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POFO - Comité permanent

Pêches et océans


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES PÊCHES ET DES OCÉANS

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mardi 7 février 2023

Le Comité sénatorial permanent des pêches et des océans se réunit aujourd’hui, à 18 h 39 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier les questions relatives au cadre stratégique actuel et en évolution du gouvernement fédéral pour la gestion des pêches et des océans du Canada, incluant la sécurité maritime.

Le sénateur Fabian Manning (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Honorables sénateurs, bonsoir. Je m’appelle Fabian Manning. Je suis un sénateur de Terre-Neuve-et-Labrador, et j’ai le plaisir de présider la réunion de ce soir. Aujourd’hui, nous tenons une réunion du Comité sénatorial permanent des pêches et des océans.

En cas de difficultés techniques, particulièrement en ce qui concerne l’interprétation, veuillez en informer le président ou la greffière, et nous nous efforcerons de régler le problème.

J’aimerais prendre quelques minutes pour demander aux membres du comité qui se sont joints à nous ce soir de se présenter.

La sénatrice Busson : Je m’appelle Beverley Busson, et je suis une sénatrice de la Colombie-Britannique.

La sénatrice M. Deacon : Bonsoir, Marty Deacon, sénatrice de l’Ontario.

Le sénateur Francis : Brian Francis, de l’Île-du-Prince-Édouard.

Le sénateur Quinn : Jim Quinn, du Nouveau-Brunswick.

Le président : Merci, honorables sénateurs.

Le 10 février 2022, le Comité sénatorial permanent des pêches et des océans a été autorisé à examiner, afin d’en faire rapport, les questions relatives au cadre stratégique actuel et en évolution du gouvernement fédéral pour la gestion des pêches et des océans du Canada. Aujourd’hui, dans le cadre de ce mandat, le comité entendra le témoignage de représentants de la Fédération des pêcheurs indépendants du Canada. Melanie Sonnenberg, présidente, se joint à nous par vidéoconférence; et Carl Allen, trésorier, est ici avec nous dans la salle de réunion. Au nom des membres du comité, je vous remercie d’être ici aujourd’hui et de prendre le temps de vous joindre à nous. Je crois savoir que nos témoins ont tous les deux une déclaration préliminaire à faire.

Je vais maintenant leur permettre de procéder. Après vos exposés, les membres du comité auront des questions à vous poser.

Madame Sonnenberg, voulez-vous commencer, s’il vous plaît?

Melanie Sonnenberg, présidente, Fédération des pêcheurs indépendants du Canada : Bonsoir à tous. Au nom de nos membres de partout au pays, je tiens à vous remercier de m’avoir donné l’occasion de m’adresser à vous aujourd’hui.

La Fédération des pêcheurs indépendants du Canada, la « fédération », est composée de 34 organisations membres représentant plus de 14 000 propriétaires-exploitants indépendants qui récoltent la majeure partie du homard, du crabe, du saumon sauvage, de la crevette et du poisson de fond pêchés au Canada. Les flottilles de propriétaires-exploitants indépendants, qui comptent 43 000 membres d’équipage au Canada, font de nous le plus important employeur privé dans la plupart des collectivités côtières canadiennes. Collectivement, nos pêcheurs passent plus de 20 millions d’heures sur l’eau chaque année. Collectivement, nous produisons plus de 5 milliards de repas et une valeur au débarquement de plus de 3 milliards de dollars, générant plus de 7 milliards de dollars dans la chaîne de valeur.

Les pêches du Canada offrent une grande valeur à nos collectivités côtières, bien au-delà de leur seule valeur économique. Elles sont notre lien avec l’océan et le tissu économique, social et culturel des collectivités côtières du pays. De plus, nos pêches nourrissent des millions de Canadiens et assurent notre sécurité alimentaire collective. La COVID-19 nous a rappelé l’importance de protéger l’approvisionnement alimentaire du pays.

En tant qu’intendants des collectivités côtières du Canada, nos membres sont profondément préoccupés par l’érosion du modèle des propriétaires-exploitants. Grâce à votre appui en juin 2019, le gouvernement fédéral a adopté une loi visant à protéger et à promouvoir la propriété et l’exploitation locales et indépendantes de la pêche. Tant la loi que le nouveau règlement qui a suivi promettaient de protéger les 14 000 propriétaires-exploitants indépendants représentés dans la pêche côtière canadienne.

Malheureusement, la loi n’est pas appliquée efficacement, ce qui menace la survie des collectivités côtières et des exploitants qu’elle vise précisément à protéger. Nous demandons aux décideurs d’appliquer la loi et le règlement existants.

Aujourd’hui, nous vous donnerons deux exemples d’érosion de la propriété et de l’exploitation locales et indépendantes de la pêche dans nos collectivités côtières. Nous vous recommanderons également une solution aux deux problèmes.

D’abord, il y a une lacune criante relativement à l’application du règlement aux entreprises de pêche. En 2021, le gouvernement a adopté le règlement qui donne force de loi aux politiques du pêcheur-propriétaire et de la séparation de la flottille, mais l’application de ce règlement est presque inexistante. Lorsque les permis sont enlevés aux pêcheurs et donnés à des sociétés ou à des intérêts étrangers, les avantages économiques qui en découlent ne profitent plus à nos collectivités côtières, ce qui était un élément clé de la loi.

L’application est essentielle à la survie de ces entreprises et, par extension, des collectivités côtières de notre pays.

Comme solution à ce problème, nous recommandons d’allouer suffisamment de ressources pour mener des enquêtes et poursuivre les contrevenants au règlement visant les propriétaires-exploitants des pêches de l’Atlantique. Les permis utilisés de façon abusive devraient être immédiatement révoqués ou annulés. Prenons l’exemple de l’Alaska, où les personnes arrêtées pour avoir fait une utilisation abusive de leur permis sont passibles d’une peine d’emprisonnement. C’est un exemple d’approche efficace en matière d’application de la loi. Dans la région du Pacifique, nous recommandons fortement la création d’une commission indépendante chargée d’élaborer un règlement semblable à celui du Canada atlantique, comme il est indiqué dans la recommandation 15 du rapport de 2019 du Comité des pêches et des océans sur le partage des risques et des retombées.

Je vais céder la parole à mon collègue, M. Allen.

Carl Allen, trésorier, Fédération des pêcheurs indépendants du Canada : Mme Sonnenberg et moi aimons nous relayer rapidement, mais je vais prendre un instant pour répéter sa phrase d’ouverture et remercier le président et les membres du comité de nous avoir invités ici ce soir. C’est certainement apprécié.

La deuxième chose qui témoigne de l’érosion du modèle des propriétaires-exploitants dans nos collectivités côtières, c’est l’essor de la propriété étrangère et la concentration des entreprises de pêche. En l’absence d’application de la réglementation, les sociétés et les intérêts étrangers grugent les ressources des collectivités côtières du Canada.

Nos ressources publiques risquent d’être englouties par ces sociétés, qui sont motivées par une seule chose, mettre la main sur notre production de poisson sauvage pour en tirer profit. Nous avons plusieurs exemples de cela si vous souhaitez en savoir plus. La perte de propriété et d’exploitation locales indépendantes de la pêche a les conséquences suivantes : elle enlève de l’argent aux collectivités locales, fait augmenter les prix pour les consommateurs canadiens dans un contexte économique déjà difficile, met en péril notre sécurité alimentaire collective, permet à des entités étrangères de prendre ou d’influencer des décisions concernant les ressources canadiennes et permet l’exportation de ressources sans aucun lien local et sans aucune valeur ajoutée.

Prenons l’exemple de Royal Greenland. Royal Greenland est une entreprise de pêche qui appartient entièrement au gouvernement du Groenland, c’est-à-dire au Danemark. Elle a acquis des filiales sur la côte du Groenland, en Europe, au Chili, en Nouvelle-Écosse, au Québec et à Terre-Neuve-et-Labrador pour contrôler la chaîne d’approvisionnement dans l’Atlantique Nord.

Royal Greenland a acquis toutes les actions de la société néo-écossaise A&L Seafoods en 2016 ainsi que la propriété exclusive de Quin-Sea Fisheries, l’une des plus grandes entreprises de transformation de Terre-Neuve. Cette vente incluait cinq usines de transformation, dont j’ajouterais qu’elles ont des ententes de contrôle avec des pêcheurs.

En l’espace de trois ans, à Terre-Neuve seulement, Royal Greenland, qui n’avait auparavant aucune présence à Terre-Neuve-et-Labrador, est devenue le principal exploitant de neuf usines de transformation. Il s’agit maintenant du plus gros transformateur de la province. Non seulement Royal Greenland avale les transformateurs et les producteurs locaux, mais ses actionnaires récoltent aussi les profits de nos pêches, ne laissant qu’une fraction de l’approvisionnement alimentaire et de la valeur économique aux Canadiens.

En réaction à cela, nous demandons au gouvernement de déclarer que les ressources halieutiques du Canada sont un actif alimentaire stratégique, comme cela a été fait récemment pour les minéraux critiques. Nous recommandons de renforcer les critères de la Loi sur Investissement Canada pour les investissements des sociétés et les investissements étrangers dans le secteur des pêches. Dans l’intervalle, nous recommandons au gouvernement fédéral de geler les transferts de permis à toute entité autre que les pêcheurs indépendants. Nous sommes favorables aux marchés concurrentiels et respectons les obligations commerciales internationales, mais nous devons prendre des mesures décisives pour prévenir les dommages durables et irréversibles à une ressource qui est notre lien avec l’océan et qui est le tissu économique, social et culturel des collectivités côtières de notre pays.

En terminant, nous remercions le comité de l’attention qu’il porte aux propriétaires-exploitants. La loi et le règlement qui en ont découlé sont essentiels au maintien d’une industrie de la pêche hautement productive et dynamique sur le plan économique au Canada. Malheureusement, lorsqu’ils ne sont pas appliqués efficacement, la survie des collectivités qu’ils visent précisément à protéger est menacée.

Nous serons heureux de répondre à toute question de votre part. Merci.

Le président : Merci à nos deux témoins. Chose certaine, vos déclarations préliminaires nourriront nos réflexions.

Le sénateur Francis : Ma question s’adresse à l’un ou l’autre des témoins, ou aux deux.

Pêches et Océans Canada ne délivre des permis de pêche commerciale qu’aux Canadiens ou aux groupes ou collectivités autochtones du Canada. Cependant, des entreprises étrangères peuvent prendre part aux ententes de contrôle, ce qui place les avantages des activités de pêche canadiennes entre les mains de non-Canadiens.

Veuillez nous expliquer en quoi les ententes de contrôle nuisent aux pêches côtières du Canada, aux propriétaires de petites entreprises et aux collectivités côtières.

Mme Sonnenberg : Je peux peut-être commencer, sénateur Francis. M. Allen, qui est pêcheur, pourra vous donner le vrai point de vue de quelqu’un qui est sur l’eau.

On pourrait comparer le propriétaire-exploitant à un propriétaire de petite entreprise, puisque c’est essentiellement ce que c’est : une petite ou une moyenne entreprise. Lorsque nous sommes en concurrence avec — ou peut-être devrais-je dire plus justement pris d’assaut par — des sociétés, qu’elles soient étrangères ou canadiennes, et qu’elles prennent la direction de ces entreprises, cela fait circuler l’argent qui irait dans notre collectivité d’une façon différente, et il sort de la collectivité.

Il y a beaucoup de répercussions très négatives. La Colombie-Britannique est un exemple frappant de l’effet dévastateur que peut avoir la perte de cet argent dans la collectivité. Nous le voyons de plus en plus sur la côte Est, tant chez les Autochtones que chez les non-Autochtones. Cela a un impact énorme sur nous.

Maintenant, monsieur Allen, je vous cède la parole pour que vous puissiez nous faire part de votre point de vue.

M. Allen : Je dirais que si vous voulez savoir ce qui se passe en détail du point de vue d’un pêcheur, il y a ce que nous appelons les capitaines d’entreprise, et l’attention accordée à la sécurité est peut-être un peu moins grande.

Je suis propriétaire de mon permis. Je rends seulement des comptes à la banque, pour les versements que je fais sur mon bateau, et à ma femme. Tandis que si j’étais capitaine d’entreprise, même si le permis était à mon nom et que j’étais titulaire d’une entente de financement ou peu importe le nom qu’on donne maintenant à ces ententes, leurs modalités ne me permettraient peut-être jamais d’en venir à bout. Si je n’atteignais pas certains objectifs, ils pourraient venir m’enlever mon permis demain et le donner à quelqu’un d’autre. Tandis que moi, je vais au quai le matin, et si le vent souffle un peu trop fort, je ne sors pas. J’ai une limite personnelle et je ne vais pas partout par mauvais temps. Parfois, les capitaines d’entreprise subissent de la pression, et ils n’ont pas autant de marge de manœuvre à cet égard.

Une autre chose que nous constatons, c’est que, dans bien des cas, ces capitaines savent qu’ils ne travailleront pour l’entreprise que pendant un certain temps, ce qui fait que leurs objectifs de conservation à long terme ne sont pas les mêmes que les miens. Je suis au début de la quarantaine. Je ne me considère pas comme étant jeune, mais je compte parmi les jeunes pêcheurs en ce moment. Il est dans mon intérêt de voir la pêche durer longtemps.

J’ai trois filles. L’une des trois s’intéresse un peu à la pêche, alors il est dans mon intérêt que les ressources soient durables à long terme. Parfois, ces capitaines d’entreprise qu’on voit arriver ne sont pas tellement inquiets, parce qu’ils seront peut-être partis au bout d’un an.

De plus, il y a des « engagements d’honneur » entre pêcheurs. Chaque région a ses particularités. Prenez la région de Mme Sonnenberg, à Grand Manan : les gars ont des voies, et ils travaillent ensemble, parce que nous sommes tous dans le même bateau, que cela nous plaise ou non. C’est une industrie tout à fait unique, en ce sens que nous sommes tous en concurrence directe les uns avec les autres au quotidien, mais personne n’est laissé pour compte. Nous travaillons toujours ensemble. Si quelqu’un a une pièce brisée et que je l’ai dans mon hangar, je vais la chercher. Alors que, encore une fois, les capitaines d’entreprise ne cherchent pas toujours à travailler avec tout le monde dans l’industrie parce qu’ils sont assujettis à des paramètres tout à fait différents des nôtres.

La sénatrice Busson : J’ai une question pour l’un ou l’autre des témoins, mais M. Allen l’a déjà abordée un peu.

Vos permis de pêche commerciale ne sont pas transférables. Autrement dit, le titulaire du permis doit être présent pendant la pêche, sauf dans des circonstances particulières et seulement si Pêches et Océans a donné son approbation au préalable. Pourriez-vous nous parler de cette non-transférabilité et de l’incidence qu’elle a sur votre entreprise et sur d’autres pêcheurs indépendants dans une situation semblable, relativement à la durabilité de l’industrie?

M. Allen : Non transférable dans quel sens? Au quotidien? C’est drôle parce que chaque région a un ensemble différent de paramètres relativement à ce que nous appelons les « exploitants de remplacement », si c’est à cela que vous pensez.

La sénatrice Busson : C’est là où je veux en venir. Dites-moi si je me trompe, mais l’exploitant de remplacement doit-il être approuvé au préalable par le ministère des Pêches?

M. Allen : Oui. Il faut que ce soit approuvé au préalable pour, disons, un problème de santé à long terme, auquel cas j’aurais besoin d’un billet du médecin. Il y a une disposition concernant les exploitants de remplacement en cas d’urgence, et cela se fait par l’entremise d’un agent de conservation et de protection, même la fin de semaine. Si j’ai un accident de voiture le vendredi soir et que j’ai besoin de quelqu’un pour prendre le bateau le samedi, Dieu m’en garde, je peux communiquer avec un détachement local de conservation et de protection, qui pourra m’accorder un remplacement de cinq jours afin de me donner le temps de faire ce qu’il faut pour me prévaloir de la disposition à long terme.

Dans la région de Mme Sonnenberg, on pêche le homard huit mois par année. Pour un pêcheur de la zone grise, c’est 361 jours. Ma pêche au homard dure 63 jours. L’incidence que ces quelques jours pourraient avoir sur mon revenu annuel est donc d’un tout autre ordre.

J’ai effectivement une possibilité de transfert, en ce sens que, lorsque j’aurai décidé que j’en ai assez de ce racket et que je voudrai prendre ma retraite, je pourrai choisir et désigner mon successeur. C’est là que nous voyons, dans certaines de ces ententes de contrôle, et que, vous savez, sur papier, il semble que ce soit moi qui aie le contrôle, mais en réalité, c’est l’entreprise qui a déjà trouvé mon successeur, qui vient et me dit : « Allez, Carl. Vous avez fait du bon travail, mais vous savez quoi? Vous ne performez pas. Le moment est venu de partir. »

Il y a eu des années où j’étais près d’être le highliner — on peut sonner la cloche et ça fait du bien —, puis deux ans plus tard, j’ai été malchanceux et je me suis retrouvé dans la moitié inférieure du groupe.

Étant indépendant, j’ai la possibilité d’y faire quelque chose l’année suivante. Un capitaine d’entreprise qui a deux ou trois mauvaises années de suite peut se faire dire, comme un entraîneur de la LNH : « C’était bien, mais vous perdez en ce moment, alors le temps est venu de partir. » C’est vous le problème. C’est la grande différence entre les deux scénarios.

Je ne sais pas si vous avez quelque chose à ajouter, madame Sonnenberg.

Mme Sonnenberg : La seule chose que j’ajouterais, monsieur Allen, c’est qu’il y a aussi une disposition, particulièrement dans notre région — comme M. Allen l’a dit, nous pêchons pendant de plus longues périodes — qui permet aux gens de prendre des vacances et de remplacer l’exploitant à bord. Parfois, pour ceux qui assistent à beaucoup de réunions, comme M. Allen, il y a aussi une disposition prévoyant des journées professionnelles. Il y a donc cette marge de manœuvre.

À l’heure actuelle, je sais que le MPO, à l’administration centrale, vient parler un peu des exploitants de remplacement et de l’élimination des échappatoires, sénatrice, qui semblent exister dans certains secteurs. Par exemple, la disposition relative aux problèmes de santé a été utilisée de façon abusive. Nous ne voulons pas qu’elle soit modifiée d’une façon qui nuirait aux gens qui en ont vraiment besoin. Mais pour ceux qui s’en servent simplement pour quitter le bateau et le faire exploiter par quelqu’un d’autre, ce n’est pas la bonne raison.

On examine cette politique et certaines des politiques concernant les exploitants de remplacement.

La sénatrice Busson : Une précision, dans ce cas : de votre point de vue, la non-transférabilité n’est pas nécessairement un problème, à condition qu’elle soit utilisée dans l’esprit dans lequel elle a été accordée et qu’il n’y ait pas d’abus?

Mme Sonnenberg : Lorsque le permis est transféré. Depuis l’entrée en vigueur de la loi et du nouveau règlement, il y a beaucoup plus d’obstacles du point de vue du transfert.

Si M. Allen quitte l’industrie, qu’il procède au transfert vers le prochain bénéficiaire et qu’il y a une vente entre deux personnes, le système est beaucoup plus rigoureux qu’avant. Mais à cause de l’argent qui vient de la concentration des entreprises, elles peuvent se payer beaucoup d’avocats et de comptables pour y parvenir. C’est effectivement ce qui se passe.

La surveillance doit être vraiment rigoureuse. Il faut beaucoup plus de temps pour effectuer les transferts, mais, au besoin, il faut qu’il y ait un moyen de « suivre l’argent », ce qui est l’expression utilisée à la fédération. Il doit y avoir une chaîne dans laquelle l’argent est suivi, de sorte que, lorsque quelqu’un paie un permis, le ministère sait très clairement d’où vient l’argent et, s’il y a de quelconques modalités de paiement, comme M. Allen l’a mentionné plus tôt, il faut qu’il soit clair qu’elles sont viables, et non pas à un taux qui en ferait un prêt usuraire, et sur une période raisonnable. Aucune banque ne vous ferait un prêt sur 99 ans, par exemple. Semble-t-il qu’il existe des arrangements financiers très intéressants dans ce monde.

Le sénateur Quinn : Je vous remercie tous d’être ici ce soir. Je vous suis vraiment reconnaissant d’être ici. C’est un sujet fascinant. Nous en avions déjà discuté auparavant.

Je ne pense pas que le Canadien moyen comprenne l’importance des pêches pour les collectivités côtières : les emplois et les retombées économiques, et la capacité des gens non seulement d’avoir un gagne-pain, mais aussi d’élever leur famille dans les collectivités côtières.

Compte tenu de l’évolution de l’environnement avec lequel vous devez composer sur le plan des règles et de la réglementation, croyez-vous que le ministère dispose de ressources adéquates pour exercer cette fonction de surveillance de la conformité? Je me demandais si vous aviez des choses à dire là-dessus.

M. Allen : En ce qui concerne la réglementation en tant que telle, je ne sais pas s’il a vraiment les ressources nécessaires. Je pense qu’il y a aussi un manque de volonté de s’attaquer à une tâche difficile. Examiner les ententes individuelles n’est pas facile. Dans le cadre du règlement actuel, il ne s’agit pas tant de contraventions que de poursuites. Cela exige beaucoup de travail, ainsi que la volonté d’aller devant les tribunaux. Je pense toutefois que le ministère doit le faire. C’est une chose lorsque c’est Quin-Sea, qui appartient à des intérêts terre-neuviens, qui détient 50 ententes de contrôle avec 50 pêcheurs dans diverses collectivités de Terre-Neuve — et cela pose certains problèmes à nos yeux —, mais lorsque Royal Greenland vient acheter Quin-Sea, elle contrôle la ressource de haut en bas dans toute la chaîne. Elle prendra les décisions les plus avantageuses pour ses résultats financiers, et elle prendra des décisions — surtout que Royal Greenland appartient au gouvernement danois — qui serviront son pays avant le nôtre. Nous l’avons vu en 2020 dans le cas de la crevette à Terre-Neuve. Ils pêchaient suffisamment de crevettes ailleurs au large du Groenland, alors ils ont laissé une partie des nôtres dans l’eau parce que cela ne servait pas leurs intérêts.

En mars et en avril 2020, tout le monde pensait que le secteur des fruits de mer allait s’effondrer complètement. À la fin de 2020, cependant, il y a eu un effet boomerang et il est reparti dans l’autre sens. En réalité, beaucoup de produits ont été laissés dans l’eau dans diverses pêches alors que cela n’aurait pas dû être le cas.

Que se passera-t-il lorsqu’ils prendront des décisions qui mettront fin aux activités dans les collectivités? Ces collectivités dépendent toutes de la pêche. Comme vous l’avez dit, c’est culturel. Lorsque les gens pensent au Canada atlantique — et nous avons parlé d’un volet de tourisme lié à la pêche dans le cadre de la Stratégie de l’économie bleue —, personne ne va à Halifax pour voir le port à conteneurs. Les gens vont à Peggy’s Cove pour manger une guédille au homard, à Terre-Neuve pour manger un poisson-frites et ainsi de suite. Nous devons faire tout ce que nous pouvons. Il faut qu’il y ait la volonté et les ressources nécessaires pour protéger cela afin que nous ayons toute l’économie de la pêche.

Mme Sonnenberg a parlé de la côte Ouest. Lorsqu’on regarde les différences frappantes entre la côte Ouest et la côte Est, sur la côte Ouest, le modèle est fondé sur les investissements. Si vous voulez acheter un permis de pêche au saumon en Colombie-Britannique, vous pouvez le faire dès maintenant, sénateur Quinn. Rien ne vous en empêche. Ensuite, vous m’embauchez et je vais toucher 10 ¢ par dollar, mais cela a détruit toute l’économie de la pêche, parce que l’économie de la pêche, ce n’est pas seulement le poisson qui arrive au quai; c’est le poisson qui arrive au quai, le transport et la transformation.

Essayez de faire construire un bateau au Canada atlantique en ce moment. Dans certains ateliers maritimes, il faut attendre deux ou trois ans. J’habite à Cap-Pelé, au Nouveau-Brunswick. Il y a une entreprise qui scie les pièces de bois des casiers à homard et qui emploie 15 personnes. La plupart de ces pièces sont envoyées à Tignish, à l’Île-du-Prince-Édouard, où une autre entreprise embauche de 15 à 20 personnes pour fabriquer les casiers. Ce sont ces retombées économiques que nous laissons partir. Sur la côte Ouest, les pêcheurs empochent 10 ¢ par dollar. Ils peuvent à peine survivre, et encore moins réinvestir. La blague, dans l’industrie de la pêche, c’est que nous sommes bons pour dépenser de l’argent, mais pas tellement bons pour l’économiser. Nous sommes seulement bons pour le rouler.

Pour revenir à votre question, il faut que le ministère ait la volonté et les ressources nécessaires pour faire le travail difficile. C’est comme un contrôle routier sur l’autoroute. Il lui suffirait de pincer une ou deux personnes de façon visible pour montrer clairement qu’il prend la chose au sérieux, et le message se répandrait rapidement. Le ministère nous a dit que son modèle consiste à essayer d’amener tout le monde à se conformer, mais son approche revient à dire : « Trouvez une autre échappatoire. Celle-ci ne fonctionne pas pour vous. Revenez nous voir quand vous l’aurez trouvée. » Il leur donne 12 mois pour se conformer. Le message se transmet tout aussi rapidement. Il n’y a personne sur l’autoroute. Je peux rouler à 150 toute la journée sans me faire arrêter, parce qu’il n’y a aucune présence de la GRC. C’est ce qui se passe en ce moment.

Madame Sonnenberg, avez-vous quelque chose à ajouter?

Mme Sonnenberg : Je pense que vous avez tout dit, M. Allen. Je crois, sénateur Quinn, que, de mon point de vue, il est parfois plus approprié de réaffecter des ressources que d’en obtenir plus. Il faut miser sur une plus grande équipe pour mener ces enquêtes et continuer de surveiller la situation. Les responsables mènent actuellement des enquêtes ciblées dans la région des Maritimes. La semaine dernière, durant des réunions à Ottawa, nous avons entendu dire qu’environ 17 dossiers avaient été ouverts. Est-ce suffisant? De plus, les responsables ont-ils les compétences nécessaires? Vous savez, tout cela est nouveau. Ils vous le diront eux-mêmes. Je m’inquiète des compétences requises, car il s’agit d’une vérification judiciaire. Il ne s’agit pas seulement de se rendre sur l’eau et de voir ce qui ne va pas, ce qui est facile à constater si vous choisissez de visiter un quai dans le sud-ouest de la Nouvelle-Écosse, ou encore ici, dans le sud du Nouveau-Brunswick. Parfois, les ententes de contrôle sont faciles à reconnaître simplement en regardant les navires et leurs couleurs.

Ce qu’il faut faire, c’est examiner à fond les ententes. Pour répondre à votre question, je pense que les responsables ont besoin de plus de ressources et qu’ils ont besoin de ressources très spécialisées pour faire leur travail.

Le sénateur Quinn : Je vous remercie de votre commentaire. Vous soulignez un véritable problème qui se pose au sein du gouvernement aujourd’hui en ce qui concerne ceux qui cherchent à appliquer des mesures de cette nature. Chaque secteur semble compter moins d’employés, et les compétences et les ensembles de compétences s’effritent chaque année. C’est un dossier complexe. Si nous ne misons pas sur des personnes qui ont la capacité d’aller sur le terrain pour faire exactement ce dont vous avez parlé, c’est un problème.

Votre association a-t-elle eu des discussions avec vos collègues et avec des intervenants sur l’eau? Vous êtes présent sur l’eau et vous connaissez tout le monde dans ce secteur indépendant. Les gens parlent-ils parfois du manque de ressources? À quand remonte la dernière fois où vous avez vu des responsables des pêches s’occuper de ce secteur précis de l’industrie, sur le terrain?

M. Allen : Je n’ai jamais vu ce genre de choses moi-même. Je connais quelques personnes qui ont récemment acheté une entreprise; c’était l’an dernier. Voici certains des commentaires : « Je n’avais jamais autant signé mon nom. » Encore une fois, nous constatons qu’une entreprise qui compte 30 employés en vertu d’ententes de contrôle peut dépenser beaucoup d’argent pour embaucher un avocat qui rédigera une entente. Une fois l’entente en place, il suffit de faire du copier-coller. Tandis que pour les particuliers, le processus semble très compliqué. En réalité, c’est la banque qui prête l’argent, puis tout devrait bien aller. Le processus devrait se faire en douceur, mais il semble assez lourd. Cependant, les transferts sont effectués, et les gens entrent dans le secteur de la pêche.

Au cours des dernières années, l’Union des pêcheurs des Maritimes et la Fédération ont exercé des pressions pour obtenir des capitaux. Il fut un temps où les commissions provinciales des prêts aux pêcheurs étaient de gros joueurs dans le secteur des pêches. C’est dans de telles situations que les banques ne veulent pas s’en mêler parce que le permis n’est pas donné en garantie. Même si la banque récupère le bateau, ce n’était peut-être pas suffisant pour couvrir toute l’entreprise. Pendant un certain temps, les commissions provinciales des prêts aux pêcheurs se sont retirées. Au Nouveau-Brunswick, nous avons travaillé fort en collaboration avec la province. Les responsables ont mis en place des programmes pour les nouveaux venus, et le travail est fait en partenariat avec les institutions financières. C’est utile, mais ce n’est pas le genre de choses que nous constatons du côté de la paperasserie.

La région de Mme Sonnenberg serait un bon endroit où aller. Comme elle l’a dit, à leur quai, les gens peuvent dire : « Tous les navires de telle ou telle couleur appartiennent à telle ou telle entreprise. »

C’est plus fréquent. Je suis plutôt chanceux; dans notre cas, dans le golfe, pendant des années, nos pêches avaient une valeur économique bien inférieure à ce qu’elle était dans le sud-ouest de la Nouvelle-Écosse, parce que c’est là que tout a commencé, dans des endroits comme le sud-ouest de la Nouvelle-Écosse, où les pêches ont gagné en importance. Nous sommes en quelque sorte à la fin du processus, mais nous commençons à voir les résultats : là où il y a de l’argent à faire, l’intérêt sera au rendez-vous.

Le sénateur Quinn : Merci.

La sénatrice M. Deacon : C’est un privilège d’être ici ce soir et de participer à la réunion du comité. Je tiens à dire aux témoins que je remplace un de mes collègues, mais j’ai essayé de m’informer un peu sur l’étude et l’important travail que fait le groupe.

Je tiens également à souligner que, en plus de vos tâches quotidiennes et du travail que vous essayez d’accomplir, vous occupez respectivement le poste de présidente et de trésorier d’une organisation et vous devez composer avec beaucoup de changements, beaucoup de réformes et beaucoup de choses difficiles… Au nom du comité, merci d’avoir accepté ce rôle supplémentaire, en plus de ce que vous faites dans votre vie professionnelle.

Je pense à tout ça et à ce que j’ai entendu aujourd’hui. Ma question, qui semblera peut-être un peu trop à gauche ou à droite pour le président du comité, vise à m’aider à comprendre un peu mieux le travail que vous faites. Alors que nous nous penchons sur la commercialisation et sur les enjeux et les défis connexes, je me demande ce qui vous tient le plus éveillé la nuit, dans votre travail et par rapport au travail de représentation que vous faites pour votre organisation indépendante. Qu’est-ce que vous considérez comme étant votre dénominateur personnel, ou le travail que vous faites — votre domaine précis, qui vous donne à chacun des points de vue uniques —, ou encore une réponse qui reflète les conversations et les appels téléphoniques que vous avez avec certains de vos membres?

Mme Sonnenberg : Je vais essayer de répondre, sénatrice Deacon. Je suis la présidente de la Fédération depuis plus de cinq ans. Comme tous les titulaires de postes bénévoles, je suis payée par mon organisation, la Grand Manan Fishermen’s Association, pour faire partie de ce groupe et représenter mon organisation.

Je pense que ce qui m’empêche de dormir la nuit concerne non pas ce que c’est, mais ce que ce n’est pas. Il y a tellement de choses auxquelles cette industrie est confrontée. C’est comme un déluge. Il y a tellement de choses que, certains jours, on ne peut même pas y voir clair.

Nous étions en ville la semaine dernière dans le cadre de notre assemblée générale annuelle. Elle a eu lieu à Ottawa, alors nous pouvions être sur le terrain, et il était donc plus facile de parler à certains décideurs. À la fin de la semaine, nous avions parlé de tout ce dont vous nous entendez parler ce soir dans le cadre de l’étude des questions que vous vous posez sur la gestion des pêches et des océans du Canada. Le régime des propriétaires-exploitants existe depuis la fin des années 1970. Au départ, c’était une politique, mais je pense à toutes ces choses… C’est probablement l’érosion du régime des propriétaires-exploitants… Les petits joueurs et les petites joueuses se font évincer ou acheter à un moment donné durant leur carrière. Ce n’est pas une carrière. Ce n’est pas le bon mot. C’est le mode de vie qu’ils et elles ont choisi. La pêche n’est pas un emploi. C’est un choix.

Lorsque vous êtes sur l’eau, les choses sont absorbées, l’océan est de plus en plus petit en raison de l’établissement des zones de protection marine, les ZPM. Il y a aussi les changements climatiques qui nous touchent, les règles qui s’ajoutent jour après jour, les problèmes de Transports Canada qu’il faut régler… La liste est tellement longue et tellement complexe.

J’ai travaillé dans le secteur de la pêche en tant que… J’appelle ça être un « aristocrate de la pêche ». Je n’ai jamais eu l’occasion — et c’est probablement mieux ainsi pour les marins — d’exploiter un navire et de me considérer comme un pêcheur. C’est une profession respectée. Je travaille dans l’industrie depuis 42 ans maintenant. Je dois dire que c’est une de mes passions, mais c’est inquiétant. Pendant toutes les années que j’ai passées ici, et après tout ce que j’ai vu, je ne sais tout simplement pas… Ça ne finit jamais, mais je ne vois pas beaucoup d’espoir à l’horizon et je pense que beaucoup de gens ressentent la même chose en ce moment. Il est difficile d’attirer les jeunes. Les coûts et les pressions sont énormes. Je ne m’étendrai pas là-dessus, mais c’est difficile. La façon dont la pêche est gérée, selon moi, on ne le fait pas de façon à permettre une participation adéquate des gens qui comptent et des personnes qui sont sur l’eau. Ces gens sont tenus à l’écart des décideurs et ils n’ont aucun moyen de dire ce qu’ils pensent sur les choses qu’ils constatent. Lorsqu’il est question d’examiner les changements rapides causés par les changements climatiques, ou encore s’il se passe quelque chose de très précis, souvent, personne n’écoute les pêcheurs, et je trouve cette situation très troublante. Je vais m’arrêter ici, mais la liste est longue.

M. Allen : Ce qui m’empêche de dormir dépend de la nuit. La liste est longue. Pour mettre les choses en perspective, vous parlez de ressources. Eh bien, la semaine dernière, lorsque nous étions ici, nous avons rencontré une fonctionnaire au 200, rue Kent, au sujet des ZPM et de l’aménagement du territoire marin, et elle nous dit qu’il y a 90 personnes qui travaillent sous son autorité à Ottawa. Collectivement, nous n’avons même pas 90 employés au sein de 34 organisations, et nous ne nous occupons pas seulement des ZPM et de l’aménagement du territoire marin, mais de tout le reste aussi. Il y a toujours des gens qui se déchargent de leurs responsabilités. C’est un couteau à double tranchant, comme Mme Sonnenberg l’a dit, et en tant que pêcheur, en tant que marin, parfois, je n’ai pas l’impression que le ministère nous écoute vraiment. Je pense que l’une des lacunes en ce qui concerne le projet de loi C-68, c’est que nous n’avons pas parlé des connaissances des pêcheurs. Dans notre déclaration préliminaire, nous avons parlé des 20 millions d’heures en mer de notre équipage. C’est probablement une estimation très conservatrice, mais je vais m’en tenir à ce chiffre et vous montrer le calcul. Ce n’est pas pour rien. Il ne faut pas en faire abstraction.

Je suis l’un des pires. Je n’écris pas grand-chose. Tout reste en haut, ici : où j’étais l’année dernière, où se trouvaient les poissons et leur comportement. La plupart des pêcheurs ne présentent pas les choses d’une façon scientifique, de façon que l’information puisse être donnée à des scientifiques, puis examinée par des pairs et acceptée. C’est ce qu’on appelle des preuves anecdotiques, mais en réalité, nous sommes les premiers à voir ce qui se passe, surtout les pêcheurs côtiers. Tout au long des années 1980, les pêcheurs côtiers de Terre-Neuve disaient : « Il y a quelque chose qui ne va pas. Nous allons frapper un mur », parce qu’ils voyaient bien ce qui se passait. Le poisson n’était pas sur les rives. Ils ont entendu l’histoire des rejets en haute mer et c’était un « non » catégorique.

Si vous voulez entrer dans les détails, prenez la zone 16 du hareng printanier. La zone a été fermée l’an dernier parce que les stocks sont dans un état critique. En tant que personne qui a pêché le hareng, en tant qu’adolescent qui a pêché le hareng et qui a aussi pêché le hareng au cours des dernières années, je ne suis pas du tout d’accord. Nous avons constaté une remontée de ces stocks au cours des dernières années. Le ministère a fermé la pêche. Toutes les données scientifiques sur ces stocks dépendent de la pêche, et il y a très peu de plans pour remplacer ces données. Maintenant, on constate un manque à gagner. Les responsables veulent fermer la pêche pendant cinq ans, sans même parler d’un plan de rétablissement. Les pêches sont difficiles à gérer, surtout dans un tel environnement changeant. Je ne sais pas s’il est plus facile de les fermer. Si la pêche n’est pas lucrative, s’il n’y a pas une certaine capacité, il est plus facile de simplement la fermer, alors nous n’aurons pas à nous en occuper.

Prenons le maquereau de l’Atlantique, un des outils d’évaluation utilisés pour analyser ce stock est la pêche à la traîne. Des responsables pratiquent une pêche à la traîne entre l’Île-du-Prince-Édouard et les Îles-de-la-Madeleine. Ils pêchent pour trouver les alevins. Selon les nombres d’alevins pêchés, ils peuvent établir où le maquereau est susceptible de se trouver cette année. Le problème, c’est qu’ils limitent leur étude à cette plage horaire limitée. D’une année à l’autre, la fraie est susceptible d’être précoce ou tardive.

Je n’ai jamais vu aussi peu de glace que cette année dans le golfe du Saint-Laurent depuis que j’y porte attention. En tant que pêcheur, je me dis que le printemps sera précoce. Je ne fais pas le suivi du maquereau. Je connais une femme qui travaille pour la P.E.I. Fishermen’s Association, Melanie Giffin, et elle a tout à fait raison. Le ministère veut permettre la pêche à la traîne jusqu’à la première semaine de juin, comme c’est toujours le cas, et elle dit que vous devriez la devancer de trois semaines.

La liste est longue. On apporte des changements qui n’ont pas de sens, et il faut s’occuper de tout ça. Pour vous donner une idée de mes antécédents, je suis trésorier de la fédération, mais je fais partie de l’Union des pêcheurs des Maritimes du Nouveau-Brunswick. C’est mon organisation membre qui relève de la fédération. Je suis vice-président pour le Nouveau-Brunswick. J’ai été président de l’Union des pêcheurs des Maritimes de 2014 à 2019. Je représente 1 000 pêcheurs au Nouveau-Brunswick et 300 pêcheurs de la Nouvelle-Écosse.

Il fut un temps où j’en avais vraiment assez d’aller voir les pêcheurs. Ils n’avaient que de mauvaises nouvelles à m’annoncer, d’une façon ou d’une autre, qu’il s’agisse simplement de mauvaises nouvelles en raison d’une fermeture ou de mauvaises nouvelles parce que les problèmes n’étaient pas réglés et qu’on nous les refilait, parce que personne ne nous écoute jamais. C’est fatigant à la longue. Je lève mon chapeau à Mme Sonnenberg. Quarante-deux ans… Wow! Je n’en suis qu’à 10 ans.

Je dis aux gens que la pêche n’est pas quelque chose que je fais : c’est mon identité. Je représente la quatrième génération. Il faut être un peu fou pour œuvrer dans cette industrie. Il faut vraiment l’être pour aimer ça…

La sénatrice M. Deacon : Puis-je vous interrompre un instant? N’oubliez pas ce que vous étiez en train de dire.

Je m’excuse de vous interrompre, mais vous avez soulevé un point vraiment important.

Je vous remercie tous les deux de vos réponses franches. Je vous en suis reconnaissant.

Vous êtes sur le point d’aborder un sujet, et je veux m’assurer d’avoir l’occasion de vous poser la question suivante : l’énergie à l’avenir et ce que j’appellerais la « relève » — les gens qui vous emboîteront le pas —, comment voyez-vous tant les propriétaires que les exploitants? Est-ce qu’ils sont, comment dire, « revigorés », mais c’est peut-être un terme un peu trop fort. Cependant, y a-t-il d’autres personnes — après 42 ans et après vous, vous avez 42 ans, si j’ai bien compris — qui vous suivent vous et qui veulent poursuivre cet important travail?

M. Allen : Madame Sonnenberg, allez-y pendant que je réfléchis un instant.

Mme Sonnenberg : Sénatrice Deacon, je crois vraiment qu’il sera beaucoup plus difficile de réunir les gens autour de la table. C’est très décourageant pour eux.

En ce qui concerne l’association que je représente ici, à Grand Manan, j’ai la chance de compter sur un bon nombre de jeunes pêcheurs. Quand je dis « jeunes », je veux dire un peu plus jeune que M. Allen, mais pas beaucoup. Ils arrivent et sont enthousiastes, mais il est difficile de les garder motivés, tout d’abord, parce qu’ils ont tellement de choses à gérer et que leur niveau d’endettement est élevé. Ils doivent donc trimer dur. Chaque jour, ils se demandent comment ils vont faire le prochain paiement. C’est difficile, parce qu’il y a très peu de jeunes qui arrivent sans endettement ou dont le niveau d’endettement initial est gérable, alors ils doivent vraiment travailler dur.

Ce qui se passe et la façon dont nous nous engageons ou non sont des choses vraiment décourageantes pour eux. C’est l’un des problèmes auxquels nous sommes confrontés.

Bien sûr, nous savons tous qu’il y a une pénurie de main-d’œuvre et, à cet égard, il n’y a peut-être pas de pénurie de main-d’œuvre comme telle dans l’industrie du point de vue de ce que vous demandez, mais nous avons des bénévoles qui sont épuisés. C’est quelque chose que nous entendons souvent. Nous l’entendions avant la pandémie, et maintenant, après la pandémie, les gens ne sont pas revenus comme avant.

Je ne sais vraiment pas ce qui va se passer. Je crois vraiment que, si on se retire, quelqu’un reprendra le flambeau. C’est le mieux qu’on peut espérer. Ce n’est peut-être pas ce à quoi vous étiez habitué, mais ces personnes apporteront quelque chose de nouveau à la table — espérons-le —, et ce sera comme une bouffée d’air frais au travail.

Tout ce que nous pouvons faire — et nous continuons de le faire —, c’est essayer de former les gens, de les mobiliser et de leur faire comprendre l’importance de tout ça. Si vous ne participez pas à cette industrie et que vous êtes assis à ces tables, en tant que propriétaire‑exploitant investisseur, vous finirez par être laissé derrière. C’est une façon de se tenir au courant de ce qui se passe, mais, encore une fois, c’est un processus chronophage en raison du nombre de problèmes avec lesquels les pêcheurs doivent composer chaque jour.

M. Allen : C’est une bonne façon de résumer la situation.

Pour ce qui est des nouveaux venus dans l’industrie, si nous y affectons les ressources, si nous donnons un accès au capital et faisons ce genre de choses, ça se produira. En toute honnêteté, je trouve que c’est plus difficile pour les organisations de trouver la prochaine génération de bénévoles afin qu’ils viennent dans des endroits comme ici. Il en est ainsi pour plusieurs raisons différentes. Nous voyons des gens qui arrivent, mais les choses vont très lentement ici. Nous travaillons dans une industrie où il faut prendre des décisions de ce genre et savoir rapidement passer d’un endroit à l’autre. Si vous attendez deux semaines avant de bouger, vous aurez complètement manqué votre coup. Nous sommes dans une industrie où il ne faut pas perdre de temps. Quand les gens se rendent compte que les choses avancent très lentement — c’est un marathon, et pas un sprint —, certains se désintéressent.

C’était drôle, aussi. J’ai eu cette conversation avec l’un des membres de mon conseil qui travaille pour l’Union des pêcheurs des Maritimes depuis le début des années 1980. J’ai dit : « Les gens d’aujourd’hui ne veulent tout simplement pas participer. » Il a dit : « Eh bien, vous savez, les hommes d’aujourd’hui et les structures familiales… tout ça est différent. Quand j’ai commencé, si je rentrais à la maison à 17 heures après une sortie en mer et que je disais à ma femme que je devais aller à une réunion à 19 heures, elle s’occupait de tout sans poser de question. » Maintenant, les hommes amènent leurs filles à des parties de baseball quelques fois par semaine et jouent ce genre de rôle, alors c’est aussi une question de gestion du temps.

À l’Union des pêcheurs des Maritimes, j’ai toujours été un ardent défenseur du besoin de donner à nos membres les outils qu’il leur faut, comme la formation en leadership, pour qu’ils se sentent à l’aise s’ils choisissent d’assumer de tels rôles. Ce n’est pas tout le monde qui peut venir ici et s’asseoir à la table. Nous sommes en concurrence avec un grand spectacle ce soir. Il y a très peu de personnes. Vous arrivez à l’une de ces tables, et toutes les places sont prises et les gens posent des questions. Ce n’est pas tout le monde qui peut s’asseoir ici, faire ce travail et être bien dans sa peau en le faisant. Il m’a fallu un certain temps pour en arriver là.

Voilà quelques-uns des défis que nous devons relever à l’échelle de l’industrie.

Le président : La conversation a été intéressante.

Il y a 31 ans, le moratoire sur la morue a été imposé dans l’est de Terre-Neuve-et-Labrador. J’ai vécu et je vis encore dans la collectivité de St. Bride’s. Nous comptions une population de 700 à 800 personnes à l’époque. Je pense que nous sommes chanceux s’il en reste 250 en ce moment. C’est en grande partie en raison du moratoire. Beaucoup de gens sont partis. Les jeunes semblaient s’éloigner de l’industrie.

L’industrie a changé. J’avais un voisin à trois ou quatre maisons de chez moi qui avait pêché pendant 50 ans et qui avait vendu son permis de pêche en 1992 ou 1993 — à l’époque, on rachetait des permis — pour 35 000 $. Aujourd’hui, ce permis vaut peut-être 2 millions de dollars, je ne sais pas exactement, mais il vaut beaucoup plus qu’en 1993.

À l’époque, pour entrer dans le secteur de la pêche, il fallait un bateau, quelques filets et 40 $ pour payer les frais d’enregistrement ou je ne sais quoi. Les gens étaient sur l’eau et pêchaient. Je me rends compte qu’une bonne partie de ces droits ont été transférés au fil du temps.

J’ai parlé à beaucoup de gens qui, d’une façon ou d’une autre, aimeraient entrer dans le secteur des pêches. Mais dans bien des cas, il serait impossible pour eux de gérer la dette qu’ils devraient contracter. C’est une industrie qui connaît des hauts et des bas. On est sur le bateau. Je n’ai jamais pêché moi-même, mais je sais ce qu’une bonne année dans le secteur des pêches faisait pour notre collectivité et ce qu’une mauvaise année faisait aussi.

Comment pouvons-nous faire face au prix incroyable qu’une personne devrait payer aujourd’hui pour pêcher? Vous avez parlé de la commission des prêts aux pêcheurs il y a des années, et nous en avions aussi une à Terre-Neuve-et-Labrador. À l’époque, on achetait une entreprise de pêche et on s’adressait à la commission des prêts aux pêcheurs pour un prêt de 30 000 $. C’était une grosse somme à l’époque. La commission n’existe plus, et les banques et les entreprises ont pris le relais. Je rencontre beaucoup de gens qui me disent qu’ils auraient été exclus de la pêche, mais qu’une entreprise les a appuyés financièrement. Certains s’adressent à la banque, mais la banque n’est pas nécessairement l’institution prêteuse la plus avenante lorsqu’il est question d’une industrie volatile comme le secteur des pêches.

J’ai obtenu mon diplôme d’études secondaires en 1980, et la moitié de ma classe est encore dans le secteur de la pêche aujourd’hui. La plupart d’entre eux sont allés directement de l’école à la pêche. Certains d’entre eux s’en tirent très bien. On n’en parle même pas aujourd’hui. Les jeunes en 12e année ne parlent pas de devenir pêcheurs. Dans bien des cas, ils envisagent de quitter la collectivité. L’école primaire et secondaire de ma collectivité compte 31 élèves. Les choses ont changé. Lorsque je fréquentais cette école, il y en avait plusieurs centaines.

J’ai de la difficulté à m’y faire. Je suis certain que votre organisation est aux prises avec ce genre de problème également. Comment régler ce problème lorsque la première personne à vous offrir du financement est une entreprise qui, dans certains cas, appartient à un pays étranger? Je ne connais vraiment pas la réponse. Je pose la question pour lancer la discussion. C’est une discussion importante. C’est le montant, mais aussi de la façon d’obtenir de tels fonds.

Mme Sonnenberg : Sénateur Manning, c’est un problème qui afflige la fédération depuis sa création, parce que les deux vont de pair. Être propriétaire-exploitant signifie qu’il faut trouver des fonds. Pour ce qui est des sociétés, elles ne manquent pas d’argent.

Nous avons déjà eu cette discussion. Au début, nous en avons probablement parlé de façon beaucoup plus simple parce que, lorsque nous avons commencé, nous comprenions le lien : sans jeunes participants, il n’y aura pas de propriétaires exploitants.

Le problème — car rien n’a encore été fait, et c’était le sujet de notre exposé —, c’est le besoin de donner des exemples et de savoir appliquer la ligne dure, de façon qu’on commence à voir des corrections dans le système, là où il y a eu des ententes de contrôle.

Nous avons même constaté un petit changement dans certains domaines lorsque le règlement a été adopté, et les gens pensaient vraiment que les mesures d’application seraient limitées. Nous avons vu des gens quitter le domaine. En fait, les prix se sont rétablis. Ce n’était pas majeur, mais nous avons vu les prix reculer un peu du côté des trousses, les trousses de permis.

Tant que nous sommes en concurrence avec les sociétés, et c’est pourquoi nous en parlons tant — et je sais que certains segments de la population ne veulent pas entendre cela —, il n’en demeure pas moins, comme vous le dites, que lorsqu’une personne prend sa retraite, elle ne veut pas céder son entreprise. Je connais des gens qui sont restés fidèles à leurs principes et qui ont vendu leur trousse à un prix plus abordable que le montant qui leur a été offert, simplement en raison de leur engagement envers la collectivité. Ces gens ne forment pas la majorité. Je le dirai ainsi. Ces gens sont rares.

Simplement en revenant à la question de l’application de la loi dont M. Allen et moi avons parlé ce soir, on commence à constater une correction de la trajectoire, et à partir de là, nous espérons que nous pourrons en tirer parti et trouver des occasions d’aider les jeunes à entrer dans le domaine.

En 2017-2018, nous avons passé pas mal de temps à discuter de certaines des façons dont on pourrait procéder grâce au financement social et aux efforts communautaires pour faire entrer des gens dans des secteurs où ça ne se faisait pas avant.

Tant que nous ne pourrons pas, avec certitude, faire appliquer les règlements comme ils étaient prévus — et non pas pour faciliter la conformité de tous les intervenants en trouvant d’autres échappatoires, mais en forçant les gens à vraiment se conformer, c’est-à-dire en investissant dans leurs activités et, par extension, dans leurs collectivités —, je pense que ce sera une discussion très difficile, compte tenu des discussions que nous avons déjà eues à la fédération. Il faut commencer par là. Par la suite, nous pourrons bâtir quelque chose. Mais c’est là que ça doit commencer.

M. Allen : J’aimerais ajouter quelque chose. Vous avez tout à fait raison. Il y a toujours eu des acheteurs, des transformateurs de poisson. Quand les banques ne veulent rien savoir, dans la plupart des cas, il y a deux types de prêteurs. Il y a les bons et les mauvais. Mon père a pêché pour un bon prêteur, Chase’s Lobster. Earl Chase, de Pugwash, en Nouvelle-Écosse, a transféré son entreprise à son fils. Une petite entreprise. En 1992, il a prêté à mon père les fonds nécessaires pour construire un bateau pendant que mon père attendait que la commission provinciale des prêts fournisse l’argent, vous voyez ce que je veux dire? C’était drôle, mais quand le chèque est arrivé pour le nouveau bateau, mon père avait déjà fait une saison de pêche au hareng et la moitié d’une saison de pêche au homard dans son nouveau bateau. M. Chase a été très bon en établissant le taux d’intérêt à 0 %, et un banquier a dit à mon père : « Ne perdez jamais ce banquier. C’est un bon. »

Certaines de ces autres entreprises, vous dites qu’elles sont les premières à qui il faut s’adresser, mais je ne me tournerais pas vers elles pour obtenir un prêt à long terme. Elles me considèrent comme un pion, et elles feront une offre supérieure. C’est en partie le problème, parce qu’elles prêtent de l’argent. C’était tout un débat pour nous, même avec le règlement. Nos propres membres ont dit : « Eh bien, vous ne pouvez pas empêcher un acheteur de poisson, une usine ou qui que ce soit d’autre de nous prêter de l’argent. C’est une relation qui existe entre les deux côtés du secteur depuis des décennies. »

Dans ces cas, ce sont des investisseurs qui voient les choses à long terme. Donc, peut-être que l’entreprise en question de 2 millions de dollars ne vaut en fait que 1,5 million de dollars, vous comprenez? Mais on donnera au jeune 2 millions de dollars pour qu’il l’achète, pour s’assurer que le type indépendant qui a trouvé le million et demi de dollars ne l’obtiendra jamais, parce que c’est une question de contrôle de la ressource au bout du compte. C’est un système féodal moderne. Nous bouclons la boucle et revenons là où tout a commencé, lorsque les commerçants contrôlaient tout. Vous avez travaillé toute l’année comme un chien. Ils vous donnaient les fournitures et tout ce dont vous aviez besoin tout au long de l’année — et ils vous faisaient probablement payer deux fois le prix —, et lorsque vous faisiez le compte à la fin de l’année, si vous aviez de la chance, vous aviez assez d’argent pour acheter quelques cadeaux de Noël aux enfants et suffisamment de fournitures pour passer l’hiver. En réalité, comme vous l’avez dit, on connaît la différence quand l’année a été bonne.

En ce qui nous concerne, j’ai pêché dans la ZPH 25, la zone de pêche du homard 25, dans le détroit de Northumberland, et c’est en 2016 que nous avons constaté une grosse hausse, en 2016-2017. Nous avions fait du bon travail ces dernières années. Je ne sais pas si c’était en 2016 ou en 2017, une des deux, mais un type que je n’avais jamais vu s’est approché de moi au quai et m’a serré la main. Il m’a dit : « Vous avez eu une bonne année cette année, n’est-ce pas? » Et j’ai dit : « Oui, l’année fut bonne. » Il a dit : « Oh, c’est bien. Quand vous avez du succès, tout le monde autour de vous se porte mieux. » C’est parce que vous achetez de nouveaux bateaux, de nouveaux camions et que vous rénovez votre maison. Malheureusement, nous n’économisons pas beaucoup. Si nous le faisions, nous n’aurions peut-être pas besoin d’autant d’argent au bout du compte, n’est-ce pas?

Nous insufflons la vie à la collectivité. Comme je l’ai dit, nous devons trouver des moyens de mettre un terme à certaines des activités qui font gonfler excessivement le prix des permis, parce qu’aux yeux des grandes entreprises, c’est un investissement à long terme. Elles se disent qu’elles vont avoir le contrôle de ce permis pour toujours. Elles n’ont qu’à gagner un petit peu d’argent chaque année, à long terme, pour le payer, alors elles surenchérissent sur le jeune qui commence, parfois de 50 %. Si nous pouvons mettre fin à une partie de ces pratiques et puis, entretemps, mettre en place des programmes de prêts favorables aux nouveaux venus… Lorsque nous leur offrirons les conditions idéales quant à ce que ces entreprises valent réellement et à ce qui est justifiable comme plan d’affaires et que nous pourrons leur procurer l’accès… je crois qu’ils sont là. Je l’ai constaté dans ma collectivité. J’ai vu quelques jeunes gens se rallier à nous parce que nous avons un bon programme, maintenant. Il y a du potentiel. Entretemps, nous devrons simplement travailler fort pour y arriver.

Le président : Je vous remercie tous les deux de vos réponses. C’est l’un des problèmes qui ne se régleront pas du jour au lendemain, mais j’espère que nous trouverons le mécanisme qui nous permettra de le faire.

Je vis dans une collectivité de pêcheurs, et, si quelqu’un me dit : « Je peux vendre mon permis à Untel pour 2,3 millions de dollars, mais je ne peux obtenir que 1,6 de ce côté-ci », eh bien, à qui va-t-on le vendre? Ce sont des êtres humains qui, après avoir pêché toute leur vie, ont maintenant la possibilité de sortir et de profiter du reste de leur vie. Vous avez parlé de certaines personnes qui pourraient avoir à cœur le sort de leur collectivité, mais, lorsqu’il est question de 700 000 $ ou de 800 000 $ d’un côté par rapport à l’autre, dans bien des cas, la collectivité prend le bord assez rapidement.

Mme Sonnenberg : Il est question de la retraite des gens, et ils ont travaillé toute leur vie. On ne peut pas leur en vouloir; c’est la triste situation dans laquelle nous nous trouvons. Tant et aussi longtemps que ces grosses sommes seront offertes, la situation ne changera pas.

Le président : Je me souviens d’avoir rencontré un groupe de représentants de votre fédération dans mon bureau il y a quelques années. Ils étaient huit ou dix à être venus me rendre visite, et ce fut une formidable rencontre. Nous étions très optimistes au sujet du projet de loi qui était à l’étude à l’époque, et, lors de ces séances, votre fédération a insisté pour qu’il soit adopté et enchâssé dans la loi.

Au cours des mois qui ont suivi, nous avons vu ce souhait se réaliser. Je sais que vous l’avez dit ce soir, et j’ai entendu de nombreuses personnes affirmer qu’elles sont très satisfaites de ce projet de loi.

Si nous sommes ici ce soir — encore une fois, corrigez-moi si je me trompe —, c’est parce que le projet de loi est sur papier, mais qu’il ne semble pas vraiment se passer quoi que ce soit en conséquence.

Dans le cadre de vos discussions avec le ministère des Pêches et des Océans et avec les gens à qui vous avez parlé, quelle est leur réponse lorsque vous leur posez cette question? Vous disposez d’une loi qui est en vigueur depuis 2021, et vous parlez d’avoir du mordant et de pouvoir faire quelque chose. J’avais cru comprendre que le projet de loi avait le mordant que vous recherchiez. Alors, vous avez obtenu vos nouvelles dents. Comment se fait-il qu’il n’y ait pas de conséquences?

Mme Sonnenberg : Lorsque nous soulevons la question, les représentants du ministère nous disent qu’ils ont besoin de temps pour passer à une échelle supérieure. Je pense que c’est l’expression qu’ils utilisent. Je dois dire que je ne peux pas vraiment l’accepter. En 2007, nous avons eu la PIFPCAC, la Politique sur la préservation de l’indépendance de la flottille de pêche côtière dans l’Atlantique canadien. Les titulaires de permis se sont vus accorder sept ans pour intégrer la politique et s’y… on ne peut pas dire « conformer », mais on peut dire « s’aligner sur la politique ». Ce n’est pas une loi et, par conséquent, le mot « conformité » n’est pas le mot juste.

Nous avons eu tout ce temps, puis nous sommes passés à l’étape suivante lorsque, à la dernière minute, les gens du Sénat ont eu la gentillesse de nous fournir leur appui, et ce fut un grand jour pour nous. Je pense que nous étions plus qu’enchantés d’en être arrivés là. Puis, même pendant la pandémie, nous avons réussi à voir le règlement, et l’équipe du MPO a trimé très dur pour le faire adopter.

Mais, pendant tout ce temps, les responsables du ministère auraient pu passer à une échelle supérieure. Ils savaient que la réglementation s’en venait. Il n’y avait aucune raison, dans le cadre du processus relatif à la Gazette, de voir qu’il y avait le moindre problème critique.

Comme l’a dit M. Allen, il travaille dans un monde où on prend les décisions en quelques secondes au sujet de diverses choses qui se passent sur l’eau. Quand on regarde la situation évoluer à ce rythme, c’est frustrant parce que, chaque jour qui passe où le ministère ne prend aucune mesure pour y mettre fin, nous perdons du terrain. Lorsqu’il est question d’une ressource alimentaire stratégique, et on parle d’un pays qui possède beaucoup d’usines de transformation et qui continue d’investir dans ces usines et d’en être propriétaire, et que des accords de contrôle se cachent derrière ces usines, où cette situation nous mènera-t-elle?

Il est très difficile de nous contenter de rester les bras croisés lorsque nous posons la question et que le ministère nous explique qu’il doit passer à une échelle supérieure. C’est tout simplement inacceptable. Je vais me faire des ennemis ce soir parmi les gens du ministère, sénateur Manning, mais c’est exactement ainsi.

Le président : Vous êtes déjà passée par là.

M. Allen : Nous sommes tous amis, madame Sonnenberg, alors ne nous inquiétons pas trop à ce sujet.

Une des choses que nous avons observées en ce qui concerne la nature du nouveau règlement et celle des enquêtes, c’est que, à juste titre, nous ne pouvons pas être informés des détails d’une enquête en cours, n’est-ce pas? Nous attendons seulement le premier exemple. Si les autorités pouvaient seulement faire un exemple de quelqu’un. Si, à un moment donné, elles pouvaient tout simplement intervenir et fermer une entreprise, dans une situation où elles pourraient dire qu’il s’agit d’une violation évidente du règlement et qu’il faut faire quelque chose à ce sujet, cela pourrait au moins envoyer le message.

On tient toutes ces discussions sur les exploitants de remplacement. À l’heure actuelle, le ministère se prépare à mener une série de consultations à leur sujet parce qu’il y a beaucoup de politiques différentes dans les régions, et il veut essayer de voir s’il est possible de les harmoniser, ce qui conviendra dans une région et dans une autre. On tente d’intégrer une disposition prévoyant un congé parental, car ces congés n’existaient pas dans le passé.

Notre problème tient au fait qu’on nous dit que, pour renforcer les propriétaires-exploitants, on mène des consultations au sujet des exploitants de remplacement. Nos membres vont simplement dire : « Renforcez les propriétaires-exploitants! Vous n’avez encore rien fait. Commencez par la tâche principale, puis nous aborderons les exploitants de remplacement. » On met la charrue avant les bœufs, en quelque sorte. Si on pouvait nous montrer qu’on fait quelque chose, il serait logique qu’on parle de cette autre chose. Au sein de l’industrie, ces consultations seront perçues comme un tas d’autres tergiversations et de choses que l’on va nous refiler.

Cette industrie a beaucoup évolué et de bien des façons. Lorsque mon père a commencé à pêcher dans les années 1960, la pêche était très simple. On se levait le matin, on allait à la pêche en espérant attraper quelque chose, et on était payé pour ces prises. Maintenant, le simple fait d’être capitaine suppose de s’occuper de nombreuses formalités administratives et de choses du genre. J’ai un ami qui vient de commencer. Son père a quitté le métier, et il n’est pas si vieux. Il a simplement dit qu’il en avait assez de tout cet aspect du secteur d’activité et de toutes les tracasseries qui en découlent. Je veux seulement pêcher, pas vrai?

Alors, je pense que le ministère pourrait au moins montrer des exemples. Ses représentants viennent nous donner quelques chiffres et nous dire qu’ils font cela. Évidemment, encore une fois, à leur décharge, ils ne peuvent pas venir nous dire : « Nous enquêtons sur Jim, et voici à quoi ressemble la situation. » Ce n’est pas ainsi que les enquêtes fonctionnent. Nous nous entendons là-dessus. C’est simplement que nous attendons ce premier exemple pour qu’on nous montre au moins quelque chose. Voilà où nous en sommes, deux ans plus tard, après l’adoption du règlement en soi.

C’est drôle, vous parliez de... J’étais présent lors de cette rencontre avec vous, sénateur Manning, et l’une des choses que je n’oublierai jamais, c’est que vous avez raconté que votre père était propriétaire d’un magasin dans votre collectivité à l’époque. Une usine avait peut-être été fermée pendant un certain temps, mais elle avait repris ses activités. Il y avait deux dames qui marchaient vers l’usine, et vous leur avez dit « ça a l’air bien », et elles ont répondu « ça fait du bien ». Je n’oublierai jamais ce moment tant que je vivrai. Nous étions tellement euphoriques à l’époque, et je pense que certains d’entre nous se sont probablement rendu compte qu’en réalité, le travail ne faisait que commencer.

Le projet de loi C-68 est comme Churchill, quand il dit que ce n’est pas le début de la fin, c’est la fin du début. Il reste encore beaucoup de travail à faire pour bien faire les choses. Nous devons y arriver. Sinon, nous allons nous réveiller un jour, et la majorité de nos pêches seront contrôlées par une poignée, et nous serons revenus au système des marchands des années 1700. Le pire, c’est que les quelques indépendants qui resteront ne s’en porteront pas mieux, car il n’y aura pas d’usines indépendantes à qui vendre ni de concurrence — si ce n’est que deux ou trois usines — le fait qu’ils posséderont leur permis ou non n’aura pas d’importance. On viendra leur dire : « Voici ce que nous offrons. C’est à prendre ou à laisser. »

Le sénateur Quinn : Merci. Cette discussion est vraiment très intéressante. Vous avez dit quelque chose de très important à mes yeux, c’est-à-dire « je vais m’aventurer sur le terrain glissant de me faire des ennemis au sein du ministère », je suppose… lorsque les représentants ont utilisé l’expression selon laquelle ils doivent passer à une échelle supérieure. L’un des problèmes que nous connaissons partout au gouvernement, c’est qu’on instaure de nouvelles politiques et de nouveaux programmes, mais qu’on ne tient pas compte de ce qu’il faut pour les mettre en œuvre. En réalité, le ministère des Pêches et des Océans ne serait pas différent des autres ministères. Il ne s’agit pas que de ce dossier. Il y en a probablement une douzaine d’autres qu’il faut faire passer à une échelle supérieure, alors rien ne se fait vraiment. C’est ainsi dans l’ensemble du gouvernement. Du moins, c’était le cas lorsque j’y étais. Quelqu’un m’appellera peut-être demain pour me dire que j’ai tort et que je suis complètement dépassé, mais c’est la réalité.

Je pense que le travail que vous faites est d’une importance fondamentale, et j’espère que les travaux du Comité permettront de faire avancer les choses. Vous représentez quelque chose de très important, et, pourtant, vous vous engagez sur cette grande colline abrupte qu’on appelle la bureaucratie. Alors, je veux simplement me faire l’écho de ce que la sénatrice Deacon a dit, à savoir que le travail que vous faites est très important et qu’il ne devrait jamais être sous-estimé. Mais c’est beaucoup d’efforts.

À un moment donné — je ne sais pas si nous le faisons encore dans le cadre de nos initiatives législatives —, il faudrait en évaluer le coût. Que faut-il pour cette exploitation? Comment peut-on l’opérationnaliser? C’est à ce moment-là que les gens deviendront sérieux, parce que, dans le cas des pêches, le passage à une échelle supérieure signifie probablement l’ajout d’un autre étage au 200, rue Kent, car ce ne sera pas dans les régions.

Je voulais simplement vous faire part de cette réflexion.

Mme Sonnenberg : C’est exactement cela. Ce ne sera pas dans les régions, là où c’est important au sein des collectivités locales. Ce sera dans un bureau, et ce n’est pas là que les choses se passent.

Lorsque cette étude parle de « problèmes liés à la gestion », je songe à ma collègue Bonnie Morse, avec qui je travaille ici, sur l’île Grand Manan. Elle dit souvent qu’avant d’instaurer quelque chose de nouveau, on devrait peut-être examiner ce qu’on a instauré ailleurs et voir comment cela a fonctionné et si c’était approprié avant d’adopter quelque chose de nouveau et de passer à une échelle supérieure pour la dernière initiative ou idée brillante venue. Il y a tellement d’éléments distincts de cette situation qui ne semblent pas très efficaces sur le plan de la gestion… M. Allen l’a dit : 91 personnes gèrent une direction responsable des zones de protection marine et que nous gérons toute une pêche du côté de l’industrie avec, j’irais jusqu’à dire que, au cours d’une journée donnée, il n’y a probablement que les deux tiers de ces 91 personnes dans nos bureaux de partout au pays qui gèrent de 12 à 24 dossiers qui se présentent. Et ce ne sont pas de petites choses.

Nous devons nous demander ce qu’on fait de nos ressources internes, de toutes ces choses qui doivent passer à l’échelle supérieure pour que nous puissions obtenir de meilleurs résultats, que j’attends toujours, et pas aussi patiemment. Je ne suis pas très patiente, et les gens qui me connaissent le savent. J’ai eu beaucoup de problèmes. La fédération et moi-même avons essayé d’être raisonnables, mais c’est très frustrant.

Je ne sais pas s’il convient d’applaudir vos commentaires, mais je suis d’accord. C’est certainement problématique pour nous.

Le président : Je remercie nos témoins. C’est une discussion très intéressante, en effet. Je suis certain que nous ne pensions pas pouvoir tout régler ce soir, mais cette séance nous donne l’occasion d’entendre des gens qui sont directement touchés par les décisions et les mesures législatives soumises à notre étude.

Nous entendrons d’autres témoins à ce sujet. J’espère que, grâce à ce processus, certaines personnes souhaiteront tenter de faire avancer les choses, puis de faire ce que bon nombre d’entre vous espéraient, certainement bien avant 2021, mais la loi est entrée en vigueur cette année-là.

Je me souviens qu’en 2007, Loyola Hearn était le ministre à l’époque où la PIFPCAC a été créée, et tout le monde semblait penser que c’était ainsi que les choses allaient se régler. Nous sommes en 2023, et nous y travaillons encore.

Nous vous remercions du temps que vous nous avez consacré ce soir.

(La séance est levée.)

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