LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES BANQUES, DU COMMERCE ET DE L’ÉCONOMIE
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le jeudi 9 octobre 2025
Le Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie se réunit aujourd’hui, à 10 h 30 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier, afin d’en faire rapport, la crise du logement au Canada et les défis auxquels sont actuellement confrontés les acheteurs d’habitations canadiens, en mettant particulièrement l’accent sur les taxes, les frais et les prélèvements gouvernementaux.
Le sénateur Clément Gignac (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Honorables sénateurs, je suis Clément Gignac, sénateur du Québec et président du Comité sénatorial des banques, du commerce et de l’économie.
Je souhaite la bienvenue aux gens qui sont avec nous aujourd’hui, ainsi qu’à celles et ceux qui nous écoutent à partir du Web sencanada.ca. Avant de continuer, je demanderais à mes collègues de bien vouloir se présenter.
[Traduction]
Le sénateur Varone : Toni Varone de l’Ontario.
Le sénateur Loffreda : Bonjour. Je suis le sénateur Tony Loffreda de Montréal, Québec.
[Français]
La sénatrice Henkel : Bonjour. Danièle Henkel, du Québec.
[Traduction]
La sénatrice Mohamed : Bonjour. Je m’appelle Farah Mohamed. Je remplace la sénatrice Ringuette.
La sénatrice McBean : Bonjour. Sénatrice Marnie McBean, de l’Ontario.
Le sénateur Fridhandler : Bonjour. Je suis le sénateur Daryl Fridhandler, de l’Alberta.
La sénatrice Martin : Bonjour. Sénatrice Yonah Martin, de la Colombie-Britannique.
Le président : Merci, chers collègues. Nous poursuivons aujourd’hui notre étude spéciale sur la crise du logement au Canada et les défis auxquels sont actuellement confrontés les acheteurs d’habitations canadiens, en mettant particulièrement l’accent sur les taxes, les frais et les prélèvements gouvernementaux.
J’aimerais souhaiter la bienvenue aux témoins suivants qui comparaissent devant le comité : nous accueillons M. Mike Moffatt, directeur fondateur, et M. Alex Beheshti, chercheur associé principal, qui représentent Missing Middle Initiative. Merci d’avoir accepté notre invitation. Bienvenue à notre comité.
Comme vous comparaissez devant nous par vidéoconférence, si vous éprouvez des difficultés techniques liées en particulier à l’interprétation, veuillez le signaler à la présidence ou au greffier, et nous nous efforcerons de résoudre le problème.
Monsieur Moffatt, je crois comprendre que vous avez préparé une des notes d’introduction. Je vous encourage à limiter votre déclaration d’ouverture à moins de cinq minutes afin de permettre aux membres du comité de poser des questions.
Monsieur Moffatt, vous avez la parole.
Mike Moffatt, directeur fondateur, Missing Middle Initiative : Merci de nous avoir invités ici, aujourd’hui. Je m’appelle Mike Moffatt. Mon collègue, M. Alex Beheshti, notre expert-résident en redevances d’aménagement et en questions municipales, nous a également rejoints. Nous sommes membres de la Missing Middle Initiative de l’Université d’Ottawa. Nous sommes un groupe de réflexion qui a entrepris d’aider à bâtir un Canada où toutes les personnes et toutes les familles de classe moyenne, dans chaque ville, jouissent d’une bonne qualité de vie et ont accès à la fois à des options de logement locatif et à des options de logement de propriétaire-occupant au taux du marché, qui sont abordables, adéquates, appropriées, résilientes et respectueuses du climat.
Nous sommes ici aujourd’hui pour parler du déclin du secteur de l’immobilier que nous observons partout au Canada, en particulier dans les grandes villes.
Le prix des maisons et le montant des loyers ont baissé dans une grande partie du Canada ces dernières années, ce qui est une bonne nouvelle pour l’abordabilité. Les familles qui ont passé des années sur la touche se réjouissent de la nouvelle, et elles ont raison de l’être. Cependant, l’abordabilité demeure problématique. Les maisons restent hors de prix pour la plupart des ménages de la classe moyenne, tandis que les coûts de construction sont toujours résolument élevés. Dans de nombreux marchés, le coût total d’une construction dépasse aujourd’hui ce que les familles peuvent se permettre. Cela crée une situation paradoxale, où les maisons sont à la fois inabordables pour les acheteurs et non rentables pour les constructeurs.
Pour parvenir à des prix abordables et à une offre de logement accrue, la seule voie viable, à l’avenir, c’est de baisser les coûts de construction, ce qui signifie en partie de réduire les taxes qui font grimper ces coûts.
À première vue, les mises en chantier au Canada semblent stables, surtout en dehors de l’Ontario, mais c’est trompeur. Les mises en chantier reflètent les projets domiciliaires qui ont été financés et vendus pendant les années d’expansion, en 2021 et en 2022.
L’indicateur en temps réel dont nous disposons, ce sont les ventes de nouvelles maisons, et la situation est inquiétante. Dans son rapport, M. Jesse Helmer de la Missing Middle Initiative indique que les ventes de nouvelles maisons dans la région du Grand Toronto et dans la région élargie du Grand Golden Horseshoe ont baissé de plus de 80 % par rapport à 2021. Cette chute ne se limite pas aux copropriétés de Toronto; elle touche également les maisons individuelles, les maisons en rangée et les appartements de moyenne hauteur de tout le pays, y compris à Vancouver. On enregistre également une baisse de 40 % à Calgary.
La Société canadienne d’hypothèques et de logement prévient que la baisse des ventes aujourd’hui se traduira par une diminution des mises en chantier demain; selon ses dernières prévisions, il y aura 30 000 mises en chantier de moins entre 2024 et 2027. D’après les multiplicateurs d’emploi de Statistique Canada, cette baisse entraîne la perte de 100 000 emplois dans le pays, y compris dans les métiers spécialisés comme la plomberie, la charpenterie et l’électricité ainsi que chez les travailleurs qui fournissent tout, des fenêtres au bois d’œuvre.
Pendant la crise financière de 2008, quand 15 000 emplois dans les usines de fabrication d’automobile étaient menacés, les gouvernements ont pris des mesures décisives pour préserver le secteur. Les enjeux sont plus importants aujourd’hui, car les logements ne sont pas un simple bien de consommation; ce sont des infrastructures essentielles. Si des dizaines de milliers d’ouvriers du bâtiment qualifiés quittent l’industrie, il devient impossible d’atteindre l’objectif de doubler la construction de logements.
Les gouvernements affirment vouloir davantage de logements, pourtant leurs systèmes fiscaux rendent la construction de moins en moins rentable. Le fardeau combiné de la TPS, de la TVP, des redevances d’aménagement, des droits de cession immobilière et des autres frais peut ajouter des centaines de milliers de dollars au coût d’une nouvelle maison.
Quand j’ai acheté une maison toute neuve à London, en Ontario, en 2004, elle m’a coûté au total 168 000 $. Toutes les taxes et tous les frais totalisaient environ 16 000 $. Aujourd’hui, les taxes qui s’appliquent sur le coût d’une nouvelle maison similaire représentent à elles seules environ 168 000 $; c’est le prix que j’ai payé pour la maison entière en 2004.
Ces coûts déterminent directement si un projet peut être lancé. Étant donné que les prix baissent, mais que les taxes restent élevées, on voit de plus en plus de constructeurs suspendre des projets; le Toronto Star a justement annoncé hier l’annulation du projet de construction du centre commercial Cloverdale, dans l’ouest de Toronto.
Certains pourraient dire que la réduction des taxes sur le logement entraînerait une perte de recettes trop importante pour les gouvernements. En réalité, l’inverse est vrai. Selon nos estimations, le gouvernement fédéral aura, chaque année, un manque à gagner plus de 3 milliards de dollars dans les seules régions du Grand Toronto et de Vancouver, si le secteur de la construction poursuit son déclin, ce qui dépasse le budget total de l’organisme Maisons Canada.
Imposer une taxe sur les nouvelles maisons pour faire en sorte qu’elles ne soient pas construites n’est pas une approche prudente sur le plan financier. Le logement ne peut pas à la fois être un droit et être taxé comme un yacht de luxe. Le gouvernement fédéral impose une taxe de luxe de 10 % sur les yachts d’une valeur supérieure à 1 million de dollars, alors qu’une famille de classe moyenne qui achète une maison jumelée à Scarborough paie l’équivalent de 15 % en redevances d’aménagement et en droits de cession immobilière, auxquels s’ajoutent la TPS et la TVP.
Si l’on veut rendre les maisons de qualité de nouveau abordables, il faut arrêter de les soumettre à des taxes au point où la personne n’en construira pas. Le choix est clair. Soit on réduit tout de suite les coûts de construction des maisons, soit on fait face aux contrecoups de la diminution du nombre de maisons et de la perte de 100 000 emplois.
Monsieur Beheshti et moi-même serons heureux de répondre à vos questions.
[Français]
Le président : Merci, monsieur Moffatt. Chers collègues, nous avons environ 50 minutes pour ce premier groupe. Dans un premier temps, on accordera cinq minutes par sénateur pour le premier tour de table. Nous allons commencer par notre vice‑président, le sénateur Varone.
[Traduction]
Le sénateur Varone : Bienvenue, monsieur Moffatt et monsieur Beheshti.
Ma question porte sur les taxes sur les taxes. Il semble redondant qu’une maison soumise à des redevances d’aménagement soit ensuite assujettie à la TVH, au moment de la vente finale, ce qui semble être pour le gouvernement la façon la plus aisée d’agir. Sur la vente d’une maison de 1 million de dollars, quel est l’effet cumulatif des taxes sur les taxes?
M. Moffatt : Oui, absolument. Si vous avez une maison de 1 million de dollars, quelque part dans la région du Grand Toronto, les redevances d’aménagement seraient d’environ 150 000 $, selon le type de maison ou sa situation. Étant donné que les redevances d’aménagement sont incluses dans le prix final, on y ajoute la TPS, la TVP et les droits de cession immobilière. Encore une fois, reprenons l’exemple d’une maison, quelque part dans la région de York; on aura 150 000 $ en redevances d’aménagement, auxquels s’ajoutent 8 % de TVP, 5 % de TPS et 2 % de droits de cession immobilière. Cela représente alors 15 % sur des redevances d’aménagement de 150 000 $, et on atteindra donc environ 22 500 $. Il existe des moyens d’y remédier.
Si l’on change la méthode d’évaluation des redevances d’aménagement, que l’on adopte un modèle reposant sur une approche directe axée sur les consommateurs en matière de redevances d’aménagement et que l’on procède de la même manière qu’avec la TPS, on pourrait supprimer cette taxe cumulée et exonérer les redevances d’aménagement de la taxe de vente. Je pense que ce serait la bonne chose à faire. C’est une chose de dire à une famille qui achète une nouvelle maison : « Nous voulons que vous contribuiez financièrement à la construction d’une nouvelle bibliothèque ou d’un parc dans la collectivité. » C’est raisonnable, mais cela ne semble pas juste ou correct d’imposer la TPS à cette famille pour qu’elle ait le privilège de contribuer financièrement à la construction d’une bibliothèque, parce que, en réalité, elle ne consomme rien. Elle paie des taxes à une municipalité, et doit ensuite payer la TPS sur ces taxes.
Le sénateur Varone : Merci. Mon autre question concerne la Loi sur les redevances d’exploitation de l’Ontario et les lois similaires dans tout le Canada, où la loi elle-même prévoit qu’il ne devrait pas y avoir d’avantages pour les aménagements existants, ce qui signifie que les redevances d’aménagement réelles correspondent aux répercussions de cet aménagement sur les infrastructures de la ville.
Monsieur Beheshti, pourriez-vous en dire plus sur les avantages pour les aménagements existants, le transfert de ces redevances d’aménagement, qui devraient en réalité relever du régime d’impôt foncier plutôt que du régime des redevances d’aménagement?
Alex Beheshti, chercheur associé principal, Missing Middle Initiative : Merci de la question, monsieur le sénateur.
Une des exigences de la Loi sur les redevances d’exploitation, en Ontario, prévoit que, dans l’étude préliminaire sur les redevances d’aménagement — l’analyse à faire avant qu’une municipalité ne soit légalement autorisée à créer un règlement puis à facturer des redevances d’aménagement —, les municipalités doivent énumérer toutes leurs infrastructures, dans chaque catégorie de service spécifique, comme les routes, les aqueducs, les égouts et ainsi de suite. Elles obtiennent leur coût en capital brut. Elles en déduisent les subventions qu’elles reçoivent d’autres échelons du gouvernement et doivent ensuite prendre une décision entre ce qui est lié à la croissance et ce qui est un avantage pour les aménagements existants.
Je tiens à souligner que les redevances d’aménagement ne reposent pas sur la science. Il n’existe pas de calculatrice toute‑puissante qui détermine ce qui est un avantage pour les aménagements existants et ce qui est lié à la croissance. Actuellement, on utilise un méli-mélo de formules et de méthodes pour faire ce calcul. Certaines municipalités utiliseront une méthode, et d’autres, une autre. Cela repose sur le caractère raisonnable. Quand ce n’est pas raisonnable, il peut y avoir des litiges devant le tribunal foncier de l’Ontario, une instance quasi judiciaire pour l’arbitrage des litiges en matière de redevances d’aménagement.
Il y a souvent de nombreux appels portant sur ce que nous appelons les avantages pour les aménagements existants, les AAE, lorsqu’une municipalité n’a pas suivi le processus de manière raisonnable pour prendre sa décision. Cette omission de la municipalité signifie que la croissance subventionne les logements existants, qui bénéficient d’impôts fonciers plus bas, parce qu’ils ne paient pas leur juste part. Nous avons vu des exemples de municipalités qui ont dû, dans certains cas, rembourser des centaines de millions de dollars, parce qu’elles n’avaient pas calculé correctement les AAE.
Le problème est que le système de redevances d’aménagement de l’Ontario est dirigé par les promoteurs pour ce qui est du système d’appel. La province n’exerce aucun contrôle sur les travaux. Les promoteurs peuvent interjeter appel au sujet de ces études préliminaires sur les redevances d’aménagement uniquement s’ils ont le financement, la disponibilité et les experts nécessaires, et il y a un nombre restreint d’experts en redevances d’aménagement en Ontario, ce qui est également un problème.
Dans ce système, les résidants futurs peuvent être représentés ou non, et leurs intérêts ne sont certainement pas représentés directement par la province. C’est un enjeu de taille. La province a adopté le projet de loi 17, qui lui confère des pouvoirs de réglementation pour déterminer comment évaluer les avantages pour les aménagements existants, mais nous n’avons pas encore vu ces règlements.
La sénatrice Martin : Merci à nos témoins d’être ici ce matin.
Monsieur Moffatt, vous avez dit que le coût de votre maison, en 2004, est le même que celui que les propriétaires doivent assumer 20 ans plus tard, avec une augmentation de 600 % des taxes et des droits. Seriez-vous d’accord pour dire que le gouvernement fédéral a contribué à cette hausse des coûts par l’entremise de ses propres politiques, y compris la TPS sur les habitations neuves, les coûts liés au carbone et les coûts d’emprunt plus élevés en raison de déficits persistants? Selon vous, quelles mesures fédérales permettraient de réduire le plus rapidement les coûts d’intrant et de stimuler la mise en chantier de nouvelles constructions?
M. Moffatt : Je crois que la TPS est l’élément le plus important. La TPS est remboursée pour les habitations de moins de 450 000 $. En 2004, j’ai eu droit à ce remboursement, puisque ma maison valait 168 000 $, et on m’a remboursé une partie de la TPS que j’avais payée.
Le seuil de remise n’a jamais été rajusté pour tenir compte de l’inflation. Quand le gouvernement Mulroney a adopté cette mesure en 1991, le ministre des Finances de l’époque, Michael Wilson, s’était engagé à mettre à jour ces seuils tous les ans ou tous les deux ans en fonction de l’inflation. Cela n’a jamais été fait. Selon notre système, en 1991, presque tous les propriétaires d’une maison en Ontario ont reçu un remboursement de la TPS. Aujourd’hui, presque aucun logement ne donne droit à ce remboursement, à l’exception de quelques-uns dans le Nord de l’Ontario. Je crois que c’est l’élément qui a le plus de poids en ce qui concerne la taxation.
Je dirais aussi que le deuxième élément le plus important est probablement la politique sur l’immigration. Nous avons assisté à une croissance rapide de la population, et il y a cette idée dans le monde des finances municipales que la croissance devrait payer pour la croissance, c’est-à-dire que la croissance du logement devrait être payée par des gens qui achètent de nouveaux logements. Mais les villes croissent en raison de l’augmentation des cibles en matière d’immigration et du nombre de résidents temporaires. Cette situation a obligé les municipalités à trouver une façon de financer les dépenses liées à une population croissante.
Comme M. Beheshti l’a souligné, les municipalités hésitent à refiler ces coûts aux propriétaires et aux contribuables existants, et, par conséquent, les municipalités financent les coûts liés à la croissance de la population grâce aux acheteurs d’une première propriété.
La sénatrice Martin : En ce qui concerne le remboursement de la TPS pour les acheteurs d’une première habitation, vous avez dit que de nombreux propriétaires avaient auparavant droit à un remboursement d’une partie de la TPS qu’ils avaient payée. Présentement, cela s’applique uniquement aux acheteurs d’une première propriété qui font face à des problèmes d’abordabilité, mais, dans l’ensemble, comme vous l’avez dit, cela devient très coûteux pour tous les acheteurs.
Croyez-vous que le fait d’étendre le remboursement à tous les logements occupés par le propriétaire stimulerait davantage la construction? Est-ce que le gouvernement devrait envisager cette mesure?
M. Moffatt : Oui, absolument. Nous avons écrit beaucoup d’articles là-dessus, à la Missing Middle Initiative.
Nous croyons que le crédit d’impôt pour l’achat d’une première habitation est utile, mais les premiers acheteurs ne représentent que plus ou moins 20 % des achats de logements neufs occupés par le propriétaire, et cette statistique vient du Bureau du directeur parlementaire du budget. Nous croyons que cette mesure devrait être étendue à tous les propriétaires occupants, car cela réduirait de 5 % le coût de construction de nouveaux logements.
Cela pourrait aller encore plus loin. Le premier ministre Ford, en Ontario, a indiqué que la province ferait cela si le gouvernement fédéral prenait les devants. Si vous ajoutez la TVP de 8 % à cette réduction de 5 %, nous pourrions, du jour au lendemain, réduire le coût d’un nouveau logement de 13 %, en Ontario. Cela favoriserait la construction de beaucoup plus de logements. Nombre de personnes présentement incapables d’obtenir un prêt hypothécaire étant donné les prix actuels de l’immobilier deviendraient admissibles si le prix des nouveaux logements diminuait de 10 à 15 %. D’un simple trait de plume, nous pourrions faire beaucoup pour résoudre la crise des coûts de livraison et la crise de l’abordabilité du logement partout au pays, mais surtout en Ontario.
Le sénateur Loffreda : Monsieur Moffatt et monsieur Beheshti, bienvenue ce matin au Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie.
J’ai récemment lu votre article dans The Hub, dans lequel vous affirmez que les taxes — la question s’adresse à vous, monsieur Moffatt, et peut-être que M. Beheshti pourra aussi y répondre — sur les habitations neuves ont essentiellement exclu la classe moyenne du marché, et vous demandez au Canada de réduire ces taxes. Vous avez raconté votre expérience personnelle dans cet article et vous l’avez également fait ce matin, quand vous avez parlé de la maison que vous avez achetée à London, en 2004. Vous avez parlé des redevances d’aménagement : en 2004, la TVP et la TPS totalisaient moins de 16 000 $ après les remises. Aujourd’hui, ces mêmes redevances dépassent 110 000 $, ce qui représente une augmentation impressionnante de près de 600 %. Ce matin, vous avez parlé d’une somme de 168 000 $. C’est la tendance actuelle, une augmentation qui s’approche du 1 000 % — 950 % pour être précis — sur 20 ans. Si nous tenons compte des frais supplémentaires comme la taxe sur les transferts fonciers et l’intérêt sur les redevances d’aménagement, le fardeau fiscal lié à un nouveau logement s’approche du coût total de la maison que vous avez achetée en 2004, dépassant les 300 000 $.
Je reconnais que la réduction des taxes et des impôts est un défi complexe, surtout pour le gouvernement fédéral, c’est une question d’équilibre entre les responsabilités fiscales et les besoins en matière de revenus. Je suis certain que les gouvernements provinciaux savent que la réduction des taux et des impôts augmentera l’abordabilité des logements. Selon vous, que pouvons-nous faire pour trouver le bon équilibre?
Plus spécifiquement, quelles mesures concrètes le gouvernement peut-il prendre pour aider à réduire les redevances d’aménagement et le fardeau fiscal imposés aux acheteurs d’une première habitation?
M. Moffatt : Merci de la question. Pour ce qui est de la TPS et de la TVP, mettre à jour ces remboursements existants pour tenir compte de l’inflation est quelque chose que les gouvernements précédents s’étaient engagés à faire, puisqu’ils reconnaissaient que le prix des logements augmente avec le temps et que ces seuils devaient être rajustés en fonction de l’inflation.
Nous reconnaissons également que, en raison de la réduction des ventes de logement, le gouvernement va déjà essuyer un manque à gagner de plusieurs milliards de dollars lié aux ventes perdues.
Selon nous, le gouvernement devrait réduire ces taxes et compenser cette perte de recettes fiscales par le volume : il y aura davantage de travailleurs, davantage de maisons construites et ainsi de suite.
En ce qui concerne la question spécifique sur des redevances d’aménagement, le gouvernement fédéral peut signer ou négocier avec les provinces des ententes fédérales-provinciales-territoriales de façon que le gouvernement fédéral pourrait compenser les administrations municipales pour la perte de revenus liés aux redevances d’aménagement, et en échange, les provinces pourraient aussi verser un peu d’argent, mais modifier en même temps les lois sur les redevances d’aménagement et des choses de ce genre pour s’assurer que les villes n’acceptent pas cet argent tout en imposant d’autres formes de taxes ou en faisant autre chose.
En gros, nous devons aussi réformer notre façon de payer les choses. Par exemple, le gouvernement provincial, ici, en Ontario, envisage une réforme de la réglementation sur l’eau et les eaux usées. Présentement, nous incluons dans les redevances d’aménagement les infrastructures d’approvisionnement en eau et de traitement des eaux usées, et ces redevances d’aménagement sont ensuite payées par les propriétaires et financées par l’entremise des taux hypothécaires, car ils sont ajoutés aux hypothèques des propriétaires.
Si, au contraire, nous les traitions comme les autres types d’infrastructures financées par le gouvernement, en évaluant les frais sur les factures d’eau et de traitement des eaux usées, parce que nous finançons ces infrastructures aux taux d’emprunt du gouvernement — qui sont nettement inférieurs aux taux hypothécaires des ménages —, les économies réalisées sur les frais d’intérêts seraient considérables. Il ne s’agit pas seulement de savoir qui paie, mais, compte tenu de la façon dont nous procédons actuellement, nous ne sommes pas particulièrement efficaces au chapitre des frais d’intérêts.
Il y a toutes ces dépenses dans le système qui ajoutent des coûts inutiles. C’est ce que nous devons examiner. Ces réformes n’ont pas besoin d’être un jeu à somme nulle. Si nous améliorons la conception de ces systèmes, nous pouvons réduire globalement les coûts.
Le sénateur Fridhandler : Nous parlons beaucoup de l’accession à la propriété. Plusieurs administrations ailleurs dans le monde ne mettent pas l’accent sur l’accession à la propriété, mais sur l’accès au logement à un prix abordable, ce qui mène à la location ou à d’autres approches, comme les coopératives ou d’autres solutions. Pourriez-vous nous parler brièvement de la fonctionnalité de l’abordabilité par rapport à d’autres formes d’occupation d’un logement?
M. Moffatt : Absolument. Le gouvernement fédéral s’est occupé du marché locatif de manière incroyable au cours de la dernière décennie. Si nous divisons le logement en trois éléments, l’un de ces éléments est la copropriété, et celle-ci a augmenté.
Les propriétés autres que les copropriétés sont en déclin depuis 25 ans; en ce qui concerne ces logements en propriété absolue, ces mises en chantier ont diminué. Elles ont atteint un sommet vers 2004 et sont depuis en déclin.
Nous observons une augmentation significative des constructions de logements locatifs depuis 10 à 15 ans. Cela est dû en grande partie aux changements apportés par le gouvernement fédéral, y compris l’introduction du Programme de prêt pour la construction d’appartements, le PPCA, de la Société canadienne d’hypothèques et de logement. Le gouvernement fédéral a éliminé la TPS sur les logements construits spécialement pour la location pour 10 ans. Il a également élargi les dispositions relatives aux allocations de l’incitatif à l’investissement accéléré.
Le programme électoral du gouvernement comprenait une disposition visant à réinstaurer la réduction fiscale pour les IRLM des années 1970, qui encourage les petits investisseurs à investir dans la construction locative.
Nous assistons présentement à une renaissance de la construction locative. Il est certain que le gouvernement peut en faire plus, mais la construction locative évolue dans la bonne direction. C’est dans l’accession à la propriété que nous observons un déclin.
M. Beheshti : J’aimerais ajouter quelque chose. Laissez-moi vous dire mon âge; je suis né en 1989. J’ai 36 ans. Je suis en plein milieu du groupe que l’on a déjà appelé les écho-boomers et que l’on appelle maintenant les millénariaux. Nous sommes une grande cohorte et nous avons de 26 à 40 ans. À une époque, ces personnes préféraient louer et économiser, et maintenant elles veulent fonder une famille. La possibilité de devenir propriétaire est un élément essentiel de ce projet.
Nous, à Missing Middle Initiative, sommes tout à fait en faveur de la location. La question n’est pas d’être contre la location, mais dire que nous allons être un pays de locataires est un choc culturel. Je n’ai pas grandi avec cette idée. Je n’ai aucun problème avec le fait d’être locataire, mais je peux vous dire que nombre de mes amis et de ma famille ne sont pas locataires.
En fait, nous avons besoin d’options de propriétés avec entrée privée parce que cela aura une incidence sur notre société et notre économie.
Le sénateur Fridhandler : Nous avons parlé des coûts et des redevances d’aménagement. De l’autre côté, il y a les frais de propriété. Pourriez-vous nous parler de certaines des mesures qui pourraient réduire la pression à cet égard, jusqu’à un certain point, comme la déductibilité des intérêts?
Les villes essaient de récupérer des recettes fiscales sur certaines dépenses qu’elles doivent faire pour appuyer le développement, et il y a les obligations municipales ne portant pas d’intérêt... et certains éléments liés au crédit ou à la déductibilité, de l’autre côté.
M. Moffatt : Voici la question que je me poserais : est-ce que ces mesures nous permettraient de construire plus de maisons ou ne font-elles qu’augmenter la demande?
Par exemple, durant la pandémie, nous avons vu les taux d’intérêt chuter à presque zéro, ce qui a permis aux gens d’acheter plus de maisons et d’être plus facilement admissibles à une hypothèque. En réaction, les prix sur le marché ont bondi parce qu’il y avait plus d’argent pour le même nombre de maisons. Les politiques, comme la déductibilité des intérêts, qui stimulent vraiment la demande, ne créent pas vraiment une abordabilité durable.
Les politiques comme les obligations pour infrastructures libres d’impôt des municipalités peuvent augmenter le nombre de nouveaux logements, ce qui permettrait aux municipalités de construire des égouts, des aqueducs, des parcs et ainsi de suite, plus facilement et à coût moindre, puisque ces infrastructures nécessaires aux logements peuvent nous aider à construire plus de maisons. C’est sous cet angle qu’il faut envisager la question. Est-ce que les politiques que nous proposons ne font qu’exercer une plus forte demande sur notre système ou nous permettent-elles vraiment de construire — et d’offrir — plus de maisons?
[Français]
La sénatrice Henkel : Bienvenue parmi nous. On parle beaucoup de réduction de taxes. Quand on parle de réduction de taxes, on parle aussi de réduction des recettes dont dépendent les provinces et les municipalités. Or, ce sont elles qui financent les infrastructures nécessaires à l’accueil de nouveaux arrivants, justement, soit les écoles, les centres communautaires, les installations sportives et les réseaux publics. Comment les acteurs publics pourraient-ils compenser ces pertes de revenus si la fiscalité immobilière est allégée?
[Traduction]
M. Moffatt : Je ferais le raisonnement inverse : si la construction domiciliaire décline, vous allez perdre davantage de recettes. Nous voyons cette diminution de 30 000 maisons. À Missing Middle Initiative, nous prévoyons que le gouvernement fédéral perdra plus de 3 milliards de dollars en TPS et d’autres revenus. Nous devons donc augmenter le volume. Le gouvernement fédéral s’est engagé à doubler les mises en chantier de logements. Si la construction domiciliaire atteint ce niveau, ou se met à augmenter, il y aura plus de travailleurs, les entreprises de portes et fenêtres vendront plus de produits et emploieront plus de gens, ce qui augmentera l’impôt sur le revenu et l’impôt sur le revenu des entreprises, ce genre de choses.
Nous devons construire davantage. À Missing Middle Initiative, nous aimons prendre l’exemple de Coca-Cola, qui ne réaliserait pas plus de profits en vendant une canette 10 $, parce que son produit ne se vendrait pas. Aujourd’hui, les taxes sont si élevées qu’elles font baisser le nombre de mises en chantier, ce qui au bout du compte fait baisser l’impôt sur le revenu perçu par le gouvernement.
On demande de rationaliser le système et d’envisager d’autres façons de générer des recettes. En parlant des aqueducs et des égouts, nous avons mentionné, encore une fois, la possibilité d’utiliser le modèle d’utilisateur-payeur, qui nous permettrait de financer cette infrastructure au taux d’emprunt du gouvernement plutôt qu’au taux hypothécaire. Si nous voulons être prudents sur le plan fiscal, nous devons trouver une façon de payer pour ce genre de choses au coût le plus bas. Si nous finançons des infrastructures à un taux hypothécaire de 5,5 % plutôt qu’à un taux d’emprunt du gouvernement de 4 %, nous dépensons inutilement des centaines de millions de dollars pour ces usines de traitement de l’eau et des eaux usées.
[Français]
La sénatrice Henkel : Merci. Lors de votre récente comparution devant le Comité des finances de l’autre endroit, vous avez insisté sur le poids des taxes publiques. Or, entre le prix du terrain, la spéculation, les marges des promoteurs, les frais d’intermédiation et de financement, une grande partie du coût d’un logement semble aujourd’hui captée par de multiples acteurs avant même que la première brique soit posée. Est-il pertinent de ne s’intéresser qu’à la question de la fiscalité et de ne pas tenir compte des marges de tous les intermédiaires?
[Traduction]
M. Moffatt : La taxation joue certainement un rôle. Encore une fois, par exemple, si vous prenez un projet, disons à Vaughan, en Ontario, les redevances d’aménagement peuvent se situer entre 10 et 15 %. Puis, si vous ajoutez une TPS de 5 % puis une TVP de 8 % et des droits de cession immobilière de 2 %, vous arrivez alors à 25 à 30 % du coût du projet, et c’est sans compter les taxes enchâssées au revenu ou au revenu des entreprises. Cela fait en sorte qu’un certain nombre de projets ne sont pas viables. Cela ne fait qu’augmenter les coûts à un tel point qu’il n’y a pas de marché pour ces projets.
Si vous baissez ces taxes, les projets à peine viables peuvent devenir à peu près viables. Soyons clairs, nous ne voulons pas dire qu’une réforme fiscale réglerait tout. Il faut aussi régler d’autres problèmes. Je pense aux longs délais d’approbation, aux problèmes liés au zonage et au code du bâtiment. Plus tôt, quelqu’un nous a posé une question au sujet des logements locatifs dans d’autres pays. Le genre d’appartements dans lesquels vivent les familles en Europe et dans certaines régions d’Asie est illégal au Canada, et nous devons changer cela. Nous devons faire beaucoup de choses, et la réforme fiscale est seulement une de ces choses.
La sénatrice McBean : Merci, monsieur Moffatt. Le gouvernement fédéral a lancé des programmes comme le Fonds pour accélérer la construction de logements, et il a conclu des ententes avec plus de 200 municipalités, en partie pour faire baisser les droits d’aménagement. Il a aussi lancé le Programme de prêts pour la construction d’appartements, le PPCAP.
Selon vous, ces initiatives soutiennent-elles efficacement la construction de maisons, ou favorisent-elles toujours les projets de développement à grande échelle?
M. Moffatt : Je ne crois pas que ce soit tout l’un ou tout l’autre. Beaucoup de familles et de particuliers vivent dans de grands développements. Je pense que le PPCAP est l’un des programmes les plus transformatifs qu’un gouvernement fédéral ait mis en œuvre dans le secteur du logement depuis les années 1970. C’est loin d’être un programme parfait, mais c’est tout simplement incroyable, le nombre de nouveaux appartements qui ont été financés par le programme et qui n’auraient pas pu l’être d’une autre façon.
Un des grands avantages du PPCAP est ses coûts relativement bas, parce qu’il s’agit d’un programme de prêts. Puisque ces prêts sont consentis à des taux d’intérêt plus élevés que le taux d’emprunt du gouvernement, la différence des taux d’intérêt couvre le coût du programme.
Pour ce qui est du Fonds pour accélérer la construction de logements, chaque entente comporte un certain nombre de conditions, y compris, dans de nombreux cas, le gel des droits d’aménagement. Je pense qu’il y a eu des problèmes pendant la mise en œuvre de ce fonds. Nous voyons effectivement des différences dans les ententes de diverses administrations ou municipalités, mais je pense que le problème le plus important est le respect des conditions et la transparence. À Toronto, dans le cadre des ententes au titre de ce fonds, on était censé légaliser les immeubles de six logements dans toute la ville, ce qui n’a pas été fait. On ne sait toujours pas si le gouvernement fédéral refusera ce financement à la Ville de Toronto, même si la ville n’a pas respecté l’entente.
Bref, je dirais que le PPCAP a été toute une réussite, tandis que le Fonds pour accélérer la construction de logements est plutôt seulement une bonne idée en théorie, mais difficile à mettre en œuvre.
La sénatrice McBean : Merci. J’habite dans le centre-ville de Toronto. J’ai toujours aimé la densité. C’est très dense. Aujourd’hui, il y a partout des affiches autour des chantiers de construction et des projets de développements qui disent : « Bienvenue dans le quartier; il n’y a pas d’écoles pour vous. » Nous voyons ensuite les enseignants qui font actuellement la grève en Alberta; leurs classes comptent plus de 35 enfants.
Si je reviens à ce qu’ont dit les représentants de la Missing Middle Initiative, à savoir que la crise du logement au Canada découle du problème de l’offre, lequel tient à la planification, au zonage et aux redevances d’aménagement élevés, quels sont les plus gros obstacles qui empêchent les municipalités d’approuver davantage de logements de type intermédiaire? Comment pouvons-nous encourager la croissance du logement dans des secteurs qui ont déjà les infrastructures — écoles, transports en commun et services —, sans que la population locale s’y oppose?
M. Moffatt : Je pense que vous venez de mettre le doigt sur le problème : l’opposition de la population locale est un enjeu. Si je veux construire un projet à la limite de la ville, c’est beaucoup plus facile parce qu’il n’y aura pas ce genre d’opposition de la population locale.
Dès que vous voulez construire à l’intérieur d’une ville, le processus est long, il faut faire beaucoup de consultations auprès de la collectivité, et ainsi de suite, même pour les projets relativement modestes. Un litige est toujours en cours dans le dossier Craven Road, à Toronto, touchant la construction de pavillons-jardins.
Plus il y a de constructions de plein droit, mieux c’est, c’est certain. Il faut que les municipalités soient un peu plus audacieuses au chapitre du changement de zonage. Il est évident que nous avons besoin de ces réformes, parce que c’est un problème.
Beaucoup de constructions qui sont sorties de terre au cours des 20 à 25 dernières années sont soit des immenses tours à appartements — et il y a vraiment un besoin pour ce genre d’immeubles —, soit des maisons unifamiliales bâties dans de petites municipalités ou sur des terrains vierges. C’est parce que ce sont les projets qui s’accommodent le mieux du système. Ce sont les projets auxquels s’oppose le moins la population locale.
Je vais maintenant céder la parole à M. Beheshti parce qu’il est notre expert municipal. Ai-je oublié quelque chose, monsieur Beheshti?
M. Beheshti : Vous avez assez bien fait le tour de la question, monsieur Moffatt.
À Toronto, la politique et la planification municipale sur le logement et la planification d’écoles de quartier ne sont pas tout à fait harmonisées; à l’échelon municipal, on ne voulait pas de densification ni de nouveaux logements dans les quartiers établis, auxquels il ne fallait pas toucher et où il ne faut surtout pas construire. Ces quartiers ont été dépeuplés et ont perdu des enfants.
La province n’a pas permis au conseil scolaire du district de Toronto, le TDSB, de fermer ces écoles. Dans ce cas, où tous ces enfants sont-ils allés? Ils sont allés dans un quartier axé sur le transport en commun où il y a de grands immeubles d’appartements; c’est là où sont allés les enfants, loin de ces écoles vides.
Il y a eu un problème de gestion entre la planification du logement et la planification des écoles; c’est pourquoi vous voyez, au centre-ville, toutes ces immenses nouvelles tours pendant que l’on dit qu’il n’y a plus de place dans les écoles locales. Le TDSB a des places, mais pas dans ce secteur précis, tout simplement.
Le sénateur Yussuff : Merci à nos deux invités d’être là ce matin.
Monsieur Moffatt, je reviens à vous. Vous avez souligné les écarts entre les frais municipaux à l’échelle du pays. Avant d’aller plus loin, y a-t-il des paramètres qui nous permettraient de mieux comprendre la complexité du sujet?
Souvent, lorsque nous traitons de ces problèmes, nous présumons qu’ils sont les mêmes, que ce soit à Toronto ou ailleurs. Le plus souvent, lorsque nous en discutons, nous réalisons qu’ils sont très différents à chaque endroit, mais cela soulève un certain nombre de défis quant à la manière d’aborder de manière cohérente la question de l’abordabilité du logement au Canada.
Le gouvernement a élaboré des politiques, et celles-ci ne varient pas dans leurs impacts sur les municipalités. Elles ont une approche complètement différente ou peut-être plus agressive en ce qui concerne les frais locaux imposés sur les maisons neuves.
M. Moffatt : Je vais laisser M. Beheshti répondre à la question, car je crois qu’il est un des grands spécialistes canadiens en matière de différences entre les redevances d’aménagement des différentes provinces.
Monsieur Beheshti, pourriez-vous répondre à la question?
M. Beheshti : Merci, monsieur Moffatt.
Le fonctionnement d’un système de redevances d’aménagement est établi par la province. Les provinces ont toutes leur propre cadre, qui détermine les services pour lesquels elles autorisent les municipalités à imposer des frais.
Par exemple, en Ontario, nous autorisons la facturation de frais pour l’eau, les eaux usées, et j’en passe. Nous autorisons également la facturation de frais pour la santé publique et l’hébergement des personnes âgées. Certains de ces frais sont autorisés dans d’autres provinces, tandis que d’autres ne le sont pas.
Il faut souligner que ces frais sont optionnels. Les municipalités ne sont pas obligées de facturer les redevances d’aménagement. Parfois, il y a des municipalités qui ne facturent pas les redevances d’aménagement, comme Sault Ste. Marie ou Thunder Bay.
Ensuite, l’administration municipale se réunit et examine tous les services qu’elle souhaite fournir et la manière dont elle souhaite les financer. Voudra-t-elle s’endetter ou imposer des frais d’utilisation ou bien des redevances d’aménagement?
Chaque province a sa propre culture quant à la manière d’aborder le financement des infrastructures. Dans certains endroits, on crée ce que l’on appelle des sociétés de services municipaux. Un excellent exemple est celui d’EPCOR, à Edmonton, qui gère de nombreux services, comme l’électricité et de nombreux autres, et qui sous-traite ces activités à cette société. Cette dernière s’occupe de la planification financière à long terme, des dettes, de la facturation des frais d’utilisation, etc.
Ici, en Ontario, les municipalités prennent souvent en charge la prestation de services et souhaitent donc percevoir des redevances d’aménagement. En Ontario, notre culture veut que nous utilisions les redevances d’aménagement et non pas des outils comme l’endettement ou les frais d’utilisation, considérés comme étant l’argent des promoteurs ou de l’argent gratuit.
Le sénateur Yussuff : Avons-nous une méthode cohérente pour mesurer cela à l’échelle nationale? Selon l’intervention de M. Moffatt, qui a pris Vaughan comme exemple, 26 % du coût d’une maison neuve ou d’un projet immobilier est lié aux redevances. Comment cela va-t-il nous aider, dans cette municipalité, alors que, dans une ville comme Edmonton, ce pourcentage pourrait être de 10 %?
M. Beheshti : Des études pancanadiennes ont été menées — et j’y ai moi-même participé — au cours desquelles nous avons examiné les redevances d’aménagement, les taxes hors site ou les droits sur les coûts d’aménagement. Nous avons examiné ce qui a été facturé par unité.
Parfois, il faut créer un scénario de développement, car les frais sont facturés selon différentes unités de mesure. Il faut créer un scénario de développement — disons pour 75 maisons unifamiliales et 75 maisons en rangée. Appliquons ce scénario à l’Alberta, à la Colombie-Britannique et à l’Ontario, à chaque municipalité. Combien dois-je aux municipalités? Voilà comment vous obtenez ces chiffres sur les droits fracturés.
M. Moffatt : De plus, lorsque nous examinons la chose, chaque province impose des droits de mutation, des taux de transferts fonciers ou des taxes de vente différents. Évidemment, l’Alberta n’a aucune taxe de vente. L’Ontario impose une taxe de vente sur les maisons neuves. Elle impose la TVH sur les maisons neuves avec remise, alors que la Colombie-Britannique, qui a une taxe sur la vente, exempte les nouvelles maisons de cette taxe.
Au-delà des redevances d’aménagement, cependant, il y a des différences considérables entre les provinces au chapitre de toutes ces taxes provinciales sur les nouvelles maisons; certaines provinces imposent certains types de taxes seulement, d’autres offrent des remises ou des exemptions dans certaines circonstances. Cela rend ce type de comparaison difficile.
Le sénateur Yussuff : Merci.
Le président : Avant de laisser la sénatrice Mohamed poser la dernière question du premier tour, en tant qu’ancien conseiller municipal à Québec, je peux confirmer que ce n’est pas seulement différent d’une province à l’autre, ça l’est aussi d’une ville à une autre dans une même province. Dans certains cas, c’est une source de revenus importante pour quelques municipalités locales, et d’autres cas sont différents.
Si vous pouviez nous communiquer l’étude à laquelle vous faites référence, le comité vous en serait reconnaissant.
La sénatrice Mohamed : Merci à tous les témoins.
J’aimerais revenir à notre conversation sur la corrélation entre l’immigration, l’abordabilité et la disponibilité des logements.
Selon les données et les informations dont vous disposez, pourriez-vous donner votre avis sur ce à quoi on peut s’attendre et sur le délai en ce qui concerne le changement de politique d’immigration, l’abordabilité et la disponibilité des logements?
M. Moffatt : Bien sûr. Nous l’avons nous-mêmes observé dans le Sud-Ouest de l’Ontario, où, avant 2015, les logements étaient relativement abordables. Les maisons unifamiliales représentaient trois à quatre fois le revenu d’une famille de classe moyenne. Je pense à des villes comme Windsor, Brantford, etc.
Le taux de croissance de la population de l’Ontario a pratiquement doublé du jour au lendemain en 2016. Nous sommes passés d’une augmentation de 100 000 personnes par année à une augmentation de 200 000 personnes par année. Nous avons commencé à voir une augmentation importante des prix sur ces marchés historiquement abordables. Une part de cette hausse était due aux nouveaux arrivants internationaux, mais une autre part était due à la hausse des prix à Toronto, qui a poussé les gens à déménager à Brantford, London, etc. Les périodes sont donc proches l’une de l’autre.
Je dirais que, si cette augmentation de la population avait été plus progressive et avait été annoncée plus tôt et si les municipalités avaient eu plus de temps pour planifier, elles auraient pu modifier les systèmes et auraient pu s’adapter à cette croissance.
Ce n’est pas seulement une question de croissance démographique; c’est aussi une question d’anticipation et de planification, car on ne peut pas construire et financer un appartement du jour au lendemain si la population commence à croître rapidement. Je vois que M. Love est en ligne, et je suis certain qu’il en parlera avec le prochain groupe de témoins.
Cela joue beaucoup. Ce n’est pas seulement que la population a augmenté, c’est qu’elle l’a fait d’une manière si rapide et imprévue que les administrations locales et le secteur privé n’avaient aucun moyen de réagir à une telle croissance.
La sénatrice Mohamed : Merci. Quand j’entends cela, je me dis que le problème tient au fait qu’il est facile pour les gens de faire porter le chapeau aux immigrants additionnels. Je crois qu’il y a beaucoup plus de facteurs en jeu.
Y a-t-il des municipalités qui disent « nous avons besoin de main-d’œuvre dans notre municipalité pour faire face à des problèmes tels la pénurie de personnel en santé ». Y a-t-il une municipalité qui a trouvé le bon équilibre entre les taux d’immigration — c’est-à-dire, des immigrants qui viennent pour palier la pénurie de main-d’œuvre —, l’abordabilité et la disponibilité des logements?
M. Moffatt : Oui, beaucoup de municipalités, des petites municipalités, reconnaissent que c’est une occasion. Je prends par exemple la ville de Mississippi Mills, en périphérie d’Ottawa, qui a reconnu qu’il fallait des logements à bas prix pour les familles et qui a compris que l’augmentation du nombre de familles venant s’installer dans la région depuis d’autres régions du Canada ou du monde pourrait contribuer à résoudre les problèmes liés au marché du travail et les problèmes liés à une population vieillissante.
Soyons clairs; ce n’est pas la responsabilité d’un étudiant international de 18 ans, qui vient de Varsovie ou de Bangkok, de veiller à ce que le Canada ait un système de logement qui fonctionne. C’est la responsabilité de nos dirigeants. Les administrations municipales et les gouvernements provinciaux doivent avoir une idée ou un avis quant à la vitesse à laquelle la population va croître. S’ils ignorent si, en 2030, la population du Canada augmentera de 200 000 ou de 2 millions de personnes, ils ne peuvent pas vraiment planifier en fonction de cela. Ils ont besoin d’un certain degré de certitude, qu’ils n’ont pas été en mesure d’obtenir, historiquement, du gouvernement fédéral.
Le sénateur Varone : J’aimerais approfondir un sujet que vous avez abordé : dans la mesure où tous les logements sont régis par la loi de l’offre et de la demande, il semble que cela a été supplanté ici par la loi des rendements décroissants. Vous avez parlé du coût de la TVH, du déclin du marché et des ventes nulles. Quel est le coût réel de l’inaction, pour le gouvernement, en ce qui concerne les pertes sur la taxe d’accise — c’est-à-dire la TVH et la TVP —, les pertes sur l’impôt sur le revenu des travailleurs mis à pied, les pertes sur la taxe sur les transferts fonciers versée aux provinces et les pertes sur les redevances d’aménagement? Quel est l’effet cumulatif du fait de ne pas aider l’industrie?
M. Moffatt : Nous avons étudié cela à la Missing Middle Initiative en utilisant les données sur les ventes du Groupe Altus. Dans la région du Grand Toronto seulement, nous observons une baisse des ventes immobilières, qui entraînera à l’avenir une baisse de la construction immobilière.
Nous avons conclu que les trois ordres de gouvernement — si le rythme se maintient — perdront environ 6 milliards de dollars par année sur toutes les taxes que vous avez énumérées et que les pertes du gouvernement fédéral seront d’environ 2,4 milliards de dollars.
Lorsqu’on y ajoute les réductions observées dans le marché de Vancouver, la réduction du gouvernement fédéral dépasse les 3 milliards de dollars par année, ce qui, nous le savons, représente plus que la totalité des dépenses annuelles de Maisons Canada.
Le sénateur Varone : Pourriez-vous nous transmettre cette information? Je sais que vous avez beaucoup écrit, mais nous serions heureux de bénéficier de ces documents, si vous pouviez nous les envoyer.
M. Moffatt : Absolument. Avec plaisir.
Le sénateur Varone : Merci.
Le sénateur Loffreda : Monsieur Moffatt, comme vous le savez très bien, les taxes génèrent bien entendu des recettes pour tous les ordres de gouvernement et sont nécessaires pour préserver le filet de sécurité sociale que nous avons ici, au Canada. Vous avez répondu à une question plus tôt, en disant que si nous construisons moins de maisons, moins de recettes sont générées. Mais si nous examinons la raison pour laquelle... parce que, une fois que nous connaissons la raison, le problème est plus facile à régler. Pouvons-nous jeter le blâme seulement sur les taxes? Nous examinons l’augmentation des coûts d’intérêt. Nous tenons compte du fait que les taux d’immigration diminuent. Nous examinons les taxes imposées aux acheteurs étrangers. Dans quelle mesure, selon vous, il ne s’agit que des taxes? Certains autres problèmes doivent également être résolus, mais j’aimerais savoir ce que vous en pensez.
M. Moffatt : Il y a une multitude de problèmes à prendre en considération. Il n’est certainement pas question d’un seul problème. Nous devons nous pencher sur le zonage. Nous devons examiner les codes du bâtiment et la lenteur des approbations. Nous devons tenir compte de toutes ces choses.
Ces choses prennent du temps. L’avantage d’une réforme fiscale, c’est qu’elle peut se faire très rapidement. D’un trait de plume, nous pourrions augmenter les montants de remboursement de la TPS. Il y a des avantages à se concentrer sur les taxes, mais il faut tenir compte de tout ce qui a été mentionné précédemment. Si le gouvernement fédéral tient vraiment à faire construire 500 000 maisons par année, il faudra fournir des efforts de guerre. C’est l’une des choses dont nous ne parlons pas. Le gouvernement fédéral a pour objectif de lancer un programme d’une ampleur astronomique en matière de logement, mais nous devons prendre conscience que cela entraînera des coûts tout aussi astronomiques. Les objectifs ambitieux du gouvernement fédéral doivent être accompagnés d’une contribution financière qui est proportionnelle à l’ampleur de la tâche.
Le sénateur Loffreda : Merci.
Le sénateur Fridhandler : J’hésite à poser la question, parce que je me considère un peu comme une personne libérale modérée au grand cœur, mais, au début des années 1980, j’ai survécu à l’apocalypse, à Calgary. Je n’étais pas propriétaire d’une maison, mais dans tout le pays, les taux hypothécaires étaient élevés, et des gens perdaient leur maison partout. Cela s’est probablement produit ailleurs dans le pays.
À quel point le gouvernement doit-il intervenir pour apporter du soutien plutôt que de laisser le marché suivre son cours? Vous avez fait mention de certains coûts, mais je ne suis pas certain que nous allons sortir de ce cycle si nous continuons d’intervenir, puis qu’il n’y a aucun plafonnement des coûts et des rendements attendus par les entrepreneurs. Le marché doit parfois s’ajuster pour éviter d’être soutenu de manière artificielle. Pouvez-vous faire des commentaires à ce sujet?
M. Moffatt : Certainement. Nous ne voulons certainement pas préconiser un stimulus artificiel. Nous devons préconiser des réformes structurelles plus importantes.
Pour ce qui est des entrepreneurs, ils doivent réaliser un profit minimum pour obtenir du financement de la Société canadienne d’hypothèques et de logement. Si le gouvernement fédéral souhaite que les entrepreneurs construisent en touchant des marges bénéficiaires plus faibles, il doit s’adresser au Bureau du surintendant des institutions financières, ou BSIF, et modifier la réglementation afin de permettre aux établissements de prêter plus facilement de l’argent aux entrepreneurs qui travaillent sur des projets dont la marge de profit est moins élevée.
À moins qu’ils puissent s’autofinancer, les entrepreneurs doivent obtenir un prêt, et ils ne pourront pas obtenir un prêt d’une institution financière si la marge de profit relative à ce prêt n’est pas suffisamment élevée. Le prêt est tout simplement trop risqué. La dernière chose que nous voulons, c’est de nous retrouver dans une grande crise financière comme aux États‑Unis, où les institutions financières octroient d’importants prêts pour des projets à faibles profits qui ne sont pratiquement pas viables. Il faut que le système atteigne une certaine marge de profit pour que cela fonctionne.
[Français]
Le président : Merci à nos témoins, M. Moffatt et M. Beheshti. Le contenu de vos témoignages était, selon moi, très intéressant et au cœur même de notre étude. Nous allons en tenir compte dans notre rapport.
Chers collègues, nous allons suspendre nos travaux pour passer au prochain groupe.
[Traduction]
Nous allons maintenant passer à notre deuxième groupe de témoins alors que nous poursuivons notre étude sur la crise du logement au Canada et les obstacles auxquels se heurtent actuellement les acheteurs de maisons canadiens.
Notre deuxième groupe de témoins comparaît, une fois de plus, par vidéoconférence. J’aimerais souhaiter la bienvenue à notre invité : M. Jon Love, chef de la direction de KingSett Capital. Merci, monsieur Love, d’avoir accepté notre invitation. Bienvenue au comité. Vous êtes venu témoigner ici il y a deux ans. Je me souviens que votre témoignage avait été instructif.
Puisque vous comparaissez devant nous par vidéoconférence aujourd’hui, si vous éprouvez des problèmes techniques, mentionnez-le à notre greffier, et nous tenterons de corriger la situation. Monsieur Love, allez-y s’il vous plaît. Vous avez la parole.
Jon Love, chef de la direction, KingSett Capital : Merci. J’aimerais tout d’abord remercier le comité de me donner la possibilité de me pencher sur la question cruciale des répercussions de la hausse des taxes sur la situation du logement au Canada, répercussions qui se font tout particulièrement sentir sur les marchés de Toronto et de Vancouver, où les taxes et les coûts sont élevés.
Nous connaissons des difficultés liées aux logements, qui deviennent de plus en plus inabordables au point où notre marché est maintenant en grande partie gelé, et où le nombre de mises en chantier, de ventes et de reventes de maisons n’a jamais été aussi bas. Ce manque actuel d’activités met en péril les moyens de subsistance des quelque 6 000 Canadiens qui sont employés dans le domaine de la construction de maisons neuves. De plus, l’absence de nouvelles mises en chantier engendrera des problèmes encore plus grands dans un an ou deux à mesure que la population augmente et que la demande reprend, ce qui mènera à une grave pénurie de logements. Nous traversons, en effet, une crise.
La bonne nouvelle, c’est que la crise a été causée par des politiques publiques imparfaites, ce qui veut dire que si nous y apportons les changements qu’il faut, cela aurait une incidence considérable et permettrait d’offrir des logements plus abordables et accessibles à tous les Canadiens.
Essayons de comprendre les deux principales causes de la crise : la réglementation et la taxation. Au cours de la dernière génération, la réglementation est devenue de plus en plus complexe, redondante et coûteuse. De simples modifications ou approbations prennent souvent des années à être traitées, mais c’est une autre histoire. Je suis ici pour parler des répercussions des taxes sur l’abordabilité des logements et l’offre de logements.
Tout d’abord, rappelons-nous que nous imposons des taxes sur des choses que nous ne voulons pas : les cigarettes, l’alcool, l’essence et, bien entendu, le logement. Les conséquences sont prévisibles : une pénurie et l’augmentation des prix.
Au fil des ans, des villes se sont fait demander d’en faire de plus en plus, à la fois par leurs résidents et par les ordres supérieurs de gouvernement. Pour ce qui est du financement, les municipalités comptent essentiellement sur les impôts fonciers. Dans la plupart des cas, elles ont augmenté les frais au taux de base commercial, et elles hésitent à augmenter les taxes au taux de base résidentiel, c’est-à-dire le taux payé par leurs électeurs.
L’augmentation de l’offre de logements qui dure depuis des décennies au Canada a donc été ciblée comme source de recettes principalement, mais pas exclusivement, grâce aux redevances d’aménagement ou RA. À Toronto, les RA ont décuplé en seulement 10 ans. À Toronto, pour une maison, un jumelé ou une maison en rangée, elles sont passées de 14 000 $ à 143 000 $ en 10 ans.
Le calcul politique a consisté à convaincre la population qu’il s’agit d’une taxe imposée aux promoteurs. Étant donné que cette taxe est refilée aux acheteurs ou aux locataires, elle est devenue une taxe imposée aux utilisateurs finaux. Le calcul précis des taxes, des frais et des redevances est très complexe et unique à chaque projet. En chiffres ronds, à l’heure actuelle, à Toronto, pour un nouvel immeuble à appartements ou immeuble d’habitation en copropriété, la TVH est d’environ 10 %, les redevances d’aménagement sont sensiblement les mêmes, et les autres frais et taxes sont d’environ 5 %, ce qui porte le total à 25 %. Pour ce qui est de l’utilisateur final, il faut ajouter 3 à 5 % en raison des droits de cession immobilière imposés à l’achat, et la charge fiscale totale est donc proche de 30 %.
Pour mettre les choses en perspective, nous travaillons présentement sur un projet résidentiel de 340 millions de dollars dont les RA, les taxes et les frais s’élèvent à 88 millions de dollars, ce qui représente 25 % du coût total et quatre fois le coût du terrain. En fin de compte, le problème, c’est que tout dépend d’un modèle de financement municipal.
La devise selon laquelle la croissance paie pour la croissance a déjà existé. Maintenant, ce sont les nouveaux propriétaires de maison qui financent les propriétaires actuels. Ce n’est pas un modèle viable.
Le taux d’imposition excessif freine maintenant la construction de nouveaux lotissements. Nous avons plusieurs sites qui sont prêts pour la construction de logements locatifs, mais en raison des coûts fiscaux élevés, le coût des loyers doit largement dépasser les prix des loyers du marché actuel; les projets ne sont donc tout simplement pas viables. Le ralentissement de l’industrie témoigne des répercussions du taux d’imposition.
En 2023, la Ville de Toronto a perçu des redevances d’aménagement de 723 millions de dollars, ce qui est un chiffre record. En 2025, le budget était de 500 millions de dollars. Mais selon le cumul annuel à ce jour, il ne s’agit que de 59 millions de dollars parce qu’il s’avère qu’un taux d’imposition élevé sur l’absence d’activités ne rapporte pas grand-chose.
La Ville doit payer de réels coûts de renonciation. En ce qui concerne le projet que j’ai mentionné précédemment, on paie des impôts fonciers de 500 000 $ par année seulement pour le terrain. Si nous avions les moyens de construire ces immeubles à appartements, les taxes imposées par la Ville, une fois la construction terminée, seraient de 3 millions de dollars par année, ce qui constitue, pour la Ville, des recettes fiscales supplémentaires permanentes de 2,5 millions de dollars.
La solution est simple. Nous devons changer le modèle de financement municipal. Nous proposons de supprimer l’ensemble des taxes, des frais et autres prélèvements qui découlent de la construction de nouveaux logements, ce qui réduirait le coût des nouveaux logements de 25 à 30 % et relancerait l’industrie. Pour remédier au déficit des recettes municipales, il existe un certain nombre de solutions, et en voici trois :
Premièrement : le financement par de nouvelles taxes foncières; la ville finance une future augmentation des impôts fonciers, ce qui se fait couramment dans d’autres pays.
Deuxièmement : une compression des dépenses. Pour ce qui est des redevances d’aménagement perçues par la Ville de Toronto, le budget se situe à environ 500 millions de dollars, mais en fonction d’un budget de dépense et d’immobilisations de 20 milliards de dollars, cela ne représente que de 2,5 % des recettes totales.
Troisièmement : les impôts fonciers. Environ deux tiers des redevances d’aménagement actuelles sont alloués pour couvrir les coûts généraux d’exploitation et ne sont pas liés aux nouvelles maisons.
Pour qu’une période de transition soit possible, le gouvernement fédéral pourrait jouer un rôle clé en finançant la moitié des redevances d’aménagement perdues de manière décroissante sur une période de 10 ans, comme s’il s’agissait d’un investissement dans le logement, puis laisser les villes s’occuper du reste.
Si on élimine ces taxes, les coûts assumés par les utilisateurs finaux baisseraient d’environ 25 %, ce qui encouragerait les fournisseurs de logements, comme notre entreprise, à se lancer et à réduire le coût des logements offerts aux Canadiens. Essentiellement, à mesure que l’offre de logements locatifs à faible coût augmente, le prix des maisons fléchit, et les recettes fiscales foncières augmentent. Tout le monde y gagne.
En conclusion, j’ai trois recommandations :
Premièrement : il est temps de prendre des mesures audacieuses, et non pas de mettre en place des demi-mesures ou de nouveaux programmes complexes.
Deuxièmement : supprimer l’ensemble des taxes, des redevances et des frais applicables à tous les nouveaux logements, et résister à la tentation de créer une politique visant à compliquer une idée simple.
Troisièmement : le gouvernement fédéral doit égaler 50 % des frais d’aménagement qui seraient autrement dus, ces contributions diminuant au cours d’une période de transition.
Construisons pour l’avenir du Canada.
Je vous remercie de votre temps aujourd’hui. Je serai heureux de répondre à vos questions.
Le président : Merci, monsieur Love. Je vous ai accordé plus de temps pour présenter votre déclaration liminaire, puisque vous aviez des propositions précises. C’était instructif. Merci.
Nous allons commencer par notre vice-président, le sénateur Varone.
Le sénateur Varone : Bienvenue, monsieur Love. Je me range à vos propos à 99,9 %. Vous avez fait il y a deux ans un commentaire que je me sens obligé de soulever et auquel je m’oppose. Le commentaire qui vous a été attribué était que le Canada doit s’attacher en priorité à attirer des immigrants possédant des compétences dans les métiers spécialisés, dans le cadre d’une stratégie à long terme visant à encourager les Canadiens à se tourner vers ces métiers.
Je suis constructeur de maisons et promoteur depuis environ 40 ans; avant moi, mon père a été constructeur de maisons et promoteur pendant 30 ans. Quand il a immigré au Canada, mon père ne possédait absolument aucune compétence. Il était accompagné de tous ses oncles, cousins, parents et amis.
Après la vague d’immigration italienne est venu le tour des Portugais. Encore une fois, ils n’avaient aucune compétence. Ce qu’ils ont appris, ils l’ont appris ici. Ils sont arrivés avec une éthique de travail.
Aujourd’hui, nous avons des Syriens et des Irakiens qui travaillent d’arrache-pied pour acquérir des compétences qui contribuent au tissu de la société, et tout ce qu’ils ont appris, ils l’ont appris ici.
Je devais le souligner aux fins du compte rendu, parce que la façon dont nous choisissons nos immigrants me tient vraiment à cœur.
Pour ce qui est de vos commentaires, je déplore de devoir prendre les États-Unis comme point de référence, mais dans des villes comme Houston, tout relève d’un zonage automatique, c’est-à-dire que vous pouvez construire un immeuble de condominiums de 100 unités ou un pâté de 15 maisons en rangée sans autorisation supplémentaire.
Il me semble que ce modèle ne s’applique pas dans nos centres urbains. Tout est une lutte. Tout est compliqué.
Lorsque vous regardez l’aménagement du territoire, entrevoyez-vous — comme tout premier point de départ — que l’on puisse encourager les municipalités à examiner leurs plans officiels et à créer un zonage automatique?
M. Love : Je veux d’abord répondre au premier commentaire sur l’immigration. Je suis très pro-immigrant. Je partage tout à fait votre point de vue selon lequel ils sont travaillants et constituent l’épine dorsale de nos métiers.
Le problème auquel j’essayais de m’attaquer dans mon exposé de 2023 était que notre industrie n’a jamais été en mesure de construire plus de 250 000 unités par année. En fait, les pics de livraison remontent à 1976.
Si nous voulons atteindre les 500 000 unités, nous nous heurterons à une importante pénurie de main-d’œuvre. Nous devons cibler les nouveaux Canadiens ou encourager nos Canadiens à se tourner vers ces métiers, car nous allons faire face à une pénurie de main-d’œuvre. C’était le problème précis dont il était question.
Pour ce qui est du zonage, j’ai commencé mon intervention en disant que toute la question de la réglementation est l’un des deux défis que doit relever l’industrie du logement. Je laisserai ce sujet pour une autre occasion, car il est extrêmement complexe et que les positions politiques sont souvent difficiles à concilier.
En ce qui concerne la fiscalité, toutefois, le gouvernement fédéral pourrait, d’un simple trait de plume, rendre cela possible. Vous constateriez immédiatement une diminution de 25 % des prix des nouveaux logements, ce qui serait formidable. Nous pourrions assister à la construction de projets de logements abordables, comme des logements locatifs et d’autres.
Si nous ne changeons pas les choses — tout le monde parle d’effleurer le problème; un autre programme pour ceci, un autre programme pour cela. Notre équipe compte trois personnes à temps plein uniquement pour interpréter les divers programmes gouvernementaux. Ils se chevauchent et se contredisent parfois. Pour notre projet de logements abordables, nous avons dû fournir près de 50 documents avant de pouvoir démarrer. Le processus est complètement dysfonctionnel.
Il serait si simple de dire : « Il n’y aura pas de taxe sur les nouveaux logements, parce que nous voulons de nouveaux logements. » Bien sûr, vient ensuite la question de savoir comment combler le manque à gagner municipal, qui est aussi un enjeu auquel j’ai tenté de répondre.
Le sénateur Fridhandler : Monsieur Love, je vous remercie de votre proposition intéressante. Nous allons devoir y réfléchir un peu.
J’aimerais revenir à votre intervention du début, quand vous avez mentionné la crise qui sévit à Toronto et à Vancouver, disant qu’il s’agit essentiellement des deux endroits où elle pourrait exister au pays. Je me dis : « Qu’en est-il de Montréal? » Cela fait des années que j’y ai habité. Je me souviens que c’était un marché locatif important.
Je vis maintenant à Calgary. La situation commence à se stabiliser en ce qui concerne l’abordabilité des logements locatifs. Je reviendrai sur la question de la mentalité et de la culture du logement locatif par rapport à la propriété et à la manière dont cela influence, de façon générale, notre structure fiscale.
M. Love : La raison pour laquelle j’ai choisi Toronto et Vancouver comme point de départ, c’est parce que c’est là que le fardeau fiscal et les taxes municipales sont les plus élevés, ce qui est la cause des plus grands bouleversements. Les taxes ont le même effet, qu’il s’agisse de logements à vendre ou de logements locatifs.
Dans le cas de logements locatifs, vous construisez l’immeuble à appartements, mais 25 ou 30 % de vos coûts sont en fait des taxes. Vous devez augmenter vos loyers de ce même montant pour couvrir le capital.
Pire encore, la TVH sur le logement locatif — qui est levée à l’heure actuelle — a été appliquée non pas au coût de l’immeuble à appartements, mais bien à sa valeur marchande lorsqu’il a été terminé. Autrement dit, vous payez la TVH pour les terres que vous possédez déjà. Vous payez la TVH sur toute valeur créée, quelle qu’elle soit. Voilà une manière de décourager toute construction immobilière potentielle.
La question fiscale se répercute tant sur les propriétaires que sur les locataires, selon exactement le même modèle. C’est bien simple : 25 % de leur loyer ou 25 % du prix d’achat de leur maison sont attribuables aux taxes municipales et fédérales, aux redevances et aux frais.
Le sénateur Fridhandler : J’ai une autre question concernant le marché locatif. Les avantages et l’incitatif à l’accession à la propriété plutôt qu’à la location, si les gens comprenaient réellement l’économie ultime, sont les suivants : au bout du compte, un propriétaire — peu importe ses investissements au fil des ans — bénéficie d’une exonération d’impôt sur la vente de sa résidence principale, alors qu’un locataire, qui a payé un loyer pendant toutes ces années, ne reçoit aucun avantage fiscal et se retrouve avec aucune économie liée au fait d’avoir simplement eu un toit sur la tête.
Y a-t-il un moyen, dans notre régime fiscal, de réagir à cette iniquité perçue?
M. Love : Mon interprétation du contrat social avec les Canadiens est que vous devriez avoir les moyens d’acheter une maison. Vous achetez une maison. Au fil du temps, elle constituera votre fonds de retraite, et cela fait partie de l’important patrimoine des Canadiens.
Je ne pense pas que nous devrions permettre la déduction des paiements d’intérêt ou des paiements hypothécaires. Je ne pense pas non plus que nous devrions avoir de gains en capital. Je soutiens pleinement la politique gouvernementale selon laquelle l’ARC ne taxe pas la résidence principale. C’est une mesure qui a joué un rôle majeur dans la stabilisation du patrimoine pour les Canadiens.
Il a été question de tenter de rétablir l’équité en permettant, par exemple, de rendre une partie du loyer déductible d’impôts, et ainsi de suite. Pour être franc, cela ne me semble pas être un moteur important. Ce qui importe, c’est de savoir comment rendre le logement plus abordable et plus accessible. Le Canada est le pays du G7 qui a le taux d’accession à la propriété le plus élevé, certainement beaucoup plus que celui de nos amis américains. Je pense que c’est une politique que j’encouragerais.
Le sénateur Fridhandler : En ce qui concerne l’abordabilité, les Canadiens ne semblent pas très disposés à déménager à l’autre bout du pays et à quitter leur lieu de naissance, leur nid. Ils doivent rester à Toronto s’ils viennent de Toronto, contrairement à certains de nos citoyens d’autres pays qui sont très mobiles. Par exemple, soit dit en passant, j’entends dire que de nombreuses personnes déménagent de la magnifique ville de Vancouver pour aller à Calgary parce qu’elles sont prêtes à accepter une baisse de revenu, car elles peuvent s’offrir une maison avec un jardin dans la région de Calgary.
De même, j’entends parler de gens qui sont venus des Maritimes et qui ont travaillé dans le champ de pétrole, et qui voient maintenant là une bonne occasion de vendre et de retourner vivre dans le Canada atlantique, où c’est moins cher.
Certains de ces déplacements devraient également tenir compte de la dynamique de l’abordabilité. Vous allez là où vous avez les moyens d’acheter une maison, mais nous semblons résister à cette idée et voulons que les gens restent exactement à l’endroit où ils ont grandi. Pouvez-vous vous prononcer à ce sujet?
M. Love : J’ai grandi à Edmonton et j’ai vécu à Toronto pendant 45 ans; bien sûr, mes amis d’Edmonton se demandent encore à quel moment je reviendrai.
Le manque de mobilité de la main-d’œuvre ici témoigne du manque de mobilité des entreprises. Aux États-Unis, constamment, vous voyez des entreprises déménager d’une administration à l’autre pour des raisons fiscales, à cause de la concurrence et pour un certain nombre d’autres raisons. La mobilité des entreprises n’existe pas au Canada. Il est très rare de voir des changements majeurs. Mais nous en avons vu. Au cours de mes 50 années d’expérience, nous avons observé la migration de sociétés financières de Montréal à Toronto à la fin des années 1970 et au début des années 1980. Des sociétés énergétiques ont aussi déménagé de Toronto à Calgary dans les années 1980. Ce sont des migrations que nous avons observées. Mais à cause du manque de mobilité des entreprises, la main-d’œuvre n’a pas le même degré de mobilité. Là où la demande est la plus forte, nous voyons des habitants des Maritimes aller travailler dans les sables bitumineux. Vous voyez tout cela, mais ce n’est pas une tendance générale.
La sénatrice Martin : Merci de votre témoignage aujourd’hui. J’aurais aimé qu’il suffise d’un trait de plume pour qu’on puisse prendre des mesures audacieuses. Vous nous avez fourni de bonnes recommandations.
Pour revenir à l’une de vos recommandations, soit celle d’éliminer les taxes, les redevances et les frais à l’échelon municipal — pour remettre à zéro le modèle de financement municipal —, quelles sont les étapes pratiques que le gouvernement fédéral devrait ou pourrait suivre pour convaincre les municipalités de réduire leurs redevances d’aménagement et accélérer la délivrance de permis? Pouvez-vous nous dire ce que le gouvernement fédéral pourrait faire, de façon pratique? Comment pouvons-nous rendre cela possible à l’échelle municipale?
M. Love : Pour diviser la question en deux éléments, je laisserais de côté toute la question de la délivrance des permis et la question réglementaire, parce que c’est très complexe. Au bout du compte, si dysfonctionnel que ce soit, selon moi, ce n’est pas le problème de fond.
En ce qui a trait à la fiscalité précisément, à voir la mesure dans laquelle le gouvernement fédéral transfère des sommes d’argent aux provinces et aux villes — les villes ne sont qu’une création des provinces —, il me semble, et il est facile pour moi de le dire, que nous disposons d’importants leviers de négociation et de discussion approfondies.
Il est clair que les politiciens de tous les échelons conviennent qu’il y a une crise du logement. Les politiciens de tous les échelons comprennent qu’ils sont vulnérables s’ils n’agissent pas dans le dossier du logement. Selon moi, la stratégie du premier ministre, notamment avec Maisons Canada et ainsi de suite, est une initiative intéressante, mais à elle seule, elle ne lui donnera pas ce dont il a besoin. Il doit libérer ce qui est sans doute l’une des communautés d’aménagement résidentiel les plus avancées au monde pour accroître l’offre de logements durables, et tout repose sur la question du fardeau fiscal.
Quand je parle à mes amis américains et que je leur demande ce qu’ils pensent d’un impôt sur le capital, ils me regardent comme si je venais de Mars, parce que cela n’existe pas ailleurs. En fait, le financement par de nouvelles taxes foncières aux États-Unis est utilisé pour donner de l’argent au promoteur afin de l’inciter à construire, parce que la municipalité comprend qu’elle bénéficiera, à long terme, d’une augmentation des recettes fiscales une fois le bâtiment construit.
Nous devons avoir une discussion sérieuse. Elle doit commencer à l’échelon supérieur du gouvernement qui, au bout du compte, a le plus gros carnet de chèques et signe la plupart des chèques. Il me semble que c’est à cet échelon de gouvernement de faire preuve de leadership et de faire bouger les choses. Tout le monde met sur pied de nouveaux programmes, ce qui nécessite un plus grand nombre de gens pour les comprendre. Parfois, ces programmes se chevauchent, et parfois, ils se contredisent. Rien de tout cela ne fait vraiment avancer les choses.
En l’absence de mesures audacieuses, je crois que les Canadiens demandent au gouvernement d’être audacieux. Le premier ministre a été clair lors de sa campagne électorale et après, car il a dit qu’il voulait construire à un rythme que les Canadiens n’ont pas vu depuis des générations. Je pense que cela a inspiré un grand nombre d’entre nous. Faisons-le maintenant.
Ce régime fiscal en place, qui taxe les nouveaux projets immobiliers, est brisé. Si vous pensez simplement à acheter une maison de 1 million de dollars, pour acheter le terrain et construire le bâtiment, vous donnez un profit de 750 000 $ au promoteur, et 250 000 $ partent en impôts. C’est assez pour vous rendre fou. À 750 000 $, bien des gens diraient : « En fait, je peux me permettre cette maison, mais pas une à 1 million de dollars ». Alors, essayons de comprendre cela.
La sénatrice Martin : C’est peut-être quelque chose que vous pourriez nous envoyer, car vous n’en avez pas parlé précisément, mais vous avez critiqué les récentes augmentations fiscales sur les gains en capital, car cela éloignerait les capitaux des marchés canadiens et dissuaderait les promoteurs immobiliers.
Je voulais vous demander de nous en dire plus sur ces données économiques en ce qui concerne cette préoccupation. Étant donné que mon temps est écoulé, c’est peut-être quelque chose que vous pourrez envoyer au comité.
M. Love : L’augmentation du taux d’inclusion pour accroître le taux d’imposition des gains en capital donne seulement une raison de plus pour investir les capitaux ailleurs. Comme vous le savez, les capitaux sont très mobiles, et si nous avions vu cette proposition d’il y a deux ans se concrétiser, je pense que beaucoup de gens auraient simplement investi leurs capitaux dans d’autres marchés où cette taxe n’est pas imposée.
Le sénateur Loffreda : Monsieur Love, merci de vous être joint à nous aujourd’hui. Nous vous remercions du temps que vous nous accordez, et je vous remercie d’avoir répondu si rapidement à mon appel. Cela en dit long sur votre volonté de nous aider à régler cette crise pour les Canadiens.
Votre témoignage devant le comité il y a quelques années a joué un rôle clé dans la rédaction de notre rapport sur l’abordabilité du logement, publié en décembre 2023. Alors que notre comité porte maintenant son attention sur certains des autres défis auxquels les acheteurs de maison canadiens sont confrontés, en particulier les taxes, frais et autres charges imposés par le gouvernement, j’aimerais revenir sur un point que vous avez mentionné lors de votre dernière comparution, et aussi ce matin. Vous avez insisté sur la nécessité de supprimer ou de réduire les redevances d’aménagement municipales pour soutenir la construction d’immeubles locatifs à plus grande densité. Compte tenu des pressions budgétaires actuelles, il pourrait être difficile pour le gouvernement de simplement renoncer à ces redevances ou de les réduire, même si vous avez souligné qu’un taux d’imposition élevé sur aucune activité ne génère évidemment aucun revenu.
Dans ce contexte, que recommanderiez-vous pour restructurer la manière dont les municipalités appliquent les redevances d’aménagement afin de mieux encourager l’essor du logement abordable? Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet?
Aussi, je tiens à mentionner que je me rappelle que, dans les années 1980, nous avons connu une crise du logement semblable. L’inflation était un problème. Les incitatifs n’étaient pas destinés uniquement aux acheteurs; il y en avait aussi pour les investisseurs. À l’époque, je me rappelle que les immeubles résidentiels à logements multiples devaient être en béton, et vous pouviez déduire l’amortissement et créer une perte, car les revenus locatifs ne suivaient pas les coûts d’aménagement.
Comment équilibrer tout cela : des incitatifs pour les acheteurs, oui, en réduisant les impôts, mais aussi des incitatifs pour les investisseurs? J’ai aimé ce que vous avez dit : taxer ce que nous ne voulons pas. L’exemple de la taxe sur le capital que vous avez évoqué était pertinent, tout comme votre analyse des politiques publiques imparfaites en matière de réglementation et d’imposition ainsi que vos trois recommandations, que nous étudierons en détail.
M. Love : Merci. Permettez-moi de fournir deux éléments de réponse.
Tout d’abord, la loi sur les immeubles résidentiels à logements multiples, au début des années 1980, est née de l’absence de formation de capital pour investir dans les logements locatifs. Aujourd’hui, environ 45 ans plus tard, avec un secteur des fonds de pension bien capitalisé au Canada, qui n’existait pas en 1980, il y a une quantité incroyable de capitaux disponibles pour construire des logements locatifs. Je peux recueillir autant d’argent que vous pouvez imaginer pour construire des logements locatifs.
Le programme des immeubles résidentiels à logements locatifs serait une solution à un problème qui, selon moi, n’existe pas. Il ne s’agit pas de formation de capital; il s’agit de savoir si vous pouvez investir dans un immeuble à appartements et faire de l’argent. Le problème aujourd’hui, c’est que les taxes sont si élevées que vous devez le construire et percevoir un loyer trop élevé auprès de vos locataires. Vous n’avez tout simplement pas la certitude que vous tirerez ce revenu, alors le risque est trop élevé.
L’autre élément est que, de toute évidence, chaque gouvernement cherche des revenus, et c’est toujours le cas. À Toronto, les redevances d’aménagement, qui constituent l’essentiel des charges là-bas, ne représentent que 2,5 % du budget global de la municipalité. Encore une fois, si le gouvernement fédéral venait dire qu’il remplace 50 % de ces fonds perdus selon un taux de base dégressif sur 10 ans de manière à donner à une municipalité une période de transition pour s’adapter, elle aurait plusieurs choix : le financement par de nouvelles taxes foncières, la compression des dépenses ou l’imposition de taxes foncières municipales. Juste entre nous, Toronto a les taxes foncières les plus basses par dollar de valeur en Amérique du Nord.
Même si cela peut être impopulaire sur le plan politique, il existe une grande marge de manœuvre fiscale pour ce qui est du logement, parce qu’il a été subventionné par les redevances d’aménagement, qui ont désormais étouffé les nouveaux projets immobiliers. Plus encore, elles ont engendré un modèle de prix excessifs qui a rendu le logement inabordable.
Le sénateur Loffreda : Merci, monsieur Love.
[Français]
La sénatrice Henkel : Merci d’être parmi nous, monsieur Love, et merci pour toutes vos recommandations. Il est évident que le besoin en nouveaux logements est tel que tous les acteurs des secteurs public et privé doivent être pleinement mobilisés. Votre entreprise est un acteur influent sur le marché immobilier canadien, notamment dans les grandes villes. Votre modèle économique vise une rentabilité élevée. Notre étude porte en particulier sur l’abordabilité du logement. Je voudrais savoir comment vous conciliez cette exigence de rendement avec la nécessité de maintenir des loyers accessibles et stables pour les ménages.
[Traduction]
M. Love : Merci. C’est une excellente question.
À toute échelle donnée, la mobilisation de capitaux doit s’assortir de retombées économiques. Notre Fonds pour le logement abordable, qui est un fonds important, cible en fait un taux de rendement inférieur à nos taux de rendement standard. Les investisseurs de ce fonds examinent le rendement à travers deux prismes : d’abord, s’il s’agit d’un rendement économique raisonnable, et ensuite, si on estime qu’il produit un rendement social, ce que nous soutenons.
En général, dans les projets immobiliers résidentiels, les promoteurs construisent en fonction des coûts. En d’autres termes, il n’y a pas de marge de profit sur l’aménagement, et vous construisez le bâtiment parce que vous souhaitez un revenu à long terme. La marge n’est pas très grande. Si vous examinez la marge des promoteurs de condominiums, elle avoisine les 10 à 12 %, ce qui n’est pas énorme, compte tenu de tous les risques qu’ils assument.
C’est un peu une légende urbaine de dire que les gens gagnent beaucoup d’argent avec l’immobilier, car ce n’est pas le cas. Le marché s’adapte. Ce n’est tout simplement pas ainsi que cela fonctionne. Encore une fois, il vous faut un rendement concurrentiel adapté au capital, mais il n’y a pas de rendement excédentaire.
[Français]
La sénatrice Henkel : Si vous me permettez de poser une dernière question, quel est votre processus d’évaluation lors de l’acquisition d’immeubles locatifs existants, et comment déterminez-vous le prix d’achat? Après l’acquisition, quelles sont vos pratiques concernant les augmentations de loyer pour les locataires en place?
[Traduction]
M. Love : La plupart des logements locatifs que nous avons achetés et que nous possédons font l’objet d’un contrôle des loyers. Si vous examinez le revenu en place et le coût d’endettement, vous remarquerez qu’il y a une marge entre les deux. Au fil du temps, vous présumez que ce loyer va augmenter au même rythme que le contrôle des loyers, puis vous devrez estimer l’augmentation des services publics et des taxes foncières, qui est généralement plus rapide que celle du loyer. Avec le temps, l’augmentation visée par le contrôle des loyers n’a jamais rattrapé les dépenses. C’est une activité à risque relativement faible, et c’est pourquoi les rendements sont relativement bas, mais ce sont les indicateurs que vous examinez.
La sénatrice McBean : Monsieur Love, merci beaucoup de votre temps. Nous savons toujours que tout le monde est occupé. Je me sens un peu comme une compagnie aérienne : nous vous remercions d’avoir choisi d’être avec nous aujourd’hui.
J’aime également lorsque les témoins nous présentent un témoignage assorti de recommandations claires. C’est vraiment quelque chose que j’aime. Votre deuxième recommandation était d’éliminer toutes les taxes pour les nouveaux logements. Si nous regardons dans l’avenir, le projet de loi C-4 propose d’instaurer un nouveau remboursement de la TPS pour les premiers acheteurs. Ce projet de loi offrira un remboursement de 100 % de la TPS sur les maisons neuves d’une valeur maximale de 1 million de dollars. Ce remboursement sera réduit de façon linéaire pour les propriétés dont la valeur se situe entre 1 et 1,5 million de dollars. Je suis sûre que vous le savez.
Pourriez-vous s’il vous plaît nous dire aux fins du compte rendu pourquoi cette mesure est ou n’est probablement pas suffisante pour être utile?
M. Love : C’est la vieille rengaine : c’est un pas dans la bonne direction. Si vous demeurez à Brandon, au Manitoba, vous vous en tireriez plutôt bien. Mais si vous vous trouvez dans le centre-ville de Toronto, vous ne touchez qu’à une partie du marché. La réalité est que, si vous vous retrouvez dans la catégorie intermédiaire manquante — c’est-à-dire que vous avez une famille et avez besoin d’une maison jumelée de deux ou trois chambres à coucher ou même d’un condominium — il est probable que vous ne soyez pas admissible selon ces critères.
Encore une fois, au Canada, j’ai du mal à fournir un chiffre fixe, parce que je ne pense pas que vous puissiez trouver une maison de plus de 1 million de dollars à Brandon ou de moins de 1 million de dollars à Toronto. J’ai du mal à comprendre la logique qui sous-tend cette politique, ce qui revient à ma position, qui est de supprimer toutes ces taxes et de ne pas compliquer les choses par une politique complexe. Faisons les choses simplement.
La sénatrice McBean : Merci. Je pense que vous avez déjà abordé ce point, mais je vais y revenir plus en détail.
Le gouvernement fédéral a récemment élargi les programmes de financement pour les complexes d’habitation. Ces outils réussissent-ils à atteindre des promoteurs et des investisseurs comme KingSett, ou y a-t-il des obstacles réglementaires ou des risques qui limitent toujours leur impact pour vous et des investisseurs comme vous?
M. Love : Pour la plupart des organisations de renom — et, en tout respect, je nous mettrais dans cette catégorie — il est possible d’accéder à certains des programmes de la Société canadienne d’hypothèques et de logement et à d’autres. C’est coûteux. C’est incertain. En fait, c’est aussi difficile que le processus de zonage, et cela exige du temps. Ce sont des mesures qui existent.
Si je devais me prononcer à ce sujet... la Société canadienne d’hypothèques et de logement ne devrait pas être un organisme à but lucratif. Elle devrait faciliter le logement pour les Canadiens. Quand elle a augmenté le rapport prêt-valeur et ses taux au milieu de l’été, j’ai trouvé cela étrange. Il s’agissait d’un décalage total par rapport à la politique déclarée du gouvernement, qui est la recherche de logements abordables. Même dans notre dossier sur le logement abordable, les taux ont augmenté, et, bien sûr, les taux d’intérêt sont votre principal coût dans l’immobilier.
Pour ma part, je pense que ce sont de bonnes personnes qui accomplissent un travail difficile dans des circonstances exigeantes, alors il n’y a pas lieu de les critiquer. Je pense que leur mandat doit être réévalué. Quel est le mandat de la Société canadienne d’hypothèques et de logement? Est-ce d’aider les Canadiens à acheter une maison? Si oui, il y a toute une liste de choses qu’elle pourrait faire autrement.
La sénatrice McBean : Merci beaucoup.
La sénatrice Mohamed : Monsieur Love, merci beaucoup de votre témoignage. J’aimerais peut-être faire maintenant un petit détour pour aborder une population dont nous devrions parler beaucoup plus, mais dont nous ne parlons malheureusement pas assez, et ce sont les jeunes.
Je vis à Toronto. J’ai travaillé avec des jeunes partout au pays. Aujourd’hui, nous voyons beaucoup de jeunes qui disent : « Ils m’ont dit d’aller à l’école, d’étudier, et que je pourrais me payer une maison », et ce n’est tout simplement pas le cas.
Compte tenu de votre vaste expérience dans les investissements immobiliers, quels sont selon vous les principaux obstacles structurels, mis à part les taxes, que vous proposez de réduire, qui empêchent les jeunes Canadiens d’accéder à un logement abordable? La première chose qui me vient à l’esprit, par exemple, c’est que la plupart des jeunes n’ont pas d’argent pour la mise de fonds. Mettons de côté, pour un instant, les taxes associées à l’achat d’une maison. Y a-t-il des choses auxquelles vous pouvez penser du point de vue d’un jeune, à la lumière de ce que vous venez de dire? Merci.
M. Love : Je suis tout à fait d’accord avec vous, il s’agit d’un construit social non respecté qui touche notre jeunesse. La promesse canadienne ou le rêve canadien ou quelle que soit l’expression que l’on veut utiliser promet un emploi, une famille et une maison — toutes ces choses-là. Le plus grand risque que nous courons en tant que société est que notre jeunesse perde espoir, et je suis d’avis que la crise du logement est au centre de ce problème.
De nombreuses mesures pourraient être prises. L’une d’elles serait de réduire le coût du logement avec le régime fiscal. Si l’on retire 25 % du coût d’une maison, cela fait une grande différence.
En second lieu, la règle du B-52 dictant aux banques à qui elles peuvent et à qui elles ne peuvent pas prêter de l’argent est assez restrictive. Si vous respectez la règle du B-52, vous pouvez bénéficier d’un financement hypothécaire bancaire, qui est le plus compétitif au monde. Et si vous ne respectez pas ce critère, parce que vous êtes travailleur autonome, parce que vous venez d’obtenir votre citoyenneté ou que commencez un nouvel emploi — il y a toute une liste de caractéristiques qui vous disqualifient — alors vous ne pouvez vous prévaloir ce régime hypothécaire. Donc, au lieu que votre taux hypothécaire soit de 3,5 % à 4 %, il sera de 6 % à 7 %, alors cette règle met ces gens‑là à l’écart.
Quant à la question de la mise de fonds, il s’agit encore une fois d’une question de réglementation bancaire qui oblige les banques à demander aux particuliers de faire une certaine mise de fonds. À mon avis, cela certainement pourrait être réexaminé. Cependant, la règle du B-52, qui sert soi-disant à protéger les banques, empêche beaucoup de personnes à accéder au marché hypothécaire, et ces personnes-là n’ont d’autre choix que de se retrouver dans le marché hypothécaire alternatif, qui est fort onéreux.
Je vais vous raconter une petite histoire. Un joueur de hockey arrive à Toronto. Son salaire est de 800 000 $ par année, mais il ne commence pas à travailler avant le début de la saison de hockey. Il souhaite acheter un condo. Toutefois, il lui est impossible de trouver du financement, car il n’a pas encore commencé la saison de hockey, même s’il a signé un contrat. Nous avons donc fait en sorte que cette personne rencontre un membre de la très haute direction de la banque, et le joueur n’a pas pu être approuvé en raison de la règle du B-52. La banque ne pouvait rien faire pour l’aider. C’est ahurissant, même si on se fiche un peu des joueurs de hockey. C’est la saison du baseball, soit dit en passant.
[Français]
Le président : Nous allons recevoir le surintendant des institutions financières à la fin du mois. Nous pourrions le questionner sur cette règle du B52, qui est peut-être moins connue de nos auditeurs.
[Traduction]
Le sénateur Yussuff : Monsieur Love, je tiens à vous remercier encore une fois d’avoir pris le temps de vous joindre à nous. J’aime bien lorsque vous venez devant le comité. Vous êtes une perle rare, car vous exprimez vos pensées avec une grande clarté. Après votre départ, nous ne sommes pas confus quant aux déclarations que vous avez faites.
Je crois que, si les Canadiens et les Canadiennes nous regardent aujourd’hui, j’espère qu’ils en apprendront beaucoup sur l’aspect pratique des choses que vous proposez pour régler le problème du logement.
J’ai une question d’ordre pratique. Je la pose, car si nous en venions à appliquer vos suggestions quant aux frais ayant un impact sur le coût d’un condo ou d’une maison, quelle certitude avons-nous que cela se rendrait jusqu’aux oreilles des consommateurs — celles et ceux qui ont de la difficulté à acheter une propriété abordable? Le gouvernement peut bien dire qu’il peut faire tout cela, et qu’il nous comprend, mais comment pouvons-nous savoir avec certitude que tout cela va se solder en une baisse du coût pour les personnes qui ont déjà de la difficulté à assumer les coûts au départ?
M. Love : Bonne question. En revanche, ce qui se passe au sein du marché, c’est que celui-ci s’aligne toujours sur la même marge de profit. N’oubliez pas, nous sommes tous des compétiteurs : nous et le reste du secteur. Personne n’obtient un rendement excessif. Si nous pouvons construire quelque chose et maintenir une certaine marge de profit pour une maison valant 750 000 $, par exemple, nous allons construire cette maison. Nous savons que le gars d’en face ne pourra pas vendre la même maison pour 775 000 $. Il n’y a pas de collusion en matière de fixation des prix et nous ne pouvons pas majorer les prix. Tout le monde va s’en tenir au coût marginal de production plus la même marge bénéficiaire de 10 à 12 %. Cela va contribuer directement à changer le coût du logement.
Rappelez-vous que l’on parle d’un grand secteur diversifié comptant littéralement des dizaines de milliers de participants. Il n’y a aucun joueur monopolistique, aucun joueur qui détient 1 % du marché ou quoi que ce soit. Tout le monde se fait concurrence, et l’on réduit actuellement le coût de construction. Il n’y a pas de construction à l’heure actuelle, alors le coût de construction chute. Partout, les prix tombent. Nous avons juste besoin des taxes. Si l’on retirait les taxes, les gens auraient de l’argent. Faites-moi confiance, on fixerait des prix surtout en fonction de cette base des coûts révisée. Si vous ne le faites pas, vos compétiteurs en face vont le faire.
Le sénateur Yussuff : Pour revenir à ce que mon collègue vous a demandé quant à la place des jeunes dans le marché, il s’agit d’un des plus grands défis sur le plan de l’abordabilité.
À part les trois recommandations que vous avez faites et sur lesquelles nous devrions nous pencher, que diriez-vous plus spécifiquement qui pourrait aider les jeunes à reprendre espoir, et à se dire que nous tentons de trouver une façon de les intégrer au sein du marché? Mais, ce qui m’importe le plus est : comment pouvons-nous leur donner cet espoir — la chose qu’on nous a tous inculquée lorsque nous étions jeunes — soit que d’être propriétaire d’une maison est quelque chose dont on peut être fier?
De plus en plus, nous voyons des jeunes qui ressentent un grand désespoir. Ils ne peuvent pas mettre le pied dans le marché en raison de la montée astronomique des prix. Je vis à Toronto. Dans les années 1990, j’ai acheté ma maison, et lorsque je regarde les prix des maisons aujourd’hui, je suis littéralement terrifié : où vivra ma fille, si sa mère ou son père ne l’aide pas à pénétrer dans le marché? C’est véritablement ahurissant, car je ne pouvais même pas discuter du coût de l’achat d’un condo avec elle, puisque tout coûte au-dessus d’un million de dollars.
M. Love : Il y a ici deux enjeux dont il est question. Le premier est que le succès d’une grande ville mène nécessairement à l’intensification de l’augmentation de sa valeur économique. Ce qui se passe, c’est que, par définition, le point de départ de votre fille pour l’achat d’une maison ne serait pas le même que le vôtre, lorsque vous avez acheté votre maison, toutefois, cela ne veut pas dire qu’elle ne peut pas participer au marché. Si nous retirons ces 25 % de frais supplémentaires sur les coûts liés au logement, il y aurait une panoplie de propriétés disponibles à Toronto pour moins d’un million de dollars. Cela ferait une grande différence pour les jeunes.
Je devrais également souligner qu’il n’est pas juste question des jeunes. Il y a des personnes de tous âges qui se sentent exclues du marché du logement, et c’est la raison pour laquelle il est impératif, sur le plan politique, que le gouvernement règle ce problème. L’offre est importante, mais le coût est également fondamental. Le problème fondamental, c’est que nous taxons des logements au point de les rendre inabordables. C’est aussi simple que ça. Si nous enlevions les impôts, les prélèvements et les frais, et si vous disiez à votre fille qu’elle peut tout simplement présumer qu’elle peut enlever 25 % du prix de n’importe quel nouveau condo ou n’importe quelle propriété qu’elle regardait, elle dirait : « Eh bien, c’est totalement différent, papa. En fait, je peux probablement payer ce prix-là. »
Le sénateur Yussuff : Merci.
Le sénateur C. Deacon : Monsieur Love, c’est un réel plaisir de vous revoir, et la clarté de vos interventions est telle qu’elle l’était il y a deux ans. Je suis vraiment reconnaissant de votre témoignage auprès de notre comité. Veuillez excuser mon retard. J’avais un engagement qui ne pouvait être évité.
Monsieur Love, je voudrais me pencher sur le fardeau politique qui existe lorsque vous décidez de déplacer le coût de la gestion de nos villes pour le placer entièrement sur les épaules des propriétaires baby-boomers et de la génération X, en délestant les millénariaux et les autres personnes qui achètent des maisons et qui financent nos villes grâce à tous ces frais qui sont grandement problématiques dans la question qui est à l’étude. Compte tenu de qui vote, je ne peux pas ne pas voir le grand problème politique qui constitue toujours un obstacle au palier municipal et potentiellement au palier fédéral.
Quels seraient vos conseils à cet égard? Vous avez décrit les raisons pour lesquelles les redevances d’aménagement ne cessent d’augmenter. Toronto a le taux d’imposition par dollar de valeur le moins élevé de toute l’Amérique du Nord. Si l’on change les redevances d’aménagement, ce taux-là va devoir augmenter de beaucoup.
M. Love : Je suis d’avis qu’une mise en contexte s’impose. Gardez en tête que lorsque l’industrie de l’aménagement roule, les redevances d’aménagement peuvent aller jusqu’à 500 millions de dollars ou 2,5 % du budget de fonctionnement et d’immobilisations de Toronto. On parle ici de 500 millions de dollars sur un budget de 20 milliards de dollars. Si le gouvernement fédéral s’engageait à fournir la moitié de ce montant sur une période transitoire, il y aurait une augmentation d’impôt de 1,25 %. Cela ne va pas changer la vie de qui que ce soit.
Les faits sont les suivants : les propriétaires actuels profitent des propriétaires potentiels. Il s’agit de 1,25 %. Je ne parle pas d’une hausse de 10 %. Ce n’est pas immense.
Je reconnais que, en politique, dix sous est une grosse somme, mais, en réalité, ce problème ne va que mettre une cible dans le dos de chaque titulaire d’une charge publique si ceux-ci ne font pas quelques progrès. Je suis d’avis que des mesures draconiennes doivent être prises. On ne peut pas faire d’omelette sans casser quelques œufs.
Le sénateur C. Deacon : Monsieur Love, voilà ce que j’aime. Vous avez les faits et vous les exprimez avec clarté. J’apprécie réellement cela.
Pour conclure, je souhaiterais simplement vous remercier de votre clarté par rapport au mandat de la Société canadienne d’hypothèques et de logement et quant au besoin de rationaliser cette société et de l’axer sur l’accélération de la capacité des Canadiens à acheter une propriété, car il s’agit de sa raison d’être depuis ses débuts, et il semble que celle-ci ait été écartée. Encore une fois, merci de vous être joint à nous. Vous êtes toujours si judicieux et obligeant.
M. Love : Pour revenir à une question précédente quant à ce que nous pouvons faire pour les jeunes, la Société canadienne d’hypothèques et de logement pourrait jouer un rôle. Elle pourrait donner une garantie pour permettre l’accès à la propriété d’une maison unifamiliale, ce qu’elle ne fait pas à l’heure actuelle. Elle ne fait cela que pour les édifices à logements multiples, ce qui réduit le coût de votre hypothèque de 1 point de pourcentage. Cette mesure pourrait enlever de 20 à 25 % du coût de votre hypothèque. Cela pourrait faire une différence considérable. Il faudrait que cela soit géré par les banques, car vous auriez besoin du grand système de distribution des banques.
La Société canadienne d’hypothèques et de logement pourrait également jouer un rôle significatif dans ce que j’appellerai le logement très abordable, et il s’agirait d’un espace où nous aurions un fonds consacré uniquement à la construction de logements très abordables. Il s’agit de matière à discussion pour une autre fois. La Société canadienne d’hypothèques et de logement a l’occasion d’utiliser le bilan du gouvernement pour faire une réelle différence.
Le sénateur C. Deacon : Si vous avez une réponse ou une suggestion concernant la question du logement très abordable et que vous vouliez bien nous la transmettre, monsieur Love, nous l’accueillerions avec toute notre reconnaissance. Vous pouvez l’envoyer à notre greffier.
Le président : Merci, monsieur Love. Je souhaite me faire l’écho des remarques faites par mes collègues, les sénateurs Deacon et Yussuff, quant à la grande clarté de votre témoignage.
En votre qualité de président exécutif d’une société valant plus de 20 milliards de dollars, nous apprécions votre point de vue. Il est assez inhabituel que des personnes occupant des postes de cadres supérieurs acceptent de témoigner devant nous. C’est utile. Il est important que les Canadiens comprennent exactement ce qui est en jeu. Nous apprécions cela, monsieur Love. Nous vous remercions de votre témoignage.
[Français]
Pour clore cette réunion, j’aimerais prendre quelques moments pour remercier et saluer les nombreux membres de notre personnel qui soutiennent nos délibérations. Je tiens à souligner particulièrement le travail de nos interprètes et de nos professionnels qui relèvent sans cesse le défi. En votre nom, chers collègues, je tiens également à les remercier.
La prochaine réunion aura lieu mercredi prochain, à 16 h 15.
(La séance est levée.)