses pour répondre aux demandes que l’on voit partout, de l’Europe au Brésil? Ils veulent des ressources, de la potasse et des produits alimentaires, compte tenu de ce qui se passe en Ukraine et en Russie. Et ensuite, réduire la demande. J’essaie de comprendre ce que le sénateur Smith disait ici. Pouvons‑nous réellement faire deux choses à la fois?
M. Cléroux : Je pense que nous le pouvons. Je pense que, à long terme, nous pouvons fournir plus de produits agricoles, par exemple, du poisson et des fruits de mer, que nous produisons beaucoup. La Russie est un grand fournisseur de ces produits. Je pense que nous pouvons faire partie de la solution pour un grand nombre de ces ressources. Ce que nous avons appris au cours des deux dernières années de la pandémie, c’est qu’il est difficile d’augmenter l’offre très rapidement. Nous avons appris que les chaînes d’approvisionnement ont été perturbées au cours des deux dernières années, parce qu’il est difficile de changer. Donc, ma réponse, c’est qu’à moyen et à long termes, je pense que le Canada peut être une solution dans le cas d’un grand nombre de ces ressources naturelles, mais à court terme, ce sera difficile.
Le sénateur Smith : Les délais? Notre gouvernement dit 2030, mais s’agit‑il de 2030 ou de 2040? Dans combien de temps pourrons‑nous être compétitifs et gérer l’évolution vers notre économie verte?
M. Cléroux : Je pense que nous sommes très bien placés. J’ai eu l’occasion de travailler à l’extérieur du pays. Je me rends compte que nous avons une population très instruite, ici, au Canada. Notre système d’éducation est très bon par rapport à celui d’autres pays. Nous avons la main‑d’œuvre. Nous avons la technologie. Nous avons le capital pour réellement faire de l’innovation et effectuer cette transition que nous souhaitons vers l’économie verte.
Comme je l’ai dit, pour moi, en tant qu’économiste, l’avenir repose sur la technologie au Canada. Nous ne pouvons pas être compétitifs au chapitre de la production de produits ou même de services à faible valeur ajoutée. Nous faisons concurrence là où nous sommes les meilleurs, à savoir avoir une technologie très bien développée.
Je conclurai cette question en disant ceci : actuellement, un demi‑million de personnes au Canada travaillent dans le secteur de la technologie. Nous sommes l’une des plaques tournantes de la technologie en Amérique du Nord. Toronto, Montréal, Vancouver font partie des 12 centres de technologie en Amérique du Nord. C’est un secteur qui croît rapidement et qui représente l’avenir de notre économie.
Le sénateur C. Deacon : C’est une discussion très intéressante.
J’aimerais poursuivre dans la même veine que le sénateur Smith concernant l’économie à valeur ajoutée et la façon dont nous pouvons créer des emplois mieux rémunérés, dans lesquels les gens sont mieux formés et peuvent monter dans l’échelle salariale. L’un des défis que nous avons au Canada, et je parlerai du secteur agroalimentaire — de la ferme à la table, les fruits de mer, l’industrie que vous voulez —, c’est qu’il y a beaucoup de réglementation contraignante qui définit le processus, qui limite les changements apportés au secteur pour ajouter de la valeur, qui limite l’innovation en raison de notre façon de réglementer. Dans l’industrie du cannabis, il est établi expressément qu’il ne faut utiliser aucun dispositif automatisé pour la distribution du cannabis; par conséquent, dans les régions rurales, le marché noir domine toujours. J’aimerais savoir s’il y a des recherches qui examinent comment les règlements autorisent l’innovation, qui permet aux entreprises de croître ou non. Je suis très préoccupé par le fait qu’il s’agit de l’un de nos facteurs limitants dans notre pays, car cela concerne de nombreux secteurs. L’un de vous pourrait nous dire comment les règlements doivent être modifiés.
La présidente : Monsieur Bonen, voulez‑vous commencer?
M. Bonen : Non. Je ne peux pas commenter cette question en particulier; je peux seulement en parler de manière générale.
La présidente : Allez‑y, monsieur Cléroux.
M. Cléroux : Je ne connais pas le secteur du cannabis, mais je vois qu’il y a de nombreuses innovations dans un grand nombre de secteurs de notre économie. Je ne vois pas de règlement qui l’empêche.
Je vais vous donner un exemple très précis. Il y a quelques années, j’ai rendu visite à un client qui est dans le secteur de la transformation du homard. Quand la direction est entrée en fonction — le propriétaire a vendu l’entreprise, car il était âgé de 70 ans —; elle a investi 5 millions de dollars pour robotiser chaque processus faisant partie de cette transformation du homard. Au début de la chaîne, on a un homard vivant. À la fin de la chaîne, on a un homard congelé dans la boîte qui va en Chine. Ils ont gardé leurs 400 employés, mais ils ont triplé leurs ventes. C’est le pouvoir de la technologie et de l’innovation. Cela est possible dans chaque secteur de notre économie. C’est un bon exemple. La transformation des aliments est parfois considérée comme un secteur à faible technologie, ce qui est faux. L’exemple que je viens de donner est un bon exemple de cas où on peut transformer un secteur ou une installation seulement en investissant de la bonne manière.
[Français]
La sénatrice Bellemare : J’aimerais savoir si vous observez une corrélation entre l’investissement dans l’automatisation et l’investissement dans la formation de la main‑d’œuvre au sein des entreprises. N’y a‑t‑il pas un lien, c’est‑à‑dire que les entreprises investissent à la fois dans l’équipement et dans la formation de leur main‑d’œuvre, et vice versa?
M. Cléroux : Tout à fait, on observe de plus en plus ce lien. Par le passé, les entreprises achetaient de l’équipement pour augmenter leur productivité.
Aujourd’hui, lorsqu’elles achètent de l’équipement, il y a une dimension technologique, il y a un processus et aussi une formation, parce que les équipements sont beaucoup plus sophistiqués. Donc, les entreprises doivent absolument faire de la formation auprès de leurs employés pour qu’ils soient en mesure d’utiliser et de maximiser l’utilisation du nouvel équipement.
À la Banque de développement du Canada, nous finançons et nous offrons des services‑conseils. Nous aidons les entreprises à planifier ce genre d’achats, et la formation des travailleurs fait toujours partie de notre plan parce qu’il fait partie intégrante du processus. C’est bien d’acheter de l’équipement, mais, pour être capable de maximiser son utilisation, la formation des travailleurs fait tout autant partie du processus.
[Traduction]
La présidente : Merci.
Monsieur Bonen, allez‑y en ce qui concerne votre lien avec Statistique Canada.
M. Bonen : Statistique Canada et bien sûr l’organisme national de la statistique. Il recueille toutes les données officielles. Nous y avons accès, au même titre qu’un autre organisme indépendant, de la même façon que les provinces et les territoires y ont accès. Nous faisons de notre mieux pour travailler en étroite collaboration avec nos collègues là‑bas pour donner un aperçu de ce qui est nécessaire et définir quelles sont les principales priorités des gouvernements provinciaux et territoriaux dans tout le pays.
Cependant, nous travaillons avec nos propres données, qui ne font pas partie du domaine officiel. Il s’agit principalement des offres d’emploi en ligne, des informations sur les compétences qui peuvent en être extraites; nous essayons de leur donner un sens, de cerner les risques et les possibilités, et nous faisons des choses comme assurer le suivi des pénuries de main‑d’œuvre à l’aide de données sur les offres d’emploi en ligne et d’autres sources innovantes de données de haute fréquence. Cela ne fait pas partie du domaine officiel, nous travaillons donc avec cela et nous essayons d’y apporter de la clarté, une structure et une organisation. J’espère que, à l’avenir, cela pourrait contribuer aux produits normaux améliorés auxquels tout le monde a accès, et pas seulement de notre part.
[Français]
Le sénateur Gignac : Ma question s’adresse de nouveau à mon ancien confrère.
Monsieur Cléroux, je pense que nous avons trois problèmes, dont deux ont été évoqués, soit la rareté de la main‑d’œuvre dans les entreprises et le sous‑investissement. Il me semble que l’inflation devient maintenant un troisième problème.
Vous êtes consulté régulièrement par la ministre des Finances, et nous savons qu’il y aura bientôt un budget : quelle est votre recommandation? Est‑ce que le gouvernement devrait continuer de soutenir les entreprises durant la pandémie de COVID‑19 ou devrait‑il être plutôt restrictif, afin de mettre de l’ordre dans les finances pour éviter d’alimenter l’inflation?
M. Cléroux : En fait, l’inflation est de plus en plus un enjeu. Environ 60 % des entreprises ont vu une augmentation du prix de leurs intrants. Donc, c’est vraiment un enjeu qui a commencé en 2021. Cette situation perdure avec la guerre en Ukraine, et cela va probablement se poursuivre pendant un moment.
Toutefois, nous croyons que l’économie est maintenant revenue davantage à la normale, sauf dans certains secteurs. Ce que nous avons proposé au gouvernement, c’est de limiter les programmes offerts à ces secteurs, parce que, pour la majorité des secteurs de notre économie, nous sommes revenus à la situation qui prévalait avant la pandémie. Il reste encore des difficultés dans les secteurs du tourisme, de la restauration et des arts et spectacles. Il s’agit de secteurs qui sont plus touchés par les restrictions et l’absence de tourisme international. Toutefois, les secteurs des ressources naturelles, de la fabrication et des services professionnels sont revenus à la situation qui prévalait avant la pandémie. Ils font même davantage de ventes qu’avant la pandémie.
[Traduction]
La présidente : Merci.
Le sénateur Loffreda : Ma question porte sur le télétravail, son avenir et les répercussions sur l’économie et le marché du travail. Depuis deux ans, de nombreux Canadiens travaillent depuis leur domicile, et certains affirmeraient qu’ils jouissent d’un meilleur équilibre entre le travail et la vie privée. De nombreuses personnes affirmeraient également que les Canadiens sont aussi productifs, sinon plus, dans leur domicile qu’au bureau. Même si de récentes études montrent que la productivité du travail pourrait augmenter à court terme, à long terme, cette formule pourrait avoir des effets négatifs sur la collaboration, l’innovation et le rendement. Quel que soit l’avis que l’on a sur la question, je pense qu’il est clair que les formules de travail hybride ou à distance sont là pour de bon.
Voici ma question. Un des effets négatifs du travail à distance, c’est que les gens ne vont pas au bureau, ne magasinent pas au centre‑ville, ne dépensent pas d’argent, et j’ai toujours dit que le moteur de chaque économie est le consommateur. Dans de nombreuses villes, les entreprises ont des difficultés. Je me demande si vous pouviez nous donner votre avis sur l’avenir des formules de travail hybride et à distance. Étant donné que la situation est sûre, pensez‑vous que les entreprises devraient accorder la priorité à un programme de retour au travail progressif pour redynamiser nos centres d’affaires et aider les entreprises et l’économie?
La présidente : Il ne nous reste pas beaucoup de temps, monsieur Cléroux.
M. Cléroux : Très rapidement, je pense que le travail à distance est là pour de bon, car la réception du côté des entreprises a réellement changé. Avant la pandémie, elles n’avaient vraiment pas le goût de s’orienter vers le télétravail. Deux choses ont changé. D’abord, de nombreuses entreprises ont investi dans les technologies pour permettre aux travailleurs de travailler de chez eux. Ensuite, elles se sont rendu compte que la productivité des personnes qui travaillent à domicile a été aussi élevée. Je pense que le travail à distance est là pour de bon, mais ce sera plutôt un modèle hybride. Je pense que les entreprises ont reconnu qu’il faut aller au bureau au moins une ou deux fois par semaine pour maintenir la culture et maintenir le lien entre les employés et tout. Le marché du travail sera absolument différent maintenant. Nous ne retournerons pas à la situation d’avant la pandémie.
[Français]
Le sénateur Massicotte : Monsieur Cléroux, j’ai une question pour vous.
Nous sommes confrontés à de nombreux défis et conflits, et à cela s’ajoute un conflit géopolitique où de plus en plus d’entreprises et de gouvernements vont décider de contrôler l’offre dans leur territoire. Conséquemment, cela va à l’encontre du libre‑échange, ce qui peut affecter notre économie et même nos emplois.
Comment voyez-vous cela dans l’avenir, quand on ajoute cet élément à tous les autres défis ou incertitudes auxquels nous faisons face?
M. Cléroux : Nous constatons qu’il est de plus en plus complexe de gérer une entreprise. Même si la demande est revenue à la normale et que la plupart des entreprises font face à une forte demande, c’est devenu très compliqué du côté de l’offre. On a des problèmes de pénurie de main‑d’œuvre, des problèmes d’approvisionnement et beaucoup d’incertitude. Donc, c’est compliqué de gérer une entreprise. Cependant, comme la demande est bonne, c’est déjà une bonne nouvelle. C’est plus facile de gérer le problème de l’offre que de gérer le problème de la demande pour les entreprises. Toutefois, vous avez raison, il y a une complexité qui s’est ajoutée. J’ai rencontré beaucoup d’entrepreneurs récemment. Je n’ai pas vu de gens qui étaient déprimés ou qui voulaient investir moins; au contraire, ils s’ajustent à cette nouvelle réalité. Nous le voyons par rapport aux ajustements sur le marché du travail, mais aussi par rapport aux événements internationaux. Je pense qu’à l’avenir les entrepreneurs devront s’ajuster encore plus rapidement que par le passé.
Le sénateur Massicotte : Merci.
[Traduction]
La présidente : Nous arrivons à la fin de notre séance, mais j’aimerais laisser M. Bonen faire un dernier commentaire, en particulier pour savoir si vous avez déjà recueilli des preuves statistiques sur le retour au travail et comment les gens réagissent à cette éventualité.
M. Bonen : Merci beaucoup. Je voulais justement formuler un commentaire à ce sujet.
Bien sûr, le travail à distance est là pour de bon, et je suis d’accord avec les précédents commentaires selon lesquels les situations de travail hybride sont les plus probables. Ce qui arrivera aux centres‑villes, c’est qu’ils s’adapteront à moyen et à long termes. Ce sera une transition difficile, mais les consommateurs consommeront ailleurs dans leurs villes et régions, donc au fil du temps, cela va s’étendre et faire partie d’un processus d’adaptation. Même maintenant, les gens peuvent retourner au bureau, et environ un quart de la population au Canada continue de télétravailler. Ce sera toujours le cas dans un avenir proche.
La présidente : Messieurs, merci beaucoup à vous deux. M. Pierre Cléroux, vice‑président de la Recherche et économiste en chef de la Banque de développement du Canada et M. Tony Bonen, directeur général intérimaire du Conseil de l’information sur le marché du travail, vous nous avez fourni de nombreuses informations.
Mesdames et messieurs les sénateurs, nous avons hâte de nous réunir la semaine prochaine, puisque nous poursuivons notre étude sur les marchés du logement et du travail ainsi que sur la cryptomonnaie. Nous avons une longue liste. À bientôt. Encore une fois, merci.
(La séance est levée.)