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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES SOCIALES, DES SCIENCES ET DE LA TECHNOLOGIE

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le jeudi 16 février 2023

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd’hui, à 11 h 30 (HE), avec vidéoconférence, pour examiner afin d’en faire rapport les questions qui pourraient survenir concernant les affaires sociales, la science et la technologie en général; et à huis clos, pour étudier un projet d’ordre du jour.

La sénatrice Ratna Omidvar (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : La séance est ouverte. Je m’appelle Ratna Omidvar et suis présidente du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie. Je souhaite la bienvenue à nos invités. Je les prie également de nous excuser, car nous avons remis la tenue de cette réunion à maintes reprises. Malheureusement, il en est ainsi avec le calendrier du Sénat, mais nous sommes aujourd’hui très heureux que vous soyez des nôtres.

D’abord, j’aimerais inviter mes collègues à cette table à se présenter aux témoins, en commençant par la vice-présidente du comité.

La sénatrice Bovey : Patricia Bovey, du Manitoba.

La sénatrice McPhedran : Marilou McPhedran, sénatrice indépendante du Manitoba.

[Français]

La sénatrice Petitclerc : Chantal Petitclerc, sénatrice indépendante du Québec.

[Traduction]

La sénatrice Burey : Sharon Burey, sénatrice de l’Ontario.

La sénatrice Bernard : Wanda Thomas Bernard, sénatrice de la Nouvelle-Écosse.

[Français]

La sénatrice Verner : Josée Verner, du Québec.

[Traduction]

La présidente : Merci, chers collègues. Nous poursuivons notre étude sur la main-d’œuvre temporaire et migrante du Canada. Nous recevons Andrew Griffith, membre de l’Institut canadien des affaires mondiales, et Fay Faraday, professeure agrégée à l’Osgoode Hall Law School de l’Université York, qui se joignent à nous par vidéoconférence. Soyez les bienvenus. Merci d’être des nôtres aujourd’hui.

D’abord, nous vous prions tous deux de faire votre déclaration liminaire de cinq minutes. Nous commencerons par M. Griffith. Vous avez la parole.

Andrew Griffith, membre, Institut canadien des affaires mondiales, à titre personnel : Merci, madame la présidente, et merci pour cette invitation. J’aimerais aborder trois grands points relativement aux travailleurs temporaires étrangers. D’abord, il y a la question de la compétitivité et de la productivité. Ensuite, il y a celle de la transition vers la résidence permanente. Enfin, il y a la question relative au plan des niveaux annuels, qui devrait comprendre des renseignements et de la planification pour les résidents temporaires, qu’il s’agisse d’étudiants ou travailleurs temporaires.

En matière de compétitivité et de productivité, nous devons toujours nous poser la question suivante : « Dans quel but embauchons-nous des travailleurs temporaires? » Essentiellement, nous voulons améliorer la compétitivité et la productivité d’entreprises canadiennes et remédier à de graves pénuries de main-d’œuvre dans des secteurs essentiels tels que la santé et l’agriculture.

Toutefois, du point de vue de la productivité, une plus grande souplesse et un nombre accru de travailleurs peu spécialisés à l’extérieur des secteurs essentiels n’influent guère sur l’amélioration de la productivité canadienne et la croissance du PIB par habitant. Ce sont en effet les travailleurs plus spécialisés qui font cette contribution.

Bien que l’on puisse défendre l’embauche de travailleurs essentiels à l’aide de définitions utiles en matière de sécurité publique, l’assouplissement croissant du nombre et de la durée des permis de travail vient dans les faits décourager les entreprises à investir dans la productivité et les améliorations des conditions de travail. C’est d’ailleurs ce que Mikal Skuterud et ses collègues ont récemment avancé dans un article se voulant un argument économique défavorable aux travailleurs temporaires étrangers faiblement rémunérés.

De même, l’assouplissement du nombre d’heures de travail pour les étudiants étrangers est un autre élément dissuasif, en plus de nuire aux objectifs éducatifs. Nous devrions tous nous souvenir de 2013-2014, quand le gouvernement précédent a dû faire marche arrière, puisque son assouplissement des restrictions avait mené à des abus des employeurs. Par son annulation récente des restrictions de 2014, le gouvernement actuel pourrait répéter cette erreur.

Il pourrait aussi être souhaitable que le comité réfléchisse à l’appel de M. Skuterud pour une sorte de système de plafonnement et d’échange où, contrairement au système ouvert actuel, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, ou IRCC, émettrait annuellement un nombre fixe de permis et en réduirait graduellement le nombre au fil du temps, ce qui permettrait aux employeurs d’échanger les permis inutilisés. Ainsi, les employeurs seraient éventuellement incités à améliorer leur productivité.

Ensuite, il y a la transition vers la résidence permanente. Statistique Canada indique qu’environ un tiers des résidents permanents sont d’abord arrivés au Canada à titre de résidents temporaires. Selon les données d’IRCC, les taux de transition les plus élevés sont ceux du Programme de mobilité internationale et des étudiants étrangers, tandis que les plus faibles sont ceux des travailleurs temporaires étrangers. La hausse de ces chiffres est constante au fil du temps. Présumer que tous les travailleurs temporaires devraient ou veulent faire la transition vers la résidence permanente fait fi de certaines réalités sectorielles du travail agricole saisonnier et de la nature des transferts intraentreprises, qui peuvent être limités dans le temps. Cela dit, nous devrions absolument améliorer les chemins vers la résidence permanente et en rationaliser le processus. Toutefois, ces chemins devraient reposer sur un emploi à temps plein, toute l’année, et non sur un emploi à temps partiel.

Enfin, à propos du plan intégré sur les niveaux, un certain nombre des témoins précédents ont avancé que le rapport annuel au Parlement devrait inclure des projections de travailleurs temporaires et d’étudiants étrangers pour fournir un portrait exhaustif du plan d’immigration du Canada. Je suis entièrement d’accord, vu l’augmentation importante du nombre de travailleurs temporaires et d’étudiants étrangers depuis qu’il est obligatoire, au titre de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, de déposer un rapport devant le Parlement et compte tenu de l’augmentation du nombre de transitions.

Bref, il est nécessaire de jeter un regard plus critique sur les travailleurs temporaires faiblement rémunérés, surtout en ce qui a trait à la productivité et à la croissance par habitant à plus long terme. J’ai ajouté un certain nombre de recommandations à ma déclaration et j’invite le comité à les étudier. Je serai maintenant heureux de répondre à vos questions. Merci beaucoup.

La présidente : Merci beaucoup, monsieur Griffith. Madame Faraday, vous avez la parole.

Fay Faraday, professeure agrégée, Osgood Hall Law School, Université York, à titre personnel : Merci beaucoup, madame la présidente, et merci aux sénateurs de leur invitation.

Depuis plus de 30 ans, j’œuvre en première ligne en tant qu’avocate auprès de travailleurs migrants. J’ai eu le privilège de témoigner devant le Sénat, la Chambre des communes, ainsi que diverses législatures à l’échelle du pays, et j’estime avoir la même conversation depuis 30 ans. J’espère que le Sénat profitera de cette occasion pour analyser très sérieusement et de manière approfondie la crise humanitaire que nous provoquons avec la migration des travailleurs temporaires. Je suis tout à fait en faveur de l’étude actuelle et espère que vous vous pencherez sur les profonds changements nécessaires pour assurer un travail et une vie véritablement décents aux gens.

Nous ne devons pas oublier que ce sont des êtres humains qui sont en jeu. Pas des intrants en main-d’œuvre, mais bel et bien des êtres humains qui font partie de nos collectivités, qui font régulièrement l’objet d’abus par les employeurs, qui vivent dans l’insécurité perpétuelle et qui sont séparés de leur famille pendant de longues périodes. Ce sont nos voisins, nos amis et des gens qui, pendant la pandémie, ont particulièrement contribué au fonctionnement de notre économie.

Ce sur quoi j’aimerais insister, c’est l’occasion absolument essentielle qui s’offre à nous maintenant : il s’agit d’une rare occasion de faire en sorte que tous les travailleurs sans papiers soient régularisés et reçoivent le statut de résident permanent. Encore une fois, il y a plus de 500 000 travailleurs sans papiers qui contribuent à l’ensemble de l’économie du pays et sans lesquels de nombreux secteurs de l’économie s’effondreraient. Ils se sont retrouvés avec un statut de sans-papiers, dans bien des cas, en raison des contraintes et des limites du Programme des travailleurs étrangers temporaires, du besoin répété de renouveler les permis de travail et de la présence d’un système qui permet aux employeurs d’exploiter les travailleurs et de leur faire perdre leur statut.

Cela témoigne aussi de l’absence d’une voie d’accès à la résidence permanente pour de nombreux travailleurs à faible salaire, même si l’économie a besoin d’eux. Il n’est pas raisonnable de s’attendre à ce que l’immigration permanente soutienne tous les emplois de notre économie. Notre économie ne pourra jamais reposer exclusivement sur une main-d’œuvre professionnelle, hautement qualifiée et issue de la classe moyenne supérieure. Nous avons besoin de travailleurs à tous les niveaux de l’économie, ce qui, encore une fois, a été douloureusement évident pendant la pandémie alors que des travailleurs migrants et sans papiers étaient en première ligne pour effectuer un travail essentiel au bon fonctionnement de l’économie.

Par conséquent, je vous encourage, à ce stade-ci, à vous concentrer sur deux choses. Premièrement, il faut promouvoir et élaborer un programme de régularisation qui permettra au demi-million de personnes qui font partie de nos collectivités et de notre économie d’obtenir un statut régulier. Cela leur permettra de faire valoir leurs droits. Cela mettra fin aux abus. Les secteurs de l’économie qui ne sont pas comptabilisés le seront, et notre économie fonctionnera comme il se doit.

En ce moment, le Canada connaît une pénurie de main-d’œuvre et, à défaut de régulariser la situation de ces travailleurs, il faudra recruter et remplacer encore plus de travailleurs dans un contexte mondial caractérisé par une concurrence féroce. Par ailleurs, il est absolument essentiel de mettre fin aux expulsions. Le parti au pouvoir étudie de près l’élaboration d’un programme de régularisation, et les expulsions doivent cesser dans l’intervalle.

Enfin, il est impératif de mettre au point un système d’immigration permanente qui reconnaît la nécessité d’avoir des travailleurs à tous les niveaux de l’économie. Notre système, dans sa forme actuelle, exclut les travailleurs de la classe ouvrière et les travailleurs à faible salaire, même s’ils sont essentiels.

La présidente : Merci, madame Faraday.

Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs. C’est notre vice-présidente, la sénatrice Bovey, qui ouvrira le bal.

Chers collègues, pour nous aider à assurer le bon déroulement de la réunion, je rappelle que nous avons deux témoins. Je sais que beaucoup d’entre vous voudront que les deux répondent à la même question. Auriez-vous l’obligeance de préciser qui devra répondre en premier? Cela me facilitera la tâche.

La sénatrice Bovey : J’aimerais remercier les deux témoins.

J’ai essentiellement la même question pour vous deux. Monsieur Griffith, comme vous avez pris la parole en premier, je vous demanderais de répondre en premier.

Vous avez tous deux parlé de la nécessité d’améliorer les voies d’accès et — pour reprendre les mots de Mme Faraday — de promouvoir et d’élaborer un programme de régularisation pour tous les travailleurs sans papiers.

Monsieur Griffith, vous estimez que la voie d’accès devrait reposer sur un emploi à temps plein, toute l’année, et non sur un emploi à temps partiel.

Puis-je vous demander à tous les deux — et vous devrez être brefs, vu les contraintes de temps — d’étoffer les deux arguments que vous avez présentés en ce qui concerne les voies d’accès?

Je vous remercie.

M. Griffith : Eh bien, en ce qui a trait aux voies d’accès, d’après ce que je comprends du système d’immigration, toutes les voies d’accès à l’immigration sont très complexes pour diverses raisons.

Il est vraiment nécessaire, à mon avis, d’entreprendre un examen approfondi de toutes les voies d’accès et de trouver des moyens de les simplifier, de les rendre plus conviviales, etc. Il y a manifestement des lacunes dans certains programmes, de sorte que les voies d’accès sont plus faciles, et nous le voyons dans les données. Voilà ce que je dirais à ce sujet.

En ce qui concerne l’emploi à temps plein, je pense que si nous essayons vraiment d’encourager la régularisation et la participation à l’économie, et que nous cherchons à remédier aux pénuries de main-d’œuvre, les priorités devraient être l’emploi à temps plein ou toute l’année plutôt que l’emploi à temps partiel. Il y a d’autres filières où l’emploi à temps partiel est autorisé — dans le cas des étudiants étrangers, par exemple —, alors je ne vois pas vraiment la nécessité d’en étendre la portée.

Je vais m’en tenir à cela.

La sénatrice Bovey : Je vous remercie.

Madame Faraday, pouvez-vous nous donner des détails? Nous cherchons des recommandations, outre celle d’entreprendre un examen. Nous avons besoin de savoir ce que vous nous proposez d’examiner. Nous ne pouvons pas inventer de toutes pièces les questions à étudier. Nous pouvons seulement faire rapport de ce que vous nous dites d’examiner.

Mme Faraday : Je me ferai un plaisir de vous donner des exemples concrets.

Tout d’abord, je dirais que les voies d’accès constituent un problème plutôt qu’une solution. Il s’agit de programmes d’immigration en deux étapes : les gens sont ici avec un statut temporaire et ils peuvent ou non avoir l’occasion d’obtenir un statut permanent. Premièrement, lorsque je dis que nous avons besoin d’un système d’immigration permanente qui permet une immigration dotée d’un statut, cela signifie qu’il faut en finir avec les voies d’accès et instaurer ce système d’immigration permanente dès le départ.

Deuxièmement, la régularisation est nécessaire en raison de l’échec du système actuel, comme en témoigne le grand nombre de personnes sans statut. Il faut ratisser large et inclure tous les travailleurs sans statut, au lieu de s’appuyer sur l’industrie dans laquelle ils travaillent ou sur la durée de leur séjour ici. Il y a des gens qui sont ici depuis plusieurs décennies et d’autres qui sont ici depuis moins d’années, mais il faut une régularisation complète pour tout le monde, peu importe la façon dont ils sont arrivés ici et l’industrie dans laquelle ils travaillent.

Pour ce qui est de la distinction entre l’emploi à temps plein et l’emploi à temps partiel, je pense qu’il s’agit là d’une distinction dangereuse et artificielle. Au cours de la dernière décennie, j’ai vu le travail saisonnier, en dehors du travail agricole, passer d’un personnel composé exclusivement de travailleurs canadiens à un personnel composé presque exclusivement de travailleurs migrants. C’est un choix politique qui a créé des emplois précaires. La prolifération de toutes ces différentes voies de migration qui mènent à des impasses fait partie du problème, et non pas de la solution.

Je serai heureuse d’en parler davantage. Que les emplois soient à temps plein ou à temps partiel, force est de reconnaître que nous vivons dans une économie où les emplois à temps plein sont en train de disparaître. La plupart des emplois sont à temps partiel, et le cumul d’emplois est une pratique courante dans l’économie. Créer des barrières artificielles à la régularisation est un problème.

J’ai un dernier point à soulever. Compte tenu de toutes ces voies d’accès, les plafonds imposés sont trop bas parce que le Canada a multiplié les voies de migration sous forme de projets pilotes et, aux termes de la loi, il faut un plafond de 2 750 personnes par programme. À titre d’exemple, pour les travailleurs migrants du secteur des soins au Canada, ce plafond a été atteint en trois heures cette année.

Il ne s’agit pas seulement d’examiner les voies d’accès. Nous avons créé des voies d’accès dans lesquelles la plupart des gens finissent toujours par avoir un statut temporaire ou par devenir des sans-papiers.

La sénatrice Bovey : Merci beaucoup.

Le sénateur Kutcher : Merci à nos témoins.

Je vais m’aventurer dans un domaine qui n’est pas de mon ressort, alors si je me trompe, n’hésitez pas à me corriger. Il s’agit de la syndicalisation des travailleurs étrangers temporaires et des travailleurs migrants.

Cesar Chavez a montré combien un tel mouvement pouvait être efficace, mais cela remonte à 1962, suivi du boycottage des raisins. Si je me souviens bien, c’est en 1975 que tout cela s’est terminé.

En 2011, la Cour suprême du Canada a été saisie d’une contestation constitutionnelle, si ma mémoire est bonne, et on a exclu les travailleurs migrants et temporaires aux termes de la Loi sur les relations de travail. Pensez-vous qu’il est temps de revoir cette décision en présentant une nouvelle contestation devant la Cour suprême? Pensez-vous que les travailleurs migrants et les travailleurs temporaires devraient être autorisés à se syndiquer pour défendre leurs droits?

Je sais qu’il existe un petit syndicat uni au Canada qui mène des activités surtout en Colombie-Britannique, au Québec et au Manitoba, mais j’ignore s’il est efficace. Je crois comprendre que l’Ontario dispose d’une loi, sauf erreur, qui interdit aux travailleurs agricoles de se syndiquer.

J’aimerais entendre vos réflexions, votre avis et vos conseils à ce sujet.

Mme Faraday : Je suis ravie de répondre à cette question, car j’étais conseillère juridique dans le cadre de ces contestations constitutionnelles. Chaque argument que nous avions alors avancé fait maintenant partie de la loi. Le droit de se syndiquer, le droit de négocier collectivement et le droit de faire la grève sont protégés par la Constitution, mais la loi empêche les travailleurs agricoles et les travailleurs migrants de les exercer.

Lancer une contestation constitutionnelle est un projet de plusieurs millions de dollars qui prend une dizaine d’années avant d’aboutir à la Cour suprême. Il est donc ridicule de demander aux travailleurs migrants d’en présenter une cinquième. Nous savons ce que la loi prévoit. Tous les ordres de gouvernement doivent s’assurer que les travailleurs disposent de ces droits. En Ontario, les travailleurs agricoles migrants n’ont pas le droit de se syndiquer. Le Québec et d’autres provinces ont restreint ces droits, rendant la syndicalisation plus difficile.

Au fond, même dans les industries où le droit de se syndiquer existe, les travailleurs migrants ne peuvent pas l’exercer en raison de la précarité de leur emploi et du fait qu’ils sont liés à un employeur qui peut les congédier à sa guise. Certains travailleurs se sont syndiqués, mais la plupart du temps, ceux qui essaient de le faire sont licenciés et expulsés du pays.

On a beau avoir des droits sur papier, la garantie de pouvoir les exercer dépend du statut.

Le sénateur Kutcher : Je vous remercie. Avant que M. Griffith donne sa réponse, pensez-vous qu’une modification de la Loi sur les relations de travail — c’est-à-dire une éventuelle modification législative — permettrait de résoudre ce problème?

Mme Faraday : Oui, ce serait très simple. Un certain nombre de provinces ont des dispositions dans leurs lois sur les relations de travail qui excluent les travailleurs agricoles. Les travailleurs sont exclus non pas en fonction de leur statut temporaire ou permanent, mais plutôt en fonction de l’industrie. Par conséquent, des industries emploient surtout des travailleurs migrants parce que l’impossibilité de se syndiquer tire vers le bas les conditions.

Il suffirait d’abroger les dispositions de la loi qui excluent ces secteurs de la syndicalisation. En Ontario, il s’agirait d’exclure ce que l’on appelle la Loi sur la protection des employés agricoles, qui empêche essentiellement les travailleurs de se syndiquer.

La présidente : Madame Faraday — et je ne veux pas empiéter sur votre temps de parole, sénateur Kutcher —, puis-je vous demander une précision? Quand vous dites qu’il faut apporter des modifications au code des relations de travail, parlez-vous de la législation provinciale?

Y a-t-il quelque chose dans le Code canadien du travail, qui, bien entendu, a une incidence différente sur les travailleurs? Qu’en pensez-vous?

Mme Faraday : Je pense que, dans le cas du travail agricole, c’est réglementé presque exclusivement à l’échelle provinciale. Encore une fois, si certains secteurs sont exclus du Code canadien du travail, il faudrait supprimer ces exclusions.

Pour ce qui est de l’aspect administratif de la mise en œuvre de ces programmes, il s’agit plutôt de s’assurer que les travailleurs ont la sécurité voulue pour se syndiquer et qu’à leur arrivée au Canada, le gouvernement les informe pleinement de leur droit de se syndiquer, en plus de les mettre en communication avec des syndicats dans leur domaine de travail.

La présidente : Je vous remercie. Sénateur Kutcher, je vous redonne la parole. Vous pouvez poser votre question à M. Griffith.

Le sénateur Kutcher : Je vous remercie. Monsieur Griffith, pourrions-nous entendre votre avis sur cette question précise?

M. Griffith : J’ai très peu d’expertise en matière de droit du travail et de questions connexes; je laisse donc à Mme Faraday le soin de vous faire part de ses observations. Elle a beaucoup plus d’expérience que moi dans ce domaine.

Le sénateur Kutcher : Merci beaucoup à vous deux.

[Français]

La sénatrice Petitclerc : Ma question s’adressera aux deux témoins. Peut-être qu’on pourrait commencer par M. Griffith.

On a beaucoup entendu parler des abus qu’on voit sur le terrain. On a aussi entendu quelques témoignages sur de possibles solutions en ce qui concerne la protection du travail, des inspections, des façons d’informer les gens. Cela dit, on sait que même lorsque les travailleurs sont informés, ils ne vont pas nécessairement avoir recours aux ressources.

Ma question est la suivante : est-ce que toutes ces possibles et potentielles solutions peuvent être efficaces tant que le travailleur est lié à un seul employeur? Faut-il s’attaquer à ce lien exclusif avant toute chose?

M. Griffith : Oui, c’est une bonne question parce que les gouvernements, au cours des années, ont essayé de bonifier les normes du travail, d’augmenter l’information et tout cela, mais on n’est jamais arrivé à résoudre tous les problèmes. Je ne sais pas si c’est un problème pour 10 % ou 20 % des employeurs, parce qu’on n’a pas suffisamment de données sur cela.

Bien sûr, la question des contrats liés pose des problèmes. Pour ce qui est des entreprises, leur perspective est que si elles ont investi dans un employé, elles ont peur de perdre l’employé dans ces conditions. Il n’y a pas de solution qui va satisfaire tout le monde — ce qui est très rarement le cas.

[Traduction]

Dans l’ensemble, je pense que, pour accroître la souplesse, il faut mettre fin aux permis de travail fermés ou, à tout le moins, trouver des moyens de permettre aux gens de se sortir de telles situations. Dans un sens, la productivité me préoccupe beaucoup, mais il y a aussi les conditions de travail. Parfois, si vous changez ces facteurs, vous pouvez améliorer la situation. Je vous remercie.

Mme Faraday : J’aimerais répondre à cette question. Les permis de travail liés à un employeur donné sont considérés par les Nations unies comme une invitation à l’exploitation. Ce fait est reconnu depuis des décennies, et il faut donc éliminer ce genre de permis. Dans la mesure où les travailleurs arrivent avec un statut temporaire, ils devraient obtenir des permis de travail ouverts ou des permis sectoriels.

Nous avons beaucoup de statistiques sur les taux d’exploitation au fil des ans. Il existe de nombreuses stratégies concrètes pour prévenir une telle exploitation, et je vous enverrai volontiers deux rapports que j’ai récemment rédigés pour la Banque mondiale et qui contiennent des recommandations très détaillées en matière de réforme.

Or, l’obstacle, ce n’est pas que nous ne savons pas quelles sont les solutions. L’obstacle réside, franchement, dans le manque de volonté politique et le fait que nous avons un système qui favorise grandement les employeurs et qui leur donne la permission d’exploiter les travailleurs par l’entremise du système d’immigration, mais surtout en raison du manque d’application des normes d’emploi. Voilà autant de réalités qui sont connues, mais il y a une absence de volonté politique pour y remédier. Je vous ferai parvenir des rapports assortis de recommandations concrètes.

La présidente : Nous avons hâte de les recevoir.

La sénatrice Petitclerc : Monsieur Griffith, vous avez mentionné quelque chose sur la productivité. Vous venez de laisser entendre que s’il y avait plus de souplesse, une meilleure qualité de vie et de meilleures conditions, les travailleurs resteraient peut-être. Je ne veux pas vous prêter des propos, mais est-ce réaliste? À mon avis, logiquement, si les conditions sont meilleures et si on accorde davantage de souplesse, les travailleurs n’auront alors aucun problème à aller d’un endroit à l’autre.

M. Griffith : C’est une bonne question parce que si vous rendez les choses trop faciles pour les employeurs à plusieurs égards, ils seront moins portés à améliorer les conditions et à investir dans d’autres améliorations de la productivité.

L’un des principaux arguments que j’ai fait valoir, c’est que nous aurons toujours besoin d’un certain pourcentage de travailleurs moins qualifiés dans certains secteurs. Toutefois, si vous donnez trop de souplesse aux employeurs, ils se tourneront encore plus vers ces secteurs au lieu d’investir dans les travailleurs canadiens, qu’ils soient ici depuis 5 ans, 50 ans ou peu importe.

L’une des choses qu’il faut toujours garder à l’esprit, c’est que vous essayez de combler les pénuries de main-d’œuvre dont les entreprises se plaignent à différents égards. La réalité, c’est que les entreprises se plaindront toujours des pénuries de travailleurs et qu’elles voudront toujours un plus grand nombre de gens parce que cela leur donne plus de souplesse. Cette approche n’aide pas vraiment la productivité globale de l’économie canadienne, comme nous l’avons constaté au fil des ans.

La sénatrice Moodie : Ma question s’adresse principalement à Mme Faraday. Lors de notre dernière réunion, nous avons entendu qu’il ne suffisait pas de renseigner les travailleurs migrants sur leurs droits. En effet, le fait de faire valoir leurs droits les conduirait probablement à perdre leur statut puisqu’en vertu du système de permis de travail fermé, celui-ci est — comme vous l’avez souligné — inextricablement lié à leur emploi.

Avez-vous constaté ce problème chez les personnes avec lesquelles vous travaillez et dans le cadre de votre travail? J’aimerais particulièrement connaître votre avis sur cette question d’un point de vue juridique.

Mme Faraday : Oui. C’est tout à fait ce que je constate dans ma pratique depuis plus de 30 ans. Il est bien connu que lorsque les travailleurs font valoir leurs droits, ils sont immédiatement licenciés et expulsés du pays. Les permis de travail liés à un employeur donné sont l’un des outils les plus dommageables. Contrairement à ce que disait mon ami, M. Griffith, si vous supprimez les permis de travail liés à un employeur donné et que vous améliorez les conditions de travail, les gens resteront. Si la seule façon de garder un travailleur sur votre lieu de travail est de lui interdire légalement de travailler ailleurs, votre entreprise a un problème.

Dans les faits, en raison de la précarité des travailleurs, lorsqu’ils font valoir leurs droits, ils sont licenciés, expulsés du pays et souvent contraints de continuer de travailler dans des conditions d’exploitation parce qu’ils ont dû verser d’énormes pots-de-vin — qu’on appelle poliment des frais de recrutement — pour obtenir ces emplois. La plupart du temps, ils ont versé l’équivalent d’environ deux ans de salaire dans leur pays d’origine pour obtenir ces emplois. Il y a beaucoup de couches de précarité qui font qu’il leur est très difficile de faire valoir leurs droits.

La sénatrice Moodie : La question est la suivante : Les permis de travail ouverts sont-ils la seule solution à ce problème? Le gouvernement pourrait-il prendre certaines mesures proactives pour faire respecter les droits de ces travailleurs, outre l’octroi de permis de travail ouverts?

Mme Faraday : Les permis de travail ouverts sont essentiels, car, dans cette situation, si les travailleurs sont victimes de mauvais traitements, ils peuvent partir, comme le font les travailleurs canadiens. Ce que doit faire le gouvernement fédéral, c’est sévir contre le recrutement privé, qui est l’une des industries les plus corrompues au monde, qui oblige les travailleurs à payer d’énormes pots-de-vin pour obtenir un emploi. C’est illégal en vertu du programme canadien de migration des travailleurs temporaires, et pourtant c’est la norme. Des travailleurs munis de tous les documents requis arrivent ici après avoir payé des frais illégaux, ce qui constitue un obstacle majeur au respect de leurs droits.

Nous pouvons prendre un certain nombre de mesures. Nous devons absolument procéder à une inspection proactive de chaque lieu de travail dans lequel on sait que l’on emploie des travailleurs migrants, et faire respecter les droits de ces derniers. À l’heure actuelle, le système fédéral régit la relation avec l’employeur qui a demandé une étude d’impact sur le marché du travail, mais il n’assure pas le respect des droits des travailleurs. La défense de ces droits relève du niveau provincial.

Ce dont nous avons vraiment besoin, c’est d’un système d’application de la loi centralisé conçu spécifiquement pour les travailleurs migrants, qui dispose de connaissances spécialisées sur la précarité à laquelle ils sont confrontés et sur la multiplicité des niveaux d’exploitation qui s’entrecroisent et nuisent à leur capacité de faire respecter leurs droits. Actuellement, ils doivent s’adresser à une multitude de tribunaux pour faire respecter leurs droits, ce qui ne se produit jamais.

La présidente : Madame Faraday, pourriez-vous nous communiquer une recommandation sur l’application des droits en vous basant sur vos connaissances et sur les recherches que vous avez effectuées?

La sénatrice McPhedran : Ma question s’adresse à Mme Faraday. Si je vous cite correctement, vous avez dit que nous devions mettre fin aux expulsions. Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet? Vous avez été très claire, mais pour les besoins du compte rendu, pourriez-vous nous en dire plus sur les raisons qui vous ont poussée à faire une déclaration aussi claire et sur la façon dont nous pourrions, selon vous, nous montrer plus justes et plus efficaces en ce qui concerne les expulsions?

Mme Faraday : Oui. Le gouvernement libéral travaille depuis longtemps à l’élaboration d’un programme de régularisation. Il s’était engagé à le faire au cours de ce mandat-ci et il a accompli beaucoup de travail dans ce sens, ce qui est très important. Mais entretemps, même si nous sommes très près du but, dans tout le pays, des leaders des travailleurs qui sont sans papiers sont expulsés bien que nous travaillions activement à l’élaboration d’un programme de régularisation.

Par exemple, Danilo de Leon, qui est le leader de Migrante Canada, une association de travailleurs migrants philippins, fait l’objet d’un ordre d’expulsion, alors que Migrante Canada est une organisation essentielle pour rassembler les travailleurs migrants et faire en sorte que les gens puissent être régularisés. Le gouvernement se contredit : tout en développant ce système, il expulse des personnes qui pourraient en bénéficier et dont certaines sont ici depuis des décennies.

Le fait d’expulser une personne à la veille de la mise en œuvre d’un programme de régularisation est inhumain et constitue une mise en œuvre incohérente de la politique.

La sénatrice McPhedran : Merci. J’irais même plus loin en vous demandant, étant donné votre connaissance approfondie de la procédure d’appel, quelles sont, dans la situation actuelle, les contre-mesures qui pourraient faire une différence dans les cas d’expulsion dont vous nous avez parlé?

Mme Faraday : Souvent, les gens ont essayé de présenter des demandes pour raisons humanitaires, qui sont des demandes discrétionnaires, pour pouvoir rester au Canada, mais elles ne sont pas approuvées. La pression des médias et du public a permis de retarder quelque peu les expulsions, mais celles-ci se poursuivent. Il n’existe aucun droit exécutoire. Si une personne est expulsée dans ces circonstances, parce qu’elle a séjourné au Canada sans être titulaire d’un permis de travail ou d’un autre document, il lui est interdit de présenter une demande. Elle ne pourra plus présenter de demande de séjour au Canada à l’avenir.

En ce moment, des personnes qui font partie de notre communauté depuis des décennies et qui sont sur le point de bénéficier de la mise en œuvre d’un programme de régularisation se voient refuser l’accès à ce programme. Cette situation n’affecte pas seulement ces personnes, elle va également saper la confiance de tous les autres sans-papiers qui hésiteront à se manifester et à faire valoir leurs droits lorsqu’un programme sera mis en place.

La sénatrice McPhedran : Le ministre de l’Immigration pourrait-il remédier à cette situation?

Mme Faraday : Oui. Je vous encourage fortement à insister auprès du ministre Fraser pour qu’il mette fin à toutes les expulsions.

[Français]

La sénatrice Mégie : Merci aux témoins d’être ici aujourd’hui avec nous. J’ai une question qui donne suite à une réponse que j’ai obtenue hier d’une autre témoin. La question qui avait été posée visait à savoir si le gouvernement ne pourrait pas, dans son plan, permettre de démarrer le processus d’obtention du statut permanent dès que ces travailleurs temporaires arrivent. Cela pourrait permettre d’éviter les abus de la part de ceux qui viennent avec un visa fermé. On nous a répondu qu’on ne peut pas donner le statut permanent à tous, parce qu’on a besoin du statut de travailleur temporaire, mais ce serait bien d’avoir un visa ouvert. Que pensez-vous de cela?

M. Griffith : J’ai noté récemment qu’il y a de plus en plus de gens qui font la transition du statut temporaire au statut permanent, mais il s’agit surtout de catégories de gens qualifiés ou d’étudiants étrangers. Il y a très peu de travailleurs temporaires étrangers.

Ce qui est vrai aussi, c’est qu’il y a des secteurs ou des situations où il s’agit vraiment d’un emploi temporaire, que ce soit pour les travailleurs agricoles, en tenant compte des saisons au Canada, ou les personnes mutées à l’intérieur d’une société, des contrats ou des gens qui travaillent dans le domaine des services pour trois ou quatre mois.

Il faut avoir la souplesse de faire les transitions et de trouver des façons assez claires, prévisibles et conviviales, mais la nature de l’économie canadienne fait en sorte que nous aurons toujours besoin de gens qui viennent pour une période limitée et de gens qui veulent venir ici pour faire leur vie. Il faut avoir de la souplesse.

Ce n’est pas une question de tout ou rien. À mon avis, il faut déterminer les modalités, les façons précises pour assurer que le système est assez juste, ouvert et souple pour les besoins de l’économie. Merci.

La sénatrice Mégie : Merci. Madame Faraday, pourriez-vous ajouter quelque chose s’il vous plaît?

[Traduction]

Mme Faraday : Tout à fait. Ce dont vous parlez, c’est d’un système de résidence permanente conditionnelle dans le cadre duquel les gens arrivent après avoir demandé la résidence permanente, mais au lieu d’attendre la période de traitement dans leur pays d’origine, ils viennent et commencent immédiatement à travailler pendant que l’on traite leur demande.

Cette solution est logique. Elle permet d’éviter une longue séparation des familles. Les gens peuvent alors venir travailler, amener leur famille et avoir tout sauf le papier final qui leur octroie un statut, mais en sachant qu’ils vont l’obtenir. Tout cela peut leur faciliter les choses. Dans l’idéal, la période de traitement devrait être de l’ordre de quelques mois et non de 2 à 10 ans, comme c’est actuellement le cas.

Il est important de s’assurer que les exigences en la matière soient équitables. À l’heure actuelle, le niveau des tests d’anglais que certains travailleurs, comme les travailleurs de la santé, doivent passer est plus élevé que le niveau d’anglais dont ils ont besoin pour faire leur travail ou que celui du test de langue pour la citoyenneté. Ces types d’obstacles artificiels à la participation et à l’intégration dans la communauté doivent être éliminés pour que les conditions dans lesquelles les gens viennent pour obtenir la résidence permanente soient justes et cohérentes.

En ce qui concerne ce qu’a dit mon collègue, il est important de faire une distinction entre le travail qui est intrinsèquement temporaire — comme dans le cas d’une personne qui vient pour six mois dans le cadre d’un transfert interentreprises — et le travail qui est saisonnier, mais qui constitue un élément permanent de l’économie. Le travail agricole ou le travail au sein de l’industrie hôtelière sont des éléments permanents de notre économie.

La sénatrice Burey : Merci beaucoup aux témoins.

Hier, nous avons entendu des organisations qui représentent des travailleurs étrangers temporaires, des travailleurs agricoles et des aides à domicile. Tout d’abord, pour que cela figure au compte rendu — je suis certaine que d’autres sénateurs l’ont dit — nous remercions profondément tous ces travailleurs essentiels pour leur courage, pour être venus à notre secours pendant la pandémie, et pour aider les personnes qui souffrent encore ici. Je faisais partie de cette main-d’œuvre essentielle, alors cela me tient vraiment à cœur.

Tous ces éléments sont reliés. J’ai fait un petit détour pour arriver à ma question.

Mme Faraday a parlé de la fausse dichotomie entre le travail peu qualifié et le travail qualifié, et entre le travail essentiel et le travail non essentiel. J’ai regardé la classification nationale des professions, celle qui a été mise à jour récemment, et je n’y vois aucune reconnaissance du travail essentiel. Je reviens à ce dont parlait Mme Faraday, à savoir que le travail essentiel fait partie intégrante du fonctionnement de notre société. Cette classification ne semble pas en tenir compte.

J’aimerais entendre votre avis sur la classification et sur ce qu’apporterait une définition plus large des besoins en main-d’œuvre de notre économie.

Mme Faraday : Merci. Les classifications ne reflètent pas l’importance du travail pour nos communautés et nos économies. Par exemple, un travailleur des services personnels, bien qu’il soit absolument essentiel, n’est pas reconnu comme tel. Il est classé dans la catégorie des emplois peu qualifiés. Cette catégorisation reproduit un préjugé d’attitude à l’égard d’un travail peu rémunéré et effectué principalement par des personnes racisées. Cette catégorisation ne fait que reproduire notre structure de classe.

Le travail essentiel est tout le travail qui fait fonctionner nos communautés. Pendant la pandémie, nous avons constaté que le travail essentiel comptait les soins de santé, tout le travail de l’économie des soins au sens large — des choses comme les services alimentaires, la livraison de nourriture, les livreurs, les transports publics — toutes ces choses essentielles dont dépendent nos communautés. Cependant, la valeur de ces professions n’est pas reconnue par ce système de points.

M. Griffith : Tout d’abord, si l’on examine le parti pris général du système d’immigration, on constate qu’il favorise les travailleurs plus qualifiés. C’est ce que l’on constate dans le programme Entrée express, dans l’attribution des points et dans la manière dont les choses se passent.

D’autre part, il n’y a pas beaucoup plus de latitude — et peut-être ne l’exploitons-nous pas suffisamment — en ce qui concerne le Programme des candidats des provinces. Si vous participez à ce programme, vous obtenez automatiquement 600 points, je crois. Vous y êtes donc déjà. Les provinces ont une grande latitude pour offrir des voies d’immigration aux travailleurs moins qualifiés si elles le souhaitent.

Traditionnellement, certains de ces emplois peu qualifiés sont occupés par des membres de la famille ou des réfugiés, simplement parce que ces emplois leur étaient accessibles.

J’estime que certains secteurs sont plus essentiels que d’autres, comme l’économie des soins de santé, les préposés aux services de soutien de la personne, etc. C’est un secteur évident. Dans d’autres secteurs, comme celui de l’hôtellerie, on pourrait en discuter et nous commençons à en voir certains signes : Dans d’autres administrations, des entreprises qui sont confrontées à des pénuries de main-d’œuvre ou à des enjeux similaires investissent davantage dans la technologie. Elles doivent le faire parce qu’elles veulent gagner de l’argent.

Je suis toujours un peu prudent lorsqu’on dit : « Répondons à tous les besoins en matière de travailleurs peu qualifiés du secteur privé », sans vraiment se demander : « Est-ce vraiment avantageux pour l’économie du Canada dans son ensemble? Ne laissons-nous pas les entreprises s’en tirer un peu trop facilement? » Je m’en tiendrai là.

La présidente : Merci beaucoup, monsieur Griffith. J’ai moi-même quelques questions à poser. Monsieur Griffith, j’aimerais commencer par vous poser une question assez simple sur les chiffres, car vous êtes le spécialiste des chiffres. Hier, le comité a entendu un témoignage éloquent selon lequel, en fait, si nous avons besoin de travailleurs essentiels et que nous voulons qu’ils viennent au Canada pour faire un travail essentiel, nous devrions leur accorder la résidence permanente dès leur arrivée. Le niveau d’immigration pour l’année prochaine prévoit 485 000 nouveaux résidents permanents. Si nous faisons cette recommandation, quelle sera l’incidence sur ce chiffre pour l’année prochaine? À combien s’élèvera-il?

M. Griffith : C’est une question difficile. Vous ne m’avez pas donné assez de temps pour faire les calculs.

La présidente : Vous pouvez nous les communiquer plus tard.

M. Griffith : Je vais y travailler, car c’est une question intéressante. Je pense que, fondamentalement, le plan des niveaux doit tenir compte de tous les différents aspects de cet enjeu. La question devrait être la suivante : lorsque nous examinons le plan, ce que font les provinces et ce que fait le gouvernement fédéral, avons-nous trouvé le bon équilibre par rapport aux exigences actuelles et futures de l’économie?

La présidente : Vous avez également soulevé un point très intéressant concernant la capacité des programmes des candidats des provinces. Ils sont plus proches du terrain et bénéficient d’une plus grande latitude. Pensez-vous que nous devrions notamment recommander d’améliorer les différents programmes des candidats des provinces pour ce qui est de la place accordée aux travailleurs essentiels? Ils ont la capacité et les connaissances nécessaires, et ils devraient obtenir ces chiffres.

M. Griffith : Je pense que votre proposition est valable. La difficulté, bien sûr, est que les provinces sont également beaucoup plus attirées par les personnes hautement qualifiées que par les personnes moins qualifiées. Mais je pense que certains signes dans le domaine des soins de santé indiquent que les choses commencent à changer. Je pense que le comité devrait absolument se pencher sur cette question.

La présidente : Pour en revenir à vous, monsieur Griffith, j’ai entendu ce que vous avez dit au sujet de la productivité, et j’ai lu la plupart des articles dans les journaux sur ce que disent les économistes : que la véritable mesure de la prospérité du Canada est la croissance du PIB par habitant, plutôt que la croissance du PIB même. Je ne suis pas économiste, mais Mikal Skuterud m’a expliqué que si la taille du gâteau reste la même et que de plus en plus de personnes mangent de ce gâteau, cela signifie qu’il y en aura de moins en moins pour chaque personne. Nous devons donc augmenter la taille du gâteau. Nous pouvons le faire en améliorant les salaires et les normes de travail et en exploitant le marché intérieur. Croyez-vous que les Canadiens, même avec une amélioration des conditions du marché du travail, sont prêts à cueillir des framboises, à travailler dans des usines de transformation du poisson, à prendre soin de personnes âgées ou à faire des lits dans des hôtels?

M. Griffith : C’est presque une question rhétorique parce que je pense que la réponse est assez évidente, et cette réponse est non. Les conditions de travail ne sont pas attrayantes. C’est ce pour quoi nous avons le Programme des travailleurs étrangers temporaires pour répondre aux besoins de ces secteurs.

Le dilemme, c’est de savoir si nous comptons sur l’immigration — temporaire ou permanente — pour répondre à cette demande ou si nous cherchons des moyens d’améliorer les conditions de travail. Dans certains de ces secteurs, je pense que cela pourrait se faire. Certains secteurs sont plus propices à un recours accru aux technologies. C’est ce que l’on peut voir dans d’autres États en ce qui concerne les récoltes.

En bref, disons que ces emplois ne sont pas attrayants pour les Canadiens. D’ailleurs, les métiers dits spécialisés sont généralement moins attrayants pour les Canadiens. Je suis certain que les enfants de la plupart d’entre nous n’exercent pas des métiers. Ils sont pour ainsi dire des « travailleurs du savoir ».

La présidente : Madame Faraday, une petite précision de votre part. Vous avez dit à plusieurs reprises qu’il y a 500 000 travailleurs sans papiers au Canada. Sur quoi ce chiffre repose-t-il? Si vous avez des références à cet égard, pouvez-vous nous les faire parvenir?

Mme Faraday : La référence est un rapport de la GRC, mais il est reconnu qu’il s’agit d’une estimation conservatrice. Comme ce sont des sans-papiers, il est difficile de les recenser.

Le PIB n’est pas une mesure de notre bien-être; le PIB est une mesure de l’ampleur des bénéfices. Ce n’est pas une mesure de la répartition dans l’économie. Je pense que le PIB peut être trompeur parce qu’il ne tient pas compte de la situation réelle des gens. Quand vous demandez si les gens vont faire ces travaux, la réponse est oui, ils les feront, pour peu qu’ils soient payés convenablement et que les conditions de travail soient sécuritaires. Or, ce n’est pas le cas, et c’est pourquoi les gens qui ont d’autres options font autre chose.

En ce qui concerne le Programme des candidats des provinces, la réponse est non, ils vont viser les emplois prestigieux et hautement qualifiés de la même manière que l’a fait le gouvernement fédéral. Pour que l’exercice atteigne son objectif, le gouvernement fédéral doit prendre l’initiative et dire : « Nous avons besoin d’un processus d’immigration direct pour ces personnes qui exercent des emplois essentiels qui contribuent réellement au bien-être des gens dans notre économie et dans nos collectivités. »

La présidente : Merci à nos deux témoins. Nous sommes impatients de recevoir les autres documents dont vous nous avez parlé. Je pense notamment à vous, madame Faraday, qui avez dit que vous nous en feriez parvenir, et à vous aussi, monsieur Griffith, qui avez aussi dit cela. Cela nous serait extrêmement utile.

Sénateurs, nous passons maintenant à notre deuxième groupe d’experts.

Nous accueillons Me Amanda Aziz, qui est avocate salariée au Migrant Workers Centre. Merci d’être venue en personne. Par vidéoconférence, nous accueillons Jennifer Rajasekar, qui est coprésidente du Groupe de travail sur l’immigration et l’établissement au Conseil canadien pour les réfugiés.

Merci beaucoup d’être avec nous aujourd’hui. Je vous invite à nous livrer vos déclarations liminaires. Vous disposez pour ce faire de cinq minutes chacune. Vos déclarations seront suivies des questions de nos membres.

Maître Aziz, la parole est à vous.

Me Amanda Aziz, avocate salariée, Migrant Workers Centre : Je vous remercie beaucoup de me donner l’occasion de me présenter devant vous aujourd’hui, et de cette importante étude que vous menez.

Je m’appelle Amanda Aziz. Je suis une avocate qui se spécialise dans les questions d’immigration et de réfugiés, et je suis ici au nom du Migrant Workers Centre, qui est un organisme sans but lucratif établi à Vancouver sur les territoires non cédés des peuples salish du littoral, ce qui comprend les nations Musqueam, Squamish et Tsleil-Waututh.

Fondé en 1986, le Migrant Workers Centre facilite l’accès à la justice aux travailleurs migrants qui ont été exploités ou maltraités dans leur emploi. Nous fournissons des conseils et une représentation juridiques gratuits à plus d’un millier de travailleurs migrants chaque année. Nous faisons également partie de l’Alliance for Gender Justice in Migration, qui est un projet national qui s’attaque aux questions de vulnérabilités croisées qui touchent les migrantes.

Ma déclaration d’aujourd’hui porte sur trois choses, autant d’aspects que je serai bien sûr heureuse d’approfondir lors de la période des questions.

Le premier sujet que je souhaite aborder — et dont vous avez entendu parler à maintes reprises — concerne les permis de travail liés à un employeur donné et le fait que ces permis exposent les travailleurs migrants à de mauvais traitements et à de la discrimination. Comme le comité le sait, la plupart des travailleurs à bas salaire arrivent au Canada avec un permis de travail qui les autorise à ne travailler que pour un seul employeur, à un seul endroit et dans un seul type d’emploi. Cette situation fait en sorte que les travailleurs dépendent de leur employeur pour leur emploi et leur capacité à rester au Canada. Il leur est par conséquent très difficile de négocier leurs droits et leurs conditions de travail et de les faire appliquer, de déposer une plainte contre leur employeur ou de se sortir d’une situation d’abus.

En 2019, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada a lancé un permis de travail ouvert pour les travailleurs vulnérables, et bien que ce programme ait aidé certains travailleurs à fuir un emploi où ils subissaient de mauvais traitements, il ne fait rien pour empêcher d’emblée ces abus et il reste inaccessible pour de nombreux travailleurs.

Une étude que notre organisme a effectuée l’an dernier au sujet de ce permis de travail ouvert a permis d’examiner les cas de 30 travailleurs migrants — racisés pour la plupart — qui avaient postulé ce permis. Le rapport a révélé que plus de 96 % d’entre eux avaient été exploités de différentes façons sur le plan financier : salaires impayés, temps de travail excessif, obligation de rembourser une partie de leur salaire à leur employeur ou de payer des frais de recrutement illégaux. En outre, 70 % des travailleurs ont déclaré avoir été victimes de mauvais traitements psychologiques, notamment des menaces d’expulsion et du racisme, et 30 % d’entre eux ont déclaré avoir été victimes de violence physique. Fait troublant, 10 % ont déclaré avoir subi des agressions sexuelles de la part de leur employeur.

Mon deuxième point a déjà été évoqué et a trait au fait que les programmes de travailleurs étrangers temporaires du Canada sont discriminatoires de par leur conception, en ce sens que les travailleurs à bas salaire n’ont pas accès à la résidence permanente. Cela est particulièrement vrai pour ces milliers de travailleurs agricoles qui soutiennent la chaîne d’approvisionnement alimentaire du Canada, ainsi que pour les autres travailleurs à faible salaire de nombreux secteurs. On pense ici notamment aux nettoyeurs, aux employés d’épicerie et aux travailleurs de la construction. Comme vous l’avez entendu, beaucoup d’entre eux n’ont aucun moyen de devenir des résidents permanents parce que le Canada ne considère pas que leur travail est suffisamment qualifié.

Même pour les travailleurs à faible salaire qui ont une voie d’accès, comme les travailleurs du secteur des soins, les plafonds imposés au nombre de demandes et les critères d’admissibilité restrictifs rendent les programmes inaccessibles à la majorité. Comme vous l’avez aussi entendu, les délais de traitement font que les travailleurs sont séparés de leur famille pendant de nombreuses années. Par exemple, les travailleurs du secteur des soins sont principalement des femmes racisées.

Les travailleurs sans statut n’ont aucun moyen d’obtenir la résidence permanente, y compris ceux qui ont perdu leur statut en raison d’une fraude ou d’un abus de la part de leur employeur ou d’un consultant en immigration. L’absence de statut fait en sorte que ces travailleurs ont une plus grande propension à faire l’objet d’abus. Ils ont un accès limité ou inexistant à de nombreux services sociaux que nous tenons pour acquis, comme les soins de santé.

Troisièmement, nous avons été témoins d’innombrables exemples de travailleurs qui ont été victimes de fraude, qui ont été trompés sur les conditions et sur la nature de leur travail ou qui se sont vu facturer des frais de recrutement illégaux par des employeurs, des consultants en immigration ou des recruteurs, pour ensuite faire l’objet de procédures d’exécution injustes parce qu’ils n’avaient pas de statut ou travaillaient sans autorisation au Canada.

Nous sommes actuellement engagés dans un recours collectif contre un consultant en immigration qui aurait escroqué plus de 100 personnes après avoir fait la promotion d’un faux programme d’immigration, faisant perdre leur statut à un grand nombre d’entre elles. Ces conséquences sont presque toujours subies par les travailleurs qui, après avoir été victimes de telles fraudes et de tels abus, ont très peu d’options pour rétablir leur statut.

En conclusion, j’aimerais vous dire que nous pouvons et que nous devons faire mieux pour les travailleurs migrants au Canada, notamment en mettant fin aux permis de travail liés à un employeur donné et en assurant la résidence permanente à l’arrivée pour les travailleurs. La résidence permanente réduira le risque d’exploitation et mettra les travailleurs migrants sur un pied d’égalité avec les autres travailleurs, ce qui élèvera le niveau minimal de protection pour tous les travailleurs.

En outre, les travailleurs à bas salaire déjà présents au Canada, y compris ceux qui sont sans papiers, doivent avoir accès à la résidence permanente. Un programme de régularisation à grande échelle pour les personnes sans statut au Canada doit être mis en œuvre immédiatement, un programme qui inclura tout le monde, sans égard pour la façon dont chacun est arrivé au pays.

Il existe de nombreuses façons pour les travailleurs de perdre leur statut, souvent sans que ce soit de leur faute. Aussi, au cours des trois dernières années, beaucoup de ces travailleurs ont couru le risque d’attraper la COVID-19 « au nom » des Canadiens.

Je terminerai en disant que les conséquences de la fraude et des fausses déclarations doivent être assumées par les employeurs et les agents d’immigration plutôt que par les travailleurs qui ont subi ces abus. Les pratiques de recrutement illégales sont de notoriété publique, mais nous continuons à voir des travailleurs subir des conséquences injustes, alors que les employeurs et les recruteurs sont peu surveillés et font rarement l’objet d’enquêtes. Ces travailleurs doivent avoir accès à la résidence permanente et on devrait leur donner la possibilité de régulariser leur statut. Je vous remercie.

La présidente : Merci, maître Aziz.

Jennifer Rajasekar, coprésidente, Groupe de travail sur l’immigration et l’établissement, Conseil canadien pour les réfugiés : Distingués membres du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, je vous remercie de nous avoir invités à participer à la séance d’aujourd’hui.

Le Conseil canadien pour les réfugiés, CCR, est un porte-parole de premier plan pour les droits, la protection, le parrainage, l’établissement et le bien-être des réfugiés et des migrants au Canada et dans le monde. Le conseil est animé par les organismes membres qui travaillent avec et pour ces communautés d’un bout à l’autre du pays.

Notre organisme s’est engagé à défendre les enjeux liés aux travailleurs migrants par l’intermédiaire des comités de travailleurs migrants qui sont actifs depuis plus de 15 ans, comités au sein desquels des membres tels que The Neighbourhood Organization élaborent des recommandations et discutent sur une base régulière de ces questions avec Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada.

Aujourd’hui, j’aimerais aborder quelques enjeux importants.

Le Canada a un engagement de longue date envers les travailleurs migrants. Le système canadien reste toutefois difficile pour eux. Nous avons un système où les travailleurs étrangers temporaires se retrouvent en position de grande vulnérabilité face aux abus des employeurs et en situation de précarité à cause de leur statut temporaire. Les failles du système d’immigration canadien contribuent à vulnérabiliser les travailleurs migrants.

Les travailleurs migrants sont exploités et soumis à des pratiques abusives de la part de leurs employeurs, ce qui met en danger les droits fondamentaux et la dignité des travailleurs. Malgré les efforts déployés par le Canada pour atténuer le préjudice créé par le permis de travail lié à un employeur donné, diverses lacunes sapent l’efficacité de ces mesures proactives, notamment l’impossibilité pour de nombreux travailleurs de demander un permis de travail.

Certains des permis de travail ouverts présentent de nombreux défauts qui les rendent inaccessibles à de nombreux travailleurs. L’un des exemples donnés, c’est qu’en demandant un permis de travail ouvert dans un secteur vulnérable, la plupart des travailleurs ont été mis sur une liste noire ou n’ont pas été autorisés à aller dans une autre ferme ou à pratiquer avec ledit permis. Il y a tellement de lacunes et de conséquences indésirables à cet égard. Le Canada devrait reconnaître la valeur de la main-d’œuvre que constituent les nouveaux arrivants à tous égards et admettre de façon permanente les travailleurs dont le marché du travail a besoin.

Cela dit, je voudrais simplement parler de certaines recommandations que le comité du Conseil canadien pour les réfugiés a formulées. Premièrement, il faut reconnaître la valeur plurielle de la contribution des nouveaux arrivants et admettre les travailleurs requis par le marché du travail sur une base permanente — et non temporaire —, ce qui est conforme aux politiques traditionnelles du Canada. Deuxièmement, pendant que le Programme des travailleurs étrangers temporaires se poursuit, il faut mettre fin à l’utilisation d’autorisations de travail liées à un employeur donné. Troisièmement, pendant que ces recommandations sont mises en œuvre, il faut remédier aux multiples lacunes des politiques relatives aux permis de travail ouverts en appliquant les recommandations énoncées à cet égard dans le rapport intitulé Band-Aid on a Bullet Wound, qui a été soumis en septembre 2021.

En ce qui concerne les étudiants étrangers, le plus inquiétant est le fait qu’ils n’ont pas accès aux soins de santé, même s’ils ont le droit de travailler légalement au Canada pendant leurs études, comme c’est le cas pour beaucoup d’entre eux. Ils doivent toujours payer leurs soins de santé de leur propre poche.

Je vous remercie. Je serai heureuse de répondre à vos questions ou d’apporter des précisions sur certains enjeux.

La présidente : Merci beaucoup, madame Rajasekar.

Nous allons maintenant passer aux questions des membres du comité. Vous disposez de cinq minutes par intervention. Veuillez vous assurer de ne pas vous approcher trop près du micro ou de retirer votre oreillette si vous le faites.

La sénatrice Osler : Merci beaucoup aux témoins. C’est une question qui peut s’adresser à vous deux. Ma question porte sur les permis de travail et comporte trois parties.

Pourquoi la majorité des permis de travail sont-ils liés à un employeur donné? Y a-t-il des situations ou des secteurs où ce type de permis est absolument nécessaire? Y a-t-il des situations ou des secteurs où un permis de travail lié à un employeur donné est avantageux pour le travailleur étranger temporaire?

Me Aziz : Je peux commencer, madame Rajasekar, puis je vous céderai la parole.

Je vais répondre dans l’ordre inverse. Je dirais que non, les permis de travail liés à un employeur donné ne profitent pas aux travailleurs étrangers temporaires. Comme vous l’avez entendu, j’ai écouté les audiences du comité hier et les autres intervenants de ce matin. Essentiellement, les permis de travail liés à un employeur donné ne profitent pas aux travailleurs. Ils empêchent les travailleurs de se prévaloir de leurs droits. Ils empêchent les travailleurs de quitter des situations où ils sont maltraités. Je dirais, sans équivoque, que non, ces permis ne profitent pas aux travailleurs.

Pour ce qui est des secteurs, je dirais la même chose. Si le problème est que nous ne sommes pas en mesure d’obtenir des travailleurs ou d’en avoir s’il y a des pénuries de main-d’œuvre dans certains secteurs, ou que nous ne sommes pas en mesure d’obtenir ou de faire travailler des travailleurs sans les lier à un employeur donné, alors, comme la professeure Faraday l’a dit, c’est un problème avec ce secteur et cet employeur. Le fait de lier un travailleur à cet employeur ne réglera rien.

En ce qui concerne la raison d’être de ces permis de travail, il faut savoir qu’historiquement, au début de nos programmes de travailleurs étrangers temporaires, les travailleurs étaient liés à des employeurs donnés. Je pense que l’on pourrait avancer toutes sortes d’arguments de classe, de racisme et de discrimination pour expliquer pourquoi nous faisons cela. Bien entendu, je pense que toutes les motivations que nous avions il y a 30, 40 ou 50 ans ne devraient plus s’appliquer.

Mme Rajasekar : Je suis d’accord. Les travailleurs ne devraient pas être liés à un employeur particulier. Cela conduit à des abus. Me Aziz a également soulevé d’autres points dont je me fais l’écho.

[Français]

La sénatrice Petitclerc : Merci à nos témoins d’être ici avec nous aujourd’hui.

J’ai une petite question et, très honnêtement, je ne suis pas certaine que vous aurez la réponse, mais je me demandais si vous pourriez nous dire si, ailleurs dans le monde, il y a des modèles de pays qui font mieux que nous. Je suis très consciente de la grande diversité des programmes d’immigration, des lois et des besoins. Qui fait mieux que nous sur le plan du traitement des travailleurs et du respect des droits?

[Traduction]

Me Aziz : C’est une question intéressante, pour laquelle je n’ai pas de réponse très précise à vous donner.

Comme j’ai travaillé avec des collègues en Australie et au Royaume-Uni, je sais qu’un certain nombre de personnes s’intéressent à ce que fait le Canada en ce qui concerne le permis de travail ouvert pour les travailleurs étrangers vulnérables et à la manière dont le permis a été mis en œuvre, mais je ne suis pas sûre de pouvoir désigner un pays particulier où les travailleurs migrants sont traités d’une manière à laquelle le Canada devrait aspirer, selon moi. C’est-à-dire qu’en tant que Canadiens, nous avons le leadership nécessaire et nous pouvons prendre l’initiative de donner des exemples au monde entier.

Cependant, il y a un endroit que je voudrais mettre en évidence. Cela ne concerne pas les permis de travail, mais plutôt la régularisation. Je pense que nous pourrions nous tourner, par exemple, vers l’Irlande. Ils viennent de terminer un programme de régularisation de masse dans le cadre duquel ils ont régularisé près de 10 000 personnes — et peut-être pas seulement des travailleurs — en Irlande.

Il y a des exemples ou des enseignements liés à certains types de processus ou d’activités que nous pourrions tirer d’autres pays. Je sais qu’on collabore un peu avec des pays qui essaient de créer de meilleures situations, mais il n’y a rien que je puisse pointer du doigt précisément.

[Français]

La sénatrice Petitclerc : Merci, et je suis consciente que ma question n’est pas évidente.

[Traduction]

La présidente : Sénatrice Petitclerc, vous disposez du temps nécessaire. Aimeriez-vous que Mme Rajasekar tente de répondre à la question?

La sénatrice Petitclerc : Oui, si elle a quelque chose à ajouter.

Mme Rajasekar : Pour être honnête avec vous, je ne connais pas bien les politiques des autres pays.

La sénatrice Petitclerc : Merci. Je savais que c’était une question à laquelle il est difficile de répondre. Je crois simplement qu’il pourrait être intéressant de savoir ce que d’autres pays réalisent et s’ils obtiennent de meilleurs résultats que nous.

La présidente : À cet égard, je dois noter que l’Allemagne prend des mesures intéressantes. Nous pourrions peut-être les appeler, mais voyons ce qu’il convient de faire.

Le sénateur Kutcher : Je remercie les témoins de leur collaboration. J’ai deux questions à poser. La première est destinée à Me Aziz et la seconde à vous deux. Je vais les énoncer toutes les deux en même temps, afin de faciliter les choses.

Je souhaite donner suite à la question concernant les syndicats que vous avez entendue plus tôt. Je ne suis pas avocat, mais je crois comprendre qu’en 2011, la Cour suprême a exempté les travailleurs agricoles de la Loi sur les relations de travail, qui est une loi fédérale. Existe-t-il une façon de modifier cette loi pour régler ce problème?

La deuxième question que je vous pose, à toutes les deux, est la suivante: les conditions oppressives dont nous avons entendu parler, le grand nombre de gens sans papiers, sont-elles des situations classiques qui conduisent à l’esclavage moderne? Vous avez mentionné les abus sexuels dans votre rapport.

Existe-t-il des données concernant le mouvement de gens, en particulier des femmes racisées, vers l’esclavage moderne en raison des conditions auxquelles font face les travailleurs étrangers migrants, ou avez-vous des inquiétudes à ce sujet?

Me Aziz : Je peux peut-être commencer à répondre à la question, puis céder la parole à Mme Rajasekar.

Je voudrais simplement appuyer ce que la professeure Faraday a dit en ce qui concerne la syndicalisation et la capacité d’un travailleur à avoir accès à des syndicats. Je pense que cette question comporte deux parties. L’une d’elles est liée au type de lois qui empêchent les travailleurs agricoles d’avoir accès à des syndicats. L’autre partie est aussi liée aux réalités sur le terrain, c’est-à-dire à la capacité des travailleurs de faire valoir leurs droits, tant que nous lierons les travailleurs aux employeurs, même dans le cas de permis de travail propres à un secteur. À l’heure actuelle, le programme des travailleurs agricoles saisonniers est propre au secteur, et non à un employeur particulier. Toute personne qui travaille en première ligne avec des travailleurs agricoles sait que ces permis sectoriels ne protègent pas les travailleurs. Les travailleurs agricoles travaillent ensemble, et si un travailleur quitte une ferme, il lui est très difficile de trouver du travail dans une autre ferme.

Je pense que le problème se situe à la fois au niveau des changements législatifs qui doivent absolument être mis en œuvre, mais aussi au niveau de la façon de garantir que les travailleurs sont même en mesure de faire valoir les droits dont ils disposent. En Colombie-Britannique, où la majorité de mon travail concerne les travailleurs migrants, il existe un accès à la syndicalisation. Cependant, il est pratiquement impossible pour les travailleurs, surtout les travailleurs agricoles qui sont ici pendant de courtes périodes, de faire valoir leurs droits.

Je peux aussi formuler des observations au sujet de la deuxième question, mais je ne sais pas, madame Rajasekar, si vous souhaitez formuler des observations au sujet de la question de la syndicalisation.

Mme Rajasekar : Non, vous pouvez poursuivre.

Me Aziz : Je voudrais simplement dire que j’ai écouté d’autres témoins et que je partage leur avis au sujet de la servitude moderne. Le rapport que nous avons publié l’année dernière traite davantage des types de mauvais traitements que subissent les travailleurs que nous aidions.

La mesure visant à lier des travailleurs à des employeurs s’apparente à une servitude moderne au Canada. Je le dis sans équivoque. La solution ne réside pas dans les permis de travail sectoriels. Comme je l’ai indiqué, le Programme des travailleurs agricoles saisonniers a démontré que cela ne fonctionne pas. Le problème découle de la façon dont nous lions les travailleurs aux employeurs et de la façon dont nous les empêchons pratiquement de quitter un employeur abusif en raison des risques qu’ils courraient en ce qui concerne leur statut au Canada, et même simplement en ce qui concerne leurs propres moyens de subvenir à leurs besoins et à ceux de leur famille dans leur pays.

Mme Rajasekar : Je voulais juste formuler des observations sur la question de l’accès aux droits réguliers à l’information, même par l’intermédiaire des syndicats ou à part de cela, lorsque vous êtes lié à un employeur particulier. Ils doivent permettre aux personnes qui diffusent cette information, qui obtiennent l’information appropriée et qui organisent des séances d’information d’avoir accès aux travailleurs. S’ils ne permettent pas aux travailleurs de participer à ces séances ou s’ils ne nous permettent pas de nous rendre sur place pour communiquer l’information en personne, il est très difficile de renseigner les travailleurs. C’est la première raison pour laquelle ils ne sont pas en mesure d’avoir le même accès à l’information, à moins que l’employeur ne décide de nous autoriser à communiquer avec eux. Ce problème conduit à de mauvais traitements. Le fait de ne pas savoir quels sont ses droits est un obstacle important, je dirais, lorsqu’un employé est lié à un employeur.

La présidente : Merci beaucoup.

[Français]

La sénatrice Mégie : Ma question s’adresse à Mme Rajasekar. Je vois que vous êtes du Conseil canadien pour les réfugiés. Ma question concerne justement le temps d’attente pour quelqu’un qui a un statut de réfugié. Combien de temps doit-il attendre pour avoir un permis de travail? Est-ce que c’est long?

[Traduction]

Mme Rajasekar : Je ne peux pas répondre à la question concernant le temps d’attente. Cela varie aussi en fonction de chaque cas et de chaque personne. Nous ne pouvons pas simplement dire que telle ou telle personne doit attendre pendant tel ou tel laps de temps. Je ne suis pas une experte dans ce domaine, alors je vais en rester là. Me Aziz est peut-être en mesure de répondre à cette question.

Me Aziz : Bien sûr. Depuis la pandémie de COVID-19, un grand nombre de processus relatifs à la demande d’asile sont réalisés en ligne. Maintenant, lorsqu’un demandeur présente une demande, il peut automatiquement indiquer qu’il aimerait également obtenir un permis de travail.

Il y a eu de nombreux problèmes au début de ce processus. Nous avons entendu dire que des demandeurs d’asile avaient entendu de nombreux mois avant qu’un permis de travail ne leur soit délivré. Je pense que le délai de traitement a diminué maintenant, et que le processus a été simplifié en ce qui concerne la possibilité pour les gens d’obtenir leur permis de travail, mais je crois qu’il faut parfois attendre un mois ou deux avant de l’obtenir. Certes, ce n’est pas un système parfait, mais quelques améliorations y ont été apportées récemment.

[Français]

La sénatrice Mégie : J’ai une brève question. La raison pour laquelle j’ai abordé cette question est que nous avons appris ici, grâce aux témoignages entendus, qu’il y a une sorte de catégorisation pour les migrants travailleurs temporaires. Je me suis demandé si c’était très long. N’y aurait-il pas une façon de créer un programme qui pourrait permettre de mettre ces personnes dans une catégorie où ils auraient droit à un visa de travail temporaire ouvert?

Cela pourrait aller plus vite, mais comme vous dites que le temps d’attente a diminué, peut-être que mes idées ne compteraient plus, vu que c’est moins long maintenant.

[Traduction]

Me Aziz : Si j’ai bien compris, votre question est la suivante : quel est le délai de traitement pour les demandes de permis de travail ouvert présentées par des travailleurs?

[Français]

La sénatrice Mégie : Le temps qu’ils attendent, pour le processus d’obtenir le permis de travail par l’entremise de leur statut de réfugié, n’y aurait-il pas un moyen intermédiaire pour leur donner un visa de travail temporaire ouvert, en attendant?

[Traduction]

Me Aziz : D’accord. Oui, bien sûr. Ce processus est beaucoup plus efficace, je dirais. Une personne qui arrive au pays et qui présente une demande d’asile est admissible à un permis de travail immédiatement, et la plupart du temps, elle l’obtiendra. Il s’agit d’un permis de travail ouvert, comme vous l’avez noté.

Je pense que l’aspect important est qu’il s’agit d’un permis de travail ouvert. Ces nouveaux arrivants sont des personnes vulnérables qui recherchent la protection du Canada. Nous délivrons à ces gens des permis de travail ouverts. Dans l’ensemble, je pense que ce système est efficace, mais que quelques problèmes sont survenus pendant la transition vers le traitement en ligne.

En ce qui concerne les catégories de travailleurs, je mentionne aussi qu’il y a une telle variété de délais de traitement à l’heure actuelle en fonction des différents travailleurs, comme des délais de traitement pour les prolongations de permis de travail et les transitions vers des permis de travail ouverts. Hier, vous avez entendu de nombreux témoins parler des travailleurs de la santé. Dans le cadre de ces projets pilotes très restreints, un travailleur de la santé peut demander un permis de travail ouvert une fois qu’il a soumis sa demande de résidence permanente. Contrairement au processus par lequel un demandeur d’asile soumet sa demande et se voit ensuite délivrer un permis de travail, notre expérience a montré que les travailleurs de la santé attendent plus d’un an et parfois même plus de deux ans avant que ces permis de travail ouverts leur soient délivrés — ils restent donc à la maison au Canada et attendent. S’ils ne peuvent pas trouver un autre employeur pour les aider à obtenir un permis de travail lié à un employeur donné, leur statut est maintenu, mais ils sont incapables de travailler pour tout autre employeur et se tournent les pouces au Canada.

Je pense que nous devons examiner les différentes manières dont nous délivrons ces permis de travail ouverts à l’heure actuelle et, selon moi, il faut certainement nous diriger vers un système où les travailleurs qui sont ici et, bien sûr, les résidents permanents se voient délivrer des permis de travail.

La sénatrice Bernard : Permettez-moi de remercier les deux témoins de leur témoignage d’aujourd’hui, mais aussi de leur plaidoyer en faveur des personnes très vulnérables qui nous rendent des services essentiels chaque jour.

Deux déclarations faites aujourd’hui m’ont touchée très profondément. La première déclaration, c’est que le Programme des travailleurs étrangers temporaires est discriminatoire à dessein. L’autre déclaration qui m’a interpellée, c’est que nous devons cesser de mettre des pansements sur des blessures par balle.

Ce que j’entends dans ces deux déclarations, c’est le fait qu’il y a une discrimination systémique profonde qui exige une transformation. Je me demande si vous pourriez toutes les deux faire des recommandations précises à notre comité, des recommandations qui conduiraient à une telle transformation.

Me Aziz : Oui, il y a un certain nombre de recommandations que nous avons entendues de la part des personnes qui ont témoigné hier et certainement aujourd’hui. En ce qui concerne la discrimination intentionnelle, malheureusement, je pense qu’il s’agit d’un problème structurel très important qui doit être réglé. Je pense que vous l’avez dit vous-même au cours de votre introduction, c’est-à-dire qu’à l’heure actuelle, notre système repose essentiellement sur les classes sociales en ce qui concerne la façon dont nous considérons les travailleurs. Ceux qui font partie du Volet des postes à bas salaires sont considérés comme peu qualifiés, et je sais que vous avez déjà parlé de cette question aujourd’hui. Je crois donc que le langage employé est très important lorsque nous parlons de travailleurs, d’immigration, de migrants et d’immigrants. En utilisant les mots « peu qualifiés », nous sous-estimons vraiment le travail que réalisent des travailleurs qui veillent essentiellement à ce que notre chaîne d’approvisionnement alimentaire continue de fonctionner sans interruption au Canada.

La première frontière que nous avons ouverte, après la fermeture de nos frontières au début de la pandémie de COVID-19, l’a été pour les travailleurs agricoles migrants, car nous savions que nous aurions de gros ennuis si nous n’acceptions pas que des travailleurs agricoles franchissent nos frontières. J’estime donc que la façon dont nous considérons et valorisons les différents travailleurs est problématique, tout comme la valeur et les droits que nous attribuons à ces différents niveaux de travailleurs. Il faut que cela change. La façon dont nous envisageons et concevons notre système du point de vue de nos valeurs, des personnes que nous valorisons et de celles que nous considérons comme essentielles doit changer, tant sur le plan de notre langage que sur le plan de notre conception.

La professeure Faraday en a parlé, et notre organisation est également très favorable à un programme de régularisation. À l’heure actuelle, il est possible d’accorder un statut permanent à ceux qui sont au Canada sans résidence permanente. Je dirais qu’il est fondamental que nous le fassions pour assurer une certaine forme d’égalisation des travailleurs qui sont au Canada en ce moment et qui ont contribué à notre société de nombreuses façons au cours des trois dernières années.

En outre, je pense qu’il existe une solution à court terme pour régler la question de la régularisation et satisfaire au besoin urgent à cet égard. La solution à plus long terme consisterait à examiner la manière dont nous valorisons les travailleurs, la façon dont nous concevons notre système d’immigration, le genre de valeurs qui nous tiennent à cœur et le type d’éléments que nous intégrerions dans un système d’immigration.

À l’heure actuelle, nous sommes très ségrégationnistes et discriminatoires à l’égard des travailleurs qui sont — principalement, je dirais — originaires de pays où ils ont eu la possibilité d’apprendre l’anglais ou le français, et où les gens ont peut-être davantage accès à l’éducation postsecondaire. Je pense que nous devons repenser ce que notre société valorise relativement à nos programmes d’immigration.

Mme Rajasekar : L’une des recommandations que je formulerais, c’est de parler de l’accessibilité aux services et de la nature du service, de tenir les employés responsables et de leur demander des comptes, et de trouver des moyens plus pratiques et plus réalistes de tenir les employeurs responsables lorsqu’ils font venir des employés pour travailler pour eux pour assurer un travail essentiel.

De plus, le statut de « résident permanent ouvert » est très important. L’argument fondamental, c’est que si les travailleurs ont le droit de travailler au Canada et de contribuer à notre économie, alors ils ont le droit de rester au Canada. Ils contribuent à l’économie, et c’est ce que nous dirions.

Nous avons également signalé quelques observations formulées par le CCR et présenté un grand nombre de rapports à IRCC. Nous pourrions probablement vous envoyer plus d’informations si vous en avez besoin.

La présidente : Merci. Nous vous serions reconnaissants de nous communiquer toute information que vous jugez essentielle à notre compréhension de ce dossier.

La sénatrice Osler : Je remercie de nouveau les témoins.

Je vais approfondir un peu plus la question posée par mon honorable collègue. J’aimerais avoir votre avis sur la nécessité d’apporter des changements aux règlements ou aux lois. Maître Aziz, vous avez mentionné tout à l’heure des changements législatifs.

En septembre 2022, des modifications ont été apportées au Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés. J’aimerais savoir si vous avez connaissance d’informations ou de données concernant ces modifications réglementaires. Ont-elles atteint leur objectif, c’est-à-dire d’améliorer la protection des travailleurs temporaires et migrants au Canada? De plus, j’aimerais savoir si vous pensez que nous avons besoin d’apporter plus de changements réglementaires ou de plus de changements législatifs.

Me Aziz : Je vous remercie de cette question. Je pense que c’est compliqué, car, bien sûr, notre système d’immigration est défini à la fois dans la législation et dans la réglementation. Cependant, je pense qu’on pourrait faire beaucoup de choses avec les règlements, simplement en ce qui concerne la façon dont les permis de travail sont délivrés. Une grande partie de la surveillance des permis de travail relève des règlements. Il y a eu, je dirais, quelques bricolages ici et là en réponse aux abus dont sont victimes, en particulier, les travailleurs migrants à faible salaire.

Je dirais qu’on pourrait obtenir d’importants résultats en modifiant les règlements. Par exemple, l’un des changements survenus en 2019 concernait le permis de travail ouvert pour les travailleurs vulnérables, bien que — comme l’a dit mon collègue, et notre organisation a également publié un rapport à ce sujet — ce ne soit pas exactement la bonne solution. C’est une solution de fortune. Le gouvernement pourrait procéder à de nombreux changements.

En ce qui concerne les changements apportés aux règlements l’an dernier, ils montrent que le gouvernement est conscient de la situation difficile des travailleurs migrants et qu’il veut prendre des mesures. Cependant, ces changements n’ont pas eu d’effet sur la protection des travailleurs. Comme nous l’avons entendu hier et encore aujourd’hui, le simple partage d’informations sur les droits des travailleurs migrants n’est pas une solution. S’assurer que les employeurs doivent fournir des informations sur les droits des travailleurs migrants à leurs employés n’est pas une solution. En réalité, la solution et le cœur du problème sont liés au fait que les travailleurs sont liés à leurs employeurs. À moins que nous ne fassions des progrès pour libérer les travailleurs de leurs employeurs et veiller à ce que les gens aient un statut non précaire au Canada, toutes les autres retouches et tous les autres changements seront très superficiels par rapport à ce que nous souhaitons, c’est-à-dire veiller à ce que les travailleurs puissent jouir de leurs droits et ne soient pas victimes d’abus dans leur milieu de travail.

D’un autre côté, je pense qu’il y a eu beaucoup de changements au cours des dernières années en ce qui concerne le régime de conformité auquel les employeurs doivent se soumettre lorsqu’ils veulent embaucher un travailleur étranger. Je dirais qu’une partie de nos recommandations porte également sur les enquêtes et les inspections préventives. À l’heure actuelle, notre système est principalement axé sur les plaintes, tant en ce qui concerne les plaintes de particuliers à l’échelon provincial — quelqu’un se plaint d’un problème de normes d’emploi, et c’est au travailleur de porter plainte — qu’à l’échelon fédéral en ce qui concerne le régime de conformité. Des systèmes sont en place pour inspecter les lieux de travail, mais je dirais que, bien souvent, ces inspections n’ont lieu que si un travailleur ou une organisation de défense des droits est en mesure de déposer une plainte.

La sénatrice Osler : Madame Rajasekar?

Mme Rajasekar : Je n’ai pas de commentaire.

La sénatrice Osler : J’ai une courte question complémentaire. Pourrais-je avoir votre avis à toutes les deux sur le statut d’employeur de confiance ou le plan relatif aux employeurs de confiance?

Me Aziz : Pour ma part, au Migrant Workers Centre, nous ne travaillons pas avec les employeurs. Nous ne représentons que les travailleurs. Je n’en ai pas beaucoup à dire sur ce système en particulier — je dirai simplement qu’il faut davantage de conformité et d’inspections préventives contre les employeurs.

Mme Rajasekar : Nous ne travaillons pas beaucoup avec les employeurs non plus. Nous essayons de créer un système où nous sommes en mesure de communiquer avec les associations et les différents acteurs sur le terrain, mais je n’ai pas grand-chose à dire à ce sujet.

La présidente : Merci. Maître Aziz, j’ai une brève question pour vous, basée sur les témoignages précédents et ce que vous avez dit.

Je suis frappée par le peu de connaissances que nous avons — au sein de ce comité, du moins — au sujet de l’industrie du recrutement qui évolue au sein de cette constellation. Nous avons entendu de la part de Mme Faraday une remarque assez stupéfiante selon laquelle certains travailleurs paient deux ans de leur salaire pour être recrutés dans cette industrie.

Pourriez-vous, vous et madame Rajasekar, nous fournir de plus amples renseignements sur cette industrie? Est-elle à l’œuvre au Canada? À l’extérieur du Canada? Est-il de notre ressort de la réglementer ou non? Comment fonctionne-t-elle?

Me Aziz : Je vous remercie de soulever cette question. Je pense qu’elle est très importante et souvent négligée. Malheureusement, je pense que c’est aussi quelque chose que, bien que nous en soyons très conscients — il y a eu de nombreux reportages à CBC, dont récemment sur les systèmes de recrutement en ce qui concerne les étudiants internationaux —, il y a encore très peu d’action de la part du gouvernement pour rectifier le problème des frais de recrutement.

Au Migrant Workers Centre, nous avons récemment vu un groupe de travailleurs ayant payé 70 000 ou 80 000 dollars américains pour obtenir un placement en emploi au Canada. Ces frais leur ont été imposés dans leur propre pays par un recruteur qui leur a promis de les mettre en contact avec un employeur au Canada et leur a dit que le permis de travail était une voie d’accès vers la résidence permanente. On leur fait miroiter toutes sortes de promesses, non seulement sur le plan de l’emploi, mais aussi pour l’accès à la résidence permanente. Je pense par exemple à un travailleur qui est arrivé au pays en pensant travailler dans le secteur des technologies, et qui a été amené dans une ferme à son arrivée au Canada. Cette personne a une formation d’ingénieur dans son pays d’origine. Donc, ces gens travaillent à la ferme. Ils ont réussi à trouver le Migrant Workers Centre. Nous sommes alors porteurs de mauvaises nouvelles : le permis de travail qui leur a été délivré n’offre aucune voie d’accès à la résidence permanente, et ils ont été totalement escroqués par le recruteur de l’extérieur du Canada.

Certains fonctionnaires diront qu’il est très difficile de prendre des mesures quelconques contre les recruteurs de l’extérieur, mais les fonctionnaires travaillent presque toujours avec des gens à l’intérieur du Canada — consultants en immigration, employeurs ou employeurs qui agissent comme consultants en immigration — qui ont presque toujours des liens avec les recruteurs de l’extérieur. Donc, à mon avis, affirmer que cela ne relève pas de notre compétence revient à se laver les mains de ce qui se passe à l’extérieur du Canada. Nous ne pouvons pas nous en laver les mains. Si nous faisons venir des gens au Canada pour travailler, nous avons l’obligation de protéger ces travailleurs, y compris contre l’imposition de frais de recrutement injustes et illégaux, et de veiller à leur offrir des recours.

Supposons qu’un travailleur paie ces frais, que ce soit au Canada ou à l’étranger, et que l’emploi qu’il pense avoir ici est inexistant. Nous avons aussi vu beaucoup de cas de ce genre. Des travailleurs paient ces frais, arrivent au Canada, puis découvrent que l’emploi n’existe pas. En plus, l’employeur affirme n’avoir jamais entendu parler du travailleur auparavant. Aider un travailleur à rétablir un statut qu’il a perdu ou à obtenir un permis de travail et à se remettre de ce qu’il a vécu est extrêmement difficile et exige beaucoup de travail et de ressources.

Je pense que c’est un élément important qui est absent de la discussion et des pénalités de notre système d’immigration : nous pénalisons souvent les travailleurs qui ont perdu leur statut ou qui ont travaillé sans permis parce qu’un consultant, par exemple, leur a dit que c’était possible. Essentiellement, nous imposons au travailleur l’obligation de rétablir sa situation, ce qui n’est pas possible dans bien des cas.

La présidente : Merci. Madame Rajasekar, aviez-vous des commentaires à ce sujet?

Mme Rajasekar : On observe récemment, au Canada, de plus en plus de cas de gens, en particulier les travailleurs agricoles migrants, qui se font promettre des voies d’accès et qui paient des frais alors qu’ils ne sont même pas admissibles à présenter une demande. Ils paient des milliers de dollars et on leur garantit un emploi.

L’autre exemple est la promesse de placement dans le secteur de la construction. Les gens sont placés pendant un mois, on leur prend leur argent, puis on les abandonne à leur sort. Ces travailleurs deviennent donc des sans-papiers; ils n’ont ni statut ni documents. Voilà ce qui se passe. Ensuite, les gens ne cessent de payer, en raison de la fraude fiscale de consultants qui font de fausses déclarations. Beaucoup de travailleurs migrants sont pénalisés, en fin de compte, car ils doivent rembourser l’argent.

On parle de consultants en immigration en exercice ou de parajuristes agréés. Par conséquent, nos clients, qui sont des travailleurs migrants temporaires, n’ont pas les bons renseignements sur les services qui leur sont offerts. Les employeurs sont censés informer les travailleurs de leurs droits et responsabilités et des services qui leur sont offerts afin qu’ils ne passent pas entre les mailles du filet, ce qu’ils ne font pas.

Nous dépendons fortement des employeurs qui font venir ces travailleurs au pays, car ils ont une relation avec les conseillers pour migrants, parajuristes et consultants en immigration qui promettent aux gens qu’ils peuvent faire venir leur famille et qui, dans certains cas, ne renouvellent même pas leurs demandes ou leurs études d’impact sur le marché du travail. Nous avons récemment perdu un homme — un très jeune homme — qui était sans statut depuis huit ans et qui n’a pu obtenir de soins de santé. Il a succombé à un cancer. L’employeur avait un lien avec le parajuriste qui était censé l’aider, mais ils ne l’ont pas aidé. Ils ont pris l’argent et sont partis.

Voilà le genre de choses qui se passent tous les jours sur le terrain.

La présidente : Je vous remercie de ces informations. Si vous avez d’autres observations ou recommandations au sujet du rôle de l’industrie du recrutement dans tout cela, veuillez nous les transmettre.

Mme Rajasekar : Oui, le CCR travaille avec IRCC pour aider les organismes d’établissement et les groupes communautaires à renseigner les clients et les aider à remplir les demandes et formulaires d’immigration, et ainsi éviter qu’ils ne soient laissés pour compte par des consultants qui exigent des frais. Les services leur sont offerts gratuitement par du personnel formé qui présente des rapports et fait un suivi. Nous pouvons également envoyer ce rapport.

La présidente : Merci.

Le sénateur Kutcher : Je veux revenir sur deux questions qui ont été évoquées brièvement. J’aimerais — aux fins du compte rendu — que vous parliez toutes les deux de solutions précises, de choses auxquelles vous avez déjà pensé et qui représentent des solutions à ces problèmes.

Premièrement, pour revenir aux inspections proactives dont vous avez parlé avec la sénatrice Osler, j’ignore quels sont les processus, la teneur ou la fréquence des inspections. Selon vous, quelles solutions précises à ces problèmes devrions-nous examiner?

Ma deuxième question donne suite à la question de notre estimée présidente au sujet des recours précis offerts aux victimes, mais aussi des solutions pour enrayer cette pratique. Vous avez soulevé de nombreuses préoccupations — nous vous avons entendues —, mais nous aimerions vraiment que vous parliez de mesures précises. Merci.

Me Aziz : Pour m’assurer d’avoir bien compris, la deuxième partie porte-t-elle sur les frais de recrutement?

Le sénateur Kutcher : Oui.

Me Aziz : Concernant les inspections, je pense que des inspections surprises seraient une façon concrète d’améliorer les choses. On entend souvent dire que les employeurs sont avisés de la tenue d’une inspection. En outre, selon les travailleurs que nous représentons et qui sont sur place lors des inspections, les inspecteurs visitent un très beau dortoir où les travailleurs ont accès à divers services de qualité, mais ignorent les cinq autres installations qui sont dans un état nettement inférieur aux normes. Les inspections surprises sont une solution.

Pour ce qui est des inspections proactives, je pense que Service Canada pourrait beaucoup s’améliorer à cet égard. Quant à la collecte de données, nous avons un ensemble de données provenant du programme de permis de travail ouvert pour les travailleurs vulnérables. Il s’agit d’un minuscule sous-ensemble de travailleurs qui ont pu obtenir un permis de travail ouvert et qui ont pu signaler qu’ils ont été victimes de mauvais traitements ou d’exploitation dans le cadre de leur emploi. Il y a une liste d’employeurs concernés. Nous savons d’où viennent ces travailleurs. Souvent, au Migrant Workers Centre, nous constatons que ces mêmes employeurs sont toujours en activité des mois ou un an plus tard, qu’ils embauchent toujours des travailleurs migrants et que les situations de mauvais traitements continuent de se produire. Qu’en est-il des inspections pour ces employeurs?

Nous avons une partie de ces données, de sorte qu’il nous est facile d’établir un parallèle entre le nombre de permis et le nombre d’inspections. En fait, cela faisait partie du cadre de réglementation prévu lors de l’annonce du programme de permis de travail ouvert pour les travailleurs vulnérables. La délivrance de permis de travail ouverts devait entraîner des inspections automatiques. Les données ne démontrent pas clairement que c’est le cas, mais je pense qu’il s’agit d’une solution concrète.

De l’autre côté, concernant les travailleurs, je pense que lorsqu’un lieu de travail fait l’objet d’une inspection et est visé par une interdiction d’embaucher des travailleurs migrants en raison des conditions du lieu de travail, par exemple, il faut aussi délivrer immédiatement un permis de travail ouvert aux autres travailleurs, sans qu’ils aient à en faire la demande par l’intermédiaire du programme de permis de travail ouverts pour les travailleurs vulnérables.

Concernant le recrutement, je pense que la question est un peu plus complexe en raison des liens entre diverses personnes à l’extérieur et à l’intérieur du pays. Toutefois, d’un point de vue pratique, certaines mesures peuvent être prises pour réglementer les activités de ceux qui font le recrutement : recruteurs, consultants en immigration et agents d’employeurs. Je pense qu’il faut s’assurer que ces groupes sont véritablement régis par des organismes de réglementation. Je sais que le gouvernement a créé un nouvel organisme de réglementation pour les consultants en immigration il y a deux ans. Reste à voir s’il aura le mordant nécessaire.

Comme je l’ai mentionné dans ma déclaration, le Migrant Workers Centre est actuellement engagé dans un recours collectif contre une consultante en immigration dont le permis a été suspendu en raison d’allégations de fraude et de promotion d’un programme d’immigration en réponse à la COVID-19 qui n’existait pas — donc à un moment où les gens étaient très vulnérables — et qui a poursuivi ses activités malgré la suspension de son permis, même si les gens étaient au courant. Elle a continué à retenir de nouvelles personnes, de nouveaux clients. Pour nous, c’était extrêmement frustrant à voir. Que se passait-il, même si le permis était suspendu? Où est le suivi pour empêcher certains individus de continuer à escroquer les gens?

Peu d’options s’offrent aux victimes d’une telle fraude en ce moment. Il y a le permis de séjour temporaire, un processus très discrétionnaire qui offre un statut uniquement pendant la période de validité. Il est très difficile à obtenir, et le processus est très long.

Nous avons besoin de mécanismes concrets qui permettent aux travailleurs sans statut de régulariser leur statut, par exemple un permis de travail ouvert, l’admissibilité au permis de travail ouvert pour les travailleurs vulnérables — même pour les gens sans statut — ou des voies d’accès à la résidence permanente pour les personnes qui ont déjà prouvé avoir été victimes d’abus et d’exploitation par des recruteurs. Il nous faut des mécanismes plus concrets permettant aux travailleurs puissent régulariser leur statut, car c’est très difficile en ce moment.

Mme Rajasekar : Je pense qu’elle a mentionné la plupart des solutions. Les visites surprises sont l’une des mesures à prendre de manière répétée, en compagnie de représentants d’un organisme communautaire, en guise de témoins. Il faut publier la liste de tous les employeurs qui sont en infraction, en espérant que cela les dissuade de récidiver.

Cela vaut aussi pour la réglementation des consultants en immigration. Reverra-t-on ces mêmes individus, même après ce qui est arrivé? Selon certains témoignages, certains de ces individus vont simplement ailleurs, créent un autre organisme ou trouvent un partenaire, puis recommencent la même chose. Donc, il n’y a pas de véritables conséquences après coup. Puisqu’il s’agit de faits avérés, il serait peut-être pertinent de publier la liste, de faire connaître la nature de l’infraction et d’informer les gens en toute transparence.

Certaines inspections ont lieu lorsque les travailleurs ne sont pas dans les dortoirs ou sur le lieu de travail. Cela n’aide certainement pas lorsqu’on avise l’employeur de l’heure et de la date d’une inspection. Faire preuve de transparence et publier la liste... Ce serait une façon pratique d’informer les gens.

La présidente : C’est une excellente suggestion.

La sénatrice Moodie : Je vais essayer de rendre cela simple, même si cela ne l’est pas.

On parle d’un groupe de gens souvent très dépendants des autres ou qui ont l’impression de devoir dépendre des autres pour comprendre les processus, pour présenter une demande, et cetera. Peu importe la réglementation ou les mesures que nous prendrons au pays pour régir les activités des recruteurs — et nous n’avons absolument aucun contrôle sur les recruteurs à l’étranger — y a-t-il un correctif à apporter à ce système pour atténuer les besoins, pour simplifier les choses au point de retirer complètement les recruteurs de l’équation et d’entraîner la disparition de cette industrie? Quelle est cette solution?

Me Aziz : C’est une question très simple.

La sénatrice Moodie : Je suis désolée, mais j’entends constamment parler de ce problème. Nous avons essayé de le contrôler, et nous n’y arrivons pas.

Me Aziz : En effet. Je dirais notamment que faciliter l’obtention d’une autorisation de travailler par la délivrance de permis de travail ouverts réduira certainement les abus découlant de la collaboration entre certains employeurs et certains recruteurs.

Les gens doivent trouver un employeur précis pour obtenir une autorisation, ce qui entraîne toutes sortes d’abus, même dans le processus de recrutement. Lorsqu’il n’y a pas d’intermédiaire pour établir un lien avec un employeur, et cetera, selon ce que nous avons entendu, les gens répondent à des annonces depuis l’étranger; c’est très délicat.

Je vois certaines annonces de ce genre. On tend à se dire qu’il est tout à fait compréhensible qu’une personne paie cet argent en pensant avoir affaire à quelqu’un qui est autorisé à faire de telles activités au Canada. Éliminer les obstacles ou les problèmes comme les restrictions de ce genre et la nécessité de trouver un employeur précis serait certainement utile.

Il faut simplifier les processus. Il est vrai qu’en tant qu’avocate en droit de l’immigration et des réfugiés, je suis étonnée quand des gens viennent me voir pour me dire qu’ils ont réussi à s’y retrouver tous seuls, car cela peut être très complexe, étant donné tous les changements et autres choses qui se produisent constamment. On aura beau essayer de simplifier les processus tant qu’on voudra, mais je pense qu’il est également important de miser sur le plus d’organismes à but non lucratif de défense des droits et de soutien que possible et de les appuyer afin qu’ils puissent accompagner les travailleurs tout au long de ces processus.

D’un autre côté, il y a la conformité, la répression. Je pense que certains agissent en toute impunité. Il y a peu de poursuites ou d’enquêtes menant à des conséquences qui font beaucoup de bruit. Je pense que des conséquences plus sévères s’imposent de ce côté-là.

La sénatrice Moodie : Pourriez-vous me rappeler si, pour les inspections, vous aviez besoin d’une invitation?

Me Aziz : Pour les inspections? Il peut y avoir des inspections. Aucune invitation n’est requise. Je pense que Service Canada peut aussi entreprendre des inspections, mais d’après ce que nous avons constaté, les inspections sont souvent entreprises à la suite d’une plainte d’un travailleur qui a vécu quelque chose.

La présidente : Merci beaucoup, maître Aziz. Nous aurions également aimé entendre le point de vue de Mme Rajasekar sur ce sujet, mais notre temps est écoulé. J’ai supplié notre personnel de nous accorder cinq minutes de plus pour tenir une brève discussion à huis clos.

Maître Aziz et madame Rajasekar, je tiens à vous remercier de nous avoir aidés à mieux comprendre le contexte et les enjeux. Merci beaucoup.

(La séance se poursuit à huis clos.)

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