LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES DROITS DE LA PERSONNE
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le lundi 25 novembre 2024
Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd’hui à huis clos, à 16 h 32 (HE), avec vidéoconférence, pour examiner les problèmes qui peuvent survenir de temps à autre relativement aux droits de la personne en général.
La sénatrice Salma Ataullahjan (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Bonjour, mes chers collègues et monsieur Nair.
Je tiens d’abord à souligner que les terres sur lesquelles nous nous réunissons se trouvent sur le territoire traditionnel, ancestral et non cédé de la nation algonquine anishinabe. Elles abritent maintenant de nombreux autres peuples des Premières Nations, des Métis et des Inuits de l’île de la Tortue.
Je suis Salma Ataullahjan, sénatrice de Toronto, en Ontario, et présidente de ce comité. Aujourd’hui, nous tenons une audience publique du Comité sénatorial permanent des droits de la personne. J’invite les honorables sénateurs à se présenter.
La sénatrice Bernard : Wanda Thomas Bernard, de la Nouvelle-Écosse, territoire mi’kmaq. Je suis moi-même vice‑présidente. Soyez les bienvenus.
La sénatrice Senior : Paulette Senior, de l’Ontario.
La sénatrice Osler : Flordeliz Osler, du Manitoba, territoire visé par le Traité no 1, terres ancestrales des peuples anishinabe, oji-cri, dakota et déné et terre natale de la nation métisse de la rivière Rouge.
Le sénateur Arnot : David Arnot, de la Saskatchewan. Je vis sur le territoire et la terre natale des Métis visés par le Traité no 6.
La sénatrice Pate : Kim Pate. Je vis ici sur le territoire ni cédé ni abandonné des Algonquins anishinabeg. Bonjour et bienvenue.
[Français]
La sénatrice Gerba : Amina Gerba, du Québec.
[Traduction]
La présidente : Je souhaite la bienvenue aux sénateurs et à tous ceux qui suivent nos délibérations.
Avant de commencer notre étude, j’aimerais souhaiter la bienvenue à la sénatrice Osler, qui vient de se joindre au Sous‑comité du programme et de la procédure de notre comité. Bienvenue, sénatrice Osler.
Aujourd’hui, conformément à son ordre de renvoi général, notre comité poursuit son étude sur la vie après la famille d’accueil.
Avant d’accueillir nos témoins, je devrais vous mettre en garde sur le contenu de cette réunion. Les sujets délicats abordés aujourd’hui peuvent être des déclencheurs pour certaines personnes qui sont avec nous dans la salle ainsi que pour ceux et celles qui nous regardent et qui nous écoutent. Un service de soutien en santé mentale est offert à tous les Canadiens par téléphone et par message texte au numéro 988.
Nous rappelons également aux sénateurs et aux employés du Parlement que le Programme d’aide aux employés et à leur famille du Sénat est à leur disposition. Il offre des services de counseling à court terme sur les préoccupations professionnelles et personnelles ainsi que des services de counseling en situation de crise.
Cet après-midi, nous entendrons trois groupes de témoins. Pour chaque groupe, nous entendrons d’abord les témoins, puis les sénateurs qui sont autour de la table poseront leurs questions.
Je vais maintenant présenter notre premier groupe de témoins. Nous avons demandé à notre témoin de faire une déclaration préliminaire de cinq minutes. Je souhaite la bienvenue à M. Prasad Nair, directeur de Réussite et innovation de la Société d’aide à l’enfance de Peel.
J’invite maintenant M. Nair à faire sa présentation.
Prasad Nair, directeur, Réussite et innovation des jeunes, Société d’aide à l’enfance de Peel : Merci beaucoup, madame la sénatrice.
Bonjour, honorables sénateurs. Vous formez un éminent groupe d’experts du Sénat.
Avant de commencer, je tiens à souligner que je suis reconnaissant d’avoir l’occasion de vivre et de travailler dans ce pays, dont l’histoire remonte à des milliers d’années. En faisant partie de cet organisme, je n’ai pas toujours été juste envers les jeunes générations.
L’aide à l’enfance a un passé dont nous ne pouvons pas toujours être fiers — je ne le suis pas —, mais je vois ici une occasion de réécrire l’avenir en demandant à certains des esprits les plus puissants du Canada de continuer à collaborer pour nous édifier un avenir brillant.
Je m’appelle Prasad Nair, et je suis directeur de Réussite et innovation des jeunes à la Société d’aide à l’enfance de Peel, la SAE. Cet organisme de protection de l’enfance est situé dans la région de Peel, en Ontario, et il soutient les enfants, les jeunes et les familles.
La SAE de Peel offre aux jeunes des programmes et des services essentiels pour assurer leur sécurité et leur bien-être et pour leur trouver des occasions de réussite.
Je suis également directeur du Centre d’excellence en matière d’immigration pour la protection de l’enfance, un chef de file national qui s’occupe du recoupement entre le bien-être des enfants et l’immigration. Ce centre offre son expertise et défend les intérêts des enfants et des jeunes qui ont un statut d’immigrant précaire, en s’efforçant de répondre à tous leurs besoins.
Mais rapprochons-nous du sujet de votre étude. Après avoir quitté les services gouvernementaux et les foyers d’accueil, les jeunes se heurtent à des défis de taille. Ils font face à de l’instabilité financière, à des troubles de santé mentale et de développement ainsi qu’aux définitions incohérentes de l’admissibilité aux services. Comme leur statut d’immigrant n’est pas résolu, ils n’ont pas accès aux services de base, ils n’ont pas de logement stable et risquent souvent d’en être expulsés.
Parmi les innovations positives que nous avons trouvées efficaces, il y a le soutien à l’éducation non seulement pendant la transition, mais dès le début de la prise en charge. Nous portons beaucoup d’attention au système scolaire. Il faut comprendre que les jeunes pris en charge souffrent de traumatismes et font face à des défis qui en découlent. Par conséquent, notre système scolaire devrait les considérer comme une population prioritaire afin de leur fournir les services et le soutien dont ils ont besoin.
De plus, la gestion de cas des jeunes ne devrait pas se terminer à un âge fixé de façon artificielle. À l’heure actuelle, les provinces et les territoires mettent fin à la prise en charge à des âges différents. Certaines provinces le font à 18 ans, d’autres à 19 ans. Certaines provinces fournissent des services complémentaires jusqu’à 21 ans, et d’autres jusqu’à 23 ans. Il serait utile d’uniformiser ces âges limites.
Nous recommandons l’élaboration d’une politique qui présente une définition universelle des services à la jeunesse. Elle devrait aussi considérer les jeunes en transition, les enfants pris en charge et les enfants pris en charge en transition vers la fin de la prise en charge comme une population prioritaire. Il ne suffit pas pour cela d’assurer un financement, mais d’affecter également des ressources importantes à nos services sociaux. Cela comprend les services de logement, les services juridiques et les services de santé mentale. Il faudrait aussi essayer de tirer parti des services intégrés de santé mentale et de logement ainsi que des cours d’éducation et de formation professionnelle gratuits.
En fournissant ces services, nous devons veiller à ce qu’ils soient adaptés à la culture des jeunes. De plus, il faut tenir compte du fait que les jeunes sont généralement portés à l’attention des services de protection de l’enfance à la suite d’autres échecs du système. Par conséquent, au lieu d’apporter des changements au moment de la crise, les décideurs devraient examiner les investissements à effectuer en amont, notamment dans des services d’immigration et d’installation au pays.
En conclusion, je dirai que les jeunes qui sortent d’une famille d’accueil ne méritent pas seulement de survivre. Il leur faut bien plus que cela. Ils devraient vivre avec espoir. Nous devrions offrir aux jeunes un espace où ils puissent développer un sentiment d’appartenance et de fierté. Ils méritent de pouvoir s’épanouir. Il est de notre responsabilité collective de combler les lacunes systémiques qui rendent ces jeunes vulnérables et de veiller à ce qu’ils aient accès aux ressources, aux services et aux occasions qu’il leur faut pour réussir. Un logement stable, un soutien en santé mentale, des études postsecondaires gratuites et la résolution de leur statut d’immigrant sont des étapes cruciales vers cet objectif.
Je vous remercie de m’avoir invité à vous parler de ces questions cruciales. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions et de soutenir davantage votre important travail. Merci.
La présidente : Merci. Je passe maintenant aux questions des sénateurs. Je vous rappelle que vous avez cinq minutes pour la question et la réponse. Je vais commencer par notre vice‑présidente, la sénatrice Bernard.
La sénatrice Bernard : Merci, madame la présidente.
Merci, monsieur Nair, d’être venu, et merci pour votre déclaration préliminaire. Je vous remercie de reconnaître qu’un service comme la protection de l’enfance, qui se pensait utile, a nui à un grand nombre de nos enfants et de nos familles. Merci de nous rappeler à l’action afin que nous améliorions cette situation.
Je me souviens que vous avez comparu devant le Sénat lors de l’étude du projet de loi S-235. Vous étiez l’un de nos témoins, et nous avons été très impressionnés par le travail que vous accomplissez à Peel. Nous sommes ravis de vous accueillir de nouveau parmi nous.
Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur ces investissements en amont? Si vous aviez une baguette magique et que vous pouviez créer ces investissements, quels seraient-ils? Deuxièmement, si vous avez lancé des initiatives novatrices à Peel, nous aimerions que vous nous en parliez.
M. Nair : Merci, madame la sénatrice. J’aimerais bien avoir une baguette magique, mais je pense qu’au lieu d’entrer dans un cadre magique, en réalité, pour redonner de l’espoir à nos jeunes, nous devons gagner leur confiance. Ce n’est pas l’élaboration des politiques qui compte, mais leur mise en œuvre.
Par exemple, nous investissons beaucoup dans les loisirs et les espaces récréatifs en pensant que les jeunes viendront y passer du temps. Dans la région de Peel, nous créons des espaces récréatifs qui attirent les jeunes et où nous pouvons leur offrir d’autres services liés au logement, à la santé mentale, à l’éducation et à la littératie financière. Plutôt que d’investir dans des programmes de littératie financière, nous pouvons les intégrer dans un cadre de prestation de services auxquels les jeunes ont facilement accès. Tous les fournisseurs de services devraient y participer.
Nous sommes financés par la province, mais nous avons aussi reçu du financement de fondations privées et de la collectivité afin de créer un centre de jeunesse pour leur offrir ces services. Nous éliminons ainsi les obstacles à l’accès aux services et nous leur donnons l’occasion de participer à la prestation de ces services et de nous dire ce qu’ils aiment et ce qu’ils n’aiment pas. Depuis que nous collaborons avec eux par l’entremise d’un conseil des jeunes et d’un cadre consultatif des jeunes, nous voyons enfin des changements se produire.
La sénatrice Bernard : Ce centre récréatif appartient-il à la SAE de Peel ou à la collectivité? Qui l’administre?
M. Nair : La SAE de Peel l’administre. Nous l’appelons le Trailblazers Youth Centre. Ce nom a été choisi par les membres de notre conseil des jeunes. Au cours d’une réunion, ils nous ont dit qu’ils voulaient un endroit où ils se sentiraient à l’aise et non jugés, où il est acceptable de se sentir vulnérable. Ils voulaient un endroit où ils pourraient rencontrer des gens qui ont vécu des expériences semblables aux leurs, où ils ne suivraient pas une thérapie axée sur le traumatisme, mais où ils pourraient se réunir, se connaître et gérer ainsi leurs traumatismes.
Nous avons des travailleurs auprès des enfants et des jeunes ainsi que des travailleurs sociaux. Nous avons intégré ces services dans le cadre des loisirs. Nous avons établi un partenariat avec le centre de jeunesse MLSE Launchpad pour offrir aussi des programmes sportifs. Je suis moi-même travailleur social. Si je rencontre un jeune pour discuter de sa transition vers l’âge adulte, il y a de fortes chances qu’il ne m’écoutera pas. Par contre, si, dans le cadre d’un programme de basket-ball, de hockey ou même d’art, nous nous mettons à parler de cette transition, il y a de fortes chances que les jeunes se sentiront validés et qu’ils s’intéresseront à la conversation.
Mais je le répète, c’est très ardu. Voilà pourquoi il est important d’investir en amont. La meilleure chose que nous puissions faire pour nos jeunes, c’est d’éviter qu’ils soient pris en charge, point final. Nous devons soutenir les familles dans leurs collectivités.
La sénatrice Pate : Merci. Pour faire suite à votre réponse aux questions de la sénatrice Bernard, pourriez-vous nous en dire davantage sur l’urgence des mesures que le projet de loi S-235 propose? Si vous avez des chiffres sur le nombre d’enfants qui se retrouvent dans cette situation à l’heure actuelle, que ce soit au sein de votre organisme ou, de façon plus générale, en Ontario et au Canada, combien de jeunes n’avaient pas leur citoyenneté à la fin de leur prise en charge? Combien ont fini par être expulsés? Avez-vous ces données?
M. Nair : Merci beaucoup, sénatrice. C’est un aspect important. Lors de la dernière séance du comité sénatorial, nous avons souligné qu’il n’existait pas de collecte de données centralisée. C’est une chose qui manque.
Le service du Centre d’excellence en matière d’immigration pour la protection de l’enfance est bénévole. Les organismes de protection de l’enfance ne sont pas tenus de nous fournir un soutien adéquat. Toutefois, selon les connaissances que nous possédons et nos capacités en Ontario, nous estimons qu’il s’agit d’environ 14 jeunes. Ces renseignements sont personnels, mais je crois qu’environ 14 jeunes se trouvent dans une situation difficile.
Soulignons que nous n’apprenons ces choses que lorsqu’un problème survient. Nous avons connu des jeunes qui ont passé toute leur vie au Canada sans que rien ne se passe; tout le monde pensait qu’ils étaient canadiens. Ces jeunes n’avaient jamais connu d’autre pays que le Canada. Puis il leur est arrivé un malheur, et l’on s’est aperçu qu’il leur manquait des documents. Voilà pourquoi le projet de loi S-235 est si important.
Si nous prenons en charge des enfants au Canada, nous avons l’obligation morale et éthique de veiller à ce qu’ils puissent rester au Canada.
La sénatrice Pate : Existe-t-il à l’heure actuelle un document quelconque, peut-être simplement une case à cocher dans un formulaire, qui signale si les jeunes dont la prise en charge se termine ont la citoyenneté canadienne?
M. Nair : Depuis deux ou trois ans, l’Ontario oblige les sociétés d’aide à l’enfance à corriger le statut d’immigration des jeunes dont la prise en charge se termine. Je ne sais pas s’il existe une obligation semblable ailleurs au Canada.
La sénatrice Pate : Merci beaucoup.
Le sénateur Arnot : Merci d’être venu aujourd’hui, monsieur. Vous avez plus de 20 ans d’expérience en counseling et en leadership dans le domaine de la protection de l’enfance. Vous nous avez dit ce soir que l’instabilité du logement et la littératie financière posent des obstacles.
Pourriez-vous nous dire quels types de programmes ou de partenariats novateurs dans le domaine du logement pourraient être lancés à Peel, ou ailleurs au Canada, pour aider les jeunes à faire la transition vers l’autonomie? J’aimerais savoir quelles sont les pratiques exemplaires et où elles sont en vigueur. En appliquez-vous déjà à Peel?
M. Nair : Merci beaucoup, sénateur.
J’aimerais pouvoir vous dire que nous avons un programme bien rodé, mais ce n’est pas le cas. Nous savons qu’il y en a un peu partout au Canada, parce que nous cherchons ce qui pourrait aider nos jeunes.
L’un des programmes consiste à travailler avec la collectivité pour créer un espace d’accueil où les jeunes pourraient prendre un repas ou se loger temporairement pendant leur transition.
Il y a une chose dont j’aimerais que nous tenions compte dans tous les programmes. Les jeunes vivent dans leur foyer d’accueil jusqu’à l’âge de 18 ans, et tout d’un coup, il faut qu’ils s’en aillent. Il n’y a pas de mécanisme de protection structuré sur le plan émotionnel pour ces adolescents. Il faut vraiment ajouter le soutien en santé mentale.
Je vis à Peel, qui se trouve en périphérie du Grand Toronto. La vie y est très chère. La première année, le gouvernement donne 1 850 $ aux jeunes de 18 ans qui font la transition. Puis cette allocation diminue d’une année à l’autre. À 23 ans, les jeunes n’ont plus assez de ressources pour payer leur loyer. Dans le domaine du logement, au lieu de créer des refuges, nous devrions donner à ces jeunes la possibilité de devenir propriétaires. C’est ce que je voulais dire en parlant d’options de logement.
Le sénateur Arnot : Pourriez-vous nous dire comment fonctionne votre programme de pratiques exemplaires en littératie financière?
M. Nair : Dans la réglementation de l’Ontario, la littératie financière fait partie de la planification de la transition. Toutefois, nous avons constaté que nous ne pouvons pas nous contenter de leur apprendre à compter leur argent ou à faire des démarches A ou B. Il faut en faire plus. Nous mettons actuellement à l’essai un programme qui vise à aider nos jeunes dans le milieu des affaires, à devenir des entrepreneurs et à lancer de petites entreprises. Il faut faire ces types d’investissements et leur fournir un soutien pour qu’ils puissent faire des études postsecondaires ou apprendre un métier.
Le sénateur Arnot : Merci beaucoup.
[Français]
La sénatrice Gerba : Merci d’être ici parmi nous aujourd’hui, monsieur Nair.
En 2019, le gouvernement de l’Ontario a supprimé le bureau de l’intervenant provincial en faveur des enfants et des jeunes. Les plaintes des enfants pris en charge font désormais l’objet d’une enquête par l’ombudsman de l’Ontario. Quelles ont été les conséquences de cette suppression, selon vous?
[Traduction]
M. Nair : Cette question concerne le Bureau du défenseur des enfants et de la jeunesse et la décision du gouvernement de ne pas en renouveler le mandat, mais d’en confier la responsabilité aux protecteurs du citoyen. Comme il s’agit d’une décision gouvernementale, je ne vais pas entrer dans les détails. Cependant, à mon avis, nous devrions accroître tous les endroits où les jeunes peuvent exprimer leurs préoccupations de façon indépendante. Je ne dis pas qu’il faut leur attribuer à ces endroits un nom précis, mais nous devons en créer plus.
Dans le cadre de ce processus, si nous n’offrons pas ces endroits à nos jeunes, ils ne feront plus confiance au système. Maintenant que ces responsabilités sont confiées aux protecteurs du citoyen, nous espérons qu’ils permettront à nos jeunes d’exprimer leurs préoccupations.
Récemment, l’ombudsman de l’Ontario a publié un rapport sur ce qui est arrivé à la jeune Mia, qui avait de la difficulté à trouver un logement. Ce rapport contient des recommandations pour notre secteur. Nous devrions continuellement déployer ces efforts afin de transmettre les opinions des jeunes aux secteurs concernés.
[Français]
La sénatrice Gerba : On a entendu les précédents témoins qui pensent qu’il faudrait un défenseur fédéral des enfants et des jeunes. Est-ce que vous pensez que ce serait une décision utile d’avoir ce type de défenseur pour les enfants qui sortent de la prise en charge?
[Traduction]
M. Nair : Je vais revenir à ma réponse précédente. Je suis tout à fait en faveur de la construction de structures et de systèmes. Cependant, en créant trop de systèmes, nous n’aidons pas nos jeunes. Même au sein du système de protection de l’enfance de l’Ontario, le cadre réglementaire est géré par plusieurs organismes : le protecteur du citoyen, le bureau des finances et le ministère. J’ai 23 ans d’expérience dans ce domaine. Plus nous créons de surveillance et de structures pour gérer les divers aspects des opérations, plus nous créons de difficultés. Jusqu’à maintenant, la surveillance a toujours été axée sur la paperasserie. Cette bureaucratie est de plus en plus lourde. De plus, elle gaspille le temps de nos travailleurs sociaux de première ligne. Ils ne peuvent accomplir leur vrai travail, qui est de soutenir nos jeunes. Ils doivent établir des relations avec eux, leur fournir un espace d’appartenance et leur montrer qu’ils ont de la valeur.
À ce sujet, je suis tout à fait d’accord sur le fait que nous devrions établir un organisme national de surveillance. Toutefois, il faudra que les organismes provinciaux et territoriaux travaillent en étroite collaboration avec cet organisme national. Autrement, comme partout ailleurs — et nous le voyons déjà dans le domaine du logement —, les différents ordres de gouvernement établiront des priorités différentes et, selon le gouvernement en place, leurs possibilités et leurs obstacles pourront avoir des répercussions négatives sur nos jeunes.
La sénatrice Gerba : Merci.
La sénatrice Osler : Merci beaucoup d’être venu. Vous avez parlé des expériences des jeunes et des enfants qui sont de nouveaux immigrants ou dont le statut d’immigration est précaire. Pourriez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet, en particulier sur ce qu’ils vivent en grandissant sans soins de santé? Vous avez déjà mentionné certaines lacunes en matière d’éducation et de logement. Mais à ce sujet, pouvez-vous présenter au comité des suggestions sur ce que le gouvernement fédéral pourrait faire?
M. Nair : Dans le cas de l’immigration, le gouvernement fédéral devrait établir un mécanisme pour déterminer combien de jeunes ont un statut d’immigration précaire, même si cela comprend les enfants qui arrivent au Canada séparés de leur famille ou non accompagnés. Les services varient beaucoup en fonction de la région de leur point d’entrée, de l’endroit où ces enfants se retrouvent. Quand il aura ces chiffres, le Canada pourra envisager de créer un système centralisé ou une base de données sur les jeunes, un peu comme le fait le Royaume-Uni. Voilà pour la première partie de la question.
Pour la deuxième partie de la question, ma suggestion concerne directement le projet de loi S-235, qui est revenu à la Chambre après la deuxième lecture. Nous ne savons pas ce qui arrivera à ce projet de loi. En collaborant pour que ce projet de loi devienne loi, nous réglerions plusieurs problèmes urgents.
La sénatrice Osler : Merci.
La sénatrice Senior : Merci, monsieur Nair, d’être venu. J’aime beaucoup vos réponses réfléchies. En vous inspirant de votre longue expérience, pourriez-vous nous décrire la transition la plus réussie d’une jeune personne que vous avez vue et nous expliquer un ou deux facteurs clés qui ont contribué à cette réussite?
M. Nair : Les expériences de transition les plus réussies se produisent quand nous pouvons rattacher un membre de la famille à ce jeune. En ce moment, le jeune est rattaché à toute une communauté. D’après mon expérience, plus vite nous pouvons mettre les jeunes pris en charge en contact avec un membre de leur famille ou de leur communauté, plus ils développent de la résilience. Les taux de réussite sont très élevés. Les jeunes sont placés dans des foyers familiaux, ce qui augmente leurs chances d’aller à l’école, de terminer des études postsecondaires et de trouver un emploi intéressant. Ils deviennent des citoyens productifs. Les humains sont des êtres sociaux. Nous avons tous besoin de contact. Il faut encourager et entretenir ces liens. Quand nous n’offrons pas cet environnement stimulant, alors les problèmes commencent.
Du point de vue des politiques, je dis constamment depuis plusieurs années que je ne m’oppose pas à ce que le ministère, le gouvernement, investisse dans les familles d’accueil. Continuons à le faire. Nous devrions cependant établir un plan de soutien familial invitant une grand-mère, une tante ou un parent éloigné à s’occuper du jeune. Nous devrions soutenir ces proches financièrement pendant qu’ils le font afin qu’un plus grand nombre de membres de la famille et de la collectivité offrent de s’occuper des jeunes vulnérables.
La présidente : Merci, monsieur Nair. J’ai eu la chance de visiter votre centre jeunesse. J’ai été très impressionnée d’entendre une jeune personne qui venait de sortir d’une famille d’accueil. J’ai été impressionnée par son esprit de sérieux. Parlant de réussite, connaissez-vous des pays qui font très bien les choses? Êtes-vous au courant d’un programme efficace dont le Canada pourrait s’inspirer?
M. Nair : Selon mes propres recherches, je ne pense pas que les pays soient en mesure de résoudre ce problème, seules les collectivités peuvent le faire. Les pays scandinaves ont de meilleurs systèmes de services sociaux et ils aident très efficacement les jeunes en transition. Leur culture n’est pas si différente de la nôtre. Nous pouvons tirer des leçons de ces pays ainsi que des États-Unis et du Royaume-Uni. Même au Canada, on trouve des programmes fantastiques. En fait, nous sommes très fiers du Centre d’excellence en matière d’immigration pour la protection de l’enfance. Nous devrions améliorer d’autres programmes novateurs menés au Canada et leur fournir des ressources adéquates.
La présidente : Merci. Je pense que nous aurions pu passer toute une heure avec vous, monsieur Nair, mais le temps est écoulé. Je tiens à vous remercier de votre aide dans le cadre de cette étude.
Chers collègues, je vais maintenant présenter notre deuxième groupe de témoins. Ils ont été invités à faire une déclaration préliminaire de cinq minutes. Nous entendrons les témoins, puis nous passerons aux questions des sénateurs.
Nous accueillons Amber Moon, membre du Comité consultatif des jeunes de la Vancouver Aboriginal Child and Family Services Society. Nous accueillons également Anayah De Andrade, fondatrice de CHEERS pour les jeunes pris en charge. Nous accueillons Daniell Sunshine par vidéoconférence.
J’invite maintenant Mx. Moon à faire sa déclaration. Ce sera ensuite au tour de Mme De Andrade et enfin, de Mme Sunshine.
Amber Moon, membre du Comité consultatif sur la jeunesse, Vancouver Aboriginal Child and Family Services Society : [Mots prononcés dans une langue autochtone]
Bonjour, je m’appelle Amber Moon. C’est un plaisir de vous voir. Mes pronoms sont neutres et pluriels. Je suis Nlaka’pamux, Siylx et Kwakwaka’wakw. Je vis sur les terres non cédées des nations Musqueam, Squamish et Tsleil-Waututh, connues sous le nom de Vancouver, en Colombie-Britannique. Je vous remercie de votre invitation à prendre la parole aujourd’hui sur les territoires non cédés du peuple algonquin anishinaabe.
Mon domaine d’expertise à ce sujet est l’expérience vécue. Je suis membre du comité consultatif sur la jeunesse de la Vancouver Aboriginal Child and Family Services Society, ou YAC, depuis 2017. Je vais d’abord souligner certains des travaux que nous effectuons au sein de notre comité, puis je parlerai de mon expérience d’avoir grandi dans la collectivité, des services auxquels j’ai accès, de la façon dont ils me sont venus en aide et s’il y a lieu de les améliorer.
Le Comité consultatif sur la jeunesse croit en une approche de défense des droits fondée sur les forces. Un aspect essentiel de notre travail de représentation est l’accent que nous mettons sur la pratique fondée sur les relations en travail social. Cette approche accorde la priorité à la confiance, aux liens significatifs et à la cohérence des relations entre les jeunes et leurs travailleurs sociaux. Pour les jeunes qui quittent le foyer d’accueil, ces relations peuvent faire toute la différence. Il ne s’agit pas seulement d’accéder aux services, mais d’avoir quelqu’un qui vous voit et qui vous apprécie vraiment comme personne, quelqu’un qui comprend votre histoire, votre culture et vos aspirations pour l’avenir.
Le travail social relationnel aide les jeunes à établir une base solide de confiance et de stabilité, ce qui est essentiel pendant leur transition vers l’âge adulte. Quand on grandit sans soins, on peut souvent se sentir lancé vers l’inconnu sans filet de sécurité. Les travailleurs sociaux qui offrent des soins fondés sur les relations servent de points d’ancrage et aident les jeunes à s’y retrouver dans cette transition en les guidant, en les rassurant et en les défendant. Pour les jeunes Autochtones en particulier, ces relations peuvent également les aider à établir des liens avec leur culture, leur communauté et leur identité, qui sont des éléments essentiels de la guérison et de la résilience.
Le YAC préconise également l’expansion des services après l’âge de19 ans. Comme nous le savons, le parcours vers l’indépendance ne se termine pas à 19 ans. Nous sommes nombreux à être appelés à participer à l’élaboration de ces mesures de soutien. Par exemple, nous avons contribué à façonner le programme SAJE pour les jeunes qui poursuivent des études postsecondaires.
Bien que ma vie et ma période en famille d’accueil aient été difficiles, je crois que j’ai eu beaucoup de chance. J’ai vécu en famille d’accueil de l’âge de 7 ans jusqu’à mes 19 ans. À 17 ans, j’ai fait la transition vers la vie autonome, et je vis dans un logement subventionné depuis. Je ne sais pas où je serais aujourd’hui sans ce logement. J’ai maintenant 26 ans, je suis des études à l’université et je participe au programme d’exemption des frais de scolarité ainsi qu’au programme SAJE.
Le programme SAJE est le nouveau soutien amélioré qui a remplacé les ententes avec les jeunes adultes, les AYA. Bien qu’il soit plus complet, il y a encore de la place pour sa croissance. Par exemple, le financement n’est offert qu’aux personnes de moins de 27 ans. J’ai longuement interrompu mes études postsecondaires en raison de la pandémie et de la perte de mon père, et je sais que de nombreux autres jeunes font face à des retards dans leurs études en raison d’obstacles personnels ou d’inégalités systémiques.
Le financement destiné aux jeunes qui poursuivent des études postsecondaires devrait s’étendre au-delà de l’âge de 27 ans et durer jusqu’à l’obtention d’un diplôme. Si une personne est admissible à une exonération des frais de scolarité, elle devrait également être admissible à une aide financière tout au long de ses études. Je crois aussi que les jeunes de partout au Canada devraient avoir un accès égal à ce genre de soutien. Le niveau d’aide ne devrait pas dépendre de l’endroit où l’on vit, mais plutôt de ce dont on a besoin pour réussir.
Je terminerai en soulignant que le travail social axé sur les relations ne consiste pas seulement à améliorer les résultats individuels, mais aussi à créer un système qui reconnaît l’humanité, la force et le potentiel de chaque jeune pris en charge. En misant sur les relations, nous créons des occasions pour que les jeunes puissent s’épanouir en ayant la confiance et le soutien nécessaires pour y arriver. Merci.
La présidente : Merci.
Anayah De Andrade, fondatrice, CHEERS pour les jeunes pris en charge : Bonjour à tous. Imaginez un monde où chaque jeune, quel que soit son parcours, entre dans l’âge adulte avec confiance, stabilité et espoir, un monde où les jeunes qui ne sont plus pris en charge font plus que survivre : ils prospèrent. Ils se bâtissent des carrières, créent des relations qui comptent et contribuent de façon dynamique à leur collectivité.
Je m’appelle Anayah De Andrade. Je suis une ancienne jeune prise en charge et fondatrice du programme de mentorat par les pairs CHEERS pour les jeunes qui ne sont plus pris en charge.
Dans ce monde, lorsqu’un jeune atteint l’âge de 18 ou 21 ans et qu’il quitte la prise en charge, il ne marche pas seul vers un avenir incertain. Au lieu de cela, les jeunes sont entourés d’un écosystème qui les soutient et qui les stimule, les habilite et les prépare à l’indépendance. Dans notre société, les possibilités se conjuguent à la compassion, le potentiel s’épanouit et aucun jeune adulte ne se sent abandonné simplement parce qu’il n’a plus l’âge de se trouver dans un système conçu pour le protéger.
Selon cette vision des choses, les jeunes qui ne sont plus pris en charge ont accès à un logement stable et sécuritaire — pas seulement un toit au-dessus de leur tête, mais un foyer qui favorise la sécurité et le sentiment d’appartenance. Ils vivent dans des quartiers où ils se sentent valorisés, où les propriétaires et le voisinage comprennent leur parcours unique et offrent un coup de main plutôt qu’un jugement. Le logement devient un tremplin vers l’indépendance et non un obstacle à surmonter.
Dans notre société, où l’éducation est accessible et réalisable, les établissements d’enseignement postsecondaire ouvrent leurs portes avec des exonérations de frais de scolarité et des programmes de mentorat, reconnaissant que l’éducation est une voie vers l’autosuffisance et un puissant catalyseur de confiance et de résilience. Des programmes comme CHEERS prospèrent, comblant l’écart entre les aspirations et les réalisations, et aident les jeunes à transformer leurs rêves en diplômes.
Dans ce monde, les jeunes qui quittent la prise en charge ont des possibilités d’emploi adaptées à leurs forces. Les employeurs, petits et grands, investissent dans ces jeunes adultes en leur offrant des stages, de la formation et des carrières qui leur procurent plus qu’un chèque de paie. Ils leur donnent le sentiment d’être utiles. La littératie financière leur permet de gérer leurs revenus, de planifier pour l’avenir et de briser les cycles de la pauvreté.
La santé mentale n’est plus une considération secondaire, mais une pierre angulaire de cet écosystème florissant. Des groupes de counselling et de soutien par les pairs accessibles aident ces jeunes à surmonter les traumatismes, à renforcer leur résilience et à forger de saines voies affectives. Chaque jeune adulte a quelqu’un à qui parler, qu’il s’agisse d’un mentor, d’un conseiller ou d’un ami de confiance. Il est question de garantir que personne ne relève seul les défis à surmonter.
Dans notre société, les jeunes pris en charge deviennent des chefs de file, des défenseurs et des artisans du changement. Ils utilisent leurs expériences vécues pour façonner les politiques, encadrer les autres et inspirer une génération qui croit qu’aucun défi n’est insurmontable. Leurs voix ne sont pas seulement entendues; elles sont amplifiées et célébrées.
Mais l’essentiel dans ce monde où notre société a changé sa façon de penser, c’est que nous ne considérons plus le fait de grandir en famille d’accueil comme une ligne d’arrivée pour le système, mais comme un point de transition où notre responsabilité collective recommence. Les familles, les éducateurs, les décideurs et les entreprises sont tous unis par la conviction que chaque jeune mérite la chance de s’épanouir.
Mesdames et messieurs, tout cela n’est pas un rêve impossible. C’est la société que nous pouvons créer ensemble. Les programmes, les politiques et les partenariats que nous envisageons et mettons en œuvre aujourd’hui façonneront cet avenir meilleur. En misant sur les jeunes qui ne sont plus pris en charge, nous ne faisons pas que régler un problème social; nous libérons un potentiel inexploité, nous créons des collectivités plus fortes et nous bâtissons une nation plus équitable.
Merci.
La présidente : Merci. Madame Sunshine, vous avez la parole.
Daniell Sunshine, à titre personnel : Je suis très honorée d’être ici aujourd’hui avec vous tous. Je remercie les gens de ce pays, je remercie tous les dirigeants présents dans cette salle aujourd’hui et je remercie tous les délégués et intervenants qui font partie de chaque groupe. Je suis éternellement reconnaissante de cette occasion.
Merci beaucoup de votre accueil et de votre invitation à discuter avec vous d’une question très importante qui touche des milliers de jeunes vulnérables partout au Canada. Aujourd’hui, je m’adresse à vous comme une jeune qui a une expérience vécue, ayant déjà été pupille permanente du gouvernement. En faisant part de mon expérience d’avoir grandi dans un foyer d’accueil, j’espère faire la lumière sur certains problèmes auxquels sont confrontés les jeunes quand ils quittent le foyer d’accueil et sur le besoin urgent de changements systémiques.
J’ai été placée en famille d’accueil à l’âge de 2 ans. J’ai subi beaucoup de traumatismes et de difficultés tout au long de mon enfance, comme la violence sexuelle, physique et affective. À l’âge de 17 ans, j’étais aux prises avec de graves problèmes de santé mentale, y compris un trouble dépressif majeur, l’anxiété sociale et le TSPT. Au cours de cette période, j’ai dû composer avec le fait d’avoir été expulsée de la maison de ma famille. Elle s’est excusée depuis de ne pas avoir mieux compris la santé mentale ni su quelles étaient les mesures de soutien en place.
Cette expulsion m’a fait vivre dans des refuges pour sans-abri, car personne n’est prêt à accueillir une adolescente. La même année, ma mère biologique a fait une surdose tout en essayant d’achever ses études secondaires et de faire face à la réalité d’avoir trop grandi pour continuer à être prise en charge, sans liens avec la famille et sans projets d’avenir.
La recherche et l’expérience ont démontré l’importance des programmes de soutien social et de mentorat pour les jeunes pris en charge. Ces programmes fournissent une orientation et une stabilité précieuses, mais aussi une relation.
Cependant, ce besoin est beaucoup plus grand. Il est essentiel de s’éloigner des services isolés et de viser des approches plus holistiques et intégrées qui répondent non seulement à leurs besoins pratiques, mais aussi à leur bien-être affectif et social. Plutôt que d’offrir des services et des programmes en vase clos, nous devons créer et mettre en œuvre des modèles et des cadres de services intégrés qui répondent à de multiples besoins à la fois.
Le financement et la formation de cette approche globale peuvent aider à faire en sorte que les jeunes reçoivent le soutien complet dont ils ont besoin et qu’ils puissent acquérir des compétences de vie autonome.
Un autre problème majeur de notre système, c’est que le Canada n’a pas de normes nationales pour les jeunes qui quittent les services de garde du gouvernement. À l’heure actuelle, un critère essentiel que chaque gouvernement provincial utilise pour déterminer le seuil à partir duquel un jeune ne doit plus être pris en charge, c’est l’âge, qui peut varier pour chaque province et territoire. Le fait de ne pas avoir de normes nationales pour les jeunes qui quittent les services gouvernementaux les expose à un plus grand risque de prendre du retard par rapport à leurs pairs et de passer à travers les mailles du filet. Ce manque d’uniformité crée une lacune dans le soutien offert aux jeunes en fonction de l’endroit où ils vivent. Je crois fermement que le gouvernement fédéral devrait s’efforcer de normaliser la fourchette d’âge pour les jeunes partout au pays. En l’élargissant ou en l’éliminant complètement, on pourrait faire en sorte que tous les jeunes qui ne sont plus pris en charge aient un accès équitable aux ressources dont ils ont besoin pour mieux réussir leur transition vers l’âge adulte.
De plus, les jeunes devraient avoir plus de latitude pour passer d’une province à l’autre et continuer d’avoir accès au soutien dont ils ont besoin. Certains jeunes pris en charge peuvent subir un traumatisme lié à leur emplacement géographique ou à leur situation, et le fait de pouvoir déménager sans perdre l’accès au service peut supposer un nouveau départ. Cela peut donner aux jeunes actuellement ou anciennement pris en charge la même possibilité que leurs pairs pour se déplacer dans tout le pays et poursuivre leurs aspirations.
De plus, bon nombre d’ententes de services prolongées ne sont pas accessibles à tous les jeunes qui ne sont plus pris en charge, car l’admissibilité dépend souvent de l’emploi ou de la fréquentation scolaire à temps plein. La Colombie-Britannique a établi une norme exemplaire en offrant un soutien aux jeunes jusqu’à l’âge de 27 ans. Elle a récemment adopté un supplément de revenu inconditionnel de 1 250 $ par mois pour les jeunes de 19 à 20 ans. Je crois fermement que l’adoption de cette politique à l’échelle fédérale fournirait un filet de sécurité à tous les jeunes à mesure qu’ils quittent leur foyer d’accueil, leur permettant ainsi d’obtenir le soutien et la sécurité financière dont ils ont besoin pour poursuivre leurs études ou leur formation, stabiliser leur logement et atteindre l’autonomie, sans les difficultés de la vie quotidienne.
Je veux aussi parler de l’importance d’inviter plus de jeunes à participer à ces conversations importantes. Si nous voulons apporter des changements réels et durables pour les jeunes qui ne sont plus pris en charge, nous devons les faire participer activement aux processus décisionnels et aux conversations. Leurs expériences vécues sont vraiment précieuses. Leurs points de vue peuvent aider à façonner des politiques et des programmes qui sont plus efficaces et qui répondent vraiment à leurs besoins. Nous devons créer plus de possibilités et encourager un plus grand nombre de jeunes à jouer un rôle de premier plan pour façonner le présent et l’avenir. Leur participation et leur engagement dans la conception et la mise en œuvre des politiques sont extrêmement importants, car cela aura une incidence directe sur leur vie.
Les jeunes du Canada peuvent apporter une contribution précieuse aux conversations sur les systèmes de placement en famille d’accueil, et nous devons faire en sorte qu’ils aient plus de place pour s’exprimer. Nous devons veiller à ce qu’ils aient un siège à la table. Je nous exhorte tous à penser au-delà des approches traditionnelles et à reconnaître que l’inclusion d’un plus grand nombre de jeunes est non seulement essentielle pour obtenir de meilleurs résultats, mais qu’elle favorise également le système qui les touche directement.
Il est impératif que nous reconnaissions les défis uniques auxquels font face les jeunes à mesure qu’ils atteignent l’âge adulte et qu’ils ne sont plus pris en charge par le gouvernement, et que nous prenions des mesures concrètes pour régler ces problèmes. En créant un système plus cohérent, intégré et positif, nous pouvons faire en sorte que ces jeunes, mes amis et mes pairs, puissent réussir et s’épanouir comme n’importe qui d’autre.
Personnellement, je ne crois pas qu’il s’agisse d’une question provinciale, au cas par cas, mais plutôt d’une crise nationale.
Merci beaucoup de votre temps, de votre attention et de votre engagement à apporter des changements pour les jeunes vulnérables partout au Canada.
La présidente : Merci pour vos exposés.
Chers collègues, je vous rappelle que vous disposez de cinq minutes pour les questions et les réponses. Si nous avons le temps, nous pourrons toujours faire un deuxième tour. Je vais d’abord m’adresser à notre vice-présidente.
La sénatrice Bernard : Permettez-moi d’abord de remercier tous nos témoins. Vous êtes des exemples de jeunes qui ne sont plus pris en charge et qui ne se contentent pas de survivre, mais qui prospèrent. J’admire particulièrement votre capacité à donner à votre tour. C’est vraiment louable.
Quelle est donc ma question? Eh bien, voici : qu’est-ce qui fonctionne vraiment? Qu’est-ce qui a fonctionné pour vous donner l’espace dont vous aviez besoin non seulement pour survivre, mais aussi pour prospérer?
J’aimerais que vous répondiez les trois à cette question, s’il nous reste du temps.
Mx Moon : Je peux commencer.
Comme je l’ai dit dans ma déclaration préliminaire, je crois fermement aux relations — avoir, créer et maintenir des relations avec les travailleuses et travailleurs sociaux et toute autre personne offrant du soutien. Cela a été extrêmement utile. En fait, ma travailleuse sociale est dans la pièce aujourd’hui, et elle m’a soutenu pour me permettre de venir ici et de prendre la parole aujourd’hui. Je pense que sept ans se sont écoulés depuis mon 19e anniversaire et nous sommes toujours en relation.
J’ai des relations avec d’autres travailleurs sociaux dans des circonstances où je ne faisais même pas partie de leur charge de travail. J’ai reçu leur aide de toutes les façons possibles.
Dans mon logement, j’ai aussi des relations. Il y a un programme pour les jeunes dans mon logement. J’ai une relation avec la personne qui dirige cette entreprise et qui est en train de devenir la PDG de la société d’habitation. Elle est essentiellement comme une mère pour moi. Ce soutien est très utile, car quand j’ai des problèmes de logement, ou dans la vie, je sais que je peux me tourner vers cet organisme et qu’elle me fera sentir que mon logement est sûr, ou encore que je peux demander de l’aide pour un document que j’écris pour l’école. Cela m’a beaucoup aidé.
Mme De Andrade : Pour ma part, cela a commencé avec mon placement. Je me réjouis de pouvoir dire que mon expérience des soins a été plutôt exceptionnelle. J’ai été placée dans une bonne maison. À ce jour, le numéro de ma mère d’accueil sur mon téléphone est sauvegardé sous le nom de « Mama Bear » ou « mamanourse », si vous préférez, et je suis pourtant dans la mi-trentaine. Il y a à peine trois ans que j’ai obtenu ma propre carte Costco, car j’ai toujours utilisé la sienne.
Cela a commencé avec mon placement, où j’ai eu toutes sortes d’options en ce qui concerne le type de relation que je voulais avoir avec ma mère adoptive. J’ai eu la liberté de l’appeler « maman » ou par son nom, suivant l’inspiration du jour. Cela m’a permis d’explorer et de me sentir en sécurité avec d’autres adultes et diverses formes d’autorité dans ma vie.
Il m’a été extrêmement difficile d’atteindre l’âge de devoir quitter ma famille adoptive, car j’étais une enfant très indépendante. À 17 ans, j’étais prête à me débrouiller toute seule. Je me débrouillais bien parce que j’étais dans un milieu sécuritaire et positif. C’est l’élément qu’il faut retenir ici.
Heureusement, j’ai trouvé beaucoup de soutien en dehors du système de soins pour les jeunes. J’avais beaucoup d’appui au sein du système. En grandissant, il y avait des limites à ce à quoi je pouvais avoir accès. Comme je l’ai dit dans ma déclaration préliminaire, j’ai pu trouver du soutien dans l’ensemble de la collectivité, que ce soit en accédant à des services communautaires ou en rencontrant des gens au travail, des pairs à l’école ou les parents de mes amis.
C’est ainsi que j’en suis arrivée à l’idée du programme CHEERS. Je travaillais et ma gestionnaire était une personne que je respectais et qui était très respectée au sein de l’organisation. J’ai fini par découvrir qu’elle était une ancienne jeune prise en charge. On ne l’aurait jamais cru.
L’exposition aux possibilités, l’intégration communautaire significative et la liberté d’être soi-même sans crainte d’être jugé, sont des éléments importants, car en grandissant, on se découvre et on commet des tas d’erreurs. Lorsque les relations dépendent d’une bonne conduite, on ne se découvre jamais vraiment soi-même ou on trouve d’autres façons d’être soi‑même.
J’ai eu la chance d’avoir des gens dans le système, à commencer par mon placement dans la collectivité, y compris des propriétaires dont j’ai loué mes logements, qui m’ont donné l’espace nécessaire pour grandir et commettre mes erreurs. Ils m’ont montré comment ramasser les morceaux et ils ont continué à me pousser vers l’avant.
J’ai été propulsée vers l’avant par la société dans laquelle je vivais.
Mme Sunshine : Je tiens à réitérer l’importance d’un lien social. J’ai aussi une travailleuse sociale avec qui je reste en contact et avec qui je fais le point chaque mois. Le fait d’avoir le sentiment d’avoir quelqu’un à vos côtés, de vous encourager sans jamais flétrir est vraiment bénéfique et percutant. Il y avait des fois où je déprimais en me faisant des reproches à moi‑même, mais on m’a redonné courage et aidé à me relever en me rappelant que je n’étais pas seule et que je pouvais faire ce que je pouvais.
Je pense aussi qu’il faut prévoir une période de transition, comme un programme préparatoire au moment où il s’agit de quitter le foyer d’accueil. Un programme de la sorte peut vous aider à obtenir vos pièces d’identité, à préparer vos déclarations de revenus et vous expliquer comment fonctionnent les cartes de crédit. Personnellement, j’ai dû me débrouiller toute seule avec un peu d’aide. Pour réussir, il est essentiel d’avoir un programme qui aide à acquérir ces compétences.
La sénatrice Osler : Merci aux trois témoins d’être ici aujourd’hui. Ma question s’adresse à vous trois. Nous allons peut-être commencer dans le même ordre que la dernière fois.
On a demandé au comité d’imaginer un système axé sur le bien-être où chaque enfant et chaque famille aurait ce dont ils ont besoin pour s’épanouir. Il s’agit d’imaginer un système imprégné d’amour et de respect.
J’ai réfléchi à la façon de transformer un système qui est en place tout en réduisant au minimum les perturbations et les préjudices pour les gens qui sont déjà dans le système.
D’après votre expérience, pourriez-vous nous parler des premières étapes fondamentales que vous recommanderiez pour créer un meilleur système axé sur le bien-être?
Mme De Andrade : Les services à la personne. Passer d’être récipiendaire de services à une prestataire de services m’a vraiment ouvert les yeux sur les défis des services humains. Il s’agit de services humains. Ce n’est pas facile. C’est possible.
Pour ce qui est de la façon de transformer ce système avec un minimum de perturbations, songeons au concept de gestion du changement sans que ce soit aux dépens de la population qui bénéficie du système. Comment aborder la gestion du changement? Eh bien, il s’agit de commencer par le plus évident.
En l’occurrence, qu’est-ce qui est le plus évident? Ce sont les jeunes les plus vulnérables que vous avez eu le privilège d’entendre et les fournisseurs de services qui sont en première ligne, jour après jour. Je dirais qu’il faut commencer par là où il y a le plus grand besoin.
D’après des rapports qui remontent aux années 1980 et se poursuivent aujourd’hui, il a été question de logement, d’éducation, de services de santé mentale et de soutien financier.
J’aimerais toucher un mot des pilotes. Les projets pilotes ont leur place, et il faut les élargir. En ayant des services fondés sur des données probantes, en améliorant les modèles, nous commençons à les reproduire et à les adapter au besoin.
Il n’y aura pas de solution universelle. On ne peut pas mettre tout le monde dans le même sac, car nos besoins sont uniques, dynamiques et intersectionnels. C’est nécessaire.
J’ai déjà été très têtue. Quand j’étais plus jeune, on m’a appris qu’on n’évolue que quand le coût de l’inaction est plus élevé que le coût du changement. Nous en sommes au point où l’inaction coûte plus cher que le changement. Nous n’avons pas vraiment le choix. Voilà par où commencer, par le plus évident.
La sénatrice Osler : Vous avez parlé de normes nationales pour les jeunes qui quittent la prise en charge, de seuils fondés sur l’âge par rapport aux seuils de préparation, de suppléments de revenu inconditionnels pour les jeunes qui n’ont plus l’âge de demeurer en famille d’accueil. Y a-t-il un ordre de priorité ou devrait-on les examiner tous en même temps?
Mme Sunshine : Je crois que toutes ces questions devraient être examinées en même temps. J’ai l’impression qu’un petit pas vaut mieux qu’aucun pas du tout. S’il est préférable de s’occuper d’une chose à la fois et de travailler à partir de là, c’est mieux que de ne rien faire du tout.
Je pense que des suppléments de revenu inconditionnels seraient très utiles, car bon nombre de mes amis et de mes pairs sont peut-être laissés pour compte en ce moment même. La stabilité financière peut favoriser leur croissance et leur réussite à l’âge adulte. Je pense qu’il est très important de les aborder en même temps.
La sénatrice Osler : Merci.
La sénatrice Pate : Merci beaucoup à chacun de vous d’être ici et de nous avoir fait part de votre point de vue. Je ne peux même pas imaginer. J’ai eu le privilège et la responsabilité de travailler comme — je crois qu’on m’a appelée — conseillère pour adultes auprès du réseau national de prise en charge des jeunes et de mettre sur pied quelques réseaux de prise en charge et de garde des jeunes au fil des ans. J’ai toujours été frappée par le défi que vous avez dû relever en divulguant votre histoire pour nous aider à améliorer la situation des autres. La plupart d’entre nous ont le choix de le faire ou non. Je veux me faire l’écho de mes collègues et vous remercier de l’avoir fait. Il y a un prix à payer pour pouvoir le faire, et j’espère que vous avez le sentiment que nous l’avons reconnu.
Vous nous avez présenté d’excellents témoignages et d’excellentes suggestions sur la façon d’aller de l’avant. Je suis toujours frappée par le nombre de ressources qui sont consacrées au retrait des enfants des services de garde. Je ne sais pas si l’une d’entre vous a envie de parler de ce qui aurait pu changer la donne si les soutiens fournis avaient été différents avant votre placement. Comment cela pourrait-il influencer la façon dont nous allons procéder? Quelles devraient être les possibilités pour des gens comme vous de donner des conseils lorsque des enfants sont pris en charge? J’ai toujours été frappée par les ressources illimitées que nous dépensons pour sortir les enfants de leur foyer, sans nécessairement investir dans ces foyers au besoin.
Sans me limiter à l’une d’entre vous, si vous avez des commentaires, je serais ravie de les entendre.
Mx Moon : Je peux répondre brièvement. Je pense qu’il aurait été utile que mes parents obtiennent un peu plus d’aide. Mon père a subi des lésions cérébrales à la suite d’un accident qu’il a eu dans sa jeunesse, et il était un parent extraordinaire. Ma mère était également une mère extraordinaire avant que je sois placée en famille d’accueil, mais par la suite, les choses ont vraiment dérapé pour elle, et elle a sombré dans la toxicomanie. Si seulement mes parents avaient eu plus de soutien auparavant et si quelqu’un s’était vraiment assuré qu’ils avaient tout ce qu’il leur fallait, et pour ma mère, plus de soutien en santé mentale.
Mon père a été jugé incapable de s’occuper seul de ses enfants, mais je crois que si on l’avait aidé à s’occuper de nous par lui-même ou si quelqu’un avait pu s’en occuper — je ne sais pas exactement comment —, mais je pense que nous aurions pu vivre avec lui et avoir quand même une assez bonne vie parce que le fait d’être parent était vraiment important pour lui, et ses enfants étaient la chose la plus importante de sa vie. Il avait des problèmes de mémoire, mais il n’a jamais oublié la moindre chose qui pouvait nous concerner.
Je pense qu’il a été injuste de l’accuser d’être incapable de s’occuper seul de ses enfants. Il me semble qu’il en était capable.
La sénatrice Pate : Merci.
Mme De Andrade : Je commencerais par la sensibilisation culturelle. La différence n’est pas une mauvaise chose en soi. Je pense que pendant très longtemps, la diversité des jeunes surreprésentés dans le système et les raisons véritables pour lesquelles ces jeunes ont été pris en charge ont été le fait en grande partie des différences culturelles et de l’incompréhension. Je me sens suffisamment à l’aise d’affirmer cela. Je dirais qu’en tant que société, nous ne sommes pas nécessairement arrivés à comprendre que la différence n’est pas une mauvaise chose.
Prenons la question de l’éducation. Nous sommes fiers d’être diversifiés et multiculturels, ainsi que dire que c’est notre force et que nous sommes une nation d’immigrants. Mais sommes‑nous vraiment une nation d’immigrants, et la diversité est-elle vraiment notre force lorsque nous décidons que la façon dont telles ou telles familles élèvent leurs enfants est mauvaise parce qu’elle s’écarte de la norme?
Pour ce qui est des mesures de soutien, je dirais qu’il faut éduquer et sensibiliser les gens à la diversité culturelle, puis offrir des mesures de soutien à ces familles, des mesures qui sont déjà offertes aux familles d’accueil ou à la famille élargie. Pourquoi ces familles n’en profiteraient-elles pas elles aussi?
Je pense aussi à une discussion que j’ai animée avec les travailleurs sociaux de la Catholic Children’s Aid Society au sujet de leur propre expérience en tant que parents et de la situation chaotique qu’ils vivent à sept heures du matin en hiver, avec trois ou quatre enfants, qu’ils doivent aider à enfiler leurs bottes, leurs habits de neige et leurs mitaines, tout en préparant leur lunch, de la désorganisation qu’entraîne parfois le fait d’être parents. Malgré cela, il nous arrive de juger que des parents sont inaptes parce qu’ils laissent leur enfant aller à l’école sans son chapeau ou ses mitaines, mais en examinant le contexte et en accordant davantage le bénéfice du doute — sans nier le fait que de la négligence et de mauvais traitements se produisent —, nous pouvons en venir à nous demander comment nous en arrivons à ces conclusions.
En résumé, je dirais qu’il faut d’abord comprendre la diversité et les différences culturelles et ne pas supposer qu’un comportement est mauvais parce qu’il nous est étranger, puis comprendre le parcours d’un parent.
Mme Sunshine : Selon moi, il faut mettre en place des protocoles lorsqu’un jeune est retiré de son foyer. Je dirais aussi qu’il faut offrir un soutien supplémentaire aux parents, à la famille.
Ces programmes d’intervention pourraient être des programmes de formation au rôle de parent. Ils pourraient viser la sobriété. J’ai l’impression que le fait d’avoir plus de programmes pour aider les parents à récupérer la garde de leurs enfants aurait fait une énorme différence dans ma vie, mais aussi dans celle d’autres jeunes. Selon moi, les protocoles qui existent font en sorte que les enfants sont retirés de la garde de leurs parents, sans qu’on se donne la peine de demander aux familles biologiques ou aux parents la raison pour laquelle cela s’est produit. Je pense que nous devons examiner plus à fond pourquoi on a retiré à ces personnes la garde de leurs enfants et travailler à trouver une solution pour régler le problème.
La sénatrice Pate : Merci.
Mme De Andrade : Un examen du parcours complet des jeunes qui sont pris en charge — pas seulement dans le contexte de mon expérience, mais aussi de celle de mes pairs et des bénéficiaires du programme CHEERS — permet de constater que le système déploie beaucoup d’efforts pour rétablir un lien familial. Si cet effort pour rétablir le lien familial avait lieu dès le début, nous n’aurions pas à travailler aussi fort pour le faire par la suite.
La sénatrice Senior : Je suis très heureuse que vous ayez ajouté ce dernier élément, surtout compte tenu de la réponse du témoin précédent à ma question, ainsi qu’à celle sur les facteurs clés de réussite et le rôle des parents. Je dois dire que j’ai eu une réaction mitigée à cette réponse, probablement parce que j’ai une bonne amie et une belle-sœur qui a été prise en charge lorsqu’elle était plus jeune. Elle est maintenant travailleuse sociale et elle dirige aujourd’hui une organisation extraordinaire pour les familles. Mais les marques sont là, et celles qui lui font le plus mal concernent sa famille. C’est cet aspect de son expérience qui lui fait le plus mal. C’est probablement la raison qui explique la réaction mitigée que j’ai eue, parce que les familles jouent un rôle important lorsqu’elles fonctionnent, mais lorsque ce n’est pas le cas, les stigmates restent.
Ma question est la suivante : d’après toutes vos réponses, il semble que vous définissiez la famille différemment. Pouvez‑vous nous dire ce que cela signifie pour vous?
Mme De Andrade : Il faut des options. Pour moi, le fait d’avoir des options a été le début de tout. Certains jours, c’était ma famille biologique. Dans ma déclaration préliminaire, j’ai beaucoup parlé de la grande communauté qui m’a soutenue et portée. Je pense encore parfois à mon professeur de biologie de 11e année. Le simple fait de me donner la permission d’avoir des options a aidé dans mon cas. Mais vous avez raison de dire que la famille biologique peut poser un problème. J’ai eu de très bonnes personnes dans ma vie qui m’ont dit que j’avais des options et que j’étais autonome, que je pouvais décider quand je voulais répondre au téléphone, quand je voulais ou non m’identifier comme membre de la famille, ou quand tout allait bien. Il y a des hauts et des bas. La situation évolue et c’est bien ainsi. Toutes les expériences sont valables. Il n’est pas nécessaire que la définition soit immuable. Vous avez tout à fait raison de le dire.
Je pense que la guérison et le point d’ancrage de tout cela pour moi et pour les jeunes avec qui j’ai travaillé, c’est de ne pas se limiter à sa propre famille et de se dire qu’il y a des dynamiques familiales aussi difficiles, sinon plus difficiles que la vôtre. Vous pouvez alors vous dire : « Oh. D’accord, je suppose que je ne suis pas la seule à vivre ce genre de situation. » Cela donne des choix.
Mx Moon : Pour moi, la famille, c’est davantage des gens qui m’aiment, m’appuient inconditionnellement et me permettent d’être moi-même et de me donner de l’espace pour tout ce dont j’ai besoin; des gens qui me permettent de m’ouvrir et de venir à eux et de me sentir assez à l’aise avec eux pour faire cela. J’ai mentionné la travailleuse sociale qui dirige le programme là où je vis. Il y a aussi la famille de mon meilleur ami qui me traite comme si j’en faisais partie, et nous plaisantons parfois en disant que je suis l’enfant préféré de sa mère. J’ai aussi eu de nombreux enseignants dans toutes les écoles que j’ai fréquentées qui m’ont vraiment soutenu et qui croient en moi et en ce que je peux faire.
Il y a beaucoup de gens qui ne font pas partie de ma famille biologique et qui me donnent l’impression que je suis des leurs. J’ai eu mes propres expériences de la famille. J’ai vécu chez une de mes tantes, en tant que famille d’accueil, et c’est la pire expérience que j’ai connue. Donc, pour moi, la famille, c’est certainement davantage celle que l’on choisit que celle dans laquelle on est né.
La sénatrice Senior : Merci.
[Français]
La sénatrice Gerba : Merci à nos témoins d’être ici et de nous raconter leurs expériences très touchantes. C’est vraiment important.
Madame De Andrade, vous avez parlé d’un élément assez important, qui est l’éducation des parents immigrants qui arrivent au Canada. En effet, quand on arrive au Canada, on a du mal à comprendre le système, et il n’y a rien qui dit aux parents comment parler aux enfants. J’imagine que c’est aussi pour cela qu’il y a une surreprésentation des familles immigrantes, parce qu’elles arrivent dans un contexte qu’elles ne comprennent pas et qu’il n’y a aucun système qui leur permet de savoir comment gérer leurs enfants, contrairement à ce qui se faisait dans leur pays.
Puisque nous sommes dans un pays multiculturel, pensez-vous que l’une des solutions serait de mettre en place un système d’éducation pour les nouveaux arrivants?
Si oui, quel serait-il? Comment procéder pour que ce soit généralisé à l’échelle fédérale?
[Traduction]
Mme De Andrade : Je vais commencer en disant ceci : je comprends pourquoi les parents immigrants ou les immigrants en général ont tendance à se tourner vers leur communauté. Par exemple, je suis née en Angola et ma première langue est le portugais. Lorsque mes parents sont venus au Canada, nous avons toujours vécu dans des quartiers portugais et nous avons toujours eu des propriétaires portugais. Cela nous rassurait. Ma mère, qui était également très curieuse, est sortie de ce cercle et s’est fait des amis de toutes sortes de cultures différentes, mais pour ce qui est de l’endroit où nous vivions, nous étions généralement attirés par ces quartiers parce qu’ils étaient sécuritaires et présentaient des similitudes culturelles. Quand on est un nouvel arrivant, il est déjà très difficile d’essayer de s’intégrer avec sa famille dans une nouvelle société, dans un nouveau pays.
Pour ce qui est d’éduquer les parents, je dirais que la responsabilité est partagée. Il n’est pas facile pour les nouveaux arrivants de s’établir, de trouver un emploi intéressant et de composer avec le coût de la vie et ainsi de suite. Je crois aussi qu’en tant que citoyens de ce pays, nous sommes fiers d’être une nation d’immigrants, et nous avons la responsabilité de faire de la sensibilisation dans ces communautés et d’appuyer l’intégration. Il ne s’agit pas nécessairement de l’intégration des nouveaux arrivants à la société canadienne ou d’un changement complet de la société canadienne pour intégrer les nouveaux arrivants. Il s’agit plutôt d’une responsabilité partagée et d’une culture partagée, parce que les normes parentales de différentes cultures comportent des forces que nous — si nous parlons d’un milieu ou d’une culture typiquement canadien — n’avons pas et dont nous pouvons tirer profit, tout comme il y a des forces qui viennent dans la société canadienne et dans la façon dont les parents exercent leur rôle. Comment pouvons-nous alors tirer le meilleur des deux mondes et intégrer ces différences?
Pour répondre à votre question, oui, ce serait bien d’avoir un programme éducatif. Je dirais que nous devrions être prudents quant aux attentes de la culture dominante à l’endroit de l’autre et voir comment nous pouvons tirer le meilleur des deux mondes, intégrer cela et partager cette responsabilité.
[Français]
La sénatrice Gerba : Mx Moon, vous avez parlé du programme SAJE, dont vous avez bénéficié. Pourriez-vous nous parler davantage des points positifs de ce programme et des pistes d’amélioration? Diriez-vous que c’est un programme qui doit être élargi à l’échelle pancanadienne?
[Traduction]
Mx Moon : Oui. Le programme Strengthening Abilities and Journeys of Empowerment, ou SAJE, n’a été mis en œuvre que récemment en Colombie-Britannique. Nous avions un programme appelé Agreements with Young Adults, qui offrait un soutien financier aux jeunes qui avaient vécu en familles d’accueil, afin de les aider à poursuivre leurs études postsecondaires.
J’ai participé aux deux programmes, même si ce n’est que depuis septembre pour le programme SAJE, mais j’ai aussi aidé un peu à son élaboration. Comme il est encore très nouveau, je pense qu’il faudra encore un peu de temps. Il me fournit de l’argent pour le loyer, la nourriture, les vêtements, et je peux aussi demander des fonds supplémentaires pour m’aider à acheter des manuels à l’occasion.
Cependant, je pense que ce genre de soutien financier devrait être offert partout au Canada. Je crois que cela devrait être élargi. Comme je l’ai dit, à l’heure actuelle, le soutien est versé jusqu’au 20e anniversaire d’une personne, mais beaucoup de gens poursuivent des études postsecondaires bien après l’âge de 27 ans. Je crois que s’ils fréquentent l’école, ils devraient obtenir un soutien financier pour l’ensemble de leurs études. Cela m’est très utile parce que je n’ai pas à m’inquiéter de travailler pendant que je vais à l’université, mes études prenant beaucoup de mon temps. Je ne sais pas si je pourrais subvenir à mes besoins avec un seul emploi en poursuivant mes études.
[Français]
La sénatrice Gerba : Merci.
[Traduction]
La présidente : Sénateur Arnot, voulez-vous poser une question?
Le sénateur Arnot : C’est bien. Je pense que ce groupe a été excellent. Je n’ai pas de questions.
La sénatrice Pate : J’ai consacré une bonne partie de ma vie professionnelle à des gens qui ont été laissés pour compte par le système de protection de l’enfance et qui n’ont pas réussi à s’épanouir. J’ai beaucoup travaillé auprès des jeunes et des adultes dans le système carcéral. Il est rare que les personnes incarcérées n’aient pas eu affaire avec le système de protection de l’enfance.
Selon vous, quels sont les points où différentes interventions pourraient aboutir à des résultats différents? Je sais que c’est une question très vaste, mais si vous avez des suggestions, je vous en serais très reconnaissante.
Mx Moon : C’est une question très vaste, et je n’ai jamais été dans ce système, mais je crois que si les jeunes recevaient beaucoup de soutien et se sentaient valorisés, cela pourrait les empêcher de se retrouver là.
Ce n’est pas tout à fait lié au placement dans une famille d’accueil, mais j’ai regardé récemment une vidéo dans laquelle on parlait de quelqu’un qui avait des démêlés avec la justice et qui, dès son plus jeune âge, avait été jugé, ce qui l’a amené à voler et à avoir l’impression que sa valeur se limitait à être un criminel. Cette personne a fini par changer de vie, mais je pense que sans ce jugement, elle aurait évité de commettre des crimes dès son plus jeune âge.
Je ne peux pas en dire beaucoup plus à ce sujet. Comme je l’ai mentionné, je n’ai pas d’expérience dans ce domaine, mais je pense qu’il faut simplement avoir de la stabilité et du soutien et se sentir appuyé.
La sénatrice Pate : Merci, Mx. Moon.
Mme Sunshine : Je n’ai pas eu personnellement cette expérience, mais pour éviter qu’un plus grand nombre de jeunes soient touchés, il faut investir dans des services à long terme qui tiennent compte des traumatismes. La sensibilisation aux traumatismes peut aider à prévenir de tels cas, et je tiens à répéter ce que Mx. Moon disait. Être accueilli avec compassion, amour, patience et compréhension — rencontrer les jeunes à leur niveau — peut aider à sauver des vies.
Par exemple, j’ai grandi dans un contexte de criminalité et de pauvreté. Je baignais dans cela, mais j’ai été entourée et encouragée — on m’a déjà intimidée et traitée de « sainte‑nitouche » parce que je refusais de participer à ces activités —, et j’ai cru ce que les gens me disaient, ce qui m’a donné la confiance nécessaire pour réussir et faire ce que je fais aujourd’hui. Je pense que ce renforcement et la mise en place d’un plus grand nombre de services qui tiennent compte des traumatismes peuvent aider les jeunes.
Mme De Andrade : Il est intéressant de savoir quels ont été les premiers contacts avec le système de justice pour de nombreux jeunes qui ont eu des démêlés avec ce système. S’ils étaient en foyer d’accueil, la police a-t-elle été appelée parce qu’ils étaient en retard d’une heure pour leur couvre-feu et qu’on croyait qu’ils étaient en fugue? Cela a-t-il eu lieu un jour où ils n’allaient pas bien et ils avaient claqué la porte, ou parce qu’il y avait un conflit, qui n’était pas nécessairement violent, entre les jeunes vivant ensemble dans un groupe ou un foyer d’accueil, mais que le personnel ne savait pas comment le gérer? Il s’agit donc de déterminer quel a été le point d’entrée et comment nous pouvons intervenir.
Deuxièmement, il faut apprendre aux jeunes à canaliser leurs sentiments et à les valider. Comment peut-on canaliser ses sentiments? En tant que femme, j’ai appris à composer avec la colère liée aux injustices sociales du fait d’être une femme et je me suis donné la permission d’être en colère, mais j’ai aussi trouvé des endroits où canaliser cette colère. Il y a de nombreuses façons de faire cela. Grâce à ce processus, j’ai appris que j’avais de nombreuses options pour exprimer ma colère. Je dirais qu’il est important d’avoir des options et d’intervenir très tôt dans le système de justice auprès des jeunes qui sont pris en charge.
La présidente : Merci. Je profite de l’occasion pour remercier chacun d’entre vous. Nous avons appris de votre sagesse et de votre force. Ce fut un grand privilège de vous avoir ici. Merci.
Honorables sénateurs, en repensant aux témoignages que nous avons entendus aujourd’hui, je ne peux m’empêcher de penser à celui de M. Nair, du groupe précédent, qui a parlé de l’importance du soutien familial et de l’investissement dans un plan de soutien familial. C’est ce que vous nous avez aussi dit, et je tiens à vous remercier pour cela. Vos témoignages, ce dont vous nous avez fait part, nous aideront lorsque nous serons prêts à rédiger notre rapport.
Je vais maintenant présenter notre troisième groupe de témoins, chacun d’entre eux étant invité à faire une déclaration préliminaire de cinq minutes. Nous entendrons les témoins, puis nous passerons aux questions des sénateurs.
Nous accueillons Keauna Moulaison, de même que Lanell Murphy, tous les deux participants du programme Planning Alternate Tomorrows with Hope, ou PATH. J’inviterais maintenant Mme Moulaison à faire sa présentation. Elle sera suivie de M. Murphy.
Keauna Moulaison, participante au programme PATH, à titre personnel : Je m’appelle Keauna Moulaison. J’ai 20 ans et j’ai été prise en charge par les services à la jeunesse à l’âge de 15 ans. J’en suis à ma quatrième année d’études à l’Université Queen’s, où je poursuis un baccalauréat ès sciences avec spécialisation en sciences de la vie, de même qu’en recherche sur le cancer, avec une sous-spécialisation en découverte biomédicale.
Mon expérience en famille d’accueil a été différente de celle des autres personnes qui se sont retrouvées en famille d’accueil à un très jeune âge ou qui sont passées de famille d’accueil en famille d’accueil. Beaucoup ont vécu des situations beaucoup plus difficiles, mais cela ne veut pas dire que mon parcours a été facile.
Mon père est décédé d’un mélanome à l’automne 2018, alors que j’avais 14 ans. Mon jeune frère et moi avons d’abord emménagé avec une amie de la famille, sans que les services sociaux soient informés de cette situation. Après avoir constaté que cet arrangement ne fonctionnait pas pour elle, cette amie a décidé que mon frère cadet et moi devions partir. J’ai été prise en charge par les services à la jeunesse l’automne suivant, ce qui m’a causé plus de traumatismes que lors de mon premier changement de vie.
Peu après, la COVID est arrivée, avec toutes ses complications pour les enfants en familles d’accueil. Cela a marqué le début d’un tout nouveau chapitre de ma vie, un chapitre rempli d’incertitude, de douleur et de peur. À certains égards, j’ai eu de la chance. Je suis demeurée dans la même famille d’accueil, et celle-ci fait toujours partie de ma vie aujourd’hui, mais le fait de passer de ma famille, ma maison, mes routines et mes règles à un autre mode de vie dans la maison de quelqu’un d’autre a été incroyablement difficile, d’autant plus que j’étais plus âgée lorsque j’ai commencé à être prise en charge. Peu de temps après, tout a encore été bouleversé en raison de la COVID.
La perte de mon père, la perte de mon ancienne vie et cette transition en foyer d’accueil ont été des expériences incroyablement terrifiantes. Toute la structure, la sécurité et l’assurance que j’avais connues ont semblé disparaître du jour au lendemain. Pour la première fois, j’ai eu l’impression de n’avoir aucun contrôle sur ma vie. J’ai dû développer un nouveau niveau d’indépendance, auquel je n’étais pas préparée. Les aptitudes à la vie quotidienne qu’on ne m’avait pas enseignées sont devenues des obstacles, et même maintenant, je suis encore en train de déterminer comment profiter de ce nouveau niveau d’indépendance.
Ma famille d’accueil a incroyablement bien compris le deuil et l’instabilité que j’ai vécus pendant cette période. Ils m’ont acceptée pour ce que j’étais, même lorsque j’avais de la difficulté à assimiler tout ce qui se passait autour de moi. La mère de ma famille d’accueil m’a traitée comme si j’étais sa fille, m’offrant un amour inconditionnel et un soutien indéfectible dans tout ce que je faisais. Elle m’a fait me sentir considérée et valorisée, en célébrant mes réalisations et en veillant à ce que je sois incluse dans chaque fête et étape importante. Cela m’a donné un sentiment d’appartenance.
La transition vers le foyer d’accueil a été difficile, mais l’amour et l’acceptation que j’ai trouvés dans ma famille d’accueil ont fait toute la différence. Ils m’ont donné un sentiment de stabilité et d’appartenance dont j’avais désespérément besoin, et je leur en suis éternellement reconnaissante, mais il y avait encore des moments où je me sentais perdue. Les décisions concernant ma vie étaient soudainement entre les mains d’étrangers, et il était difficile pour moi de m’adapter à cela.
Tout s’est passé très rapidement, et j’ai été laissée dans l’ignorance pendant que des étrangers discutaient de mon cas, ce qui a fait en sorte que j’ai eu du mal à assimiler tout ce qui se passait. Il a été particulièrement difficile d’établir un lien de confiance avec les travailleurs sociaux, car il y en avait constamment de nouveaux. Juste au moment où je commençais à établir un lien avec quelqu’un, on remplaçait cette personne par quelqu’un d’autre.
L’un des ajustements les plus importants a été de composer avec tous les budgets et processus financiers liés au placement dans une famille d’accueil. Je n’avais pas l’habitude de dépendre de budgets stricts, et encore moins d’avoir à attendre la demande et l’approbation de fonds pour obtenir ce dont j’avais besoin. Cela a créé des retards et de la frustration avec lesquels je n’étais pas familière. D’un seul coup, j’ai dû exposer tous les aspects de ma vie à des gens que je connaissais à peine, et cela me semblait envahissant et accablant. J’avais tellement de chagrin et de traumatismes accumulés, mais je n’étais pas à l’aise de les partager avec des gens que je venais de rencontrer, alors j’ai dû composer avec toutes ces émotions sans exutoire.
Je reconnais le travail incroyable et les bonnes intentions des travailleurs sociaux, mais ils sont débordés de dossiers, ce qui fait qu’il leur est impossible d’accorder toute l’attention voulue à chaque cas. Il fallait du temps pour qu’on réponde à mes questions ou à mes besoins, et j’ai rapidement appris que je ne pouvais pas me fier à ces personnes de la même façon que je me fiais à mon père. Au lieu de cela, j’ai dû me débrouiller toute seule pour beaucoup de choses.
La difficulté s’est encore aggravée lorsque j’ai fait la transition vers la vie autonome. J’ai dû acquérir des compétences pour faire un budget, ce qui m’était inconnu. Il était difficile d’apprendre à gérer son argent, surtout avec une inflation faisant grimper en flèche les dépenses de subsistance, comme l’épicerie. Souvent, le financement limité fourni par l’agence n’était pas suffisant pour couvrir tous mes besoins de base, et j’ai développé un trouble de l’alimentation, parce que j’étais très stressée par mon budget d’épicerie, étant donné que la nourriture est si chère. Toutefois, le fait de recevoir du financement dans le cadre du programme PATH m’a grandement aidée à relever ces défis. Ce soutien financier aux deux semaines m’a fourni une source de revenu plus constante pour répondre à mes besoins. Grâce à ce financement supplémentaire, l’établissement d’un budget est devenu plus facile, et j’ai été en mesure de mieux gérer mes dépenses sans m’inquiéter constamment de la façon de joindre les deux bouts.
Le financement de PATH a changé ma vie. Il a permis d’atténuer une partie du stress financier lié au fait d’essayer d’étirer un budget limité pour couvrir tout, de l’épicerie aux fournitures scolaires. La constance de ce financement m’a permis de me concentrer davantage sur mes études et ma croissance personnelle, plutôt que de constamment me battre pour combler mes besoins fondamentaux. Je ressens un sentiment de stabilité financière, ce qui a fait une différence incroyable dans mon bien-être général. Toutefois, dans quelques mois, je vais perdre l’accès aux soins en santé mentale, le financement de ces soins devant prendre fin. La couverture dont je bénéficie à l’université ne me permettra pas de faire beaucoup de visites, ni de continuer à travailler avec le thérapeute avec qui j’ai une relation de confiance. Si je pouvais recommander quoi que ce soit, ce serait que cela soit considéré comme un élément essentiel des fonds versés.
Le placement en famille d’accueil m’a façonnée d’une façon que je n’aurais pas pu imaginer. Cela a mis à l’épreuve ma résilience et m’a forcée à grandir, alors que je n’étais pas prête à cela. Bien que je sois reconnaissante de la stabilité que j’ai eue, l’expérience a été tout sauf facile. J’ai connu un mélange de gratitude et de deuil, j’ai dû apprendre à faire confiance aux gens et j’ai dû trouver ma force pendant cette période chaotique. Merci.
Lanell Murphy, participant au programme PATH, à titre personnel : Bonjour, distingués sénateurs, membres du personnel, invités et autres témoins. Je m’appelle Lanell Murphy et je suis un jeune homme noir de la Nouvelle-Écosse qui vit à Dartmouth-Est, mais qui a des racines à Halifax, à Preston-Nord et à Beechville. J’apprécie le soutien du programme PATH, qui m’aide de bien des façons. Il me donne la possibilité d’être autonome, d’atteindre les objectifs que je me suis fixés et de poursuivre mes études à un niveau plus avancé, en partie grâce à l’aide financière offerte par ce programme, ce qui réduit le stress et l’inquiétude quant à ma situation financière.
Lorsque les circonstances ont fait que mon frère et ma sœur cadets ont été confiés aux soins de ma tante, j’ai décidé de quitter moi aussi la maison et d’aller vivre avec eux. Nous avons tous trouvé un foyer chez elle. Heureusement, ma tante travaille dans un ministère. Elle a communiqué avec ses ressources pour trouver l’information qui pourrait m’aider, mais lorsqu’elle est entrée en rapport avec le travailleur social au sujet du soutien pour moi et mon frère aîné — j’avais 17 ans et mon frère, 18 ans —, on lui a dit que nous étions trop vieux et qu’il n’y avait pas d’aide disponible. Comme vous le savez, il est souvent plus difficile pour des jeunes comme nous d’obtenir du soutien, et il peut y avoir beaucoup d’obstacles à surmonter.
Je suis reconnaissant de pouvoir faire du bénévolat dans la collectivité avec BLM In this TOGETHER, ainsi que dans le cadre des nombreux événements qu’ils organisent, ce qui m’aide à maintenir mon bien-être. Le fait de m’aider moi-même et d’aider d’autres personnes à naviguer dans les systèmes, à éliminer les obstacles et à éliminer le racisme contre les Noirs représente une grande priorité de ce travail de bénévolat.
J’aime aussi m’entraîner, marcher et courir. Ce sont mes exutoires. La course-marche annuelle chronométrée est certainement un point saillant pour moi. J’y fais du bénévolat et j’y participe. Toute ma famille participe à la marche. Mes frères et sœurs se sont même entraînés et se sont classés au premier rang ou dans les trois premiers pour nombre de ces courses.
Cet organisme offre un accès facile parce qu’il ne comporte que peu d’obstacles. Tous les programmes sont gratuits et sont accessibles en autobus. Je suis reconnaissant du rôle que joue BLM In this TOGETHER dans la société. Pour montrer mon appréciation, je redonne à la collectivité en faisant du bénévolat lors de nombreux événements, y compris les marches du mercredi soir sur la piste d’athlétisme.
Ma tante a continué de chercher du soutien et de l’aide financière au-delà de ce qu’elle pouvait m’offrir elle-même, y compris les petits plus dont j’ai besoin. La situation est déjà assez difficile, mais elle l’est encore plus parfois en raison de l’information qu’il faut chercher ou des appuis pour lesquels il faut se battre et auxquels nous, en tant que citoyens, devrions avoir droit ou qui devraient être accessibles. Elle a fini par apprendre que je pouvais présenter une demande d’aide au revenu, et elle m’a aidé à le faire. C’était un long processus, qui a pris de nombreux mois, mais nous n’avons pas abandonné, et ma demande a fini par être approuvée. Ma tante m’a aidé à obtenir du soutien en matière de prévention et d’intervention précoce. Ma famille et moi étions en contact avec le centre de ressources du Boys and Girls Club de Preston, ce qui m’a permis d’établir des liens avec la communauté de mon père et de rétablir des ponts avec de nombreux membres de ma famille. J’ai terminé le programme financier et j’ai reçu un certificat, qui a été très utile. J’ai appris beaucoup de choses, par exemple, comment épargner et bien investir mon argent. Mes frères et sœurs participent encore à des programmes de prévention et d’intervention précoce au Boys and Girls Club de Preston et au North Preston Family Resource.
Imaginez si ma tante n’avait pas été mise au courant de la prévention et de l’intervention précoce et si elle avait simplement accepté que l’absence de soutien soit la dernière option. J’imagine que je n’aurais pas accès à autant de services de soutien, ni à des membres de ma famille élargie.
J’ai aussi atteint d’autres objectifs. J’avais toujours voulu suivre une formation de conducteur, et le financement m’a permis de terminer ce programme, et j’ai maintenant mon permis de conduire. Ma tante m’aide actuellement à me procurer un véhicule d’occasion, ce qui facilitera les allers-retours au travail et me permettra d’aider ma tante à prendre soin de ma jeune sœur et de mon frère. Je pourrai les emmener à des rendez-vous et à d’autres activités, ce qui a parfois été difficile pour ma tante dans le passé, laissée à elle-même après être passée d’un seul coup de personne célibataire à personne célibataire avec des personnes à charge. Je veux essayer d’aider et de contribuer le plus possible. Je fréquente actuellement l’école et je suis le cours d’inspection de maisons à l’Université Dalhousie, et le fait d’avoir mon permis de conduire et ma voiture m’aidera aussi à me rendre à la bibliothèque pour étudier au besoin.
Après tant d’efforts pour faire reconnaître mon admissibilité à l’aide au revenu, on me l’a retirée en raison du cours que je suivais à l’Université Dalhousie. Cette embûche s’est manifestée avant même que je commence le cours. Lorsque je me suis renseignée auprès d’une préposée du soutien à l’emploi, elle m’a répondu que le cours que je suivais ne figurait pas sur la liste de cours approuvés et que, par conséquent, mon aide financière serait interrompue. Elle m’a expliqué que je devais abandonner le cours si je voulais continuer à recevoir l’aide au revenu. J’avais payé mes frais de cours avec mes revenus d’emploi d’été et l’aide au revenu servait à payer mes frais de subsistance.
J’étais vraiment déçue de la décision. Dire que j’étais fâchée est un euphémisme. Je me suis tournée vers ma tante. Cette décision ne faisait pas son affaire non plus. Elle s’est penchée sur la question et s’est rendu compte que la décision pouvait être contestée. J’ai donc fait appel de la décision et j’ai obtenu gain de cause. Même si je n’ai pas pu obtenir d’aide financière pour mon cours, l’aide au revenu a été rétablie. Cela m’a coûté du temps que j’aurais pu consacrer à mon cours plutôt que de me battre pour conserver ce qui avait déjà été approuvé.
Ce ne sont que quelques-unes des leçons de résilience, de responsabilité et de persévérance que la vie m’a données. Nos circonstances défavorables nous ont fait vivre beaucoup de stress, mais le programme PATH fait partie des bonnes choses qui en découlent. Le programme PATH m’a également permis de contribuer à certaines dépenses, comme l’épicerie et les factures. J’ai recommencé à payer ma facture de téléphone cellulaire et ainsi libéré ma tante de ces paiements. Elle payait ma facture depuis des années, j’en suis vraiment reconnaissante, mais je peux maintenant me responsabiliser et connaître la satisfaction de payer mes propres choses. J’offre des repas à emporter à ma famille de temps en temps et je suis heureuse de pouvoir le faire, de pouvoir redonner à ma tante et d’aider à prendre soin de mes jeunes frères et sœurs. C’est très important à mes yeux.
Cela m’a aidée à m’occuper de ma santé dentaire, car j’ai pu prendre des rendez-vous réguliers chez le dentiste. J’avais bien pris rendez-vous chez le dentiste l’année précédente, mais j’avais dû les annuler et les reporter par manque d’argent. Grâce à l’aide financière du programme, j’ai pu honorer mes rendez-vous et ainsi prende soin de ma santé buccodentaire.
Je trouve très utile de faire le point avec l’intervenante jeunesse. Elle m’a aidée à mettre à jour mon curriculum vitæ et à postuler un emploi. Grâce à son soutien, j’occupe actuellement un emploi. Elle nous a beaucoup aidés et je lui suis reconnaissante de tous ses efforts.
Je me suis également renseignée sur le programme, afin d’en faire bénéficier mon frère aîné. Ce programme m’a tellement aidée, je voulais qu’il y ait accès aussi. Il participe actuellement au programme et il est ainsi en mesure d’atteindre les objectifs de vie qu’il s’était fixés.
En conclusion, le programme PATH a constitué un atout précieux dans ma vie, car il m’a aidé à tracer une nouvelle voie, une voie qui montre que, même lorsqu’on vit des situations stressantes, il y a toujours des raisons d’espérer. J’aimerais que le fait de raconter mon histoire contribue à faire connaître la valeur de ces programmes.
Merci de votre temps.
La présidente : Merci à vous deux pour vos exposés. Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs.
La sénatrice Bernard : Merci à vous deux d’être ici. En tant que fière Néo-Écossaise, permettez-moi de dire que vous avez bien représenté notre province ici ce soir. Merci.
J’ai entendu parler du programme PATH. Je sais qu’il est relativement nouveau. Nous avons eu la chance de recevoir Stacey Greenough, la directrice de Bien-être des enfants et des familles au ministère des Services communautaires. Au début de cette étude, elle a été l’un de nos premiers témoins. Elle a affirmé que le programme PATH avait trois objectifs principaux : premièrement, aménager des environnements sûrs et sains; deuxièmement, créer un lien positif avec la collectivité; troisièmement, offrir l’équité d’accès au soutien nécessaire à l’épanouissement et à l’atteinte de son plein potentiel.
Madame Moulaison, je sais que le programme PATH n’existait pas encore lorsque vous avez effectué la transition. Vous avez donc accédé au programme PATH quand vous fréquentiez déjà l’université. D’après votre expérience, PATH répond-il à ces trois priorités?
Mme Moulaison : Comme vous l’avez mentionné, lors de ma transition, je ne bénéficiais pas du financement du programme PATH. J’y ai eu accès au cours de l’an dernier. J’ai passé mes deux premières années et demie — presque trois années — d’université sans ce financement supplémentaire.
Comme je l’ai mentionné dans mon allocution, j’ai fini par souffrir d’un trouble alimentaire, parce que la nourriture coûte si cher, manger sainement coûte si cher, vivre coûte si cher et tout le reste coûte si cher. J’étais limitée à un budget mensuel fixe, que je devais faire durer tout le mois. Il fallait tenir bon pendant 30 jours. Tout se passe bien la première semaine ou les deux premières semaines, mais ensuite, au fil du mois, la somme d’argent diminue, et on ne sait plus s’il faut faire l’épicerie, car quoi faire si un imprévu survient et qu’on n’a plus de fonds d’urgence?
Grâce à la mise en œuvre du programme PATH, je constate une différence marquée dans mon bien-être psychologique, mon éducation et mes relations personnelles. Ma situation s’est améliorée parce que je n’ai plus à supporter le fardeau du stress, je n’ai plus à me demander comment je vais pouvoir vivre jusqu’au mois prochain, ce que je vais pouvoir me permettre de manger ce mois-ci ou si je vais sauter des repas parce que je n’ai pas les moyens d’acheter assez de nourriture pour en prendre trois par jour.
Pour revenir aux trois objectifs du programme PATH, je crois qu’ils fonctionnent bien. Les rencontres de mise au point sont incroyables, comme l’a affirmé M. Murphy. On nous pose des questions — certaines vous mettent un peu mal à l’aise —, mais c’est pour savoir si tout va bien et pour s’assurer que, si on a besoin de soutien dans certains domaines, ils sont à même de nous guider vers les mesures de soutien adéquates.
Dans mon cas, comme je vis en Ontario pendant l’année scolaire et que je ne suis pas en Nouvelle-Écosse, je ne peux pas avoir accès à certains programmes, à certaines mesures de soutien ou à certaines des possibilités auxquels j’ai normalement droit parce que je suis ici, en Ontario. On n’y trouve pas les mêmes programmes ni les mêmes mesures d’aide.
Tout cela est encore un peu compliqué. Il y a place à l’amélioration au chapitre des relations avec la collectivité. C’était la première fois aujourd’hui que je rencontrais une personne également prise en charge qui n’est pas mon frère. Je n’ai jamais rencontré qui que ce soit avec un vécu semblable au mien. Pendant de nombreuses années, j’ai eu l’impression qu’il y avait quelque chose qui clochait chez moi. Je me sentais étrangère et j’avais l’impression que personne ne me comprenait, à cause de la stigmatisation qui entoure les jeunes pris en charge. On ne peut pas le dire à n’importe qui. On garde cela pour soi et on attend la bonne personne, celle à qui on peut faire confiance et à qui on peut raconter ces expériences, une personne qui comprendra, et non une personne qui nous jugera de haut ou qui pensera qu’il faut nous prendre en pitié ou nous traiter différemment. Je dis cela parce que je ne crois pas que mes expériences me définissent comme personne. Oui, cela fait partie de mon histoire, mais cela ne définit pas qui je suis aujourd’hui.
Il y a une chose avec le programme PATH — pas nécessairement avec le programme PATH, mais avec le placement en famille d’accueil en général —, c’est qu’il devrait y avoir un plus grand nombre d’activités, de programmes et d’événements qui nous permettent de rencontrer des personnes qui vivent les mêmes expériences que nous. J’ai l’impression qu’en vieillissant, on se sent plus isolé. On tente de s’adapter à un nouveau cadre de vie et on se sent vraiment seul, car il y a beaucoup de choses qu’on ne connaît pas, qu’on croit devoir connaître parce que tout le monde autour les connaît, parce qu’ils ont eu des personnes pour les guider toute leur vie. Même aujourd’hui, je ne suis ici que depuis 12 heures et cela m’a fait grand bien d’entendre les histoires des autres et de savoir que je n’étais pas seule.
La sénatrice Bernard : Merci. J’adore la salutation poing contre poing. Monsieur Murphy, avez-vous l’impression que les trois objectifs du programme PATH fonctionnent pour vous? Selon votre expérience, comment estimez-vous qu’ils fonctionnent pour vous? Ces trois objectifs sont les suivants : aménager des environnements sûrs et sains; créer un lien positif avec la collectivité; offrir l’équité d’accès au soutien nécessaire à l’épanouissement et à l’atteinte de son plein potentiel.
M. Murphy : Personnellement, j’ai commencé à participer au programme PATH en avril, il y a quelques mois. En avril, je me suis déchiré le tendon d’Achille droit en jouant au basketball. Avant cela, je travaillais pour payer mes études. Après la rupture de mon tendon d’Achille, je ne pouvais plus travailler, parce que j’ai eu un plâtre pendant deux semaines, puis une botte de marche avec des béquilles ensuite. Je travaillais dans le domaine de la construction, ce n’était donc plus possible.
Sans le programme PATH, je n’aurais pas pu payer mes études. J’ai été accepté dans ce programme au moment idéal. Il m’a aidé à réaliser mon potentiel, car, autrement, je n’aurais pas pu payer mes études. Il aide la collectivité en retirant beaucoup de stress aux personnes et cela leur permet d’apprendre à payer leurs effets de base. Grâce au programme, on n’a pas à se soucier d’où viendra l’argent. Maintenant, je me sens en sécurité grâce au programme PATH. Mon environnement s’est amélioré également, parce que j’ai la tranquillité d’esprit de savoir que je n’ai pas à m’inquiéter de l’argent. Quand j’ai commencé, je ne pouvais pas travailler du tout, mais cela me permettait d’étudier. Je n’avais pas à m’inquiéter de la provenance de l’argent, je savais que ça irait. C’est de cette façon que le programme m’a aidé.
La sénatrice Bernard : Oui. Je sais que vous faites tous les deux beaucoup de bénévolat et, monsieur Murphy, vous faites du bénévolat pour le mouvement Black Lives Matter, qui organise une marche annuelle le Jour de l’émancipation. Vous m’avez rappelé que c’est là que nous nous sommes rencontrés la première fois. J’étais la personne la plus âgée de la marche — je courais un peu aussi. Dites-moi pourquoi il est important pour vous de faire du bénévolat et de donner en retour.
M. Murphy : Je pense que c’est important, parce que quand les gens me voient dans la collectivité, ils reconnaissent en moi le jeune bénévole. Je les approche avec un sourire, et je suis heureux d’être là. Cela rassemble la collectivité. C’est un événement divertissant. Nous avons même eu un barbecue par la suite. Vous vous souvenez du premier? C’est là que je vous ai rencontrée. Il y a eu un barbecue après. Il y avait beaucoup d’activités ludiques, comme la peinture faciale. J’allais arriver troisième dans la course, mais j’avais mal adapté ma course au sentier. C’est ce qui me revient à l’esprit au sujet de cette course.
Mme Moulaison : Le bénévolat est très important pour moi, car depuis le décès de mon père, j’ai du mal à m’aimer, à accepter mon passé et à croire en moi. Il m’arrive souvent de douter de moi, et j’ai l’impression de ne pas pouvoir accomplir la même chose que les autres.
Je fais du bénévolat auprès de nombreuses personnes âgées et de nombreux enfants ayant une déficience intellectuelle. Ils ont aussi du mal à se sentir à leur place, à croire qu’ils peuvent accomplir ce qu’ils veulent accomplir, à accepter qu’ils ont besoin d’un peu plus d’amour et d’un petit coup de pouce en plus dans la bonne direction. « Tu peux y arriver, tu peux accomplir ce que tu veux. »
Je pense que c’est la principale raison pour laquelle j’ai commencé à faire du bénévolat. J’ai commencé le bénévolat quand mon père a reçu son diagnostic de mélanome. J’ai formé une équipe du Relais pour la vie et j’en ai été le capitaine en son honneur. Nous avons continué après son décès. Je sais que j’ai continué parce qu’il était à l’hôpital quand j’ai commencé, et cet énorme groupe d’amis et moi nous sommes réunis. Nous avons fait des tours de piste en marchant pendant des heures sous la pluie battante, et je lui ai envoyé tellement de photos de nous tous en train de marcher. Il s’est mis à pleurer. Il était si heureux de se sentir aussi important pour tellement de gens. Je crois vraiment que cela l’a aidé à se battre, car il avait l’impression que sa vie en valait la peine.
Je veux simplement continuer à avoir ce genre d’impact dans la vie de tous.
La sénatrice Senior : Merci, monsieur Murphy et madame Moulaison. C’est formidable que, même si vous venez à peine de vous rencontrer, vous ayez formé une équipe sur cette expérience.
Je comprends bien les avantages du programme PATH. Vous avez tous les deux eu des parcours très différents. Est-ce qu’il y a d’autres lacunes quant à vos aspirations que vous voudriez voir combler et au sujet desquelles vous voudriez vous exprimer.
Mme Moulaison : Pour ma part, puisque j’ai obtenu mon baccalauréat en sciences cette année — mon parcours d’étude n’est pas terminé, mais, en Nouvelle-Écosse, un seul programme est normalement couvert. Je pourrais présenter une demande pour un autre programme, mais c’est incertain, alors je dois prévoir de payer le reste de mes études par moi-même et trouver comment faire une demande de prêts et bourses, et toutes sortes de choses que les adultes font et que je ne sais pas faire pour l’instant.
J’ai 20 ans, mais je suis loin de tout savoir. Je suis encore en apprentissage.
La sénatrice Senior : [Difficultés techniques]
Mme Moulaison : Cette année, j’ai demandé, presque en criant, qu’on m’aide à me préparer à cette transition vers l’âge adulte, vers un niveau d’indépendance supérieur. La transition vers une famille d’accueil puis vers la vie autonome m’ont fait évoluer chaque fois vers une plus grande indépendance, mais cette nouvelle transition nécessite un degré d’indépendance encore supérieur.
Les travailleurs sociaux sont surchargés de dossiers, et il est difficile de miser uniquement sur les rencontres individuelles. Ils veulent que l’on vienne à eux avec des demandes très précises, mais j’ignore quelles mesures de soutien exactes ou quels programmes précis il me faut, parce que je ne connais pas grand‑chose de la réalité pratique.
C’est une lacune qui subsiste. La charge de travail de l’intervenant social a une incidence sur sa relation avec nous et cela continue de nous affecter au moment où nous essayons de nous tourner vers l’avenir et vers l’âge adulte.
Dans les familles types, les parents sont présents tous les jours. Ils voient leur enfant tous les jours. Ils l’encouragent tous les jours, à chacune des étapes. Dans notre cas, ce sont des entretiens de suivi tous les jours, toutes les semaines, à quelques semaines ou à quelques mois d’intervalle, c’est selon. En Ontario, j’ai un contact avec mon intervenant une fois par mois et il faut des semaines pour obtenir des réponses.
Il faut passer par plusieurs personnes pour tenter de démêler tout cela. C’est un long processus et je n’ai pas beaucoup de temps. Le mois de juin approche à grands pas — je vais bientôt obtenir mon diplôme — et je ne veux pas avoir à me battre juste avant la fin pour trouver de l’aide. Je préfère savoir où aller dès maintenant pour maîtriser la crainte de cette transition.
M. Murphy : C’est comme un déménagement pour moi. Mon cours d’inspecteur en bâtiment se termine seulement dans un an et demi, alors la lacune, pour moi, serait d’avoir à déménager une fois de plus. Je veux passer à un emploi à temps plein, car je ne travaille pas à temps plein actuellement. Je veux passer à un emploi à temps plein et poursuivre mes études en ligne en même temps. Je veux simplement avoir de meilleures compétences de gestion du temps.
Mon intervenante en Nouvelle-Écosse pourrait m’aider. Je pourrais obtenir de l’aide simplement en lui parlant. Lorsque j’ai fait ma première demande d’emploi en juillet, c’est-à-dire lorsque j’ai pu recommencer à travailler — parce que je ne portais plus ma botte de marche orthopédique —, j’ai obtenu un emploi à temps partiel. J’ai encore cet emploi, mais je dois commencer à épargner plus d’argent. Pour devenir inspecteur en bâtiment, j’ai besoin d’un véhicule de travail. C’est la prochaine étape : épargner pour un véhicule de travail. C’est juste une question de travailler à temps plein, je dois m’y réhabituer.
[Français]
La sénatrice Gerba : Merci beaucoup d’être présents aujourd’hui. Vous avez tous les deux parlé des obstacles en ce qui concerne la santé mentale, des obstacles que vous avez tous les deux relevés. Madame Moulaison, vous avez même parlé des troubles alimentaires que vous avez vécus et que vous vivez toujours. Je me demande s’il y a quelque chose qu’on aurait pu faire, dans votre cas, pour améliorer la prise en charge, notamment en ce qui concerne la santé mentale.
Vous parlez de la difficulté à avoir accès à votre travailleuse sociale, que vous voyez une fois par mois. Si vous aviez une ou deux recommandations à faire en ce sens, qu’est-ce que vous recommanderiez pour cette étude?
[Traduction]
Mme Moulaison : L’une des recommandations porte sur le financement des services privés de santé mentale. Je vois actuellement un thérapeute au privé. Sa pratique n’est pas publique. Je la vois depuis plusieurs années, trois ou quatre ans. Elle est formidable. Je ne fais confiance à personne d’autre.
J’ai dû me prêter à un long processus quand j’ai commencé à recevoir des soins. J’ai tenté ma chance du côté de la santé publique. J’ai essayé la thérapie de groupe, les psychiatres, les psychologues; je suis passée par le bureau de nombreux thérapeutes différents; j’ai rencontré des thérapeutes spécialisés en troubles de l’alimentation. J’ai essayé tellement de choses.
J’ai dû rencontrer beaucoup de nouvelles personnes et procéder par essai et erreur. Il fallait raconter mon histoire chaque fois, ce qui était très difficile. Au bout du compte, j’ai réussi à trouver une personne avec qui je me sentais à l’aise et en qui j’avais pleinement confiance, à qui je pouvais m’ouvrir sans crainte.
On m’a dit récemment que dans le cadre de la vie autonome, il me fallait accéder aux ressources en santé mentale par l’entremise exclusive des services de santé publique et des services universitaires, ce genre de truc. On m’a dit qu’en janvier, je ne disposerais plus de la couverture nécessaire pour consulter la thérapeute que je vois actuellement, ce qui est difficile. C’est difficile parce que j’ai établi un lien profond avec elle. Je la vois depuis des années, et maintenant, soudainement, il faudrait recommencer tout le processus, parler à plusieurs personnes pour raconter mon histoire encore et encore en revivant le même traumatisme pour trouver quelqu’un d’autre en qui j’aurais confiance?
Conserver le financement pour les services de santé mentale est très important, car tout le monde est différent. Chacun se sentira à l’aise avec une personne différente. Ma thérapeute est arrivée au point de ne plus pouvoir m’aider, parce que mon trouble de l’alimentation était devenu si grave que j’ai dû consulter un spécialiste de ce domaine, qui m’a vraiment aidée et m’a donné des stratégies pour m’aider à améliorer ma façon de m’alimenter. Cela m’a beaucoup aidée, mais c’est évidemment un service privé.
Les services auxquels nous avons accès ne doivent pas être limités. Il faut pouvoir conserver ce qui fonctionne pour nous, ce qui améliore notre bien-être mental.
J’ai oublié l’autre partie de la question.
Je pense simplement qu’il est essentiel de défendre la couverture des soins de santé mentale. Beaucoup de jeunes pris en charge sont traumatisés. Notre vie n’a pas été facile : nous avons tous eu des difficultés. Même dans la société en général — et c’est là le problème — la santé mentale est un problème de plus en plus répandu. Le monde est effrayant en soi. Il y a des pandémies, de l’isolement et des événements malheureux partout dans le monde. C’est un monde terrifiant où vivre. Amener une personne à s’ouvrir à quelqu’un et à demander de l’aide constitue un pas de géant, et si cette personne est prête à le faire, on ne devrait pas lui en limiter l’accès.
La sénatrice Gerba : Avez-vous quelque chose à ajouter?
[Français]
Vous avez beaucoup parlé de votre tante et du soutien familial. Aimeriez-vous recommander quelque chose, dans le cadre de cette étude, par rapport au soutien familial?
[Traduction]
M. Murphy : Une bonne façon de soutenir les familles serait de créer des événements familiaux pour qu’elles gardent le moral.
Certains programmes existent. Il y a depuis toujours des événements auxquels il est possible d’assister. Nous pouvions nous rendre aux jeux d’arcade. Il y avait ma famille et un groupe d’autres jeunes en famille d’accueil. Nous y allions pour avoir du plaisir, nous allions jouer aux quilles.
La semaine dernière, par exemple, nous sommes allés regarder une partie de hockey des Mooseheads de Halifax, et j’ai l’impression que ce genre d’événement rehausse le moral et donne le sentiment d’appartenir à une famille. Vous pourriez aider en organisant plus d’événements et en faisant des choses avec les jeunes simplement pour leur redonner de l’optimisme.
Quand on assiste à des activités à l’extérieur de la maison, on se sent plus heureux. Si on se sent malheureux, cela peut aider à se sentir mieux. C’est mon opinion.
La sénatrice Gerba : Merci.
La sénatrice Pate : Merci beaucoup à vous deux d’être ici. J’allais poser une question, mais on vous a déjà posé la même. J’aimerais plutôt offrir du soutien, dans la mesure du possible.
Quand vous avez parlé de votre projet de diplôme de deuxième cycle, j’aimerais suggérer — je vais parler en mon nom personnel, mais j’imagine que d’autres collègues voudront se joindre moi. J’aimerais vous suggérer de présenter cette proposition dès que vous en aurez le temps et de nous en envoyer une copie. Je vais proposer mon nom, car j’aimerais comprendre pourquoi ils ne vous appuieraient pas.
C’est un investissement, non seulement dans votre avenir, mais dans celui de bien d’autres jeunes qui aimeraient suivre votre exemple. Je vous exhorte fortement à la soumettre, à demander des directives sur ce que vous devez faire d’autre pour obtenir ce soutien et à envoyer une copie conforme à autant d’entre nous que vous le pouvez. Bien sûr, j’aimerais recevoir une copie, car j’aimerais faire un suivi. La plupart des dispositions prévoient une grande latitude qui devrait vous permettre de recevoir cet appui.
Je pense à l’argument invoqué en droit de la famille. Quand une personne en a la capacité, les parents n’ont même pas le droit de refuser à leurs enfants ce type de soutien par la négociation. Les services sociaux et de protection de l’enfance ne devraient donc pas être autorisés à vous refuser ce droit ou à le réglementer. Ce n’est qu’une proposition.
La même chose vaut pour vous, monsieur Murphy, en ce qui a trait à votre travail et à votre désir d’obtenir du soutien. Quoi que nous puissions faire, n’hésitez pas à m’envoyer une copie de vos demandes et je me ferai un plaisir d’y donner suite.
Mme Moulaison : Merci beaucoup. Je pourrais en pleurer. C’est tellement touchant de voir une salle pleine de gens prêts à faire cela pour moi, parce que c’est tellement difficile d’y arriver. Comment atteindre ses objectifs, travailler pour son avenir et obtenir la formation nécessaire lorsqu’on ne peut pas travailler à temps plein ni fréquenter l’université à temps plein? Cela ne fonctionne tout simplement pas.
Maintenant que j’ai obtenu mon diplôme de premier cycle, je me dirige vers des études supérieures, où l’on a accès à des stages. La charge de cours sera beaucoup plus importante, et compte tenu du coût de la vie à l’heure actuelle, il est impossible d’y arriver seule, même avec une exemption des frais de scolarité. Le coût de la vie est beaucoup trop élevé. Le stress des études est déjà très important et cela ajoute à la charge mentale. Au nom d’un grand nombre de jeunes pris en charge, je peux vous dire que nous vivons beaucoup de stress.
Il est essentiel de faire tout ce qui est en notre pouvoir pour minimiser cette charge mentale. Merci.
La présidente : Monsieur Murphy, voulez-vous ajouter quelque chose?
M. Murphy : J’ai l’impression que vous nous appuyez et c’est incroyable, à vrai dire.
J’ai pris l’avion de la Nouvelle-Écosse pour arriver dans cette pièce, avec un groupe de personnes qui nous appuient, qui nous écoutent parler et qui nous sont vraiment reconnaissants. C’est incroyable.
La sénatrice Bernard : Je suis travailleuse sociale depuis près de 49 ans. J’ai commencé quand j’étais enfant. Je n’ai jamais travaillé dans le domaine de la protection de l’enfance, mais j’ai travaillé pour la défense des droits des parents. J’ai travaillé à offrir du soutien, des programmes et des ressources aux familles. J’ai fait le travail en amont dans la collectivité, dont notre premier témoin a parlé.
L’une des choses auxquelles j’ai toujours cru et que j’ai toujours encouragé les parents à croire, c’est de ne jamais accepter un « non ». Je veux donc appuyer la démarche de la sénatrice Pate.
Si vous demandez quelque chose et qu’on vous répond par un « non », vous devez le contester puis le contester encore. S’il peut vous être utile de dire que vous avez l’appui de certains sénateurs, comptez sur moi.
Je suis là où je suis parce que certaines personnes ont cru en moi, au moment où je ne le pouvais pas. Je suis là où je suis parce que des personnes m’en ont donné la chance. Des gens m’ont ouvert des portes qui, autrement, m’étaient fermées, et je me suis donné pour mission de faire cela pour les autres.
Vous nous avez fait cadeau ce soir de votre présence, de vos histoires et du courage dont vous avez fait preuve pour répondre à une invitation du Sénat du Canada. Nous devons faire ce que nous pouvons pour vous aider à atteindre la prochaine étape.
Il ne s’agit pas seulement d’atteindre son plein potentiel, mais de créer les conditions nécessaires pour que chaque enfant, chaque jeune, atteigne son plein potentiel. C’est ce que nous souhaitons, alors merci.
La présidente : Nous sommes arrivés à la fin de la séance.
En vous écoutant, madame Moulaison, j’imaginais une jeune femme confiante, et je vous remercie de nous raconter votre histoire et de nous faire part de vos craintes. Je sais que ce n’est pas facile.
Monsieur Murphy, vous démontrez un incroyable sens des responsabilités en voulant vous améliorer pour votre famille. Je suis très fière de tous les jeunes que nous avons vus aujourd’hui et des histoires qu’ils nous ont racontées. Je crois parler au nom de tous les sénateurs en disant que pour nous, cet après-midi et cette soirée ont été incroyables et je tiens à vous remercier.
Je sais que vous réussirez tous les deux. Merci de nous avoir fait part de votre histoire et merci de votre aide.
Être assis ici à vous écouter a constitué un moment puissant. La plupart d’entre nous sont des parents et nous savons ce qu’élever un enfant suppose.
À votre tante, un grand merci de notre part à tous, parce que la chose la plus importante que nous ayons entendue, c’est que le soutien familial compte énormément, et vous en êtes la preuve vivante.
Honorables sénateurs, nous sommes arrivés à la fin des témoignages. Nous allons suspendre la séance pendant environ cinq minutes, puis nous poursuivrons à huis clos.
Merci beaucoup.
(La séance se poursuit à huis clos.)