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AEFA - Comité permanent

Affaires étrangères et commerce international


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 22 octobre 2025

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd’hui, à 16 h 14 (HE), pour examiner, afin d’en faire rapport, les questions qui pourraient survenir occasionnellement se rapportant aux relations étrangères et au commerce international en général.

Le sénateur Peter M. Boehm (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Bonjour, honorables sénateurs. Je m’appelle Peter Boehm, je suis un sénateur de l’Ontario, et je suis président du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international.

[Traduction]

Je demanderais aux membres du comité qui participent à la séance d’aujourd’hui de se présenter.

Le sénateur Kutcher : Stan Kutcher, de la Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Patterson : Rebecca Patterson, de l’Ontario.

Le sénateur Adler : Charles Adler, du Manitoba.

[Français]

La sénatrice Gerba : Amina Gerba, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Woo : Yuen Pau Woo, de la Colombie-Britannique.

Le sénateur Harder : Peter Harder, de l’Ontario.

La sénatrice Boniface : Gwen Boniface, de l’Ontario. Soyez le bienvenu.

Le sénateur Wilson : Duncan Wilson, de la Colombie-Britannique.

La sénatrice M. Deacon : Marty Deacon, de l’Ontario. Bonjour.

Le sénateur Al Zaibak : Mohammad Al Zaibak, de l’Ontario.

[Français]

La sénatrice Hébert : Martine Hébert, du Québec.

[Traduction]

Le président : Merci, chers collègues. Je tiens à préciser que la sénatrice Patterson, de l’Ontario, est parmi nous aujourd’hui à titre d’invitée et que la sénatrice Coyle, de la Nouvelle-Écosse, entre dans la salle au moment où je vous parle. Il se peut qu’une ou deux autres personnes se joignent à nous au cours de la séance.

Chers collègues, je vous souhaite à tous la bienvenue ainsi qu’à ceux qui, partout au Canada, nous regardent peut-être sur ParlVU du Sénat. Aujourd’hui, nous nous réunissons dans le cadre de notre mandat général pour discuter de la situation en Ukraine. Pour notre premier segment, le comité a l’honneur d’accueillir pour la première fois depuis qu’il a présenté ses lettres de créance au gouverneur général le 24 septembre dernier, Son Excellence Andrii Plakhotniuk, ambassadeur de l’Ukraine au Canada. Monsieur l’ambassadeur, bienvenue au comité. Merci d’être parmi nous aujourd’hui.

Avant d’écouter votre déclaration liminaire et de passer aux questions des membres du comité, je demanderais à toutes les personnes présentes de bien vouloir désactiver les notifications sur leurs appareils et de garder leur oreillette dans le petit cercle, si elle n’est pas branchée. Si vous parlez avec votre écouteur, ne l’approchez pas du microphone. Ces précautions sont prises pour des raisons de sécurité, notamment pour celle de nos interprètes.

Monsieur l’ambassadeur, vous avez la parole.

Son Excellence Andrii Plakhotniuk, ambassadeur, Ambassade de l’Ukraine au Canada, à titre personnel : Monsieur le président, l’honorable sénateur Boehm, distingués sénateurs et membres du comité permanent.

[Français]

Je vous remercie de m’avoir donné l’occasion de m’adresser au comité et de vous informer de la situation actuelle en Ukraine. C’est pour moi un immense honneur et un privilège d’être parmi vous aujourd’hui. Avec votre aimable permission, je continuerai en anglais.

[Traduction]

Je tiens tout d’abord à exprimer ma sincère gratitude au Canada pour le leadership constant et ferme qu’il exerce dans son soutien à l’Ukraine.

Le Canada a été l’un des tout premiers pays à reconnaître l’indépendance de l’Ukraine le 2 décembre 1991. Nos deux États sont depuis ce temps des amis proches et des alliés. Notre amitié est profonde et solide, car elle repose sur des valeurs communes et des liens chaleureux entre nos peuples, enracinés dans la communauté ukrainienne du Canada qui compte près de 1,4 million de personnes.

À cet égard, je tiens à profiter de l’occasion pour remercier sincèrement tous les membres du Sénat d’avoir appuyé à l’unanimité le projet de loi parrainé par l’honorable sénateur Kutcher pour désigner le mois de septembre comme Mois du patrimoine ukrainien.

Depuis le début de l’invasion militaire à grande échelle de l’Ukraine par la Russie le 24 février 2022, le Canada a fait preuve d’un solide leadership dans son soutien à l’Ukraine en étant le plus grand contributeur financier par habitant des pays G7. Nous sommes profondément reconnaissants envers la présidence canadienne du G7 d’avoir donné la priorité à l’Ukraine, ainsi qu’envers le premier ministre Carney pour sa première visite en Ukraine le jour de notre fête nationale, le 24 août.

Nous n’oublierons jamais que la première tranche de l’aide microfinancière, nous l’avons reçue du Canada, que les premiers chars Leopard 2 livrés à l’Ukraine provenaient du Canada et que les Forces armées canadiennes ont formé plus de 46 000 militaires ukrainiens dans le cadre de l’opération Unifier.

Le Canada est un leader fort lorsqu’il s’agit d’assurer un soutien continu au régime de sanctions appliqué contre la Russie et il est un participant important du Groupe de contact sur la défense de l’Ukraine et de la coalition des pays volontaires. Le Canada participe activement à l’initiative de la liste des besoins prioritaires de l’Ukraine dans le cadre de laquelle il a alloué 500 millions de dollars qui serviront à financer le renforcement des capacités de défense de l’Ukraine.

Nous apprécions grandement tous ces efforts et bien d’autres encore, notamment le leadership et la coprésidence du Canada au sein de la Coalition internationale pour le retour des enfants ukrainiens. À cet égard, permettez-moi de remercier encore une fois sincèrement tous les membres du Sénat pour l’adoption de la motion présentée par le sénateur Kutcher et appuyée par le sénateur Ravalia condamnant toutes les attaques et ingérences de la Russie dans la vie des enfants ukrainiens.

Malheureusement, la guerre se poursuit, car Poutine n’a aucune volonté de faire la paix. Ces jours-ci, les Russes profitent de chaque occasion qu’ils ont pour frapper nos infrastructures énergétiques, ciblant nos installations d’extraction de gaz, nos mines de charbon et nos réseaux électriques. Les terroristes russes bombardent et pilonnent des zones civiles loin de la ligne de front — des infrastructures énergétiques essentielles —, ce qui constitue un acte génocidaire sans équivoque et un crime de guerre.

Depuis le début de l’agression armée à grande échelle de la Russie, plus de 50 % des capacités énergétiques de l’Ukraine ont été détruites, endommagées ou occupées. Selon la dernière évaluation de la Banque mondiale, les besoins pour restaurer le secteur énergétique ukrainien s’élèvent à environ 68 milliards de dollars américains.

Les besoins les plus urgents de l’Ukraine aujourd’hui sont la restauration de son secteur énergétique et de ses infrastructures névralgiques, ainsi qu’un soutien financier suffisant pour pallier les pénuries de gaz et nous aider à passer l’hiver. Toute contribution immédiate destinée à combler ces besoins est d’une importance cruciale.

Toute guerre est une question de chiffres et de stocks. Toute guerre est également une course technologique. Pour gagner cette guerre, nous avons désespérément besoin d’augmenter le nombre d’armes que nous avons et de reconstituer nos stocks.

Depuis longtemps, nos priorités absolues sont la défense aérienne, la défense antimissile contre les menaces balistiques, les capacités de frappe en profondeur, les avions de combat, les systèmes d’artillerie, les missiles à longue portée, les systèmes de guerre électronique, les équipements d’ingénierie, les drones, les munitions, etc.

L’Ukraine intensifie sa production d’armes aussi bien sur le plan national qu’en coopération avec ses partenaires. À l’heure actuelle, environ 60 % des armes dont dispose l’armée ukrainienne sont produites en Ukraine. Nous devons produire plus d’armes. L’Ukraine est prête à développer la production conjointe de matériel de défense avec ses partenaires, y compris avec le Canada.

À cet égard, l’aide militaire et financière continue du Canada à l’Ukraine dans le cadre de notre accord bilatéral de sécurité est cruciale. Nous serions extrêmement reconnaissants si une aide financière d’un montant au moins équivalent à celui de l’année dernière était incluse dans le budget fédéral pour l’exercice 2026.

Honorables sénateurs, l’Ukraine souhaite une paix juste, complète et durable comme nul autre pays, mais elle est prête à poursuivre son combat pour la liberté et l’indépendance. Nous n’avons pas d’autre choix pour assurer notre survie. Nous appuyons résolument les efforts déployés par le président Trump pour mettre immédiatement fin aux combats sur la ligne de front actuelle.

Malheureusement, Poutine veut continuer à tuer et à détruire. Il ne s’arrêtera que lorsqu’il y sera contraint. Nous devons maintenir la pression accrue sur l’économie russe et sur son industrie de défense jusqu’à ce que Poutine soit prêt à amorcer des négociations de paix sincères.

Nous devons mettre en place des mécanismes qui permettront d’utiliser la pleine valeur des actifs souverains russes gelés afin de fournir à l’Ukraine les ressources dont elle a besoin. À cet égard, nous sommes sincèrement reconnaissants envers le Canada d’avoir fourni 5 milliards de dollars canadiens sur les 50 milliards de dollars de l’initiative du G7 — le mécanisme d’accélération de l’utilisation des recettes extraordinaires — en puisant dans les profits des actifs russes gelés.

Nous espérons que le Canada maintiendra son leadership et créera un précédent juridique mondial conforme au droit international en adoptant le projet de loi, parrainé par l’honorable sénatrice Dasko, qui vise à examiner la possibilité d’autoriser la confiscation des actifs souverains saisis et sanctionnés par le biais d’une procédure simplifiée menée par l’exécutif.

Nous devons renforcer considérablement le régime de sanctions et cibler la flotte de pétroliers fantômes, ainsi que les secteurs clés de l’économie russe, c’est-à-dire le complexe militaro-industriel, le secteur de l’énergie, la métallurgique, les industries nucléaire et chimique, ainsi que les secteurs des technologies de l’information et des finances. Il est également grand temps que la communauté internationale prenne des mesures audacieuses supplémentaires pour empêcher Moscou de contourner les sanctions.

À cet égard, nous espérons que le gouvernement canadien annoncera bientôt un nouveau train de sanctions sévères et que ces dernières s’aligneront sur celles imposées par l’Ukraine.

Honorables sénateurs, la Russie ne doit pas l’emporter. Assurer la victoire de l’Ukraine dans cette guerre est un pilier central de toute stratégie crédible pour faire face à la menace russe. Moscou ne sera disposée à s’engager dans de véritables négociations que lorsque le Kremlin verra que sa stratégie actuelle échoue.

La Russie est affaiblie. Malgré les affirmations de la propagande russe, elle n’est pas en train de gagner la guerre et l’Ukraine n’est pas en train de la perdre. En 2025, la Russie a occupé moins de 1 % du territoire ukrainien, alors que de son côté, l’Ukraine a libéré 183 kilomètres carrés.

Par conséquent, nous devons multiplier nos efforts communs pour faire pression sur Poutine et le contraindre à mettre fin à cette guerre. C’est la seule solution. Le concept de « paix par la force » a prouvé son efficacité à maintes reprises au cours de l’Histoire. Le temps est venu de l’appliquer de nouveau.

Je vous remercie de votre attention. Je suis prêt à répondre à vos questions.

Le président : Merci beaucoup, monsieur l’ambassadeur. Je tiens à signaler que le sénateur MacDonald, de la Nouvelle-Écosse, s’est joint à nous.

Chers collègues, je vous rappelle que pour ce premier tour, vous disposez chacun d’un maximum de trois minutes, ce qui inclut les questions et les réponses.

[Français]

Je demande donc aux sénateurs et à notre témoin d’être concis. Nous pourrons toujours tenir une deuxième ronde si le temps le permet.

[Traduction]

Le sénateur Kutcher : Monsieur l’ambassadeur, merci d’être parmi nous aujourd’hui. Je crois que les démocraties et l’état de droit sont menacés à l’échelle mondiale, et que l’Ukraine est le canari dans la mine de charbon pour les démocraties occidentales. La guerre ne concerne pas seulement la survie de l’Ukraine — et elle doit se terminer par la victoire ukrainienne —, mais c’est aussi une guerre qui doit être gagnée pour garantir la pérennité de l’expérience démocratique.

Ma question comporte deux parties. La première est la suivante : quelles sont les priorités militaires de l’Ukraine? Comment le Canada peut-il répondre au mieux à ces demandes?

La deuxième partie de la question va comme suit. Le libre-échange entre nos deux pays repose sur un accord et un cadre solides. Selon vous, comment les Canadiens pourraient-ils mieux investir en Ukraine?

M. Plakhotniuk : Sénateur Kutcher, merci beaucoup de votre question. En ce qui concerne nos priorités les plus urgentes, nos demandes militaires et ce sur quoi nous travaillons, je viens d’en parler. Encore une fois, ce dont il est question — et ces besoins sont toujours et très fréquemment soumis à tous nos partenaires par différents canaux —, ce sont certainement les systèmes de défense aérienne d’une part, et les capacités de frappe en profondeur d’autre part.

À l’approche de l’hiver, l’idée principale est désormais de protéger les civils ukrainiens. C’est notre priorité numéro un, et nous faisons tout ce que nous pouvons pour sauver des vies. Bien sûr, nous avons besoin de tout ce dont dispose n’importe quel pays aux prises avec une guerre continentale. Nous sommes profondément reconnaissants de toute l’aide que nous recevons, et nous accordons bien sûr la priorité à cette aide. Je donnerais la priorité à ces trois éléments : la défense aérienne, les capacités de frappe en profondeur et les munitions.

En ce qui concerne votre deuxième question sur les mesures à prendre pour garantir les investissements, il existe différentes façons d’arriver à cela, et nous comprenons bien entendu le risque que peut représenter la conduite des affaires en Ukraine à l’heure actuelle. Le message que j’adresse à tous nos amis canadiens ici présents, c’est que nous devons saisir toutes les occasions de créer des entreprises en Ukraine avec l’Ukraine. Quand je dis « avec l’Ukraine », je veux dire qu’il faut créer des entreprises dans les pays voisins. Mon message principal est de ne pas attendre « que ce soit le temps » et de ne pas attendre que les efforts de reconstruction d’après-guerre soient commencés. Nous avons besoin de votre présence dès maintenant. Nous avons besoin de vos bons conseils, nous avons besoin de renforcer nos capacités et bien d’autres choses encore.

En ce qui concerne les méthodes pratiques, nous disposons de certains instruments. Nous parlons bien sûr de l’assurance contre les risques de guerre. Nous parlons d’avoir recours à Exportation et développement Canada et à FinDev Canada pour trouver des moyens de soutenir la mise en œuvre de projets en Ukraine.

Le président : Merci, monsieur l’ambassadeur.

Le sénateur Al Zaibak : Félicitations, monsieur l’ambassadeur, pour votre nomination.

Monsieur l’ambassadeur, plus tôt cette année, en avril 2025, l’Ukraine et les États-Unis ont signé une entente historique portant sur un fonds d’investissement conjoint à parts égales pour la reconstruction fondé sur l’accès aux minéraux essentiels et ressources pétrolières et gazières de l’Ukraine en échange d’une contribution américaine à l’aide militaire future et d’une protection contre toute nouvelle agression russe.

Pouvez-vous informer le comité des résultats concrets de cette entente ou des progrès qui en ont découlé relativement à la protection de l’Ukraine et aux mesures visant à dissuader de nouvelles agressions russes?

M. Plakhotniuk : Merci beaucoup de me poser cette question. Il s’agit d’une entente historique qui a été négociée avec nos amis et partenaires américains. D’après les derniers renseignements dont je dispose, nous progressons dans l’institutionnalisation du fonctionnement du système avec ces mécanismes et cet organisme conjoint. Lorsque la première ministre Yuliia Svyrydenko s’est rendue à Washington il y a une semaine, elle a poursuivi ces discussions avec le secrétaire au Trésor. Je suis désolé, je n’ai pas plus de détails à ce sujet.

En ce qui concerne les mesures de dissuasion, nous y travaillons afin d’assurer que tous nos partenaires continueront à s’engager en faveur de la cause ukrainienne.

Le sénateur Al Zaibak : Passons à un autre sujet auquel vous avez fait allusion dans votre déclaration. Selon la GRC, le Canada a gelé environ 140 millions de dollars d’actifs appartenant à l’État russe. Quelles sont vos recommandations concernant les voies juridiques et diplomatiques à suivre pour exproprier ces actifs et les réaffecter à la défense ou à la reconstruction de l’Ukraine?

M. Plakhotniuk : C’est une autre question très importante pour nous, car nous avons promu l’idée que nous devrions utiliser les actifs souverains russes pour répondre aux besoins actuels de l’Ukraine, en particulier pour les efforts de reconstruction.

D’un point de vue juridique, il est absolument crucial pour nous tous de trouver la formule qui garantira que tout est irréprochable. L’État russe ne doit pas être en mesure de recourir aux tribunaux pour obtenir des décisions qui détruiraient le système, ce qui nous empêcherait tous d’utiliser ces actifs.

Ce qui est important — et nous exhortons vivement tous nos partenaires à le faire —, c’est de s’engager dans de véritables négociations et de trouver une solution acceptable pour nous tous qui nous permettra d’utiliser cet argent à des fins très utiles en Ukraine. À long terme, la Russie doit être tenue responsable de ce qu’elle a fait chez nous.

La sénatrice Coyle : Bienvenue au Sénat et bienvenue au Canada. Nous sommes très heureux de vous accueillir ici.

Vous avez été très clair sur ce qui est nécessaire. Ce que j’aimerais savoir, c’est comment la population se sent sur le terrain en ce moment? J’aimerais simplement me faire une idée sur la situation actuelle des Ukrainiens? Quels sont les effets, s’il y en a, de la machine de désinformation russe en l’Ukraine, sur les Ukrainiens, ainsi que dans les pays environnants?

M. Plakhotniuk : Madame la sénatrice, merci beaucoup de me poser la question. En ce qui concerne la population, elle est certainement très fatiguée, surtout lorsque nous subissons jour après jour ces attaques mixtes de missiles. Hier encore, plus de 430 missiles et drones ont pris pour cible nos infrastructures civiles. Une école maternelle a été touchée dans ma ville natale de Kharkiv, et deux enfants ont été tués. C’est ainsi que nous voyons, ressentons et percevons les atrocités que la Russie commet dans notre pays.

En même temps, les gens restent unis parce que nous avons beaucoup souffert et que nous défendons notre pays. Nous n’avons pas le droit d’être fatigués, et nous devons tenir parce que notre résilience est bien connue au-delà de nos frontières. Nous devons continuer.

Pour ce qui est des méthodes de désinformation, nous constatons aujourd’hui que la Russie a augmenté son budget de l’année prochaine pour ces mesures de propagande. Cela indique sans équivoque que lorsqu’elle n’est pas efficace sur le champ de bataille, elle fait appel à des moyens hybrides pour diffuser de la désinformation et ce type de fausses nouvelles à l’intention de nos partenaires de la communauté internationale. Nous allons lutter aux côtés de nos partenaires et nous efforcer d’expliquer la situation, mais nous avons besoin de l’aide de tout le monde pour contrer cette propagande avec nous.

La sénatrice Boniface : Soyez le bienvenu. À ce stade de la guerre, quelles formes de pression faudrait-il réellement exercer sur l’économie russe pour tenter d’en arriver à une solution?

M. Plakhotniuk : Chère sénatrice, je vous remercie infiniment de votre question. Tout d’abord, lorsque nous réfléchissons à l’économie russe, nous devons être pleinement conscients du fait que les chiffres officiels ne reflètent pas la réalité. La situation est très différente de l’économie annoncée, mais nous devons garder à l’esprit deux faits : ils ont réussi à survivre pendant les sanctions, ils ont réussi à adapter leur économie, et celle-ci fonctionne. Personne ne prend en considération les besoins des Russes ordinaires, car ils investissent tout dans leur économie militaire.

Lorsque nous parlons de pressions économiques, nous parlons principalement de sanctions, comme je l’ai mentionné au cours de ma brève déclaration. Tout est compréhensible. Nous devons travailler avec acharnement en collaboration avec nos partenaires afin de présenter un front commun en matière de sanctions, de cibler leur flotte fantôme, de cibler leur industrie pétrolière et gazière et, bien sûr, de créer des occasions de les affaiblir lorsqu’ils n’ont aucune chance de contourner les sanctions. Il est certain que nous devons cibler les industries qui soutiennent leurs efforts militaires et leurs efforts de guerre.

La sénatrice Boniface : Je vous remercie de vos réponses.

[Français]

La sénatrice Gerba : Bienvenue au Canada, Votre Excellence.

En juin dernier, le Canada a renouvelé l’accès au marché canadien pour les produits ukrainiens en prolongeant l’exemption tarifaire sur les importations ukrainiennes dans le contexte que l’on connaît aujourd’hui, où le pays est lourdement frappé par la guerre.

Ma première question serait la suivante : comment fonctionne l’écosystème des affaires aujourd’hui en Ukraine? Est-on en mode relance? Les exemptions que l’on annonce ici viennent-elles compléter l’accord de libre-échange qui existe entre le Canada et l’Ukraine? Comment se porte l’économie ukrainienne?

[Traduction]

M. Plakhotniuk : Je vous remercie infiniment de votre question. En ce qui a trait à la décision importante concernant l’exonération fiscale, je voudrais simplement mentionner une chose. Toutes les mesures prises pour soutenir les exportations ukrainiennes et manifester une solidarité envers l’Ukraine revêtent une grande importance, car elles changent la situation sur le terrain. Nous parlons de recettes étrangères, de la taxation et du soutien apporté aux familles des Ukrainiens qui travaillent très dur en Ukraine.

En ce qui concerne le mode de fonctionnement des entreprises en Ukraine, je le qualifierais de mode « survie ». Nous pensons à la relance économique, et nous essayons de faire tout ce qui est en notre pouvoir pour poursuivre nos activités, mais il s’agit avant tout de survivre. Parallèlement, sur le plan commercial, j’aimerais revenir sur une initiative de l’Ukraine appelée « Grain from Ukraine », ou céréales en provenance de l’Ukraine, que nous mettons actuellement en œuvre. Elle consiste à exporter des produits alimentaires ukrainiens vers les pays qui en ont désespérément besoin. Nous avons obtenu ce quota auprès de nos partenaires de l’OTAN, comme la Bulgarie, la Turquie et la Roumanie, avec le soutien de nos forces armées. Nous exigeons le libre accès aux voies maritimes, mais nous exportons. Nous accroissons nos exportations, et nous soutenons les pays, ce qui nous permet d’indiquer clairement que nous souhaitons contribuer fortement à la sécurité alimentaire internationale et que nous allons le faire.

Chaque fois que nous en avons l’occasion, nous relevons des défis, car nous ne les craignons pas. Nous n’avons pas peur des menaces. Nous soutenons nous-mêmes notre économie, et nous la maintenons à flot. Le gouvernement, la banque nationale et la monnaie fonctionnent. Tout fonctionne , malgré les nombreuses difficultés. Bien entendu, cela est possible grâce au soutien que nous recevons, en particulier le soutien microfinancier apporté par tous nos partenaires, et nous tenons à remercier une fois de plus le Canada à cet égard.

Le sénateur Harder : Merci, monsieur l’ambassadeur. Je voudrais savoir si l’Ukraine a demandé l’annulation du contrat de rénovation des véhicules militaires.

M. Plakhotniuk : Je vous remercie infiniment de votre question. Mesdames et messieurs les sénateurs, ce que je peux vous dire en ce moment, c’est qu’en matière de matériel de défense, nous serions heureux et reconnaissants de recevoir tout type de systèmes. Les forces armées ukrainiennes ont réussi à réunir 600 pièces de matériel de défense. En ce qui concerne ce contrat particulier, cette question devrait être adressée au ministère de la Défense. Nous continuerons bien sûr de nous employer à recevoir de nouveaux ensembles de mesures d’aide, en pensant non seulement aux généreux dons du gouvernement canadien, mais aussi à la manière d’en produire davantage.

Le sénateur Harder : Si je peux passer à un autre aspect de l’équipement, j’aimerais savoir si le président Zelensky a demandé des missiles Tomahawk.

M. Plakhotniuk : Oui, nous en avons demandé. Nous essayons d’utiliser tout ce dont nous disposons. Parfois, les gens disent que notre matériel de défense est une jungle, car il provient de partout. Je ne suis pas soldat, mais j’estime qu’il est important d’utiliser tout le matériel dont nous disposons dans le cadre de nos tactiques.

Lorsque nos partenaires nous fournissent n’importe quelle sorte de matériel, nous essayons de l’intégrer dans notre système.

Le sénateur Harder : Avez-vous discuté de cela avec les Américains au sujet des missiles Tomahawk?

M. Plakhotniuk : Oui, nous l’avons certainement fait, et nous avons parlé de capacités de frappe en profondeur. Nous en avons discuté, et le président en a fait état publiquement. Ces capacités sont importantes, mais en fin de compte, il ne s’agit pas seulement de cela, mais aussi des systèmes Patriot. Nous voulons acheter des systèmes Patriot avec le soutien de nos partenaires. Nous sommes en pourparlers avec nos alliés allemands afin d’obtenir leurs capacités et leur matériel de défense. Ces efforts sont constants, et nous continuerons de présenter de nouveaux arguments afin d’obtenir tout ce dont nous avons besoin.

Le sénateur Harder : Puis-je vous interroger au sujet des discussions en cours avec les Américains? Envisagez-vous d’avoir une rencontre présidentielle avec le président Poutine dans un avenir proche?

M. Plakhotniuk : Je ne peux que me référer à ce que les sources officielles américaines ont déclaré à ce sujet, à savoir que la réunion et la diplomatie doivent être préparées et aboutir à des résultats concrets et positifs afin que les membres et les équipes puissent mettre les mesures en œuvre.

À partir de maintenant, Poutine va essayer de mettre à profit ce temps et de vendre de nouveaux produits, mais franchement, je ne crois pas que cette rencontre aura lieu dans un avenir proche.

Le sénateur Harder : Je vous remercie de vos réponses.

Le sénateur Adler : Tout le monde ici vous respecte en tant que diplomate professionnel, mais tout le monde ici éprouve de la compassion pour vous parce que vous êtes ukrainien.

La question que je vous pose, monsieur, dépasse le cadre diplomatique. Elle concerne votre cœur d’Ukrainien. Personne ne doute que le président Poutine souhaite reconstituer l’ancienne Union soviétique, y compris chaque centimètre carré du territoire ukrainien. Pensez-vous ou sentez-vous dans votre cœur que le président Poutine a changé d’avis quant à son désir de s’emparer de chaque centimètre carré du territoire ukrainien?

M. Plakhotniuk : Sénateur, à mon humble avis, il tente de reconstituer l’Empire russe. Deuxièmement, quoi qu’il arrive — car j’ai traité avec la Russie de 2014 à 2020 —, personne en Ukraine n’échangera jamais nos territoires. Malgré toutes les difficultés, l’armée restera forte sur le champ de bataille, dans les tranchées et sur la ligne de front. Il s’agit de nos enfants, de nos parents et de nos petits-enfants. C’est une question existentielle pour nous.

Il va continuer. Il ne s’arrêtera pas — je veux parler de Poutine. Pour lui, la réussite de l’Ukraine — je veux dire sa réussite en tant que pays démocratique, libre, indépendant et prospère, constitue une menace existentielle pour son peuple et son régime. Nous continuerons donc à résister. Nous l’avons démontré tout au long de ces années, et nous continuerons de le faire.

Nous compterons bien sûr sur nos partenaires internationaux, mais ce qu’il est important de mentionner maintenant, et ce que nous faisons réellement à l’heure actuelle, c’est que nous sommes en train de passer du statut de bénéficiaire net d’une aide généreuse à celui de fournisseur de connaissances et de technologies et de partenaire prêt à partager son expérience quant à la manière de faire face à des difficultés non seulement militaires et sécuritaires, mais aussi économiques et culturelles, des difficultés liées à la désinformation et bien d’autres choses encore.

Le sénateur Adler : Du fond de notre cœur canadien, nous vous aimons beaucoup. Nous aimons le peuple ukrainien, et nous vous souhaitons tout le succès possible. Nous ferons tout en notre pouvoir pour vous aider.

M. Plakhotniuk : Merci beaucoup, cher sénateur. Nous éprouvons les mêmes sentiments envers le Canada et les Canadiens.

Le président : Merci. Vos paroles sont appropriées et émouvantes.

La sénatrice Patterson : Je vous remercie de me donner l’occasion de poser une question.

Monsieur l’ambassadeur, c’est toujours un plaisir de vous voir. Nous avons beaucoup parlé du matériel militaire, mais nous savons que cette guerre a un coût pour le peuple ukrainien : pour vos soldats, vos blessés, vos anciens combattants, vos familles et vos enfants. Pouvez-vous nous indiquer vos priorités en matière de soutien dans le domaine sanitaire et psychosocial? Quelles sont vos priorités?

M. Plakhotniuk : Chère sénatrice, je vous remercie beaucoup de votre question. En ce qui concerne nos priorités les plus urgentes sur le plan médical ou sur le plan des questions ou des affaires relatives aux anciens combattants, la gravité des défis est absolument énorme, car nous faisons face à une pénurie de personnel. Nous discutons avec nos partenaires du développement des capacités, et en ce qui concerne les soins et les problèmes relatifs aux anciens combattants, nous composons avec environ 1,5 million d’anciens combattants depuis 2014, et nous prévoyons qu’il y en aura entre cinq et six millions lorsque la guerre sera terminée.

L’éventail des problèmes et des défis à relever est extrêmement vaste, car nous devons commencer par les prothèses, l’intégration économique et sociale, ainsi que la réadaptation médicale, psychologique et physique. D’autres questions très importantes se posent également, telles que la manière de les intégrer dans la société et de soulager la douleur de leurs familles. Il s’agit d’un problème très complexe, et nous cherchons activement à établir des partenariats dans ce domaine.

Nous avons déjà mis en place de tels partenariats, mais nous allons les renforcer afin d’intensifier la coopération en matière de développement des capacités et de mise en œuvre de projets particuliers, non seulement ici, au Canada, dans le cadre d’accords bilatéraux, mais aussi en Europe ou en Asie avec la participation de pays tiers aux vues similaires. Cette question est également prioritaire pour nous.

La sénatrice Patterson : Merci beaucoup. Une chose est sûre : aussi horrible que soit la guerre, elle nous permet d’apprendre beaucoup de choses sur le plan médical et sanitaire, notamment sur la manière de mieux prendre soin de nous tous. Vous avez évoqué précédemment le partage d’expériences. Je me demande dans quelle direction l’Ukraine s’engage du point de vue de la recherche et de la collecte de données, afin que nous puissions commencer à tirer des enseignements à mettre en commun et apprendre à mieux nous préparer, au cas où nous ferions également face au même type d’agression.

M. Plakhotniuk : En ce qui concerne la collecte de données, il y a bien sûr différents projets qui sont mis en œuvre grâce au soutien financier et à la contribution intellectuelle de tous nos partenaires. Mais en ce qui a trait aux expériences pratiques que nous partageons, je sais que de nombreuses délégations à divers échelons viennent en Ukraine ou que nos partenaires internationaux nous invitent à leur rendre visite. Nous partageons alors nos expériences.

Ce qui importe encore plus, c’est que ces expériences soient transposées dans des manuels très pratiques, qui sont traduits puis mis en œuvre concrètement soit dans les forces armées, soit dans des centres de réadaptation. Nous continuerons à le faire, mais nous devons trouver un moyen de donner un nouvel élan à ces efforts et d’intensifier la recherche dans ce domaine. Pour ce faire, il est certain que nous avons besoin de ressources.

Le président : Je vous remercie, monsieur l’ambassadeur.

La sénatrice M. Deacon : Je vous remercie de l’occasion qui m’est donnée de vous interroger. Nous avons entendu parler un peu des familles, de la santé et des enfants. J’aimerais vous poser quelques questions supplémentaires au sujet des jeunes Ukrainiens qui se trouvent actuellement dans différentes régions de Russie. Nous avons entendu parler de chiffres élevés. Nous avons également entendu dire que Melania Trump allait collaborer avec Poutine pour aider les enfants déplacés, ce que je trouve très troublant, ne serait-ce que par le choix des mots utilisés à cet égard, mais au moins, cela nous rappelle l’existence de ces jeunes.

Je me demande si vous avez aujourd’hui une idée du nombre total des enfants disparus et de leurs chances de retour, ou si vous pouvez nous donner d’autres informations à ce sujet. Les chiffres avancés dans les reportages varient considérablement.

M. Plakhotniuk : C’est l’un des problèmes les plus douloureux pour les Ukrainiens, car selon notre enquête et les forces de l’ordre, jusqu’à 20 000 enfants ont été enlevés. En d’autres termes, ils ont été kidnappés. Ce problème est très difficile à résoudre. Pourquoi? Parce qu’ils modifient les données biométriques. Ils obligent des familles à adopter ces enfants, et ils changent leurs noms et tout le reste. Ces enfants se trouvent partout en Russie.

Une autre difficulté à cet égard est certainement liée au fait qu’ils cachent ces informations. Nous travaillons non seulement avec des gouvernements — et nous sommes bien sûr reconnaissants au Canada du leadership fort dont il fait preuve au sein de la Coalition internationale pour le retour des enfants ukrainiens —, mais nous sommes aussi reconnaissants à tous nos partenaires de tous les continents des bons services qu’ils nous rendent lorsqu’il s’agit de discuter avec les Russes de la manière de ramener nos enfants dans leur patrie. Ce sont nos enfants, et nous nous battrons jusqu’à ce que nous les ayons tous ramenés.

Un autre défi à cet égard est aussi lié au fait que certaines institutions, en particulier les institutions privées, ont désormais désespérément besoin de fonds, qui sont investis dans toutes les technologies et la recherche possibles, pour tenter de localiser les enfants en Russie. Cet enjeu est très complexe, mais je le répète, nous avons besoin d’unité, d’une pression continue, d’une attention permanente et d’un niveau élevé de sensibilisation de la part de tous nos partenaires. Ces questions sont vraiment cruciales pour l’Ukraine et pour le monde extérieur.

La sénatrice M. Deacon : Je vous remercie.

Le sénateur Woo : Bonjour, monsieur l’ambassadeur. À la suite de la rencontre entre le président Zelensky et le président Trump, l’Union européenne a mis en place un programme d’aide d’urgence pour aider l’Ukraine, si j’ai bien compris, à acquérir du matériel militaire qu’elle n’aurait pas pu obtenir autrement. L’idée est-elle donc que cet argent serve essentiellement à acheter du matériel auprès des Européens qui ne le fourniraient pas gratuitement, ou que cet argent serve à acheter du matériel auprès des Américains qui ne le fourniraient pas autrement?

M. Plakhotniuk : Après la rencontre entre le président Zelensky et le président Trump, nous avons tous pu constater que les dirigeants européens s’étaient tous prononcés fermement en faveur de la paix pour l’Ukraine, en soutenant l’engagement du président Trump à parvenir rapidement à un cessez-le-feu. D’autre part, des messages clairs ont été transmis concernant l’intégrité territoriale de l’Ukraine et sa souveraineté. Nous sommes désormais prêts à travailler avec nos partenaires à la mise au point de divers mécanismes qui nous permettraient d’obtenir ce que nous voulons. Si certains de nos partenaires estiment qu’ils ne sont plus disposés à fournir cette aide sous forme de dons généreux, nous continuerons à travailler avec eux afin d’obtenir cet équipement en utilisant différents types de crédits, comme le crédit-bail et d’autres moyens, et nous demanderons certainement à d’autres partenaires européens de nous soutenir dans cette démarche.

Nous avons besoin d’armes efficaces et d’une défense solide pour l’Ukraine, alors nous travaillerons avec l’Europe et les États-Unis en utilisant différents mécanismes.

Le sénateur Woo : Est-il vrai que les Américains ne sont pas disposés à fournir certains systèmes d’armes à moins qu’ils ne soient achetés et payés, si je peux m’exprimer ainsi?

M. Plakhotniuk : Il existe un certain nombre d’équipements de défense qui ne sont produits que par les États-Unis. Il est certain que nous avons accès à de solides producteurs européens et asiatiques de matériel de défense, mais nous savons ce dont nous avons besoin. Nous avons l’expérience de l’utilisation de ces armes, et nous sommes prêts à faire part de nos commentaires à l’industrie de la défense. Nous en avons discuté avec nos partenaires qui disposent de ces systèmes d’armes.

Le sénateur Woo : Je vous remercie.

Le sénateur Wilson : Votre Excellence, je suis intrigué par la machine de propagande russe et nous avons parlé de nombreux aspects de la guerre. Il me semble que tant que le peuple russe ne se soulèvera pas et ne se révoltera pas contre Poutine et ses actions, il nous sera très difficile de sortir de cette impasse. Je voudrais savoir si vous avez réussi à percer la machine de propagande et dans quelle mesure le peuple russe comprend réellement ce qui se passe. Peut-on faire davantage pour contrer la campagne de désinformation?

M. Plakhotniuk : Tout d’abord, la désinformation est également liée à la cybersécurité. Chaque jour, nous subissons des cyberattaques contre nos infrastructures. Nous apportons un soutien technique et financier à nos partenaires. Nous parvenons à contrer les menaces, mais il faut une coordination et une coopération solides.

En ce qui concerne la société russe et sa réaction aux lourdes pertes qu’a subies son armée, elle a perdu plus d’un million de personnes dans cette guerre d’agression. Franchement, nous ne voyons pas beaucoup de rassemblements pour la paix ni de manifestations pour que Poutine mette fin à cette guerre. C’est l’élément que nous devons prendre en considération : à ce jour, le nombre de victimes et les problèmes liés à l’économie et au soutien social apporté à la population n’ont pas donné lieu à des manifestations contre la guerre. Cela ne se produit pas.

Pour ce qui est de notre accès à la population de la Russie, nous faisons tout notre possible pour que nos messages soient diffusés dans les territoires temporairement occupés afin que nos citoyens reçoivent notre information et comprennent que nous travaillons vraiment dur pour obtenir la paix et ramener tous ces territoires dans notre pays. C’est très difficile parce que les Russes prennent des contre-mesures et cherchent à contrer notre influence. Il est certain cependant que cette démarche nécessite, une fois encore, d’importantes contributions financières et une attention permanente de toutes les organisations concernées partout dans le monde. C’est un problème qui nous touche tous.

Je dirais que dès qu’ils trouvent notre point faible — à savoir notre manque de coordination —, les Russes essaient de s’en servir pour diffuser de la fausse information afin d’envoyer des signaux et de faire en sorte que nous ne soyons pas unis. Il est absolument essentiel et crucial pour nous tous — ici, en Europe et en Asie — de faire preuve d’unité quand il s’agit de faire respecter le droit international et de dénoncer haut et fort ce qui se passe en Ukraine, cette guerre d’agression, les souffrances et le sort des gens ordinaires.

Le président : Merci. Nous arrivons à la fin de la première série de questions, mais je vais user de mon privilège en tant que président pour poser une question à mon tour, monsieur l’ambassadeur.

Dans cette salle, un certain nombre de collègues et de personnes ont de l’expérience dans la préparation de réunions internationales de haut niveau. Vous avez ici une ambassade qui travaille très fort. Comme beaucoup de vos homologues dans le monde, vous comparaissez devant des assemblées législatives comme la nôtre. Bien sûr, votre président doit constamment se rendre à des sommets ou recevoir des dirigeants à Kiev.

Quelle est la situation de votre ministère des Affaires étrangères? On dirait que vous fonctionnez à 200 % en permanence. Avez-vous une relève et recrutez-vous d’autres personnes pour vous aider? Qu’en est-il du fonctionnement à l’interne et de l’esprit de corps?

M. Plakhotniuk : Monsieur le président, nous sommes des ambassadeurs en temps de guerre. En ce qui concerne le ministère des Affaires étrangères et le service et la présence diplomatiques, tout est organisé en fonction du contexte de guerre. Bien sûr, pour ce qui est de la main-d’œuvre et des moyens que nous avons et que nous pouvons utiliser, nous devons trouver, et nous essayons de le faire, chaque personne, en particulier des jeunes, pour qu’elle contribue aux efforts et apporte des idées nouvelles et brillantes à notre structure.

Certes, c’est parfois très difficile, mais en même temps, ici, à Ottawa, et partout ailleurs, nous comprenons que nos collègues qui sont à Kiev passent leurs nuits — et pas seulement leurs nuits — dans des abris. Ils donnent des instructions. Ils sont dévoués. Nous n’avons pas d’autre moyen d’utiliser les maigres ressources dont nous disposons pour obtenir les meilleurs résultats possibles. Il s’agit de nous et de nos familles. C’est difficile, mais nous parvenons à être à la hauteur et nous réussirons certainement à surmonter les obstacles. Mais, nous travaillons avec de jeunes étudiants. Le ministre voyage partout et essaie d’apporter du sang neuf au ministère et de nouvelles idées.

Le président : Merci beaucoup.

Le sénateur Kutcher : Merci beaucoup encore une fois. Je vais changer un peu le sujet de la discussion. Je crois comprendre qu’un certain nombre de citoyens ukrainiens qui sont détenus illégalement — qui ne sont pas des combattants — font partie de la catégorie des prisonniers qui nécessitent des soins médicaux immédiats. Ce sont des prisonniers politiques qui ont été torturés et enlevés par les forces russes. Que peut faire le Canada pour sensibiliser la communauté internationale à ce problème complexe? Y a-t-il quelque chose que le Canada puisse faire pour contribuer à le résoudre?

M. Plakhotniuk : Cher sénateur, il s’agit là d’une autre pratique ignoble que nous observons depuis 2014. On parle ici de détenus civils, mais j’utilise parfois le terme « otages ». Ces personnes sont donc détenues. Aucune organisation internationale, aucun bénévole au courant de la situation ne peut entrer en contact avec elles. Nous nous battons depuis 11 ans maintenant pour qu’elles puissent bénéficier de services médicaux, rentrer chez elles et recevoir des soins.

Ce que peuvent faire nos partenaires et amis ici présents, ainsi que les politiciens canadiens, c’est participer à cette campagne de sensibilisation afin de tenter de renforcer l’unité et d’envoyer le message que nous n’avons pas oublié ces personnes. C’est très difficile. Il est certain que les autorités russes ne répondront pas. Mais, en même temps, dans cette situation, il faut intensifier la pression et signaler régulièrement qu’il s’agit d’un problème grave et que ce sont des civils — ce ne sont pas des combattants ou des prisonniers de guerre. Ils doivent être libérés immédiatement. Par ailleurs, nous devons parler de l’accès des organisations internationales — qu’il s’agisse de la Croix-Rouge ou d’autres organisations. Plus nous en parlons, plus nous avons de chances que ces gens soient finalement libérés, vivants, espérons-le.

Le sénateur Kutcher : Merci.

Le sénateur Al Zaibak : Moi qui ai suivi de près les deux conflits et beaucoup d’autres, je ne peux m’empêcher de remarquer certaines similitudes entre la guerre en Ukraine et la guerre en Syrie qui l’a précédée et qui s’est prolongée pendant 10 ans à cause de l’intervention russe. Je parle en particulier de l’intervention militaire directe de la Russie, des bombardements aériens aveugles et du ciblage délibéré de civils et d’infrastructures visant à briser le moral de la population.

De votre point de vue, comment l’Ukraine comprend-elle le comportement opérationnel de la Russie compte tenu de la façon dont elle a agi en Syrie? Pensez-vous que ses tactiques de guerre prolongée et, par exemple, de ciblage systématique des hôpitaux, des réseaux énergétiques et des zones résidentielles, se répètent en Ukraine?

M. Plakhotniuk : Oui, sénateur. Je pense que les Russes utilisent le même message depuis des siècles. Une guerre absolument barbare, de nombreuses atrocités, du sang et de la souffrance, voilà comment nous pouvons caractériser leurs efforts militaires.

Nous comprenons très bien ce qui se passe. Je pense que ce qu’ils vont faire, c’est essayer de détourner l’attention de la communauté internationale de la guerre en Ukraine et tenter de créer des conflits partout dans le monde afin que l’attention se porte de plus en plus sur d’autres régions.

Parfois, ils créent des crises, puis ils proposent leurs services pour agir en tant que médiateurs. C’est évident. Ils appuient les efforts visant à semer le chaos et à faire d’autres choses, puis ils disent « nous pouvons résoudre le problème, parlez-nous ».

Nous le constatons. Nous travaillons avec des partenaires qui le constatent également. Nous y travaillons. Bien sûr, l’idée centrale est de faire tout en notre pouvoir pour que la Russie cesse de faire ce qu’elle fait en Ukraine et ailleurs. Si elle est présente quelque part, nous pouvons nous attendre à ce que quelque chose de très grave se produise à l’avenir.

Le président : Merci.

La sénatrice Coyle : Je vais changer un peu de sujet, monsieur l’ambassadeur, pour parler de la situation humanitaire dans le pays.

Lors de notre séance d’information, on nous a dit que selon les estimations du Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU, 13 millions d’Ukrainiens, soit environ un tiers de la population du pays, avaient besoin d’une aide humanitaire. Pourriez-vous nous expliquer la nature des besoins à cet égard? Quel type d’aide humanitaire est nécessaire? Qui aide à la fournir? Êtes-vous en mesure de l’apporter aux personnes qui vivent dans les zones occupées par la Russie? Quelle est la situation dans ces zones et à la ligne de front également?

M. Plakhotniuk : La guerre a provoqué le déplacement de personnes à l’intérieur du pays, dont beaucoup ont dû quitter leur foyer, qui, dans de nombreux cas, a tout simplement été détruit. Elles ont dû s’installer temporairement dans d’autres territoires considérés comme relativement sûrs. Or, aujourd’hui, des missiles russes atteignent parfois même les régions de l’Ouest de l’Ukraine.

Il est certain que les nombreux problèmes auxquels nous sommes confrontés et que nous essayons de résoudre avec nos partenaires concernent en premier lieu les établissements d’enseignement, le logement et les occasions d’affaires, soit les problèmes quotidiens. Les régions sont désormais mieux préparées à accueillir les nouveaux Ukrainiens qui proviennent des zones proches du champ de bataille, mais il est indéniable que les difficultés sont très importantes.

Pour ce qui est de l’aide, des organisations des Nations unies sont à pied d’œuvre en Ukraine. Il arrive parfois qu’on les prenne pour cible avec des drones russes pour semer le chaos et les empêcher de poursuivre leurs activités en Ukraine. Toutefois, le fait est que nous devons réunir des fonds pour soutenir ces organisations dans leur travail. Je parle de la Croix-Rouge, du Programme alimentaire mondial et d’autres organisations. Elles sont présentes.

En ce qui concerne les territoires temporairement occupés, je peux affirmer avec certitude que nous n’y avons pas accès, que nos organisations humanitaires n’y ont pas accès et qu’elles ne peuvent pas entrer en contact avec les personnes qui ont besoin de l’aide en question. Parfois, des gens parviennent à communiquer avec leurs proches dans les territoires temporairement occupés ainsi qu’avec d’anciens collègues. Cela s’avère parfois très utile pour le retour de personnes de territoires occupés. Cependant, l’accès est très limité et je ne pense pas que les Ukrainiens qui vivent dans les territoires temporairement occupés aient reçu une quelconque aide de façon régulière.

[Français]

La sénatrice Gerba : Monsieur Plakhotniuk, j’aimerais savoir une chose : compte tenu de la désinformation russe, quel est l’état psychologique des jeunes? Comment réagissent-ils par rapport à cette désinformation? Quelles sont leurs motivations aujourd’hui? Quel est l’état d’esprit de la jeunesse ukrainienne aujourd’hui?

[Traduction]

M. Plakhotniuk : La jeunesse ukrainienne continue à étudier et à trouver sa place dans cette vie très difficile qu’elle mène en Ukraine. C’est une très dure période.

Quand nous parlons de désinformation, nous n’avons pas commencé à agir hier ou il y a deux ans. Nous avons commencé à cibler les médias russes, qui ne sont pas des médias tels que nous les concevons. Ce sont des machines de propagande. Nous les avons ciblés par des sanctions dès 2015. Nous avons commencé à travailler avec détermination et à réduire leur influence non seulement sur les Ukrainiens ordinaires, mais aussi, en particulier, sur les enfants et les adolescents.

Il est certain que presque tous les Ukrainiens ont des proches — des parents, des frères et, de manière générale, des membres de leur famille — qui combattent sur le champ de bataille. De nombreuses familles ont perdu des proches à cause de cette guerre. Mais, bien sûr, nous sommes confrontés à de nombreuses difficultés.

L’une des difficultés pour ce qui est des jeunes, c’est de leur donner plus de possibilités de s’instruire. L’éducation, c’est très important. Ils doivent étudier en ligne et dans des abris. À cause de cette guerre, on manque de professeurs et d’enseignants qualifiés. Bon nombre d’entre eux, en particulier les femmes, ont quitté l’Ukraine pour sauver la vie de leurs enfants. C’est le genre de difficultés que nous essayons très fort de résoudre : comment accroître les connaissances et adopter de nouvelles méthodes.

Un autre enjeu qui fait l’objet de sérieuses discussions en Ukraine, c’est que la manière dont les élèves et les étudiants réussissent leur scolarité ne suffit absolument pas pour leur permettre de trouver leur place dans la vie. Les problèmes sont nombreux, mais en Ukraine, tous les ministères et toutes les personnes qui les dirigent doivent relever de nombreux défis chaque jour.

Ils doivent régler des problèmes liés aux écoles, au chauffage, au recrutement de professionnels, à la recherche de logements et à l’accès à l’éducation pour nos enfants. C’est également très difficile, mais nous y travaillons. Une fois encore, c’est bien sûr possible grâce au soutien et à la solidarité de nos partenaires — non seulement les initiatives gouvernementales, mais aussi les initiatives privées sont très importantes.

Le président : Merci.

Le sénateur Harder : Merci, monsieur l’ambassadeur. Je voudrais revenir sur l’une de vos remarques au sujet des membres de la diaspora ukrainienne qui vivent dans les pays voisins. On a rapporté que les gouvernements des pays d’accueil, et peut-être même les sociétés d’accueil, manifestaient de plus en plus de frustration en raison de la durée de la situation. Pourriez-vous nous donner quelques renseignements sur l’état des relations bilatérales avec certains de vos voisins? Je pense en particulier à la Hongrie et à la Pologne, mais je vous invite à faire tout commentaire que vous jugerez utile. Il est assez particulier que vos voisins soient également nos alliés au sein de l’OTAN et que nous devions être sur la même longueur d’onde.

M. Plakhotniuk : Lorsque le président Zelensky est entré en fonction en tant que chef d’État, l’une des principales tâches qu’il a confiées à son équipe diplomatique, et notamment au ministre des Affaires étrangères, était d’entretenir de bonnes relations avec tous nos voisins européens. Nous y travaillons sans relâche. Nous n’avons pas d’autre choix que de collaborer avec nos voisins, car les relations avec eux sont primordiales pour nous.

En ce qui concerne la Pologne, la Hongrie et la Slovaquie... Nous avons d’ailleurs eu une excellente discussion il y a quelques jours. Notre première ministre s’est rendue en Slovaquie et il faut dire que nous avons discuté de diverses questions qui ont abouti à un certain nombre de mesures économiques et d’accords très concrets qui produiront des résultats tangibles pour la population, comme différents projets concernant les infrastructures énergétiques, le soutien des liaisons transfrontalières, etc.

Nous travaillerons avec la Pologne à cet élément important de notre histoire commune. C’est à la fois important et difficile, mais nous sommes prêts à surmonter les difficultés et à apporter de nouveaux arguments. De plus, je pense pouvoir affirmer que durant toutes ces années, nous avons toujours travaillé de manière très constructive, qu’il s’agisse de la présidence, du gouvernement, des institutions, de la société civile ou des scientifiques. Il faut discuter de la question. Il faut l’examiner, mais nous devons bien comprendre que nous sommes confrontés aux mêmes menaces, auxquelles nous devons être prêts à faire face, car ces menaces ne viennent pas de l’Ukraine. Elles viennent de la Russie.

Le sénateur Harder : Est-ce aussi une menace pour le premier ministre Orbán?

M. Plakhotniuk : Sénateur, à titre de fonctionnaire du service extérieur depuis près de 30 ans — excusez-moi de me citer moi-même — je peux vous dire que nous travaillerons avec eux. Nous ouvrirons de nouvelles routes commerciales. Nous mettrons en place une nouvelle coopération transfrontalière. Parallèlement, nous travaillerons avec les minorités nationales dans notre pays, en leur offrant l’égalité des chances. Nous verrons ce qui se passera. Ces défis ne nous font pas peur. Nous travaillerons avec eux. La Hongrie est très importante, comme tous nos voisins. Il faut, pour la cause ukrainienne et notre future adhésion à l’Union européenne et à l’OTAN, que tous les pays voisins de l’Ukraine soient solidaires. Nous ferons le travail qui s’impose. C’est pour cela que nous sommes payés, je veux dire que c’est pour cela que les diplomates sont payés.

Le président : Merci beaucoup, monsieur l’ambassadeur. Vous avez très bien répondu à la question du sénateur Harder et votre réponse a réveillé chez certains d’entre nous une certaine nostalgie.

Monsieur l’ambassadeur, au nom du comité, je tiens à vous remercier sincèrement d’avoir été des nôtres aujourd’hui. Nous avons été honorés de votre présence. Je tiens à vous remercier d’avoir répondu à nos questions. Nous vous souhaitons bonne chance dans votre affectation au Canada. Cette bonne chance s’accompagnera d’une invitation à revenir nous voir. Je vous remercie une fois de plus.

M. Plakhotniuk : Monsieur le président, honorables sénateurs, je suis très honoré et privilégié de m’adresser à ce comité distingué. Je suis disposé, 24 heures sur 24, sept jours sur sept, chaque fois que vous aurez besoin de moi, à venir vous faire part de nos observations et de nos impressions personnelles sur ce qui se passe en Ukraine et sur ce que nous faisons pour poursuivre la lutte pour notre indépendance et notre dignité. La liberté et la dignité étant deux mots qui caractérisent les Ukrainiens.

Le président : Je vous remercie.

[Français]

Chers collègues, pour notre deuxième groupe, nous accueillons des représentants d’Affaires mondiales Canada : Alexandre Lévêque, sous-ministre adjoint, Secteur de l’Europe, du Moyen-Orient et de l’Arctique, et M. Martin Larose, directeur général, Direction générale de la politique de sécurité internationale et des affaires stratégiques.

[Traduction]

Monsieur Lévêque, nous sommes heureux de vous revoir. Vous avez souvent témoigné devant notre comité. Je pense que nous vous accueillerons souvent ici à titre de témoin sur différentes questions. Je suis heureux de vous revoir. Monsieur Larose, vous occupez un nouveau poste et venez donc tout juste de prendre vos fonctions. Je vous invite à faire vos déclarations liminaires. Monsieur Lévêque, vous avez la parole.

Alexandre Lévêque, sous-ministre adjoint, Secteur de l’Europe, du Moyen-Orient et de l’Arctique, Affaires mondiales Canada : Merci beaucoup de votre accueil chaleureux. Je suis toujours heureux de participer aux réunions de ce distingué comité. Monsieur le président, honorables sénateurs, je tiens tout d’abord à vous remercier de me donner l’occasion de m’exprimer aujourd’hui sur la situation en Ukraine et l’intervention en cours du Canada.

[Français]

L’invasion à grande échelle de la Russie est dans sa quatrième année et cela fait maintenant plus de 10 ans que la Russie a déclenché ce conflit brutal.

La situation en Ukraine demeure critique. Les forces russes poursuivent leur avancée lente, mais dévastatrice. Les frappes russes par drones et missiles ont fortement augmenté depuis le mois de juin, et les dernières semaines ont vu une nette intensification des attaques contre les infrastructures énergétiques de l’Ukraine. Le bilan humanitaire est accablant.

[Traduction]

L’année 2025 a été marquée par des efforts visant à amener les parties à la table des négociations. Or, ces négociations n’ont pas encore abouti à une cessation des hostilités. Alors que l’Ukraine a accepté un cessez-le-feu inconditionnel, la Russie n’y a pas donné son accord et continue de formuler des exigences maximalistes qui vont à l’encontre du droit international.

[Français]

La position du Canada reste sans équivoque : nous soutenons fermement l’Ukraine dans sa lutte pour la souveraineté et l’intégrité territoriale ainsi que sa sécurité à long terme face à une éventuelle future agression de la Russie. Notre engagement repose sur les principes de l’ordre international fondé sur des règles et sur la conviction que la paix doit être juste, durable et fondée sur la responsabilité.

[Traduction]

Depuis 2022, le Canada figure régulièrement parmi les principaux donateurs. Le gouvernement a engagé près de 22 milliards de dollars dans une aide multidimensionnelle, notamment une aide financière, militaire et humanitaire, ainsi qu’une aide au rétablissement et à la reconstruction, à la sécurité et à la stabilisation, ainsi qu’à l’immigration. Le Canada fournit une aide essentielle aux populations déplacées, aux communautés touchées par la guerre et aux organisations de la société civile qui travaillent sur le terrain. À l’heure actuelle, nous accordons la priorité au soutien dans le domaine de l’énergie, à la gouvernance démocratique, à la protection sociale et à la croissance économique.

Au cours des derniers mois, le Canada a accru de façon considérable le soutien qu’il apporte. Lors du sommet du G7 à Kananaskis, le premier ministre Carney a annoncé un soutien supplémentaire, dont la dernière tranche de notre prêt de 5 milliards de dollars pour la reconstruction — financé par les intérêts sur les actifs russes gelés —, et 2 milliards de dollars pour de l’équipement militaire, comme des technologies de pointe pour l’utilisation de drones et la lutte contre les drones, des systèmes de défense aérienne et des initiatives de production conjointes entre les industries canadiennes et ukrainiennes.

Le Canada déploie également des efforts pour traiter de la dimension humaine de la guerre. Nous coprésidons la Coalition internationale pour le rapatriement des enfants ukrainiens et le Groupe de travail sur la libération des prisonniers et des personnes expulsées, situé à Kiev. Ces initiatives sont des mesures essentielles pour rétablir la confiance et des impératifs humanitaires. Le mois dernier, le président Zelensky et le premier ministre Carney ont organisé conjointement une réunion de haut niveau de la coalition en marge de l’Assemblée générale des Nations unies, au cours de laquelle plus de 50 délégations ont réaffirmé leur engagement envers ces efforts.

[Français]

Nous continuons de soutenir le cheminement de l’Ukraine vers l’adhésion à l’Union européenne et son intégration euro-atlantique, et nous restons actifs dans les forums multilatéraux, notamment le G7, l’OTAN et la Coalition des volontaires. Le Canada s’est engagé à fournir une assistance militaire évolutive à l’Ukraine après la mise en place d’un cessez-le-feu, et nous travaillons en étroite collaboration avec nos partenaires internationaux pour garantir que les efforts de reconstruction soient transparents, inclusifs et en accord avec les aspirations européennes de l’Ukraine.

Finalement, le Canada renforce les sanctions contre la Russie, ciblant plus de 200 navires et des dizaines d’entités qui aident Moscou à contourner les sanctions. Ces mesures visent à affaiblir davantage la capacité de la Russie à soutenir sa machine de guerre.

[Traduction]

En conclusion, le soutien du Canada à l’Ukraine ne vise pas seulement à défendre les frontières; il vise aussi à défendre des valeurs. Nous demeurons résolus à aider l’Ukraine à remporter la victoire, à se reconstruire plus forte et à consolider un avenir fondé sur la paix, la démocratie et la résilience. Merci, monsieur le président.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Lévêque. Nous allons commencer la série de questions. Chers collègues, comme tout à l’heure, je vous prierais de formuler des questions concises. Vous disposerez de trois minutes.

Le sénateur Kutcher : Je vous remercie de votre présence parmi nous. Je partage votre avis, monsieur Lévêque : le soutien que le Canada apporte à l’Ukraine est très bien accueilli. Mes proches à Kiev me le répètent souvent. Nous le reconnaissons.

Je me demande comment se déroule la saisie des actifs de M. Abramovich. Quand les utilisera-t-on pour soutenir l’Ukraine? Voici la deuxième partie de la question : Politico vient d’annoncer que les dirigeants de l’Union européenne s’apprêtent à demander à la Commission européenne d’utiliser les milliards en actifs gelés de l’État russe — cela a été rendu public aujourd’hui — et qu’elle ne s’y opposera pas. Je me demande ce que fait le Canada sur deux fronts. Le premier concerne sa contribution visant à débloquer les actifs russes gelés afin de les utiliser pour soutenir l’Ukraine. Le second a trait au fait que les banques canadiennes, sauf erreur, détiennent et contrôlent près de 22 milliards de dollars en actifs russes gelés. Que se passe-t-il dans ce dossier?

M. Lévêque : Je vous remercie de la question. À propos du premier élément de votre question qui porte sur la société de Roman Abramovich, dont les actifs ont été saisis, je crois que cette transaction financière s’élève à 23 ou 26 millions de dollars. À l’heure actuelle, on suit des procédures juridiques. Nous avons toujours su — avec cette nouvelle mesure législative mise en place il y a trois ans, qui permet non seulement le gel, mais aussi la saisie et la confiscation d’actifs — qu’il y aurait probablement de longs processus juridiques, des révisions judiciaires et des contestations.

Nous sommes rendus à cette étape. J’aimerais pouvoir dire que nous obtiendrons des résultats rapidement, mais, notre pays étant fondé sur l’État de droit, nous devons suivre des procédures juridiques. C’est ainsi. Je suis convaincu que les personnes qui revendiquent la propriété de cet argent feront tout en leur pouvoir pour contester la légalité de ces mesures. Le processus est en cours, et il se poursuivra probablement encore pendant un certain temps.

En ce qui concerne les actifs gelés, je tiens à établir une distinction très nette, car, lors de la première heure, entre autres, on a parfois parlé des actifs russes et des actifs souverains russes comme s’ils étaient interchangeables. Il s’agit évidemment de deux choses très différentes. Lorsque nous parlons, par exemple, de l’avion Antonov An-124 qui se trouve à l’aéroport Pearson de Toronto, ou encore des fonds de M. Abramovich, nous parlons d’actifs privés qui sont assujettis à la loi. Nous les avons gelés et essayons de les confisquer et de les redistribuer.

Les actifs souverains russes entrent évidemment dans une catégorie différente. Le fait est que les institutions financières canadiennes ne détiennent que très peu d’actifs souverains russes — je n’ai pas les chiffres exacts, mais il s’agit de dizaines de millions de dollars, certainement pas plus — en comparaison à ceux que l’on trouve dans les banques européennes, notamment, où ils se chiffrent littéralement en dizaines de milliards, voire à plus de 200 milliards de dollars. Nous ne sommes pas du tout dans cette catégorie.

La conversation qui a lieu en ce moment au G7 — surtout parce que c’est là que les ministres des Finances développent la façon de gérer ces actifs — vise à trouver la manière de rallier toutes les parties pour qu’elles acceptent les risques juridiques et trouvent des moyens astucieux, en ayant recours au système financier international, de faire le meilleur usage possible de ces actifs souverains russes.

À titre d’exemple, j’ai mentionné les 5 milliards de dollars provenant du Canada. C’était sur le... Vous êtes sur le point de m’interrompre, monsieur le président.

Le président : Oui, car nous avons dépassé le temps imparti. Votre réponse est si fascinante et si importante que nous y reviendrons, j’en suis sûr.

M. Lévêque : La conclusion s’en vient, je vous assure.

La sénatrice Coyle : Je vous remercie. Vous pouvez terminer ce que vous disiez. Je vous poserai ensuite ma question.

M. Lévêque : Avec plaisir. Je vous remercie, sénatrice. Où en étais-je?

Dans cet exemple, ce sont les intérêts générés par l’investissement du capital de ces actifs souverains russes — je simplifie au maximum, car je ne suis ni économiste ni expert financier — qui ont permis de donner de l’argent à l’Ukraine.

En ce moment, les pays du G7 discutent d’un autre concept qui consisterait à utiliser le capital en attendant que la Russie, contre toute attente, fournisse un jour une réparation intégrale et paye elle-même les dommages causés. Dans ce contexte, les pays européens qui s’exposent à de plus gros risques financiers réfléchissent évidemment beaucoup plus longuement aux mesures qu’ils pourraient prendre.

La sénatrice Coyle : Je vais maintenant poser ma question. Nous parlons d’autres mesures qui pourraient être prises dans le cadre du régime de sanctions. Je voudrais revenir à l’objectif initial de ces sanctions, qui ne consistait pas qu’à financer la reconstruction, mais aussi, entre autres choses, à causer de graves dommages à l’économie russe.

Sait-on à quel point les sanctions ont été efficaces jusqu’à présent? En avez-vous une idée? Avez-vous des preuves?

M. Lévêque : C’est une question à laquelle j’ai essayé de répondre à plusieurs reprises par le passé, notamment lorsque j’étais responsable de la politique des sanctions.

Ma réponse, sénatrice, est oui. Les sanctions sont efficaces dans la mesure où elles ont contraint la Russie à dissocier son économie de la grande majorité, voire de la totalité, des pays occidentaux. À titre d’exemple, elle a été contrainte de s’approvisionner en équipements électroniques de moindre qualité auprès d’autres pays. Les sanctions ont eu une énorme incidence sur la valeur du rouble et ont fait grimper les taux d’intérêt, de sorte que l’économie russe est visiblement affaiblie. Est-elle complètement détruite? Non. Elle continue de fonctionner comme une économie de guerre. La Russie produit et exporte toujours des ressources naturelles qui lui procurent suffisamment de liquidités pour pouvoir continuer à fabriquer des armes et à mener sa guerre.

L’efficacité des sanctions dépend du nombre de pays capables de les mettre en œuvre de façon efficace afin de complètement isoler un autre pays. De toute évidence, ce n’est pas le cas. La Russie a encore quelques partenaires commerciaux. Elle est également passée maître dans l’art de contourner les sanctions, ce qui signifie que ceux d’entre nous qui ont mis en place des régimes de sanctions doivent également être experts dans la détection, la lutte et l’anticipation du contournement des sanctions et dans la mise au point de nouveaux mécanismes pour le limiter.

La sénatrice Coyle : Je vous remercie.

Le président : Merci. Sénatrice, je tiens à préciser que je vous ai donné une minute et 20 secondes de plus, car vous avez fait preuve d’une grande générosité au début.

[Français]

La sénatrice Gerba : Bon retour, monsieur Lévêque. C’est toujours un plaisir de vous retrouver ici.

Je vais parler de la coopération industrielle. Au mois de juin, le ministre français des Armées a annoncé que l’entreprise automobile Renault va s’installer en Ukraine pour fabriquer des drones. Le constructeur automobile va s’associer à une PME spécialisée dans la défense avec des lignes de production sur le terrain. Est-ce un modèle que le Canada envisagerait ou utilise déjà au chapitre de sa coopération avec l’Ukraine?

M. Lévêque : Absolument; merci de la question. Ce dont j’aimerais parler ici, c’est du partenariat qui peut exister entre le secteur privé et le gouvernement. Il est évident que, dans notre économie, ce sont les compagnies privées qui sont à l’origine de la volonté de faire des affaires, qui identifient des occasions d’affaires et ultimement de profits et qui se situent dans certains marchés.

Je tiens à dire que notre service de délégués commerciaux continue de servir les compagnies canadiennes qui veulent faire des affaires en Ukraine. Nous avons une petite délégation de délégués commerciaux, d’employés du gouvernement et du ministère qui travaillent à Kiev. Comme l’ambassadeur dans le groupe précédent l’a dit, étant donné le risque qui existe, autant pour leur sécurité physique que pour leurs investissements, une grande partie de ces arrangements d’affaires se font à l’extérieur du pays. On a aussi une bonne partie de nos délégués commerciaux qui travaillent en Pologne et qui accompagnent ces compagnies. Le fait est que l’appétit des compagnies canadiennes à faire des affaires en Ukraine demeure pour l’instant relativement limité.

Cela dit, il y a des outils qui sont mis à leur disposition. Quand il y a des foires sur la reconstruction — il y en a eu une, par exemple, il y a deux ans en Allemagne, et une cette année en Italie —, on envoie des compagnies canadiennes; on envoie aussi évidemment nos ministres et délégués commerciaux ainsi que des entreprises de la Couronne comme Exportation et développement Canada et la Corporation commerciale canadienne, qui sont là pour faciliter ce genre d’échanges commerciaux, surtout quand il s’agit d’investissements dans le secteur militaire ou d’État à État.

[Traduction]

Le sénateur Harder : J’ai deux questions rapides. Premièrement, que pouvez-vous nous dire au sujet de l’annulation du contrat pour les véhicules remis à neuf? Cela a-t-il été fait en consultation avec l’Ukraine, et pourquoi a-t-on décidé de l’annuler?

Deuxièmement, depuis notre dernière rencontre, Chrystia Freeland a été nommée à un poste... Vous n’en avez pas parlé dans votre mise à jour. Je me demande comment ce rôle évolue, comment il est soutenu et quelles sont les attentes qui s’y rattachent.

M. Lévêque : Merci beaucoup. Je crains n’avoir aucune information à propos de votre première question. Si je ne m’abuse, il s’agit d’un contrat conclu entre la Corporation commerciale canadienne et le fournisseur de services et qui relève du ministère de la Défense nationale. Je n’ai rien d’autre à ajouter à ce sujet, malheureusement.

En ce qui concerne Mme Freeland, elle occupe le poste de Représentante spéciale pour la reconstruction de l’Ukraine. Plusieurs pays ont créé ce poste. Pendant l’administration Biden, c’est Mme Penny Pritzker, une ancienne membre du cabinet, qui assurait ce rôle. On retrouve aussi ce poste dans quelques pays européens partenaires. Les fonctions qui y sont rattachées varient sensiblement d’un pays à l’autre. Je pense que Mme Freeland est en train de définir son rôle alors qu’elle entame son mandat.

En bref, son rôle consistera à repérer des occasions. C’est un peu ce que je disais il y a un instant à propos du secteur privé canadien : il faudra trouver des investisseurs et des spécialistes canadiens, en particulier dans des domaines comme le développement des infrastructures et l’industrie minière.

Le sénateur Harder : Comment est-elle soutenue dans ce rôle?

M. Lévêque : Elle est appuyée par un membre du personnel, et son rôle est soutenu par Affaires mondiales. Concrètement, je crois qu’elle est secrétaire parlementaire du premier ministre. Des membres du Bureau du Conseil privé peuvent donc l’aider sur le plan administratif. Le contenu relève quant à lui de mon équipe.

Le sénateur Harder : Je vous remercie.

La sénatrice Boniface : Merci beaucoup. Pouvez-vous nous donner une idée — du point de vue du Canada — de l’état d’avancement des négociations entre les États-Unis, la Russie et l’Ukraine? Il est très difficile de comprendre ce qui se passe. Peut-être pouvez-vous nous aider à y voir plus clair.

M. Lévêque : Sénatrice, nous sommes deux à ne pas y voir clair. Il est très difficile d’interpréter ou d’anticiper la stratégie de l’administration américaine dans le cadre de ces pourparlers de paix. Nous nous basons en quelque sorte sur les dernières déclarations et faisons de notre mieux, avec les outils dont nous disposons, pour soutenir cette stratégie.

Vous connaissez très bien la position du Canada : nous soutenons l’Ukraine. Nous sommes d’avis que l’intégrité territoriale ne peut faire l’objet de négociations ou de compromis. Cela dit, au bout du compte, nous voulons contribuer à l’aboutissement du processus. Comme je l’ai dit dans ma déclaration liminaire, le président Zelenski est le seul des deux à avoir accédé aux demandes des États-Unis et à d’autres demandes jusqu’à présent. Il a d’abord déclaré que l’on ne pourrait accepter un cessez-le-feu inconditionnel, pour maintenant dire que, oui, on peut le faire pourvu qu’un processus convenable soit mis en place par la suite.

Je le répète, ce que nous pouvons faire, c’est soutenir toute initiative de ce type. La dernière information que j’ai vue — une notification est apparue sur mon téléphone pendant la dernière séance — est que les États-Unis ont annoncé de nouvelles sanctions économiques contre deux producteurs russes de pétrole et de gaz. Cela suggère que l’on durcit le ton à l’égard de la Russie en ce moment précis. Nous suivons la situation à peu près comme vous le faites.

Le président : J’aimerais poser une question complémentaire. Chers collègues, quand je dis que je vais poser une question complémentaire, cela signifie que la liste d’intervenants s’épuise et que nous avons besoin de plus de personnes pour poser des questions. Réfléchissez-y avant que nous passions au deuxième tour.

Pour faire suite à la question de la sénatrice Boniface, le Canada assure la présidence du G7 jusqu’à la fin de l’année, avant de passer le flambeau à la France. Je pense qu’une réunion des ministres des Affaires étrangères est prévue, et elle se tiendra avec la ministre Anand. La dernière sous notre présidence a eu lieu lorsque la ministre Joly était encore en poste.

Est-ce une occasion pour le Canada de faire preuve de leadership par rapport à la Russie et des négociations de paix, compte tenu de la position ambivalente des États-Unis? Je dirais que nos relations avec la Fédération de Russie sont ténues, mais nous sommes de très bons amis de l’Ukraine et pouvons l’aider avec le soutien d’autres alliés et certainement des autres membres du G7. Comme vous avez beaucoup d’expérience dans ce domaine, monsieur Lévêque, j’ai pensé vous poser la question.

M. Lévêque : Merci, monsieur le président. J’aurais été surpris et déçu de ne pas recevoir de question sur le G7 aujourd’hui.

Vous avez tout à fait raison. En fait, je dirais que la situation en Ukraine a non seulement été au centre de toutes les discussions du G7, y compris au niveau ministériel, mais qu’elle a également été l’un des rares sujets sur lesquels nous sommes relativement facilement arrivés à des consensus au cours de notre présidence.

Vous avez raison de dire que la dernière réunion officielle des ministres des Affaires étrangères du G7 sous la présidence du Canada a eu lieu, je crois, au printemps, lorsque Mme Joly était ministre des Affaires étrangères. Il y a toutefois eu plusieurs réunions des ministres des Affaires étrangères du G7 — au moins deux ou trois, je dirais — en marge d’autres événements. La dernière a eu lieu il y a deux ou trois semaines lors de l’Assemblée générale des Nations unies à New York.

À chaque fois, le sujet numéro un est l’Ukraine. À chaque fois, il y a un large consensus sur la manière de faire avancer les choses. Et à chaque fois, l’Ukraine était présente et représentée. Je me suis fixé comme principe de ne jamais dévoiler avant l’heure ce que mes supérieurs pourraient annoncer, mais la prochaine réunion suivra probablement cette même formule, et elle aura lieu les 11 et 12 novembre.

Je dirais que l’occasion de continuer à rassembler les pays existe bel et bien, en soulignant les points communs et la possibilité d’aller plus loin. Je pense que c’est ce que l’on verra davantage avec la coordination des sanctions.

Une autre notification est apparue sur mon téléphone pendant la dernière séance — ils devaient savoir que nous allions parler de l’Ukraine ici aujourd’hui — indiquant que l’Union européenne venait de se mettre d’accord sur le dix-neuvième train de sanctions. Il comprend une interdiction sur l’importation de gaz naturel liquéfié, le GNL. C’est vraiment important. Sur cette base, pourrons-nous aller plus loin? Si l’on ajoute à cela l’annonce que vient de faire Scott Bessent, je pense que l’on peut progresser et créer un effet boule de neige, surtout si les États-Unis sont à la table des négociations. J’aime dire que les indicateurs pointent dans la bonne direction.

Le président : Merci beaucoup. On commence le deuxième tour.

Le sénateur Kutcher : Merci encore. Ma question comporte deux volets.

La Suède et l’Ukraine viennent de signer hier une lettre d’intention pour fournir de 100 à 150 avions de combat Gripen aux forces aériennes ukrainiennes, qui sont en pleine reconstruction. Les composants éprouvés au combat que l’Ukraine installera dans ces avions seront évidemment très utiles. Il y a une différence entre le matériel militaire de base et le matériel militaire éprouvé au combat. Le Canada a eu des discussions au sujet des avions Gripen.

Est-ce une occasion pour le Canada, la Suède et l’Ukraine de collaborer à un projet commun de développement du secteur de la défense et d’aider potentiellement nos propres forces aériennes à ne pas dépendre entièrement du F-35?

La deuxième question ne relève peut-être pas exactement de votre domaine de compétence, mais le président Zelensky et notre premier ministre se sont récemment rencontrés et ont discuté d’accroître les capacités pour ramener les enfants volés par la Russie en Ukraine. On connaît le rôle du Canada dans la coalition internationale. En fait, j’ai animé un séminaire à ce sujet lors de la dernière réunion des ministres.

Quelles nouvelles stratégies spécifiques sont actuellement envisagées à cet effet?

M. Lévêque : Je vais peut-être demander à mon collègue, M. Larose, de répondre à la première question sur les achats militaires, puis je répondrai à la deuxième question sur la coalition.

Martin Larose, directeur général, Direction générale de la politique de sécurité internationale et des affaires stratégiques, Affaires mondiales Canada : Merci, sénateur, de la question. En fait, je suggérerais au comité de peut-être inviter des collègues du ministère de la Défense nationale pour y répondre.

Le premier ministre a récemment indiqué qu’une décision serait prise prochainement au sujet de l’achat des F-35 ou d’autres avions de combat, et je ne vais pas spéculer ici sur la question de savoir si nous devrions le faire conjointement avec l’Ukraine. Merci.

M. Lévêque : La seule chose que j’ajouterais à cela, c’est qu’il a été question dans le passé des possibilités de coopération entre le Canada et l’Ukraine pour fabriquer des drones, y compris la possibilité de les fabriquer en Ukraine. De telles discussions se poursuivent encore.

En ce qui concerne la Coalition internationale pour le retour des enfants ukrainiens, l’avantage pour le Canada est d’être bon rassembleur, ce qui signifie que nous pouvons lancer de nouvelles initiatives. C’est exactement ce que nous avons fait avec cette coalition. Elle a vu le jour à Kiev sous l’égide de la ministre Joly. Je me souviens de cette visite. J’étais là avec elle. Elle a été suivie de la conférence de Montréal, qui s’est tenue en octobre dernier, il y a presque exactement un an.

L’inconvénient pour le Canada, étant donné l’état actuel de nos relations avec la Russie, est que nous ne sommes pas vraiment le pays vers lequel les Russes vont se tourner pour faciliter le retour des enfants.

Je dirais que notre objectif avec la coalition est double : d’une part, maintenir l’attention sur cette pratique atroce afin qu’elle ne tombe pas dans l’oubli. S’il y a une chose sur laquelle la grande majorité des dirigeants politiques et des populations du monde entier peuvent s’entendre, c’est que les enfants ne devraient jamais être une cible de guerre ou être utilisés de la manière dont ils l’ont été. Nous avons relativement bien réussi à maintenir l’élan, grâce au premier ministre Carney et au président Zelensky qui se sont exprimés sur ce sujet aux Nations unies il y a quelques semaines. Il faut maintenir la pression, maintenir l’attention et, honnêtement, maintenir la honte sur cette pratique afin que davantage de pays et de populations s’y opposent.

D’autre part, il faut rassembler les acteurs humanitaires, les tiers partis et un certain nombre de pays qui ont décidé, pour des raisons stratégiques — et non parce qu’ils se rangent du côté de l’un ou de l’autre —, de rester neutres afin de pouvoir être sollicités en cas de besoin de collaboration. Il s’agit d’un certain nombre de pays du Golfe, de la Suisse et de quelques autres pays. Le Vatican a également joué un rôle à cet égard, mais ce sont surtout les pays du Golfe qui, discrètement et sans faire de bruit, ont facilité le retour d’environ 1 700 enfants, soit 1 000 de plus que lorsque nous avons lancé la coalition il y a quelques années.

Il faut une stratégie de communication, attirer l’attention sur ce qui se passe, et créer une plateforme réunissant ces tiers partis qui, à leur tour, peuvent faciliter le retour des enfants.

Le président : Merci beaucoup.

[Français]

La sénatrice Gerba : Je m’interroge vraiment sur les conditions qui pourraient mener à une résolution à long terme de ce conflit. Pendant longtemps, le conflit a semblé se jouer principalement sur le champ de bataille, avec l’idée que la force militaire en déterminerait l’issue. Cependant, la situation semble s’enliser ces dernières années. La ligne de front évolue très peu ou pas du tout. Les pertes s’accumulent sans qu’une avancée décisive se dessine. Pensez-vous qu’une solution diplomatique à ce conflit est toujours possible?

M. Lévêque : Merci pour la question. Ma première réponse est simple : la principale condition qui peut mener à la fin du conflit, c’est que la Russie cesse sa guerre illégale. Cela semble simpliste, mais il n’en dépend que de la Russie. On sait très bien que ce pays a amorcé ce conflit pour des raisons éventées et tout à fait imaginaires.

Cela étant dit, vous avez raison de dire que la situation militaire est à peu près stagnante. Il n’y a rien qui indique qu’un avantage militaire d’un côté ou de l’autre mènera à une résolution du conflit de façon militaire. Or, la seule solution qui reste, c’est la voie diplomatique. La façon dont nous voyons la situation avec nos yeux de Canadiens, c’est d’abord de continuer à tout prix de faire pression sur la Russie, une pression en matière de réputation et une pression financière, par l’entremise de sanctions et de mesures que nous pouvons contrôler, mais aussi par le pouvoir de conviction que nous pouvons exercer pour faire pression sur les pays qui peuvent avoir de l’influence sur la Russie.

Avec nos partenaires, nous tentons de travailler sur les grandes puissances qui sont les clients de la Russie pour qu’elles-mêmes montrent leur impatience face au comportement global de la Russie; il faudrait que ce soit ces pays qui finissent par utiliser des mesures financières et physiques — on pense à la Corée du Nord, qui a fourni des milliers de soldats à la Russie — et que ce soit eux qui finissent par se retirer pour forcer les deux parties à des négociations et à une conclusion.

[Traduction]

La sénatrice Coyle : J’ai deux petites questions.

La première concerne l’énergie. Vous avez parlé d’énergie. L’ambassadeur a, bien sûr, aussi mentionné l’énergie. Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet?

Pour la seconde, je crois que vous avez parlé de gouvernance et du soutien apporté à l’Ukraine dans son processus d’adhésion à l’Union européenne. C’est un sujet que nous avons abordé par le passé. Pourriez-vous nous en dire plus sur ces deux enjeux?

M. Lévêque : Tout à fait. Merci de la question.

En matière d’énergie, chaque automne depuis le début du conflit, la Russie prend pour cible des centrales électriques, des centrales nucléaires, des réserves de gaz, et le réseau électrique afin de priver les populations de chauffage, de gaz pour la cuisine et tout le reste.

Malheureusement, nous sommes habitués à cette situation. Nous la voyons venir chaque année. Le gouvernement ukrainien a formulé un certain nombre de demandes. Heureusement, les institutions et les systèmes mondiaux se sont équipés pour pouvoir réagir plus rapidement.

Plusieurs choses se font actuellement : un certain nombre de pays, en particulier les pays voisins, sont en mesure de fournir et de livrer du matériel pour remplacer celui qui est endommagé dans le réseau électrique ukrainien. Je parle de pays voisins, mais bien sûr, le Canada produit également certains de ces équipements. Cependant, la tension électrique n’est pas la même et nous sommes beaucoup plus éloignés, de sorte que l’option des pays voisins est plus facile et économique.

La deuxième chose concerne les réparations. Plusieurs fonds ont été créés par un certain nombre d’institutions européennes. Nous avons contribué à ces fonds. L’année dernière, nous avons versé 70 millions de dollars à l’un d’entre eux. Il y reste encore de l’argent, nous allons donc l’utiliser afin d’aider au déploiement de personnel pour réparer le réseau et les infrastructures.

La troisième consiste à acheter des stocks de gaz afin de pouvoir subvenir aux besoins pendant l’hiver à venir. Certaines institutions telles que la Banque européenne pour la reconstruction et le développement et le Groupe de la Banque mondiale mettent en place des outils financiers afin que les pays puissent contribuer et acheter du gaz au profit de l’Ukraine.

Ce sont là, je dirais, les principaux éléments qui sont actuellement en jeu dans le domaine de l’énergie.

L’adhésion à l’Union européenne est un objectif majeur à long terme de l’Ukraine. Elle constitue à la fois une incitation à aspirer à l’intégration européenne et une incitation à accélérer les réformes, qu’il s’agisse de gouvernance, de transparence, d’état de droit ou de droits de la personne, etc. Rappelons-nous que l’Ukraine est issue de l’Union soviétique, où aucun de ces éléments n’était particulièrement développé. Nous sommes partenaires de l’Ukraine depuis 1991 dans le développement de ces éléments.

Ils accélèrent ce développement, et il faut vraiment les féliciter pour le fait que, malgré la guerre, les efforts de réforme se poursuivent. C’est en fait l’essentiel de notre aide au développement. J’ai parlé de la nature multidimensionnelle de l’aide du Canada : aide militaire, macroéconomique, humanitaire et au développement. La majeure partie de notre aide au développement traditionnelle consiste à aider l’Ukraine à mettre en œuvre ce genre de réforme.

Le sénateur Al Zaibak : Je crains aussi une guerre prolongée qui, étant donné les capacités de la Russie à poursuivre le combat, pourrait durer plus de 10 ans. Bien que les puissances occidentales fournissent de l’aide financière et militaire, ce n’est pas suffisant pour permettre à l’Ukraine de gagner la guerre. Les Ukrainiens sont en train de perdre. Ils perdent des vies et subissent la destruction de leurs infrastructures.

À votre avis, dans quelle mesure les sanctions contre la Russie sont-elles efficaces? Permettent-elles d’atteindre les objectifs visés, étant donné que la Russie a des portes de sortie avec la Chine et la capacité de créer d’autres marchés et soutiens économiques? J’aimerais simplement connaître votre avis sur le prolongement potentiel de cette guerre et sur l’efficacité de nos sanctions.

M. Lévêque : Je vous remercie de la question. Elle me donne l’occasion de fournir plus de détails en réponse à une question précédente.

Je répète que les attentes exprimées au début de la guerre, selon lesquelles les sanctions à elles seules suffiraient à anéantir ou à briser la capacité des Russes de mener leur guerre, étaient probablement malavisées. C’était l’un des nombreux outils à la disposition des pays, plus particulièrement les pays occidentaux dotés de régimes de sanctions autonomes et de la capacité nécessaire — car, bien évidemment, les sanctions des Nations unies doivent être approuvées par le Conseil de sécurité de l’ONU, dont la Russie est membre permanent. Cela n’allait jamais se produire, si bien qu’il incombait aux pays dotés de régimes de sanctions autonomes de mettre très rapidement en place les régimes expansifs qu’ils possèdent.

Bien entendu, ces sanctions n’allaient jamais être suffisantes et il existe des capacités d’adaptation, alors je peux peut-être parler de la façon dont nous luttons contre le contournement des sanctions. Premièrement, il faut comparer et échanger des renseignements entre pays aux vues similaires et observer les tendances commerciales. Quand de petits pays — je ne vais pas les nommer, mais les petits pays que nous connaissons — ont des relations commerciales très ouvertes avec la Russie et que, soudainement, ils doublent, triplent et quadruplent leurs échanges commerciaux en une année, c’est louche. En pareilles circonstances, nous avons des experts qui correspondent avec leurs homologues de l’Union européenne, du Royaume-Uni et des États-Unis pour examiner les codes du système harmonisé afin de déterminer quelles marchandises ou quels produits sont en augmentation. Nous pouvons ainsi cerner les entreprises qui se livrent à ces pratiques. Si elles se trouvent dans notre pays, nous avons les moyens légaux de les poursuivre en justice. Si ce n’est pas le cas, nous n’avons pas les moyens d’essayer d’influencer les pays hôtes à sévir contre elles. Ces pays ignorent peut-être ce qui se passe ou ferment peut-être les yeux, mais ils craignent aussi que leur réputation soit entachée.

Il y a de nombreuses techniques que nous pouvons utiliser pour lutter contre certaines formes de contournement des sanctions. Dans certains cas, nous avons nous-mêmes imposé des sanctions à des entités dans des pays tiers — pas en Russie — qui contournaient elles-mêmes les sanctions.

Ces mesures font toutes partie de notre boîte à outils pour que les sanctions soient aussi efficaces que possible.

À long terme, je reviens à la manière dont cette guerre prendra fin : augmenter les coûts pour les Russes, tant sur le plan financier que par les pressions exercées par d’autres pays, afin de les obliger à s’asseoir à la table des négociations. D’après les dernières estimations, la reconstruction de l’Ukraine coûterait 524 milliards de dollars sur 10 ans, et c’est si la guerre prenait fin aujourd’hui. Il faudra des moyens inimaginables qui mobiliseront les gouvernements et le secteur privé, des outils financiers créatifs et la capacité de faire payer la Russie pour les dommages qu’elle aura causés sans avoir été provoquée.

Le président : Je vous remercie.

Je vais poser une question. Dans le groupe de témoins précédents, le sénateur Harder a posé une question à l’ambassadeur Andrii Plakhotniuk concernant les pays voisins de l’Ukraine. Nous assurons la présidence du G7 et avons des missions dans ces pays. Utilisons-nous notre diplomatie pour envoyer des messages? Compte tenu de la dépendance de ces pays au gaz et au pétrole, aux pipelines russes et autres, sommes-nous un peu plus fermes, ou disons-nous à l’Union européenne, « D’accord, ce sont des membres de l’UE, alors c’est à vous de vous en occuper? ».

M. Lévêque : Nous exerçons des pressions considérables sur ces pays. Sans les nommer directement, je dirais que la situation a tendu les relations que nous entretenons avec un certain nombre de ces pays auxquels nous demandons constamment des comptes et sur lesquels nous faisons pression. Cela a réduit le niveau d’interactions au niveau politique et au niveau des hauts dirigeants. Cela a réduit la volonté de faire des échanges commerciaux et des échanges éducatifs ou artistiques — tout ce qui fait que des pays interagissent entre eux.

Ces tensions sont étroitement liées — et nous n’essayons même pas de le cacher — à leur manque de mesures décisives.

Bien entendu, nous laissons une bonne part des enjeux à régler à l’Union européenne, mais parce que nous sommes assez proches de nombreux membres de l’UE, je peux dire que beaucoup d’entre eux se tournent vers nous et admettent au sein de l’union qu’il y a quelques mauvais élèves et beaucoup d’exaspération lorsque ces positions sont prises.

Cela met à rude épreuve l’union, l’unité et, au final, l’influence de l’Union européenne. Cela nuit aux relations que nous entretenons avec ces pays parce qu’en fin de compte, nous ne nous mettons pas à genoux; nous ne faisons pas simplement preuve de gentillesse pour être gentils. Nous appelons un chat un chat et nous veillons à ce qu’il y ait un petit prix à payer, à tout le moins pour les pays qui n’interviennent pas.

Le président : Merci. John Hannaford, l’ancien greffier du Conseil privé, a été nommé représentant personnel du premier ministre auprès de l’Union européenne pour les affaires et les questions européennes. Son mandat inclura-t-il de produire un dossier sur l’Ukraine ou de soulever l’Ukraine lors de ses déplacements dans les capitales de l’Union européenne?

M. Lévêque : Je pense que ce sera indirectement le cas. Je pense que sa mission principale consistera à maintenir le cap et à assurer la mise en œuvre rapide de chaque élément de la feuille de route dont le Canada et l’Union européenne ont convenu en juin au dernier sommet. Étant donné qu’il relèvera directement du premier ministre et qu’il jouit d’une grande crédibilité, d’une grande notoriété et d’un grand respect dans la ville, son mandat consistera essentiellement à veiller à ce que chaque ministère qui participe à ce plan d’action détaillé — le nouveau partenariat stratégique UE-Canada pour l’avenir — mette en œuvre ces éléments. Comme vous le savez, l’inertie a tendance à s’installer, et à moins d’exercer constamment des pressions, les choses ne se font pas aussi rapidement qu’elles le pourraient.

Il y a de nombreux éléments, plus particulièrement dans le chapitre consacré à la sécurité de cette feuille de route, qui ont trait au soutien conjoint à l’Ukraine. Indirectement, cela fera partie de son mandat, et je sais que c’est une question qui est au cœur de ses priorités, car j’en ai discuté avec lui à quelques reprises.

Le président : Je vous remercie. C’est la dernière question.

Le sénateur Kutcher : Encore une fois, merci d’être venus.

Je suppose que nous serons tous impatients de lire le livre de Jens Stoltenberg intitulé On My Watch: Leading NATO in a Time of War dès qu’il sera disponible. Aujourd’hui, Radio Liberté a publié un article à ce sujet, dans lequel M. Stoltenberg affirme que l’alliance a laissé tomber l’Ukraine et que les retards dans les livraisons d’armes, l’aide insuffisante et le manque de mesures décisives de la part des pays de l’OTAN ont en fait contribué à prolonger la guerre plus qu’elle n’aurait dû l’être.

L’une des grandes questions concerne la fermeture de l’espace aérien ukrainien. Comme vous le savez, il y a l’initiative de bouclier antimissile. Bon nombre des personnes autour de cette table ont assisté à une séance d’information sur ce sujet animée par l’ancien sénateur David Tkachuk. Compte tenu des critiques formulées par M. Stoltenberg, vous pourriez peut-être nous en dire plus à ce sujet. Je voudrais savoir si vous pensez que ces critiques sont justifiées. Par ailleurs, pourriez-vous nous dire si l’initiative de bouclier antimissile est à l’ordre du jour ou du moins à l’étude, et si des discussions sur cette question sont envisageables?

M. Lévêque : Je vous remercie de cette question. Je vais commencer à y répondre, puis je céderai la parole à mon collègue. Sur le plan humain, j’admire et j’envie tous ceux qui ont le temps de lire de cette manière, car dans ma vie, je dois accorder la priorité aux notes d’information et aux discours. J’espère pouvoir lire ce livre un jour.

D’un point de vue plus philosophique, je dirais que le recul permet toujours d’y voir plus clair, et je suis certain que certaines des critiques qu’il formulera seront justifiées. Ayant participé à de nombreuses réunions où des recommandations ont été formulées et des directives ont été données, je sais que la détermination à soutenir l’Ukraine et à faire tout en notre pouvoir avec ce que nous estimions être le mieux ou le maximum que nous pouvions faire à tout moment — et je vais seulement parler au nom du Canada et je n’inclurai pas les autres partenaires — a toujours été là.

C’est toujours une question d’équilibre entre ce qui vous semble juste, ce qui est plus utile et ce qui est conforme à vos lois, à votre philosophie et à vos valeurs. Je n’ai jamais ressenti — chez aucun de mes collègues ou des décideurs du gouvernement canadien — une hésitation ou un désir de se retenir ou de faire preuve d’une certaine réserve. Bien entendu, quand on y repense, il est toujours plus facile de dire, « C’est là où nous avons commis une erreur, et c’est là où nous aurions pu en faire plus ou agir différemment ». Pour vous parler des aspects plus détaillés ou techniques, je vais laisser le dernier mot à mon collègue.

M. Larose : Merci, monsieur Lévêque. Je vous remercie de la question, sénateur. Tout d’abord, je pense que nous avons constaté au sein de l’OTAN une augmentation constante du soutien à l’Ukraine au cours des dernières années. Il y a le Conseil OTAN-Ukraine qui se réunit régulièrement et qui regroupe de très hauts dirigeants. Nous avons une mission de l’OTAN qui forme des soldats en Ukraine. Nous avons une liste d’équipements que l’OTAN envisage de fournir à l’Ukraine par l’entremise d’un certain nombre de ses États membres. Nous contribuons à la Liste des besoins prioritaires de l’Ukraine.

Les États membres de l’OTAN fournissent directement à l’Ukraine une quantité importante d’équipements militaires, y compris certains des équipements que l’ambassadeur a mentionnés dans le groupe de témoins précédent. L’OTAN a elle-même également fait don à l’Ukraine d’équipements de formation d’une valeur très importante, soit 1 milliard de dollars. Au cours des dernières semaines, nous avons assisté à la mise en place de l’opération Eastern Sentry, en réponse au fait que la Russie a commencé à mener des opérations hybrides dans toute la région. L’OTAN est sur place. Les ministres de la Défense, les ministres des Affaires étrangères et les dirigeants de l’OTAN discutent constamment avec l’Ukraine. C’est le sujet principal de leurs rencontres lorsqu’ils se réunissent pour des sommets ou des réunions de haut niveau.

Le président : Je vous remercie. Au nom du comité, j’aimerais remercier MM. Lévêque et Larose de leur présence parmi nous aujourd’hui. Votre professionnalisme est apparent. Merci d’avoir répondu à nos questions avec franchise. Les questions n’étaient pas toujours faciles, et nous savons que les fonctionnaires doivent répondre aux dirigeants politiques, et nous savons comment cela fonctionne. Nous vous sommes reconnaissants de cette mise à jour. Encore une fois, merci. Nous vous reverrons fort probablement. Chers collègues, voilà qui conclut notre réunion. Nous nous réunirons demain matin à 10 h 30 dans cette salle pour une séance sur le Mexique.

(La séance est levée.)

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