LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL
TÉMOIGNAGES
Ottawa, le mercredi 8 octobre 2025
Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd’hui, à 16 h 15 (HE), avec vidéoconférence, pour mener une étude sur les relations étrangères et le commerce international en général.
Le sénateur Peter Harder (Vice-président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le vice-président : Bienvenue à tous. Je m’appelle Peter Harder, je suis un sénateur de l’Ontario, et je suis vice-président du comité. J’invite les membres du comité à se présenter aux témoins et aux téléspectateurs.
Le sénateur Adler : Charles Adler, du Manitoba.
[Français]
La sénatrice Gerba : Amina Gerba, du Québec.
[Traduction]
Le sénateur MacDonald : Michael MacDonald, de Cap-Breton, en Nouvelle-Écosse.
Le sénateur Ravalia : Bienvenue à tous. Mohamed Ravalia, de Terre-Neuve-et-Labrador.
La sénatrice Ataullahjan : Salma Ataullahjan, de l’Ontario.
Le sénateur Woo : Yuen Pau Woo, de la Colombie-Britannique.
Le sénateur Wilson : Bon après-midi à tous. Duncan Wilson, de la Colombie-Britannique.
Le sénateur Al Zaibak : Mohammad Al Zaibak, de Toronto, en Ontario.
La sénatrice Coyle : Mary Coyle, d’Antigonish, en Nouvelle-Écosse.
Le sénateur Dean : Tony Dean, de l’Ontario.
[Français]
La sénatrice Hébert : Martine Hébert, district de Victoria, au Québec.
[Traduction]
Le vice-président : Je tiens d’abord à souhaiter la bienvenue à ceux et celles qui nous écoutent, et je rappelle à tous les participants de bien respecter les consignes données concernant l’utilisation des microphones.
Nous nous réunissons aujourd’hui pour discuter de la situation humanitaire à Gaza. Pour ce faire, nous avons le plaisir d’accueillir, dans le cadre de notre première table ronde, des représentants d’Affaires mondiales Canada. Je souhaite la bienvenue à Tara Carney, directrice générale par intérim du Bureau de l’aide humanitaire, et à Stefanie McCollum, directrice générale du Bureau du Moyen-Orient, qui occupe ce poste pour la première fois. Mme McCollum vient de terminer son mandat d’ambassadrice au Liban, elle est donc particulièrement familière avec les enjeux dont nous allons traiter à l’instant.
Je tiens à vous remercier tous les deux d’avoir pris le temps de venir nous rencontrer aujourd’hui. Nous sommes impatients d’entendre vos déclarations liminaires. Madame Carney, à vous la parole, je vous prie.
Tara Carney, directrice générale par intérim, Direction générale de l’aide humanitaire Affaires mondiales Canada : Monsieur le vice-président, chers membres du Comité, je tiens d’abord à vous remercier de m’avoir invité à faire le point sur la situation humanitaire à Gaza.
[Français]
Je tiens tout d’abord à souligner les développements importants qui ont eu lieu ces derniers jours. Le Canada se félicite du plan de paix global visant à mettre fin au conflit à Gaza, qu’il considère comme une voie viable vers une paix durable, la libération de tous les otages et l’acheminement immédiat et à grande échelle de l’aide humanitaire à Gaza. Des négociations cruciales concernant ce plan sont en cours en Égypte.
[Traduction]
Nous saluons les États-Unis, le Qatar, l’Égypte et la Turquie pour leurs efforts inlassables dans la médiation des négociations en cours. Le gouvernement canadien s’engage à soutenir ces efforts, et à intensifier la coordination des activités qu’il mène avec ses partenaires internationaux afin que le plan de paix puisse réaliser tout son potentiel.
Cela dit, aujourd’hui, la situation humanitaire à Gaza est complètement inacceptable. Le conflit a déjà fait des dizaines de milliers de morts parmi les civils, plus de 170 000 blessés, ainsi que près de 2 millions de personnes déplacées, dont beaucoup l’ont été à plusieurs reprises. Être contraint de quitter de force tout ce qui nous est familier est bouleversant pour une personne. Être déplacé à plusieurs reprises constitue un traumatisme que la plupart d’entre nous ne peuvent même pas imaginer.
Plus d’un demi-million de personnes sont confrontées à une famine catastrophique, qui menace de prendre encore de l’ampleur.
Au cours des derniers mois, nous avons été témoins d’incidents répétés ayant fait de nombreuses victimes, alors que des civils, y compris des enfants, risquaient leur vie pour trouver de la nourriture et de l’eau. Aujourd’hui même, l’UNICEF a signalé que 64 000 enfants ont été tués ou mutilés depuis le début du conflit. Par ailleurs, Gaza compte le plus grand nombre d’enfants amputés par habitant au monde. Entre juin et juillet, l’hôpital de campagne de la Croix-Rouge à Gaza, soutenu par le Canada, a répondu à plus de 13 incidents ayant fait de nombreuses victimes et soigné plus de 12 500 patients. Les survivants souffrent de blessures complexes qui bouleversent leur vie et qui ne peuvent être traitées de manière adéquate en raison de la pénurie de fournitures et d’équipements médicaux.
La destruction des infrastructures essentielles, notamment les routes, les hôpitaux, les écoles et d’innombrables habitations, est considérable et leur reconstruction prendra des années. La population civile survit dans des abris surpeuplés où l’accès à l’eau potable est extrêmement limité. Tout aussi préoccupant est le coût psychologique de ce conflit, en particulier pour les enfants.
Depuis le début du conflit, plus de 550 travailleurs humanitaires et 1 500 membres du personnel médical ont été tués, la plupart d’entre eux étant des locaux. Il s’agit du plus grand nombre de victimes parmi les travailleurs humanitaires dans un conflit de l’histoire moderne. Le Canada rend hommage à leur sacrifice et reste déterminé à soutenir leur travail qui sauve des vies.
Au-delà de Gaza, la situation humanitaire en Cisjordanie s’est également détériorée. L’accès humanitaire reste limité et entravé, avec plus de 1 000 points de contrôle, une recrudescence de la violence des colons, ainsi qu’une escalade des opérations militaires. En outre, les Palestiniens sont de plus en plus victimes de déplacements forcés et de confiscations de terres en Cisjordanie.
Malgré les graves contraintes en matière d’accès, les travailleurs humanitaires ont fait preuve d’un courage et d’un engagement extraordinaires en continuant à fournir jour après jour une aide vitale. Par exemple, en septembre, le Programme alimentaire mondial a facilité la distribution de plus de 650 000 repas, et l’UNICEF a fourni une aide d’urgence à plus de 5 000 enfants souffrant de malnutrition.
Si l’annonce d’un cessez-le-feu politique nous donne de l’espoir pour l’avenir, il reste encore beaucoup à faire. Indépendamment du cessez-le-feu, en vertu du droit international relatif aux droits de l’homme, toutes les parties au conflit sont tenues de faciliter le passage sans entrave de l’aide humanitaire et de protéger les civils. À l’heure actuelle, les restrictions imposées par Israël, notamment les exigences complexes en matière d’enregistrement des ONG, de renouvellement des visas et de mécanismes de résolution des conflits, limitent considérablement la capacité d’action des partenaires. Des millions de dollars de fournitures prépositionnées, notamment de la nourriture, de l’eau et des médicaments, attendent d’être acheminés aux postes frontaliers. Les partenaires canadiens de l’ONU, des ONG et de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge ont la capacité d’intensifier rapidement leurs efforts lorsque les conditions le permettent. Nous l’avons constaté lors du dernier cessez-le-feu.
[Français]
Membres du comité, nous continuerons de travailler avec nos partenaires pour garantir que l’aide humanitaire à grande échelle vers et à travers Gaza soit maintenue et acheminée dans le cadre de l’intervention menée par les Nations unies. Le Canada est l’un des principaux donateurs pour l’intervention humanitaire. En juillet, nous avons annoncé un nouveau financement humanitaire de 30 millions de dollars, ce qui porte le total de notre aide internationale pour faire face à la crise à plus de 400 millions de dollars depuis le 7 octobre 2023.
Le Canada demeure ferme dans son soutien à un État palestinien souverain, démocratique et viable, qui construit son avenir dans la paix et la sécurité avec l’État d’Israël. Merci.
[Traduction]
Le vice-président : Merci beaucoup, madame Carney. Nous avons une liste de sénateurs qui souhaitent poser des questions. Comme nous le faisons, sénateurs, vous disposerez de trois minutes dans cette session élargie. Nous allons parvenir à un deuxième tour si nous sommes en mesure de le faire. Je demande aux sénateurs et témoins d’être concis dans les questions et les réponses et à respecter la règle des trois minutes.
La sénatrice Ataullahjan : Je tiens d’abord à remercier nos témoins de leur présence et de leurs présentations.
Vous avez utilisé les termes « situation complètement inacceptable ». Vous nous avez fourni le nombre de 64 000 enfants tués. Pourquoi tant de silence de la part de nombreux acteurs? En quoi la situation dans la bande de Gaza diffère‑t‑elle des autres crises humanitaires actuelles? Je suis tout à fait consciente que l’ampleur est différente, mais pouvez‑vous expliquer au comité en quoi cette situation diffère des autres crises humanitaires?
Mme Carney : Je vous remercie de votre question.
Je laisserai de côté le problème posé par le « silence de nombreux acteurs », mais si l’on compare cette crise à d’autres crises humanitaires, bon nombre des besoins sont les mêmes. Ce qui rend cette crise un peu différente, c’est son ampleur et le fait que, si l’accès était autorisé, les interventions pourraient être menées comme nous l’avons vu dans d’autres crises.
Il n’est pas rare que l’accès soit restreint ou que les interventions humanitaires soient remises en question. Je pense que l’ampleur de la situation et le nombre de contraintes d’accès rendent la capacité à intervenir beaucoup plus difficile que dans des contextes tels que l’Ukraine ou le Soudan, qui ont tous deux leurs propres problèmes à résoudre. En revanche, il est possible d’accéder un peu plus facilement à ces zones de conflit.
Le vice-président : ... sur le plan politique?
Stefanie McCollum, directrice générale, Direction générale du Moyen-Orient, Affaires mondiales Canada : Je ne peux pas parler au nom des autres, mais le gouvernement canadien a effectivement fait des déclarations quant à la nécessité de faire respecter les lois humanitaires internationales, d’intensifier l’aide humanitaire, et de veiller à un accès sans entrave partout au sein de la bande de Gaza. Nous avons réitéré notre souhait de voir les lois humanitaires internationales respectées afin de répondre aux besoins essentiels de la population à Gaza.
La sénatrice Ataullahjan : Vous avez dit que le gouvernement canadien avait fait des déclarations, et nous avons entendu ici même, il y a une semaine, les déclarations de représentants d’Oxfam et de la Croix-Rouge. La jeune représentante d’Oxfam qui était ici nous a dit qu’il fallait dorénavant passer de la parole aux actes. Pensez-vous également que nous devons aller au-delà des paroles? Le Canada en a-t-il fait assez? Y a-t-il deux poids, deux mesures, dans la façon dont nous réagissons au conflit en Ukraine par rapport à celui dans la bande de Gaza?
Nous avons entendu plusieurs déclarations, mais je suis d’avis que les mots ne suffisent plus. Quelle devrait être la réponse du Canada?
Mme McCollum : Nous convenons que les besoins humanitaires sont graves et qu’il faut augmenter considérablement l’aide humanitaire. Le Canada a joué un rôle de premier plan et a fourni une aide humanitaire considérable. Nous pouvons entrer dans les détails à ce sujet.
Néanmoins, nous sommes pleinement conscients qu’il reste encore beaucoup à faire, c’est pourquoi nous demandons une intensification de l’aide humanitaire. Si le cessez-le-feu est couronné de succès et que les négociations se poursuivent, ce sera l’une des premières mesures auxquelles le Canada cherchera à contribuer.
Le sénateur Dean : Ma question s’adresse à l’un ou l’autre de nos invités. Le plan de paix en 20 points présenté par les États-Unis le 29 septembre 2025 semble gagner du terrain, et j’imagine qu’il propose le déploiement d’une force internationale de stabilisation pour aider à former et à soutenir les forces de police palestiniennes.
Deux questions se posent à ce sujet. C’est un point précis, mais le Canada va-t-il s’engager davantage dans la proposition de force de stabilisation, voire la diriger, si elle est mise en œuvre?
De manière plus générale et plus urgente, le Canada pourrait-il participer, voire diriger, une force de maintien de la paix d’intervention rapide afin de mettre fin aux hostilités, de faire respecter tout accord, et de veiller à mettre fin à la destruction des infrastructures au sein de la bande de Gaza, de même qu’à l’expansion des colonies illégales?
Mme McCollum : Je vous remercie pour la question, sénateur.
Le Canada appuie le déploiement d’une force internationale de stabilisation chargée d’assurer le désarmement du Hamas et de protéger les civils. Nous appuyons également, dans le cadre du plan de paix, la mise en place de gouvernements de transition temporaires dirigés par un comité palestinien technocratique et apolitique. Le Canada mène actuellement des discussions actives afin de déterminer comment il pourra appuyer de telles initiatives. Je ne peux pas dire si cela entraînera un déploiement, et je ne souhaite pas présumer des décisions qui seront prises. En revanche, je peux vous confirmer que nous discutons activement avec nos partenaires. Si les négociations actuelles finissent par aboutir et qu’un large consensus se dégage autour du plan proposé par les États-Unis, le Canada sera prêt à aider nos alliés lors de la mise en place dudit plan.
Le sénateur Dean : Madame McCollum, comme vous venez tout juste de terminer une mission au Liban, vous êtes assurément dotée d’une perspective d’ensemble. Quelles sont vos observations générales sur la situation actuelle dans cette région du Moyen-Orient?
Mme McCollum : Nous avons vu que l’horrible attentat du 7 octobre et la riposte qui s’en est suivie ont eu de graves répercussions au sein de cette région du monde. Des conflits font rage au Liban, en Syrie et au Yémen, ce qui suscite évidemment de vives inquiétudes partout au Moyen-Orient.
Le Canada reconnaît l’importance de soutenir le plan de paix présenté par les États-Unis. Nous allons donc consacrer toutes nos énergies à mettre en œuvre ce plan afin d’apporter enfin une paix durable dans toute cette région.
Le sénateur Ravalia : Je tiens d’abord à vous remercier tous les deux d’être ici, et pour le travail que vous accomplissez.
Madame McCollum, pourriez-vous nous fournir des renseignements concernant la situation des Palestiniens qui attendent d’obtenir le statut de réfugié au Canada? Nous avons eu vent de rumeurs selon lesquelles le processus aurait pu être retardé pour des raisons bureaucratiques ou autres. Pourriez-vous nous éclairer à ce sujet, ou est-ce plutôt du ressort d’Affaires mondiales Canada?
Mme McCollum : Malheureusement, sénateur, je dois renvoyer cette question à Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, qui est responsable de la détermination du statut de réfugié. Nous pouvons certainement transmettre la question et voir comment fournir une réponse au comité.
Le sénateur Ravalia : Je vous remercie pour votre réponse.
Compte tenu de la position du Canada sur la reconnaissance de l’État palestinien, il y a eu des discussions sur la manière dont la normalisation de ce processus pourrait se dérouler. Pourriez-vous décrire les mesures que nous devons prendre pour établir la normalisation par opposition à la reconnaissance?
Mme McCollum : Je vous remercie, sénateur. Je tiens d’abord à rappeler qu’il existe une distinction entre reconnaissance et normalisation.
Le Canada s’est engagé et continue de s’engager en faveur d’une solution à deux États, avec un État palestinien indépendant, viable et souverain, comme nous l’avons dit. Il reste des questions relatives au statut final à négocier, mais nous estimons que cette reconnaissance était importante pour préserver la viabilité et l’engagement envers une solution à deux États qui sera négociée par les deux parties.
En ce qui concerne la normalisation, ces discussions sont en cours. Je ne peux pas présumer de leur issue, mais elles pourraient déboucher sur un approfondissement de la normalisation entre le Canada et la Palestine, et notamment sur des discussions entre ambassadeurs et sur la signature de différents traités. Le Canada dispose d’un bureau de représentation à Ramallah qui continue de fournir des services consulaires à nos concitoyens. Nous pourrions probablement en faire davantage dans ce domaine pour normaliser les relations entre le Canada et la Palestine.
Ce sont là toutes les discussions que nous avons actuellement sur ce que nous pouvons faire pour soutenir l’Autorité palestinienne dans ses réformes, mais la reconnaissance visait davantage à préserver la possibilité d’une solution à deux États, tandis que la normalisation concernerait davantage les relations diplomatiques.
Le sénateur Al Zaibak : Madame l’ambassadrice McCollum, je vous souhaite la bienvenue à Ottawa. Merci à tous les deux d’être avec nous aujourd’hui.
Le 21 septembre, le premier ministre Carney a fait une déclaration indiquant que l’Autorité palestinienne s’était engagée directement auprès du Canada et d’autres membres de la communauté internationale à mener des réformes indispensables, notamment une réforme fondamentale de sa gouvernance, y compris la tenue d’élections.
Selon de nombreux observateurs, le Hamas, de même que l’Autorité palestinienne, ont perdu leur crédibilité aux yeux des Palestiniens et de la communauté internationale. Ainsi, pourquoi devrions-nous donc nous engager auprès d’une Autorité palestinienne qui a failli à son peuple au cours des 20 ou 30 dernières années? N’existe-t-il pas, au sein du peuple palestinien, d’autres personnalités que nous pourrions encourager à devenir des leaders et des partenaires fiables dans le cadre du processus de paix et de la création d’un État palestinien?
Mme McCollum : Je vous remercie, sénateur. Il ne fait aucun doute que l’Autorité palestinienne doit renforcer sa gouvernance et entreprendre les réformes indispensables. Le Canada renforcera son soutien à l’Autorité palestinienne dans la mise en œuvre de son programme de réformes, car cela s’inscrit dans le prolongement de nos partenariats de longue date en matière de développement.
Le président Abbas a fourni des engagements par écrit au Canada, comme vous l’avez mentionné, afin de donner suite à ces engagements, et nous continuons à coordonner nos efforts avec les partenaires internationaux qui vont également apporter leur soutien à l’Autorité palestinienne.
La question de la crédibilité des dirigeants palestiniens constitue un enjeu essentiel. Il existe également un enjeu fiscal lié à la retenue des recettes fiscales que le Canada poursuit. En ce qui concerne la question d’établir une gouvernance alternative, je pense que c’est au peuple palestinien d’en débattre. Bref, cet enjeu ne relève pas de mon mandat.
Le sénateur Al Zaibak : Ne pensez-vous pas qu’il est grand temps de cerner et de former d’autres leaders au sein du peuple palestinien, des leaders qui possèdent l’intégrité, la réputation et la fiabilité sur lesquels nous pouvons compter? Ne pensez-vous pas qu’il est important de cerner de nouveaux dirigeants potentiels à ce stade?
Mme McCollum : Sénateur, je ne pense pas qu’il m’appartienne d’identifier les dirigeants potentiels d’un autre pays, mais je dirai que le Canada estime qu’il est important que l’Autorité palestinienne soit en mesure de mettre en œuvre les réformes nécessaires pour assurer la sécurité, la stabilité et la prospérité du peuple palestinien.
La sénatrice Coyle : Je tiens d’abord à souhaiter la bienvenue à nos deux témoins aujourd’hui. Nous sommes ravis de vous accueillir parmi nous et d’avoir l’occasion d’entendre parler de la situation humanitaire et de la contribution du Canada, ainsi que de la situation politique dans la région. Bien entendu, comme vous l’avez mentionné, ces deux aspects sont étroitement liés.
Tout d’abord, j’ai une question pour vous, madame Carney, puis j’en aurai une pour Mme McCollum.
Si j’ai bien compris, le Canada a fourni à la Palestine 400 millions de dollars en aide humanitaire depuis le 7 octobre, n’est-ce pas? Je me demande si le Canada, avec ses partenaires internationaux, a fait une estimation de l’ampleur totale des besoins humanitaires à l’heure actuelle, de ce à quoi cela pourrait ressembler, espérons-le, pendant une période de stabilisation, et de ce à quoi cela pourrait ressembler à plus long terme?
Mme Carney : Je vous remercie pour cette question. Pour clarifier les choses, cette enveloppe totale de 400 millions de dollars comprend, outre l’aide humanitaire, des ressources consacrées au développement, à la sécurité, et au maintien de la paix de manière générale.
En ce qui concerne l’estimation des besoins, je suis reconnaissant de ne pas être celui qui doit s’en charger. Le système le fait pour nous, et il le fait de manière très coordonnée afin de nous donner une idée.
Ce que nous avons constaté au cours de l’année écoulée, c’est qu’à Gaza, 3,3 millions de personnes sont dans le besoin, soit la grande majorité de la population de Cisjordanie et de Gaza, et qu’il faudrait plus de 4 milliards de dollars américains pour fournir l’aide nécessaire à 2,1 millions d’entre elles. Chaque année, l’ONU coordonne l’action de tous les acteurs humanitaires présents sur place. C’est ce qu’ils s’efforcent de faire actuellement, parmi toutes les autres tâches qu’ils tentent d’accomplir dans la région. Nous espérons que dans quelques mois, généralement d’ici décembre, nous aurons une estimation des besoins humanitaires pour 2026. Dans ce cadre, ils prévoient généralement une marge de manœuvre au cas où l’accès serait ouvert. Cela change-t-il la donne? Si l’accès reste limité, que pouvons-nous faire maintenant?
La sénatrice Coyle : Madame McCollum, nous avons entendu parler des problèmes liés au respect du droit international humanitaire par Israël. Que fait le Canada à l’heure actuelle, que ce soit dans le cadre de ses relations diplomatiques avec Israël ou avec ses partenaires internationaux, concernant cette question du droit international humanitaire?
Mme McCollum : Nous continuons à exhorter Israël à respecter le droit international humanitaire. Comme nous l’avons dit précédemment, nous demandons instamment que l’aide humanitaire puisse être acheminée sans entrave et à grande échelle. La reconnaissance de la Palestine visait en partie à protéger la solution à deux États, alors que la fenêtre d’opportunité pour y parvenir était en train de se refermer, notamment du côté d’Israël, qui a empêché l’acheminement de l’aide humanitaire. Le Canada a également mis en place des sanctions contre les colons extrémistes en Cisjordanie, contre les ministres qui incitent à la violence et contre la poursuite de cette catastrophe humanitaire.
[Français]
La sénatrice Gerba : Je vais finir avec la question qui a été posée ici par la sénatrice Ataullahjan. Elle a voulu connaître la différence entre ce qui se passe aujourd’hui à Gaza et ce qui s’est passé en Ukraine. Quand la Russie a attaqué injustement l’Ukraine, le Canada a fait un déploiement impressionnant de ressources financières et humaines, alors qu’aujourd’hui, on a l’impression que ce n’est pas exactement la même chose. En faisons-nous vraiment assez? Sinon, que faudrait-il faire de plus pour que cette impression que nous avons tous du « deux poids, deux mesures » puisse être écartée?
Mme Carney : Merci pour la question.
[Traduction]
Je sais que plusieurs ont l’impression que l’aide humanitaire offerte par le Canada à Gaza est d’une qualité et d’une quantité différente de celle qui a été offerte en Ukraine. Selon moi, il s’agit toutefois d’une exagération des faits. Au début de la crise ukrainienne, les ressources ont été considérablement augmentées, ce qui a également été le cas lors de la crise à Gaza. Même si l’accès est nécessaire pour augmenter pleinement les ressources, je pense que des ressources supplémentaires seront probablement mobilisées si les conditions changent et que la capacité de réponse évoluera en conséquence. En ce qui concerne les mesures d’aide mises en place, je pense qu’elles sont comparables.
Je pense également, comme l’a mentionné mon collègue ici présent, qu’il y a beaucoup de grandes déclarations qui ont été faites. Je comprends que parfois une déclaration ne représente pas la totalité de ce qui doit être fait, mais les discours demeurent importants, tant et aussi longtemps qu’ils sont suivis d’actions concrètes. Cela est également comparable à ce que nous avons vu en réponse à la crise ukrainienne, à savoir une diplomatie publique et une diplomatie discrète à l’œuvre, les deux étant nécessaires.
Je crois qu’il existe des différences entre la réponse du Canada en Ukraine et à Gaza, mais que grosso modo, nous continuons d’utiliser tous les moyens mis à notre disposition pour acheminer l’aide humanitaire requise.
[Français]
La sénatrice Gerba : Merci pour la réponse. Je comprends qu’il y a un déploiement et des déclarations très appréciées, et que le Canada prend une position assez claire. Cependant, le nombre de travailleurs humanitaires continue d’augmenter. Nous avons reçu récemment les représentants d’Oxfam, qui ont fait pleurer tous ceux qui étaient à la réunion parce que nous en sommes aujourd’hui à 400 travailleurs humanitaires qui ont été tués. L’ONU estime même que ce nombre est le plus élevé de son histoire.
De quelle manière agissez-vous pour protéger le personnel canadien à Gaza?
Mme Carney : Merci pour la question.
[Traduction]
Mme Carney : Le gouvernement canadien est préoccupé par les violations du droit international humanitaire, qui comprend la protection des civils et du personnel humanitaire et médical.
Cette diplomatie ouverte et discrète, nous la menons seuls. Nous la menons conjointement avec d’autres donateurs. Nous veillons à ce que cette question reste à l’ordre du jour, à ce qu’elle reste dans le champ de vision, afin d’essayer de faire avancer le changement que nous souhaitons voir, à savoir que toutes les parties au conflit respectent effectivement leurs obligations au titre du droit international humanitaire.
Vous avez raison sur plusieurs points. Comme je l’ai dit dans mon introduction, cette crise a donné lieu à un nombre d’attaques contre des civils et des travailleurs humanitaires qui est sans précédent dans l’histoire moderne.
Le sénateur Woo : J’ai une question pour Mme Carney, puis une autre pour Mme McCollum.
En mai dernier, notre gouvernement, conjointement avec la France et le Royaume-Uni, a menacé Israël de prendre des mesures concrètes si Israël ne permettait pas la reprise de l’aide et l’accès sans entrave de l’aide humanitaire à Gaza. Cela remonte à quatre mois.
Avez-vous l’impression que la situation s’est considérablement améliorée au cours des quatre derniers mois?
Mme Carney : Merci pour cette question. L’aide humanitaire continue d’être acheminée dans la bande de Gaza.
Le sénateur Woo : Ma question est la suivante: selon vous, Israël a-t-il respecté les conditions posées par le Canada, le Royaume-Uni et la France, à savoir que l’acheminement de l’aide humanitaire ne doit plus être entravé?
Mme Carney : En réalité, l’acheminement de l’aide humanitaire est effectivement entravé en ce moment.
Le sénateur Woo : Quelles mesures concrètes avons-nous prises, comme nous avions menacé de le faire il y a quatre mois?
Mme Carney : Je précise encore une fois que le Canada continue d’utiliser ses outils diplomatiques pour faire avancer ses efforts.
Le sénateur Woo : Une diplomatie discrète. Poursuivre l’Asie...
Mme Carney : Une diplomatie discrète, en collaboration avec nos homologues.
Le sénateur Woo : Ce sont là les mesures concrètes que nous avons prises pour donner suite à notre menace de prendre des mesures si Israël ne cessait pas d’entraver l’acheminement de l’aide humanitaire à Gaza.
Mme Carney : Ce sont effectivement les mesures concrètes que nous avons prises.
Le sénateur Woo : La question que j’adresse à l’ambassadrice McCollum est la suivante : y a-t-il eu au sein d’Affaires mondiales Canada et, en particulier, parmi vos conseillers juridiques, des discussions au sujet du risque que le Canada et les Canadiens courent d’être accusés de complicité si nous ne respectons pas nos obligations en vertu du droit international?
Mme McCollum : Je vous remercie de votre question, sénateur. Le Canada prend très au sérieux ses responsabilités et ses obligations en vertu du droit international, y compris l’obligation de s’abstenir de commettre des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité et des génocides. Nous avons mis en place un processus rigoureux pour garantir le respect de nos obligations internationales et éviter toute complicité liée à des violations du droit international commises par les parties d’un conflit armé. Comme nous l’avons répété, le Canada ne tolère pas l’impunité pour les violations du droit international humanitaire, et nous estimons que tous les États en conflit ont le devoir moral de respecter le droit international humanitaire, de protéger les civils et les travailleurs humanitaires, et de veiller à ce que l’aide humanitaire puisse être fournie.
En ce qui concerne les cadres juridiques en vigueur et les détails concrets, il faudrait que m’en remettre à mes collègues du ministère de la Justice du Canada. Cependant, je peux leur transmettre votre question si vous souhaitez obtenir des précisions.
Le sénateur Woo : Oui. Si vous pouviez nous fournir des documents relatifs à des discussions visant à évaluer le risque que le Canada court d’être complice de violations du droit international, y compris de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et de génocides, cela nous serait très utile.
Deuxièmement, si nous ne tolérons effectivement pas l’impunité, puis-je en conclure que nous poursuivrons certains membres d’États reconnus coupables de violations du droit international?
Mme McCollum : Sénateur, je vous prie de m’excuser. J’estime qu’il appartient aux tribunaux de décider des poursuites à intenter. Je vais donc renvoyer la question et essayer d’obtenir auprès des experts une réponse à ce sujet pour renseigner le comité.
[Français]
La sénatrice Hébert : Sur une note un peu plus optimiste, quel rôle le Canada pourrait-il jouer dans une force de stabilisation, s’il devait y avoir un plan de paix? Que seraient à ce moment-là les priorités à mettre de l’avant, advenant que l’on puisse en arriver à une résolution?
Mme McCollum : Nous sommes optimistes, et c’est pour cela que nous appuyons les efforts de nos partenaires des États‑Unis, de l’Égypte, de la Turquie et du Qatar pour en arriver à des négociations pour la suite, dans lesquelles le Canada pourrait jouer un rôle. Cela représenterait une augmentation de l’aide humanitaire, mais on peut parler aussi de l’aide et du développement en ce qui concerne le rétablissement précoce. Nous avons déjà annoncé un montant de 20 millions de dollars à nos partenaires des Nations unies; ces fonds seront consacrés principalement sur le secteur de la santé et des services médicaux à Gaza.
Nous en avons déjà discuté, mais il faudrait appuyer les autorités palestiniennes dans les réformes nécessaires en faveur de la justice, de la gouvernance et des élections. Nous allons travailler avec nos partenaires, les pays donateurs, les pays impliqués ainsi que le comité international pour éviter les dédoublements et pour faire en sorte que cela se fait le plus efficacement possible et que nous appuyons les efforts de la façon la plus précise possible.
La sénatrice Hébert : Au sujet de l’aide en matière de sécurité alimentaire et de famine — et je ne veux pas qu’on parle de sémantique, car pendant qu’on débat là-dessus, il y a des gens qui ont faim —, quelle est votre lecture de la situation actuelle à Gaza?
[Traduction]
Mme Carney : Je vous remercie de votre question.
À l’heure actuelle, la quasi-totalité de la population de Gaza souffre d’une insécurité alimentaire aiguë. Dans le domaine de l’aide humanitaire, nous distinguons trois niveaux d’insécurité alimentaire : une insécurité alimentaire aiguë, un seuil critique et une famine aux proportions catastrophiques.
L’ensemble de la population souffre d’une insécurité alimentaire aiguë. Selon des données vérifiées par le Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire, ou IPC, c’est‑à‑dire l’organisme de référence auquel nous faisons confiance pour effectuer cette vérification, un demi-million de personnes sont en situation de famine. Ces chiffres devraient être révisés à la fin du mois. Nous nous attendons à ce que ce chiffre augmente et, comme vous pouvez l’imaginer, il existe une catégorie intermédiaire qui compte environ un million de personnes ayant atteint le seuil critique. Ces personnes risquent de passer au niveau « famine » de l’insécurité alimentaire.
Le sénateur MacDonald : J’ai une question pour vous deux. Je vais d’abord interroger l’ancienne ambassadrice du Liban. Le Canada compte 40 millions d’habitants dans un monde qui en compte sept milliards. Je suis curieux de savoir quelle est la participation de l’Égypte, du Liban, de la Jordanie, de la Syrie et de tous les pays de la région en ce qui concerne le soutien à l’aide humanitaire. Que font-ils?
Mme McCollum : Je vous remercie de votre question, sénateur. Je peux parler du Liban de façon plus explicite et mieux éclairée. Ce pays porte le fardeau des réfugiés palestiniens, dont le nombre par habitant est le plus élevé de la planète. Il assume clairement sa part du fardeau, et il participe au processus de négociation. Comme nous tous, il souhaite vivement voir la fin de ce conflit. Il a recours à la médiation, à la négociation et à la diplomatie pour apporter une contribution active.
En ce qui concerne l’Égypte et le Qatar, que vous avez mentionnés, ils sont tous deux présents à Charm el-Cheikh, en Égypte, où ils négocient activement et tentent de faire en sorte que le Hamas et Israël parviennent à un accord concernant le plan de paix en 20 points présenté par Donald Trump. La Turquie joue un rôle de premier plan dans la diplomatie en coulisses.
Des conférences internationales ont été organisées à l’intention des communautés de donateurs pour tenter de recueillir des fonds, et il est actuellement question qu’ils participent activement à la suite des événements, que ce soit dans le cadre de l’établissement de la force de stabilisation ou du développement des capacités, mais je ne peux pas me prononcer sur ce qu’ils feront précisément à ce moment-là.
Le sénateur MacDonald : Je ne parlais pas de conférences ou de médiation, mais plutôt d’une aide concrète. Du point de vue de l’aide sur le terrain, que fournissent-ils?
Mme McCollum : C’est une excellente question, et je suis désolée de ne pas avoir les chiffres de l’aide apportée par ces pays à portée de main, mais ils apportent une aide.
Le Canada a récemment collaboré avec la Jordanie dans le cadre de la mise en place d’un pont aérien. La Jordanie a joué un rôle déterminant dans l’acheminement de l’aide humanitaire à partir de ses frontières, et l’Égypte a cherché à faciliter la circulation des biens et des personnes. Ses efforts n’ont pas été couronnés de succès, mais elle continue d’essayer.
Nous savons que certains autres États arabes ont fourni une aide humanitaire, sous forme de dons en nature ou en espèce, mais je crains de ne pas disposer de renseignements précis à ce sujet.
Le vice-président : Nous pourrions demander ces renseignements. Pourriez-vous les obtenir et les transmettre à la greffière? Merci.
Le sénateur MacDonald : Madame Carney, je crois que vous avez mentionné qu’environ 64 000 enfants avaient été tués. Est‑ce bien le chiffre que vous avez cité?
Mme Carney : C’est ce qu’a rapporté l’UNICEF aujourd’hui.
Le sénateur MacDonald : Je suis perplexe. Selon les rapports officiels du ministère de la Santé de Gaza, de l’UNICEF, d’Aide à l’enfance et d’OXFAM, il s’agissait d’environ 21 000 enfants. Ces deux chiffres sont épouvantables, mais l’écart est énorme. Quel chiffre devons-nous croire?
Mme Carney : Je vous remercie de votre question. Je vais être très honnête à ce sujet : à l’heure actuelle, il est difficile d’obtenir des données complètes et exactes concernant cette crise, car la situation évolue constamment. Les chiffres communiqués varient considérablement d’une source à l’autre. Il est possible que nous n’obtenions pas de chiffres définitifs avant longtemps.
Je crois que ce qu’il faut retenir, c’est probablement l’impression de l’ampleur accrue de la catastrophe, et le fait que ces deux chiffres représentent en réalité un nombre important d’enfants tués inutilement.
Le vice-président : Nous sommes arrivés à la fin de la première série de questions. Nous avons une liste d’intervenants pour la deuxième série de questions, mais avant de passer à cela, j’aimerais poser une question à Mme Carney, si vous le permettez.
Pourriez-vous nous expliquer plus en détail quel a été l’effet de la disparition de l’USAID et de la réduction de l’aide internationale britannique sur la situation à Gaza, le cas échéant?
Mme Carney : À Gaza, dans l’ensemble, je pense que la réduction de l’aide internationale que nous observons a nécessairement des répercussions sur ce que les partenaires sont en mesure de faire et de fournir. Cela pousse le système à repenser son mode de fonctionnement.
Sur le terrain, les partenaires continuent d’apporter leur aide avec les moyens financiers dont ils disposent. L’aide apportée à Gaza, en particulier, est financée à un niveau proportionnel qui n’est pas en décalage avec ce que nous observons actuellement dans d’autres crises à l’échelle mondiale. Le système humanitaire mondial dispose actuellement de moins de fonds, mais les partenaires fournissent une aide avec les moyens dont ils disposent. Ils doivent faire face à des changements dans les chaînes d’approvisionnement, qui pouvaient être fortement dépendantes d’un donateur ou d’un autre, mais comme toujours, cette communauté fait preuve de résilience et s’efforce de faire ce qu’elle peut avec les fonds dont elle dispose.
Le vice-président : D’autres besoins humanitaires sont-ils négligés pour pouvoir acheminer l’aide nécessaire vers Gaza?
Mme Carney : Je ne dispose pas d’un diagnostic complet de l’aide apportée aux différentes crises. Je pense qu’il est juste de dire que, très souvent, lorsque vous êtes confronté à des crises d’une telle ampleur, l’intervention est à grande échelle. Cela dit, les responsables examinent les grandes crises auxquelles le Canada répond actuellement, en analysant la proportion de leurs requêtes qui sont financées, et Gaza est en phase avec de nombreuses autres crises majeures, du point de vue de l’aide proportionnelle apportée par le Canada et d’autres pays. Bien entendu, certaines crises ne bénéficient pas du même niveau de visibilité et peuvent recevoir un peu moins d’aide, non pas du Canada, mais du monde entier.
Le vice-président : Je vous remercie.
Le sénateur Al Zaibak : J’ai deux questions à poser, soit une pour chacun de nos témoins, si c’est possible. J’adresse la première à l’ambassadrice McCollum. Comment la reconnaissance par le Canada de l’État de Palestine modifie‑t‑elle notre engagement diplomatique avec Israël, l’autorité palestinienne et les partenaires régionaux en vue d’en arriver à une solution viable à deux États?
Mme McCollum : Je vous remercie de votre question, sénateur. Nous entretenons depuis longtemps des relations bilatérales avec Israël. Nous avons bien sûr veillé à ce qu’Israël soit informé de notre intention de reconnaître la Palestine et de notre conviction que cela permettrait de préserver la possibilité d’une solution à deux États négociée par les deux parties en vue d’un règlement pacifique du conflit qui profiterait également à Israël. Il va sans dire que ces discussions se poursuivent. Sur le plan diplomatique, nos relations avec l’ambassadeur d’Israël restent inchangées. En outre, nous avons un ambassadeur du Canada à Tel-Aviv. Ces relations continuent donc d’exister.
Des moments difficiles surviennent lorsque nous sommes honnêtes les uns envers les autres, mais ces conversations se poursuivront néanmoins. Elles doivent se poursuivre, et nous le faisons dans l’intérêt d’une solution à deux États et de la paix dans la région, ce qui profitera à Israël à long terme. Il s’agit également de leur permettre de vivre en paix, afin qu’ils n’aient pas à exercer leur droit de se défendre, ce que, selon nous, ils ont le droit de faire.
La sénatrice Coyle : Je vous redonne la parole, madame McCollum. Le Canada entretient depuis longtemps des relations avec cette région du monde. Nous avons fourni une aide au développement et une aide humanitaire, mais je ne sais pas ce que nous avons fait jusqu’ici sur le plan politique en Cisjordanie ou à Gaza.
Pour revenir à la question posée précédemment par mon collègue, nous travaillons actuellement avec l’Autorité palestinienne dans l’espoir qu’elle se réforme et devienne un organe de gouvernance plus solide pour le peuple palestinien. J’aimerais toutefois prendre connaissance de ce que nous savons au sujet de la situation sur le terrain. Souvent, dans des situations comme celle-ci, du moins dans d’autres pays, on trouve dans la diaspora des personnes très compétentes, des leaders de la société civile, des chefs d’entreprise, des universitaires, etc., qui tentent de jouer un rôle dans la mise en place d’un gouvernement ou d’un système de gouvernance efficace. Avons-nous des liens avec ces personnes ou de telles visées existent-elles?
Mme McCollum : Merci, sénatrice, de votre question. Oui, ces acteurs participent bien sûr aux consultations, aux négociations et à nos efforts en faveur d’une réforme. Comme nous l’avons dit, l’un des éléments sur lesquels nous misons est la tenue d’élections l’année prochaine. Ce processus démocratique, cette notion de souveraineté sur l’État, est assurément quelque chose que nous voulons soutenir et, comme vous l’avez mentionné, de nombreux intervenants sont mis à contribution pour y arriver : les organismes à but non lucratif, les citoyens eux-mêmes, les partis politiques, les analystes, les universitaires, etc.
Je pense que le Canada souhaite collaborer avec ceux qui souhaitent embrasser le programme de réforme que nous jugeons important pour la stabilité et la sécurité futures de la Palestine. Dans ces cas précis, nous examinerions assurément comment nous allons être en mesure de soutenir les efforts qui vont dans le même sens.
Les déclarations ou l’exercice d’une influence sur le gouvernement ne sont pas des choses que nous envisagerions de faire.
[Français]
La sénatrice Gerba : Je vais revenir sur la question de mon collègue le sénateur MacDonald, parce qu’il y a un auteur célèbre qui a dit : « La première victime d’une guerre, c’est la vérité. »
Ma question va s’adresser à Mme McCollum. Les médias occidentaux ont difficilement accès à Gaza et lorsqu’ils s’y aventurent, c’est souvent au risque de leur vie. J’aimerais savoir sur quelle source d’information fiable vous vous fiez pour avoir les chiffres que vous avez, comparativement aux chiffres de l’intelligence artificielle évoqués par mon collègue.
Mme McCollum : Effectivement, il y a des enjeux d’accès, et même si les journalistes peuvent avoir accès à Gaza, c’est très dangereux. On a parlé du nombre de décès en ce qui concerne les travailleurs humanitaires, mais il y a aussi beaucoup de journalistes qui ont été tués ou blessés dans le conflit. Alors, tout en sachant que l’information est difficile à obtenir, nous comptons sur nos partenaires fiables sur le terrain, comme les Nations unies. Ce sont souvent des journalistes que nous connaissons qui ont pu visiter Gaza et qui reviennent pour nous faire leurs témoignages. Nous recherchons les sources fiables où l’on peut, mais elles viennent principalement des acteurs qui sont sur le terrain. Ce sont souvent les Nations unies qui nous informent. On parle des statistiques de l’UNICEF, du PNUD et d’autres organismes qui nous informent de ce qui se passe sur le terrain.
La sénatrice Gerba : Brièvement, Israël conteste les chiffres des Nations unies. Quels sont les vrais chiffres qu’ils ont? Comment obtiennent-ils ces chiffres?
Mme McCollum : Malheureusement, je ne peux pas faire de commentaires sur les chiffres d’Israël, les sources d’Israël ou les partenaires qu’ils utilisent comme sources. Je peux simplement dire d’où le Canada tient ses sources d’information, qu’il considère comme les plus fiables possibles.
La sénatrice Gerba : Merci.
[Traduction]
Le sénateur Woo : Pour en revenir à l’impunité et sur le fait que le Canada ne la tolérera pas, ainsi que sur la nécessité pour les tribunaux de se prononcer, puis-je déduire de votre réponse que nous reconnaissons Benjamin Netanyahu en tant que criminel de guerre parce que la Cour pénale internationale a lancé un mandat d’arrêt à son encontre, et que nous donnerons suite à ce mandat si nous en avons l’occasion?
Mme McCollum : Le Canada s’est prononcé sur la question en soutenant le travail de la Cour pénale internationale et le rôle essentiel que joue cette dernière quant à la recherche de la responsabilité. Nous ne nous sommes pas prononcés sur les questions posées par le sénateur.
Le sénateur Woo : Vous avez répondu à la question. Si nous acceptons la décision de la Cour pénale internationale, pourquoi n’accepterions-nous pas le mandat d’arrêt qu’elle a lancé?
Mme McCollum : Je ne peux pas me prononcer à ce sujet, car cela n’est pas de mon ressort. Ce que je peux dire, c’est que nous avons reconnu l’importance du travail de la Cour et que nous respectons son rôle essentiel dans la recherche de la responsabilité.
Le sénateur Woo : Sauf que nous n’avons pas accepté le mandat d’arrêt lancé par la Cour pénale internationale ni pris de décision à cet égard, n’est-ce pas?
Mme McCollum : Malheureusement, je ne suis pas habilitée à répondre à cette question. Je vais devoir demander à d’autres membres du gouvernement de vous fournir cette information.
Le sénateur Woo : Je vous remercie.
Le sénateur Dean : Nous avons entendu dire que des dizaines de milliers d’enfants sont morts dans ce conflit relativement unilatéral. Nous savons que les infrastructures de santé publique à Gaza ont été détruites sans discernement : hôpitaux, écoles, installations d’approvisionnement en eau potable, etc. Pratiquement toutes les infrastructures publiques importantes ont été détruites.
Les hôpitaux ont été détruits, le personnel médical et les journalistes ont été pris pour cible. C’est une chose de voir tout cela, c’en est une autre, plus générale, d’affamer délibérément et sans discernement une population. Je pense que cela ne fait aucun doute, du moins dans cette salle.
L’organisme des Nations unies appelé UNRWA a été remplacé par un organisme appelé la Fondation humanitaire de Gaza. Ce que nous savons à ce sujet, c’est que si vous vous rendez à l’un des sites de distribution de cet organisme, vous avez autant de chances de recevoir une balle dans la tête que d’obtenir un sac de farine.
Que savons-nous de cette fondation? Que pouvez-vous nous dire à son sujet? Quelle est sa nature? Par qui est-elle dirigée? De quel type de personnes son personnel est-il composé?
Mme Carney : Je commencerai ma réponse en disant que le Canada a déploré à maintes reprises le meurtre de civils qui cherchaient de l’aide près des sites de distribution de la Fondation humanitaire de Gaza et que nous réclamons constamment une intervention pilotée par l’ONU.
La Fondation humanitaire de Gaza est un mécanisme qui a été créé comme solution de rechange pour acheminer l’aide alimentaire dans cette crise. La façon dont elle a été choisie et dont elle s’est imposée n’est pas de notre ressort. Nous choisissons nos partenaires en fonction de leur savoir-faire attesté et de leur capacité à travailler dans le cadre de ce système coordonné.
Cela n’a rien à voir avec ce que le Canada soutiendrait dans le cadre d’une intervention humanitaire.
Le sénateur Dean : Savez-vous quelque chose sur la nature du personnel de cet organisme, d’où il vient, quels sont ses qualifications et ses antécédents?
Mme Carney : Nous ne disposons pas de renseignements détaillés et exclusifs sur le Fonds humanitaire de Gaza. Ce que nous savons, c’est ce que vous pouvez vous-même trouver dans les médias ou les sources d’information ouvertes.
Le sénateur Dean : Je vous remercie.
[Français]
La sénatrice Hébert : Par rapport à la réponse que vous avez donnée plus tôt sur les questions liées à la famine et à la sécurité alimentaire, est-ce que vous pourriez nous faire acheminer les chiffres que vous avez mentionnés? Est-ce que vous avez aussi des chiffres sur les décès qui surviennent en lien avec cette situation problématique et cette tragédie sur le terrain?
Mme Carney : Je n’en ai pas pour le moment, mais on peut voir et vous les acheminer si on en a.
La sénatrice Hébert : Oui, je serais intéressée; merci.
[Traduction]
Le vice-président : Chers collègues, voilà qui conclut nos entretiens avec ce premier groupe d’expertes. Je tiens à remercier les témoins d’avoir été là.
Pour notre deuxième groupe, je souhaite la bienvenue à Mary Bridger, responsable du plaidoyer et des politiques chez CARE Canada. Soyez la bienvenue. Nous accueillons également Dalia Al-Awqati, directrice adjointe des affaires humanitaires chez Oxfam Canada. Mme Al-Awqati a déjà occupé un poste ici, si je ne m’abuse. Pour l’organisme Aide à l’enfance Canada, nous entendrons Patrick Robitaille, responsable des affaires humanitaires — qui se joint à nous par vidéoconférence — et Emilie Galland-Jarrett, responsable des politiques, du plaidoyer et des relations gouvernementales, qui est ici avec nous, dans la salle. Nous vous souhaitons la bienvenue à tous et vous remercions de vous être joints à nous. Nous sommes maintenant prêts à entendre vos déclarations liminaires respectives, en commençant par vous, madame Bridger.
Mary Bridger, responsable du plaidoyer et des politiques, CARE Canada : Merci de nous recevoir ici aujourd’hui.
Je voudrais commencer en honorant le travail et la mémoire de Tasneem Shublaq. Mme Shublaq était psychologue et travaillait pour Juzoor for Health and Social Development, un organisme palestinien partenaire de CARE et d’Oxfam. Elle a été tuée à Gaza avec trois de ses quatre enfants lors d’une frappe aérienne israélienne il y a quelques semaines. Cela s’est produit alors qu’elle était enceinte, elle qui avait déjà perdu un enfant l’année dernière lors d’une autre frappe aérienne israélienne. Lors de la dernière attaque, son mari a également été mortellement blessé.
Tasneem Shublaq fait partie des centaines de travailleurs humanitaires et des plus de 67 000 Palestiniens qui ont été tués à Gaza au cours des deux dernières années. La grande majorité de ces victimes étaient des femmes et des enfants.
Je voulais commencer ma déclaration en rappelant la dimension humaine de ces chiffres, car il est facile de se perdre dans les gros titres et de perdre de vue les personnes et les conséquences tangibles auxquelles ces statistiques renvoient.
Nos équipes sur le terrain nous rapportent ces histoires jour après jour. CARE International est présente à Gaza et en Cisjordanie depuis 1948. Depuis le début de cette crise, CARE et ses partenaires locaux ont fourni à plus d’un million de personnes en Cisjordanie et à Gaza de l’eau, de la nourriture, des abris, une aide médicale et des programmes. Aujourd’hui, malgré des conditions inhumaines, notre personnel et nos partenaires continuent de gérer des centres de soins et des cliniques mobiles, traitant principalement les mères et les enfants, et distribuant de l’eau potable et du carburant.
Les femmes et les filles sont celles qui sont le plus lourdement touchées par cette crise humanitaire catastrophique, comme c’est souvent le cas. Quand la nourriture se fait rare, elles mangent souvent moins que les autres et en dernier. Pour les mères de famille, quand elles réussissent à trouver de la nourriture, la réalité ne s’arrête toutefois pas là. Elles doivent non seulement se priver — et c’est leur quotidien à Gaza —, mais aussi choisir parmi leurs enfants qui mangera un peu et qui restera sur sa faim. De plus, lorsque les cliniques sont débordées, les services de santé sexuelle et reproductive sont souvent les premiers coupés, et lorsqu’il n’y a d’endroit sûr nulle part, les risques de violence sexuelle et fondée sur le genre augmentent. Parmi les femmes qui se présentent à notre clinique, beaucoup sont enceintes, et ce qui les attend est terrifiant, car moins de 40 % des hôpitaux sont fonctionnels et le matériel médical est rare. Les membres de notre équipe nous parlent de médecins qui ont dû pratiquer des césariennes sans anesthésie et ont vu des mères perdre leur bébé quelques instants après leur naissance, faute de courant pour alimenter les incubateurs qui auraient pu les garder en vie.
CARE a témoigné devant le comité en novembre 2023, et nous avons mentionné déjà à ce moment que des femmes subissaient des césariennes à froid, sans anesthésie. Aujourd’hui, 685 jours plus tard, nous sommes de nouveau ici pour vous dire que des femmes subissent encore ces douleurs et ce traumatisme inhumains.
Malgré un contexte quotidien terrifiant, des organisations comme CARE et nos partenaires continuent d’être présents tous les jours sur le terrain et de faire de leur mieux. Grâce à des donateurs comme Affaires mondiales Canada, nos équipes mettent encore tout en œuvre pour joindre les gens dans le besoin. À l’une de nos cliniques où l’on offre notamment des soins prénataux et du soutien nutritionnel, nous accueillons jusqu’à 300 personnes par jour. La clinique Al-Samer à Gaza, dirigé par notre partenaire, la Palestinian Medical Relief Society, ou PMRS, a toutefois été détruite par une frappe aérienne israélienne le 22 septembre. Ce centre accueillait entre 700 et 1 000 patients par jour et fournissait des soins de santé primaires, des services de santé destinés aux femmes, du soutien psychosocial et en santé mentale, ainsi que des services de physiothérapie et de soin des plaies. Les services encore disponibles ne peuvent pas répondre à l’ampleur des besoins, et au fil des jours, le peu de services qui restent est en train de s’effondrer.
Malgré le fait qu’Israël ne cesse d’émettre des ordres de déplacement — plus de 1,1 million des Palestiniens ont déjà été déplacés dans la bande de Gaza —, beaucoup des membres de notre personnel et de nos partenaires ont décidé de rester sur place et nous disent qu’il n’y a « aucun endroit sûr où aller ».
Mais même s’ils décident de rester sur place, nos réserves de matériel à Gaza fondent rapidement. CARE a pour plus de 1,5 million de dollars d’aide bloquée à la frontière depuis des mois, en dépit du fait d’être enregistrée auprès des autorités, ce qui comprend des cargaisons de produits essentiels comme de la nourriture, des tentes, des trousses pour nouveau-né, des fournitures médicales et des produits d’hygiène. Comme il est impossible d’acheminer cette aide à Gaza et aux personnes dans le besoin, les fonds versés par le gouvernement du Canada ne peuvent servir à remplir les engagements pris par les Canadiens.
CARE demeure prête à accroître son aide pour sauver des vies, mais pour y arriver, nous avons besoin d’un cessez-le-feu permanent et d’un libre accès complet.
Nous suivons les négociations en cours avec attention et même espoir, mais nous restons concentrés sur la situation sur le terrain. Nos équipes savent mieux que personne qu’un cessez‑le‑feu n’est qu’un des éléments qui sont nécessaires. S’il ne s’accompagne pas immédiatement d’une distribution continue et sans entrave de l’aide à grande échelle, on ne réglera pas la grave crise qui sévit sur le terrain. Le fait est que l’accès à l’aide humanitaire et la sécurité des civils, et notamment des travailleurs humanitaires, ne devraient jamais dépendre d’un cessez-le-feu. Ce sont des éléments non négociables, des lignes rouges, même pendant un conflit actif.
Au cours des deux dernières années, nous avons assisté à des violations répétées du droit humanitaire international, ce qui crée des précédents mondiaux dangereux qui ont des répercussions dévastatrices à Gaza, mais qui en auront aussi sur les futures crises.
Nous venons aussi d’apprendre que six autres Canadiens faisant partie de la flottille de la liberté ont été interceptés par Israël. Ils viennent donc s’ajouter aux plus de 500 citoyens du monde détenus au cours des deux dernières semaines.
Le vice-président : Vous avez dépassé les cinq minutes. Pourriez-vous conclure pour que nous puissions entendre les déclarations de vos collègues?
Mme Bridger : Je vais terminer sur un dernier point.
Au cours des deux dernières années, des représentants de nos organisations sont venus à de multiples reprises témoigner et nous vous sommes reconnaissants de nous donner la chance de nous faire l’écho de ce qui se passe sur le terrain.
Cependant, mes collègues vous expliqueront plus en détail les appels à l’action précis que nous espérons aujourd’hui. Je vous laisse en disant que les beaux discours et les demi-mesures ne seront pas suffisants. Nos collègues, comme Tasmeen Shublaq, continuent de mourir malgré des années de déclarations. La situation nécessite des mesures décisives. Le Canada peut et doit agir.
Je vous remercie.
Le vice-président : Nous passons maintenant à votre collègue d’Oxfam, Dalia Al-Awqati.
Dalia Al-Awqati, directrice adjointe, Affaires humanitaires, Oxfam Canada : Mesdames et messieurs les sénateurs, je vous remercie de nous donner l’occasion de vous parler aujourd’hui de la situation humanitaire à Gaza.
Depuis deux ans, nous voyons la crise humanitaire se muer en catastrophe, et elle est généralement reconnue aujourd’hui comme un génocide.
Un cimetière pour enfants. Un champ de bataille postapocalyptique. L’enfer sur terre. Ce ne sont là que quelques expressions utilisées par les dirigeants des organisations humanitaires pour décrire ce qui se passe à Gaza.
Quatre-vingt-dix pour cent des habitations ont été endommagées ou détruites, les établissements de santé sont régulièrement pris pour cible, et plus de 80 % des infrastructures d’approvisionnement en eau de Gaza ont été détruites, et tout cela en contravention du droit humanitaire international.
Le Comité international de la Croix-Rouge dit que la situation à Gaza dépasse toute norme morale, légale et humaine acceptable. Et en 20 ans de travail humanitaire, je n’ai jamais rien vu de tel.
Israël empêche continuellement la nourriture, l’eau, les médicaments et d’autres articles essentiels d’entrer à Gaza. Ceux qui sont encore en vie essaient de survivre, dans le sens le plus littéral du mot, dont les 40 membres de notre personnel à Gaza et leurs familles.
Le rapport provenant du Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire, publié en août, a confirmé que la famine sévissait dans la ville de Gaza, et qu’une famine aiguë sévissait dans la plupart des autres régions de la bande de Gaza. Il s’agit de la première famine dans l’histoire du Moyen-Orient, une famine entièrement artificielle et évitable.
Il y a bien un peu de nourriture qui a été livrée par la très préoccupante fondation humanitaire de Gaza, mais c’est au prix de plus de 3 000 pertes humaines, des gens pris pour cible en tentant d’obtenir de l’aide.
Mohammad, un Palestinien blessé à un point de distribution militarisé, décrit son expérience pour obtenir de l’aide de la fondation :
Nous avons été déplacés pour la dixième fois à Al-Mawasi. Les enfants se réveillent la faim au ventre. Il n’y a rien à manger. Nous n’avons eu d’autre choix que de nous rendre aux points de distribution de l’aide. Nous courons cinq ou six kilomètres juste pour nous y rendre. Tout le monde se couche à plat au sol. Personne n’a le droit de se lever. Si vous levez la tête, vous recevez une balle entre les deux yeux. J’ai vu la mort à cinq, six, sept reprises. Vous mangez votre nourriture couverte de sang. Savez-vous ce que veut dire manger de la nourriture couverte de sang?
Aujourd’hui, les Palestiniens continuent d’être soumis à une violence sans merci sous toutes ses formes des points de distribution militarisés, des drones ou des quadricoptères qui les traquent le jour et des frappes aériennes qui les hantent la nuit.
Le rôle des ONG comme la nôtre consiste à tenter d’aider les gens en dépit des obstacles immenses et de le faire d’une manière qui permet aux communautés de garder un peu de dignité. Nous l’avons fait grâce au soutien du gouvernement canadien et de milliers de Canadiens, mais la situation continue de se détériorer.
Notre bureau dans la ville de Gaza demeure ouvert, malgré les ordres de déplacement, le blocus total depuis mars 2025 et l’intensification des attaques au cours des dernières semaines.
Mon collègue, Motaz, décrit la situation en la qualifiant de « cauchemar dont on ne voit pas la fin ». Les membres de notre personnel continuent de fournir de l’aide aux gens dans le besoin même s’ils ont été eux-mêmes déplacés à maintes reprises. Mais ils doivent surmonter des obstacles pour le faire à chaque étape en raison de processus très lourds et de directives qui changent constamment pour recevoir le matériel d’aide humanitaire.
Parmi les autres obstacles bureaucratiques, mentionnons les désignations à double usage et les nouvelles directives d’enregistrement ONGI.
Oxfam a du matériel pour plus de 3 millions de dollars qui attend à la frontière, bloqué depuis des mois. Même les services fournis localement, comme les camions d’eau, fonctionnent avec beaucoup de difficultés. Les attaques sont incessantes, les routes impraticables, le carburant rare et les gens sont souvent en déplacement, en particulier depuis qu’Israël continue de refermer son étau sur la ville de Gaza.
Les protections internationales que sont censés avoir les civils en temps de guerre n’ont pas été appliquées ni respectées à Gaza. Israël viole le droit international non seulement à Gaza, mais aussi en Cisjordanie où les Palestiniens font l’objet d’un nettoyage ethnique et sont chassés de leurs maisons par la police d’État et la violence des colons.
L’expansion des colonies considérée comme un crime de guerre par le droit international et illégale au regard de la politique étrangère du Canada est une cause directe de la crise humanitaire actuelle.
Depuis août, nous et nos alliés avons faire parvenir au premier ministre Carney plus de 33 000 lettres pour réclamer le respect du droit international en prenant trois mesures concrètes. Premièrement, en veillant au respect d’un embargo total sur les armes et les composantes d’armes fabriquées au Canada, y compris celles qui passent par les États-Unis pour se rendre en Israël. Deuxièmement, en annulant l’accord de libre-échange entre le Canada et Israël. Et enfin, en utilisant tous les canaux diplomatiques et les leviers économiques disponibles pour promouvoir le respect du droit international et exiger un accès humanitaire sûr, sans entrave, et fondé sur des principes.
Mesdames et messieurs les sénateurs, l’aide humanitaire soulage les souffrances, mais l’aide ne réglera pas à elle seule le génocide en cours à Gaza ni le nettoyage ethnique en Cisjordanie.
Le vice-président : Vos cinq minutes sont écoulées. Je veux être juste pour tout le monde. Pourriez-vous conclure?
Mme Al-Awqati : J’ajouterai un dernier point.
Le Canada doit agir maintenant et avec détermination. Nous comptons sur votre appui.
Je vous remercie de votre temps.
Le vice-président : Je vous remercie beaucoup.
Nous passons maintenant à la déclaration d’Aide à l’enfance Canada. N’oubliez pas que nous avons, à l’écran, Patrick Robitaille, qui est responsable des affaires humanitaires, et nous avons aussi avec nous Emilie Galland-Jarrett, responsable des politiques, du plaidoyer et des relations gouvernementales.
Patrick Robitaille, responsable des affaires humanitaires, Aide à l’enfance Canada : Je vous remercie d’inviter Aide à l’enfance Canada pour la troisième fois. J’aimerais ne pas avoir à vous répéter encore une fois que la situation s’est encore détériorée, mais c’est le cas. Depuis notre dernière rencontre, l’état nutritionnel des gens qui se présentent dans nos cliniques a beaucoup empiré. Les nouveaux-nés et les enfants sont si gravement mal nourris qu’il faut les transférer directement à l’hôpital, si les gens arrivent à en trouver un.
Les enfants meurent littéralement de faim. Nous avons tous vu en temps réel une famine artificielle être utilisée comme arme de guerre.
Nos inventaires d’articles de secours, comme ceux de mes collègues, attendent dans des entrepôts à seulement quelques kilomètres, mais ne peuvent entrer sur le territoire.
Quand j’ai parlé à une des membres de notre équipe à Gaza il y a quelques jours, elle n’avait pas beaucoup de temps pour me parler. Elle était forcée de quitter le Nord en laissant derrière elle sa maison en ruine et tout ce qu’elle possédait, et de trouver un autre endroit pour se loger avec son enfant de trois ans.
J’ai encore les frissons en l’entendant me demander où ils pouvaient bien aller. C’est ce que vivent des milliers de gens à qui on demande de s’entasser sur les 12 % de la bande de Gaza qu’on leur pointe du doigt.
Puis, elle a changé de sujet pour me parler des enfants qu’ils réussissent à nourrir, à réconforter, à protéger. À la fin de l’appel, elle m’a dit: « s’il te plaît, dis à ton gouvernement que notre réserve de suppléments nutritionnels sera épuisée dans deux jours ». Je vous transmets donc le message.
Comment les enfants peuvent-ils croire à la paix quand encore aujourd’hui on les tue par dizaines? En ce moment même, des enfants perdent des membres, et s’ils parviennent à se rendre à l’hôpital, on les traitera sans anesthésie. Tous les jours, des enfants perdent des parents, des amis, leurs maisons. Les enfants vivent dans la détresse, la peur et un cauchemar. À quoi ressemble la paix quand l’avenir est sans espoir?
Dans nos séances de thérapie, on entendait des enfants dire qu’ils souhaitaient vivre en paix, avoir de la nourriture; maintenant, ils nous disent qu’ils souhaitent mourir...
Je vais céder le reste du temps à ma collègue, Mme Galland-Jarrett.
Le vice-président : Madame Galland-Jarrett, vous avez la parole.
Emilie Galland-Jarrett, responsable des politiques, du plaidoyer et des relations gouvernementales, Aide à l’enfance Canada : Merci, monsieur Robitaille, et merci, mesdames et messieurs les sénateurs.
Non seulement ce que vivent ces enfants est horrible, mais il faut aussi se rappeler qu’il s’agit de graves violations des droits garantis par la Convention relative aux droits de l’enfant. Le Canada a contribué à faire adopter cette convention et a été un chef de file dans l’élaboration des lois et des normes internationales.
Tout cela se fait en violation du droit international. Les enfants doivent être protégés pendant la guerre, car ils sont tout particulièrement vulnérables à ses conséquences, et ils ont une bien moins grande tolérance au mal que les adultes.
Les enfants ont droit à la protection pendant un conflit, ils ont droit à l’eau, à l’alimentation, à l’éducation et à des soins médicaux, et ils ne reçoivent rien de tout cela actuellement. Le refus de leur accorder de l’aide humanitaire est, en soi, une grave violation des droits des enfants en vertu du droit international. Le Canada a l’obligation de faire entendre sa voix et d’agir.
Le Canada a la crédibilité nécessaire pour prendre les devants et presser la communauté internationale de protéger les enfants dans un conflit armé, comme il l’a fait pour le lancement des Principes de Vancouver. Il doit mettre tout en œuvre pour protéger les enfants des préjudices physiques et psychologiques causés par la violence en cours.
Nous demandons au gouvernement de militer en faveur d’un cessez-le-feu immédiat et définitif, car c’est la seule façon de faire cesser les violations graves des droits des enfants; de garantir un accès humanitaire; de réclamer publiquement et en privé la levée complète de l’état de siège et l’ouverture de corridors prévisibles et sécuritaires pour éviter la famine; d’arrêter immédiatement le transfert direct et indirect d’armes, de composantes et de munitions au gouvernement d’Israël; de rendre le financement de l’aide humanitaire plus souple; de travailler avec les acteurs du droit international et les mécanismes de responsabilisation pour remédier aux graves violations des droits des enfants et les prévenir.
Les enfants comptent sur nous. Des milliers d’enfants sont déjà morts en raison de l’inaction internationale. Une enfant palestinienne qui a trouvé refuge au Canada a témoigné devant le Parlement canadien dernièrement pour raconter les horreurs qu’elle a vues :
Les attaques étaient si intenses que le corps d’un enfant a été projeté dans les airs et est venu heurter notre porte. Il était couvert de sang.
Elle a ajouté « N’oubliez pas les enfants de Gaza ».
Le Canada doit respecter le droit humanitaire international, peu importe le conflit et le contexte. Sans responsabilisation, on crée un dangereux précédent qui, par la suite, nous compliquera la tâche pour soutenir les enfants dans les crises futures.
La voix du Canada et ses initiatives diplomatiques comptent. L’indécision équivaut à la complicité. Les arrangements à la pièce et les gestes symboliques comme le parachutage de vivres ou les ententes bancales en matière d’aide sont des écrans de fumée pour masquer l’inaction. Ils ne peuvent pas remplacer les obligations morales et légales des États de protéger les civils palestiniens et de garantir un accès véritable et à grande échelle.
Le Canada peut et doit sauver des vies avant qu’il ne reste plus un enfant à sauver. Les enfants ont atteint leur limite. Où se trouve la vôtre?
Le vice-président : Je vous remercie sincèrement de vos déclarations.
Nous passons maintenant aux questions. Les sénateurs le savent, mais je le mentionne à l’intention des témoins. Nous avons des séries de questions et de réponses de trois minutes. Je vais m’efforcer d’être juste dans l’allocation de temps.
Le sénateur Dean : Je remercie les témoins d’être avec nous.
J’ai noté que vous avez parlé d’une famine artificielle utilisée comme arme de guerre.
Nous avons entendu dire que plus de 64 000 enfants sont morts à Gaza. Nous savons que les forces de défense israéliennes ont détruit sciemment des maisons, des infrastructures publiques, des hôpitaux, des systèmes d’égout et d’aqueduc, et qu’elles ont ciblé sans discernement des femmes et des enfants innocents. Nous avons assisté à des déplacements de masse de la population et à un blocus de l’aide humanitaire à la frontière, comme vous l’avez mentionné.
Nous savons que l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient, l’UNRWA, a été remplacé par la Gaza Humanitarian Foundation qui, de prime abord, semblait être une source d’aide et de secours, mais il semble qu’il s’agissait d’un groupe de gens dangereux auprès de qui demander de la nourriture. Pourriez-vous nous en dire plus sur ce que nous devrions savoir au sujet de la Gaza Humanitarian Foundation?
Le vice-président : Sénateur, à qui s’adresse votre question?
Le sénateur Dean : À la personne qui en sait le plus à propos de cette fondation.
Mme Al-Awqati : La Fondation humanitaire de Gaza est une entité soutenue par les États-Unis et Israël. Elle exerce ses activités en dehors de la structure humanitaire qui est en place depuis des décennies à Gaza, comme dans d’autres contextes humanitaires et conflits ailleurs dans le monde.
À nos yeux, et en réalité, il s’agit d’un mécanisme de distribution politisé et militarisé qui n’est pas digne d’une « organisation humanitaire ». C’est un piège mortel destiné à des personnes qui ont été délibérément affamées pendant des mois, puis qui s’y rendent en dernier recours, même si elles savent qu’elles seront blessées et pourraient être tuées.
La famine est manifestement intentionnelle, mais la situation s’est tellement détériorée que les gens y envoient leurs enfants. Ils envoient à la Fondation leurs proches bien portants pour qu’ils essaient de trouver de la nourriture, parfois des restes, parfois rien, après quoi ils reviennent nourrir leurs familles. C’est dangereux. L’organisation est politisée et militarisée. Ce n’est pas de l’aide humanitaire.
La sénatrice Coyle : Brièvement, qui sont les effectifs?
Mme Al-Awqati : D’après les informations accessibles au public, il s’agit en grande partie d’anciens militaires américains.
La sénatrice Coyle : C’est ce que je pensais. Merci beaucoup.
Votre témoignage d’aujourd’hui, y compris celui de notre collègue en ligne, correspond tout à fait à ce que nous avons entendu. Certains d’entre nous ont participé à une séance cet été, où Mme Hiba Alhejazi, de CARE, témoignait par vidéoconférence. Elle a parlé de la famine artificielle qui, selon elle, a manifestement été créée par les politiques israéliennes. Elle a déclaré que le crime, c’est le système. Elle a ajouté que la bureaucratie était devenue une arme, et je pense avoir entendu la même chose ici. Elle a déclaré qu’il y avait une incroyable militarisation de l’aide humanitaire, notamment en ce qui concerne les listes du personnel qui doivent être fournies.
Pourriez-vous nous parler de cet enjeu des listes du personnel, après quoi j’aurai une brève question à vous poser?
Mme Bridger : Oui, je peux en parler.
Les listes du personnel sont une des nouvelles exigences imposées par le gouvernement israélien à nos organisations sur le terrain pour le nouvel enregistrement qui a été ordonné plus tôt cette année. L’une des nouvelles exigences que nous devions respecter — et qui sortait apparemment de nulle part — consistait à remettre à Israël les coordonnées de notre personnel palestinien.
Dans l’ensemble, la grande majorité des organisations ont refusé à l’unanimité de se plier à cette exigence. Nous n’étions pas disposés à fournir ces informations au gouvernement israélien. Nous ne voulions pas nous faire ainsi complices.
Cela dit, pour l’instant, le délai du renouvellement a été prolongé jusqu’à la fin de l’année. Nous sommes toujours enregistrés. Il n’y a aucune raison pour laquelle nous ne pouvons pas fournir d’aide. C’est pourquoi le problème plus général entourant l’enregistrement est exactement ce que vous avez dit, sénatrice Coyle. Des tactiques d’obstructions plus vastes sont employées à l’égard des organisations humanitaires. Il ne s’agit pas d’un enjeu isolé; l’enregistrement reflète plutôt un problème structurel plus étendu, où des obstacles sont dressés sur le chemin des organisations pour nous empêcher de faire notre travail, quoi qu’il arrive.
Même si nous nous conformions pleinement à ces exigences — ce que nous ne ferons pas —, nous n’avons toujours pas le sentiment que nous pourrions agir librement et répondre aux besoins.
La sénatrice Ataullahjan : J’ai tellement de questions que nous pourrions rester ici pendant des heures. Ma première question à vous quatre serait la suivante : êtes-vous satisfaits de la réponse que vous avez reçue du gouvernement canadien?
Mme Bridger : Devrions-nous compter jusqu’à trois et répondre tous en même temps?
Allez-y, madame Galland-Jarrett.
Mme Galland-Jarrett : La réponse courte est « non ».
Comme l’a souligné précédemment le sénateur Woo, le gouvernement a déclaré il y a des mois que d’autres mesures seraient prises si la situation ne changeait pas. Nous n’avons pas vraiment vu ces gestes.
Nous sommes bien sûr heureux de recevoir un financement humanitaire du gouvernement canadien, mais dans une situation où il nous est difficile de faire entrer cette aide dans le pays, nous avons besoin d’une action diplomatique et de tous les leviers. À l’heure actuelle, je pense que nous sommes tous d’accord pour dire que ce n’est pas le cas.
Mme Bridger : Je pense que la seule chose que j’ajouterais à cela, outre le fait que je partage entièrement l’avis de ma collègue, c’est que nous avons vu le Canada jouer un rôle de premier plan en dénonçant la crise. Beaucoup de nos pairs — CARE est une confédération; nous avons des entités dans de nombreux pays différents — se tournent vers le Canada et félicitent le pays pour la régularité avec laquelle il s’exprime sur cet enjeu dans ses déclarations.
Cependant, nous n’avons pas vu grand-chose d’autre.
Lors de la séance précédente, une question a été posée aux collègues d’Affaires mondiales Canada pour savoir ce qui se passe lorsque les promesses d’action ne sont pas tenues. C’est certainement ce que nous aimerions voir aussi. Nous aimerions que le Canada joigne le geste à la parole et prenne des mesures concrètes.
La sénatrice Ataullahjan : J’attendais que Mme Al-Awqati nous dise si elle est satisfaite.
Mme Al-Awqati : Non. Je suis persuadée que ce n’est pas une surprise. En plus de ce que ma collègue a dit sur l’inaction, les déclarations — je voudrais dire qu’elles étaient bonnes, mais c’est faux. Elles se sont améliorées au cours des deux dernières années et sont désormais plus conformes au droit international, aux reconnaissances et aux violations. Mais en réalité, c’est en raison du climat d’impunité que nous en sommes arrivés là, au point où un génocide reconnu est perpétré, et où un nettoyage ethnique est en cours en Cisjordanie. Chose certaine, d’autres interventions sont nécessaires, et ce que nous faisons ne suffit pas.
[Français]
La sénatrice Gerba : Bienvenue et merci pour vos présentations qui sont toujours très touchantes, parce que ce n’est pas la première fois qu’on vous accueille ici. On a également accueilli vos collègues d’autres organisations qui ont vu la souffrance, tout comme vous.
Nous avons noté que vous êtes toujours enregistrés et en activité à Gaza. Cependant, d’autres organismes nous ont raconté ici à quel point c’était difficile de sortir de Gaza, quand il n’y a pas d’autre choix que d’en sortir. Pensez-vous que vous serez en mesure de poursuivre vos activités à l’avenir? Sinon, quels sont les choix qui s’offrent à vous pour continuer à travailler de manière sécuritaire?
[Traduction]
Mme Al-Awqati : Je commencerai par la dernière partie. Nous ne travaillons pas dans des conditions sécuritaires en ce moment. Nous n’avons pas travaillé en sécurité depuis longtemps. Voilà qui en dit long sur notre intention de rester, en tant qu’organisations humanitaires et entités qui travaillent également avec des organisations palestiniennes, avec des organisations partenaires palestiniennes.
Notre personnel sur le terrain fait partie de cette crise et de ce génocide, car il le vit chaque jour. Je ne pense pas que ce soit un choix pour eux. Je doute que l’impératif humanitaire soit un choix pour eux. Mais en tant qu’organisations, nous demeurerons encore sur place. Nous resterons. Nous continuerons à fournir de l’aide tant que nous en serons physiquement capables et nous continuerons à chercher des moyens de poursuivre cette aide, directement ou par l’intermédiaire d’organisations partenaires. La réalité est que chaque fois que nous touchons le fond, nous pensons que c’est fini, mais la situation empire. Il est vraiment difficile de dire où nous en serons dans quelques mois, six mois ou un an.
Mme Bridger : J’aimerais en dire un peu plus là-dessus. Comme l’a dit ma collègue, Mme Al-Awqati, il est impossible de tout planifier pour l’avenir. Cela dit, notre personnel fait de son mieux pour y parvenir. Nous avons des plans d’urgence fondés sur des plans d’urgence qui dépendent d’autres plans d’urgence, concernant ce qui pourrait arriver.
Je dirais que si vous nous aviez demandé il y a deux ans quel serait notre plan d’urgence pour cette crise, celui-ci aurait été complètement éclipsé par ce avec quoi nous avons dû composer. Cela dit, pour faire référence à une question posée lors de la dernière séance, nous disposons également de réseaux de soutien dans les pays voisins qui nous aident activement. Nous travaillons donc de notre mieux sur le terrain et nous continuerons à le faire tant que nous aurons du personnel et du matériel. Tant que c’est possible, nous resterons. Mais nous continuerons à apporter notre soutien, même si nous devons le faire à distance. La planification d’urgence permet d’envisager toutes les possibilités, mais nous ne pouvons pas le faire de manière efficace ou sécuritaire pour l’instant.
Le sénateur Ravalia : Je vous remercie tous infiniment d’être ici. Je voudrais poursuivre dans la même veine que la sénatrice Gerba et adresser ma question à M. Robitaille.
Vos conditions de travail actuelles sont presque insoutenables. Vous avez subi des pertes importantes de personnel humanitaire. Les gens qui sont sur le terrain souffrent eux-mêmes de la famine. Chaque jour, vos travailleurs sur place sont personnellement en situation de vulnérabilité. Combien de temps cette situation peut-elle durer? Êtes-vous en mesure de recruter? Comment des personnes qui ont elles-mêmes du mal à survivre peuvent-elles continuer à fournir de l’aide à ceux qui se trouvent dans cette situation catastrophique?
M. Robitaille : Je vous remercie infiniment de cette question. En effet, il est vraiment incroyable de voir l’héroïsme des personnes qui sont sur le terrain. Nous travaillons dans des territoires palestiniens occupés depuis 1973. Nous avons 290 employés, consultants, travailleurs occasionnels et partenaires humanitaires rien qu’à Gaza, et beaucoup plus en Cisjordanie. Nous avons donc constaté une escalade, mais jamais à ce point-là. Jamais autant de membres du personnel n’ont été tués.
Mais ce qui est incroyable, c’est leur détermination à continuer. Si l’accès nous est accordé, nous aurons beaucoup plus de personnes qui viendront de l’extérieur. Nous faisons tout ce qui est possible et impossible pour continuer à fournir de l’aide.
Pour ce qui est de la supposée Fondation humanitaire de Gaza, nous avions auparavant des centaines de points de distribution avec des listes et la capacité d’établir une véritable relation avec toutes les personnes qui recevaient de l’aide. Quelle est l’autre solution qui s’offre à des personnes devant marcher 2 kilomètres sous les balles pour aller chercher de la nourriture? C’est absolument inhumain. Ce n’est pas du travail humanitaire. Notre organisation continuera donc autant que possible, mais il y a toutes les contraintes que vous évoquez.
Le sénateur Ravalia : Monsieur Robitaille, quels commentaires entendez-vous sur le plan de paix en 20 points qui a été proposé? Y a-t-il une lueur d’espoir à l’heure actuelle?
M. Robitaille : Il y a un peu d’espoir, mais surtout de la peur et de l’empathie. Quand on manque de nourriture, on est dans un état d’apathie. Les gens ont été agressés et chassés. Ils sont si fatigués et ont entendu tant de fois parler de paix pour finalement être déçus. Je pense qu’à l’heure actuelle, toutes les personnes et tous les enfants à qui nous parlons sont traumatisés par cette situation. C’est principalement ce que nous entendons sur le terrain.
Le sénateur Woo : Merci beaucoup pour votre témoignage. J’aimerais essayer de faire le pont entre les propos des représentantes d’Affaires mondiales Canada et ce que vous nous avez dit. Nous avons entendu de la branche humanitaire du ministère que 400 millions de dollars d’aide humanitaire ont été versés. On peut supposer qu’une grande partie de cette aide est acheminée par vos organisations, l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient, ou UNRWA, et d’autres organisations humanitaires. Mais vous nous avez dit que la majeure partie de cette aide n’est pas parvenue à la population de Gaza. Elle est bloquée à la frontière, ou elle est quelque part en transit.
Serait-il exact de dire que les montants impressionnants d’aide que le gouvernement pense avoir envoyés à Gaza ne leur sont en fait pas parvenus?
M. Robitaille : En effet, il est difficile de répondre à cette question, car le problème d’accès dont nous parlons est quotidien. Nous constatons également une augmentation rapide du prix de la livraison. Lorsque l’accès est coupé, il faut fournir de l’eau aux gens et l’acheter sur les marchés locaux, ce qui entraîne une flambée des prix. Nous avons donc dû revoir à la baisse nos ambitions. Mais nous avons tout de même pu venir en aide à des millions de personnes. Nous avons les contacts et les partenaires nécessaires pour le faire à différentes échelles pendant la crise.
Nos propres stocks sont souvent bloqués, mais nous recevons des contributions de l’ONU. La situation est complexe. Nous avons des obstacles à l’acheminement de l’aide, mais nous continuons à intervenir.
Le sénateur Woo : Est-ce qu’un autre témoin souhaite intervenir?
Mme Al-Awqati : J’ajouterais une chose. Il est vrai qu’une partie de l’aide est bloquée, mais toute l’aide n’est pas sous forme de marchandises. Nous parlons d’une population qui a été déplacée à plus de 90 %, ce qui revient en quelque sorte à tout recommencer aux quelques semaines. Ils ont largement épuisé leurs mécanismes d’adaptation. Ils n’en ont plus. Beaucoup de gens qui avaient un emploi l’ont perdu, et les entreprises fonctionnent à peine là-bas.
Donc, oui, il faut beaucoup d’aide. Il est vrai qu’une partie importante est bloquée et continue de l’être, qu’elle soit financée par le Canada ou par d’autres, mais en réalité, il en faut beaucoup plus.
Le sénateur Woo : Les besoins sont énormes.
Mme Bridger : Je pense que Mme Al-Awqati a couvert une partie de ce que j’allais dire. En effet, des obstacles se dressent assurément devant les efforts d’aide humanitaire. C’est un énorme problème que nous rencontrons et qui nous empêche d’utiliser efficacement les investissements canadiens ici. Or, notre apport ne se limite pas au matériel. Nous avons du personnel de soutien psychosocial qui est également financé en partie par cet argent. Ces gens sont extrêmement reconnaissants d’avoir un emploi sur le terrain.
Par ailleurs, nous sommes capables de sortir des sentiers battus en matière d’aide. S’il y a une chose que je salue dans le partenariat avec Affaires mondiales Canada, c’est sa compréhension de la flexibilité dont les donateurs doivent faire preuve. En tant que donateur, il faut être capable de s’adapter, faire preuve de souplesse et pouvoir réagir à la situation en constante évolution. Ce n’est pas vrai de tous les donateurs, mais nous l’avons constaté chez Affaires mondiales Canada.
Le sénateur Adler : J’aimerais poser une question à Mme Mary Bridger, mais je suis ouvert à toute autre personne qui souhaite y répondre.
Naturellement, les gros titres concernent les enfants, les femmes, les civils et les travailleurs humanitaires qui ont été tués et mutilés, mais si vous me le permettez, je suis également très inquiet de nos travailleurs humanitaires canadiens qui se trouvent là-bas.
Comment pouvez-vous dire — et si vous pouvez personnaliser la question comme vous l’avez fait au début de notre discussion, je pense que ce serait plus efficace pour les Canadiens qui nous regardent et nous écoutent, ainsi que pour nos sénateurs et notre personnel — à un travailleur humanitaire, qui est complètement épuisé et traumatisé par tout ce dont nous avons discuté, de rentrer chez lui et de demander de l’aide?
Mme Bridger : Je suis ravie de répondre à cette question dans une certaine mesure, après quoi je céderai la parole à mes collègues.
Dans l’exercice de ses fonctions, CARE donne la priorité à la prestation de services par nos partenaires et nos employés locaux. Nous avons quelques employés internationaux qui soutiennent ces opérations. Franchement, les équipes ont actuellement du mal à accéder à ce qui se passe sur le terrain. Ils rencontrent de nombreuses difficultés en raison des obstacles liés à l’enregistrement, aux points d’entrée et aux visas.
Notre personnel canadien et international n’est souvent pas sur le terrain pour fournir l’aide en ce moment. Auparavant, c’était le cas, et nos travailleurs sont prêts à le faire, mais pour l’instant, nous constatons que l’impact est plus lourd pour les partenaires locaux et notre personnel palestinien, dans l’équipe de CARE Palestine.
Cela dit, leur besoin de soutien psychosocial pour poursuivre leur travail essentiel est criant, quelle que soit leur nationalité. En ce qui concerne notre propre organisation — je ne peux pas parler au nom de tous, mais je peux probablement m’adresser à mes collègues ici présents —, nous fournissons autant de soutien psychosocial que possible en tant qu’organisation humanitaire majeure, mais ce ne sera jamais à la hauteur de ce qu’ils vivent. On leur en demande énormément, et je suis impressionnée qu’ils continuent à aller de l’avant, à se porter volontaires pour continuer leur travail.
Je vais maintenant donner la parole à mes collègues qui souhaitent également répondre.
M. Robitaille : Le devoir de diligence est une question de première importance pour nos organismes. Comme l’a dit Mme Bridger, toute personne qui part doit se porter volontaire et le faire de son plein gré. Cela nécessite beaucoup de préparation et de nombreuses séances de débreffage au retour.
Je connais des Canadiens qui travaillent pour d’autres organisations et qui reviennent, parlent et témoignent de ce qu’ils ont fait et dit. Ce qui est surprenant, c’est qu’ils repartent.
En notre qualité de travailleurs humanitaires — et je pense que nous, autour de cette table, travaillons dans ce domaine depuis plus de 20 ans —, nous repartons, car nous répondons à l’appel du devoir. Cependant, notre organisme doit prendre en considération la sécurité non seulement du personnel international qui se rend là-bas, bien sûr, mais aussi de tout le personnel, c’est-à-dire des gens dont je parlais qui sont déplacés avec leur famille. Nous essayons de les aider en leur fournissant de l’argent et en leur apportant notre soutien en cas de besoin. Nous devons également négocier en permanence pour veiller à ce que l’ensemble des activités que nous menons au quotidien ne créent pas de conflits et soient reconnues aux termes du droit humanitaire international.
Le sénateur Wilson : Le deuxième appel à l’action dont vous nous avez fait part consistait à garantir l’acheminement de l’aide humanitaire. Il peut vous être difficile de répondre à cette question au sein de ce comité, et je comprends cela. Je pense que nous sommes tous extrêmement frustrés par le fait qu’il est impossible d’acheminer l’aide nécessaire à Gaza. À l’extérieur de ces murs, vous discutez probablement autour de la table de cuisine de mesures concrètes que l’on pourrait prendre pour atteindre cet objectif.
J’ai une question précise à ce sujet. Selon vous, qu’est-ce que le Canada pourrait faire de différent pour réellement faire bouger les choses?
Mme Al-Awqati : L’acheminement de l’aide humanitaire ne dépend pas d’un cessez-le-feu ou d’accords politiques. L’acheminement de l’aide humanitaire, la protection des travailleurs humanitaires et des établissements de santé font tous partie du droit humanitaire international.
J’espère sincèrement, pour le bien de mes collègues en Palestine et à Gaza, qu’ils soient Palestiniens ou non, que quelque chose de positif se concrétisera bientôt. Par contre, la réalité est que le Canada avait et continue d’avoir l’obligation d’utiliser tous les moyens à sa disposition. Nous parlons ici de mesures diplomatiques et de leviers économiques qui visent simplement à garantir qu’Israël appliquera le droit international, afin que les violations du droit international cessent, indépendamment de tout arrangement politique.
Au cours des deux dernières années, les arrangements politiques, l’aide internationale et l’aide humanitaire en particulier ont été assujettis à des accords politiques et à des négociations de cessez-le-feu. Ce n’est pas comme ça que les choses doivent se passer. Elles n’ont jamais fonctionné de cette façon ailleurs dans le monde.
Il importe d’utiliser ces mesures diplomatiques et de promouvoir la reddition de comptes sur toutes les tribunes et de toutes les manières possibles.
Je reviens à ce que j’ai dit plus tôt sur la création d’une culture d’impunité. Si nous associons l’aide humanitaire et l’assistance simplement à des accords politiques, nous fournissons alors un prétexte à cette impunité, mais il ne devrait pas en être ainsi. Nous créons ici un précédent très dangereux, et si cette situation se prolonge, ce qui se passe se reproduira dans chaque crise et chaque contexte.
Mme Bridger : Même si nous espérons tous vivement la conclusion d’un cessez-le-feu, et reconnaissons que celui-ci constitue une étape absolument essentielle dans ce processus, il ne s’agit que d’une étape, car un cessez-le-feu sans la levée des autres restrictions et obstacles à l’acheminement de l’aide n’apportera aucun changement sur le terrain.
Un cessez-le-feu pourrait être décrété demain, mais tant que l’aide restera bloquée, tant que les organismes ne pourront pas mener leurs activités librement, et tant que nous devrons surmonter sans arrêt des obstacles et des difficultés, nous ne pourrons pas régler le problème de la famine et nous ne serons pas en mesure de fournir les soins médicaux essentiels.
Un cessez-le-feu est extrêmement important dans ce processus, tout comme ces autres mesures qui doivent se concrétiser immédiatement après la déclaration d’un cessez-le-feu.
Le sénateur Al Zaibak : Il y a quelques semaines, j’ai regardé un documentaire intitulé La voix de Hind Rajab. J’ai été frappé par le fait qu’apparemment, les travailleurs de la santé et les ambulances — cela a été documenté par le Croissant-Rouge ou la Croix-Rouge — devaient obtenir une autorisation de l’armée ou la permission des militaires qui ont causé les torts, infligé la mort, tué des familles et détruit des maisons, pour aller sauver des vies. Et environ 36 heures après avoir obtenu cette permission, ils sont bombardés alors qu’ils sont à quelques minutes de la victime qu’ils tentent de sauver.
Est-ce là la norme dans tout autre conflit? Les travailleurs de la santé et les travailleurs humanitaires sont-ils tenus d’obtenir une permission avant de pouvoir apporter leur aide?
Mme Bridger : Je ne peux pas parler de la norme relative aux permissions accordées aux ambulances et d’autres questions de ce genre. Je sais que pour ce qui est des activités de notre propre clinique, il faut une coordination importante avec... Je ne dirais pas que nous devons coordonner nos efforts avec ceux d’Israël, mais nous devons obtenir nombre d’autorisations et d’enregistrements, entre autres, pour être en mesure de mener nos activités, même pour fournir un minimum de soins. Comme je l’ai mentionné dans ma déclaration liminaire, des cliniques partenaires ont été bombardées et des travailleurs de la santé ont été assassinés.
Il est vrai que nous devons franchir tous ces obstacles pour fournir des soins médicaux en tant qu’organisations de la société civile déjà enregistrées. Nous continuons à franchir tous ces obstacles, mais la mort et la destruction persistent. Je ne peux pas parler de la situation propre aux ambulances, mais je peux parler de ce qui se passe dans le contexte médical.
Le sénateur Al Zaibak : La situation est semblable.
Mme Bridger : Oui.
Mme Galland-Jarrett : Je voudrais ajouter que cela nous ramène, selon moi, à ce que ma collègue, Mme Bridger, a évoqué tout à l’heure, à savoir que cette situation est sans précédent. Nous assistons à une remise en question et à un démantèlement d’un système qui a fonctionné dans toutes les autres situations de conflit. Ici, on ne cesse de dresser des obstacles de toutes sortes pour limiter l’aide apportée aux civils et cibler ces derniers.
Le vice-président : Voilà qui met fin à la première série de questions. Nous allons entamer la deuxième série de questions.
J’ai quatre sénateurs sur la liste, et nous avons un peu plus de 10 minutes. Je demanderais aux sénateurs de poser leurs questions par groupes de deux, après quoi nous écouterons les réponses. Nous entendrons d’abord les questions des sénatrices Coyle et Ataullahjan, puis passerons aux réponses, pour enfin entendre les deux derniers sénateurs sur la liste.
La sénatrice Coyle : Lors de la séance d’information que nous avons eue cet été — qui s’est avérée très utile —, nous avons accueilli un journaliste canadien qui travaille pour l’Agence France-Presse. Or, comme nous le savons, les journalistes étrangers ne peuvent pas entrer à Gaza. Nous savons tous que l’opinion publique est essentielle pour inciter les gouvernements à agir d’une certaine manière. Ce journaliste estimait donc que le fait de dépêcher un journaliste comme Anderson Cooper ou Adrienne Arsenault, ou encore Ann Medina, à l’époque, sur le terrain, pourrait vraiment accroître la transparence et un plus grand nombre de Canadiens prendraient alors conscience de ce que vous nous dites aujourd’hui et seraient encouragés à ne plus accepter cette situation et à faire pression.
Les partenaires étrangers avec lesquels vous travaillez au sein des circuits diplomatiques, entre autres, ont-ils déployé des efforts pour permettre aux journalistes étrangers d’entrer à Gaza? Avez-vous constaté des avancées dans ce sens?
Le vice-président : Sénatrice Ataullahjan, vous pouvez poser votre question. Les témoins pourront ensuite répondre aux deux questions.
La sénatrice Ataullahjan : J’ai l’impression — peut-être ai‑je tort — qu’il y a généralement une absence de sympathie pour le peuple palestinien. Qu’est-ce qui explique cela? Nous nous demandons si 21 000 ou 64 000 enfants ont été tués; à mes yeux, un seul enfant tué, c’est déjà trop. Les enfants sont innocents, ils ignorent tout du conflit.
Qu’est-ce qui explique ce manque de sympathie?
Le vice-président : Je demanderais à Mme Bridger de répondre aux deux questions, si possible.
Mme Bridger : Je pense pouvoir relier ces deux questions; j’ai bon espoir. Mais je vais bien sûr essayer de répondre à chacune d’entre elles séparément. Je pense que le problème et la réponse qui ressortent de ces questions ont trait à la mésinformation. L’ampleur de la mésinformation et de la difficulté à diffuser et à communiquer les bonnes informations constitue vraiment une nouvelle dynamique.
Pour revenir au premier point soulevé par la sénatrice Coyle, puisque les journalistes ne peuvent se rendre sur place pour couvrir ce qui s’y passe, il se crée, dans une certaine mesure, un terrain propice à la mésinformation. Je n’ai pas constaté, dans mon entourage, d’efforts coordonnés pour permettre aux journalistes de se rendre sur le terrain. Nous nous concentrons surtout sur l’aide humanitaire et ne nous sommes donc pas beaucoup penchés sur cette question.
Cela dit, je me contenterai de dire que le manque de journalistes ou les attaques lancées contre les journalistes à l’échelle locale imposent un nouveau fardeau à nos équipes dans de nombreux cas. Nos équipes, qui sont formées pour fournir des services psychosociaux et de l’aide et pour gérer des opérations logistiques, se voient désormais confier la responsabilité de communiquer ce qui se passe à Gaza, ce pour quoi elles n’ont pas été formées.
Je dirais qu’elles le font d’une manière tout à fait louable, mais elles ne devraient pas avoir à accomplir cette tâche qui s’ajoute aux difficultés insurmontables auxquelles elles sont confrontées dans leurs fonctions actuelles.
C’est là tout le défi, et je pense que cela rejoint ce que vous disiez, sénatrice, à propos des raisons pour lesquelles on observe peut-être un manque de sympathie dans cette situation. Je pense que cela tient au fait que, même si nous assistons à un génocide retransmis en direct à l’aide de vidéos sur nos téléphones cellulaires, il est facile de l’ignorer, car il n’y a pas de journalistes étrangers qui nous informent de ce qui se passe d’une manière ou d’une autre.
L’absence de sympathie repose sur un contexte plus large, mais je pense que l’un des éléments qui y contribuent est que l’on peine à diffuser l’information par les moyens traditionnels.
Le vice-président : Je vous remercie. Nous passons aux deux dernières questions.
Le sénateur Dean : Je serai bref. Le plan de paix en 20 points présenté le 29 septembre 2025 pour mettre fin au conflit à Gaza commence à susciter un certain intérêt. Il propose notamment la mise en place d’une force internationale de stabilisation qui serait, entre autres, chargée de soutenir et de former la police palestinienne.
Étant donné les descriptions que vous et d’autres témoins avez faites aujourd’hui de l’ampleur des problèmes auxquels nous sommes confrontés, nous avons probablement besoin de quelque chose de plus solide et de plus crédible que cela.
Seriez-vous favorable à l’intervention rapide d’une force multilatérale de maintien de la paix, potentiellement dirigée par le Canada — nous avons de l’expérience en la matière —, afin de mettre fin aux hostilités, de distribuer rapidement de la nourriture et d’essayer de mettre un terme à l’expansion des colonies illégales? En somme, je ne pense pas qu’il y ait grand intérêt à retirer les entrepreneurs militaires des sites dits de distribution alimentaire pour les transférer vers les forces internationales de stabilisation proposées. Nous avons besoin de quelque chose de plus crédible que cela. Je vous saurais gré de répondre à cette question.
Le sénateur Woo : Les organismes travaillent en Ukraine ainsi qu’en Palestine. Voyez-vous une différence dans la manière dont le Canada et la communauté internationale réagissent aux atrocités commises en Ukraine par rapport à la manière dont nous avons réagi aux atrocités commises en Palestine?
Mme Bridger : Nous travaillons en Ukraine. La réponse a été énorme, ou plutôt, il y a eu une énorme différence sur le plan de l’intervention, ce qui pourrait probablement faire l’objet d’une réunion distincte.
Le premier point que j’aborderai concerne le rôle d’une force de stabilisation. Nous ne sommes pas vraiment en mesure de nous prononcer sur cette question de manière approfondie.
Je me contenterai de dire que si l’on veut que la force de stabilisation soit la plus efficace possible et témoigne de l’expertise acquise au fil d’années de travail dans le cadre de crises humanitaires — et accorde la priorité à ce qui se passe à l’échelle communautaire —, il faut veiller à ce que des représentants de la société civile et des Nations unies en fassent partie. Je ne pense pas qu’elle devrait être entièrement composée de personnel militaire.
Je vais voir si mes collègues veulent intervenir.
Mme Galland-Jarrett : Je ne peux qu’être d’accord avec ce que ma collègue vient de dire.
Certes, il ne nous appartient pas, en tant qu’organisation humanitaire, de formuler des commentaires détaillés à ce sujet. Nous disposons d’un système de distribution d’aide humanitaire qui fonctionne et qui a fait ses preuves dans tous les autres contextes. Nous croyons qu’il faudrait investir dans ce système.
En ce qui concerne la question sur l’Ukraine, nous pouvons dire que le Canada a fait preuve de leadership en faveur des enfants ukrainiens, a présidé des organismes et des alliances et a collaboré avec d’autres États membres de l’ONU pour défendre et mettre en lumière, par exemple, la situation des enfants qui ont été déplacés de force vers la Russie. Nous saluons ce leadership.
Voilà le genre de leadership dont il faudrait faire preuve non seulement envers des enfants dans un contexte précis, mais dans tout contexte et toute crise. Cela nous ramène au respect et à la défense du droit international humanitaire, et le Canada peut jouer un rôle de premier plan dans ce domaine. Nous aimerions que ce droit soit défendu systématiquement et, donc, qu’il soit appliqué pour défendre les enfants à Gaza.
Mme Al-Awqati : Je suis d’accord avec ce que mes collègues ont dit. J’ajouterais que nous saluons la manière dont le Canada a réagi aux violations commises en Ukraine et à l’encontre des Ukrainiens.
Le Canada a pris des mesures concrètes et décisives dans le cas de l’Ukraine. Or, les mêmes mesures n’ont pas été utilisées à Gaza, en Cisjordanie ou, plus généralement, dans les territoires palestiniens occupés.
M. Robitaille : Si je peux me permettre, cela fait également suite aux questions précédentes au sujet du nombre d’enfants. Je crois que les 60 000 enfants dont on a parlé plus tôt incluaient les enfants mutilés. Nous tirons ces informations du bureau des médias du gouvernement à Gaza. Ce sont les plus récentes. Il faut également préciser — et cela se rapporte au fait qu’il est difficile de rendre compte de ce qui se passe sur le terrain — que la revue médicale The Lancet a indiqué que le nombre était 40 % plus élevé, en général, pour les neuf premiers mois par rapport aux chiffres que nous avons vus.
Nous avons des estimations. Ce qui est difficile à estimer, c’est le nombre total de personnes tuées indirectement. Il y aurait 3 à 15 fois plus de personnes sous les décombres qui souffrent.
Je fais également le lien avec ce que nous observons en Ukraine, où des journalistes sont présents sur le terrain. En Ukraine, les gens vont et viennent, et des informations nous sont communiquées.
À Gaza, l’accès est bloqué et nous avons de moins en moins d’espace pour apporter de l’aide humanitaire, pour observer et rendre compte de ce qui se passe réellement.
Le vice-président : Chers collègues, voilà qui met fin à ce groupe de témoins. Je tiens à remercier nos témoins d’avoir comparu de nouveau. Hélas, je pense que nous nous reverrons.
Je voudrais également profiter de cette occasion, si vous me le permettez, chers collègues, pour remercier, par votre entremise, vos organisations pour le travail qu’elles accomplissent sur le terrain. C’est une source de fierté. Merci.
(La séance est levée.)