LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES DROITS DE LA PERSONNE
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le lundi 6 mai 2024
Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd’hui, à 16 h 16 (HE), avec vidéoconférence, pour examiner les questions qui pourraient survenir concernant les droits de la personne en général.
La sénatrice Salma Ataullahjan (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Je m’appelle Salma Ataullahjan, je suis une sénatrice de Toronto et je préside le comité. Aujourd’hui, nous tenons une audience publique du Comité sénatorial permanent des droits de la personne.
Avant de commencer, je rappelle à tous les sénateurs et aux autres participants les importantes précautions suivantes. Afin de prévenir les retours de son qui perturbent la réunion et qui peuvent causer des blessures, nous rappelons à toutes les personnes présentes sur place de garder leurs écouteurs loin de tous les microphones en tout temps.
Comme l’indique le communiqué que le Président a adressé à tous les sénateurs le lundi 29 avril, les mesures suivantes ont été prises pour aider à prévenir les incidents de rétroaction acoustique. Tous les écouteurs ont été remplacés par un modèle qui réduit considérablement la probabilité de rétroaction. Les nouveaux écouteurs sont de couleur noire, tandis que les anciens étaient de couleur grise. Veuillez vous servir uniquement de l’écouteur noir dûment approuvé. Tous les écouteurs inutilisés seront débranchés au début d’une réunion. Lorsque vous n’utilisez pas votre écouteur, veuillez le placer face vers le bas au milieu de l’autocollant rond que vous voyez devant vous sur la table, à l’endroit indiqué. Au besoin, la fiche posée sur la table rappelle les consignes à suivre pour prévenir les incidents de rétroaction acoustique. Assurez-vous d’être assis de manière à augmenter la distance entre les microphones. Les participants ne doivent brancher leur écouteur que dans la console de microphone située directement devant eux. Ces mesures sont en place pour que nous puissions mener nos travaux sans interruption et pour protéger la santé et la sécurité de tous les participants, dont les interprètes. Je vous remercie tous de votre collaboration.
J’invite maintenant mes honorables collègues à se présenter.
La sénatrice Gerba : Amina Gerba, du Québec.
La sénatrice Omidvar : Ratna Omidvar, de Toronto.
Le sénateur Arnot : David Arnot, de la Saskatchewan.
La sénatrice Pate : Kim Pate. Soyez les bienvenus. Je vis ici sur le territoire non cédé et non abandonné de la nation algonquine anishinaabe.
La présidente : Je souhaite la bienvenue aux sénateurs et à tous ceux qui suivent nos délibérations. Conformément à son ordre de renvoi général, notre comité poursuit aujourd’hui son étude des déplacements forcés qui se produisent dans le monde. Cet après-midi, nous entendrons trois groupes de témoins, après quoi les sénateurs ici présents pourront leur poser des questions.
Je vous présente le premier, constitué d’une seule personne. Nous accueillons M. William Deere, qui est directeur du Bureau de représentation de Washington à l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient. J’invite maintenant M. Deere à faire sa déclaration préliminaire de cinq minutes.
William Deere, directeur, Bureau de représentation de Washington, Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient : Merci, madame la présidente.
Mesdames et messieurs les membres du comité, je suis heureux de pouvoir comparaître aujourd’hui pour discuter de la situation à Gaza. Je suis directeur du bureau qui représente l’Office de secours et de travaux des Nations unies, communément appelé UNRWA, auprès du Canada et des États-Unis. J’aimerais que ma déclaration intégrale soit versée au compte rendu. Je vais maintenant la résumer brièvement.
Au nom des 30 000 employés de l’UNRWA, permettez-moi tout d’abord de remercier la population canadienne et son gouvernement pour leur soutien continu à l’office. Depuis deux années que je dirige le bureau de Washington, la nécessité m’a obligé plusieurs fois à communiquer à bref préavis avec le gouvernement canadien pour solliciter un soutien essentiel. Chaque fois, le Canada a répondu présent, et c’est une des raisons pour lesquelles je tenais à être ici en personne aujourd’hui, pour vous dire : « Merci, Canada. »
L’UNRWA a été créé par une résolution de l’Assemblée générale des Nations unies à la suite de la guerre de 1948. En l’absence d’une solution juste et durable à la question des réfugiés palestiniens, l’Assemblée générale n’a cessé de renouveler son mandat, encore récemment jusqu’au 30 juin 2026.
L’examen indépendant de l’UNRWA mené récemment par l’ancienne ministre française des Affaires étrangères, Catherine Colonna, concluait en ces termes :
En l’absence d’une solution politique entre Israël et les Palestiniens, l’UNRWA reste un acteur essentiel dans la fourniture d’une aide humanitaire vitale et de services sociaux essentiels, en particulier dans les domaines de la santé et de l’éducation, aux réfugiés palestiniens à Gaza, en Jordanie, au Liban, en Syrie et en Cisjordanie. À ce titre, l’UNRWA est irremplaçable et indispensable au développement humain et économique des Palestiniens.
Permettez-moi de prendre ici un instant pour parler des différences entre l’UNRWA et notre organisation sœur, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, ou HCR.
Le HCR n’a pas de mandat concernant les réfugiés palestiniens qui bénéficient de la protection et de l’aide de l’UNRWA dans nos cinq champs d’activité. Contrairement au HCR, l’office n’a pas le mandat de réinstaller les réfugiés palestiniens ni le pouvoir de chercher des solutions durables à leur situation.
Même si l’UNRWA cessait d’offrir sa protection ou son aide aux réfugiés palestiniens sans que leur situation ne soit réglée, et qu’ils relevaient alors du mandat du HCR, ils seraient toujours des réfugiés et conserveraient leurs droits, dont le droit de retour, en vertu de la résolution 194 de l’Assemblée générale des Nations unies.
Même avant le 7 octobre, Gaza, avec son 1,6 million de réfugiés palestiniens enregistrés, était le plus grand utilisateur des services de l’UNRWA. En raison de sa présence déjà active à Gaza, c’est notre office qui a dirigé l’intervention humanitaire face à la tragédie en cours.
Le 24 avril, Sigrid Kaag, coordonnatrice de haut niveau de l’action humanitaire et de la reconstruction à Gaza, a déclaré au Conseil de sécurité de l’ONU que l’UNRWA joue un rôle crucial dans la fourniture d’une aide humanitaire et de services sociaux essentiels aux réfugiés de Palestine.
[...] l’UNRWA est irremplaçable et indispensable en tant que bouée de sauvetage humanitaire et doit être autorisé à remplir son mandat.
De par ses champs d’activité, l’office est un habitué des situations de conflit. À Gaza aujourd’hui, il vit un des moments les plus marquants de son histoire. Plus de 2 500 de nos employés, dont la plupart ont été déplacés à maintes reprises, restent sur place pour faire le travail, soutenus par 3 000 autres Gazaouis qui les aident dans le cadre de notre programme de création d’emplois. Mes collègues sont présents aux passages frontaliers et dans les entrepôts et les centres de distribution. Ils apportent un soutien essentiel aux installations de l’UNRWA qui tiennent encore debout. Nos équipes de santé poursuivent leur travail dans les 8 centres qu’il nous reste et aux 86 postes de soins médicaux établis dans 56 refuges, traitant environ 20 000 patients par jour.
Pour ajouter encore à la difficulté de la mission de secours humanitaire, les privilèges et immunités diplomatiques attachés aux Nations unies, à leur personnel et à leurs installations sont pratiquement sans effet dans ce conflit. En mars, deux de mes collègues ont péri lorsqu’un drone a frappé notre principal centre de logistique à Rafah. L’un d’eux, qui avait une épouse et deux enfants, est mort en empilant des couches de bébé pour une livraison humanitaire.
Aujourd’hui, l’office voit à nouveau peser une menace existentielle sur son travail. Même avec l’appui généreux du Canada, son financement sera épuisé à la fin de juin. Le commissaire général, M. Lazzarini, déclarait récemment à l’Assemblée générale et au Conseil de sécurité de l’ONU que l’UNRWA était la cible d’une campagne concertée visant délibérément à miner et finir par enrayer ses opérations, lesquelles sont, ne l’oublions pas, mandatées par l’Assemblée générale de l’ONU elle-même.
L’UNRWA fait écho à l’appel du secrétaire général des Nations unies, M. Guterres, en faveur d’un cessez-le-feu humanitaire, de la libération immédiate et inconditionnelle de tous les otages et d’une augmentation massive de l’aide humanitaire. L’UNRWA espère que les États membres de l’ONU s’engageront à faciliter le processus politique qui tarde depuis longtemps à produire une solution susceptible d’apporter la paix aux Palestiniens et aux Israéliens et de tracer la transition de l’UNRWA dans ce contexte.
Enfin, nous espérons que les États membres fourniront le soutien dont l’office a besoin pour fonctionner et combler l’écart entre son mandat et son modèle de financement. Il ne peut pas s’acquitter de sa tâche sans un financement suffisant de la part des États membres.
Encore une fois, je vous remercie de m’avoir donné l’occasion de comparaître aujourd’hui. Merci, Canada. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.
La présidente : Merci, monsieur Deere, de votre exposé.
Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs. Chers collègues, vous disposez de cinq minutes pour votre question et pour la réponse du témoin. Nous avons 45 minutes, et nous pouvons toujours remettre votre nom au deuxième tour.
La sénatrice Omidvar : Merci, monsieur Deere, de votre présence parmi nous.
Je viens de lire les manchettes. Le Hamas a accepté un cessez-le-feu. Je ne sais pas s’il va se matérialiser ou non. Pourriez-vous nous dire ce que cela signifiera pour l’acheminement de l’aide de l’UNRWA par les voies régulières aux personnes qui en ont besoin à Gaza?
M. Deere : Je vous remercie de la question, madame la sénatrice.
J’ai moi aussi été informé de cela ce matin. Comme je le disais à la présidente, j’aurais pu rédiger un tout nouveau témoignage rien qu’avec les nouvelles des 24 dernières heures. Nous espérons que ce cessez-le-feu pourra tenir.
Pour répondre à votre question, cela veut tout dire. Une chose que les gens ne comprennent pas toujours, c’est que dans n’importe quelle institution des Nations unies — l’UNRWA, le PAM, etc. —, on ne s’éveille pas le matin en disant : « Bon, nous allons là-bas livrer cela. » Tout doit être coordonné — en « déconfliction », comme on entend de plus en plus. Vous avez vu ce qui est arrivé à la World Central Kitchen, et vous avez l’exemple de notre installation à Rafah dont je parlais tantôt. Nous avons une vidéo d’un de nos camions de l’ONU — Dieu merci, c’était une double remorque parce que la deuxième a été touchée par un tir d’artillerie navale. Nous avons besoin d’une cessation des hostilités pour nous déplacer librement et apporter le degré nécessaire d’aide constante. C’est la partie importante d’un cessez-le-feu.
La sénatrice Omidvar : Disposez-vous des fonds nécessaires pour le faire en ce moment?
M. Deere : Je vais devoir fournir cette information aux fins du compte rendu. Il est difficile de répondre simplement parce que nous avons lancé récemment un appel d’urgence de 1,2 milliard de dollars pour répondre aux besoins de Gaza d’ici la fin de l’année. Comme je disais dans mon témoignage, madame la sénatrice, l’institution elle-même est menacée dans son existence. À l’heure actuelle, nous vivons d’un mois à l’autre. Cela ne veut pas dire qu’une partie du fardeau pourra être absorbée par d’autres institutions de l’ONU. Dans mon exposé intégral, je dis clairement que même si mes collègues se couvrent de gloire dans ce conflit — j’en ai tout de même perdu 182 —, il est extraordinaire de voir la coopération entre les institutions de l’ONU dans la prestation de l’aide. Comme disait mon collègue qui dirige nos opérations à Gaza, il est vraiment difficile, certains jours, de déterminer où une institution finit et où une autre commence tellement la coopération est bonne.
La sénatrice Omidvar : Pourriez-vous nous parler des accusations de différentes sources qui ont été portées contre votre institution au sujet de ses affiliations avec le Hamas, etc., et de leur effet sur les contributions volontaires à son financement?
M. Deere : Oui, madame la sénatrice, et merci. C’est une question difficile, mais je suis heureux d’y répondre.
Les Nations unies ont agi, je crois, promptement et de façon décisive face aux accusations portées à la fin de janvier par le gouvernement d’Israël. Le commissaire général de l’UNRWA a aussitôt congédié les personnes nommées, en invoquant son pouvoir d’agir pour le bien de l’organisme. Mais nous ne nous sommes pas arrêtés là. De concert avec le secrétaire général Guterres, nous avons fait appel au Bureau des services de contrôle interne, le BSCI, qui est pour nous l’équivalent de l’inspecteur général. L’inspecteur général est sur le terrain dans la région, travaillant avec le gouvernement israélien, entre autres, pour enquêter sur la véracité des allégations à l’endroit des 12 personnes en cause. Comme vous avez peut-être pu le constater dans les rapports récents du porte-parole du secrétaire général, Stéphane Dujarric, le nombre a varié un peu. Des accusations ont été retirées, d’autres ont été ajoutées, et je crois qu’il y a maintenant 14 personnes en cause.
L’ONU a pris une deuxième mesure. Le secrétaire général Guterres, de concert avec mon patron, le commissaire général de l’UNRWA, a aussi commandé un examen externe indépendant de l’office. Cet examen a été mené par l’ancienne ministre française des Affaires étrangères, Catherine Colonna, et il portait sur les mécanismes en place pour assurer la neutralité de l’UNRWA. Que fait l’office pour enseigner la neutralité à son personnel? Que fait-il face aux accusations portées contre le personnel? La conclusion a été, en quelques mots, que l’UNRWA prend des mesures plus efficaces que celles de toute autre institution de l’ONU ou de toute autre ONG en matière de neutralité. Le rapport de Mme Colonna est juste et équilibré. Il disait aussi qu’on peut toujours faire mieux. Il contenait une cinquantaine de recommandations réparties sous huit rubriques. Le commissaire général Lazzarini s’est aussitôt engagé à mettre en œuvre chacune d’elles. Au cours des prochaines semaines, nous allons présenter un plan de mise en œuvre détaillé à ce sujet.
Bref, madame la sénatrice, je ne vois pas ce qu’on aurait pu faire de plus. Nous avons agi promptement et de façon décisive. Un aspect du rapport Colonna est revenu sur le tapis : on apprenait, en toute franchise, qu’Israël n’avait fourni aucune information pour étayer les soupçons d’une vaste affiliation entre les employés de notre office et le Hamas.
La sénatrice Omidvar : Merci.
Le sénateur Arnot : Monsieur, je veux simplement vous donner l’occasion d’étoffer ce que vous venez de dire au sujet des allégations. Il n’y avait pas de preuve définitive et aucune n’a été présentée à ce jour, si j’ai bien compris, au sujet de la participation présumée d’employés de l’UNRWA à quelque attaque que ce soit.
M. Deere : C’est une très bonne question, et je vous en remercie. Lorsque la ministre des Affaires étrangères Colonna a publié le rapport, je pense sincèrement que nous avons passé environ trois jours à tirer au clair ce qu’elle disait.
Il y a deux rapports. Il y a le rapport de l’inspecteur général, ce qu’on appelle le BSCI. Le BSCI examine les allégations précises contre les 12 employés. Accessoirement, dans l’examen indépendant de ce que nous faisons pour assurer notre neutralité, la ministre des Affaires étrangères Colonna s’est fait un point d’honneur de dire que le gouvernement d’Israël n’a fourni aucune preuve à l’appui de cette allégation d’une affiliation répandue parmi les employés de l’office. Il y a donc deux choses distinctes qui se passent. Je dois admettre que, compte tenu de la façon dont c’était énoncé à la publication du rapport, il y avait de quoi les confondre.
Le sénateur Arnot : J’aimerais aborder une autre question. Le soutien des États-Unis représente une part importante du budget de votre office. Compte tenu du climat de litige politique à Washington, quelle stratégie l’UNRWA emploie-t-il pour mobiliser les deux camps du Congrès à Washington, et amener les deux partis à appuyer le travail nécessaire que vous faites? En ce qui concerne l’obstacle que la suspension du financement a créé, comment l’UNRWA collabore-t-il avec d’autres organisations humanitaires pour assurer la continuité de l’aide à Gaza et dans d’autres régions où vous faites du si bon travail?
M. Deere : Merci de la question et merci de dire que nous faisons du bon travail. On se sent un peu seul à table ces jours-ci, sénateur.
Pour ce qui est des États-Unis, c’est mon travail, comme ce l’est pour le Canada. Le commissaire général veille au grain. Il ne veut pas qu’on parle seulement à la chambre d’écho. Je m’adresse aux deux camps à Washington, tant à la Chambre des représentants qu’au Sénat. Pour vous donner une idée de mes antécédents, j’ai obtenu une nomination de George W. Bush et j’ai fait partie du personnel de la Maison-Blanche. Alors, pour moi, parler au Sénat, ce n’est pas rien.
Nous faisons de l’éducation. Nous allons raconter notre version des faits. En fait, si vous me permettez d’élaborer un peu, c’est une des raisons qui justifiaient l’examen indépendant. Le commissaire général Lazzarini a annoncé cet examen — son intention de lancer un examen indépendant — avant qu’Israël ne nous arrive avec ses allégations concernant les 12 employés. Vous pensez bien qu’à ce stade, le secrétaire général a pris la relève, mais vous le verrez toujours agir « en consultation avec le commissaire général ». Voilà pourquoi. C’était l’initiative du commissaire général.
Il a pris cette mesure parce qu’en analysant lui-même le paysage politique, il voyait bien qu’il est très difficile pour les décideurs, au rythme où vont les choses, de savoir comment départager le vrai du faux. Quelqu’un fait une allégation, et nous réagissons; quelqu’un d’autre fait une allégation, et nous réagissons. Après quelque temps, cela devient mêlant. C’est pourquoi il a avancé l’idée d’un examen indépendant. Il voulait donner aux décideurs comme vous quelque chose de plus — aussi convaincant que je puisse être —, quelque chose sur quoi vous appuyer, au-delà des déclarations de l’UNRWA.
Nous faisons de l’éducation. Je dirais que c’est une dure bataille. Les gens sont campés ferme sur leurs positions. Même si j’ai l’air étonnamment jeune, sénateur, je fais cela depuis longtemps, et c’est de loin le climat politique le plus difficile où j’aie jamais travaillé.
[Français]
La sénatrice Gerba : Je vous remercie de votre présence ici aujourd’hui; c’est très apprécié.
Un témoin précédent, Mme Kelsey Norman, nous a fait remarquer que les États-Unis sont les plus importants donateurs de l’UNRWA et que la suspension du financement poserait de grandes incertitudes sur la poursuite des activités de votre organisation.
Vous venez de mentionner que la survie même de votre institution est menacée; j’aimerais que vous nous informiez davantage sur les conséquences engendrées par la suspension du financement américain, étant donné qu’ils sont d’importants donateurs. Pensez-vous que la survie de votre institution est assurée? Faudrait-il changer la façon de financer l’institution, puisque le financement est basé sur les contributions volontaires?
[Traduction]
M. Deere : Merci, madame la sénatrice. Ce sont de très bonnes questions.
Effectivement, les États-Unis étaient, en 2023, le plus important bailleur de fonds de l’UNRWA, avec 422 millions de dollars, contre 344 millions de dollars l’année précédente. Nous fonctionnons par année civile. C’est ainsi que nous calculons. À l’heure actuelle, la contribution des États-Unis est rendue à 71 millions de dollars pour l’année, mais il est peu probable qu’elle aille plus loin. Madame la sénatrice, nous sommes déjà passés par là sous une administration antérieure, et nous nous sommes débrouillés.
Je prends un instant pour vous expliquer. L’UNRWA est différent des autres institutions de l’ONU parce qu’il agit sur le terrain. Nous ne faisons pas de chèques à d’autres partenaires qui se chargent de l’exécution. Nous gérons un système scolaire, un réseau de soins de santé et un programme de services sociaux à très grande échelle. Si l’UNRWA n’est pas en mesure de payer ses 30 000 employés, il arrête de fonctionner dans ses cinq domaines d’activité. En fait, c’est davantage une entreprise qu’autre chose. On ne se lève pas en disant, tiens, on ne va pas enseigner la cinquième année aujourd’hui pour réduire les coûts. Nous avons 30 000 employés, pour la plupart syndiqués. Ils ont des conventions collectives. Dans bien des cas, comme dans le secteur privé, il faut dépenser de l’argent au départ si on veut économiser ou réduire les services à long terme. Par conséquent, nous cherchons partout dans le monde des contributions pour combler le déficit de financement des États-Unis.
Je dirais cependant que votre question pointait dans le bon sens. L’UNRWA est en fait un facteur de stabilité régionale. Il ne s’agit pas seulement de fournir des services humanitaires à Gaza. Il s’agit aussi d’éduquer et d’offrir des soins de santé au Liban, en Syrie et en Jordanie. C’est pourquoi nous comptons parmi nos plus fervents partisans des gens comme le roi Abdallah de Jordanie, parce qu’il comprend le risque que représente la fermeture de l’UNRWA pour la stabilité régionale.
Vous posez une très bonne question au sujet du modèle de financement parce que vous allez vraiment au cœur du problème. L’UNRWA reçoit très peu de financement à même les cotisations ordinaires de l’ONU. Il y a une réticence chez les États membres à élargir cette contribution à partir des cotisations ordinaires. Autrement dit, on se sert d’un modèle de financement du secteur privé pour exploiter une entreprise et, même les bonnes années, nous nous retrouvons avec un déficit — entre 37 et 75 millions de dollars de dettes à la fin de l’année civile. Même si, par exemple, vous terminez l’année avec, disons, une dette de 35 millions de dollars, cela signifie que le premier appel de fonds qui rapporte 35 millions de dollars l’année suivante sert à rembourser vos dettes, principalement à des fournisseurs.
Lorsque je vous parlais de certains cas où le Canada répondait présent, une fois, c’était pour payer les salaires. J’étais doublement reconnaissant, madame la sénatrice, parce que j’avais un épisode aigu de COVID-19, et on me disait que je disposais de 48 heures. Je me suis joint à la chasse mondiale aux 17 millions de dollars qu’il fallait pour payer les employés. On pouvait compter sur les États-Unis à ce moment-là. Vous avez tout à fait raison de demander si ce modèle de financement peut continuer de fonctionner dans ces circonstances.
La sénatrice Pate : Je me joins à mes collègues pour vous souhaiter la bienvenue et vous remercier d’être venu nous rencontrer.
Je n’ai pas eu l’occasion de passer en revue tous les détails et toutes les recommandations des rapports que vous avez cités, mais je remarque qu’il y a des choses comme des allégations de sentiments anti-israéliens et, dans certains cas, antisémites. Sur les 50 recommandations, y en a-t-il qui, selon vous, seront jugées mauvaises à un moment donné? Vous avez dit qu’un plan d’action était en cours d’élaboration. Quelles réformes importantes envisagez-vous à la suite de ces enquêtes?
M. Deere : En ce qui concerne les recommandations du rapport Colonna, tant le secrétaire général que mon patron, qui travaille pour le secrétaire général — en fait, tout le monde a un patron —, ont adopté les 50 recommandations et elles seront mises en œuvre.
En ce qui concerne l’inspecteur général, ou ce que nous appelons l’enquête du BSCI, c’est comme n’importe quelle enquête d’inspecteur général, madame la sénatrice. On ne sait pas tant que les conclusions n’ont pas été publiées. Cela ne nous appartient pas, pour ainsi dire. Nous pourrions entendre dire que le BSCI est de retour dans la région et qu’il interviewe effectivement nos gens, mais comme tout inspecteur général, il a une autonomie d’enquête et une autonomie budgétaire. Nous attendrons ses conclusions.
Par exemple, il était question du contenu des manuels scolaires. C’est certainement la première chose qui vient à l’esprit des détracteurs de l’UNRWA. L’office suit les meilleures pratiques en matière d’éducation des réfugiés en se servant des manuels scolaires de la région. N’oubliez pas que nous n’enseignons que de la première à la neuvième année. Ce n’est pas seulement une question de souveraineté. C’est une question d’intégration, parce que nos élèves finiront par subir les examens nationaux, et ils auront intérêt à être sur la même longueur d’onde que ceux des autres écoles.
Cependant, nous sommes aussi les Nations unies, alors nous avons examiné les 13 000 pages de manuels. En fait, chaque fois qu’un nouveau manuel est publié, nous en faisons un examen rapide. Nous avons constaté que 3,85 % des éléments de certaines pages — pas la page entière, mais des éléments de pages — s’écartaient des valeurs de l’ONU. Nous appliquons alors la méthode de la pensée critique. Les enseignants ont différents moyens de traiter chacun de ces enjeux. Parfois, il s’agit de tourner la page et d’aller de l’avant. D’autres fois, ils préfèrent dialoguer avec les élèves. Un de mes collègues, l’ancien chef de Gaza, disait qu’il mettrait les gens au défi de le faire, mais qu’il était préférable à long terme d’avoir une conversation avec les enfants que de passer outre et faire comme si de rien n’était.
Je vais vous donner un exemple personnel tiré de mes propres visites au camp de Shu’fat en Cisjordanie. Vous vous rendez à l’école à pied. Il y a des trous de balles dans les murs. J’étais le dernier au monde à savoir ce qu’étaient ces petits cercles de fer‑blanc. Ce sont des cartouches de gaz lacrymogène. C’est l’endroit le plus gazé au monde. Apparemment, des médecins y vont pour étudier les effets à long terme des gaz lacrymogènes. En raison de la géographie du camp, que vous soyez ou non la cible des gaz lacrymogènes, vous finirez par en subir les effets.
Mon collègue disait qu’il n’est tout simplement pas réaliste de faire semblant que cela ne fait pas partie du vécu des enfants. À Gaza, avant le 7 octobre, il n’y avait pas un enfant dans nos écoles qui n’avait pas connu de multiples incursions. N’oubliez pas que, selon notre directeur sur le terrain, avant le 7 octobre, on comptait en moyenne trois frappes de drones par jour. Il y a donc un contexte plus large à considérer.
Cependant, nous sommes tout à fait d’accord pour dire qu’il faut s’occuper de la matière qui ne correspond pas aux valeurs de l’ONU dans les manuels scolaires. Pour parler franchement, madame la sénatrice, c’est un peu frustrant. Il y a une mesure législative aux États-Unis qui dit d’une part que notre office est l’expert en la matière, et d’autre part qu’elle vise à encadrer notre enseignement. Ce qu’on nous demande de croire essentiellement, c’est qu’après avoir examiné les 13 000 pages de manuels et identifié la matière litigieuse, nous devrions faire comme si nous n’avions rien fait à ce sujet. C’est le problème que nous avons. Je dois admettre que je sais que la ministre des Affaires étrangères Colonna a dit — à juste titre — qu’une seule allusion est une allusion de trop. Nous allons donc aller plus creux dans cette affaire. Elle a des recommandations précises que nous allons mettre en œuvre.
La présidente : Dans son récent rapport sur l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient, ou UNRWA, le Groupe d’examen indépendant fait observer que l’UNRWA est incapable de fournir suffisamment d’aide humanitaire aux personnes qui en ont besoin. Il propose que l’UNRWA noue plus de partenariat avec d’autres agences et organismes des Nations unies, de manière ponctuelle et temporaire, dans le plein respect de son mandat. Pouvez-vous expliquer pourquoi certains intervenants s’inquiètent de l’affaiblissement du mandat de l’UNRWA? Quels sont les obstacles et les avantages possibles liés à ce genre de partenariats?
M. Deere : Permettez-moi de prendre un instant pour dire que ce sont de très bonnes questions. Merci à vous tous.
J’espère que vous aurez l’occasion de rencontrer notre commissaire général, parce que c’est exactement ce qu’il proposait il y a deux ans. Après avoir examiné la situation financière dans son ensemble, il a dit : « Les choses ne s’améliorent pas. Nous ne pouvons pas continuer à traîner une dette aussi importante qui s’alourdit d’année en année. » Une partie du problème que pose l’accumulation de cette dette au fil des ans, c’est que nous avons une très vaste installation à entretenir. On y trouve des entrepôts, des véhicules et bien d’autres choses. Les infrastructures ne sont pas entretenues. Il a donc réfléchi à cette idée de partenariat avec le secrétaire général. Nous avons entendu les préoccupations exprimées par les pays d’accueil.
En fait, sénatrice, le rapport Colonna aborde également l’une des difficultés de la commission consultative de l’UNRWA. En effet, comme cette commission se compose de pays d’accueil et de donateurs, il est difficile d’obtenir un consensus. Selon le rapport Colonna, ce problème est sans cesse repoussé et l’office se retrouve privé des conseils d’une commission consultative. Nous faisons donc notre possible.
Voyez ce qui se passe en ce moment à Gaza où il existe un extraordinaire partenariat entre divers organes des Nations unies. Nous gérons le poste frontalier de Karem Abu Salem et nous gérons le carburant qui est acheminé vers les entrepôts où tout le monde détermine où il sera distribué et qui dirigera le convoi. Un avis est ensuite émis. Il est regrettable que le gouvernement israélien ne permette pas à l’UNRWA de diriger des convois vers la partie nord, mais il nous autorise à faire partie de ces convois. Un exemple qui illustre bien cette extraordinaire coopération, c’est le cas du camion du Programme alimentaire mondial qui est allé au mauvais endroit. Il a fini par se retrouver dans nos entrepôts et nous l’avons dirigé vers l’endroit où il devait se rendre.
Votre question sous-jacente est pertinente. Pour les pays d’accueil et les réfugiés palestiniens, toute réduction des activités de l’office est une sorte de référendum sur le soutien mondial à leur cause. Il y a donc un travail de persuasion à faire, non seulement pour le financement, mais pour faire comprendre aux gens pourquoi nous faisons ce que nous faisons.
La présidente : Je vous remercie.
Il nous reste environ six ou sept minutes, et nous avons deux sénatrices au deuxième tour.
La sénatrice Omidvar : Permettez-moi de recentrer la discussion sur le Canada, parce que notre rapport contiendra des recommandations à l’intention de notre gouvernement. Nous pouvons évidemment faire des recommandations aux Nations unies et à l’UNRWA, mais je pense que nous aurons beaucoup plus de poids quand nous faisons des recommandations à notre gouvernement. Selon vous, que devrait faire le gouvernement du Canada à l’égard de l’UNRWA, en matière de financement, par exemple? Je crois comprendre que les contributions sont volontaires. Que devrait faire le Canada pour aider à protéger les travailleurs humanitaires à Gaza? Que devrait faire le Canada pour fournir des visas aux Gazaouis en détresse qui souhaitent venir au Canada?
M. Deere : Sénatrice, vous me placez dans une situation délicate parce que je suis un employé des Nations unies — et j’en suis fier — et nous apprécions énormément tous nos États membres. Nous pouvons leur faire des suggestions, mais nous ne pouvons pas leur dire quoi faire. Nous ne participons pas aux pourparlers avec leurs gouvernements.
Voici ce que je peux dire. L’entente pluriannuelle que le Canada a signée avec l’UNRWA est à mi-parcours. Elle prévoit le versement de 25 millions de dollars par année, dont 4 millions, je pense, sont en fait réservés aux activités de neutralité. Je vous donne ces chiffres de mémoire, mais si je me trompe, je les corrigerai aux fins du compte rendu. À mon avis, le Canada est un chef de file sur les enjeux de neutralité. Le Canada s’intéresse beaucoup aux relations sans surprise, comme je les appelle et dans lesquelles je crois. S’il y a une bonne nouvelle, c’est moi qui suis le premier à vous l’annoncer; s’il y a une mauvaise nouvelle, c’est aussi moi qui vous l’annonce en premier, malheureusement. À mes yeux, l’ambassadeur Rae est un leader dans les dossiers de l’UNRWA à l’Assemblée générale. Si je suis venu ici, c’est notamment parce que je voulais vraiment avoir un prétexte pour venir vous remercier en personne. C’est toujours une question d’argent, sénatrice. Nous sommes au bord d’un gouffre financier. Il nous manque environ 270 millions de dollars parce que notre principal contributeur a décidé de suspendre son aide jusqu’en mars de l’an prochain. Nous avons toujours besoin de soutien. Je sais qu’en plus des 25 millions de dollars qu’il verse à l’UNRWA, le Canada a versé 100 millions en réponse à la crise humanitaire à Gaza. Sur ces 100 millions de dollars, je pense que 20 millions sont allés à l’UNRWA pour ce volet de nos activités.
La sénatrice Pate : Je tente peut-être d’obtenir la même information que la sénatrice Omidvar, mais si vous pouviez concevoir le modèle idéal de financement pour l’UNRWA, que proposeriez-vous?
M. Deere : Cette décision appartient à des gens beaucoup plus haut placés que moi, sénatrice.
La sénatrice Pate : Je vous demande seulement quelques idées. Je ne vous demande pas d’engager la responsabilité quiconque.
M. Deere : Voici donc des idées très personnelles. L’UNRWA est une organisation opérationnelle qui doit étudier l’éventail complet des idées, que ce soit pour encourager tous les États donateurs à conclure des ententes pluriannuelles — et nous avons besoin d’ententes pluriannuelles dont les fonds ne sont pas affectés à un usage particulier — afin que nous puissions déployer nos ressources au moment où nous en avons besoin et là où nous en avons besoin. Il est également légitime de réfléchir au rôle des autres agences onusiennes, même si cela ne règle pas le problème d’argent; les fonds sont simplement transférés à quelqu’un d’autre. Comme l’UNRWA est une organisation opérationnelle dont le budget provient de donateurs bénévoles, il y aura des discussions. Il y a deux ans, en fait, il a été question d’élargir le rôle des cotisations régulières dans le fonctionnement de l’UNRWA. Nous avons plus de 170 patrons à l’Assemblée générale, et ils ne sont pas d’accord sur ce point.
Il existe diverses options, et c’est d’ailleurs pourquoi je pense que le rapport Colonna est si important. Il est vraiment équitable, équilibré et porte sur un grand nombre de sujets, notamment sur la commission consultative et les difficultés d’obtenir un consensus parmi les différents pays d’accueil et donateurs. En toute franchise, c’est nous qui en subissons les conséquences. Tout le monde prend ses distances, mais nous, nous ne pouvons pas le faire. Nous devons gérer un système scolaire, un réseau de soins de santé, des services sociaux et ainsi de suite.
La présidente : Nous n’avons plus de temps. Très brièvement, vous demandez 1,2 milliard de dollars. Quelles sont vos chances d’obtenir un tel montant, selon vous?
M. Deere : Sénatrice, je suis payé pour être optimiste. Nous demandons toujours plus que ce que nous recevons. Le budget de base du programme est d’environ 860 millions de dollars. C’est le nerf de la guerre. Cet argent sert notamment à payer les salaires. En fait, le héros méconnu de l’UNRWA — ayant déjà travaillé au comité des crédits à Washington, je pensais m’y connaître en chiffres —, mais le véritable génie des chiffres est le dirigeant principal des finances de l’UNRWA, parce qu’il prend des engagements, sans vraiment savoir quand et si les fonds arriveront, et, comme par magie, il paie les salaires tous les mois, bon an mal an. C’est un défi, parce que nous sommes un organisme opérationnel. Ce n’est pas comme si vous manquiez d’argent pour payer un employé chargé de la mise en place de programmes. Vous devez rémunérer des enseignants, des médecins, des infirmières et les gens qui livrent la nourriture à Gaza, par exemple. Même avant le 7 octobre, l’UNRWA payait 60 % des produits alimentaires de base importés à Gaza chaque mois.
La présidente : Monsieur Deere, c’est tout le temps que nous avons. Je vous remercie sincèrement d’être venus témoigner et d’avoir accepté de participer à cette importante étude. Votre aide dans le cadre de notre étude est grandement appréciée.
Honorables sénateurs, permettez-moi maintenant de vous présenter notre deuxième groupe de témoins. Chaque témoin a été invité à faire une déclaration préliminaire de cinq minutes, après quoi nous passerons aux questions des sénateurs.
Accueillons parmi nous Payam Akhavan, professeur de droit international et titulaire de la chaire des droits de la personne au Collège Massey de l’Université de Toronto, et Fen Hampson, professeur chancelier à l’Université Carleton et président du Conseil mondial pour les réfugiés et les migrations. J’invite maintenant le professeur Akhavan à prononcer sa déclaration. Nous entendrons ensuite le professeur Hampson.
[Français]
Payam Akhavan, professeur de droit international et titulaire de la Chaire des droits de l’homme, Massey College, Université de Toronto, à titre personnel : Merci beaucoup de m’avoir invité à cette réunion du Comité sénatorial permanent des droits de la personne. Je parlerai aujourd’hui de l’impact du changement climatique sur les déplacements forcés dans le monde. Je le fais sur la base de mon expérience en tant que conseiller juridique auprès de la Commission des petits États insulaires sur le changement climatique et le droit international, et également sur la base de mon expérience avec d’autres pays vulnérables.
[Traduction]
La dernière fois que j’ai témoigné devant ce distingué comité, c’était le 31 octobre 2018, au sujet de la crise des réfugiés rohingyas.
Je suis retourné au Bangladesh au début de l’année et j’ai eu l’occasion de me rendre à nouveau à Kutupalong, le plus grand camp de réfugiés au monde. Près d’un million de Rohingyas ont traversé la frontière dans la région de Cox’s Bazar, surtout en 2017, fuyant le génocide perpétré par les forces militaires du Myanmar. Cette fois-ci, je me trouvais au Bangladesh pour parler des répercussions des changements climatiques sur les droits de la personne et, en particulier, de l’alarmant déplacement forcé qui fait que près de 2 000 personnes affluent chaque jour dans la capitale surpeuplée de Dhaka.
Le Bangladesh est un pays densément peuplé, situé à basse altitude et traversé par de nombreuses rivières qui descendent de l’Himalaya pour se jeter dans le golfe du Bengale. La situation y est catastrophique en raison de la hausse constante des températures, de la fonte des glaciers de l’Himalaya, de l’élévation du niveau de la mer dans le delta du Bengale, des inondations et de l’érosion sans précédent, de l’intensification des événements météorologiques extrêmes pendant la mousson, de la salinisation des sources d’eau douce, de l’insécurité alimentaire et de divers autres facteurs dus aux changements climatiques.
Le gouvernement estime que, d’ici 2050, plus de 13 millions de personnes au Bangladesh seront déplacées à cause des changements climatiques. Le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés estime qu’à l’échelle mondiale, plus de 20 millions de personnes ont déjà été déplacées de force en raison des changements climatiques. Ce nombre ne fera qu’augmenter au fur et à mesure que les températures augmenteront. La migration climatique devrait s’intensifier au cours des prochaines années et l’Institute for Economics & Peace prévoit que, d’ici 2050, il pourrait y avoir 1,2 milliard de personnes déplacées dans le monde.
Ailleurs, dans de petits pays insulaires comme l’État des Tuvalu dans le Pacifique Sud, où j’ai eu l’occasion de me rendre récemment, le gouvernement doit faire face à l’évacuation de la totalité de ses habitants en raison de l’élévation du niveau de la mer qui risque de submerger le territoire terrestre du pays. Un pays entier risque de disparaître à cause des changements climatiques. Nous pourrions choisir de rester indifférents au sort des 10 000 Autochtones vivant sur une île éloignée, mais ce qui leur arrive aujourd’hui nous arrivera demain. Les petits États insulaires sont le canari dans la mine de charbon de la crise climatique, un avertissement que nous devons agir dès maintenant, pendant qu’il est encore temps.
Madame la présidente, la réalité du réchauffement planétaire et l’échec manifeste des grands pollueurs à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre sont sans doute devenus la plus grande menace pour la sécurité humaine. Le réchauffement climatique est en train de devenir la principale cause de déplacement forcé dans le monde et, tôt ou tard, il changera radicalement la conception que nous avions jusqu’à maintenant des réfugiés et de la migration, en fait, des droits de la personne et de la sécurité.
Nous savons que lorsque les droits de la personne sont respectés, lorsqu’il y a reddition de comptes pour des violations à grande échelle, la probabilité d’un exode massif de réfugiés est faible. Nous savons que nous devons renforcer le droit international en matière de droits de la personne ainsi que les institutions comme comme les Nations unies, la Cour internationale de justice et la Cour pénale internationale. Ce n’est toutefois pas suffisant. La crise climatique est devenue une menace réelle pour les droits de la personne, en fait, une menace réelle pour la vie, la santé et la sécurité. Elle exige des changements en profondeur dans le système de gouvernance mondiale qui, à ce jour, n’a pas réussi à répondre à l’urgence de réduire, de manière immédiate et radicale, les émissions de gaz à effet de serre générées par l’activité humaine.
Selon le consensus scientifique du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, afin d’éviter des dommages catastrophiques, il aurait fallu limiter l’augmentation de la température à 1,5 degré Celsius au-dessus des températures de l’ère préindustrielle, d’ici 2100. Cependant, d’après la tendance actuelle, nous devrions enregistrer 2,8 degrés Celsius de plus, soit le double du seuil maximal. Les déplacements forcés qui en résulteraient à l’échelle mondiale seraient bien pires que durant toutes les guerres et tous les conflits réunis. Nous devons repenser les droits de la personne et les déplacements forcés à la lumière de cette réalité.
Ce débat n’a rien d’idéologique. Ce n’est pas une vérité contestée sur l’échiquier politique, entre la droite et la gauche ou quoi que ce soit d’autre. Le réchauffement planétaire est une réalité scientifique implacable, irréfutable, qui a et qui aura de graves répercussions si nous ne changeons pas de cap. Cela étant, j’exhorte respectueusement cet éminent comité à tenir compte de cette réalité dans son analyse des déplacements forcés à l’échelle mondiale, de sorte que, forts de cette prise de conscience, nous puissions au moins commencer à réfléchir à des solutions créatives qui contribueront à faire en sorte que les générations futures puissent continuer de vivre sur cette planète dans la dignité et la sécurité.
Je vous remercie de votre attention.
Fen Hampson, professeur chancelier, Université Carleton, et président, Conseil mondial pour les réfugiés et les migrations, à titre personnel : L’Amérique du Nord est confrontée à un défi croissant en matière d’immigration et de migration. La crise permanente qui se déroule à la frontière entre les États-Unis et le Mexique, qui a fait l’objet de 2,5 millions de soi-disant « rencontres » à la frontière par des représentants américains, touche également le Canada. Les demandeurs d’asile et les migrants illégaux ne se contentent plus de traverser la frontière sud vers les États-Unis, mais aussi à la frontière canado-américaine. En 2022, près de 40 000 personnes sont entrées au Canada à partir du seul chemin Roxham, et en 2023, près de 92 000 demandeurs ont été enregistrés.
Cependant, on constate aussi une augmentation rapide des flux de migrants en sens opposé. En 2021, il y a eu un total de 27 000 rencontres à la frontière terrestre du Nord par des fonctionnaires américains. En 2022, ce chiffre avait bondi à 109 000 et il est passé à 189 000 en 2023. Il comprend ceux qui arrivent légalement et demandent l’asile et ceux qui arrivent illégalement. En 2023, il y a eu plus de 10 000 arrestations illégales de migrants venus du Mexique, d’Inde et du Venezuela qui franchissaient la frontière canado-américaine vers le sud.
Il est important de reconnaître que ce ne sont pas seulement les Centraméricains et les Sud-Américains qui empruntent les couloirs de migration en Amérique centrale et au Mexique, mais aussi des Africains, des Asiatiques et des ressortissants du Moyen-Orient.
Qu’est-ce qui explique ce flux sans précédent? D’abord, la recherche de nouvelles opportunités économiques, puis l’échec de l’État, la corruption, la répression, la violence et l’exploitation sexuelles et, comme vient de le dire mon collègue à ma droite, il y aussi les changements climatiques et les catastrophes écologiques.
J’attire votre attention sur le rôle de la violence des gangs et du crime organisé qui contribue aux problèmes migratoires. Il s’agit de trois grands groupes : le gang de rue Mara, les passeurs de drogues d’Amérique centrale et les cartels de la drogue mexicains. Ces groupes modifient leur modèle commercial et se détournent de la drogue pour préférer les revenus relativement stables que leur procure le nombre croissant de personnes tentant de fuir la violence et l’exploitation sexuelle dans leurs communautés locales.
Les gangs mexicains comme le cartel Sinaloa et Los Zetas estiment que le Canada est un endroit hospitalier où faire des affaires dans le trafic de drogue, de blanchiment d’argent, de passage de clandestins et de trafic aux côtés d’autres syndicats criminels internationaux d’Inde, d’Iran, de Chine et d’ailleurs. Le problème est en partie attribuable au fait que les lois canadiennes ont été appliquées avec mollesse, que les ports du Canada sont poreux, qu’il manque de ressources pour les services de police et de renseignement, qu’il y a un manque d’inattention politique et publique et que le CANAFE, l’organisme responsable du suivi et de l’analyse de l’information sur le blanchiment d’argent, est inefficace.
Je dirais que les efforts actuels pour s’attaquer aux réseaux criminels qui sont directement ou indirectement impliqués dans les flux migratoires régionaux et internationaux nécessitent une approche régionale globale engageant les responsables de l’application de la loi à tous les paliers de gouvernement — aux niveaux local, étatique, provincial et fédéral — ainsi que les principales organisations de la société civile qui travaillent auprès des migrants dans une capacité humanitaire et de prévention des conflits.
Pour appliquer ce genre d’approche, il faudra adopter un certain nombre de mesures :
Développer une meilleure base de preuve partagée et une meilleure compréhension entre les différents pays de la région en ce qui a trait au rôle des différents groupes et aux réseaux criminels, à leurs modes de fonctionnement, à leurs sources de financement et aux territoires dans lesquels ils opèrent. Encourager les pays de la région à mettre pleinement en œuvre le Protocole des Nations unies contre le trafic illicite de migrants et les engagements connexes pris en vertu du droit international, y compris le Pacte mondial sur les migrations, en prenant toutes les mesures appropriées pour protéger les droits des migrants clandestins tout en prévenant et en combattant le trafic illicite de migrants.
Promouvoir la coopération entre les États parties, comme l’a demandé le Pacte mondial pour les migrations.
Adopter une convention régionale contre le trafic illicite de migrants, qui traite des modalités spécifiques du trafic illicite et de la traite dans la région d’Amérique du Nord et d’Amérique centrale.
S’appuyer sur le pilier 4 du plan de l’administration Biden pour contrer et prévenir la violence, l’extorsion et d’autres crimes commis par des gangs criminels, des réseaux de trafiquants et d’autres organisations du crime organisé en créant un nouveau cadre institutionnel régional coopératif pour l’application de la loi, qui est dirigé par des hauts fonctionnaires au Canada, au Mexique et aux États-Unis ainsi que par des pays clés d’Amérique centrale et des Caraïbes.
Adopter une approche régionale de la formation et de la réforme novatrices de la police afin de créer un nouveau cadre de forces de police professionnelles en Amérique centrale.
Adopter une approche régionale pour prévenir le recrutement de jeunes dans les gangs criminels grâce à un partenariat nouveau et novateur avec des organisations de la société civile qui accompagnent les jeunes à risque et inciter le secteur privé à offrir des possibilités d’emploi et d’éducation aux jeunes. L’exemple de la Ligue d’Amérique centrale dans la Ligue centrale du Salvador fournit un modèle qui pourrait être reproduit dans toute la région.
Travailler plus étroitement sur une base régionale collective avec des organisations internationales comme l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime pour mieux comprendre le rôle plus large de la criminalité transnationale organisée dans les flux migratoires.
Enfin, à l’échelle bilatérale entre le Canada et les États-Unis, la migration illégale dans tous ses aspects devrait être régulièrement inscrite au Programme du Forum sur la criminalité transfrontalière Canada-États-Unis. Ce forum annuel est organisé conjointement par les ministres de la Sécurité publique et de la Justice du Canada ainsi que par le procureur général et le secrétaire à la Sécurité intérieure des États-Unis, qui réunit des responsables de l’application de la loi et de la justice, pour faire progresser la coopération transfrontalière sur le crime organisé. Cela pourrait servir de base à l’adoption d’une approche et d’un cadre régionaux que j’ai mentionnés plus tôt.
La présidente : Je vous remercie tous les deux de vos exposés.
Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs. Chers collègues, comme vous le savez, vous disposerez de cinq minutes pour vos questions et pour les réponses qu’elles appellent. Si vous n’avez pas assez de temps, nous pourrons toujours vous inscrire au deuxième tour.
[Français]
La sénatrice Gerba : Merci à nos témoins de leur présence ici. C’est très apprécié. Monsieur Akhavan, vous avez été impliqué dans de nombreuses instances de droit pénal à l’échelle internationale, et en particulier à la Cour pénale internationale ou au sein de la Cour internationale de justice. Lorsqu’on regarde la situation des personnes déplacées dans le monde, on peut facilement constater l’écart qui existe entre les droits dont les individus vulnérables bénéficient en théorie et leur violation sur le terrain dans la réalité. Il ressort de ce constat, et on le constate encore aujourd’hui, qu’il est difficile de faire appliquer le droit pénal international et que les diverses cours et tribunaux internationaux semblent démunis face à cette situation.
Selon vous, de quelle manière pourrait-on renforcer la mise en application du droit pénal international dans le contexte que vous avez décrit aujourd’hui? Comment les institutions qui le portent pourraient-elles davantage disposer d’un pouvoir contraignant?
M. Akhavan : Je vous remercie pour votre question, madame la sénatrice.
[Traduction]
La faiblesse du régime international des droits de la personne, qui découle d’un défaut structurel dont nous avons hérité en 1945 à l’occasion de l’adoption de la Charte des Nations unies, est une question centrale. Nous avons constaté une très nette prolifération de traités internationaux sur les droits de la personne, avec des moyens d’application intrinsèquement faibles ou inexistants. La plupart des États, en particulier les États tyranniques qui ont l’habitude de commettre des violations généralisées et systématiques des droits de la personne — lesquelles sont aussi l’une des principales causes de déplacements forcés — ne veulent pas que leur conduite soit scrutée à la loupe.
Dans une certaine mesure, ceux qui ont œuvré dans le domaine du droit pénal international, sont conscients que les crimes contre l’humanité et le génocide, contrairement aux catastrophes naturelles, sont des choix politiques. Invariablement, le recours à l’incitation à la haine et à la violence comme moyens d’acquérir et de conserver le pouvoir comporte des coûts et des bénéfices. On pourrait dire qu’il existe un lien inextricable entre la dissuasion de l’utilisation d’une telle violence à grande échelle comme instrument de pouvoir et le fait d’essayer d’atténuer, sinon d’arrêter, les flux de réfugiés, du moins dans certains cas.
Le système international des droits de la personne a subi des pressions sans précédent ces derniers temps. Après une période de croissance extraordinaire, dans les années 1990 en particulier, quand le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie et le Tribunal pénal international pour le Rwanda ont été établis — ce qui a ouvert la voie à l’adoption du Statut de Rome en 1998 —, nous avons maintenant une Cour pénale internationale, ou CPI. Elle est faible, marginalisée, privée de ressources et de plus en plus aux prises avec toutes sortes de controverses politiques. C’est une période très difficile pour ce système dont la mise au point a été laborieuse et qui est encore très fragile, mais comme je le disais, à l’instar des changements climatiques, il faudra peut-être réfléchir à l’orientation globale que pourrait suivre l’humanité dans les prochaines décennies. Ces systèmes de gouvernance mondiale que nous avons aujourd’hui sont-ils suffisants, que ce soit en ce qui concerne les changements climatiques ou l’application des droits de la personne, ou avons‑nous besoin d’un peu de politique visionnaire pour nous permettre d’aller au-delà des controverses, des différends et des conflits quotidiens qui ont accaparé une si grande partie de notre énergie?
La sénatrice Gerba : Que peut faire le Canada?
M. Akhavan : Je pense qu’il faut notamment se demander si le Canada peut jouer un rôle plus actif au sein du système onusien et repousser les limites sur le plan des changements structurels et de la transformation, éventuellement en liaison avec un groupe d’États aux vues similaires. Je me souviens qu’en 2000, au Sommet du millénaire des Nations unies, des gens comme Václav Havel et d’autres dirigeants visionnaires ont eu le courage de parler de la nécessité de transformer les Nations unies en une organisation plus vigoureuse correspondant aux réalités contemporaines et aux défis de l’interdépendance mondiale. Le Canada pourrait peut-être intervenir et jouer un rôle plus actif à cet égard.
La sénatrice Gerba : Merci.
La sénatrice Omidvar : Merci à vous deux de votre présence. J’espère que mon temps de parole me permettra de vous poser une question à chacun.
Monsieur Akhavan, je dois vous dire que, dans le cadre de cette étude, nous avons déjà parlé de changements climatiques. Je vais citer Allan Rock, l’ancien ambassadeur du Canada aux Nations unies, et le professeur James Hathaway, qui nous ont tous deux parlé des mécanismes et des pactes actuels qu’ils jugent suffisants — d’après ce que j’ai compris de leurs témoignages — pour faire face aux changements climatiques. Ils ont d’abord parlé de la Déclaration internationale des droits et des Conventions des Nations unies sur l’apatridie, parce que la plupart des déplacés climatiques le sont dans les frontières de leur pays. Pensez-vous que nous devrions être satisfaits de cette réponse?
M. Akhavan : Dans le cas des changements climatiques, et si l’on adopte une approche résolument positiviste à l’égard de la Convention de 1951 sur les réfugiés — et je signale que le professeur Hathaway m’a enseigné le droit des réfugiés il y a 35 ans —, il est difficile de mettre les changements climatiques dans le même panier que la persécution pour des allégeances politiques ou des raisons ethniques, raciales ou autres. Même si, par instinct humanitaire, nous devions élargir la définition, si vous regardez les statistiques que j’ai citées — soit 1,2 milliard de déplacés forcés d’ici 2050 —, il devient très évident qu’il va falloir adopter une approche préventive. C’est pourquoi, selon moi, une approche réactive ne servira pas à grand-chose. Cela nous ramène à ce que je propose comme étant le début d’un processus de réflexion créative sur de nécessaires changements structurels de plus grande envergure.
Mon collègue, le professeur Hampson, a également parlé non seulement des changements climatiques, mais aussi de toute la série de problèmes qui entraînent des flux de réfugiés. La réponse réside toujours dans la façon dont nous pouvons créer des circonstances telles que les gens ne deviennent pas désespérés au point de vouloir entreprendre une telle odyssée en quête d’une vie meilleure, le plus souvent au péril de leur vie.
La sénatrice Omidvar : Monsieur Hampson, vous pourriez peut-être répondre à cette question avant que je ne vous en pose une à propos de votre exposé.
M. Hampson : J’hésite à m’aventurer sur le terrain de mon collègue, mais je vais faire deux observations.
Le Canada peut certainement exercer des pressions, peut-être au côté de pays aux vues similaires, cela pour obtenir la signature de ceux qui n’ont pas encore ratifié la Convention relative au statut des apatrides. En effet, comme l’ont expliqué le professeur Hathaway et Allan Rock, il existe un fondement juridique sur la base duquel il est possible de reconnaître les droits des déplacés de force, pour quelque raison que ce soit.
Nous pourrions peut-être suivre le modèle de la Nouvelle-Zélande qui, si j’ai bien compris, s’est engagée — ou s’était engagée sous le gouvernement précédent — à accepter les personnes déplacées de force à cause des changements climatiques et à travailler éventuellement avec elles pour analyser la situation des pays de faible altitude dans la zone en vue d’appliquer, certes, une approche État par État, mais aussi une approche régionale, surtout dans le cas de la région indo‑pacifique.
En ce qui concerne les changements climatiques et les déplacements forcés, il est important de reconnaître que les communautés les plus vulnérables au Canada sont les communautés autochtones du Nord. Nous pourrions faire beaucoup plus à l’échelle régionale avec nos collègues du Conseil de l’Arctique afin d’étudier non seulement la façon dont les changements climatiques influeront sur le déplacement des Autochtones dans le Nord, mais aussi pour déterminer les mécanismes d’intervention appropriés. Il n’est pas seulement question de collaborer avec les communautés en vue de leur réinstallation, mais aussi d’intervenir en cas de catastrophe.
Au cours des deux derniers étés, avec les feux de forêt en Australie et au Canada, nous avons vu que des pays se sont unis pour lutter contre ce genre de catastrophe. Nous allons faire face à d’autres événements de même nature, et il ne s’agira pas seulement de feux de forêt. Encore une fois, je pense qu’il serait très utile de collaborer avec d’autres en matière d’aide humanitaire et d’intervention d’urgence face à de tels événements catastrophiques.
La sénatrice Omidvar : Je crois que mon temps est écoulé. Je poursuivrai au deuxième tour.
Le sénateur Arnot : Monsieur Hampson, vous proposez une approche régionale qui comporte de nombreux éléments. Considérez-vous que le Canada, en tant que puissance moyenne, est actuellement prêt ou disposé à jouer un rôle de chef de file dans l’adoption et la négociation d’une approche régionale à l’égard des questions que vous avez soulevées?
Monsieur Akhavan, vous avez recensé des faiblesses dans la gouvernance mondiale et dans le système en place. Quel espoir peut-on avoir que les États-nations parviennent à s’adapter aux pressions que vous envisagez, qui sont tout à fait réalistes, et qu’ils s’attaquent à la crise imminente des déplacements forcés dus aux changements climatiques? Y a-t-il un espoir?
Ce sont mes deux questions.
M. Hampson : En un mot, la réponse est oui. J’ai décrit les éléments sur lesquels le Canada pourrait agir, sur le plan de la criminalité. Si l’on veut avoir les dents longues, on pourrait même imaginer le Canada prenant l’initiative d’une convention régionale contre le franchissement clandestin des frontières.
Si nous voulons prendre l’initiative, je dirais qu’il nous faudra d’abord mettre de l’ordre dans nos affaires. Il est très clair que nous avons un problème d’application de la loi et de maintien de l’ordre aux paliers fédéral, provincial et local, puisque nous ne parvenons pas à contrôler les gangs criminels qui sont impliqués dans le passage de clandestins et dans la traite de personnes. Il y a des effets de va-et-vient. Ces réseaux sont en croissance. Ils sont de plus en plus forts. Ils trouvent que le Canada est un pays accueillant pour le blanchiment d’argent et d’autres types d’activités qui appuient leur modèle d’affaires, lequel ne se limite plus aux drogues et à la contrebande. Il comprend maintenant la traite de personnes.
Si nous voulons jouer un rôle de chef de file, nous devons mettre de l’ordre dans nos affaires. Ensuite, nous pourrons nous tourner vers d’autres pays, notamment dans le Sud pour les inviter à travailler avec nous. Nous ne serons pas très crédibles si nous ne le faisons pas.
Le sénateur Arnot : Vous avez témoigné devant le Sénat au sujet de la Loi sur la réaffectation de certains biens saisis, bloqués ou mis sous séquestre. Pensez-vous que cette loi pourrait être utile pour amener d’autres États régionaux à suivre notre modèle?
M. Hampson : La réponse tient en un mot : c’est oui. Je reconnais le leadership du Sénat, en particulier celui de la sénatrice Omidvar qui a porté cette question à l’attention des politiciens et du gouvernement. Je pense que d’autres États examinent le modèle canadien. Je rentre tout juste d’Europe, où le modèle canadien suscite de toute évidence beaucoup d’intérêt. Je crois comprendre qu’on tentera peut-être d’aller un peu plus loin sous la direction des sénateurs, mais en un mot, la réponse est oui.
Le sénateur Arnot : J’aimerais que M. Akhavan réponde à la question.
M. Akhavan : Merci, sénateur.
Tôt ou tard, nous devrons nous attaquer aux changements climatiques à coups de mesures de plus en plus extrêmes, qui seront rendues nécessaires par les conséquences radicales de l’inaction. La question est de savoir à quel moment les dirigeants mondiaux et la population se réveilleront et se rendront compte qu’il est moins important de faire le plein de son VUS pour cinq dollars de moins que de veiller à ce que les générations futures aient une planète sur laquelle vivre.
On remarque des signes prometteurs. Le Bangladesh a éliminé progressivement 10 centrales au charbon sur la foi de données scientifiques montrant clairement qu’il faut cesser d’utiliser les combustibles fossiles. C’est un fait scientifique. Comme je l’ai dit, ce n’est pas un débat idéologique. Je dirais qu’environ 75 % des émissions anthropiques de gaz à effet de serre sont attribuables à l’utilisation de combustibles fossiles. Si un pays comme le Bangladesh peut progressivement renoncer à utiliser des combustibles fossiles, que devrions-nous faire ici, au Canada? Il ne faut pas oublier la réalité scientifique selon laquelle le maintien des combustibles fossiles — sans parler de leur utilisation accrue, de leur subventionnement et de tout le reste — entraînera certainement des conséquences catastrophiques.
Un autre signe prometteur ces derniers temps est l’initiative prise par de petits États insulaires — comme les Tuvalu, d’une population de 10 000 âmes, que j’ai mentionnés tout à l’heure — de soulever la question des changements climatiques devant les tribunaux internationaux. N’oubliez pas que l’océan absorbe 93 % de la chaleur excédentaire. C’est de loin le plus gros puits de carbone et de chaleur excédentaire. Le Tribunal international du droit de la mer, dont le siège est à Hambourg, rendra son avis le 21 mai sur les obligations des États, y compris le Canada, en vertu de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer visant à protéger et à préserver le milieu marin. La Cour internationale de justice est actuellement saisie d’une initiative — qui vient, encore une fois, de petits États insulaires — dont l’objet est de réclamer un avis consultatif, notamment sur la question des conséquences des changements climatiques sur les droits de la personne.
Cela étant, nous disposerons très bientôt d’une jurisprudence très importante en droit international qui façonnera du même coup le droit national dans la mesure où le droit international coutumier est directement applicable par les tribunaux canadiens. C’est prometteur, mais si nous en sommes là, c’est parce que le processus prévu dans l’Accord de Paris a échoué. Il a échoué à limiter l’augmentation de la température à 1,5 degré Celsius d’ici 2100. Comme je l’ai expliqué, nous parlons maintenant d’une augmentation qui sera du double. Les petits États insulaires se tournent vers le droit international pour donner du mordant aux mécanismes par ailleurs inefficaces de l’Accord de Paris et de la Conférence des Parties, la COP. À un moment donné, je crois que nous en viendrons à un Accord de Paris 2.0, parce que l’accord actuel est clairement déficient.
Je dirai une dernière chose. On dit souvent que les droits de la personne sont le champ de prédilection des idéalistes naïfs, les réalistes s’intéressant plutôt à la sécurité militaire, à la croissance économique et ainsi de suite. Il est désormais évident que les changements climatiques auront également des conséquences catastrophiques sur l’économie, la sécurité et la capacité de gouverner des gouvernements, notamment les gouvernements autoritaires. Si vous avez une centaine de millions de personnes déplacées du bassin du Yangtze en Chine, par exemple, ce n’est plus seulement une question de droits de la personne, c’est une question de sécurité. Cela étant, la prise de conscience s’imposera d’elle-même, y compris dans des cercles où l’on ne se préoccupe habituellement pas d’environnement ni de droits de la personne.
Je terminerai en répétant que la question est de savoir à partir de quel moment les dirigeants mondiaux apporteront les changements radicaux qui s’imposent. Je pense que le Canada a un rôle très important à jouer à cet égard.
Le sénateur Arnot : J’ai une petite question complémentaire, monsieur. Je crois au pouvoir de l’éducation. L’éducation est source de savoir, le savoir source de compréhension et la compréhension source de conscience, laquelle mène à l’empathie. Vous êtes un fervent partisan de l’empathie. Je vois très clairement un lien entre l’éducation et l’empathie. Quel rôle l’éducation doit-elle jouer pour amener les citoyens canadiens à comprendre ces enjeux et à les appuyer?
M. Akhavan : Vous avez tout à fait raison, sénateur. Comme je l’ai dit, cela ne concerne pas seulement les dirigeants politiques. Cela tient aussi à notre culture de consommation où tout le monde consomme de plus en plus sans vraiment penser aux conséquences sur l’environnement et sur notre survie même. La sensibilisation du public s’impose donc.
Le professeur Hampson a parlé de l’Arctique. Certains autres en ont parlé également. Dans l’Arctique, la hausse de la température est environ quatre fois supérieure à la moyenne nationale. L’Arctique est donc dans une situation particulièrement dangereuse. D’un autre côté, je pense qu’une grande partie de la façon dont les peuples autochtones conçoivent le monde est très importante. J’ai parlé avec le premier ministre de l’État des Tuvalu — des îles de 10 000 habitants — et avec des habitants de la région, et j’estime que nous devons intégrer à notre discours public et même à notre système d’éducation la façon dont ces gens-là voient notre place dans l’univers et dans la nature. Comme je l’ai dit, ce n’est qu’une question de temps avant que nous n’ayons d’autre choix que d’admettre notre impuissance dans un conflit entre l’humanité et la nature. La nature gagnera à tous les coups.
Le sénateur Arnot : Merci beaucoup.
La sénatrice Pate : Je vous remercie de votre témoignage et de tout votre travail.
J’aimerais savoir de chacun de vous quelles seraient les meilleures recommandations que le comité pourrait formuler dans son rapport, des recommandations qui pourraient donner lieu à des changements et à une mise en œuvre censés. Je vais vous dire pourquoi je pose cette question. Une grande partie de ce qui s’est passé semble avoir été axé sur la quête de résultats, sur des actions visant à régler les problèmes constatés. Toutefois, malgré des mesures comme celles ayant consisté à trouver de nouvelles vocations à nos actifs, rien ne s’est traduit en aide humanitaire ou en engagements pour certaines des questions que vous avez mentionnées. Quelles recommandations utiles le Comité pourrait-il formuler au terme de son étude? Nous pourrions peut-être commencer par M. Akhavan.
M. Akhavan : Il y a un certain nombre de mesures. Mon distingué collègue, le professeur Hampson, en a cité quelques-unes. Je ne parlerai pas en son nom, mais l’approche régionale est loin d’être négligeable.
Pour ce qui est du point central de mon exposé, je dirais que nous devons d’abord intégrer complètement les changements climatiques dans le concept de migration mondiale forcée.
Deuxièmement, nous devons être conscients que les changements climatiques catastrophiques provoqueront des flux migratoires catastrophiques dont nous n’avons pas encore été témoins et que nous ne pourrons pas contrôler. Nous avons déjà de la difficulté à contrôler les migrants clandestins à la frontière, alors imaginez ce qui se passera si, d’ici 2050, 1,2 milliard de migrants climatiques désespérés traversent la Méditerranée en canots pneumatiques et courent le risque de mourir par noyade plutôt que de rester dans leur pays où leur situation est désespérée.
Nous devons donc adopter une approche préventive, car peu importe le nombre de murs que l’on construira, on ne pourra pas tenir des gens désespérés loin de nos côtes. Une partie de la solution consiste à faire en sorte que le Canada assume un rôle beaucoup plus vigoureux dans le processus de la COP et s’associe à certains États exposés aux effets des changements climatiques. Le Canada devrait aussi montrer la voie en donnant l’exemple dans ses propres politiques sur les combustibles fossiles et sur d’autres questions environnementales afin d’en arriver à une série d’engagements et de mécanismes d’application beaucoup plus vigoureux relativement à l’atténuation des émissions de gaz à effet de serre. Il n’y a pas d’autre moyen. Comme je l’ai dit, les données scientifiques sont très claires. Même si nous avons fait des bons technologiques, par exemple en matière de captage du carbone et autres, nous devons quand même atténuer radicalement les émissions de gaz à effet de serre. C’est la science qui le veut. Sinon, les conséquences seront l’arrivée massive de migrants climatiques dans les années à venir.
M. Hampson : Malheureusement, je n’ai pas une idée assez précise de la gamme complète des questions que vous avez examinées, j’hésite donc à vous donner des conseils généraux comme vous l’avez suggéré. C’est vraiment par modestie, parce que je pense, d’après ce que j’entends et ce que j’ai entendu du témoin précédent, que vous abordez beaucoup de questions.
J’aimerais dire qu’en ce qui concerne la migration, bon nombre des défis auxquels le Canada est confronté ont une importante dimension hémisphérique. Dans l’exposé que j’ai remis au greffier avant la réunion, j’ai présenté une série de recommandations concernant un cadre régional qui s’attaque au rôle des mauvais acteurs dans l’équation de la migration. Nous sommes portés à penser que, face à ce problème, nous n’accordons pas suffisamment d’attention au rôle de l’action humaine. Oui, il y a des facteurs comme les changements climatiques, l’échec de l’État et les privations économiques qui forcent les gens à quitter leur pays, mais il y a aussi les réseaux criminels et les acteurs opportunistes qui en profitent. Une partie du rajustement consiste à examiner ce qu’il faut faire pour s’attaquer aux acteurs opportunistes qui exploitent ceux qui sont forcés de déménager. Je pense que le comité pourrait jouer un rôle utile à cet égard, surtout dans un contexte régional, comme je l’ai suggéré.
Il a également une dimension mondiale. Il y a toute une gamme d’institutions internationales qui se penchent actuellement sur la criminalité en matière de migration, notamment l’Organisation internationale pour les migrations, l’ONUDC, entre autres. Il est important que le Canada finance ces institutions pour qu’elles puissent faire plus de travail dans ces domaines.
Le comité peut aussi envoyer un message important, comme mon collègue vient de le dire, à savoir que nous devons nous ressaisir chez nous avant d’aller dire au reste du monde ce qu’il faut faire.
La sénatrice Pate : Merci.
La présidente : J’ai deux brèves questions. Je sais que le temps est presque écoulé, et que nous avons un sénateur pour le deuxième tour.
Je parle surtout de mon expérience personnelle. Monsieur Akhavan, vous savez que j’ai travaillé avec les Rohingyas. Je crois avoir soulevé cette question pour la première fois en 2012, avec une délégation du Myanmar. Nous avons constaté une grande réticence de sa part; elle ne voulait pas aborder le sujet. Mais en 2018, lorsque nous étions au Bangladesh, on parlait de déplacer les réfugiés rohingyas sur une île. Certains ont dit craindre que l’île était en train de couler. Je ne suis pas retournée au Bangladesh. Nous étions censés y aller, mais cette visite n’a pas eu lieu. Pourriez-vous me dire où en sont les choses, monsieur Akhavan?
M. Akhavan : Merci, sénatrice.
D’après ce que je comprends, peut-être moins de 100 000 personnes ont été déplacées vers l’île. Je ne l’ai pas visitée personnellement, mais on me dit que la situation y est meilleure qu’à Kutupalong, ce qui n’est pas très difficile quand on pense à quel point les conditions sont sordides.
La réalité, c’est que la communauté internationale doit aider le Bangladesh à absorber une partie de ces réfugiés. Compte tenu de sa propre situation, le Bangladesh ne peut tout simplement pas absorber un million de personnes, du moins pas dans des conditions que les pays pourraient voir comme une invitation à envoyer encore plus de réfugiés sur le territoire du Bangladesh. La situation est que les camps se sont détériorés depuis 2018, lorsque vous et moi étions là-bas. Il y a plus de violence, de désespoir et de pauvreté. En raison du conflit en Ukraine, et maintenant du conflit à Gaza et d’autres conflits, les ressources limitées qui sont disponibles à l’échelle mondiale pour l’aide humanitaire sont acheminées ailleurs, de sorte qu’il y a une baisse notable des niveaux, par exemple, de nutrition dans les camps. Tout cela pour dire que je m’inquiète moins de la relocalisation des gens de Kutupalong. Je m’inquiète davantage de la solution à long terme. En 2018, je me souviens d’avoir rencontré une mère qui avait un bébé de six mois. Cet enfant a maintenant six ans et il n’a pas d’avenir. Il a été élevé dans un camp où il n’a pas la possibilité de partir. Ces personnes ne peuvent pas retourner chez elles, au Myanmar, et elles n’ont pas vraiment la possibilité de s’établir au Bangladesh.
Je terminerai en disant une dernière chose. Comme vous le savez, la situation actuelle au Myanmar est très complexe. Il y a une intensification des conflits armés. Les insurgés ethniques contrôlent maintenant environ la moitié du territoire, et les militaires ont perdu le contrôle de presque toutes les frontières avec le Bangladesh, la Chine et la Thaïlande. La question est donc la suivante : que va-t-il se passer dans mon Myanmar? Y aura-t-il une impasse? L’armée vaincra-t-elle les insurgés? Les insurgés vont-ils renverser le gouvernement? Bien entendu, cela aurait des conséquences très importantes sur la question de savoir si au moins une proportion importante des Rohingyas pourraient être rapatriés dans des conditions de sécurité et de dignité.
La présidente : Monsieur Hampson, j’étais récemment au Costa Rica, et nous avons eu l’occasion de visiter un établissement qui hébergeait des migrants. D’après les histoires qu’ils nous ont racontées, je ne pense pas qu’ils aient même imaginé à quel point le voyage serait difficile. Ils fuyaient la violence, mais ils ont été victimes de plus de violence et de violence sexuelle en cours de route. En fait, certains ne voulaient même pas poursuivre le voyage; ils ont dit qu’ils rentreraient dans leur pays. Comment pouvons-nous aider ce groupe vulnérable? Les autres choses dont j’ai pris conscience, c’est le mépris et les soupçons avec lesquels la population locale les regardait. J’ai entendu dire à maintes reprises qu’ils étaient paresseux et qu’ils ne voulaient pas travailler. Pourtant, nous avons parlé à ces femmes, dont certaines avaient de jeunes enfants. Je suis repartie très ébranlée, simplement pour avoir entendu leurs histoires qu’ils avaient eu le courage de raconter. Y a-t-il de l’espoir pour eux?
M. Hampson : Sénatrice, vous avez mis le doigt sur le problème de façon très éloquente. Bon nombre des migrants sont généralement, de façon disproportionnée, des femmes et des filles qui fuient la violence dans leur pays, dans leur communauté. C’est l’une des raisons pour lesquelles ils partent. Comme vous l’avez souligné à juste titre, ils sont exploités tout au long de cette route par divers criminels et gangs.
Je dirais que cela se résume à deux choses essentielles. L’une consiste à fournir un plus grand soutien aux organisations de la société civile qui travaillent avec ces migrants dans le cadre de nos programmes et politiques d’aide au développement. Par exemple, nous avons participé au Groupe de travail nord-américain sur la migration du Conseil mondial pour les réfugiés et les migrations. Nous avons, en fait, produit toute une série de rapports sur cet ensemble très complexe de questions. Il y a un certain nombre de recommandations dans ces études qui sont disponibles sur notre site Web et que j’inviterais le comité à consulter, ou que nous pourrions partager avec le comité et dont vous pourriez vous inspirer. L’une des recommandations est de travailler avec les organisations de la société civile pour créer un cadre institutionnel plus solide pour les organisations qui travaillent avec ces groupes afin de pouvoir mobiliser les ressources supplémentaires dont elles ont désespérément besoin pour aider ces personnes.
Deuxièmement, si ces migrants sont exploités, c’est à cause de la faillite de l’État dans les pays où ils se trouvent. Encore une fois, j’ai essayé de suggérer dans mon exposé certaines des mesures que nous pourrions prendre pour surveiller la violence dont ces personnes sont victimes.
Il n’y a pas de réponse facile.
La présidente : La sénatrice Omidvar et la sénatrice Pate participent au deuxième tour. Pourriez-vous poser vos questions afin que les témoins nous envoient une réponse par courriel? Nous devons accueillir les trois autres témoins qui attendent.
La sénatrice Omidvar : Monsieur Hampson, nous avons entendu dire que vous étiez un partisan convaincu des efforts régionaux sur divers fronts, et pas seulement dans la lutte contre la criminalisation de la migration régionale. Pourquoi les efforts régionaux fonctionnent-ils mieux que les efforts mondiaux? Je pense notamment au Pacte mondial sur les réfugiés. Je ne pense pas que cela ait donné des résultats. J’aimerais que vous nous disiez s’il est ressorti quoi que ce soit de positif de l’énorme effort mondial qui a abouti au Pacte mondial sur les réfugiés.
La sénatrice Pate : Ma question s’adresse à vous deux. J’ai travaillé au sein et autour du système de justice pénale pendant la plus grande partie de ma vie. Habituellement, lorsque nous centrons nos efforts sur la criminalisation, ce ne sont pas les principaux acteurs qui sont ciblés ou piégés.
L’un des problèmes que je vois — et je vois les liens entre les recommandations que vous faites —, c’est comment ces recommandations fonctionneront s’il n’y a pas aussi le genre de climat, les exigences économiques, sanitaires et sociales qui créeraient les conditions permettant de s’en prendre aux principaux acteurs, ceux qui s’enrichissent grâce à cette situation, et de changer les pratiques dans les pays d’origine. J’inclus dans cela le climat, les politiques économiques et, comme on l’a mentionné, notre économie de consommation, le fait que nous ne contestons pas nos politiques commerciales pour qu’elles soient différentes et que nous cherchons plutôt à criminaliser ceux qui essaient de fuir, en partie à cause des politiques économiques qui ont été renforcées à l’échelle internationale. C’est une grande question. C’est en partie pourquoi je vous ai demandé plus tôt quelles étaient vos recommandations. À votre avis, comment ces intersections peuvent-elles être accueillies par un nombre croissant de gouvernements qui fonctionnent dans le cadre de cycles électoraux, et qui souvent ne voient pas les avantages de ces politiques? Je vous entends dire qu’à un moment donné, il ne s’agira pas de prouver quoi que ce soit; la planète nous le prouvera sur la question des catastrophes climatiques qui mènent à la migration. Y a-t-il des recommandations que vous pourriez faire et qui pourraient nous aider à régler ce problème?
La présidente : Je tiens à vous remercier tous les deux d’être venus témoigner dans le cadre de cette étude. Nous vous sommes très reconnaissants de votre aide. S’il y a quelque chose que vous avez oublié de dire, vous pouvez toujours nous envoyer un courriel, et les deux sénatrices aimeraient obtenir une réponse à leurs questions.
Honorables sénateurs, je vais maintenant présenter notre troisième groupe de témoins. Chacun des témoins a été invité à faire une déclaration préliminaire de cinq minutes. Nous allons les entendre, puis nous passerons aux questions des sénateurs.
Nous accueillons aujourd’hui par vidéoconférence, de l’Agence des Nations unies pour les réfugiés, Jose Samaniego, directeur régional, Direction générale des Amériques, et Rema Jamous Imseis, représentante au Canada; de l’Organisation internationale pour les migrations, Diego Beltrand, envoyé spécial du directeur général pour la réponse régionale aux flux de migrants et de réfugiés en provenance du Venezuela; et veuillez également accueillir Eduardo Stein, représentant spécial conjoint pour les réfugiés et migrants vénézuéliens de la région, Agence des Nations unies pour les réfugiés et Organisation internationale pour les migrations.
Je crois comprendre que M. Samaniego, M. Beltrand et M. Stein feront une déclaration préliminaire. Ils ont été invités à décider qui prendra la parole en premier.
Eduardo Stein, représentant spécial conjoint pour les réfugiés et les migrants vénézuéliens de la région, Agence des Nations unies pour les réfugiés et Organisation internationale pour les migrations, à titre personnel : Merci beaucoup. J’aimerais commencer par saluer les honorables membres du Comité sénatorial permanent des droits de la personne et leur exprimer ma gratitude pour le soutien soutenu du Canada à l’égard de la situation des réfugiés et des migrants vénézuéliens.
Cinq ans après la création de la Plateforme régionale de coordination interinstitutions pour les réfugiés et les migrants du Venezuela, que j’ai l’honneur de représenter, la situation persiste malheureusement sans relâche. Les départs du Venezuela continuent de surpasser les retours. D’importants besoins humanitaires, de protection et d’intégration persistent, en particulier chez les nouveaux arrivants, ceux qui sont en transit et ceux qui aspirent à la stabilité dans leur collectivité d’accueil.
Malgré des progrès notables dans l’accès à la régularisation, les procédures d’asile et les autres formes de statut juridique pour les Vénézuéliens dans de nombreux pays de la région, des facteurs tels que la montée de la xénophobie et les économies nationales en crise continuent de compromettre l’intégration et la cohésion sociale. Les mouvements successifs et pendulaires s’accentuent, et l’irrégularité reste élevée.
La dernière Analyse des besoins des réfugiés et des migrants, ou RMNA, estime que 4,2 millions de personnes, soit près de 67,8 % des plus de 6,5 millions de Vénézuéliens résidant en Amérique latine et dans les Caraïbes, ont des besoins non satisfaits en matière de sécurité alimentaire, de logement, d’accès aux pièces d’identité, à l’emploi ou à l’éducation. Le plan d’intervention actuel vise à fournir de l’aide à près de 3 millions de réfugiés et de migrants, ainsi qu’aux membres des communautés d’accueil dans 17 pays, par le biais de 15 000 activités proposées par 248 organisations.
J’aimerais souligner une augmentation importante du nombre d’organisations partenaires dirigées par des réfugiés et des migrants eux-mêmes. La localisation, la responsabilisation et l’autonomisation des populations touchées sont les piliers de ce plan.
L’année 2023 a été marquée par une augmentation sans précédent du nombre de déplacements irréguliers et multidirectionnels et de mouvements ultérieurs. Également, un plus grand nombre de réfugiés et de migrants entreprennent des voyages dangereux pour atteindre de nouvelles destinations afin de trouver des solutions d’intégration plus durables. En réponse à cette situation, l’aide fournie aux personnes en transit par les partenaires de R4V en 2023 a doublé par rapport à 2022.
Les pays d’accueil ont besoin de toute urgence d’un plus grand soutien de la part de la communauté internationale pour soutenir l’élargissement des droits et promouvoir la stabilisation de la communauté. Cependant, la réponse demeure nettement sous-financée, avec seulement 22 % du financement requis reçu jusqu’à présent. Malgré cela, l’aide fournie a déjà atteint 2,18 millions de personnes en 2023.
Le PRMR est de plus en plus aligné sur le Plan d’intervention humanitaire avec le Venezuela. La plateforme travaille de façon plus cohérente avec le Processus de Quito et d’autres mécanismes régionaux pour promouvoir l’harmonisation des réponses. Le Processus de Quito s’efforce de fournir aux États un espace solide pour favoriser des politiques publiques inclusives afin d’intégrer harmonieusement les individus dans les structures socioéconomiques tout en prévenant un éventail d’abus et d’exploitations, notamment ceux ciblant les enfants et les adolescents. De plus, il s’efforce de garantir leur protection dans tous les pays d’origine, de transit et de destination. Le Costa Rica occupe la présidence intérimaire, ce qui en fait le premier pays d’Amérique centrale à assumer ce rôle. Nous apprécions et reconnaissons le rôle important que joue le Canada au sein du groupe des amis du processus de Quito.
Nous devons soutenir les initiatives fructueuses, maintenir la visibilité et assurer un financement en temps opportun pour assurer la continuité d’une intervention efficace qui répond aux besoins urgents, faciliter l’intégration des réfugiés et des migrants vénézuéliens et favoriser le développement des communautés d’accueil.
Merci beaucoup.
Jose Samaniego, directeur régional pour le Bureau des Amériques, Agence des Nations unies pour les réfugiés : Dans ma déclaration, j’aimerais compléter les propos de notre représentant spécial conjoint, en mettant l’accent sur la crise plus générale de la mobilité humaine dans l’hémisphère occidental.
J’ai quelques observations à faire sur cette crise sans précédent de la mobilité humaine dans la région. Premièrement, il y a eu une augmentation notable du nombre de personnes en déplacement dans les Amériques. Par exemple, l’an dernier, le nombre de personnes traversant le bouchon du Darién a doublé, atteignant 520 000 personnes, avec une prédominance de Vénézuéliens, suivis des Équatoriens, des Haïtiens et des Colombiens. Dans le même temps, 2,5 millions de rencontres ont été enregistrées à la frontière sud-ouest des États-Unis. Cette tendance s’est poursuivie en 2024, avec plus de 140 000 personnes qui ont déjà franchi le bouchon du Darién, avec un nombre croissant de personnes venant d’autres continents, comme la Chine et l’Afghanistan.
Derrière ces statistiques, il y a des gens qui font face à de multiples risques en matière de protection. L’une des tendances les plus alarmantes est la prévalence de la violence sexuelle et sexiste, qui touche de façon disproportionnée les femmes, les filles et les personnes LGBTIAQ+. De plus, les incidents de vol qualifié, d’extorsion et d’enlèvement aggravent les risques auxquels font face les personnes en transit, car les acteurs criminels cherchent à tirer profit de leur situation.
Le bouchon du Darién, cependant, n’est que la pointe d’une crise multidimensionnelle plus profonde à laquelle sont confrontés de nombreux pays d’Amérique latine affectés par la violence, la criminalité, la persécution et les violations des droits de l’homme, en plus de la pauvreté, du manque de possibilités et des effets négatifs du changement climatique. Il est également important de se rappeler que la grande majorité des personnes ayant besoin de protection et de soutien humanitaire sont toujours hébergées par les pays voisins d’Amérique du Sud et des Caraïbes. À titre d’exemple, plus de 84 % des Vénézuéliens se trouvent dans les pays voisins d’Amérique du Sud, et 80 % des Nicaraguayens demeurent dans le Costa Rica voisin.
J’ai quelques mots à dire sur la réponse régionale. La crise actuelle de la mobilité humaine a non seulement exposé les réfugiés et les migrants à de graves risques, mais elle a également placé de nombreux pays dans une situation économique, sociale et de sécurité extrêmement difficile. Malgré ces défis, nous restons optimistes en travaillant ensemble pour soutenir les capacités des pays et offrir des opportunités aux populations. Les solutions régionales et le modèle appliqué dans les Amériques sont possibles si nous travaillons en collaboration et de façon coordonnée.
L’approche hémisphérique, également connue sous le nom d’approche fondée sur les itinéraires, est au centre des discussions promues par la Déclaration de Los Angeles et le Sommet de Palenque. Elle comprend des initiatives impliquant les pays d’origine, de transit, de destination et de retour, avec des objectifs communs tels que le renforcement de la protection à toutes les étapes du déplacement, la promotion de la stabilité des communautés par l’intégration socioéconomique, l’élargissement des mécanismes de responsabilité-partage, et le renforcement de l’intervention humanitaire.
À ce sujet, il y a de nombreux exemples des efforts déployés par de nombreux pays de la région. Au cœur du mandat du HCR, nous avons renforcé les systèmes d’asile, décentralisé le processus de demande d’asile et amélioré la gestion des cas. Parallèlement, plusieurs États de la région ont mis en place des dispositions de séjour légal et des processus de protection temporaire, au profit de plus de quatre millions de personnes dans des pays comme la Colombie, l’Équateur ou la République dominicaine. Dans les pays d’origine, les solutions pour les PDIP sont également une priorité, y compris le processus de paix global en Colombie et les lois sur les PDIP adoptées au Honduras et au Salvador. De nombreux pays ont également facilité l’accès des réfugiés et des migrants à la santé et à l’éducation. Le Brésil et le Mexique ont également mis en œuvre des programmes d’insertion de la main-d’œuvre qui ont connu beaucoup de succès et qui ont profité à des milliers de réfugiés et de migrants.
À ce sujet, l’appui des acteurs du développement, notamment les institutions financières comme la Banque mondiale et la BID, ont aussi joué un rôle clé pour compléter les efforts des États au moyen de prêts concessionnels — plus de 5,2 milliards de dollars accordés au cours des quatre ou cinq dernières années — et de la promotion de politiques publiques.
Parallèlement, nous devrions également saluer les efforts déployés pour élargir les voies légales vers les États-Unis, le Canada, l’Espagne et d’autres pays. Les programmes de réinstallation sont passés de 9 000 en 2022 à 23 000 l’an dernier. L’objectif pour 2024 est de 80 000, dont un grand nombre sont traités dans le cadre du programme de mobilité sécuritaire mis en œuvre conjointement avec l’OIM.
Enfin, en ce qui concerne l’intervention humanitaire, la plateforme régionale R4V que M. Eduardo Stein a déjà présentée est l’un des meilleurs exemples d’intervention humanitaire coordonnée, impliquant 250 partenaires dans 17 pays.
En ce qui concerne le leadership du Canada dans les Amériques, il n’est pas surprenant qu’au cours des dernières années, le Canada ait fait preuve d’une grande solidarité avec l’Amérique latine et les Caraïbes et qu’il ait dirigé de nombreuses initiatives contribuant à la mise en œuvre de cette approche hémisphérique. Voici quelques exemples concrets :
Visibilité et mobilisation des ressources : Affaires mondiales Canada a joué un rôle important dans la mobilisation des ressources en organisant des conférences de solidarité et d’engagement en faveur de la situation vénézuélienne, ainsi qu’en apportant son soutien par le biais de facilités financières gérées par les banques de développement.
Le Canada a également participé activement aux processus régionaux, comme la Déclaration de Los Angeles, le Cadre de protection et de solutions régionales globales ou MIRPS, et le groupe des amis du processus de Quito.
Pour ce qui est de la capacité d’asile, le soutien du Canada a été essentiel pour renforcer le système d’asile dans la région et la mise en place de processus efficaces et équitables pour la recherche de sécurité. Le soutien offert par IRCC au Mexique, au Panama, au Brésil, à la Colombie, au Pérou et à l’Équateur en est un exemple.
Enfin, en ce qui concerne les solutions pour les pays tiers, le Canada s’est engagé à élargir les voies de réinstallation et les voies complémentaires, y compris les nouvelles options humanitaires fondées sur la famille et le soutien de l’Initiative pour la mobilité sécuritaire et d’autres voies légales dans les Amériques. En 2024, le Canada prévoit réinstaller près de 50 000 réfugiés dans le monde. Huit cents réfugiés viendront des Amériques, y compris des personnes recommandées par le HCR et les parrainages privés.
En conclusion, alors que d’autres ont tourné leur attention ailleurs, le rôle du Canada dans les Amériques est crucial, non seulement en tant que donateur pour répondre aux besoins humanitaires urgents, mais aussi en tant que champion de la protection des droits de la personne et du partage des responsabilités, et de facilitateur pour mobiliser un soutien supplémentaire afin de s’attaquer aux causes profondes des déplacements et de promouvoir des solutions et la stabilité pour les réfugiés et les migrants.
Diego Beltrand, envoyé spécial du directeur général pour la réponse régionale aux flux de migrants en provenance du Venezuela, Organisation internationale pour les migrations : Au nom de l’OIM, je tiens à vous saluer et à vous exprimer ma gratitude, honorables membres du Comité des droits de la personne du Sénat du Canada. Je vous remercie de nous avoir invités et de nous donner l’occasion de vous donner un bref aperçu de la situation des migrants et des réfugiés du Venezuela.
Tout d’abord, j’aimerais dire que je souscris à tous les concepts mentionnés par le représentant spécial de l’OIM et du HCR, M. Stein, et mon collègue, le directeur régional pour les Amériques du HCR, M. Jose Samaniego.
En ce qui concerne la situation des flux de migrants et de réfugiés en provenance du Venezuela qui continuent de franchir les frontières de l’Amérique latine avec une urgence alarmante, beaucoup en direction de l’Amérique du Sud et d’autres vers les États-Unis et le Canada, la vague croissante de flux irréguliers, aggravée par les traversées périlleuses du bouchon du Darién, souligne le désespoir dans la quête de la stabilité. Il y a eu une augmentation des départs du Venezuela, avec de nombreuses personnes entreprenant des mouvements secondaires dans les pays andins avant de braver le voyage à travers le Darién. Nous voyons également un certain nombre de personnes retourner au Venezuela. Pour l’instant, elles sont peu nombreuses par rapport à celles qui quittent le pays, mais toutes illustrent le scénario complexe que nous avons.
À cet égard, je tiens à souligner un autre élément qui complète cette histoire, et c’est la participation des nombreux pays d’Amérique latine et des Caraïbes qui offrent des permis de résidence, d’asile et de migration aux Vénézuéliens.
Comme on l’a mentionné, plus de quatre millions de permis ont été délivrés aux Vénézuéliens ainsi qu’aux migrants et aux réfugiés d’autres nationalités. Plus notable encore, en Colombie, le Statut de protection temporaire pour les migrants vénézuéliens a accordé un statut juridique à près de deux millions de personnes, leur permettant de travailler et d’accéder à des services de base. Au Pérou, mais en nombre plus faible, des permis temporaires sont délivrés régulièrement, ainsi qu’en République dominicaine, à Trinité-et-Tobago, au Costa Rica et en Équateur. Tous ces pays ont mis en place des régimes de régularisation. J’aimerais mentionner le Brésil, avec la possibilité pour les migrants et les réfugiés du Venezuela d’avoir accès à un programme qui nous permet non seulement de recevoir un document légal et un permis de migration, mais aussi de s’intégrer pleinement à la société brésilienne. L’Argentine et l’Uruguay offrent également des voies par le biais de l’Accord du Mercosur.
Ce sont toutes des initiatives qui témoignent très bien de la réaction de nombreux pays de la région, la majorité d’entre eux, dans un contexte dynamique, plus normalement dans un contexte contradictoire. Ces initiatives reflètent l’approche humaine et pragmatique tout en essayant d’apporter la sécurité et la dignité à ceux qui en ont le plus besoin, en soulignant la contribution précieuse de la migration au développement et au tissu social des pays d’accueil.
L’un des secteurs centraux du Plan d’intervention pour les réfugiés et les migrants est l’intégration dans toutes ses dimensions, la création de possibilités d’emploi durables pour les migrants et les réfugiés, la lutte contre la xénophobie et l’appréciation du patrimoine culturel que les populations migrantes apportent aux sociétés qui les accueillent.
Récemment, l’OIM a mené six études d’impact économique sur la migration vénézuélienne dans les pays d’Amérique latine. Ces études montrent que la migration vénézuélienne a contribué à stimuler les économies nationales par divers moyens, comme les recettes fiscales par la consommation, l’impôt sur le revenu et la création d’emplois. Voici quelques exemples que nous aimerions vous donner.
En Colombie, en 2022, les contributions fiscales directes et indirectes de la population vénézuélienne se sont élevées à plus de 592 millions de dollars par année, soit 2 % des recettes fiscales totales. Les recherches montrent que si les migrants irréguliers régularisaient leur statut à 100 %, le montant atteindrait 800 millions de dollars.
Au Panama, la contribution fiscale des migrants vénézuéliens s’élève à 4 % et leur consommation annuelle à 3 % de la consommation totale.
Au Chili, les migrants vénézuéliens contribuent à 0,5 % du PIB et cela pourrait passer à 1 % si plus de migrants étaient régularisés.
À Aruba, au Chili et en République dominicaine, les chiffres montrent également un impact positif similaire et leur augmentation potentielle liée à la régularisation.
À partir de ces données, j’aimerais souligner l’importance cruciale d’établir des voies régulières de régularisation de la migration et d’élargir les possibilités de mobilité de la main-d’œuvre.
Afin d’exploiter les talents et les compétences des migrants pour stimuler le développement économique, entre autres actions, nous avons soutenu des programmes de formation pour les organisations de la société civile vénézuélienne en vue de l’établissement d’un réseau de dirigeantes de la diaspora. Nous avons également contribué à la formation de la Chamber of Businessmen, Executives and Entrepreneurs of Venezuelans Abroad, la CAVEX.
Un autre aspect clé est la sensibilisation et la mobilisation du secteur privé. Nous devrions faire plus, mais nous devrions reconnaître l’engagement actuel du secteur privé. Nous devrions rechercher encore plus de dialogue entre les secteurs public et privé.
Enfin, en tant que coresponsable de R4V, l’OIM s’engage à continuer de travailler avec le HCR et les 248 partenaires de la plateforme régionale pour soutenir la protection, la documentation et l’intégration des migrants et des réfugiés du Venezuela ainsi que d’autres nationalités.
Nous soutenons également le travail du Processus de Quito, actuellement sous la présidence du Costa Rica, ainsi que son Groupe des Amis, par le biais du Secrétariat technique conjoint. J’aimerais ajouter à cette liste l’appui à la déclaration de Los Angeles et aux autres processus de consultation régionale en Amérique latine et dans les Caraïbes.
J’aimerais conclure mes observations en remerciant le Canada de son soutien inestimable au cours de ces années, du soutien fourni par le gouvernement, en particulier par Affaires mondiales et IRCC, et insister sur le fait que ces situations continueront de nécessiter le plus grand effort de la part des communautés internationales.
Merci.
La présidente : Merci, messieurs, de vos exposés.
Avant de passer aux questions des sénateurs, j’aimerais souligner la présence du sénateur Cardozo. Sénateur Cardozo, je vous remercie d’être parmi nous.
Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs. Chers collègues, comme nous le savons, nous avons cinq minutes pour les questions, ce qui comprend la réponse.
La sénatrice Omidvar : Merci à vous tous d’être venus.
Je dois dire qu’au cours de l’étude de ce comité, nous avons entendu beaucoup de mauvaises nouvelles. C’est un peu réconfortant, premièrement, de savoir que le Canada a joué un rôle constructif dans le renforcement des capacités et le financement et, deuxièmement, de savoir que les ententes régionales semblent fonctionner relativement bien comparativement à d’autres régions.
Monsieur Stein, pourriez-vous nous parler de certains des éléments fondamentaux de ce modèle régional entre la Colombie, le Pérou, le Brésil, l’Argentine et d’autres pays hôtes de réfugiés vénézuéliens? Quels sont les éléments qui pourraient être transposés dans d’autres régions du monde en difficulté où une telle coopération est absente?
M. Stein : Bien sûr, il y a des éléments très fondamentaux.
Premièrement, la langue en fait partie, et elle facilite beaucoup l’élaboration de structures opérationnelles transfrontalières.
Deuxièmement, l’histoire culturelle de certains pays a facilité la compréhension des programmes sociaux par des organisations religieuses. En particulier, les organisations de l’Église catholique ont beaucoup travaillé pendant plusieurs décennies en Amérique latine, et la poursuite de leurs objectifs s’est intensifiée de façon marquée après le Concile Vatican II, à la fin des années 1960.
Troisièmement, j’aimerais parler de certains pays où, pendant de nombreuses décennies, les populations d’origine n’ont pas été, d’une certaine façon, très soutenues. La situation a également beaucoup changé au cours des deux dernières décennies. Les peuples autochtones d’origine ont commencé à jouer un rôle très important en tant que communautés d’accueil. À cet égard, ils ont également mis en place des réseaux de leadership dignes de confiance qui ont facilité la façon dont des populations provenant non seulement du Venezuela mais aussi d’autres pays, comme l’a souligné Diego Beltrand, ont commencé à fusionner des activités économiquement productives au sein de ces collectivités.
Je ne voudrais pas m’engager dans des questions strictement politiques parce que tout ce continent est en train de vivre une situation très complexe, ce qui implique que la plupart des jeunes générations — les générations TikTok, comme nous les appelons dans notre coin du monde — exigent des résultats des pouvoirs publics en termes de cadres démocratiques traditionnels qui sont presque impossibles à fournir en si peu de temps. À cet égard, l’afflux de ressortissants étrangers qui parlent la même langue et qui ont des structures traditionnelles et culturelles semblables s’est avéré être l’un des moyens de faciliter le développement au niveau local.
Un dernier élément, qui est aussi extrêmement important dans certains pays, est la valeur de la diversité de la production agricole. Certains pays d’Amérique latine sont des fournisseurs mondiaux de céréales et d’autres types d’aliments. À cet égard, les possibilités de développement local, avec la mise en œuvre de nouvelles technologies, ont été largement explorées et ont connu beaucoup de succès dans plusieurs pays.
Merci.
La sénatrice Omidvar : Voilà une réponse complète.
Monsieur Beltrand, avez-vous quelque chose à ajouter?
M. Beltrand : Permettez-moi d’ajouter quelque chose à ce que notre représentant spécial conjoint a dit, madame la sénatrice.
La décision de certains gouvernements et présidents de la région, particulièrement en ce moment en Colombie, exigeait une vision pour élaborer ces programmes massifs de régularisation. Il faut beaucoup de décisions et une vision claire de la contribution positive des migrants et des réfugiés à nos sociétés. Cela s’est également produit dans d’autres pays, mais sans doute autrement que par des décisions présidentielles, par l’intermédiaire des échelons intermédiaires des gouvernements, sur les questions liées aux migrants et aux réfugiés. C’est parce qu’il y a dans la région certaines traditions d’accorder l’asile pour permettre aux migrants de s’installer dans les pays et de s’y intégrer. De nombreux pays de la région ont créé leur identité nationale grâce à la migration de différentes nationalités. En ce sens, une combinaison de décisions ont été prises dans la région, surtout positives, parce qu’elles permettent en particulier de favoriser le processus de Quito, d’échanger les pratiques exemplaires, de faire savoir aux autres pays qu’un arrangement est possible et que c’est une bonne chose pour les pays de régulariser les migrants et de leur accorder ce statut.
Bien sûr, les situations humanitaires persistent, mais nous en sommes maintenant rendus à l’étape où, dans bien des cas, nous devons mettre l’accent sur les efforts d’intégration. Cela nécessitera d’autres types de talents, qui sont liés à la notion de développement des pays hôtes.
La sénatrice Omidvar : Merci.
[Français]
La sénatrice Gerba : Merci à nos témoins de leur présence ici aujourd’hui. Ma question s’adresse à M. Samaniego. Dans votre introduction, vous avez parlé des initiatives que les États ont développées pour mettre en œuvre et aider les réfugiés vénézuéliens, notamment pour leur assurer un meilleur accès aux services de santé. Comme vous l’avez mentionné également, de nombreux pays comme la Colombie ont aussi agi dans d’autres domaines, comme l’immigration et la régularisation de millions de réfugiés.
En premier lieu, quel est le regard que vous portez sur ces initiatives, compte tenu de ce que M. Beltrand a dit, puisqu’il a insisté sur l’apport de ces migrants dans les pays où ils travaillent illégalement?
On a la preuve qu’ils contribuent beaucoup au produit intérieur brut de ces pays. Comment pensez-vous que le Canada pourrait s’inspirer de l’initiative de la Colombie, qui a régularisé la situation de plus de 2 millions de réfugiés vénézuéliens?
M. Samaniego : Merci beaucoup.
Ce qui a été essentiel quand la crise vénézuélienne a éclaté, c’est que la plupart des pays avaient au moins un cadre légal favorable en ce qui concerne l’accès universel, au moins à l’éducation, mais un peu moins pour la question des soins de santé. Ce qui a sûrement aidé aussi, c’est une proximité culturelle avec le Venezuela et une grande solidarité. Il ne faut pas oublier que le Venezuela a accueilli par le passé beaucoup de personnes qui venaient de la Colombie, de l’Équateur, du Pérou et d’autres pays.
Le second élément, après un cadre légal favorable, est une solidarité de la population et la volonté politique. Comme M. Beltrand l’a mentionné, les gouvernements ont pris des décisions très courageuses dans un cadre de crise sociale dans la région. Il ne faut pas oublier que les pays de l’Amérique latine ont été très affectés par la COVID-19. Néanmoins, ils ont promu ces mesures de régularisation et le renforcement du système d’asile pour offrir des possibilités aux Vénézuéliens qui résidaient déjà au pays. C’était une vision politique généreuse, mais aussi très pragmatique, parce que les gens étaient là et les conditions n’avaient pas changé au Venezuela. La meilleure des choses à faire pour que ces gens contribuent à l’économie et à la société en général, c’était de leur donner une documentation leur permettant de faire leur intégration.
Ce que je pourrais dire sur cela, c’est que le Canada a toujours été un champion en ce qui concerne la réception des personnes réfugiées, avec des programmes très élaborés pour des populations migrantes. Ce qui est important, c’est de poursuivre les efforts que le Canada fait déjà afin de mobiliser plus d’appui pour la région, non seulement au moyen des fonds humanitaires, mais surtout en engageant davantage les acteurs de développement. Dans la phase actuelle, c’est décisif. Il faut promouvoir l’intégration. Sinon, comme je le disais, à un moment donné, la plupart des gens ont réussi à faire une intégration partielle dans les pays, mais les États ont besoin de renforcer leur capacité sur le plan des marchés et des services. Pour cela, il faut un investissement beaucoup plus solide de la part du Canada et des autres pays de la coopération internationale.
Je ferais peut-être un seul commentaire, sénatrice Omidvar. Vous avez demandé comment nous pourrions reproduire ce modèle dans les autres régions. Le modèle qui a été mis en place pour la situation vénézuélienne repose sur trois piliers. Tout d’abord, ce doit être un processus dirigé par les États avec une volonté de dialoguer entre eux, d’échanger sur les bonnes pratiques, mais aussi sur les défis qu’ils ont eus. Plusieurs fois dans le processus de Quito, les négociations ont été très difficiles, mais ce qu’on a réussi, c’est de penser à ce qui pouvait bénéficier à ces personnes qui sont en mouvement, au-delà des considérations politiques ou autres, et qui pouvaient affecter leur intégration. On a donc vu un leadership de la part des gouvernements ainsi que des espaces de coordination. C’est le premier pilier.
Le deuxième, c’est un partenariat très inclusif avec non seulement les organisations internationales et les ONG internationales, mais aussi avec les ONG régionales. Il faut se rappeler que, dans la plateforme régionale R4V, plus de 70 % sont des partenaires locaux, des ONG, des organisations dirigées par des réfugiés. Bien sûr, plus l’éventail d’acteurs est large, mieux on peut donner un appui dans la réponse.
Le troisième pilier, c’est une coopération internationale non seulement robuste, mais aussi coordonnée. Ce qui était important justement dans ces conférences de solidarité menées par le Groupe des amis du processus de Quito, c’est d’avoir à la même table les principaux coopérants humanitaires qui font partie de la solution, de la stratégie, pas seulement comme donateurs, mais aussi comme coopérants et acteurs de développement. Je dirais que l’engagement des banques internationales comme la Banque mondiale et la Banque interaméricaine de développement a été essentiel, car même pour les gouvernements, ils ont pu montrer qu’ils ne répondent pas seuls et qu’ils ont l’appui de la communauté internationale. Il faut avoir ces trois piliers et, enfin, une grande capacité d’adaptation.
Les crises, par définition, ne sont pas stables. De 2018 à 2021, notre priorité était l’Amérique du Sud, le sud des Caraïbes. Maintenant, les flux ont changé. C’est pourquoi on parle avec l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) et d’autres partenaires pour voir comment nous pourrions avoir une couverture plus grande de la réponse, maintenant que les gens partent en Amérique centrale et en Amérique du Nord, et ce, pas seulement dans le cas des populations vénézuéliennes. Cela devient de plus en plus difficile de différencier un Vénézuélien d’un Colombien, d’un Équatorien, d’un Haïtien, parce qu’ils ont tous des problèmes et que, dans beaucoup de cas, ils ne peuvent pas retourner chez eux. On verra quelle sera la capacité d’adaptation et si on peut développer une réponse plus robuste et plus large au plan géographique, et si on peut bénéficier de l’aide humanitaire — pas seulement les Vénézuéliens, mais aussi d’autres populations en mouvement dans la région.
La sénatrice Gerba : Merci beaucoup.
[Traduction]
Le sénateur Arnot : J’ai une question pour chaque témoin.
Monsieur Samaniego, comment le HCR a-t-il adapté ses stratégies pour faire face aux déplacements forcés croissants dans les Amériques? En particulier, la pandémie de COVID-19 a exacerbé la vulnérabilité des réfugiés âgés en Amérique latine. Quelles mesures le HCR a-t-il prises pour répondre à leurs besoins uniques afin d’assurer leur inclusion dans les interventions nationales?
Madame Jamous Imseis, le Canada a été reconnu pour son leadership en matière d’établissement des réfugiés. Quelles leçons les autres pays peuvent-ils tirer de l’approche du Canada, à votre avis, et comment le HCR au Canada appuie-t-il ces efforts? Dans le même ordre d’idées, j’aimerais que vous nous parliez du succès du Projet pilote sur la voie d’accès à la mobilité économique au Canada.
Monsieur Beltrand, votre travail consiste à recueillir et à analyser des données sur les réfugiés et les migrants vénézuéliens. Comment ces données éclairent-elles les politiques et les interventions humanitaires dans les régions concernées et, surtout, quelles tendances avez-vous repérées ou observées dans la situation au Venezuela?
De même, monsieur Stein, compte tenu de l’ampleur des déplacements dans la région, comment la communauté internationale peut-elle mieux répondre aux besoins des réfugiés vénézuéliens? Plus précisément, quel rôle le Canada devrait-il jouer dans ces efforts? Merci.
M. Beltrand : Merci beaucoup, sénateur, de votre question concernant les données.
Il est essentiel de connaître les chiffres officiels. Tout d’abord, les chiffres proviennent des statistiques officielles. Les sources de ces chiffres sont les instituts de migration ou le ministère des Affaires étrangères ou d’autres portefeuilles qui sont chargés de recueillir des données sur les migrants et les réfugiés dans chaque pays; ce sont donc des sources officielles. Il n’y a pas la moindre différence parce que c’est une information réelle et un actif qui éclaire les politiques et qui permet de prendre des décisions politiques. Plus de 7 millions de Vénézuéliens se sont établis dans le monde et plus de 6 millions en Amérique latine et dans les Caraïbes. Ce sont les statistiques officielles de chacun des pays. Les pays de la région sont reconnus comme ayant de bons systèmes statistiques pour les migrations et pour d’autres fins dans la région. Ils sont donc tout à fait valides et crédibles et reflètent la réalité.
Nous complétons ces sources officielles par nos propres sources d’information, soit des sondages et d’autres types de collecte d’information. Dans le cas de l’Organisation internationale pour les migrations, ou OIM, nous utilisons une matrice de suivi des déplacements, connue sous le nom de DTM, qui aide à dresser une image ou une photo de la situation des migrants et des réfugiés dans les régions frontalières et ailleurs dans les pays. Nous complétons aussi les sources officielles par d’autres données qui nous permettent d’avoir un portrait réel, parce que, comme vous le savez très bien, les statistiques sur la migration sont probablement les aspects les plus imprécis qui puissent exister. Par définition, les gens se déplacent, parfois seuls ou avec leur famille ou leurs amis, et il n’est donc pas facile d’avoir des données exactes. À cet égard, nous sommes vraiment très fiers d’appuyer le travail des pays de la région pour fournir et recueillir des données.
Notre travail consiste surtout à analyser ces chiffres et à y déceler des tendances. Je pense que la deuxième partie de votre question porte sur les tendances. Malheureusement, on ne voit pas d’amélioration de la stabilisation des communautés en termes de pays d’origine. Dans ce cas-ci, le Venezuela a été mentionné dans d’autres présentations, mais également dans d’autres pays. Haïti, bien sûr, connaît l’une des situations les plus graves. Les gens continuent de quitter leur pays. À l’heure actuelle, il y a beaucoup de migrants et de réfugiés qui se déplacent vers différents pays. Ils essaient de s’établir au Pérou, au Chili et dans d’autres pays, puis ils retournent au Venezuela, mais ils repartent ensuite pour se rendre au Mexique et aux États-Unis, un périple très périlleux.
Nous vivons une période difficile. Il y a une augmentation à l’heure actuelle, mais en même temps, nous tirons de l’espoir des mesures de régularisation et des efforts d’intégration de nombreux pays de la région. C’est pourquoi nous demandons à la communauté internationale d’appuyer ces efforts. Le soutien accordé aux efforts d’intégration assurera la stabilité de notre région et le développement des pays hôtes.
J’espère que cela répond à la question.
Le sénateur Arnot : Merci beaucoup.
La sénatrice Pate : J’aimerais que chacun d’entre vous nous en dise un peu plus sur les mesures que, selon vous, les pays à revenu élevé comme le Canada devraient prendre pour mieux attribuer leurs ressources de manière à assurer une répartition équitable de la richesse et de l’aide aux pays qui sont à l’avant-garde de la lutte contre les déplacements forcés. De plus, comment pensez-vous que nous pourrons nous attaquer à l’échelle internationale aux inégalités économiques, climatiques, raciales et autres qui sont à l’origine d’une grande partie des tendances migratoires?
M. Samaniego : Merci. Je vais peut-être profiter de l’occasion pour parler des deux dernières interventions.
Je crois que la meilleure façon de vraiment soutenir la région est de favoriser et de renforcer les capacités dans les différents pays. Oui, le soutien humanitaire est très important. Cependant, le gros problème dans de nombreux pays d’Amérique latine et d’ailleurs, c’est la faiblesse des institutions et des instances de protection. En plus des programmes conventionnels de réinstallation, des voies d’accès légales et d’autres programmes, celles-ci recommandent de renforcer les capacités locales et d’améliorer les différents systèmes de protection, et non seulement les régimes d’asile. Il existe d’autres systèmes de protection propres aux enfants et aux femmes victimes de violence fondée sur le sexe. Ce sont des éléments essentiels parce que, à long terme, les systèmes seraient beaucoup plus durables.
Pour ce qui est de l’intégration, nous apprenons maintenant qu’une réunion sur la Déclaration de Los Angeles a été convoquée. De nombreux gouvernements soulignent que ce qu’il faut dans ce rapport, c’est que la coopération internationale vienne compléter les efforts de l’État. Encore une fois, ce n’est pas seulement une question de financement. Cela doit aller de pair avec l’élaboration de politiques publiques et de politiques inclusives pour veiller à ce que, grâce à ces politiques, nous puissions intégrer les réfugiés et les migrants à différents volets de l’économie et de l’éducation. À l’heure actuelle, le filet de protection sociale représente peut-être l’une des principales lacunes, car il sera également essentiel à la durabilité des solutions dans la région.
Vous avez parlé plus tôt du rôle de l’Agence des Nations unies pour les réfugiés, ou HCR. Le lancement de la plateforme régionale a fait suite à une décision du Secrétaire général, qui avait fait observer qu’il est très difficile d’intervenir face aux crises humanitaires actuelles en adoptant une approche conventionnelle. Il y a évidemment des migrants économiques et des situations typiques de réfugiés. Cependant, il y a de nombreuses situations comme celle du Venezuela, où différentes causes forcent les gens à se déplacer, à commencer par la violence et la persécution, mais aussi l’absence de possibilités et l’énorme crise économique au Venezuela. Le Secrétaire général a donc demandé à l’ONU et au HCR de travailler ensemble à l’élaboration de cette plateforme, qui vise principalement à éviter le travail en vase clos. L’ONU n’est qu’un des principaux composants — l’élément principal — de l’intervention. En fait, il s’agit de tirer parti de la capacité et des organisations locales et d’adapter l’intervention en conséquence. Par exemple, le rôle des banques de développement a encore été extrêmement important.
Je dirais que la principale valeur ajoutée, en plus de réunir cette plateforme du point de vue du HCR, a été d’intégrer les considérations de protection dans l’intervention et ce, à toutes ses étapes, en commençant par l’aide humanitaire. Ensuite, pour ce qui est de l’inclusion, il existe différents profils et différents besoins. De plus, dans la promotion des politiques publiques, je dirais que la COVID, en un sens, a eu un impact positif parce que les gouvernements se sont rendu compte que les gens y étaient préparés de toute façon. Comme il est question d’un problème de santé publique, la meilleure façon de le régler est d’inclure cette population dans les programmes de vaccination et d’autres. Je dirais que la principale valeur ajoutée a consisté à intégrer la protection à grande échelle à l’intervention et d’essayer de jouer un rôle de rassembleur en faisant participer différents acteurs à différents aspects de l’intervention, de l’intervention humanitaire à l’intégration des populations locales.
La sénatrice Pate : Quelqu’un d’autre veut-il intervenir?
M. Stein : Ce processus d’intégration, ou processus de régularisation, en vertu duquel vous garantissez l’existence légale des gens qui ont migré et qui essaient de gagner leur vie dans chacune des communautés, d’avoir accès aux services de sécurité sociale et d’assurer l’éducation de leurs enfants, est l’une des dimensions les plus délicates de notre travail et la façon dont les plus de 250 membres de la plateforme du sous-continent ont réussi à régler ces problèmes.
J’aimerais que nous discutions de l’ennemi le plus important qui sévit dans plusieurs sous-régions du sous-continent, et je parle ici du crime organisé. Malheureusement, l’Amérique latine souffre de l’assaut d’organisations criminelles qui ont infecté les institutions publiques dans plusieurs pays. Il n’est pas de notre responsabilité, en tant qu’organismes conjoints des Nations unies, de nous attaquer directement à ces problèmes, mais nous pouvons parler positivement, dans le cadre du processus de Quito et sur cette plateforme de coordination, du transfert de capacités mené par des sociétés et des gouvernements avancés qui ont réussi à s’attaquer aux activités du crime organisé sur leur propre territoire. Ils ont réussi à transférer une partie de ces capacités à notre propre structure institutionnelle. Dans plusieurs pays, cela implique une réforme du système de justice. Encore une fois, je dois insister sur le fait qu’il ne relève pas de notre mandat de nous mêler de ces questions, mais que, dans le cadre du processus de Quito, je dirais que des gouvernements ont réussi à distinguer les questions politiques qui étaient traitées au sein d’autres tribunes et de composer de façon aussi stricte et précise que possible avec les défis à relever, qui étaient enracinés très profondément dans la culture de plusieurs pays.
La façon dont ces expériences positives ont pu être partagées entre les différentes institutions de différents pays, sans faire de bruit, a effectivement été une source de succès récurrents dans différentes administrations. À cet égard, je dirais que nous avons beaucoup à apprendre de pays comme le Canada. Merci.
La sénatrice Pate : Merci.
Le sénateur Cardozo : J’aimerais revenir sur ce dernier commentaire et demander à Mme Rema Jamous Imseis de nous faire part de ses réflexions sur les aspects de l’établissement des réfugiés où le Canada réussit bien. Nous savons qu’il y a des lacunes. Dans quels domaines pensez-vous que nous nous débrouillons bien? Pouvez-vous nous donner des exemples de pays semblables, comme les pays de l’OCDE, qui s’en tirent mieux et dont nous pouvons nous inspirer?
Rema Jamous Imseis, représentante au Canada, Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés : Je vous remercie de la question.
Je pense que si je devais souligner le succès ou le cœur du succès du Canada en matière de réinstallation des réfugiés, je mentionnerais immédiatement l’intégration et le soutien que les réfugiés réinstallés reçoivent à leur arrivée au Canada, dans des domaines comme l’accès à l’aide sociale, à l’éducation et aux soins de santé, la formation linguistique, les cours de littératie financière. Les services que les organismes locaux d’établissement fournissent à l’arrivée accélèrent l’intégration des réfugiés réinstallés au Canada et améliorent sensiblement leurs chances de réussir à s’établir au pays, puis de passer du simple fait d’arriver et de s’installer pour prospérer et contribuer financièrement et d’autres façons au pays.
Nous avons étudié la question en profondeur et nous avons examiné les données de Statistique Canada qui appuient l’affirmation selon laquelle si l’on fournit un soutien solide à l’arrivée, les gens se débrouillent très bien. Les réfugiés finissent par payer plus d’impôt sur le revenu que ce qu’ils reçoivent en aide sociale à leur arrivée. Ils possèdent des maisons dans des proportions semblables à celles des Canadiens de naissance. Une statistique très intéressante, c’est que si des enfants réfugiés arrivent au Canada avant l’âge de 12 ans, ils obtiendront leur diplôme d’un établissement d’enseignement postsecondaire au Canada dans une plus grande proportion que celle des enfants nés au Canada.
Tout cela fait ressortir l’importance de maintenir un soutien solide à l’intégration des réfugiés réinstallés à leur arrivée. Je dois dire qu’en fait, d’autres pays se tournent vers le Canada à titre d’exemple. Le Canada reçoit fréquemment des délégations de pays comme l’Allemagne, le Royaume-Uni, l’Australie et d’autres pays qui viennent étudier ce que fait le Canada et qui essaient d’adopter des pratiques semblables.
Si je me reporte à un domaine qui, à mon avis, a été un peu plus difficile — et c’est un défi pour les fournisseurs de services d’établissement au Canada —, dernièrement, le Canada a réagi très rapidement à différentes crises dans le monde. De nouvelles voies d’accès humanitaires ont été mises en place pour les Amériques. La même chose a été observée pour le Soudan, Gaza et d’autres endroits. Je pense que ce qui est difficile pour les fournisseurs de services au Canada, c’est que chacune de ces différentes voies d’accès comporte des soutiens différents ou manque de certains soutiens. Chaque formule est assez distincte et a été élaborée pour répondre à une crise particulière. Je pense que c’est un aspect que je surveillerais de près au Canada parce que, dans les communautés de la diaspora aussi bien que dans les communautés de nouveaux arrivants, des tensions surgissent entre différents groupes. La cohésion sociale est en train de devenir un problème entre des groupes qui se demandent pourquoi la communauté X a obtenu certains soutiens alors que la leur n’en a pas obtenu autant à son arrivée. Je comprends qu’on soit enclin à réagir rapidement à différentes crises et à offrir ces moyens de sauver des vies au Canada, mais je pense qu’il est utile d’uniformiser l’approche afin que les gens aient un sentiment d’équité et d’accès aux mêmes types de soutien à leur arrivée.
Le sénateur Cardozo : Avez-vous un ou deux exemples d’autres pays qui ont un programme ici ou là qui fonctionne vraiment bien et que nous pourrions reproduire?
Mme Jamous Imseis : Pour être franche avec vous, encore une fois, je reviens au fait que le Canada se débrouille très bien dans ce domaine. Nous pourrions peut-être tirer des leçons de ce qui se fait dans d’autres pays et peut-être élargir ce que fait le Canada dans le domaine de la mobilité de la main-d’œuvre, ce dont un de vos collègues a parlé tout à l’heure, quand il a fait allusion au Projet pilote sur la voie d’accès à la mobilité économique, ou PVAME, qui vise à jumeler des réfugiés qualifiés à des employeurs au Canada. Les réfugiés sont essentiellement traités comme des migrants économiques, et ils viennent pour nous aider à remédier à certaines pénuries de main-d’œuvre au pays. Des pays comme le Royaume-Uni et l’Australie ont été en mesure d’adapter ces programmes beaucoup plus rapidement, mais il y a une raison pour laquelle ils ont pu le faire, et c’est parce qu’ils n’offrent pas la même voie d’accès à la résidence permanente à ces réfugiés à leur arrivée. On peut soutenir qu’il est préférable de procéder lentement et de façon constante, mais de fournir aux gens un horizon à long terme quand ils viendront au Canada. Pour ce faire, le processus est un peu plus ardu et exige plus de temps, alors qu’au Royaume-Uni et en Australie, on fait les offres et on fait venir les gens au pays plus rapidement, mais c’est parce que les gens conserveront plus longtemps un statut temporaire.
Le sénateur Cardozo : Merci beaucoup. J’ai trouvé vraiment intéressantes vos premières observations ayant donné suite à ma réponse parce que, même parmi les gens qui appuient l’arrivée de réfugiés, nous avons le sentiment qu’ils ne réussiront jamais à s’en sortir complètement, mais que nous faisons quelque chose de bien pour eux en espérant que la prochaine génération s’en sortira mieux. Vous dites qu’en fait, dès la première génération, les réfugiés s’en sortent relativement bien après quelques années et que leurs enfants s’en sortent bien aussi. C’est très encourageant. Merci de cette réponse.
Mme Jamous Imseis : Je vous en prie.
La présidente : Messieurs, ma question s’adresse peut-être à vous trois, et c’est une question que j’ai posée aux témoins précédents. J’étais récemment au Costa Rica, et nous avons visité un refuge pour les migrantes. Si je me fie à ce qu’elles nous racontent, je crois que certaines d’entre elles ont été choquées par l’ampleur de la violence fondée sur le sexe à laquelle elles ont été confrontées en cours de route et à quel point c’était difficile. Il y avait beaucoup de jeunes enfants là-bas. La situation semblait très désespérée. Certaines ont choisi de retourner chez elles parce qu’elles ne voulaient pas poursuivre ce voyage. Elles ont préféré retourner dans leur pays d’origine et faire face aux problèmes qu’elles avaient décidé de fuir. D’un autre côté, j’ai aussi entendu parler du ressentiment qui se développait parmi les pays hôtes. En avez-vous aussi entendu parler? Vous nous avez parlé des contributions positives des réfugiés. Je reconnais que la plupart des migrants, lorsqu’ils arrivent, apportent une contribution positive, mais je dois dire que j’ai été surprise par l’ampleur de la violence sexuelle. Les femmes ne l’ont pas dit en autant de mots, mais elles ont laissé entendre que cela a posé problème dans le cadre de leur déplacement.
M. Beltrand : Je vous remercie de la question, et surtout d’avoir soulevé certains des problèmes les plus délicats auxquelles sont confrontées les migrantes et les réfugiées au cours de leur voyage.
Vous avez raison. Ce que vous ont dit les femmes dans les refuges est tout à fait juste. Malheureusement, il y a beaucoup de violence sexuelle, de violence fondée sur le sexe et de viols, et c’est un problème qui nous préoccupe tous.
Nous développons des services pendant le voyage, sur la route, non seulement les services de l’ONU, mais aussi ceux de la société civile, le logement pour les migrants, et ainsi de suite, où, essentiellement, les migrants et les réfugiés peuvent recevoir de l’orientation et de l’aide. On sait qu’il est impossible d’empêcher beaucoup de cas qui se produisent sur les routes régulières et que les routes changent constamment en raison du travail des groupes criminels dont M. Stein a parlé, les passeurs, qui obligent les migrants et les réfugiés à transiter vers ces endroits dangereux. Nous développons des services, et nous aidons particulièrement les pays hôtes à développer davantage de services pour contrer cette violence qui touche les femmes et les enfants, mais c’est un facteur qui persiste. Vous avez tout à fait raison de soulever la question, comme je l’ai dit.
Deuxièmement, en ce qui concerne la réinstallation des communautés, permettez-moi de vous dire que les deux opinions coexistent. Cela peut paraître étrange, mais certaines d’entre elles ont cours selon la situation et le discours politique dans le pays, selon le discours politique, selon la situation économique et, bien sûr, selon l’influence de la criminalité, bien que nous soyons convaincus, et les statistiques le prouvent, que le nombre de migrants et de réfugiés impliqués dans des activités criminelles est très faible. Pour la population, la communauté d’accueil, cette opinion a pris de l’ampleur, et elle génère de fortes réactions que nous pouvons parfois comprendre de la part des pays d’accueil.
Il y a aussi une montée de la xénophobie. Bien sûr, c’est aussi un problème que nous arrivons à gérer ou face auquel nous opposons les cas de réussite de réfugiés et de migrants. Lorsque nous réussissons à montrer les bienfaits communs du processus de migration, ces opinions négatives diminuent et il y a moins de xénophobie. Je peux vous dire que, heureusement, bien qu’il y ait eu, au cours des cinq ou six dernières années, de très fortes manifestations de xénophobie, ce n’est pas le facteur dominant. Dans certains pays, il faut reconnaître que la situation est plus difficile, car dans les pays qui n’ont pas reçu beaucoup de migrants avant, les populations réagissent maintenant très fortement à ce phénomène.
Tous ces sentiments coexistent, comme je l’ai dit, et c’est notre travail, et nous essayons de faire de notre mieux pour réduire le niveau de xénophobie et de violence contre les migrants.
M. Samaniego : Pour compléter la réponse, vous avez raison, madame, lorsque vous dites que la violence sexuelle et fondée sur le sexe a augmenté, en particulier, je dirais, pour les personnes en déplacement dans des régions isolées et éloignées comme le Darién Gap, mais aussi dans des régions très peu sûres du Nord de l’Amérique centrale et du Mexique.
En ce qui concerne les stratégies que nous préconisons, je dirais d’abord qu’il faut veiller à ce que les gens restent là où ils sont. Pour cela, encore une fois, nous revenons à la nécessité d’améliorer et d’élargir les processus de documentation, et de réactiver ou d’offrir des moyens de subsistance aux populations.
Ensuite, il y a deux heures, j’étais au refuge ici. Si les gens ont des options de voies légales et différents régimes — plus de régimes pour les réfugiés, pour la migration de la main-d’œuvre —, il est certain qu’ils les choisiront. Ce serait une solution moins chère, parce que vous savez à quel point ces déplacements irréguliers peuvent être chers, et plus sûre. Dans la région, il y a non seulement une augmentation du risque, mais aussi des incidents très traumatisants dans le Darién Gap, même au Costa Rica, au Mexique, des enlèvements, des incendies et d’autres problèmes.
Le troisième point que je tiens à souligner, c’est qu’il est très difficile, dans ces coins isolés, de vraiment lutter contre toutes les formes de violence que l’on retrouve dans ces régions. Par contre, nous pouvons atténuer les risques. À ce sujet, je crois que l’expérience dans le Nord de l’Amérique centrale — du Panama au Mexique mettons, mais aussi, il y a deux ou trois ans, lorsque l’exode des Vénézuéliens a commencé dans la région andine — vise à maximiser la présence de l’État et l’aide des organisations de la société civile.
Nous sommes très fiers de dire que, dans la plateforme régionale, nous avons 250 partenaires, mais l’Église catholique, par exemple, y possède un réseau de plus de 800 services, qui fournissent non seulement une aide humanitaire, mais aussi du counseling et d’autres types d’information. Et ce qui est très important au sujet des différents refuges, c’est qu’ils sont également en mesure de repérer et de renvoyer les cas de grande vulnérabilité ou présentant des risques de protection aux différents systèmes de protection disponibles dans la région.
En ce qui concerne la xénophobie, ma foi, la situation est difficile dans toute la région, comme Eduardo Stein l’a déjà dit, en raison non seulement du ralentissement économique et des répercussions de la COVID-19, mais aussi de l’augmentation de la criminalité, qui est très présente dans les deux régions. Il y a aussi le discours toxique de certains secteurs. Là encore, le principal impact a été l’augmentation de la xénophobie, dont le résultat a été une tentative, de la part de certains gouvernements, de fermer les frontières et de multiplier les refus d’entrée. Comme M. Beltrand le disait, nous pourrions donner beaucoup d’exemples d’intégration réussie des personnes, et c’est sans parler des cas individuels. Il s’agit de 5 ou 6 millions de Vénézuéliens qui contribuent à leur société. La meilleure façon de lutter contre la xénophobie, c’est d’inclure ces gens-là dans les différentes collectivités.
À cet égard, je crois que notre principale préoccupation aujourd’hui... nous ne réservons pas notre aide aux seuls réfugiés et migrants. Notre objectif est vraiment d’étendre l’aide aux collectivités locales afin qu’elles puissent améliorer leur capacité d’accueil, mais aussi pour appuyer les services existants dans les collectivités et faire participer la population locale ainsi que les réfugiés et les migrants à des initiatives conjointes.
[Français]
La sénatrice Gerba : Je voulais justement revenir sur la montée de la xénophobie dans le monde. La présidente a posé la question et on y a répondu, mais je voulais quand même y revenir.
Monsieur Samaniego, vous avez fait des propositions de recommandations et vous avez insisté sur la coopération internationale, sur le partenariat et sur le leadership des États. Dans le contexte actuel où il y a une montée de la droite partout dans le monde, on voit les migrants qui sont déportés et les sans-papiers qui sont retournés dans leur pays. Par exemple, tout récemment, on ramène les gens au Rwanda. Évidemment, ce n’est pas leur pays, mais avec les accords internationaux, le Rwanda a accepté de recevoir les migrants et les sans-papiers britanniques. Je peux faire une liste : on a une loi sur l’immigration qui vient d’être adoptée en France, et aux États-Unis, on nous annonce que dès qu’il y aura un changement à la présidence, on mettra tous les migrants dans des bateaux pour qu’ils retournent chez eux.
Dans ce contexte, comment envisagez-vous une coopération internationale qui soit productive? Comment le Canada peut-il jouer un rôle pour ramener ses partenaires majeurs à la réalité, comme nos voisins du Sud, par rapport à la nécessité d’une coopération et d’une collaboration en ce qui concerne l’accueil, la gestion et l’intégration des réfugiés?
M. Samaniego : Vous avez tout à fait raison. Je crois que la tendance générale des États, quand ils voient la xénophobie, les problèmes d’insécurité et d’autres problèmes, c’est de mettre la faute sur la population étrangère qui arrive dans le pays. On le voit malheureusement dans beaucoup de pays. D’autre part, beaucoup d’États, comme vous l’avez mentionné, ont plutôt opté pour le renforcement des contrôles aux frontières, mais ont aussi adopté des mesures plus radicales, comme l’externalisation et des déportations massives.
Néanmoins — et je veux faire référence à l’Amérique latine ou à la situation qui existe dans les Amériques plus que sur d’autres continents —, je crois que l’histoire prouve que, quelle que soit barrière que vous créez, tout ce que cela provoque à la fin, c’est une augmentation des mouvements irréguliers de personnes. Vous pouvez mettre 10 murs et les gens continueront chaque fois d’emprunter des chemins plus compliqués et plus risqués. D’autre part, vous risquez d’alimenter les problèmes d’insécurité qu’éprouvent différents pays.
En ce sens, nous pensons — et on revient au même thème — que la seule solution est de stabiliser la population. Je crois que très peu de personnes préfèrent marcher 2 000 ou 3 000 kilomètres dans la jungle ou le désert pour arriver à un pays de rêve. Beaucoup de ces gens, même culturellement, préfèrent rester dans leur pays d’origine ou dans les pays qui se trouvent à proximité.
Par exemple, on parlait de possibilités que les différents pays peuvent donner. Maintenant, on met l’accent sur ces mouvements migratoires mixtes et sur le thème de la xénophobie, mais je crois qu’une grande partie de la population a réussi à faire une intégration très achevée.
Même en pensant que, dans la plupart des pays d’Amérique latine, on applique les principes du jus soli, après quatre, cinq ou six ans, beaucoup de ces enfants et de ces familles auront des liens très forts dans ces pays.
Nous pensons... C’est le travail que nous avons fait avec l’appui du Canada. Vous savez, la voix du Canada a été très écoutée. Ce n’est pas la première fois que les différents pays veulent mettre plus de contrôle aux frontières et que les pays veulent commencer à faire des déportations massives. Je crois que le rôle de la coopération, en particulier celle du Canada, a été non seulement... Le Canada a convoqué des conférences de solidarité pour la situation au Venezuela, mais il a aussi joué un rôle très important dans le processus de Quito et dans le Comprehensive Regional Protection and Solutions Framework, le MIRPS, en Amérique centrale. Le message que le Canada a toujours privilégié, c’est qu’il faut donner des options socioéconomiques et juridiques à ces populations, et ce, le plus possible dans le pays d’origine. Parfois, c’est un peu compliqué, parce que ces pays d’origine ont de grandes difficultés et même des gouvernements qui ne font probablement pas la promotion de solutions viables pour leur population. L’idéal, c’est vraiment de promouvoir des initiatives de développement et de protection dans les pays d’origine ou, sinon, dans les pays les plus proches.
Je crois, madame la sénatrice, qu’avec les chiffres qui continuent d’augmenter, on peut constater que cette approche qu’a promue le Canada est très valable — et elle peut être vérifiée à la lumière de ces données dans la région.
Encore une fois, malgré tous les problèmes et malgré la COVID-19, de 80 à 85 % des Vénézuéliens préfèrent rester dans les pays où ils se trouvent. Comme l’a mentionné M. Beltrand, on travaille de plus en plus en collaboration avec la réponse des Nations unies au Venezuela et à l’extérieur, parce qu’il y a des gens qui préfèrent retourner chez eux. Le problème, c’est qu’ils n’ont pas les moyens ni la stabilité requise pour y rester. La vie est trop chère, il y a trop de risques, et ils n’ont pas accès à des droits et à des services. On travaille avec l’équipe des Nations unies pour déterminer comment on peut appuyer les communautés sur le plan de la réception et de la réintégration dans les pays pour ceux qui préfèrent retourner chez eux, malgré tout ce contexte. Les chiffres sont là. Je crois que la solution n’est jamais une solution rapide, mais qu’il faut investir en protection et en intégration. C’est le seul moyen. On peut faire 50 campagnes contre la xénophobie, mais le meilleur moyen d’avoir une cohésion sociale et une inclusion totale est de promouvoir l’intégration de ces migrants dans les pays et dans les communautés qui les ont accueillis.
La sénatrice Gerba : Merci.
[Traduction]
Le sénateur Arnot : Ma question s’adresse à Mme Jamous Imseis. Étant donné la progression constante du nombre de personnes déplacées dans le monde, sur quelles stratégies le HCR du Canada s’appuie-t-il pour s’attaquer aux causes profondes des déplacements et proposer des solutions durables pour les réfugiés et les demandeurs d’asile?
Mme Jamous Imseis : Je vous remercie de la question, sénateur.
Les trois témoins vous ont parlé de différents piliers sur lesquels on travaille activement dans la région des Amériques, voire sur la planète, et qui visent les causes profondes des déplacements afin de prévenir les déplacements ultérieurs et les voyages dangereux et, essentiellement, d’essayer de composer avec un nombre sans précédent de personnes en déplacement, un nombre jamais vu depuis que nous avons commencé à recueillir ces chiffres. De fait, ces messieurs pourraient vous donner plus de détails.
Il n’appartient pas aux organismes humanitaires de s’attaquer aux causes politiques sous-jacentes de certains de ces déplacements. En effet, les réfugiés fuient les persécutions, la violence et l’insécurité qui sont en grande partie précipitées par des conflits politiques dans leur pays. Ce rôle revient à la collectivité internationale. C’est le rôle du Conseil de sécurité des Nations unies. Malheureusement, nous ne parvenons pas à nous en acquitter. Il le faut, pourtant. Il faut des solutions politiques significatives et durables pour régler ce problème.
M. Samaniego a fait état de l’importance des agents de développement et des banques dans l’aide à fournir, parce que les solutions à mettre en place ne sont pas à court ni même à moyen terme; il a parlé aussi de l’examen de certains des enjeux et problèmes générationnels que vous voyez dans les gouvernements et les pays du monde qui continuent de forcer des déplacements.
Je m’arrête là pour permettre aux trois autres témoins de répondre. Ils ont peut-être des exemples précis de la région des Amériques auxquels ils voudraient nous sensibiliser.
M. Samaniego : Sénateur, je crois que le noyau d’initiatives comme la Déclaration de Los Angeles est exactement ce dont vous parlez, c’est-à-dire le regroupement de tous les acteurs pour essayer de promouvoir la protection et les solutions aux différentes phases des déplacements.
Là encore, c’est parfois difficile dans les pays d’origine. On les quitte pour diverses raisons. Bien sûr, il y aura des situations d’exclusion économique et de tensions sociales, mais il y aura aussi des situations d’extrême violence — par exemple, la présence de gangs dans de nombreuses collectivités du Nord de l’Amérique centrale. Nous savons qu’il faudra beaucoup de temps pour s’attaquer aux causes profondes. On ne réglera pas la situation des pays ou des gouvernements violents avec, mettons, des enjeux de gouvernance. La transition prendra probablement beaucoup de temps.
C’est pourquoi nous disons qu’il est essentiel de ne pas perdre de vue l’objectif. Nous devons comprendre les causes sous-jacentes afin d’essayer de les contrer par des investissements économiques, surtout s’ils sont liés à la promotion de la politique publique. Autrement, il y aura des investissements sans changement substantiel dans les collectivités touchées. N’oubliez pas que c’est, dirais-je, l’objectif ultime, mais qu’à court terme, il faut au moins offrir des options de protection dans le même pays. Par exemple, le Honduras et la Colombie offrent différents programmes qui permettent d’opter pour une réinstallation à l’intérieur du pays. Pour ce qui est du développement de cadres juridiques, la Colombie a un cadre juridique exemplaire pour les PDIP. Si ces personnes ne trouvent pas de protection suffisante dans leur pays d’origine, il est important de leur donner au moins des options dans les pays voisins ou par les voies légales que nous avons mentionnées. Les gens doivent être en mesure de trouver des solutions de protection à court terme susceptibles d’atténuer leurs souffrances.
Je dirais que la seule façon de régler la situation actuelle est de garder à l’esprit que nous avons besoin d’une approche hémisphérique pour faire participer les pays d’origine, de transit et de destination, et pour avoir des espaces de dialogue afin de définir et de promouvoir des solutions concrètes qui pourraient constituer des solutions rapides pour protéger les personnes dans le besoin, et aussi promouvoir la lutte contre les causes profondes dans les différents pays de la région. Encore une fois, il n’est pas facile de s’attaquer aux causes profondes des déplacements, mais on peut au moins atténuer la situation dans les collectivités touchées. Les collectivités touchées par la violence, par exemple, ont besoin d’une plus grande présence de l’État. Elles ont besoin de la présence de la société civile. Elles ont aussi besoin de possibilités d’emploi et de moyens de subsistance. Cela dit, nous pouvons commencer à travailler pour atténuer les causes. Cependant, dans la plupart des situations, cela n’aura qu’un impact à long terme.
La présidente : Notre temps est presque écoulé. Alors si les questions et les réponses peuvent être brèves, je vous en serais reconnaissante.
La sénatrice Pate : Vous devrez peut-être répondre à ma question par écrit. J’aimerais savoir si les témoins ont des exemples d’interventions qui ont été utilisées. Vous avez parlé du crime organisé et de la traite des personnes. Souvent, les forces qui y sont mêlées participent aussi à la gouvernance. L’activité criminelle fait par ailleurs souvent partie de ce qui alimente la gouvernance et de même que l’instabilité de la gouvernance. Avez-vous des exemples d’interventions efficaces qui tiennent compte de ce que les approches de droit pénal ne visent souvent que les petits acteurs, sans s’attaquer aux problèmes systémiques, des exemples où ces modèles de trafic et de crime organisé sont en fait intégrés dans la gouvernance des pays?
J’ai un exemple plus précis. Lors de mon voyage en Syrie l’été dernier, il est devenu évident qu’au Canada et ailleurs dans le monde, les acteurs internationaux ne font pas leur part dans les zones de conflit pour reconstruire les structures et permettre le rapatriement des ressortissants étrangers et aider les organes de gouvernance comme l’Administration autonome à construire les structures nécessaires pour un traitement juste et équitable des personnes. Comme ils ont affaire à des millions de personnes déplacées dans leur propre pays, ils ne sont pas en mesure de soutenir pleinement leurs citoyens. Si vous avez vu des exemples où cela se fait mieux, où nous n’avons pas simplement abandonné des gens — comme en Syrie, au Soudan et ailleurs —, il nous serait utile de les connaître. Je suppose qu’il faudrait que ce soit par écrit, cependant. Merci beaucoup.
La présidente : À titre d’information pour les témoins, s’il y a quelque chose que vous pensez avoir oublié ou à quoi vous voulez répondre par écrit, le greffier fera un suivi pour obtenir vos réponses écrites. Il nous reste quelques minutes, et n’importe qui peut répondre à la question.
M. Stein : Vous avez soulevé des questions qui sont nécessairement liées à la façon dont, d’une part, un État est organisé pour prendre soin de son peuple et, d’autre part, à la façon dont il interagit avec ses voisins. Cela est de plus en plus complexe, mais aussi de plus en plus nécessaire dans le monde d’aujourd’hui.
Je vais citer des exemples de mon propre pays parce que je ne veux pas offenser les autres en mentionnant des problèmes. Un ancien chef d’État du Mexique a dit un jour, au début du XXe siècle : « Nous sommes trop loin de Dieu, mais trop près des États-Unis. » À cet égard, les petits pays d’Amérique centrale ont toujours tenu compte, à l’intérieur de leur propre échafaudage institutionnel d’institutions publiques, de leur relation avec les États-Unis, qui sont notre principal partenaire économique dans la région, mise à part l’interaction entre ces petits pays.
Quand on commence à s’occuper de la façon dont les groupes du crime organisé ont infecté les institutions publiques et pris le contrôle de leurs processus de décision en investissant massivement dans les processus électoraux locaux pour faire élire leurs maires et leurs gouverneurs, c’est qu’on veut garder les racines du transbordement aussi fluides que possible. Malheureusement, à cet égard, nous avons constaté que les autorités locales de plusieurs pays sont devenues complaisantes à l’égard de ces pratiques ou ont participé directement à leurs gains. Il est donc essentiel que les autorités locales puissent effectivement être reconnues par la population des collectivités qui les accueillent. La transparence des pratiques de gouvernement est un enjeu essentiel. Cela commence au sein de la famille, dans les écoles, et ainsi de suite, comme vous le savez bien.
Deuxièmement, si, et seulement si, on commence à s’éloigner des éléments qui, il y a quelques années à peine, faisaient partie de la dynamique de la génération de conflits dans plusieurs territoires, alors on commence à aspirer à créer les conditions propices à l’investissement étranger. L’investissement étranger amène un nombre considérable de nouvelles technologies.
Dans le cas du Guatemala, mon pays d’origine, lorsque nous essayions de terminer les négociations des accords de paix à la fin des années 1990, nous devions nécessairement compter sur des groupes de personnes qui ne résidaient pas au Guatemala, mais dans les pays voisins, et qui participaient pourtant directement à bon nombre des dynamiques de l’évolution économique de nombreuses collectivités ici. Nous vous remercions beaucoup de nous avoir donné l’occasion non seulement de répondre à la question, mais aussi de mettre par écrit certaines de nos expériences.
Nous avons un exemple au Brésil, où une opération s’occupe de définir, dans cet immense territoire, le besoin de certaines capacités. Une fois explorés ces marchés de l’emploi, on y transfère le groupe des migrants. Dans la plupart des cas, ils doivent apprendre une nouvelle langue qui, heureusement, ressemble un peu à l’espagnol. Ce genre de dynamique et de pratiques institutionnelles est en passe de devenir un modèle pour les pays voisins qui essaient de faire la même chose le plus rapidement possible.
À cet égard, ils doivent revoir sur toutes leurs structures d’enseignement, non seulement aux niveaux primaire et secondaire, mais aussi au niveau collégial — pas nécessairement pour un diplôme collégial traditionnel, mais pour des capacités techniques, comme mes collègues l’ont mentionné au début de notre échange. Avec quelques efforts d’adaptation, certains des établissements de formation qui ont connu du succès ailleurs peuvent être reproduits dans ces nouvelles options environnementales où il est possible d’absorber des gens en déplacement et commencer à relier les capacités d’investissement étranger pour créer de nouvelles possibilités d’emploi. Merci.
La présidente : Le temps est écoulé. Je remercie tous les témoins de leur comparution devant le comité. Vos témoignages nous seront très utiles dans nos délibérations et notre étude.
(La séance est levée.)