Aller au contenu
RIDR - Comité permanent

Droits de la personne


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES DROITS DE LA PERSONNE

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le lundi 20 octobre 2025

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd’hui, à 16 h 1 (HE), avec vidéoconférence, pour examiner l’antisémitisme au Canada et en faire rapport.

La sénatrice Paulette Senior (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Sénateurs et sénatrices, bonjour.

J’aimerais commencer par reconnaître que le terrain sur lequel nous nous réunissons se trouve sur le territoire traditionnel, ancestral et non cédé de la nation algonquine Anishinabe.

Je suis Paulette Senior, sénatrice de l’Ontario et présidente du comité. J’invite mes collègues à se présenter.

La sénatrice McPhedran : Marilou McPhedran, sénatrice indépendante du Manitoba.

La sénatrice Bernard : Wanda Thomas Bernard, vice-présidente du comité, du territoire Mi’kmaq, en Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Karetak-Lindell : Nancy Karetak-Lindell, du Nunavut.

La sénatrice Robinson : Mary Robinson, de l’Île-du-Prince-Édouard.

Le sénateur K. Wells : Kristopher Wells, du territoire du Traité no 6 à Edmonton.

Le sénateur Arnot : David Arnot. Je suis un sénateur de la Saskatchewan.

La présidente : Merci beaucoup, sénateurs.

Je vous souhaite la bienvenue à tous, en particulier à ceux qui suivent nos délibérations en ligne. Nous vous souhaitons également la bienvenue.

Avant d’accueillir nos témoins, je tiens à vous avertir que le contenu de cette réunion pourrait être délicat. Les sujets abordés aujourd’hui peuvent être une source de malaise pour les personnes présentes dans la salle ainsi que pour celles qui regardent et écoutent la diffusion. Un service de soutien en santé mentale est accessible à tous les Canadiens par téléphone et par SMS au 988. Nous rappelons également aux sénateurs et aux employés parlementaires qu’ils peuvent faire appel au programme d’aide aux employés du Sénat et à leur famille, qui offre des services de counseling à court terme pour les problèmes personnels et professionnels, ainsi que des services de counseling en situation de crise.

Aujourd’hui, notre comité se réunit conformément à son mandat pour examiner l’antisémitisme au Canada et en faire rapport. Cet après-midi, nous aurons quatre groupes de témoins, ce qui nous promet un après-midi très chargé. Dans chaque groupe, nous entendrons les témoins, puis les sénateurs autour de cette table pourront poser des questions.

Je vais maintenant vous présenter notre premier témoin. Nous avons demandé à nos témoins de faire chacun une déclaration liminaire de cinq minutes, je souligne, cinq minutes. Par vidéoconférence, depuis le Centre des Amis de Simon Wiesenthal, veuillez accueillir Michael Levitt, président-directeur général. En personne à notre table, nous accueillons Stacey Leavitt-Wright, chef de la direction de la Fédération juive d’Edmonton. Par vidéoconférence, nous accueillons Richard Robertson, directeur de la recherche et de la défense des droits de B’nai Brith Canada.

J’invite maintenant M. Levitt à faire sa présentation. Il sera suivi par Mme Leavitt-Wright et M. Robertson.

Michael Levitt, président et chef de la direction, Centre Amis de Simon Wiesenthal : Merci beaucoup, madame la présidente.

Mesdames et messieurs les sénateurs, je vous remercie de me donner l’occasion de m’adresser à ce comité au sujet d’une question qui me préoccupe profondément, à savoir la montée alarmante de l’antisémitisme au Canada et ses implications pour la sécurité et les valeurs de notre nation.

Sur le plan personnel, c’est un honneur d’être de retour à l’autre endroit et de revoir plusieurs députés avec lesquels j’ai eu le privilège de travailler pendant mon mandat au Parlement du Canada.

Ces dernières années, l’antisémitisme, la plus ancienne forme de haine au monde, a refait surface avec une force inquiétante. Les Canadiens juifs, qui représentent moins de 1 % de la population, sont systématiquement le groupe le plus visé par les crimes haineux dans notre pays. Nous avons été témoins de fusillades dans des écoles juives, de vandalisme dans des synagogues et des monuments commémoratifs de l’Holocauste, d’intimidation d’étudiants juifs sur les campus et de harcèlement et de menaces à l’encontre d’entreprises et de membres de la communauté juive, pour la simple raison qu’ils sont ce qu’ils sont, sans parler des discours antisémites et des incitations à la haine dans les rues de nos villes. Ce à quoi nous assistons n’est pas seulement un problème juif, c’est un problème canadien. Lorsque la haine envers une collectivité n’est pas maîtrisée, elle menace la sécurité et la cohésion sociale dans le pays tout entier.

Au Centre des Amis de Simon Wiesenthal, nous sommes convaincus que l’éducation est le remède le plus efficace contre la haine. Chaque année, notre organisation propose des ateliers et des programmes éducatifs à plus de 40 000 écoliers dans tout le Canada, afin de leur enseigner les réalités de l’Holocauste, les droits de la personne et les conséquences de l’indifférence. Nous dispensons également des formations à des dizaines de milliers de professionnels, notamment des enseignants, des fonctionnaires et des agents, afin de leur fournir les connaissances et les outils nécessaires pour reconnaître et lutter contre l’antisémitisme et d’autres formes de haine dans leurs collectivités.

Ces efforts ont un impact positif, mais le défi évolue plus rapidement que notre réponse collective. Les plateformes en ligne amplifiant les discours haineux et diffusant largement la désinformation, et les mouvements antisémites mondiaux s’implantant ici même, chez nous, nous devons investir davantage dans l’éducation et la sensibilisation. L’enseignement des réalités de l’Holocauste et de l’antisémitisme ne doit pas être considéré comme un enrichissement facultatif, mais comme une priorité nationale. Nos jeunes doivent comprendre où la haine peut mener lorsqu’elle n’est pas combattue et maîtrisée.

Cependant, l’éducation seule ne suffit pas. Il doit y avoir une action gouvernementale plus forte pour dissuader et traiter les crimes haineux et pour tenir les auteurs responsables de leurs actes. Trop souvent, ceux qui s’en prennent violemment aux Canadiens juifs agissent en toute impunité. Les forces de l’ordre et les systèmes judiciaires doivent disposer des ressources, de la formation et de la détermination nécessaires pour enquêter et poursuivre efficacement les crimes haineux. Il est crucial que les autorités établissent des règlements garantissant la protection des groupes fragiles, et les fassent fermement respecter.

Il faut également mettre en place des stratégies solides pour assurer la sécurité des écoles, des centres communautaires et des lieux de culte juifs. Les Canadiens juifs ne devraient jamais avoir à craindre pour leur sécurité lorsqu’ils envoient leurs enfants à l’école ou se rendent à la synagogue. Malheureusement, ils sont actuellement craintifs, et pour de bonnes raisons.

Il s’agit, fondamentalement, de défendre les valeurs qui définissent le Canada : l’égalité, la liberté et le respect de la diversité. Lutter contre l’antisémitisme ne consiste pas seulement à protéger une communauté, mais aussi à préserver le fondement moral de notre démocratie.

Honorables sénateurs, notre nation est fière de sa noble tradition de tolérance et d’inclusion, mais ces idéaux ne sont pas autosuffisants. Ils nécessitent une vigilance et un engagement constants. Nous avons la responsabilité commune de veiller à ce que « Jamais plus... » ne soit pas une simple phrase tirée de l’histoire, mais un engagement vivant qui guide nos actions aujourd’hui et chaque jour.

Je vous remercie de votre attention et de votre engagement dans la lutte contre la haine et dans la protection de tous les Canadiens.

La présidente : Merci, monsieur Levitt.

Stacey Leavitt-Wright, chef de la direction, Fédération juive d’Edmonton : Bonjour, madame la présidente et mesdames et messieurs les sénateurs, je vous remercie de me donner l’occasion de vous parler aujourd’hui de l’antisémitisme que subit la communauté juive d’Edmonton. Pour vous situer le contexte, notre communauté compte environ 5 700 Juifs sur une population totale d’un million d’habitants. Nous contribuons au développement de la ville et à son tissu social depuis plus de 125 ans.

Au cours des deux dernières années, mon quotidien est consacré à la lutte contre l’antisémitisme et à la sécurité de la communauté. Avant le 7 octobre, cette activité représentait environ 10 % de mes fonctions. L’antisémitisme est passé d’un phénomène occasionnel et choquant à une réalité normalisée, omniprésente, banalisée, voire à la mode. C’est une réalité quotidienne qui affecte la manière dont nous nous réunissons, dont nous éduquons nos enfants, dont nous pratiquons notre foi et dont nous nous présentons dans la société. Il en résulte une atmosphère de crainte et d’épuisement, une communauté contrainte de détourner des ressources destinées à l’éducation, à la culture et aux services sociaux vers la protection physique de base face à la montée de la haine et de l’extrémisme.

Au cours des dernières années, le nombre d’incidents antisémites signalés à la police à Edmonton a considérablement augmenté, en particulier à la suite d’événements géopolitiques majeurs. À titre de comparaison, en 2022, 10 incidents antisémites ont été signalés à la police. En 2023, ce nombre a presque doublé pour atteindre 18. Depuis le 7 octobre 2023, notre communauté a recensé plus de 440 incidents antisémites distincts, dont 177 depuis le 1er janvier de cette année seulement. Leur nombre et leur gravité sont sans précédent.

Ces chiffres ne reflètent toutefois qu’une partie de la réalité. Ils ne tiennent pas compte des conséquences de l’antisémitisme, qui rend dangereux ou indésirable le fait d’afficher ouvertement son identité juive et qui fait en sorte que les Juifs ont l’impression que leurs croyances, leur héritage ou leurs affiliations sont inacceptables. Les effets psychologiques se répercutent sur nos jeunes.

Derrière chaque statistique se cache une histoire. Il y a, par exemple, un étudiant qui se sent obligé d’enlever son collier avec l’étoile de David. Il y a aussi un adolescent dont les pairs lui envoient des menaces de mort sur les réseaux sociaux. Il y a encore une synagogue qui doit fermer ses portes pendant les offices et qui est victime de vandalisme. Il y a enfin un centre pour personnes âgées juives qui est la cible de graffitis antisémites. En réalité, de nombreux Juifs canadiens ont mis en place un plan de sécurité, cherchant quel pays, y compris Israël, pourrait leur offrir un refuge si le Canada devenait encore plus méconnaissable.

Lorsque des manifestants brandissant des pancartes sur Israël scandent « Jetez-les du haut des immeubles, tuez les Juifs » sur Whyte Avenue, il ne s’agit plus du droit de protester contre les actions du gouvernement israélien. Il ne s’agit pas d’une liberté d’expression protégée. Il s’agit de discours haineux, d’intimidation et d’incitation à la violence. Et je ne peux plus me rendre dans ce quartier de la ville les après-midi de fin de semaine. Lorsque de tels incidents se produisent, Edmonton n’est plus une ville sûre pour les Juifs.

Permettez-moi de rapporter quelques incidents récents survenus dans notre communauté. Lors d’un festival multiculturel en août dernier, nos enfants et nos bénévoles ont été victimes de harcèlement et d’intimidation; on leur a craché dessus et on leur a crié des menaces, malgré la présence de la police et de l’équipe de sécurité que nous avions dû engager pour assurer notre sécurité.

Lors d’une annonce et d’un rassemblement en plein air pour notre nouveau centre communautaire juif le mois dernier, nous avons été victimes de harcèlement continu, la présence de la police ne parvenant nullement à dissuader les auteurs. Si la liberté d’expression est protégée, l’intimidation ciblée ne l’est pas.

La propagation de la haine en ligne est localisée. La simple annonce de la création de cette nouvelle communauté a déclenché un déferlement de propos antisémites, notamment sur l’influence financière et le contrôle des médias par les Juifs, ainsi que sur le déni du droit de notre communauté d’exister à Edmonton, sans compter les multiples appels à l’incendie criminel.

Nous ne devons pas permettre à la haine de se dissimuler sous le couvert de la liberté d’expression. Bloquer des routes, cibler des institutions juives et inciter à la violence sont des actes criminels. J’exhorte ce comité à reconnaître la nature évolutive de l’antisémitisme et à prendre des mesures décisives pour protéger les Juifs canadiens et défendre les valeurs d’inclusion, de sécurité et de respect.

Pour conclure, j’aimerais vous présenter quelques recommandations :

Allégez le fardeau financier que représente la sécurité en améliorant les programmes tels que le Programme pour la sécurité communautaire du Canada, le PSCC, et en en rationalisant l’accès. À Edmonton, la communauté dépense chaque année des centaines de milliers de dollars pour le personnel de sécurité, les systèmes de surveillance et l’évaluation des menaces. Cela ne représente qu’une fraction de ce que dépensent nos communautés sœurs dans tout le pays, soit environ 40 millions de dollars au total.

Appliquez de manière plus rigoureuse les lois existantes contre les crimes haineux, en veillant à ce que la police dispose des ressources et de la formation nécessaires pour réagir rapidement aux actes antisémites.

Adoptez de nouvelles lois visant à protéger les communautés vulnérables, telles que les lois sur les zones de sécurité qui font un délit de toute obstruction ou intimidation à l’encontre de personnes entrant dans un lieu de culte, une école ou un centre communautaire.

Interdisez la glorification du terrorisme et faites respecter cette interdiction.

Renforcez les lois visant à radier ou à sanctionner les organisations liées à des entités terroristes répertoriées.

Augmentez le financement accordé au Service canadien du renseignement de sécurité, le SCRS, et à la Gendarmerie royale du Canada, la GRC, afin de détecter et de perturber les activités extrémistes avant qu’elles ne dégénèrent en violence.

Enfin, améliorez la collecte de données sur les crimes haineux. Il est essentiel de disposer de normes nationales cohérentes pour comprendre l’ampleur réelle de l’antisémitisme et concevoir des réponses politiques efficaces.

L’antisémitisme au Canada ne se cantonne pas dans les livres d’histoire. Il est présent dans nos écoles, dans nos rues et sur les réseaux sociaux. En effet, il a trouvé un terrain fertile partout dans le pays, et nous demandons à notre gouvernement de mettre un terme à la haine envers les Juifs.

Je vous remercie.

La présidente : Merci, madame Leavitt-Wright.

Richard Robertson, directeur, Recherche et défense B’Nai Brith Canada : Mesdames et messieurs les sénateurs, je suis ici au nom de B’nai Brith Canada, le plus ancien organisme de défense des droits de la personne au Canada et le porte-parole de la communauté juive canadienne. Notre organisme, fondé en 1875, se consacre à l’éradication du racisme, de l’antisémitisme et de la haine sous toutes ses formes, ainsi qu’à la défense des droits des personnes marginalisées.

B’nai Brith Canada s’adresse à votre comité alors que le Canada fait face à une vague d’antisémitisme. Depuis 2022, le nombre d’incidents antisémites au Canada a augmenté de plus de 124 %. En 2024, B’nai Brith Canada a recensé 6 219 incidents antisémites dans son rapport annuel de l’Audit des incidents antisémites, soit une moyenne de 17 incidents par jour.

Je vous demande de réfléchir un instant à cette information. L’année dernière, dans ce pays, des personnes juives — vos amis, collègues, voisins et compatriotes canadiens — ont été victimes de 17 incidents motivés par la haine par jour. Pourquoi? À cause de leur religion. Ce que vivent les Juifs canadiens à l’heure actuelle est manifestement inacceptable et constitue un outrage aux valeurs morales canadiennes, qui nécessite une réparation urgente.

Grâce à la présente étude, votre comité a l’occasion de contribuer sensiblement à la réponse du gouvernement fédéral à la crise croissante de l’antisémitisme. Le mémoire présenté par B’nai Brith Canada vise à aider le comité à formuler ses recommandations.

Notre première recommandation est que le comité agisse immédiatement. De plus en plus, les Canadiens juifs ne se sentent pas en sécurité dans leur propre pays. Certains commencent à remettre en question leur avenir en tant que Canadiens. Nous sommes conscients de la charge de travail considérable qui incombe aux membres de ce comité, mais attendre décembre 2026 pour attribuer la rédaction d’un rapport ne fera qu’aggraver la crise. Nous ne pouvons pas nous permettre d’attendre une autre année. La haine se manifeste et les menaces s’intensifient. Par conséquent, des solutions concrètes doivent être élaborées et mises en œuvre sans délai.

Notre deuxième recommandation est que le comité, dans son rapport, reconnaisse officiellement la crise d’antisémitisme qui touche notre société et encourage le Sénat et la Chambre des communes à faire de même. Cela démontrera aux Canadiens juifs, et à tous les Canadiens en fait, que les dirigeants canadiens reconnaissent que la crise de haine antijuive s’aggrave et qu’il est dangereux de la laisser se propager dans ce pays.

Reconnaître l’existence d’une crise ne doit pas être un geste purement symbolique. Cette reconnaissance doit servir à justifier la prise de mesures supplémentaires. Une fois la crise reconnue, elle doit susciter une réaction appropriée. B’nai Brith Canada recommande que la reconnaissance d’une crise soit utilisée par ce comité pour encourager le gouvernement fédéral à faciliter une réponse suffisante pour combattre une crise nationale. Il est déjà arrivé que des crises nationales soient affrontées avec vigueur. Le comité peut contribuer à susciter une telle réponse en recommandant au gouvernement fédéral d’adopter une approche pangouvernementale, en commençant par la création d’un groupe de travail ou la tenue de réunions quadripartites.

Troisièmement, nous recommandons que le comité approuve la proposition de B’nai Brith Canada de mettre en place un programme pour éduquer davantage les jeunes Canadiens sur l’Holocauste. Nous formulons cette recommandation parce qu’il est impossible d’attendre de la prochaine génération canadienne qu’elle combatte ce qu’elle ne comprend pas. Le gouvernement fédéral a adopté la définition de l’antisémitisme de l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste, ou AIMH, en 2019 et l’a incluse dans ses stratégies nationales de lutte contre le racisme. Pourquoi? Parce que la majorité des Juifs ont choisi la définition de l’AIMH, qui s’accompagne d’exemples illustrés, comme l’outil le plus efficace pour reconnaître les différentes formes d’antisémitisme contemporain auxquelles ils sont confrontés.

Cependant, malgré son adoption et son inclusion dans la stratégie antiraciste, B’nai Brith Canada reçoit régulièrement des observations de jeunes de tout le pays qui n’ont aucune idée de ce qui définit l’antisémitisme contemporain. Pour mettre fin à l’odieux fléau de l’antisémitisme au Canada, il est essentiel d’investir dans des initiatives éducatives visant à éclairer la prochaine génération de sur la véritable signification de l’antisémitisme à l’ère moderne. Ces programmes doivent être mis en pratique.

Dans sa déclaration de 2024 sur la préservation de la mémoire de l’Holocauste et la lutte contre l’antisémitisme, le gouvernement fédéral a indiqué qu’il :

[...] soutient et encourage fortement l’adoption et la mise en œuvre à grande échelle de la définition opérationnelle non juridiquement contraignante de l’antisémitisme, — y compris — ses exemples illustratifs [...]

B’nai Brith soutient que le gouvernement fédéral doit investir pour assurer une large application de la définition de l’AIMH et de ses exemples illustratifs. Il est essentiel que les futurs dirigeants canadiens connaissent bien les nuances de cette définition et sachent comment ses exemples peuvent servir d’outil et de guide pour reconnaître et combattre l’antisémitisme contemporain.

La présidente : Monsieur Robertson, je suis désolée de devoir vous interrompre, mais vous avez dépassé les cinq minutes dont vous disposiez, et je vous ai même accordé quelques secondes supplémentaires. J’espère que vous pourrez présenter la suite de vos idées au cours de la séance de questions-réponses qui va suivre.

M. Robertson : Je vous remercie, madame la présidente. J’ai pu finir ma recommandation, et je vous en suis très reconnaissant.

La présidente : Je vous en prie. Merci à vous tous pour vos exposés.

Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs. Chers collègues, je vous prie de bien vouloir indiquer la personne à qui vous adressez votre question et de poser vos questions une à la fois. Vous disposez de cinq minutes pour poser votre question et recevoir la réponse qui vous est donnée.

Notre vice-présidente, la sénatrice Bernard, posera la première question.

La sénatrice Bernard : Je vous remercie tous d’être présents et de nous avoir fait part de vos précieux témoignages aujourd’hui.

J’ai de nombreuses questions, mais ma première question s’adresse à M. Levitt, qui est en ligne. Vous avez mentionné que l’éducation était le remède contre la haine, mais je crois que les trois témoins ont souligné l’augmentation considérable de l’antisémitisme au Canada au cours des dernières années. Qu’est-ce qui nous échappe? Qu’est-ce qui manque dans l’éducation qui est offerte, et quelles seraient vos suggestions ou recommandations à ce comité, particulièrement en matière d’éducation?

M. Levitt : Merci beaucoup pour votre question, madame la sénatrice.

En tant qu’organisation axée sur l’éducation, l’Holocauste, les droits de la personne, l’antisémitisme et le racisme, nous consacrons beaucoup de temps à réfléchir à cette question. Il ne fait aucun doute que la société dans son ensemble, et le Canada ne fait pas exception, est confrontée à des défis en ce qui concerne l’éducation de nos élèves, qui constituent notre atout le plus précieux dans ce pays.

Une grande partie de ce défi provient de ce qui est accessible et de ce qui influence nos enfants en ligne : les réseaux sociaux, la désinformation, les tentatives de propagation de la haine, parfois auprès d’enfants dès la 2e et la 3e année. Je considère que la compréhension des réseaux sociaux est extrêmement importante. C’est l’un des cours que nous proposons à la fois aux élèves, afin qu’ils puissent comprendre ce qu’ils voient en ligne, et aux parents et aux éducateurs, afin qu’ils comprennent comment ces forces malveillantes influencent les jeunes et les élèves dans la société actuelle. C’est un défi de taille, et nous en sommes conscients.

Nous formons beaucoup d’enseignants. Lorsque nous parlons d’éducation, nous ne faisons pas uniquement référence à l’enseignement en classe, à l’éducation de première ligne avec les élèves. Nous avons constaté que plusieurs provinces dans le pays ont augmenté l’offre et la demande en matière d’éducation sur l’Holocauste, comme l’a fait l’Ontario — je suis à Toronto aujourd’hui. Je salue l’ancien ministre de l’Éducation, Steven Lecce, et le gouvernement provincial actuel, car ils ont élargi l’enseignement sur l’Holocauste à la 10e année et l’ont également introduit en 6e année. La compréhension du passé est un facteur très important pour changer l’attitude des élèves.

Je sais que d’autres intervenants parleront cet après-midi de l’importance de l’éducation sur l’Holocauste, et je pense que c’est absolument essentiel, mais nous devons également veiller à ce que les enseignants soient eux-mêmes formés. Comme je l’ai mentionné dans mon exposé, une des choses que nous faisons de plus en plus dans tout le pays est d’offrir un perfectionnement professionnel sur l’antisémitisme. Nous dispensons cette formation en particulier auprès des conseils scolaires et dans les écoles, non seulement aux élèves, mais aussi aux enseignants. Il est extrêmement important que les éducateurs soient sensibilisés, car, souvent, c’est l’ignorance et non la haine qui stimule ce qui se produit sur le terrain.

C’est ma réponse. Nous devons redoubler d’efforts dans nos actions de sensibilisation et dans nos efforts pour éduquer les étudiants d’aujourd’hui.

La sénatrice Bernard : Merci. Avez-vous une recommandation particulière? Ce que vous proposez est en fait assez large.

M. Levitt : En effet.

La présidente : Veuillez répondre dans un peu moins d’une minute, s’il vous plaît.

M. Levitt : Je proposerais de poursuivre l’expansion de l’enseignement sur l’Holocauste à l’échelle nationale. Nous estimons que le gouvernement fédéral peut collaborer avec les ministres de l’Éducation dans le cadre d’une approche nationale, car il existe de grandes différences entre les provinces en matière d’enseignement, certaines provinces allant beaucoup plus en profondeur, et il est essentiel que l’antisémitisme fasse partie de cette conversation. Comme nous devons comprendre la haine sous toutes ses formes, nous devons être en mesure de veiller à ce que les élèves en prennent conscience.

La sénatrice Bernard : Merci.

Le sénateur K. Wells : Ma question s’adresse aux trois témoins. Vous avez tous évoqué la nécessité d’agir, et d’agir immédiatement, pour lutter contre la haine qui vise notamment la communauté juive. Puis-je vous demander votre opinion du projet de loi C-9 que le gouvernement a récemment déposé et qui vise à modifier le Code criminel afin de donner plus d’outils à la police et aux procureurs dans la lutte contre la haine? Commençons, je dirais, par notre premier témoin.

M. Levitt : Certainement. Nous avons collaboré avec le gouvernement fédéral et, bien entendu, nous continuons d’examiner le projet de loi C-9. Il contient des éléments très importants qui traitent de la manière dont ces accusations seront portées et dont la haine sera considérée comme un crime au sens du Code criminel. Je pense en particulier que l’apologie de la terreur, qui est traitée dans ce projet de loi, est un élément extrêmement important qui répond à ce que nous observons sur le terrain, dans les rues de nos villes et dans tout le pays.

Il faut examiner d’autres éléments, à mon avis, et, comme je l’ai mentionné, cette question sera soumise au comité. Je crois que les audiences débuteront très prochainement. Je suis persuadé que mon collègue du B’nai Brith, mes collègues du Centre consultatif des relations juives et israéliennes et moi-même sommes actifs dans ce dossier, tout comme de nombreuses autres personnes. Nous présenterons des recommandations au comité. On parle beaucoup de l’élimination du consentement du procureur général, ce à quoi nous sommes favorables, mais il faut également prévoir des garde-fous dans certaines situations afin de garantir le bon déroulement du processus.

Mme Leavitt-Wright : À l’échelle locale, je partage certaines de ces considérations et préoccupations, et je suis tout à fait favorable à des mesures comme l’interdiction de promouvoir le terrorisme. On voit au Canada des entités comme Samidoun, qui sont glorifiées lors de rassemblements et d’événements dans les rues.

Je ne connais pas très bien ce projet de loi, donc j’attends avec impatience d’en savoir plus au fur et à mesure que les choses avancent.

M. Robertson : Tout comme M. Levitt, nous sommes impatients de comparaître devant le comité pour aborder certaines subtilités du projet de loi. Cependant, nous soutenons pleinement l’esprit de ce projet de loi.

Le projet de loi contient des modifications au Code criminel qui, très franchement, auraient dû être apportées depuis longtemps. L’interdiction des symboles terroristes, l’interdiction d’afficher des images nazies dans le but délibéré de promouvoir la haine, les modifications visant à criminaliser l’intimidation et l’obstruction liées aux infrastructures vulnérables, telles que les lieux de culte, sont autant de mesures que B’nai Brith Canada et d’autres organisations réclamaient depuis longtemps. Nous sommes très heureux de constater que le gouvernement fédéral a saisi l’occasion pour modifier notre législation afin, si vous me permettez l’expression, de rattraper certaines formes de haine qui ont eu un impact si odieux sur notre communauté au cours des dernières années.

La loi nécessite quelques modifications, mais, dans l’ensemble, nous estimons qu’elle est solide et nous espérons que le gouvernement saisira cette occasion pour collaborer avec les parties prenantes au sein du comité afin de la perfectionner, de manière à ce que nous puissions modifier le Code criminel dans les meilleurs délais et renforcer ainsi notre capacité à protéger nos communautés lorsqu’elles en ont véritablement besoin.

M. Levitt : J’ajouterais, sénateur Arnot, que le projet de loi C-9 est une pièce du puzzle, celle qui concerne le Code criminel, mais que tout dépend aussi de la manière dont ces mesures sont mises en œuvre, tant au niveau des forces de l’ordre qu’au niveau des services de poursuite. Il est extrêmement important qu’il y ait une formation, une compréhension et un engagement à utiliser non seulement les nouveaux outils que le projet de loi C-9 pourrait apporter, mais aussi les outils existants. En effet, on craint beaucoup que ceux-ci ne soient pas utilisés assez fréquemment et que le nombre de cas effectivement suivis soit insuffisant par rapport au nombre d’incidents sur le terrain. Vous avez entendu mon collègue Rich Robertson parler de leur audit annuel. Le nombre de cas effectivement portés devant les tribunaux est étonnamment — j’oserais même dire horriblement — faible. Nous devons adopter le projet de loi C-9, mais nous devons aussi former les procureurs et les policiers à l’utilisation des outils qui sont déjà disponibles et ceux qui le seront à l’avenir.

Le sénateur Arnot : Je remercie les témoins présents aujourd’hui. Cette question s’adresse principalement à M. Levitt, mais j’ai d’autres questions que je poserai à l’autre témoin au deuxième tour.

Monsieur Levitt, je vous remercie pour votre témoignage aujourd’hui, en particulier en ce qui concerne le pouvoir de l’éducation. Vous avez parlé du pouvoir de l’éducation et de la façon dont celle-ci peut contribuer à faire en sorte que les citoyens canadiens comprennent pleinement leurs droits en tant que citoyens, mais aussi les responsabilités qui accompagnent ces droits et la manière dont tous les citoyens doivent être respectés. J’aimerais que vous développiez certains des points que vous avez soulevés. Je vous invite à vous concentrer en particulier sur le matériel pédagogique Concentus sur la citoyenneté, que vous connaissez certainement.

M. Levitt : Absolument.

Le sénateur Arnot : Il s’agit d’un enseignement de la maternelle à la 12e année, très intentionnel, séquentiel et ciblé, qui aborde les droits, les responsabilités, le respect et les valeurs démocratiques fondamentales, ainsi que la nécessité de former les enseignants à ces questions. Il existe des possibilités de perfectionnement professionnel, mais seriez-vous d’accord pour dire que Patrimoine Canada a un rôle particulier à jouer et que ce comité devrait envisager de formuler des recommandations précises concernant son utilisation dans les systèmes d’enseignement de la maternelle à la 12e année dans toutes les provinces et tous les territoires du Canada? J’aimerais que vous développiez ce que vous avez déjà dit.

M. Levitt : Merci beaucoup. Comme vous le savez, sénateur, nos chemins se sont croisés dans le cadre du programme Concentus et de cet important projet auquel vous avez participé dans le passé. Ce programme visait à sensibiliser les élèves à la démocratie canadienne, à notre gouvernance et à tous ces éléments qui caractérisent notre pays.

J’aimerais poursuivre sur le thème de l’influence des réseaux sociaux et des fausses informations, ainsi que sur la manière d’éduquer les jeunes sur ce qu’être Canadien représente. Il est important de renforcer leur sentiment d’appartenance, leur fierté et leur confiance lorsqu’ils interagissent avec nos institutions gouvernementales. Grâce à des occasions d’expression, c’est précisément ce que vise le Centre Amis de Simon Wiesenthal dans plusieurs de ses programmes. C’est absolument essentiel.

Vous soulevez de très bonnes questions concernant le rôle de Patrimoine Canada. Nous sommes toujours conscients que, sur les questions de compétence provinciale — je suppose que cela est également lié à mon ancien rôle —, la prudence et la vigilance s’imposent, car chaque province est confrontée à des problèmes qui lui sont propres sur le plan de l’éducation. Toutefois, je suis tout à fait d’accord avec vous pour ce qui est de l’importance du programme Concentus et, plus généralement, de l’enseignement du Canada aux élèves canadiens, afin de leur inculquer cette fierté dès leur plus jeune âge et de contrer les discours diffusés sur TikTok et sur certains autres réseaux sociaux qui sapent le sentiment d’identité canadienne. Oui, je pense que c’est extrêmement important.

La sénatrice McPhedran : Ma question s’adresse principalement à Mme Leavitt-Wright, mais, avant de la poser, je tiens à dire à M. Levitt que je suis ravie de le voir à l’écran.

M. Levitt : Je suis heureux de vous voir, sénatrice.

La sénatrice McPhedran : Et je me souviens combien j’ai aimé travailler avec vous lorsque vous étiez parlementaire.

M. Levitt : Merci.

La sénatrice McPhedran : Ma question concerne le lien entre le sexisme et l’antisémitisme. Je suis consciente du fait que c’est probablement anecdotique. Cependant, pouvez-vous nous dire ce que vous en pensez, s’il existe un lien marqué entre ces deux phénomènes? Pouvez-vous également nous expliquer quelles mesures concrètes vous préconisez, notamment en ce qui concerne le projet de loi dont nous avons parlé plus tôt?

Mme Leavitt-Wright : Je peux vous en parler d’un point de vue tant anecdotique que personnel, ayant été victime de harcèlement sur les réseaux sociaux dans un langage que je ne répéterai pas ici, pour avoir été une femme dirigeante dans la communauté juive. Cela constitue en soi une preuve irréfutable de ce lien.

Le déni des violences sexuelles commises à l’encontre des femmes israéliennes le 7 octobre a également suscité une vive polémique publique, et le fait que d’autres organisations ne se soient pas jointes à nous pour dénoncer ces actes a profondément troublé la communauté. C’est là que nous observons cette intersection.

Je n’ai pas encore réfléchi à une politique qui traiterait de tous ces aspects et je dois y réfléchir un instant, mais je pense que l’éducation sur l’antisémitisme et ses différentes formes est certainement un point de départ. Mes collègues ont évoqué la mise en œuvre de la définition de l’antisémitisme de l’AIMH et l’importance de dispenser une éducation complémentaire à tous les niveaux, non seulement aux enfants d’âge scolaire, mais aussi aux enseignants, aux dirigeants syndicaux et aux responsables universitaires, afin qu’ils puissent comprendre et reconnaître les manifestations de ce phénomène.

La sénatrice McPhedran : Merci. Je ne voudrais pas restreindre ma question à Mme Leavitt-Wright uniquement parce que c’est une femme. J’aimerais ouvrir le débat, alors si quelqu’un... Oh, bonjour, madame Jarniewski. Vous êtes dans notre prochain groupe de témoins, n’est-ce pas?

M. Levitt : Le prochain groupe de témoins.

La sénatrice McPhedran : Nous garderons cela pour le prochain groupe de témoins, si vous aimeriez y répondre, madame Jarniewski.

Pour les autres témoins de ce groupe, en particulier, pour faire suite à la question du sénateur Wells au sujet du projet de loi C-9, voyez-vous également un potentiel dans le projet de loi C-216 d’initiative parlementaire déposé par la députée Michelle Rempel Garner, qui traite des jeunes et des menaces du numérique qui pèsent sur les jeunes, ainsi que dans le projet de loi C-8, qui aborde la question plus large de la cybersécurité publique? Ces projets de loi ont-ils également un potentiel?

M. Robertson : Je veux bien répondre à cette question, sénatrice.

Le groupe des cinq, la GRC et le SCRS ont tous indiqué dans leur rapport que la radicalisation des jeunes, en particulier en ligne, nécessite une approche globale de la société. Nous constatons presque chaque semaine dans ce pays que des jeunes sont impliqués dans notre système de justice pénale pour cause de menaces résultant de leur radicalisation en ligne. Il faut en faire plus pour protéger nos jeunes de manière proactive. Nous investissons, comme il se doit, dans les infrastructures de sécurité afin de mettre fin aux événements extrémistes en dernière minute, une fois qu’ils se produisent, mais nous devons continuer à investir pour pouvoir combattre de manière proactive la radicalisation et l’éradiquer à la source. C’est une mesure que B’nai Brith Canada a demandé. Nous avons demandé que la Chambre des communes procède à des études sur la radicalisation des jeunes en ligne. Nous verrions d’un bon œil une étude semblable au Sénat. En tant que société, nous devons analyser la faille importante qui nous rend vulnérables, soit l’exposition de nos jeunes à la radicalisation en ligne.

Un exemple particulier, madame la sénatrice, est celui d’un jeu actuellement disponible en ligne au Canada sur le réseau de diffusion en continu Steam/Valve, dans lequel le joueur incarne un terroriste et commet des meurtres. Nous nous efforçons actuellement — et avons demandé instamment au gouvernement fédéral d’intervenir à ce sujet — de faire retirer ce jeu de la vente en ligne. Ce sont là quelques-unes des mesures concrètes que nous pouvons prendre pour empêcher la radicalisation en ligne de continuer à endoctriner nos jeunes.

La sénatrice McPhedran : Merci. S’il reste du temps, je serai ravie de recevoir d’autres réponses.

M. Levitt : S’il reste un instant, je me permettrai d’ajouter quelques éléments.

Pour revenir à la question de la littératie numérique et de l’éducation de nos jeunes afin qu’ils puissent comprendre les pièges des médias sociaux, vous avez mentionné mon ancienne collègue à la Chambre, la députée Rempel Garner, et ce qu’elle et tant d’autres députées ont dû endurer. Nous avons vu Catherine McKenna écrire à ce sujet récemment, ainsi que de nombreuses autres personnes. Nous savons que nous devons diffuser cette information, car le monde des médias sociaux peut être rempli de haine à l’égard des jeunes femmes à un moment où elles sont les plus vulnérables, c’est-à-dire lorsqu’elles sont étudiantes, enfants et adolescentes. Il est extrêmement important que nous sensibilisions les parents, les enseignants et toutes les personnes qui sont en contact avec elles...

La présidente : Merci, monsieur Levitt.

M. Levitt : ... à se donner les moyens d’agir. Je vous remercie.

La présidente : Il reste encore un peu de temps pour un deuxième tour, si vous souhaitez y participer, sénatrice McPhedran. Pour l’instant, nous devons poursuivre.

La sénatrice Robinson : Je recherche des exemples. Je sais que certaines régions du Canada enregistrent les taux les plus élevés d’incidents antisémites, et j’espère bien que d’autres enregistrent les taux les plus bas. Je vais demander à chacun d’entre vous de présenter un exemple, qu’il soit positif ou négatif, afin que nous puissions tirer des leçons de ce qui ne fonctionne pas ou, au contraire, de ce qui fonctionne bien. Je vais commencer par M. Robertson, puis M. Levitt, suivi de Mme Leavitt-Wright.

M. Robertson : Dans notre audit annuel, B’nai Brith a malheureusement constaté une augmentation de l’antisémitisme dans toutes les provinces, sauf en Ontario, mais c’est tout de même en Ontario que l’on a enregistré la plus grande partie des actes antisémites dans le pays. Malheureusement, les chiffres brossent un tableau sombre, qui montre que l’antisémitisme est hors de contrôle d’un bout à l’autre du pays. C’est pourquoi B’nai Brith Canada plaide en faveur de la reconnaissance officielle de l’antisémitisme comme une crise. Les mesures fragmentaires prises jusqu’à présent pour combattre l’antisémitisme n’ont pas suffi à enrayer son caractère systémique et à contrer la façon dont il s’est ancré dans notre société au cours des deux dernières années.

J’aurais bien voulu pouvoir être plus optimiste, mais ce qui me semble positif, c’est le précédent que nous avons observé lors d’autres crises nationales, lorsque notre gouvernement a réagi en adoptant une approche pangouvernementale et en utilisant tous les mécanismes à sa disposition pour faire face aux crises passées. Chez B’nai Brith Canada, nous croyons que c’est la solution à la crise nationale qui sévit actuellement. Nous ne pouvons pas nous permettre de laisser les chiffres continuer à grimper. Cela a un effet néfaste sur la vitalité de la communauté juive. Nous avons besoin d’une approche pangouvernementale qui commence par reconnaître officiellement ce à quoi nous sommes réellement confrontés afin de pouvoir le combattre.

M. Levitt : Dans toute cette obscurité, j’entrevois une lueur d’espoir. Je crois que cette lueur d’espoir se trouve dans la solidarité. Bien que nous traversions une période difficile marquée par la montée de l’antisémitisme, comme nous l’avons abondamment mentionné jusqu’à présent dans cette discussion, il y a un point positif : des alliés, que ce soit des alliés interconfessionnels issus d’autres communautés ou des non juifs, se sont mobilisés pour montrer leur appui et pour condamner la haine. Nous savons qu’au Canada et partout ailleurs, la haine envers l’un d’entre nous est une haine envers tous.

Au Centre Amis de Simon Wiesenthal, la solidarité est un pilier essentiel de notre travail. Nous avons récemment organisé un événement interconfessionnel. Nous en avons organisé d’autres sur la côte Ouest, à Toronto et dans tout le pays. Nous avons vu tant de dirigeants d’autres communautés religieuses et tant d’autres personnes se manifester, qu’il s’agisse de dirigeants autochtones, noirs, musulmans, hindous... Je ne peux pas tous les citer, et je ne veux exclure personne. Ils se sont manifestés parce que cela les touche également. Nous ne pouvons pas rester silencieux dans une période comme celle-ci. S’il y a un point positif dans tout cela, c’est que nous continuons à voir des gens se lever et déclarer que ce n’est pas le Canada qu’ils connaissent et aiment tant. Il est de notre responsabilité à tous, et pas seulement des communautés juives, de nous élever contre cela.

La sénatrice Robinson : Merci.

Mme Leavitt-Wright : Les exemples concrets que je citerais, et que j’ai déjà évoqués, sont les menaces de mort reçues par des étudiants, ainsi que les actes de vandalisme. Ce qui m’attriste le plus, c’est de voir des personnes de plus en plus marginalisées et exclues de la vie civique et de leurs établissements scolaires. Elles se replient sur elles-mêmes et se retirent.

Si je garde une lueur d’espoir, c’est parce que, même si des éléments extrémistes s’imposent dans notre société, de plus en plus de personnes ordinaires ou issues de la classe ouvrière à Edmonton se manifestent et déclarent : « Cela ne représente pas ce que nous sommes et ce en quoi nous nous croyons. » Elles viennent nous voir. Par exemple, des membres de la communauté iranienne se sont présentés à nos bureaux. De nombreuses personnes ont assisté à des commémorations, des cérémonies et des événements en déclarant qu’elles souhaitaient se tenir aux côtés de notre communauté et qu’elles étaient là pour nous soutenir. C’est cette lueur d’espoir qui nous anime.

La sénatrice Robinson : Merci.

La présidente : Nous passons maintenant à un deuxième tour. Pour ce deuxième tour, vous disposerez de trois minutes pour les questions et réponses.

La sénatrice Bernard : Madame Leavitt-Wright, pouvez-vous nous parler brièvement des répercussions psychologiques, sociales et économiques de l’antisémitisme sur les communautés juives au Canada? Quelles sont ces répercussions?

Mme Leavitt-Wright : D’un point de vue psychologique, je commencerais par la crainte que ressentent les gens au quotidien, à savoir se demander s’ils sont en sécurité lorsqu’ils entrent dans un Uber ou un supermarché et voient des autocollants incitant à la haine ou d’autres signes du mouvement BDS. Je vois des jeunes qui veulent nettoyer leurs réseaux sociaux, peut-être changer leur nom ou supprimer l’étoile de David. Cela m’inquiète beaucoup, et je me demande, surtout à long terme, ce que cela va donner.

Sur le plan économique, nous consacrons actuellement des sommes considérables à la sécurité et à la formation en matière de sécurité. Cela prive la communauté de ressources qui pourraient être utilisées à des fins bien plus productives.

La sénatrice Bernard : Un des autres intervenants souhaiterait-il répondre à cette question?

La présidente : J’aimerais insister sur un point soulevé par Mme Levitt-Wright. Pouvez-vous nous donner plus de détails sur la sécurité dont vous parlez?

Mme Leavitt-Wright : Pour tout événement ou programme que nous organisons, il nous faut des agents de sécurité à l’entrée et de nouveaux équipements, tels que des caméras, différents systèmes de verrouillage, etc. Au cours du dernier mois, j’ai dépensé plus en sécurité que je ne l’avais fait en trois ans afin de garantir la sécurité — bien réelle — de notre communauté et pour que les gens se sentent suffisamment en sécurité pour vouloir participer à un événement ou à un programme.

La présidente : Merci.

M. Levitt : Pour faire suite à cela, je dirais que le Canada est en retard sur le plan du soutien fédéral national aux communautés juives. Le Programme de sécurité communautaire du Canada s’est certes amélioré au fil des ans, mais pas au même rythme que l’augmentation des menaces auxquelles sont confrontées les communautés juives et l’augmentation des dépenses que doivent engager les organisations communautaires juives. Heureusement, dans de nombreuses grandes villes — je peux parler de Toronto, tout comme M. Robertson —, la police a renforcé ses patrouilles et dispose de véhicules d’urgence dans les quartiers à majorité juive. Cependant, dans l’ensemble, c’est à la communauté juive qu’il incombe d’assurer sa propre sécurité.

Dans des pays comme le Royaume-Uni, des efforts beaucoup plus importants et plus soutenus sont déployés pour financer les besoins en matière de sécurité des communautés juives. Nous avons été témoins récemment des événements survenus à Manchester. La situation sur le terrain a été atténuée; aussi tragique qu’elle ait été, elle aurait pu être bien pire sans l’investissement national dans la sécurité et la sûreté de la communauté juive.

Le sénateur Arnot : Cette question s’adresse principalement à M. Robertson et à Mme Leavitt-Wright. Vous avez tous deux mentionné la définition de l’antisémitisme donnée par l’AIMH et la nécessité d’améliorer la littératie à ce sujet. Seriez-vous d’accord pour dire que le comité devrait se concentrer sur l’espoir que procure l’éducation? Patrimoine canadien et Sécurité publique Canada devrait-ils encourager les efforts en matière d’éducation et contribuer au perfectionnement professionnel continu des enseignants du système scolaire primaire et secondaire, qui influencent la prochaine génération de citoyens canadiens?

M. Robertson : Vous avez tout à fait raison, sénateur. Nous avons souligné l’importance de l’éducation tout au long de cette discussion. Cette éducation doit inclure la connaissance de la définition de l’AIMH, qu’elle soit dispensée dans le cadre du perfectionnement professionnel des enseignants, qui pourront ensuite la transmettre à leurs élèves, ou directement aux jeunes Canadiens. Il est impératif que tous les Canadiens comprennent ce qui constitue l’antisémitisme à l’ère moderne. Nous avons adopté la définition de l’antisémitisme de l’AIMH et nous avons créé des ressources à ce sujet, mais les Canadiens ne savent toujours pas en quoi consiste son élément principal. Elle contient des exemples illustratifs destinés à servir de guide et d’outils. Nous privons les Canadiens de ces outils et ressources si nous ne veillons pas à ce qu’ils en aient connaissance.

Mme Leavitt-Wright : Je partage cet avis. J’ajouterais également que nous parlons ici des éducateurs, mais que les enfants ont également accès à d’autres espaces, comme les bibliothèques et les espaces civiques. Il est essentiel que cette compétence soit présente à tous les niveaux d’interaction avec les enfants afin de leur offrir des espaces sûrs.

M. Levitt : Je voudrais évoquer l’ancienne envoyée spéciale chargée de la préservation de la mémoire de l’Holocauste et de la lutte contre l’antisémitisme, Deborah Lyons, et le travail qu’elle a accompli pour préparer le manuel de l’AIMH, un guide destiné à aider les institutions, tant publiques que privées, à mettre en œuvre les recommandations de l’AIMH au sein de diverses entités, et ce, afin de transmettre ces connaissances, d’apprendre à les utiliser et d’en tirer des enseignements. Il s’agit d’une publication pratique que ce bureau a publiée il y a six mois et qui doit être mise en œuvre, à commencer par le secteur public, très honnêtement, sénateur. Il est possible de mettre en œuvre cet apprentissage dans le secteur public. Cela n’est pas suffisamment fait.

Le sénateur K. Wells : Ma question s’adresse à Mme Leavitt-Wright.

Tout d’abord, je vous remercie d’avoir mis en évidence l’expérience d’Edmonton. Vous avez évoqué la communauté que je connais bien, qui s’est unie pour faire front contre la haine. Espérons que ces liens solides entre les communautés continueront de se renforcer.

Sur le terrain, quels seraient les aspects qui fonctionnent, ceux qui ne fonctionnent pas ou ceux qui devraient être améliorés à Edmonton? La ville dispose depuis 20 ans d’une unité spécialisée dans les crimes haineux, créée grâce à une subvention du gouvernement fédéral dans le cadre d’un projet pilote. Dans votre travail avec l’unité des crimes haineux, qu’est-ce qui fonctionne, qu’est-ce qui doit être amélioré et que pensez-vous d’une recommandation visant à étendre ce projet à d’autres collectivités au Canada? Veuillez nous faire part de vos réflexions et impressions.

Mme Leavitt-Wright : Nous entretenons d’excellentes relations avec l’unité des crimes haineux. Ses membres ont une compréhension approfondie de ce qui constitue l’antisémitisme. À l’heure actuelle, il est très difficile de faire en sorte que les incidents motivés par la haine soient poursuivis au criminel. Les victimes hésitent souvent à porter plainte, car elles savent que, lorsque leur affaire sera transmise au procureur, elle n’ira pas plus loin. Je vous recommande fortement de travailler au projet de loi C-9 avec les procureurs et, comme l’a mentionné mon collègue, d’instituer certaines mesures de protection. Il faut toutefois que davantage de ces dossiers avancent, car, autrement, cela engendre une certaine réticence envers les forces de l’ordre.

Le sénateur K. Wells : Si je comprends bien, il ne s’agit pas seulement de l’importance de disposer d’unités spécialisées et de policiers sur le terrain, mais aussi d’investir dans la formation, l’éducation et la création de procureurs de la Couronne spécialisés qui ont une bonne compréhension de la haine pour que davantage de poursuites soient couronnées de succès, n’est-ce pas?

Mme Leavitt-Wright : Tout à fait, et les voir formés pour qu’ils soient en mesure de le faire et comprennent pleinement les enjeux.

Cela étant dit, je suis convaincue que l’augmentation des ressources allouées à nos unités des crimes haineux serait bien accueillie par tous, car nous ne sommes pas la seule communauté à subir la haine. Nous ne représentons que 11 % de la haine qui est perpétrée, pour une population de 0,005 %. De nombreuses autres localités pourraient aussi bénéficier de cette mesure.

La sénatrice Karetak-Lindell : En vous écoutant, je constate certaines similitudes avec ce qui se passe dans les communautés autochtones.

Vous faites deux pas en avant et un pas en arrière, et j’essaie vraiment de comprendre le déni de l’Holocauste. Je trouve cela très difficile à accepter, car il est documenté. Tout le monde sait ce qu’il s’est passé. Comment gérez-vous cela lorsque vous menez des actions d’éducation et de sensibilisation du public? Dans quelle mesure ce déni nuit-il à votre travail de sensibilisation et d’information du public sur ce qui s’est passé et sur l’antisémitisme? Cela vous ralentit-il considérablement dans votre travail?

Mme Leavitt-Wright : C’est un des effets psychologiques que nous observons. C’est presque comme si l’expérience juive était effacée. Donner une voix à cette expérience est une partie importante de notre travail. Nous engageons les élèves du secondaire dans l’éducation sur l’Holocauste. Dans le cadre d’entretiens individuels, lorsqu’ils entendent de vive voix des survivants et des descendants de survivants, nous pouvons en partie contrer ce phénomène. C’est dans l’espace en ligne que ce problème est le plus important.

M. Levitt : Si je peux me permettre d’ajouter, sénatrice, que, dans le cadre de notre travail, nous traitons les traumatismes intergénérationnels des survivants, ceux de la première et de la deuxième génération, car nous sommes tous les jours dans les écoles, souvent avec des survivants de l’Holocauste, pour enseigner l’histoire de l’Holocauste. Malgré leur petit nombre, les survivants de la Shoah, âgés de 80 à 90 ans pour la plupart, sont les plus touchés et traumatisés par la résurgence de l’antisémitisme au Canada ces dernières années. Ils ont vu avec horreur des actes de vandalisme, des croix gammées sur les bâtiments et des manifestations appelant à l’expulsion des Juifs du pays. L’impact sur eux, leurs enfants, leurs petits-enfants et leurs arrière-petits-enfants est extrêmement profond, ce qui, à mon avis, rejoint la cause commune que vous avez mentionnée en ce qui concerne la communauté autochtone.

M. Robertson : Nous sommes également en train de perdre la bataille contre le déni de l’Holocauste. Les statistiques démontrent que, chez les jeunes Canadiens, les taux de déni et de désinformation concernant l’Holocauste sont en hausse. Cela nous ramène à la question de l’éducation. Il faut veiller à ce que nos jeunes apprennent à respecter tout le monde, ainsi que l’histoire de notre civilisation, afin que les erreurs du passé ne se reproduisent pas.

La présidente : Nous arrivons à la fin de notre premier groupe de témoins. Nous vous remercions tous trois d’être venus et d’avoir participé à cette importante étude. Votre contribution à notre étude est précieuse. Nous vous remercions pour le temps que vous nous avez consacré.

M. Levitt : Merci beaucoup.

M. Robertson : Merci.

La présidente : Je vais maintenant vous présenter notre deuxième groupe. Nos témoins ont été invités à faire une déclaration liminaire de cinq minutes chacun. Cette déclaration sera suivie des questions des sénateurs.

En personne, à notre table, nous avons Rivka Campbell, directrice générale de la synagogue Beth Tikvah et cofondatrice de Jews of Colour Canada, et, par vidéoconférence, nous accueillons Belle Jarniewski, directrice générale de l’Institut pour combattre l’antisémitisme au Manitoba. Bienvenue à vous deux. J’invite Mme Campbell à faire sa présentation, suivie de Mme Jarniewski.

Rivka Campbell, directrice générale de la synagogue Beth Tikvah Synagogue et cofondatrice de Jews of Colour Canada, Synagogue Beth Tikvah et Jews of Colour Canada : Je vous remercie, mesdames et messieurs les sénateurs, de m’avoir invité à prendre la parole aujourd’hui.

Je témoigne autant personnellement qu’en tant que porte-parole d’une communauté plus vaste profondément ébranlée par la hausse de l’antisémitisme. Ce n’est pas le sentiment d’appartenance que l’on devrait ressentir au Canada.

Ma propre synagogue, Beth Tikvah, a été prise pour cible à plusieurs reprises depuis le 7 octobre 2023 — la deuxième cible la plus visée à Toronto. Parmi les incidents, on peut citer des actes de vandalisme, l’incendie de panneaux à l’extérieur du bâtiment et une rencontre inquiétante avec un intrus muni d’une liste d’institutions juives. Il est à noter que les synagogues et autres institutions juives figuraient sur une liste dans le cadre d’un complot plus vaste. Ces incidents laissent une peur persistante. Les fidèles sont traumatisés et certains ne fréquentent plus la synagogue en raison de cette peur. Une synagogue n’est pas seulement un bâtiment, c’est un foyer spirituel, et lorsque ce foyer devient une cible, cela ébranle les fondements de notre communauté.

Dans la communauté, au Canada, j’évolue en tant que femme juive noire, porteuse d’une dualité complexe. Je suis ce que j’appelle une « juive secrète », exposée à des remarques antisémites parce que les gens ne se rendent pas compte que je suis juive. Je porte les symboles du judaïsme, mais je suis prise entre le marteau et l’enclume : si je ne les porte pas, je suis victime de remarques antisémites, et, si je les porte, je suis encore victime de remarques antisémites.

Par exemple, une fois, j’ai appelé une voiture pour qu’elle me ramène chez moi, et le chauffeur, ignorant mon identité, a commencé à parler à voix haute des « Juifs », en utilisant des insultes et des stéréotypes. Je suis restée assise, vulnérable, choquée et de plus en plus effrayée. Pour finir, je lui ai demandé d’arrêter la voiture, je l’ai regardé et je lui ai dit : « Je suis juive. » Je suis sortie de la voiture, en colère et me sentant déshumanisée.

Je suis prise entre le marteau et l’enclume. L’image persistante qui présente les Juifs comme étant Blancs efface aussi les « Juifs de couleur » et minimise la nature racisée de la haine antisémite elle-même. L’identité juive n’est pas monolithique. C’est une identité mondiale, multiculturelle et multiethnique. La réponse du Canada à l’antisémitisme semble souvent réactive et non préventive, comme s’il attendait qu’une crise fasse la une des journaux pour agir, au lieu d’arrêter la haine à sa source par l’éducation, l’application de la loi et le leadership.

Les gestes symboliques, comme les gazouillis à l’occasion de la Journée internationale dédiée à la mémoire des victimes de l’Holocauste et les déclarations vagues sur la lutte contre la haine, sont des réponses insuffisantes face aux actes antisémites, et dire « nous condamnons toute forme de haine » ou « nous condamnons l’antisémitisme et [...] » ne suffit pas. La condamnation de l’antisémitisme n’est pas suivie d’effet.

Ce dont nous avons besoin, c’est d’une stratégie nationale durable, avec des résultats mesurables et une reddition de comptes. Si le Canada veut vraiment lutter contre l’antisémitisme, nous devons passer de la parole aux actes. Je recommande un programme de sensibilisation rigoureux sur l’antisémitisme qui tienne compte de la diversité du peuple juif et de son expérience; une loi plus ferme et une constance dans la répression des crimes haineux, avec une formation des organismes d’application de la loi pour qu’ils reconnaissent les motivations antisémites; une responsabilisation des auteurs de propos haineux en ligne, en veillant à ce que les plateformes numériques ne puissent pas amplifier la haine et le complotisme; et un financement durable pour la sécurité des institutions religieuses et culturelles.

Au-delà des politiques, nous avons besoin d’alliances solides et véritables — d’une volonté de soutenir les Canadiens juifs, de dénoncer l’antisémitisme même lorsque cela dérange, et de reconnaître que la lutte contre l’antisémitisme renforce la lutte contre toutes les formes de haine. Tout comme il n’incombe pas aux Noirs d’éradiquer le racisme anti-Noirs, il n’incombe pas aux Juifs d’éradiquer l’antisémitisme. Je le répète, nous avons besoin d’alliances solides et véritables.

Les valeurs canadiennes d’inclusion, de respect et de justice sont mises à l’épreuve. La mesure de notre engagement ne se trouvera pas dans les déclarations que nous faisons, mais dans les mesures que nous prenons pour prévenir l’antisémitisme. Je ne demande pas de compassion. Je demande un partenariat pour un Canada où personne ne se sent en danger à cause de ce qu’il est et de la façon dont il prie.

Je vous remercie.

La présidente : Je vous remercie.

Belle Jarniewski, directrice générale, L’institut pour combattre l’antisémitisme au Manitoba : Madame la présidente et honorables sénateurs, pour les Juifs canadiens, il y a un « avant » et un « après » le 7 octobre 2023. Au Canada, aujourd’hui, l’antisémitisme est plus agressif et pernicieux que jamais. La haine antijuive et la politisation de l’antisémitisme sont devenues normales dans la société canadienne et dans le monde entier. Le dernier rapport de Statistique Canada sur les crimes haineux révèle que près de 19 % — soit 920 des quelque 4 900 crimes haineux signalés — et près de 70 % des crimes haineux motivés par la religion visaient des Juifs, alors que nous représentons moins de 1 % de la population.

Le nombre d’actes antisémites en ligne a grimpé en flèche et ils sont truffés de clichés historiques. Si le mot « juif » est souvent remplacé par « sioniste », les idées et les images sont les mêmes qu’il y a des décennies. Nous retrouvons des clichés sur les libations de sang, des théories du complot et de l’antisémitisme religieux. D’autres exemples incluent le déni et l’inversion de l’Holocauste, l’imagerie nazie, la représentation des Juifs comme de la vermine et le fait de tenir les Juifs pour responsables de tout ce qui va mal. Les attaques viennent autant de l’extrême gauche que de l’extrême droite de la société canadienne.

Soyons clairs : les Juifs canadiens ne se sentent plus en sécurité. Nous sommes témoins d’attaques contre des Juifs et des institutions juives. Le récent rapport sur l’antisémitisme dans les écoles ontariennes illustre l’ampleur du problème : dans près d’un cas sur six, un enseignant est à l’origine de l’acte antisémite ou il l’a approuvé ou il se produit dans une activité sanctionnée par l’école. Beaucoup de parents juifs ont changé leurs enfants d’école et, souvent, quitté le système scolaire public, afin de les protéger. Il est à noter qu’environ 40 % des incidents mentionnés dans le rapport de l’Ontario n’étaient pas anti-israéliens, mais comprenaient une négation de l’Holocauste, des allégations relatives à la richesse ou au pouvoir excessifs des Juifs, ou une condamnation générale des Juifs. Il y a un an, à Ottawa, une enfant de six ans a été informée par son enseignant qu’elle n’était qu’à moitié humaine parce qu’un de ses parents est juif.

Dans les manifestations anti-israéliennes, les Juifs canadiens sont ouvertement dénigrés et on appelle à la destruction du seul État juif. Un leader de ces rassemblements à Winnipeg a qualifié le sionisme de maladie à éradiquer. Des menaces ouvertes sont proférées, comme celle-ci lors d’un festival multiculturel : « Le Hamas vient vous chercher ». Ce n’est qu’un exemple parmi d’autres. Beaucoup d’entre nous ont été pris pour cible. J’ai personnellement reçu de graves menaces et on m’a dit que je méritais de mourir parce que je suis juive.

L’antisémitisme a contaminé nos universités et les discours haineux d’universitaires sont autorisés sous couvert de liberté d’expression. À Winnipeg, un professeur d’anglais a publié ce message suivant sur X à propos d’Israël : « Qu’il meure vite et dans la douleur, et que ses complices et ses exécuteurs criminels subissent des tragédies indescriptibles dans leur vie et leur famille. » Imaginez que vous soyez un étudiant juif dans sa classe.

Beaucoup d’étudiants et d’universitaires ont aussi célébré publiquement les attentats du 7 octobre. Une affiche annonçant un récent rassemblement à l’Université Concordia comportait une illustration glorifiant le Hamas et les attentats de 2023. Le 10 octobre, quelques jours plus tard, un groupe d’étudiants juifs qui sortaient de l’office du shabbat à Concordia a été pris pour cible par une personne munie d’un mégaphone qui a exigé de savoir s’ils avaient de la famille dans les Forces de défense israéliennes, connues sous le nom d’IDF, ou au festival Nova. Cette personne se vantait d’aimer regarder les vidéos de soldats israéliens mourants.

Des Juifs ont également été exclus de mesures de DEI. Nous sommes considérés, comme vous l’avez entendu, comme Blancs et privilégiés, alors que la communauté juive est très diverse. Cela signifie que nous n’avons ni de voix ni de place à la table de ces discussions importantes.

Notre radiodiffuseur national donne constamment la priorité à des voix antisionistes, et même les déclarations les plus extrêmes ne sont pas remises en question.

Nous attendons avec impatience la mise en œuvre de lois plus strictes contre la haine, comme la loi proposée pour lutter contre la haine. Cependant, au cours des deux dernières années, nous avons rarement vu les lois appliquées en cas d’actes de haine antijuive. Or, les lois sont inutiles si elles ne sont pas appliquées.

Nous n’aurions jamais imaginé ce que vivent les Juifs au Canada aujourd’hui, mais la haine antijuive nous met tous en danger. Elle est toxique pour la société canadienne. Elle menace la démocratie. Et, je le répète, elle nous menace tous.

Je vous remercie.

La présidente : Je vous remercie toutes les deux de vos exposés.

Avant de poursuivre, je souhaite la bienvenue à la sénatrice Coyle, qui est des nôtres.

Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs. Chers collègues, je vous rappelle de bien vouloir préciser à qui vous adressez votre question, et de ne poser qu’une question à la fois. Vous disposez de cinq minutes pour votre question et sa réponse.

La sénatrice Bernard : Je vous remercie de votre témoignage et de votre présence parmi nous aujourd’hui.

Ma première question s’adresse à Mme Campbell, et je tiens à vous remercier de souligner la diversité et de nous aider à mieux comprendre l’intersectionnalité. J’aimerais en savoir plus à ce sujet, sur la réalité de l’intersection entre l’antisémitisme, le racisme anti-Noirs et le genre. La sénatrice McPhedran a posé la question tout à l’heure. Vous incarnez ces intersections et peut-être d’autres que nous ne voyons pas. J’aimerais en savoir un peu plus sur cette réalité. J’aimerais savoir comment ces questions sont abordées dans les programmes éducatifs dont nous avons beaucoup entendu parler dans le dernier panel.

Mme Campbell : Je vous remercie de votre question.

Je commencerai par dire qu’enfant, ma mère m’a toujours dit : « Tu as trois handicaps, alors tu dois être trois fois meilleure que les autres. Tu es noire. Tu es juive. Tu es une fille. »

Je faisais des exposés dans des écoles juives et non juives sur la diversité juive parce qu’il y a ce cliché selon lequel les Juifs ont une certaine apparence et ne viennent que d’un seul endroit. Je pense que l’idée est d’ancrer l’expérience. Lorsque quelqu’un qui me ressemble parle avec quelqu’un qui me ressemble et comprend que, oui, je suis juive, cela change aussi la dynamique dans la pièce, si cela a un sens. Cela rend les choses un peu plus réelles.

Quand je travaille sur la question de la diversité, je dis que les deux parties de mon être sont, en fait, des alliées naturelles. Toutes deux appartiennent à des peuples persécutés qui continuent de l’être. Toutes deux sont des branches du même arbre de la haine et sont des alliées naturelles. Surtout dans la communauté noire, quand nous continuons de présenter les Juifs comme ayant une certaine couleur de peau, nous manquons l’occasion de montrer que nous suivons le même chemin et que nous pouvons nous tenir la main et marcher ensemble pour lutter contre la haine en général.

La sénatrice Bernard : Comment fonctionne l’organisation Jews of Colour Canada? Que fait-elle pour remédier à l’invisibilité de la diversité de la population juive?

Mme Campbell : Il est intéressant de noter que l’organisation a été créée pour les Juifs de couleur au sein de la communauté, pour dire : « Vous êtes là. Je suis là. Nous sommes là ensemble. Voyons ce que nous pouvons faire au sujet de nos expériences pour ce qui est de parler de la diversité en général. » Il ne s’agit pas seulement de Juifs qui me ressemblent, mais aussi de Juifs qui ne correspondent pas nécessairement à l’image que l’on se fait d’une personne originaire d’Europe de l’Est. Il peut s’agir de Juifs éthiopiens, de Juifs indiens ou de Juifs asiatiques. Voilà comment elle est née, pour éduquer au sein de notre communauté, puis elle s’est élargie à l’éducation en dehors de notre communauté, en particulier des jeunes, et à la compréhension de la richesse de la communauté juive et du fait qu’il n’y a pas qu’un seul type de Juifs.

La sénatrice Bernard : Je vous remercie.

Mme Jarniewski peut-elle également parler de cette diversité et des raisons pour lesquelles elle est invisible? Que pouvons-nous faire à ce sujet? Y a-t-il une recommandation que le comité pourrait formuler?

Mme Jarniewski : Le Manitoba Institute to Combat Antisemitism, l’institut pour combattre l’antisémitisme au Manitoba, offre information et formation sur l’antisémitisme, non seulement aux élèves et aux enseignants, mais aussi aux groupes professionnels, aux organismes à but non lucratif, aux chefs d’entreprise, et cetera. Cela a toujours fait partie de l’exposé que je présente. Il y a une magnifique diapositive qui montre des Juifs d’origines diverses. J’ai moi-même entendu des enseignants, étonnés, laisser échapper qu’ils croyaient que tous les Juifs venaient d’Europe et qu’ils étaient tous blancs. C’est un élément très important de l’éducation.

En Ontario, un merveilleux film a été réalisé par Facing History & Ourselves et une fédération juive, intitulé Being Jewish in Ontario, qui montre des Juifs d’origines et de couleurs très diverses parlant de leur culture, de leurs traditions, et cetera.

Je crois vraiment que l’éducation est très importante et que cela doit faire partie du programme scolaire. Au Manitoba, nous mettons la dernière main à un programme d’enseignement obligatoire sur l’Holocauste pour les 6e, 9e et 12e années, et cet aspect en fera également partie.

La sénatrice Bernard : Je vous remercie.

Mme Campbell : Je pense que le contexte est également important parce que vous entendrez souvent parler du lien entre les Juifs et l’Europe, et vous entendrez le refrain suivant : « les Juifs au Moyen-Orient, retournez en Europe d’où vous venez. » Je pense qu’il faut faire un énorme travail éducatif sur les Juifs au Moyen-Orient qui en sont originaires et qui sont persécutés depuis des centaines et des centaines d’années. Leur histoire n’est pas très connue. L’histoire de l’Holocauste est plus connue que celle de la persécution des Juifs du Moyen-Orient, qui a commencé bien avant l’Holocauste et qui continue. Dans certains de ces pays, il ne reste qu’un ou deux Juifs. L’exil forcé et l’élimination des Juifs du Moyen-Orient font également partie de cette éducation, si l’on veut l’élargir...

La présidente : Merci, madame Campbell. Peut-être aurez-vous l’occasion d’aller au bout de cette réflexion.

La sénatrice McPhedran : Je vous remercie toutes les deux de votre présence aujourd’hui. Venant du Manitoba, je peux certainement saluer toutes les années de travail communautaire très approfondi que vous avez fait, si je puis dire, madame Jarniewski, et je vous remercie toutes les deux de vos exposés.

Je voudrais vous inviter — je pense que vous avez entendu les questions précédentes — à nous répondre au sujet de protections juridiques supplémentaires et aussi de peines supplémentaires. Vous vous souviendrez que j’ai mentionné le projet de loi d’initiative parlementaire déposée par la députée Rempel Garner. J’ai également mentionné le projet de loi C-9, le projet de loi plus vaste sur la sécurité publique, et mon collègue, le sénateur Wells, a mentionné le projet de loi C-8. N’hésitez pas à ajouter quoi que ce soit sur ce sujet.

Mme Jarniewski : Je suis tout à fait favorable au nouveau projet de loi, et je pense qu’il contribuera à renforcer la loi. Comme je l’ai dit, il faut qu’elle soit appliquée. Comme l’ont dit certains de mes collègues dans l’exposé précédent, nous devons former les avocats de la Couronne. Il se trouve que je suis la mère et la belle-mère de deux procureurs de la Couronne au criminel, et ils sont très demandeurs de formation. Cela signifierait également qu’à la faculté de droit, quand nous formons de nouveaux avocats de la défense et de nouveaux procureurs, ils recevront aussi une formation à la loi concernant les crimes motivés par la haine.

Mme Campbell : Je suis d’accord. Il est fantastique que ce soit proposé. Cela aurait dû être fait depuis longtemps. Mais encore une fois, l’important, c’est l’application de la loi. À Toronto et à Richmond Hill, par exemple, de nouvelles mesures sont en place pour lutter contre les manifestations, etc., mais nous constatons qu’il est difficile de les appliquer. Selon moi, l’élément essentiel, c’est l’éducation — comme mes collègues l’ont mentionné, la formation des avocats et des policiers pour qu’ils soient capables de reconnaître ce genre de choses. Des membres de la communauté juive doivent absolument participer à cette formation parce qu’il y a des nuances que nous reconnaissons et qu’ils ne reconnaissent pas forcément. C’est vraiment essentiel, à mon sens. Il s’agit donc d’une sorte de « pas sur nous sans nous ».

Mme Jarniewski : Si je peux ajouter une petite chose, avec mon autre casquette de membre de la délégation du Canada à l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste, l’AIMH, depuis 2013, il ne s’agit pas seulement d’expliquer cette définition, mais d’en combattre la mauvaise interprétation permanente. Cette définition n’est pas juridiquement contraignante. Il s’agit d’un outil. Alors que plus de 200 universités au Royaume-Uni l’ont adoptée ou approuvée, aucune ne l’a fait au Canada, à ma connaissance, et ce n’est pas une bonne chose.

La sénatrice McPhedran : Je vous remercie.

Il s’agit d’une question plutôt prospective : si nous parvenons à une paix durable à Gaza, entre Israël et Gaza, pensez-vous qu’il y aura probablement une réduction de ce que vivent actuellement les Juifs au Canada, ou pensez-vous que nous avons atteint le point de non-retour?

Mme Campbell : Au risque de paraître brutale, je ne pense pas que cela changera quoi que ce soit. La haine des Juifs est antérieure à Gaza. L’antisémitisme a toujours existé. Il a toujours été en hausse. Soit dit en passant, il augmente. Nous avons ce que j’appelle un « antisémitisme poli ». Tout ce qui a vraiment changé, c’est qu’il est devenu plus audacieux. Les gens se sont enhardis au point d’incendier des choses et d’utiliser des mots qui ne devraient pas l’être. Je pense donc que c’est trop tard et que peu importe ce qui se passe là-bas.

Mme Jarniewski : Je suis d’accord. On a laissé le génie s’échapper de la lampe. Alors qu’il n’était pas socialement acceptable de dire ces choses, ça l’est maintenant, et c’est normalisé, et c’est aggravé de manière exponentielle par les médias sociaux. Je sais que Michal Cotler-Wunsh a parlé d’un « huitième front ». Ce sera un gros problème permanent. Je ne pense pas qu’il disparaîtra avec ce que j’espère être la paix au Moyen-Orient. La route sera très longue.

La présidente : Je vous remercie.

La sénatrice Coyle : Je remercie nos deux témoins d’aujourd’hui. C’est une conversation très importante que nous avons, et les conseils que vous nous donnez, ainsi que la description de vos réalités, sont inestimables. Je vous en suis donc reconnaissante.

Ma première question est pour vous, madame Campbell. Je n’ai pas noté les mots exacts, mais vous avez parlé de l’inadéquation de la réponse du Canada et du fait qu’elle est plus réactive. Ai-je bien compris ce que vous disiez? Vous avez ensuite énoncé un certain nombre de points que vous souhaitez voir figurer dans une stratégie durable, ce qui m’a semblé très clair, et j’ai bien compris ces points. Je suis toujours à la recherche de déviances positives. Y a-t-il quelque chose que vous avez vu qui a bien fonctionné dans le passé et dont nous pouvons nous inspirer et que nous pouvons amplifier? J’aimerais savoir si vous avez vu quelque chose.

Mme Campbell : C’est une question difficile, car nous sommes tellement ancrés dans la réalité qu’il est vraiment difficile de le voir.

En ce qui concerne les mesures gouvernementales qui sont utiles et qui nous apportent une certaine sécurité — je travaille aussi pour une synagogue, et je consacre donc une grande partie de ma journée non pas à la gestion des membres, mais à la gestion de la sécurité. L’accès à des fonds fait partie des choses positives qui nous ont permis de sentir que nous comptons. Il est triste que nous en ayons besoin, mais cela nous a aussi donné le sentiment que nous comptons et que nous ne sommes pas livrés à nous-mêmes.

La sénatrice Coyle : Donc, des ressources pour la sécurité.

Mme Campbell : Des ressources, bien sûr, parce que, comme quelqu’un l’a mentionné précédemment, le coût a été multiplié, et c’est triste.

La sénatrice Coyle : Il a été brièvement question d’universités britanniques, mais dans d’autres pays, par exemple, y a-t-il des modèles qui fonctionnent mieux, qui sont plus proactifs que réactifs, que vous connaissez et dont le Canada pourrait s’inspirer?

Mme Campbell : Il faudra que j’y réfléchisse, mais je vous remercie.

La sénatrice Coyle : Il n’y a pas de problème. Si vous voulez nous envoyer quelque chose par écrit, ce serait très bien.

Mme Campbell : Il faudra que j’y réfléchisse.

La sénatrice Coyle : Madame Jarniewski, je vous remercie de votre témoignage. Ce rapport sur l’antisémitisme dans les écoles de l’Ontario est un document effrayant. Quand on voit ce qui se passe, non seulement d’élève à élève, mais aussi d’enseignant à élève, le fait que la confiance et la sécurité qui devraient exister et qui n’existent pas, c’est vraiment le signe de la rupture que vous nous avez toutes deux exposée aujourd’hui.

Je crois que vous avez également dit quelque chose au sujet de notre radiodiffuseur national, que je considère — je l’appelle CBC/Radio-Canada. Pouvez-vous nous préciser ce à quoi vous faisiez référence à propos du rôle négatif ou positif joué par notre radiodiffuseur national et nous dire ce que nous pourrions, selon vous, exiger ou demander de notre radiodiffuseur national qu’il fasse plus, ou comment nous pourrions le soutenir dans ce sens?

Mme Jarniewski : Beaucoup d’entre nous constatent, sur les radios locales dans tout le Canada et dans les émissions locales de CBC/Radio-Canada, que les intervieweurs choisissent d’interviewer des intervenants antisionistes. Souvent, lorsqu’ils choisissent une personne juive, il s’agit de quelqu’un qui est en marge de notre communauté en ce qui concerne ses croyances et ses idées sur le sionisme, et cetera, et qui dit des choses assez choquantes sans être contesté. Nous avons également vu quelques fois qu’un représentant du courant dominant de la communauté juive est interviewé et que ses propos sont remis en question.

Une de mes amies de la communauté autochtone était interviewée et, dans la préparation, on lui a demandé si elle avait une question à poser. Elle a répondu que oui, qu’elle avait beaucoup d’amis dans la communauté juive et qu’elle se demandait pourquoi la radio faisait toujours appel à telle ou telle personne et n’invitait pas de personnes du courant dominant de la communauté juive à s’exprimer.

La présidente : Je suis désolée de vous interrompre. Nous pouvons peut-être aller au bout de cette réflexion et poursuivre. Si vous voulez aller au deuxième tour, sénatrice Coyle, nous pouvons le faire.

Mme Jarniewski : C’est à peu près tout. Nous n’avons pas vraiment l’occasion, à notre avis, de présenter l’autre version de l’histoire.

Le sénateur K. Wells : L’année 2025 marque le cent cinquantième anniversaire de la Cour suprême du Canada. Récemment, certains pontes de la presse et certains experts juridiques ont fait un classement des arrêts les plus importants de l’histoire de la Cour suprême. L’arrêt Delwin Vriend, qui a introduit l’orientation sexuelle dans la Charte, à l’article 15, figure parmi les huit plus influents de l’histoire de la Cour suprême. Dans l’arrêt Delwin Vriend, un des moments les plus forts se produit quand le Congrès juif canadien fait, en qualité d’intervenant, une déclaration devant la Cour suprême où il compare, à propos d’alliance intersectionnelle, les expériences de la communauté juive et de la communauté gaie et lesbienne. Lyle Kanee, qui représentait le Congrès à l’époque, a déclaré que nous devions nous tenir la main pour franchir ensemble les portes de l’égalité. Je ne cesse de penser au nombre de jeunes qui ne connaissent pas l’histoire de nos mouvements et de la solidarité.

Je reviens à Mme Campbell avec ma question sur l’importance de l’alliance intersectionnelle dont vous avez parlé, en fait, parfois ce que j’appelle les différences qui changent les choses dans notre vie quotidienne, et ces différences que beaucoup de gens ne voient pas jusqu’à ce que nous nous sentions suffisamment en sécurité, comme vous l’avez dit, pour faire part de cette vulnérabilité à d’autres personnes. Pouvez-vous nous en dire plus sur l’importance de l’alliance intersectionnelle et sur la façon dont nous devons nous y prendre pour éclairer ces différences qui changent les choses, qui construisent la richesse et la diversité de notre communauté et les intersections avec la haine?

Mme Campbell : J’ai beaucoup aimé ce que vous avez dit sur le fait de se tenir la main et de marcher ensemble. Je ne sais même pas si je peux dire mieux. Il s’agit vraiment de partager nos histoires et de se sentir suffisamment en sécurité et à l’aise pour le faire. À l’heure actuelle, il est difficile d’être juif, point final, sans parler de toutes les autres identités que nous pouvons avoir. C’est beaucoup. C’est épuisant. Mais en même temps, il est important de partager ces histoires, de faire en sorte que ces histoires personnelles soient racontées à l’école, non pas de manière clinique, mais vraiment pour que les gens puissent voir, sentir et entendre que nous partageons ces choses, que nous ne sommes pas ceci, cela et autre chose. Il y a ceux d’entre nous qui sont eux-mêmes et ceux qui ne le sont pas. Mais nous partageons la même chose, nous suivons le même chemin et nous devons nous battre ensemble parce que nous sommes tous marginalisés. Il faut que cela change.

La sénatrice McPhedran : Juste une petite précision, madame Jarniewski, quand vous dites « en marge » ou peut-être l’équivalent, incluez-vous des organisations comme Voix juives indépendantes dans cette catégorie?

Mme Jarniewski : Oui. Une enquête a été menée dernièrement au Canada et il en ressort que 94 % des Juifs canadiens s’identifient comme sionistes, ce qui signifie seulement que nous croyons qu’Israël a le droit d’exister, qu’il s’agit de notre terre ancestrale, que nous sommes originaires d’Israël et c’est tout. Cela veut donc dire que seulement 6 % ont des opinions divergentes, et cela inclut Voix juives indépendantes, mais les médias donnent souvent la priorité à ces voix.

La sénatrice McPhedran : D’accord. Je vous remercie.

La sénatrice Coyle : J’aimerais revenir sur la dernière question que j’ai posée à Mme Jarniewski. Nous avons parlé de notre radiodiffuseur public. Je suis curieuse de savoir si vous constatez le même genre de traitement dans le secteur privé.

Mme Jarniewski : En fait, non. J’ai constaté d’immenses différences, qu’il s’agisse de la radio ou de la télévision, autrement dit CTV par rapport à CBC/Radio-Canada, dans la façon dont elles rendent compte d’une même histoire. Il y aura une attitude et des reportages plus équilibrés de la part du secteur privé, oui.

La sénatrice Coyle : D’accord. Est-ce que l’une ou l’autre d’entre vous est au courant d’interventions faites par des organisations juives auprès du radiodiffuseur national du Canada sur ces questions?

Mme Jarniewski : Absolument.

Mme Campbell : L’une des principales organisations est HonestReporting Canada. Elle rappelle constamment à l’ordre CBC/Radio-Canada, lui envoie des corrections, exige des rectificatifs, même si on sait qu’il est difficile de revenir en arrière. Elle lui demande sans arrêt des comptes.

La sénatrice Coyle : D’accord. Est-ce que notre autre témoin veut ajouter quelque chose à cela?

Mme Jarniewski : Je suis tout à fait d’accord. Il arrive cependant aussi que des excuses soient présentées, mais c’est comme une rétractation dans un journal à la page 20. Personne ne les entend ou ne les voit vraiment. Mais oui, HonestReporting fait un travail formidable à cet égard.

La sénatrice Coyle : Je vous remercie. Il est bon de le savoir.

J’aimerais savoir. Il y a tellement d’aspects à ce dont nous parlons ici. Vous avez toutes deux parlé de l’importance de l’éducation, et je pense qu’elle est essentielle. Nous avons parlé de l’intersectionnalité et de son importance. Nous avons parlé de l’importance pour les enfants en particulier d’apprendre toutes les histoires. La « grande histoire » dont nous entendons toujours parler — et dont tous les enfants, j’imagine, entendent parler —, c’est l’Holocauste. Chaque année, toutes les écoles marquent le jour du Souvenir. Que faisait le grand-père ou l’arrière-grand-père? Pourquoi portons-nous des coquelicots et pourquoi organisons-nous des concours artistiques à l’école? Pensez-vous que l’on pourrait faire plus en parallèle au jour du Souvenir, par exemple du point de vue de l’éducation? Pour autant que je sache, c’est une priorité pour toutes les écoles. On y accorde beaucoup d’attention. Savez-vous si quelque chose est fait pour établir ces liens, ou pensez-vous qu’il serait utile d’en faire plus à ce sujet?

Mme Campbell : Absolument, mais j’irai même plus loin. Nous avons l’habitude ou la tradition de réserver des moments particuliers pour parler de certaines choses. Nous avons le Mois de l’histoire des Noirs, par exemple. Je dis toujours que ce devrait être plus cohérent. Nous ne devrions pas parler des expériences des anciens combattants et de ce qui s’est passé pendant l’Holocauste ou autre qu’à l’occasion du jour du Souvenir. Ces évocations devraient faire partie d’un programme scolaire d’une année, qu’il s’agisse de l’histoire des Canadiens noirs ou des peuples autochtones. Il faut que ce soit constant et pas seulement à des moments précis. Nous le faisons encore et encore, tous, et puis ça s’essouffle.

Mme Jarniewski : Je suis d’accord. Nous devons également étudier l’intersectionnalité, même dans cette histoire. Nous devons enseigner les contributions des Juifs dans les forces armées pendant la Seconde Guerre mondiale et la Première Guerre mondiale, ainsi que leurs contributions de manière générale au Canada. Elles sont immenses. Nous ne pouvons pas nous contenter de le faire, comme vous le dites, pendant le Mois du patrimoine juif canadien. Nous devons le faire toute l’année. Nous devons adopter une approche pluridisciplinaire à ce sujet.

La sénatrice Coyle : Merci à vous deux.

La sénatrice Bernard : J’aimerais revenir sur une question que la sénatrice Coyle a posée au sujet des observations que vous avez faites sur notre radiodiffuseur national et sur ce que je qualifierai d’antisémitisme dans les médias. L’éducation a-t-elle un rôle à jouer à cet égard, et l’une ou l’autre d’entre vous a-t-elle une recommandation particulière à faire au comité à ce sujet?

Mme Jarniewski : En fait, aujourd’hui même, j’ai découvert et ajouté à notre site Web de l’institut pour combattre l’antisémitisme un document de l’UNESCO sur l’antisémitisme dans le journalisme et sur la façon de l’éviter. C’est un excellent document. Il ne s’adresse pas seulement aux Canadiens, bien sûr, mais aux personnes de tous les pays.

Je pense que nous devons également sensibiliser les élèves des écoles de journalisme. L’éducation doit se faire partout. Je ne pense pas que l’antisémitisme soit vraiment compris. Tout comme la définition, l’antisémitisme lui-même est mal interprété et mal compris.

Mme Campbell : C’est peut-être un peu dur, mais je pense que nous devons aussi comprendre que, parfois, ce n’est pas une question d’éducation. Parfois, c’est simplement de l’antisémitisme délibéré. Si c’est le cas, il doit y avoir des conséquences, car nous parlons de journalistes, de personnes vraisemblablement instruites qui font des recherches. On peut se demander s’il ne s’agit pas d’un acte délibéré. Nous devons parfois penser que telle est la raison et agir en conséquence.

Mme Jarniewski : J’ajouterai, brièvement, que nous ne permettrions jamais, selon moi, que certains des commentaires visant les Juifs visent n’importe quelle autre minorité. Ce serait immédiatement critiqué et il y aurait des conséquences pour le journaliste. Cependant, d’une certaine manière, quand il s’agit de nous, cela n’a pas d’importance.

La présidente : Nous sommes arrivés à la fin de notre deuxième tour. Merci beaucoup de votre témoignage et de votre présence aujourd’hui, en personne et en ligne.

Les témoins de notre troisième groupe disposeront de cinq minutes chacun pour leurs observations préliminaires. Nous avons aujourd’hui avec nous, à la table et en personne, Mme Carrie Silverberg. Par vidéoconférence, nous avons M. Eyal Daniel, président de l’Association des éducateurs sur l’Holocauste et l’antisémitisme. Je vous remercie tous deux de votre présence.

Carrie Silverberg, à titre personnel : Madame la présidente, honorables sénateurs, je vous remercie de m’avoir invitée à prendre la parole à un moment crucial de notre histoire.

Je ne suis pas ici en tant que membre d’une organisation, comme beaucoup aujourd’hui. Je suis ici en tant que membre du Syndicat canadien de la fonction publique, le SCFP, qui est le plus grand syndicat du secteur public au pays. Je n’ai jamais fait de politique. Je n’ai jamais voulu prendre la parole en public, mais je n’ai pas le choix. Je me suis engagée politiquement. Je m’implique beaucoup parce que je fais face à de l’antisémitisme dans mon syndicat, l’organisation à laquelle je suis forcée d’appartenir et à laquelle je dois payer des cotisations.

Avant le 7 octobre, pendant des années, j’ai essayé de faire bouger les choses, d’avoir des conversations et de sensibiliser le syndicat. J’ai rencontré Fred Hahn et Mark Hancock, le président du SCFP-Ontario et le président national. J’ai rencontré les dirigeants de ma section locale. J’ai rencontré d’autres comités et d’autres personnes au sein du SCFP. Toutes ces conversations se sont déroulées à peu près de la même façon en fin de compte. Les gens disaient en souriant qu’ils essaieraient de faire mieux. Il n’y a jamais eu d’amélioration; au contraire, la situation a empiré. C’est difficile.

Au fil des ans, j’ai participé à des congrès nationaux et provinciaux. J’ai pris le micro et j’ai dénoncé la haine et les résolutions unilatérales mensongères. Elles ne sont même pas unilatérales. Elles ne reposent pas sur des faits. Elles commencent toujours par parler de discrimination et de haine. Je dois intervenir pour dire que tous les types de haine et de discrimination sont énumérés, sauf l’antisémitisme. Il ne fait jamais partie de la liste. Je l’ai demandé à maintes reprises. En général, on ne l’ajoute pas tant que quelqu’un ne réclame pas au micro qu’on l’ajoute.

Il n’y a pas si longtemps, à un congrès, on m’a crié dessus et on m’a huée alors que je parlais au micro. C’est quelque chose qui n’arrive jamais dans un syndicat ou dans une salle de réunion syndicale. Les présidents national et provinciaux présidaient la réunion. Personne ne les a arrêtés. J’ai dû me retourner et les arrêter. Honnêtement, c’était terrifiant, car personne ne semblait s’en formaliser. C’était normal de me traiter de la sorte. Ils n’auraient jamais toléré cela avec un autre groupe, mais pour une raison ou une autre, il était normal de s’en prendre aux Juifs. C’était démoralisant d’être dans cette atmosphère, de savoir que ces personnes étaient censées me défendre, se battre pour mes droits, et qu’elles étaient les premières à me crier dessus et à vouloir que je parte simplement parce que je suis juive et que je défends mon peuple.

Le 8 octobre 2023, le lendemain du plus grand massacre de Juifs depuis l’Holocauste — et alors qu’Israël comptait encore les victimes et les personnes enlevées —, Fred Hahn, président du SCFP-Ontario, a écrit dans un gazouillis la chose la plus haineuse qui soit. Pour paraphraser, il disait qu’il était reconnaissant du pouvoir de la résistance, ce qui signifie qu’il était reconnaissant de ce massacre. Il ne demandait pas le retour des otages et ne manifestait aucune considération à l’égard des hommes, des femmes et des enfants innocents qui ont été assassinés. Ce gazouillis était absolument dévastateur, non seulement pour moi, mais aussi pour nombre de mes amis et de personnes que je ne connaissais pas et qui m’ont contactée. Dans les semaines et les mois qui ont suivi le 7 octobre, Fred Hahn a participé à des rassemblements anti-israéliens, un mégaphone à la main, se présentant toujours comme le président du SCFP — autrement dit, me représentant — et hurlant tout le mal qu’il pensait d’Israël.

Non seulement il n’a aucune considération pour les Juifs, mais il nous méprise et nous hait. Mon implication dans le SCFP et le fait d’être constamment en butte à de la haine et de la discrimination m’épuisent véritablement et me donnent souvent envie, littéralement, de quitter mon travail pour ne plus avoir à être affiliée au SCFP, à en être membre et à payer mes cotisations, parce qu’ils sont haineux et antisémites.

La seule option que j’ai trouvée pour essayer d’empêcher mon syndicat d’utiliser mes cotisations pour financer ses intérêts géopolitiques et soutenir des terroristes qui veulent voir les Juifs rayés de la surface de la Terre a été de déposer une plainte pour discrimination auprès d’un tribunal des droits de la personne contre Fred Hahn et le SCFP-Ontario. J’ai eu la chance de trouver Kathryn Marshall, une avocate prête à me représenter bénévolement. Mais pour ajouter à ma souffrance insupportable, la défense de Fred Hahn et du SCFP-Ontario est financée par mes cotisations syndicales. J’ai dû trouver une avocate prête à nous représenter gratuitement, mais je paie l’avocat de Fred Hahn et du SCFP.

Le SCFP fait constamment mention de son Énoncé sur l’égalité et de son mandat, qui est de veiller à ce que toutes les personnes soient traitées sur un pied d’égalité, mais il s’en prend continuellement et sans relâche aux Juifs et aux Israéliens, ce qui est très traumatisant pour moi-même et pour bien d’autres personnes. Comme vous le savez, pour ce qui est des crimes haineux, les Juifs — nous l’avons entendu dire maintes fois ce soir — sont le groupe le plus souvent pris pour cible, et j’ai l’impression que mon syndicat est très heureux d’ajouter à ces statistiques. Si des Canadiens sont obligés de faire partie d’un syndicat, il doit y avoir un moyen équitable d’obliger ses dirigeants à rendre des comptes à leurs membres pour leurs actions et leur utilisation des fonds.

Je vois quelques solutions. J’aimerais que l’on modifie la formule Rand pour que les membres puissent refuser que leurs cotisations servent à autre chose que les négociations collectives et l’application des conventions collectives — il me semble que c’était l’intention initiale de la formule Rand —, pour que les membres ne soient pas obligés de continuer à financer l’idéologie politique des dirigeants. Des lois qui empêchent les dirigeants syndicaux d’utiliser leur plateforme pour promouvoir leurs objectifs politiques ou idéologiques sont nécessaires. La transparence et la responsabilité des dirigeants syndicaux doivent être une obligation juridique. Il faut leur rappeler qu’ils ne dirigent pas un parti politique, mais un syndicat qui représente des personnes de tous les partis.

La présidente : Madame Silverberg, je sais que vous avez encore des choses à dire. Peut-être qu’un sénateur peut poser une question sur d’autres solutions et recommandations que vous avez à proposer. Je vous remercie.

Eyal Daniel, président, Association des éducateurs sur l’Holocauste et l’antisémitisme : Je remercie le Comité sénatorial permanent des droits de la personne de me donner l’occasion de m’exprimer aujourd’hui. Je m’appelle Eyal Daniel, je suis enseignant en études sociales dans une école secondaire de la Colombie-Britannique et je suis président de l’Association des éducateurs sur l’Holocauste et l’antisémitisme.

Notre organisation a été fondée en 2024, à la suite de l’annonce par le premier ministre de la Colombie-Britannique que l’enseignement de l’Holocauste serait une matière obligatoire dans le programme d’études sociales de 10e année, en réponse à un besoin croissant de matériel pédagogique détaillé et de possibilités de perfectionnement professionnel des enseignants au sujet de l’Holocauste et de l’antisémitisme. Soyons clairs, une telle organisation était déjà probablement nécessaire bien avant le massacre perpétré par le Hamas le 7 octobre, car on assiste à une montée de l’antisémitisme au Canada — les statistiques récentes montrent une augmentation de 670 % au cours des deux dernières années. En tant qu’éducateurs, nous avons compris que nous devions agir pour endiguer la haine dont nous commencions à être témoins dans nos écoles et nos salles de classe.

En Colombie-Britannique, des outils pédagogiques et des possibilités de perfectionnement professionnel sont créés par des groupes appelés associations provinciales de spécialistes. Ces associations sont appuyées et financées par la BC Teachers’ Federation, la BCTF, syndicat auquel tous les enseignants des écoles publiques sont tenus d’adhérer. Certains estiment que la BCTF pourrait faire partie du problème en ce qui concerne l’antisémitisme dans les écoles. Permettez-moi de vous donner quelques exemples.

Pendant longtemps, la BCTF a mis à la disposition des enseignants, dans sa section de ressources en ligne « Teach BC », un document pédagogique très problématique sur le conflit israélo-palestinien intitulé « Searching for a Just Peace », bien que des experts aient dit à plusieurs reprises à la BCTF qu’il s’agissait d’un document partial, anhistorique et préjudiciable. C’était la seule ressource disponible. Il n’y avait rien sur l’Holocauste, rien sur l’antisémitisme et rien de qualité sur le conflit.

Cela nous ramène au groupe que je dirige. En tant que groupe d’éducateurs juifs et non juifs, notre objectif est d’utiliser nos compétences pour veiller à ce que les enseignants et les élèves de la Colombie-Britannique disposent en ces temps difficiles de ressources responsables et de qualité. Notre objectif est de devenir une association provinciale de spécialistes approuvée et financée par la BCTF, à l’instar d’autres associations de spécialistes en mathématiques, en arts culinaires, en apprentissage numérique et dans bien d’autres domaines. La BCTF offre à ces associations la visibilité et la capacité de communiquer avec 50 000 enseignants membres en Colombie-Britannique, au moyen de son site Web, de son magazine, de ses médias sociaux en ligne et des bulletins d’information des associations locales d’enseignants. Nous en avons donc fait la demande, en satisfaisant à tous les critères : nombre de membres, constitution, assemblée générale annuelle, etc. J’ajouterai que personne n’a jamais entendu parler de rejet d’une demande d’association provinciale de spécialistes en Colombie-Britannique. Pourtant, la nôtre a été rejetée, sans explication ni recours.

Différents arguments ont été avancés pour expliquer ce rejet. Certains ont ainsi prétendu qu’une association provinciale de spécialistes dédiée à l’Holocauste n’était pas nécessaire, car ce sujet pouvait être couvert par l’association chargée des sciences sociales. Cependant, cette dernière a déclaré qu’elle ne peut pas offrir les ressources nécessaires dans ce domaine complexe. Il est courant pour la BCTF de financer différentes associations provinciales de spécialistes dont les domaines se recoupent. Il existe une association pour les professeurs de danse, distincte de celle des professeurs d’art dramatique et de celle des professeurs d’art.

D’autres ont laissé entendre que le thème de l’antisémitisme pouvait être traité par une association qui communique régulièrement du matériel antisémite, y compris en promouvant des événements organisés par Samidoun, une organisation inscrite en 2024 sur la liste des groupes terroristes, en vertu du Code criminel canadien. Cette même association continue de refuser de rencontrer nos représentants pour parler de publications et de ressources problématiques et tendancieuses.

Je sais que critiquer son syndicat peut entraîner des problèmes. Je tiens donc à préciser que je ne dis pas exactement pourquoi la BCTF a fait ce choix. Je vous laisse tirer vos propres conclusions.

Peu importe la décision de la BCTF, nos bénévoles dévoués ont persisté. Nous sommes maintenant enregistrés en Colombie-Britannique comme société à but non lucratif. Le ministère de l’Éducation et des Services à la petite enfance de la Colombie-Britannique nous a inclus dans le processus de planification du nouveau programme d’enseignement sur l’Holocauste. Nous avons créé un site Web interactif à la pointe de la technologie et nous avons organisé de nombreuses séances de perfectionnement professionnel pour les enseignants. Cette semaine, nous sommes sur le point de lancer nos nouveaux outils pédagogiques détaillés, créés en Colombie-Britannique et axés sur les sujets complexes de l’Holocauste et de l’antisémitisme. Nous sommes reconnaissants aux groupes qui travaillent déjà dans ce domaine et qui nous ont aidés chemin faisant, notamment le Vancouver Holocaust Education Centre et la Fondation Azrieli.

Enfin, par la collaboration et la défense des intérêts, l’Association des éducateurs sur l’Holocauste et l’antisémitisme cherche à créer une société plus inclusive et mieux informée, en veillant à ce que les leçons de l’histoire trouvent un écho auprès des générations futures, ce qui est essentiel pour nos élèves et pour la société canadienne.

Je vous remercie de votre attention.

La présidente : Merci à vous deux de vos témoignages. Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs.

Chers collègues, je vous rappelle de bien vouloir identifier la personne à qui vous adressez votre question. Veuillez poser une question à la fois. Vous disposerez de cinq minutes pour poser votre question et y obtenir une réponse. Nous avons le luxe de disposer de plus de temps, je serai donc flexible sur ce point.

La sénatrice Bernard : J’aimerais commencer par inviter Mme Silverberg à finir de nous exposer les solutions qu’elle nous propose.

Mme Silverberg : J’ai terminé en ce qui concerne la formule Rand.

Nous avons besoin d’un mécanisme simple qui permet aux syndiqués de déposer une plainte ou de parler d’une question de politique sans passer par la Commission des relations de travail telle qu’elle est à présent, car elle penche en faveur des syndicats.

Chaque membre cotisant devrait avoir le droit démocratique de voter pour la direction et les initiatives et politiques du syndicat. Moins de 2 200 délégués représentaient les 800 000 membres du SCFP à son congrès national qui s’est tenu il y a quelques semaines. Cela correspond à 0,3 % des voix des membres. Ce n’est pas nécessairement parce que les gens ne voulaient pas y aller. Je voulais y aller, mais nous ne sommes pas tous autorisés à y aller. C’est au niveau local que l’on décide qui peut y aller. Ce sont généralement les personnes qui partagent les mêmes idées, ce qui ne fait que perpétuer la situation. Il est très difficile de changer les choses quand les agents du changement ne peuvent pas faire entendre leur voix. J’aimerais simplement que ce que les syndicats sont autorisés à faire avec l’argent et le temps de leurs membres soit plus structuré et plus réglementé.

De nouveau, au congrès d’il y a deux semaines, environ 5 % du temps consacré aux résolutions a été consacré à des questions fondamentales relatives au travail, 35 % à des débats géopolitiques et idéologiques sur les résolutions, 20 % au militantisme national et social et 40 % à des questions « autres » et à des questions de procédure. Si les syndicats consacrent 5 % de leur temps aux questions fondamentales relatives au travail, cela signifie qu’ils ne font pas nombre des choses qu’ils sont censés faire, c’est-à-dire qui relèvent de leur mandat. Nous devons trouver un moyen de les recentrer sur le mandat du mouvement syndical.

La présidente : Il vous reste deux minutes et demie, sénatrice.

La sénatrice Bernard : Je vais continuer avec Mme Silverberg pour le moment. Vous avez mentionné que vous avez actuellement une affaire devant le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario. Je suppose donc que cela signifie que vous ne pouvez pas en parler, mais je me demande si vous pouvez nous donner un calendrier en ce qui concerne...

Mme Silverberg : J’aimerais bien. Nous attendons toujours des dates, alors je ne sais pas. Nous attendons depuis un moment. C’est un autre de nos systèmes qui est engorgé et qui prend beaucoup de temps.

La sénatrice Bernard : Ma question suivante s’adresse à nos deux témoins.

Madame Silverberg, vous avez parlé des médias sociaux et des propos haineux dans les médias sociaux. Quelles mesures le gouvernement fédéral peut-il prendre? Avez-vous d’autres recommandations? Quelles mesures le gouvernement fédéral peut-il prendre pour lutter contre l’antisémitisme dans ces espaces en ligne qui sont tellement publics et accessibles à l’ensemble de la population?

Mme Silverberg : Cela renvoie en grande partie à la question : discours haineux ou liberté d’expression? Et nous devons commencer à suivre les vraies lignes directrices et l’intention des discours haineux. Quand votre liberté d’expression commence à mettre d’autres personnes en danger, il ne s’agit plus de « liberté », selon moi, mais plus de haine. Nous devons nous pencher plus sérieusement sur cette question et changer des choses. Je ne sais pas s’il faut nécessairement beaucoup de changements, mais nous devons appliquer les règles et les lois qui existent déjà.

M. Daniel : Tout d’abord, il faut déterminer les limites avant de décider comment combattre le problème. Lorsqu’un fait devient une opinion et qu’une opinion devient un fait, il y a beaucoup de confusion. Nous devons savoir clairement ce qu’est la liberté d’expression et quand il y est porté atteinte, et ensuite nous pourrons regarder les sites Web et les médias sociaux.

Une partie du problème réside dans le fait qu’il existe des « institutions acceptables », si je puis dire — je ne parle pas de sites Web inconnus, mais de sites reconnus. Elles font aussi la promotion de matériel et de propagande antisémites. Je commencerais par elles.

La sénatrice Bernard : Je vous remercie.

Le sénateur Arnot : Cette question s’adresse à Mme Silverberg, et j’aurai une deuxième question au prochain tour pour l’autre témoin.

Madame Silverberg, il est juste de dire qu’au Canada, les membres de la communauté juive sont très vulnérables à l’heure actuelle et qu’ils éprouvent une crainte justifiée. Je vous remercie de défendre les droits de la personne et de porter cette question comme vous le faites. Votre histoire et votre expérience sont éloquentes. Vous avez l’impression d’être seule, comme beaucoup de Canadiens juifs, qu’aucune voix ne s’élève pour promouvoir les valeurs canadiennes. J’aimerais savoir quel impact ce sentiment d’être seule ou cette bataille que vous menez a sur vous personnellement.

Mme Silverberg : Cela a un impact énorme sur le plan émotionnel, psychologique et même sur ma santé physique parce que, quand je rentre chez moi après ces congrès, il me faut généralement une semaine pour me remettre. C’est tellement épuisant de sentir constamment de la haine.

Je dois dire que, depuis le 7 octobre et depuis notre affaire de droits de la personne, je ne suis plus aussi seule que je l’étais, parce que la communauté juive s’est réunie avec quelques alliés pour créer le Comité juif du travail du Canada, où nous avons commencé à nous soutenir mutuellement. J’ai l’impression d’avoir plus de soutien qu’avant, mais j’ai aussi l’impression qu’il y a plus de haine qu’avant. Donc, c’est toujours très éprouvant.

Je le répète, je me suis dit pendant longtemps que je devais trouver un autre emploi. J’ai commencé à chercher, et quelle était ma seule exigence? Simplement que ce soit un emploi non syndiqué. Le SCFP est mauvais. J’ai des amis et des contacts dans d’autres syndicats du secteur public, et je pense qu’ils sont assez semblables. Cependant, je pense que le SCFP est peut-être celui qui se fait le plus entendre.

Il est très épuisant de vouloir quitter son emploi, non pas à cause de son employeur, mais à cause de son syndicat. Il faut se battre encore et encore, en ayant constamment l’impression d’être la cible. J’ai participé à des congrès où j’ai littéralement regardé par-dessus mon épaule quand je quittais la salle de congrès pour retourner à ma chambre d’hôtel. J’avais vraiment peur pour ma sécurité physique et pour mon bien-être émotionnel.

Le sénateur Arnot : Vous avez travaillé dans l’enseignement public et je crois fermement au pouvoir de l’éducation. Je me demande comment vous voyez l’éducation, en particulier les systèmes de la maternelle à la 12e année dans les provinces et les territoires du Canada, comme étant un cadre d’espoir où l’on enseigne aux élèves leurs droits et leurs responsabilités, fondamentalement la responsabilité de respecter leurs concitoyens. Que pensez-vous de l’espoir que l’éducation pourrait apporter?

Mme Silverberg : L’éducation doit commencer par les éducateurs, car beaucoup d’entre eux ne semblent pas comprendre. Je pense que certains ont de la haine dans le cœur, mais que beaucoup ne sont tout simplement pas informés et ne savent pas. Là aussi, on revient au syndicat. Beaucoup de membres du SCFP travaillent dans le secteur des écoles publiques, et ils sont endoctrinés et nourris de toute cette propagande. Ensuite, ils retournent dans les écoles et enseignent ce genre de choses — ou ont ces opinions. L’éducation est donc vraiment nécessaire à tellement de niveaux, mais elle doit commencer par les éducateurs.

Le sénateur Arnot : Je vous remercie.

La sénatrice Coyle : Merci à nos deux témoins. Vous avez traversé beaucoup d’épreuves et vous en traversez encore, madame Silverberg.

Je vais probablement faire preuve d’un peu d’ignorance. Dans ma vie passée, j’ai eu beaucoup de contacts avec les Travailleurs canadiens de l’automobile, TCA — à présent Unifor — et les travailleurs de l’acier, donc avec des syndicats du secteur privé et leur travail en faveur de la justice sociale. En fait, j’ai travaillé main dans la main avec eux sur le VIH-sida en Afrique et des choses de ce genre. Il n’y avait pas de problème. Cependant, une des choses que je sais de certains syndicats, c’est qu’ils avaient des programmes de formation syndicale pour leurs membres. Vous avez parlé de l’importance de former les éducateurs. Le SCFP a-t-il un programme de formation syndicale pour ses membres?

Mme Silverberg : Oui. Malheureusement, c’est une des premières façons dont je me suis impliquée. Quand j’ai commencé à m’impliquer dans ma direction, j’ai suivi un cours d’histoire du syndicalisme. On penserait que c’est assez anodin. Les Juifs étaient complètement effacés de ce cours. Nous n’existions dans aucun mouvement syndical au Canada, ce qui ne correspond pas du tout à la réalité. C’était, en fait, ma toute première rencontre avec Fred Hahn. J’avais amené quelqu’un de la Fédération CJA pour aider à le former. On m’a promis — c’était il y a presque 10 ans, je crois — que le cours serait remanié parce qu’il convenait qu’il y manquait quelque chose. À ma connaissance, il n’a pas été remanié.

Beaucoup d’entre nous se sont inscrits à un webinaire. Je ne me souviens plus du titre. Il s’agissait essentiellement de propagande pour toutes les raisons pour lesquelles les Juifs ne devraient pas être en Israël et la Terre ne nous appartient pas. Cela n’avait rien à voir avec le syndicalisme. C’était un bombardement constant de propagande sur cet écran vidéo.

Je n’arrêtais pas de me dire c’est ainsi que nos jeunes sont endoctrinés. Imaginez que vous ayez 21, 22 ou 24 ans. Vous venez d’obtenir votre diplôme. C’est votre premier emploi. Vous voulez en savoir plus sur la solidarité internationale, alors vous regardez le webinaire de votre syndicat. On vous présente les choses comme des faits. Il n’y a pas de place pour une autre version de l’histoire. Ces jeunes pensent que les Juifs et Israël sont horribles. Comment est-ce possible? Il n’y a jamais de côté positif. Tout n’est que bombardement négatif.

Oui, il y a beaucoup de formation dans les syndicats. Malheureusement, cela ne nous aide pas, cela nous nuit.

La sénatrice Coyle : Je vous remercie de votre réponse. J’étais curieuse au sujet de cet aspect du travail.

Je crois que vous avez dit que, lorsque le syndicat identifie clairement tous les problèmes de discrimination et ce qu’il défend en matière de lutte contre la discrimination envers différents groupes, l’antisémitisme n’est pas mentionné ou ne l’est que si vous ou quelqu’un d’autre en parlez. Est-ce nouveau ou était-ce le cas il y a deux ans? Quelle était la réalité?

Mme Silverberg : C’était le cas. C’était la première fois que je prenais la parole à un congrès, et j’étais très nerveuse. Il y avait probablement 2 200 personnes dans la salle. Je me suis approchée du micro et j’ai littéralement dit : « vous venez d’énumérer toutes ces formes de haine; pourquoi l’antisémitisme n’en fait-il pas partie? » C’est tout ce que j’ai dit. J’avais hâte que la caméra se détourne de moi. En retournant à ma place, trois personnes sont venues me voir pour me dire : « je suis tellement content que vous ayez dit cela. » Je leur ai répondu : « venez avec moi la prochaine fois. » « Oh, non. Vous êtes très courageuse de l’avoir fait. Je n’aurais pas pu le faire. » Des gens savent qu’il y a un problème. La plupart d’entre eux ont peur de s’exprimer.

La présidente : Pour le deuxième tour, nous commencerons par le sénateur Arnot.

Le sénateur Arnot : Cette question s’adresse à M. Daniel. Monsieur, vous êtes enseignant, si j’ai bien compris, en 10e année du secondaire en Colombie-Britannique. Un sondage récent au Canada a révélé que les élèves, surtout les plus jeunes, n’ont aucune connaissance de l’Holocauste. Il y a tout simplement un manque de connaissance et de compréhension qui me semble choquant. De manière générale, connaissez-vous la Fondation d’éducation à la citoyenneté Concentus et le travail qu’elle a accompli dans le système scolaire de la maternelle à la fin du secondaire en créant du matériel adapté au programme scolaire de l’Ontario et de la Saskatchewan, dans le but d’enseigner à tous les élèves du primaire et du secondaire de manière séquentielle, dès la maternelle, les droits liés à la citoyenneté canadienne, les responsabilités qui en découlent et la responsabilité fondamentale de traiter ses concitoyens avec respect? Je me demande, monsieur, si nous avons besoin de plus de ressources pour enseigner l’Holocauste et si nous devons intégrer cet enseignement dans le cadre plus large des valeurs fondamentales canadiennes. Avez-vous des observations à ce sujet?

M. Daniel : C’est une excellente question.

En fait, j’ai enseigné l’Holocauste à des élèves de la 4e à la 7e année et j’enseigne également le génocide à des élèves de 12e année. J’enseigne à des élèves de la 4e à la 12e année. Ce que j’ai remarqué au cours des deux dernières années, et qui m’a surpris, c’est que le niveau des élèves de 10e année — c’est là qu’ils sont exposés à ce sujet pour la première fois — était faible. Ils étaient totalement ignorants. Ils n’avaient aucune base de connaissances. Ils en savaient peu par rapport aux autres groupes d’il y a 10 ans. Je suis d’accord avec vous. Je soupçonne que la raison en est, pour être franc, que personne n’enseigne l’Holocauste avant la 10e année. Ce serait mon explication. Les raisons? Nous pouvons envisager diverses raisons. Peut-être est-ce une forme d’intimidation face au sujet, peut-être un manque d’intérêt, ou espérons-le, pas pour des raisons antisémites.

En fin de compte, nous avons besoin d’un message clair de la part du gouvernement fédéral, qui sera transmis aux administrations provinciales, puis locales. Ce message devrait affirmer que l’Holocauste et l’antisémitisme sont des sujets aussi importants que d’autres thèmes fondamentaux aujourd’hui, comme les leçons de vérité et de réconciliation et la sensibilisation à la culture autochtone. Ce message est absent. Une province dira ceci, une autre province dira cela. Que dit le gouvernement fédéral? Je suis d’accord avec vous. Cela fait partie des valeurs du Canada. Il faudrait le déclarer haut et fort.

La 10e année ne devrait pas être la seule année où l’on enseigne l’Holocauste. Vous avez raison, cela peut se faire à l’école primaire, dans un style d’enseignement différent, bien sûr. Cela peut se faire dans presque toutes les classes et tous les niveaux. Il suffit d’adapter le contenu et de le rendre approprié. Bien sûr que c’est possible. Ils doivent nous laisser le faire. Nous devons obtenir leur accord, puis nous ferons le nécessaire.

Le sénateur Arnot : Pour faire suite à cette question, deux ministères fédéraux pourraient être concernés, soit le ministère du Patrimoine canadien et le ministère de la Sécurité publique, car ces questions sont étroitement liées. Souscririez-vous à l’idée que notre comité envisage de recommander que ces deux ministères fédéraux soutiennent l’enseignement de ces questions dans le système scolaire, notamment en contribuant au perfectionnement professionnel des enseignants? C’est un domaine qui relève de leur compétence et qui n’empiéterait pas sur la compétence provinciale. Souscririez-vous à l’idée que notre comité recommande de faire participer ces deux ministères à ce type d’enseignement que vous préconisez?

M. Daniel : Je souscris sans réserve à cette idée. Nous manquons de formations professionnelles pour les enseignants. Nous manquons de nombreuses ressources. Des ressources existent, mais elles ne sont pas proposées dans une trousse destinée aux enseignants. Nous avons créé — vous le verrez en Colombie-Britannique, et ce sera utilisé dans tout le Canada, espérons-le — du matériel que les enseignants peuvent obtenir et commencer à enseigner rapidement. Tout soutien pouvant être apporté serait le bienvenu.

La sénatrice Bernard : J’aimerais revenir à Mme Silverberg et approfondir la question du sénateur Arnot sur le sentiment de solitude. Je le comprends. Je sais que l’un des moyens de ne pas se sentir seul est d’avoir des alliés. C’est le regretté Rocky Jones qui m’a fait découvrir le travail du SCFP en matière de lutte contre le racisme. Je sais qu’ils ont accompli un travail considérable [difficultés techniques] Nous allons reprendre du début. Avez-vous entendu ce que j’ai dit?

Mme Silverberg : En partie seulement.

La sénatrice Bernard : Je vais essayer de me souvenir de ce que j’ai dit. Je voulais vous relancer sur le sentiment de solitude. M’entendez-vous maintenant? Je vais utiliser ma voix de grand-mère.

Une voix : Ou votre voix de professeure.

La sénatrice Bernard : L’une des stratégies que j’ai utilisées pour lutter contre ce sentiment de solitude consiste à travailler avec des alliés. En vous écoutant parler des défis auxquels vous avez été confrontée, en grande partie seule, au SCFP, je me suis souvenue du travail du regretté Rocky Jones, l’un de mes mentors et certainement un allié. Je pense qu’il a peut-être été la première personne à m’initier à la notion d’intersectionnalité et à l’importance d’être intentionnel dans le choix de ses alliances. Je voudrais vous demander : avez-vous des alliés? Sinon, y a-t-il une stratégie qui pourrait vous aider à vous en trouver?

Mme Silverberg : Nous avons effectivement quelques alliés. Nous avons des alliés fantastiques au sein du SCFP qui se sont manifestés, lentement, souvent discrètement. Certains sont prêts à s’exprimer un peu plus. Malheureusement, je pensais avoir des alliés. L’année dernière, il y a eu un changement à la direction locale, et je pensais qu’ils étaient des alliés. Ils étaient de très beaux parleurs avant d’être élus, et maintenant, moi-même et quelques autres membres juifs avons passé l’année dernière à essayer de les convaincre qu’il serait utile pour eux de suivre une formation sur l’antisémitisme. Je pense qu’ils se sont enfin engagés à le faire. Je ne sais pas s’ils l’ont déjà fait. Une fois sensibilisés, les gens sont plus susceptibles de devenir des alliés. Certains se sont récemment manifestés et sont devenus des alliés. Malheureusement, les gens ont encore peur.

La sénatrice Bernard : Peur de s’exprimer?

Mme Silverberg : Oui.

La sénatrice Bernard : Merci.

La sénatrice Coyle : Tant de questions se bousculent dans ma tête.

Je vais poser celle-ci aux deux témoins, et je commencerai peut-être par vous, madame Silverberg. Nous savons que beaucoup de désinformation circule. Il y a des théories du complot, il y a le négationnisme, et tout cela est amplifié par les réseaux sociaux. Pensez-vous que cela ait une grande influence sur les membres de votre syndicat, le SCFP? Pensez-vous qu’ils n’ont pas une vision globale de la situation et qu’ils sont en fait induits en erreur par la désinformation?

Mme Silverberg : Oui. J’en suis profondément convaincue. Encore une fois, cela commence au sommet, avec des personnes comme Mark Hancock et Fred Hahn, respectivement président national et président du SCFP Ontario. Je ne peux pas parler au nom des autres provinces. Ce sont eux les dirigeants, donc s’ils forcent les gens à avaler le génocide, avec la désinformation, les demi-vérités et les mensonges éhontés, il est très difficile de convaincre ceux qui n’ont pas acquis cette connaissance par eux-mêmes. Donc oui, tout cela entre en jeu, les publications sur les réseaux sociaux, et même les exposés lors de congrès. La désinformation et la propagande qui sont diffusées rendent la bataille très difficile à gagner.

La sénatrice Coyle : Souvent, dans ces situations où il y a une telle polarisation, il y a très peu de place pour la nuance sur toute cette gamme d’opinions. N’est-ce pas? Pensez-vous que certaines hésitations que vous percevez chez d’autres personnes — je veux dire, tout le monde devrait pouvoir s’opposer à l’antisémitisme au Canada. Pensez-vous que certaines personnes hésitent parce qu’elles craignent d’être perçues comme des partisans de l’État israélien et donc de ne pas soutenir les civils qui ont été tués ou blessés ou qui ne reçoivent pas l’aide dont ils ont besoin? Pensez-vous que ce manque de nuance et la polarisation empêchent les gens de se réunir autour d’une table et de dire : « nous avons peut-être des points de vue différents, mais l’antisémitisme, c’est ça »?

Mme Silverberg : Je pense que c’est en grande partie le cas. Je pense également que les gens ont en quelque sorte l’impression que s’ils nous soutiennent, alors ils sont...

La sénatrice Coyle : C’est ce que je veux dire.

Mme Silverberg : ... qu’ils ne soutiennent pas un autre groupe. J’ai dit à mes dirigeants locaux que je souhaitais qu’ils s’informent sur toutes les formes de racisme. Je ne peux leur fournir que des ressources sur l’antisémitisme. C’est mon domaine, mais je ne serais pas contrariée du tout qu’ils s’informent sur d’autres enjeux et d’autres groupes de personnes qui ont des préoccupations. Je parle en mon nom. Cela ne me pose aucun problème que des gens souhaitent s’informer sur toutes sortes de choses. Ce n’est pas parce que vous vous informez sur l’antisémitisme que vous ne pouvez pas vous informer sur autre chose, mais je pense que c’est souvent le cas.

La sénatrice Coyle : Oui. Il semble y avoir un problème entre « oui, et » et « oui, mais ». Cela devrait être « oui, et». Oui, c’est mauvais, et cela aussi est mauvais.

Mme Silverberg : Exactement.

La sénatrice Coyle : Je pense que « oui, mais » est un problème.

Mme Silverberg : On considère que c’est l’un ou l’autre.

La sénatrice Coyle : Merci.

M. Daniel : J’aimerais ajouter quelque chose, si possible.

La sénatrice Coyle : Merci. Je voulais vous poser la question à vous aussi.

M. Daniel : Je vois peut-être les choses sous un angle différent. Je remarque que l’Holocauste est devenu un sujet politisé et controversé, ce que je n’aurais jamais imaginé. On tente de dissocier l’antisémitisme, qui est la cause principale de l’Holocauste, de l’Holocauste lui-même. On peut donc parler de l’Holocauste, mais pas d’antisémitisme, ce qui ne fonctionne pas vraiment.

J’ai également remarqué qu’au cours des deux dernières années, en raison de ce qui se passe en Israël et à Gaza, l’Holocauste a en quelque sorte été affecté, car lorsque l’on parle d’antisémitisme, les gens disent : « Attendez, ce n’est pas vraiment de l’antisémitisme. L’anti-israélisme et l’antisionisme n’en font pas partie. » « Oh, vous allez enseigner l’Holocauste? Eh bien, vous devriez peut-être parler de l’antisémitisme. » Cela ne fonctionne pas.

Je pense qu’il faut être vigilant à ce sujet, car lorsque nous pensons au système d’éducation, lorsque nous essayons d’apporter du matériel sur l’Holocauste, les gens ne l’acceptent pas automatiquement. Ils veulent voir exactement ce que nous allons enseigner, ce que nous allons couvrir — ce qui n’arrivait jamais dans le passé.

La sénatrice Coyle : Merci. Monsieur Daniel, en ce qui concerne la désinformation sur l’Holocauste, le négationnisme, etc., les tropes juifs, ce genre de choses, nous savons que, dans certains cas, une ingérence étrangère contribue aussi à promouvoir ce type de désinformation afin de déstabiliser notre collectivité et de monter un groupe contre un autre, ce qui est néfaste pour notre société. Remarquez-vous chez vos collègues enseignants ou chez vos élèves des influences provenant de ce type de sources?

M. Daniel : Encore une fois, c’est une excellente question. En raison de mon engagement et de mes recherches, je prépare également de nombreux modules et je suis en fait surpris de constater le niveau de professionnalisme du matériel utilisé dans cette propagande anti-Israël et antisémite. Je soupçonne que des intérêts étrangers sont en jeu. Il est tout simplement trop coûteux de créer ce type de programmes et d’acquérir cette capacité professionnelle de toucher autant de personnes. Je dirais donc qu’il y a un enjeu plus important ici. Il est difficile de savoir exactement à quoi cela mène, mais cela a vraiment un impact sur la société canadienne. Je pense que nous sommes tous surpris par ce qui se passe dans notre pays, le Canada, et par la façon dont certaines manifestations se déroulent, ainsi que par le langage, la violence et les menaces qui y sont utilisés. Je dirais donc que vous avez raison : le problème dépasse les seules instances provinciales ou scolaires.

La présidente : Puisqu’il n’y a pas d’autres questions, nous en sommes à la fin de la discussion avec ce groupe. Je tiens simplement à remercier nos témoins d’être venus. Merci d’avoir pris le temps. Monsieur Daniel, vous avez laissé entendre tout à l’heure que quelqu’un voulait vous parler, alors merci de nous avoir consacré votre temps. Merci, madame Silverberg, d’être venue et de nous avoir fait profiter de votre expérience.

Mme Silverberg : Merci de vous intéresser à ce sujet.

M. Daniel : Merci beaucoup de nous accorder votre temps.

La présidente : Nous poursuivons avec notre quatrième groupe. Nos témoins ont été invités à faire une déclaration liminaire de cinq minutes chacun. Nous allons les écouter, puis nous passerons aux questions des sénateurs.

Nous accueillons, par vidéoconférence, Ginaya Peters, enseignante, Enseignantes et enseignants de la Colombie-Britannique contre l’antisémitisme. Nous accueillons également, par vidéoconférence, Justin Hebert. En personne et en direct, veuillez accueillir Pe’er Krut, présidente, Syndicat canadien des étudiants juifs.

Nous allons maintenant inviter Mme Peters à faire une déclaration. Elle sera suivie de M. Hebert et de Mme Krut.

Ginaya Peters, enseignante, Enseignantes et enseignants de la Colombie-Britannique contre l’antisémitisme : Je remercie sincèrement le Comité sénatorial permanent des droits de la personne de me donner l’occasion de vous parler de la montée de la haine à laquelle sont confrontés les Juifs dans le système d’éducation de la Colombie-Britannique.

Je suis fière d’être enseignante et de travailler dans le réseau public d’éducation de la Colombie-Britannique. Je suis membre du groupe Enseignantes et enseignants de la Colombie-Britannique contre l’antisémitisme, un groupe local, ponctuel et animé par des bénévoles. Malheureusement, le besoin de notre présence et de notre travail s’est considérablement accru au cours des deux dernières années.

Le nombre d’enseignants qui luttent activement contre la haine envers les Juifs a également considérablement augmenté. La liste des tâches qui occupent notre groupe de bénévoles est très longue. Nous luttons activement contre les propos haineux, la désinformation et les pratiques discriminatoires au sein des syndicats et dans nos salles de classe. Nous soutenons les enseignants, les parents et les élèves et les aidons à faire face aux incidents antisémites par des actions de sensibilisation et de soutien appropriées.

Immédiatement après le 7 octobre, les signalements d’incidents antisémites dans les salles de classe ont augmenté de manière alarmante. Les deux années qui ont suivi ont été traumatisantes pour les enseignants, les élèves et les familles. Je m’inclus personnellement dans ce groupe. Permettez-moi de vous donner quelques exemples. La liste n’est aucunement exhaustive.

Un enseignant a demandé aux élèves juifs de s’identifier, et deux d’entre eux ont dû expliquer à la classe pourquoi Israël attaquait la Palestine. Des élèves du primaire ont dû réaliser un projet artistique sur le thème « De la rivière à la mer, la Palestine sera libre ». Lorsque l’administration de l’école a fait retirer ce projet, l’enseignant a fait défiler les élèves dans l’école et dans les salles de classe, en scandant le slogan et en effrayant les élèves. Dans un cours de sciences, un enseignant a qualifié les Juifs de meurtriers génocidaires. Un enseignant du primaire a tenu des propos désobligeants sur Israël et les Juifs, et lorsqu’un élève juif a protesté, il a été contraint de quitter la classe.

Tout cela est arrivé et continue d’arriver à des enfants dans un lieu censé être sûr pour eux, un lieu où les parents sont convaincus que leurs enfants seront protégés. Au lieu de cela, nous avons vu des enseignants blâmer et harceler des enfants juifs pour un conflit lointain.

Mes collègues et moi-même sommes véritablement épuisés, et notre travail bénévole est incessant et sans fin. Croyez-moi lorsque je dis que c’est un deuxième emploi à temps plein. Nous accomplissons ce travail sans bénéficier du moindre soutien de la part de ceux qui auraient dû nous épauler, à savoir nos frères et sœurs syndiqués. Au contraire, certains membres du syndicat ont utilisé les listes de diffusion du syndicat pour inviter les enseignants à des rassemblements anti-Israël.

Lorsque des enseignants se sont plaints d’incidents antisémites dans la sphère syndicale, leurs préoccupations ont été ignorées. Les discours antisémites sont devenus courants et normalisés dans la sphère syndicale. Nous ne sommes pas écoutés par ceux-là mêmes qui parlent de justice sociale et qui prétendent lutter contre la haine sous toutes ses formes. Je pourrais passer beaucoup plus de temps à détailler des incidents horribles. Ils sont nombreux et incompatibles avec une société civile qui prétend promouvoir la tolérance et l’inclusion.

Alors que l’antisémitisme dans notre syndicat est toujours aussi présent, nos employeurs commencent à prendre ce problème au sérieux. Nous avons constaté une diminution des incidents impliquant des enseignants dans les salles de classe. Nous observons, de manière générale, des réactions immédiates et appropriées de la part des responsables.

J’ai tiré trois leçons des deux dernières années qui peuvent être appliquées à la lutte contre la haine en général. Premièrement, il faut un leadership au sommet. Peu importe l’organisation ou l’ordre de gouvernement, les dirigeants doivent être sans équivoque et faire preuve de clarté morale, sinon la haine prospérera. Nous commençons enfin à observer cela dans les districts scolaires de la Colombie-Britannique. Nous ne constatons pas le même leadership de la part de notre syndicat, où les incidents se poursuivent. Vous avez peut-être entendu parler de certains enseignants qui ont déposé une plainte contre notre syndicat pour violation des droits de la personne. Je vous invite à vous adresser à l’avocat chargé de cette plainte si vous souhaitez obtenir plus d’information.

Deuxièmement, nous devons miser sur la curiosité et nous appuyer sur l’éducation. Les incidents de haine envers les Juifs ne sont pas tous intentionnels. Certains sont dus à l’ignorance. L’éducation doit s’adresser à tout le monde, pas seulement à ceux qui font preuve de haine. Nous devons aider les personnes touchées par la haine en les aidant à devenir leurs meilleurs défenseurs. Par exemple, nous avons mis au point une trousse à l’intention des parents juifs pour les aider à comprendre comment réagir face à de tels incidents, et nous organisons des séances pour répondre à leurs questions. Nous les soutenons en leur prodiguant des conseils et en défendant leurs intérêts. Nous les avons aidés à se prendre en main et à trouver leur voix.

La troisième et dernière leçon est peut-être la plus importante. Nous ne pouvons pas toujours choisir ceux qui nous dirigent, et il y a actuellement au Canada de nombreux dirigeants dont la boussole morale semble démagnétisée. Nous ne pouvons pas toujours nous attendre à ce que les auteurs d’actes haineux aient envie d’apprendre. Nous ne pouvons pas toujours nous attendre à ce que les personnes touchées par la haine aient la force émotionnelle de riposter. Nous avons besoin que les Canadiens soient Canadiens. Nous avons besoin que ceux qui partagent les valeurs canadiennes de paix, de tolérance et de bonne gouvernance se lèvent. Nous avons besoin d’alliés pour parler avec nous et dénoncer une haine ancienne, la plus ancienne qui soit, qui peut détruire et a détruit des sociétés entières.

Je vous remercie de votre invitation, de votre écoute et de votre excellent travail. Je vous demande d’en faire un peu plus : agissez, soutenez-nous et soutenez la société civile qui nous est chère. Pour notre part, nous continuerons à élever nos voix contre l’antisémitisme au sein de notre syndicat et de nos écoles. Nous le faisons parce que c’est ce qui s’impose. Je vous invite et j’invite tous les Canadiens à se joindre à nous dans cette noble cause. Merci beaucoup de votre attention.

La présidente : Merci, madame Peters.

Justin Hebert, à titre personnel : Honorables sénateurs, je vous remercie de me donner l’occasion de comparaître devant vous ce soir. Je m’appelle Justin Hebert. Je m’adresse à vous en tant que simple citoyen et ancien président de l’Association des étudiants juifs en droit de la Faculté de droit de l’Université de Windsor.

Tout d’abord, j’aimerais vous raconter un moment de mon passage à la Faculté de droit de Windsor qui m’est encore très cher. À l’occasion du 79e anniversaire de la libération d’Auschwitz, j’avais été invité à m’exprimer sur la station de radio du campus au sujet de l’importance de l’enseignement de l’Holocauste au Canada. Cette discussion visait à mettre en lumière le traumatisme générationnel dont souffrent encore les Juifs et les défis liés à la promotion de l’enseignement de l’Holocauste auprès des jeunes d’aujourd’hui. Pourtant, bien qu’il n’ait été fait aucune mention du conflit, l’entrevue a néanmoins été retirée de l’antenne parce que des étudiants et des bénévoles anti-Israël ont jugé que les discussions sur l’Holocauste, sans mention de Gaza, étaient trop offensantes.

Si des incidents comme celui-ci continuent de me hanter, c’est pour deux raisons : parce que les étudiants juifs continuent de ressentir un traumatisme persistant et non résolu depuis le 7 octobre, et deuxièmement, parce que les plaintes pour antisémitisme sur le campus restent souvent sans suite, laissant les personnes concernées sans la moindre forme de résolution. Il y a eu d’innombrables incidents de ce type, mais celui-ci se distingue particulièrement, car il illustre parfaitement, selon moi, la frustration et l’humiliation que les étudiants juifs sont contraints d’intérioriser depuis des années.

Avant de poursuivre, je tiens à préciser que, pendant la majeure partie de ma vie, Israël n’était pas au cœur de mon identité juive. Même lorsque j’étais étudiant à Concordia, où il était courant que les étudiants louent le Hamas bien avant que cela ne devienne populaire ailleurs, j’entendais ces discours et je me disais que ces personnes ne parlaient certainement pas de moi.

Puis le 7 octobre est arrivé, jour où 1 200 Israéliens ont été brutalisés et assassinés de sang-froid, dont 8 citoyens canadiens. Alors que j’étais assis dans mon appartement, abasourdi par l’horreur qui se déroulait en temps réel, plusieurs de mes camarades et même mes professeurs publiaient des messages pour célébrer cet événement. À ce moment-là, j’ai pris douloureusement conscience d’une chose : lorsqu’ils crient « Mort aux sionistes », ils parlent en fait de moi. Les jeunes massacrés au festival Nova n’étaient pas différents de moi. Leur seul crime était d’être Juifs au mauvais endroit au mauvais moment. Depuis ce jour, mon combat a un seul et même objectif, celui de rejeter l’idée qu’il puisse y avoir un mauvais endroit ou un mauvais moment pour être Juif dans ce monde, que ce soit en Israël ou sur un campus canadien.

Après le 7 octobre, les universités n’étaient tout simplement pas préparées à ce qui allait arriver. Les étudiants juifs ont soudainement été pris pour cible, que ce soit dans les couloirs ou dans les salles de classe, et qualifiés de colonisateurs et de partisans du génocide. Les signalements de violences sexuelles contre des femmes israéliennes ont été ouvertement ridiculisés ou minimisés. Lorsque ces enjeux étaient soulevés, la réponse de facto était souvent que les universités existent pour favoriser les « conversations difficiles ». Par contre, je pose la question suivante : comment puis-je avoir une conversation constructive avec un étudiant qui m’a dit que le meurtre d’Israéliens est toujours justifié alors que des étudiants israéliens sont inscrits dans l’établissement, ou que le viol est une forme légitime de résistance, ou encore que les bébés peuvent être pris en otage si leurs parents sont des colonisateurs?

Je crois que ce qui fait du peuple juif un peuple et pas seulement une religion, c’est notre lien commun avec la terre d’Israël, et c’est ce que signifie le sionisme : la croyance en notre droit à la sécurité et à l’autodétermination dans notre patrie ancestrale afin que nous ne subissions plus jamais un destin comme celui de l’Holocauste. Le nier, c’est nier une partie fondamentale de ce que nous sommes en tant que communauté.

Ce dont nous sommes témoins sur les campus est en fait une tentative d’effacement de la culture, de la tradition et de l’histoire juives. Il ne s’agit pas seulement d’un désaccord politique. Il s’agit d’une attaque contre la communauté juive par un mouvement mondial motivé par une intention clairement anti-juive, et les universités lui ont ouvert leurs portes. Par conséquent, elles sont désormais confrontées à la tâche considérable de redéfinir les limites d’un discours acceptable sur les campus.

Il convient de noter que le seuil légal de la liberté d’expression n’est pas le même que la norme éthique de la liberté de parole dans un milieu universitaire, car je suis certain que vous conviendrez tous qu’il y a des choses que l’on peut légalement dire dans la rue qui seraient inacceptables dans une salle de classe. Si les universités ont la possibilité d’appliquer leurs propres codes de conduite, c’est précisément pour qu’elles puissent conserver le droit de faire cette distinction. Or, trop d’établissements prétendent être des arbitres neutres afin d’éviter de prendre parti sur les questions politiques. Ce faisant, ils ne réagissent pas lorsque des actes de haine ou de discrimination se produisent, ce qui n’est pas de la neutralité, mais de la négligence. La clémence qui en résulte ne renforce pas les principes de liberté ou d’intégrité pédagogiques; elle récompense la créativité d’individus haineux qui savent habilement naviguer entre les nuances modernes de l’antisémitisme.

Un exemple pourrait être de demander à un Juif de renoncer au sionisme afin d’appartenir à une communauté ou de se sentir en sécurité. Ce n’est pas un discours, mais bien de la discrimination. Exprimer son soutien ou justifier l’enlèvement, le massacre, la torture et les agressions sexuelles de civils israéliens juifs sur les campus ne peut être toléré, non seulement parce que c’est intrinsèquement antisémite, mais parce qu’il serait inadmissible que ce type de discours soit normalisé s’il visait pratiquement n’importe quel autre groupe. Permettre ce type de traitement disparate relève, encore une fois, de la discrimination.

Comme mes collègues l’ont souligné, il va de soi que la seule voie viable passe par l’éducation, non seulement sur qui sont les Juifs, mais aussi sur notre histoire et sur la manière de concilier nos différences sans déshumanisation. Cela commence par la représentation, en veillant à ce que les étudiants juifs aient leur place à la table où sont prises les décisions qui nous concernent. Cela signifie également que les professeurs doivent être tenus responsables lorsqu’ils utilisent leur tribune pour répandre la haine. Cela implique de reconnaître que la promotion de la violence ou du terrorisme n’est pas un discours protégé, mais bien une incitation à la violence. Cela implique également de traiter les incidents antisémites comme des violations des droits de la personne, et non comme des crises de relations publiques. Au lieu de se contenter de paroles creuses, nos écoles devraient peut-être être tenues de rendre compte de manière transparente de la protection qu’elle accorde aux étudiants juifs. En dehors des murs de nos écoles, cela implique d’inciter les parents canadiens à demander à leurs enfants comment ils traitent les étudiants juifs.

Je me suis souvent demandé pourquoi les étudiants juifs qui parlent de leurs expériences sont accueillis avec tant de scepticisme ou d’hésitation par les écoles, et je pense que la triste vérité est que nous croire signifierait reconnaître à quel point elles ont laissé la situation devenir dangereuse et insoutenable. Je ne peux qu’imaginer à quel point notre situation serait meilleure aujourd’hui si, à un moment donné, les administrateurs des universités avaient eu le courage de dire publiquement ce qui m’a été dit à huis clos.

Pour conclure, je tiens à préciser que ni moi ni aucun autre étudiant juif n’avons demandé un tel traitement, et que je n’ai jamais eu l’intention de présenter mon université ou mes camarades sous un jour négatif. C’est mon alma mater, et pendant des années, elle a été mon foyer, tout comme c’est actuellement le cas pour des dizaines d’étudiants juifs. Lorsque les gens me demandent où j’ai fait mes études, je souhaite pouvoir dire avec fierté que j’ai étudié à la faculté de droit de Windsor, et j’espère sincèrement avoir un jour l’occasion de le faire, mais nous devons d’abord avoir le courage d’appeler la haine par son nom, de protéger les étudiants juifs sans condition ni excuse, et surtout, de rétablir la clarté morale sur nos campus.

Merci de votre attention.

La présidente : Merci, monsieur Hebert.

Pe’er Krut, présidente, Syndicat canadien des étudiants juifs : J’ai toujours été très fière de mon nom : Pe’er. Il est unique, il suscite la curiosité et il affiche ouvertement mon identité juive, mais ces dernières années, même le simple fait de prononcer mon nom me pèse. Avant de le faire, pour être franche, je m’arrête et je me demande : « Cela va-t-il me mettre en danger? Cela va-t-il changer la façon dont on me perçoit? » Le Canada était autrefois un endroit où les noms de mes amis, tous issus de milieux différents, étaient le moyen par lequel nous tissions des liens et apprenions à connaître nos familles, nos cultures et nos histoires respectives. Aujourd’hui, trop souvent, mon nom me semble être un test. Je suppose que cette proclamation publique devant vous, sénateurs, pourrait être ma façon de réussir enfin ce test et d’assumer pleinement mon identité et mon histoire, une histoire dont je vous fais part non seulement en mon nom, mais au nom des milliers d’étudiants juifs qui, comme moi, essaient simplement de vivre leur vie de manière authentique et en toute sécurité sur les campus.

Permettez-moi de me présenter comme il se doit. Je m’appelle Pe’er Krut et je suis la présidente du Syndicat canadien des étudiants juifs. Nous sommes l’organe représentatif démocratiquement élu des étudiants juifs de tout le Canada. Nous travaillons à leur donner la possibilité de s’exprimer, à défendre leur sécurité et à leur permettre de participer pleinement à la vie du campus tout en assumant fièrement leur identité juive.

Être juive n’a jamais été l’aspect le plus marquant de ma personnalité. C’était simplement une partie de moi, comme n’importe quelle autre. Cependant, aujourd’hui, les étudiants juifs sont confrontés à un choix : dois-je m’identifier ouvertement comme juif et risquer les réactions négatives qui en découlent, ou rester silencieux, cacher cette partie de moi-même et regarder les autres célébrer librement leur culture sans crainte? Pour ceux qui s’expriment, cela devient un travail à plein temps. Soudain, vous n’êtes plus simplement une étudiante qui se trouve être juive. Vous êtes l’étudiante juive, censée justifier, défendre et répondre au nom de tout un peuple.

Mesdames et messieurs les sénateurs, vous souvenez-vous pourquoi vous avez choisi votre université? Était-ce pour une bourse, un beau campus ou peut-être simplement le programme qui vous convenait? Pour les étudiants juifs, ces questions ont été remplacées par de nouvelles, et j’aimerais pouvoir dire que c’est pure invention de ma part. En voici quelques exemples : « Où puis-je porter ma kippa sans crainte? Dans quelle résidence ma mezouza ne sera-t-elle pas arrachée de mon cadre de porte? Dans quelle salle de classe puis-je inscrire mon vrai nom sur un travail sans me soucier de la façon dont il sera reçu? »

Pas plus tard que la semaine dernière à Concordia, une professeure a écrit « Tuez-les tous », en référence à ses collègues sionistes. Je vous laisse imaginer ce que cela signifie réellement. Si la guerre entre Israël et le Hamas touche peut-être à sa fin, elle a révélé des fractures douloureuses dans notre société, des blessures qui n’ont même pas commencé à cicatriser et dont nous savons tous qu’elles laisseront des cicatrices profondes.

Après avoir évoqué notre douleur commune, je voudrais aborder un sujet plus constructif, car il est profondément juif de croire en la guérison, en la réparation, en ce que nous appelons tikkun olam, la réparation du monde. Le monde est sans doute une bouchée trop grosse pour moi, alors je vais peut-être commencer par le campus pour l’instant.

Tout d’abord, les universités sont censées être des lieux où le dialogue est valorisé, où les étudiants peuvent remettre en question les idées des autres et apprendre à travers leurs désaccords. C’est pourquoi je recommande vivement à toutes les universités de mettre en œuvre des systèmes de notation anonymes. Ainsi, les étudiants pourraient s’exprimer librement en classe, sachant qu’ils ne seront pas pénalisés pour leurs opinions lorsqu’ils rendront leurs travaux. J’étudie à la faculté de droit de l’université de Toronto, où la notation anonyme est déjà en place, et je pense que cela a fait une énorme différence dans la promotion d’un dialogue ouvert. Le Syndicat canadien des étudiants juifs et la Canadian Jewish Law Students Association lancent une étude pour déterminer quels programmes et campus ont déjà mis en œuvre ce système et comment les étudiants le perçoivent. Je serais ravie de vous communiquer ces résultats le moment venu.

Deuxièmement, les universités ne peuvent continuer à prétendre défendre l’équité, la diversité et l’inclusion tout en refusant d’inclure les Juifs dans cet engagement. Il est regrettable que tant d’établissements célèbrent publiquement ces valeurs sans pour autant rendre leurs campus véritablement accessibles aux étudiants juifs. Cela impliquerait de garantir la disponibilité d’options alimentaires casher. Cela impliquerait de respecter les fêtes religieuses lors de la programmation des examens. Si les universités souhaitent parler d’inclusion, elles doivent la mettre en pratique, non seulement pour certaines communautés, mais pour toutes.

Enfin, les universités sont déjà dotées de codes de conduite qui interdisent le harcèlement, la haine et l’intimidation. Le problème n’est pas que les règles n’existent pas, mais qu’elles n’existent pas lorsque la victime est juive. Il ne s’agit pas d’être pro-israélien ou pro-palestinien. Il s’agit de décence élémentaire et de protéger le droit de chaque étudiant à apprendre sans crainte. Ces derniers temps, lorsque je parle de sujets juifs en public, je me surprends à baisser la voix, mais je ne devrais pas avoir à le faire, et c’est pourquoi, ce soir, vous me voyez parler haut et fort à nouveau.

Merci de votre attention.

La présidente : Merci, madame Krut.

Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs. Je rappelle à mes collègues de bien vouloir préciser à qui ils adressent leurs questions. Veuillez poser vos questions une par une, même si je comprends la tentation d’en poser plusieurs. Vous disposez de cinq minutes pour poser votre question et obtenir une réponse.

La sénatrice Bernard : Je vous remercie tous d’être ici et de témoigner aujourd’hui. Merci, madame Krut, de vous être exprimée haut et fort. J’essaie de faire de même.

Je voudrais vous interroger sur l’impact de l’antisémitisme sur les étudiants, tant universitaires que collégiaux. Que constatez-vous? Quels sont les impacts psychologiques, sociaux et économiques pour les étudiants?

Mme Krut : Mesdames et messieurs les sénateurs, lorsque nous parlons d’antisémitisme au Canada, il est important de reconnaître qu’il s’agit en fait d’un problème mondial et que le Canada n’en est qu’une partie. Une récente enquête menée par l’Anti-Defamation League et l’Union mondiale des étudiants juifs a révélé que plus des trois quarts des étudiants juifs du monde entier cachent leur identité religieuse et que plus de 80 % cachent leur identité sioniste. Plus inquiétant encore, un étudiant juif sur cinq connaît quelqu’un qui a été agressé physiquement sur le campus. J’ai mené de nombreuses actions de sensibilisation à l’échelle mondiale. Lorsque les gens apprennent que je viens du Canada, ils me disent souvent : « Oh, la situation est vraiment grave là-bas, n’est-ce pas? » Ce n’est pas la réputation que le Canada devrait avoir. Je n’aurais jamais pensé entendre cela un jour. Nous constatons sur les campus que, dans le contexte mondial, l’antisémitisme est en hausse, mais ce qui est particulièrement préoccupant, c’est que les étudiants juifs n’auraient jamais pensé qu’une telle situation puisse se produire au Canada, un pays réputé pour ses valeurs communes de tolérance, de démocratie et de liberté. La réalité est que les étudiants juifs ne peuvent plus être libres sur les campus; ils mettent en danger leur sécurité et leur vie.

La sénatrice Bernard : Est-ce le cas dans tout le pays? Certains campus font-ils les choses correctement? Si oui, que font-ils?

Mme Krut : Merci pour votre question.

Malheureusement, j’ai du mal à citer une université que je pourrais féliciter pour sa gestion de la situation ces dernières années. Comme je l’ai dit, le problème touche le Canada dans son ensemble. La situation varie d’un campus à l’autre, et même d’un programme à l’autre. Certains programmes sont tout simplement pires que d’autres. Le tableau d’ensemble est profondément troublant, mais cela en dit long lorsque vous demandez aujourd’hui à un étudiant juif où il se sent soutenu. La plupart marqueront une pause, non pas parce qu’ils réfléchissent à un bon exemple, mais parce qu’ils ont du mal à en trouver ne serait-ce qu’un seul.

La sénatrice Bernard : En toute transparence, je suis une universitaire à la retraite. J’aime le milieu universitaire, et l’une des choses que j’ai toujours aimées dans ce milieu, c’est qu’il s’agit d’un espace où l’on peut dialoguer et où les différences sont un élément avec lequel on compose, plutôt qu’un élément qui rend les gens mal à l’aise. J’ai donc un peu de difficulté à formuler la question que je souhaite poser.

Votre organisation collabore-t-elle avec d’autres groupes d’étudiants pour remédier à ce manque de dialogue? C’est ce que je constate et ce que j’entends : le dialogue n’existe plus.

Mme Krut : Oui, bien sûr. Je peux en parler personnellement. Je suis juive, mais j’ai fréquenté une école secondaire catholique. Là-bas, j’étais en désaccord avec certaines personnes, mais nous parvenions toujours à en parler, et le dialogue nous rendait meilleurs. Quand je suis arrivée à l’université et le 7 octobre est arrivé, j’ai vécu exactement le contraire. Ce qui aurait dû être un lieu de dialogue est devenu un lieu de peur. Je suis la première à dire que la liberté de parole est extrêmement importante sur les campus universitaires, mais elle doit être respectueuse. Elle doit être un dialogue.

Malheureusement, en raison des appels à l’élimination du peuple juif de sa patrie ancestrale, demandant aux Juifs de retourner en Pologne, par exemple, nous assistons à des expressions non pas de libre pensée, mais de haine. Ce n’est pas un débat. C’est de la déshumanisation. Nous essayons de favoriser le dialogue en demandant aux universités d’éliminer les mauvais acteurs qui ne cherchent qu’à semer le chaos sur les campus, ce qui empêche en fait tout véritable dialogue.

Le sénateur Arnot : J’ai une question à poser à chaque témoin. Je ne sais pas comment je vais pouvoir le faire dans le temps imparti.

Madame Peters, merci de travailler avec les enseignants sur l’antisémitisme dans le contexte de la Colombie-Britannique, dans le système scolaire primaire et secondaire. Pourriez-vous me détailler un plan de cours que vous considérez comme la référence en matière d’enseignement de l’antisémitisme et qui ne politise pas l’actualité?

Mme Peters : Merci beaucoup pour cette question. Elle est vraiment difficile, car, indépendamment de ce que nous enseignons ou n’enseignons pas, on a tendance à la politiser à notre place, en notre nom, en fait.

Cependant, j’aimerais parler du pouvoir des voix, du fait d’avoir une voix, qu’il s’agisse de survivants de l’Holocauste, de Juifs ou d’Israéliens occupant des carrières ou des rôles précis, du pouvoir de faire entendre ces voix dans les salles de classe et de les normaliser. À l’heure actuelle, je trouve que tout est très binaire. Vous êtes oppresseur ou opprimé. Vous êtes quelque chose ou vous n’êtes rien. Il faut faire entendre les voix ordinaires des Juifs et des Israéliens qui travaillent, vivent, aiment et existent, et faire en sorte que, dans certains cas, il ne soit pas question d’Israël ni même de l’Holocauste, car cela aussi est catalogué. Toute discussion sur l’histoire juive, l’indigénéité juive, l’expérience juive peut finir par porter sur l’Holocauste. Le simple fait d’avoir ce large éventail de voix, de mentors et de conférenciers invités pour parler de leurs expériences vécues serait un bon point de départ.

Le sénateur Arnot : Quels indicateurs utiliseriez-vous dans votre école pour mesurer l’amélioration du climat en matière d’antisémitisme?

Mme Peters : C’est une autre excellente question.

Aujourd’hui, il a été question d’être proactif et réactif. Tout d’abord, une école devrait être riche en conversations, en discussions et en événements autour de la vie juive. Que cela nous plaise ou non, nous vivons selon le calendrier chrétien. Nos fêtes et nos festivals culturels passent facilement inaperçus. Je constate que certaines écoles prennent soin de ne pas planifier de grands événements pendant, par exemple, Rosh Hashanah, le Nouvel An juif, ou Yom Kippour, notre jour le plus sacré. Certaines écoles organisent des expositions pour le Mois du patrimoine juif canadien ou la Journée internationale dédiée à la mémoire des victimes de l’Holocauste. Ce sont là des indicateurs. Du côté réactif, il y a le silence bienheureux : les élèves ne viennent pas se plaindre de quelque chose qui leur est arrivé, que ce soit de la part d’un élève ou d’un enseignant, ou les parents ne se plaignent pas, ou mieux encore, ils nous font savoir à quel point leurs enfants et leur famille se sentent en sécurité à l’école.

Le sénateur Arnot : Merci.

Monsieur Hebert, si vous disposiez de trois postes budgétaires pour lutter contre l’antisémitisme sur les campus, que financeriez-vous en premier lieu, et à quoi ressemblerait pour vous une réussite dans 12 mois ou 2 ans?

M. Hebert : Merci pour cette question. C’est une commande extrêmement difficile à remplir à brûle-pourpoint.

Je ne suis d’aucune façon une autorité en matière de programmes ou d’approches pour lutter ainsi contre l’antisémitisme, mais dans mon approche de la défense des droits, j’ai toujours pensé qu’il fallait avant tout corriger les perceptions négatives à l’égard des Juifs. Cela peut se faire en améliorant la représentation sur les campus, car l’un des plus grands problèmes auxquels nous avons été confrontés à l’université de Windsor est qu’au bout du compte, nous n’étions qu’une vingtaine d’étudiants luttant contre un flot incessant d’ignorance, de sectarisme et, surtout, contre des étudiants qui, malgré leurs opinions bien arrêtées sur les étudiants juifs, n’avaient jamais rencontré de Juif de leur vie.

Si nous devons établir des postes budgétaires, au lieu de toujours chercher à punir les universités, à leur retirer leur financement ou à trouver des moyens de les amener à se repentir, l’une des meilleures façons d’y parvenir est d’inciter les étudiants juifs à fréquenter les universités qui, autrement, manqueraient de cette représentation. Une excellente façon d’y parvenir par des postes budgétaires consiste à offrir des bourses aux étudiants juifs dans les universités qui ont des problèmes de représentation des étudiants juifs sur leur campus. C’est une mesure importante dont j’ai longuement discuté avec d’autres personnes qui partagent mon point de vue. Elle s’inscrit dans la tendance générale de cette soirée, à savoir que la seule voie à suivre est celle de l’éducation. Je ne sais pas si c’est une solution qui produirait forcément un revirement en 12 mois.

D’autres moyens nous permettraient d’adopter une approche un peu plus immédiate et pratique. J’ai notamment évoqué la nécessité de trouver des moyens d’alléger le fardeau des étudiants juifs, car, dans l’état actuel des choses, personne ne prend d’initiatives pour garantir leur sécurité. Nous attendons qu’un incident se produise, puis nous réagissons, mais cette réaction est tout à fait insuffisante, les étudiants juifs ne se sentent pas en sécurité, et une autre réaction s’ensuit. D’une manière ou d’une autre, il faut qu’il y ait quelqu’un, non seulement à l’extérieur, mais aussi à l’intérieur des universités, dont le rôle consiste essentiellement à veiller à ce que les besoins des étudiants juifs soient pris en compte partout où des décisions sont prises et chaque fois que des questions touchent les étudiants juifs. Il faut quelqu’un qui veille essentiellement à ce que tout ce fardeau ne repose pas sur les épaules des étudiants juifs.

Le sénateur Arnot : Merci beaucoup. C’était une bonne réponse. J’aurai une question pour Mme Krut au deuxième tour.

La sénatrice Coyle : Merci à nos trois témoins.

Nous rassemblons davantage de pièces de ce puzzle. C’est un puzzle troublant, et tout le monde a clairement indiqué que l’antisémitisme a atteint des niveaux absolument intolérables pour les étudiants de tous âges, ainsi que dans notre société en général, et que les événements du 7 octobre et ce qui a suivi, à savoir les attaques en Palestine, y compris contre des civils, ont exacerbé cette situation.

Mme Peters nous parle du manque et du besoin de clarté morale dans la société canadienne, surtout dans les écoles; M. Hebert évoque la déshumanisation du peuple juif et la nécessité d’appeler la haine par son nom; et vous, madame Krut, vous expliquez que les étudiants souhaitent simplement vivre leur vie tels qu’ils sont, en toute authenticité et en toute sécurité. Cela ne devrait pas être un critère difficile à satisfaire, et cette décence élémentaire doit être présente.

Ma collègue, la sénatrice Bernard, a mentionné cette question du dialogue, et je n’arrive pas à me rappeler, malgré tous mes efforts, s’il s’agissait d’une lettre rédigée conjointement par des étudiants en droit juifs et islamiques de l’Université d’Ottawa que nous avons reçue tout au début. J’ai été très impressionné par le courage de ces étudiants et par la clarté morale de ce groupe d’étudiants qui se sont manifestés pour dénoncer ce qui s’est passé le 7 octobre et pour affirmer clairement qu’ils n’approuvaient pas non plus le meurtre de civils en Palestine. Il ne s’agissait pas d’une situation du type « oui, mais »; il s’agissait plutôt de « oui, c’est mal, et ceci est mal ».

Nous devons instaurer un dialogue et une conversation et trouver des lieux où les gens peuvent se retrouver, car la situation est très polarisée et dangereuse — dangereuse pour les individus, d’après ce que nous entendons, mais vraiment dangereuse pour la société canadienne. J’aimerais entendre parler non seulement de ce que font les enseignants juifs, ce qui est très bien, et de ce que font les étudiants juifs, ce qui est nécessaire, mais aussi des tentatives de rapprochement avec d’autres alliés pour essayer de rebâtir des relations et de reconstruire nos établissements en tant que lieux sûrs, ce qui, en fin de compte, contribue à bâtir un Canada plus sûr.

Mme Krut : Je suis la première à défendre le dialogue interconfessionnel, et il est important pour moi d’entrer en contact avec des personnes qui vivent en dehors de ma bulle. Se tourner uniquement vers sa propre communauté a ses limites, et nous devons entrer en contact avec ceux qui sont à l’extérieur pour trouver de vraies solutions à ces problèmes.

Le problème, je dois avouer, c’est que le campus est tellement polarisé parce que des acteurs malveillants importants ne laissent aucune place au dialogue. Lorsque des slogans sont scandés pour déshumaniser les Juifs, nous enjoignant de quitter le campus, lorsque les étudiants juifs ne se sentent même pas en sécurité pour venir en cours, comment allez-vous les motiver à s’asseoir à la table pour avoir ces conversations importantes? C’est pourquoi il est si important que les universités supervisent leur code de conduite. C’est la première pièce du puzzle pour garantir que nous puissions nous asseoir à la table, car c’est d’une importance cruciale. C’est le Canada que je connais et que j’aime, celui dans lequel j’ai grandi.

La sénatrice Coyle : Quelqu’un d’autre souhaite-t-il s’exprimer à ce sujet?

M. Hebert : À ce propos, j’ai souvent dit que les universités ne devraient pas être obligées d’essayer de trouver un équilibre entre la nécessité d’assurer la sécurité et la dignité de leurs étudiants et la préservation de la liberté de parole et d’enseignement.

Depuis le début de ce conflit, j’ai été l’un des premiers à dire qu’il est possible que des travaux universitaires légitimes soutiennent les deux côtés du débat. L’un des plus grands défis auxquels nous sommes confrontés est que les voix qui prévalent sur les campus ne sont pas celles qui cherchent à approfondir les connaissances et la compréhension ou à promouvoir l’unité et le respect mutuel, mais plutôt celles qui cherchent à diviser notre campus et à déshumaniser les Juifs et les Israéliens.

L’objectif à long terme de chaque campus devrait être de créer des milieux sains et propices au dialogue interconfessionnel et interpolitique, mais il a été souligné à quelques reprises ce soir que nous ne pouvons espérer y parvenir si nous ne pouvons pas au moins garantir la sécurité de ces espaces pour les étudiants juifs.

Au moins sur mon campus, et dans la plupart des campus que je connais, les étudiants juifs sont en minorité. Ils sont surpassés en nombre par ceux qui nous haïssent, et nous avons besoin de protections équitables qui affrontent cette réalité de front. Le dialogue est important, et lorsque nous tendons un rameau d’olivier, cela montre à tous ceux qui se trouvent entre les deux que nous ne sommes pas ceux qui créent les problèmes, mais ceux qui cherchent une solution. Cependant, avant d’en arriver là, il faut qu’il y ait un niveau minimum de respect mutuel sur le campus.

La sénatrice Coyle : Merci.

Mme Peters : Je voudrais ajouter une chose à ce sujet. Lorsque nous parlons, dans l’enseignement primaire et secondaire, d’élèves autonomes et émotionnellement préparés, nous demandons si les élèves sont calmes, attentifs et prêts à apprendre. C’est la question que nous posons à chaque élève lorsque nous les évaluons et les observons. Je peux affirmer qu’à l’heure actuelle, les élèves juifs de la maternelle à la fin du secondaire ne sont pas calmes, attentifs et prêts à apprendre, car ils sont trop préoccupés par leur sécurité physique et psychologique. Je dirais également que, même si nous n’appliquons pas ce critère aux enseignants, de nombreux enseignants juifs ressentent la même chose.

Enfin, en ce qui concerne votre question initiale sur l’alliance et la construction de ponts, nous ne sommes pas des enseignants juifs contre l’antisémitisme, mais des enseignants de Colombie-Britannique. Nous avons un certain nombre d’alliés de toutes confessions, ethnies, origines socioéconomiques et géographiques. C’est impressionnant et réconfortant à voir. Nous continuons à favoriser les liens avec d’autres groupes d’enseignants qui partagent ces valeurs et ces objectifs, et à travailler sur ces questions pour le bien de tous les élèves du primaire et du secondaire.

La présidente : Nous allons passer à la deuxième série de questions, mais au préalable, je souhaite la bienvenue au sénateur Cardozo, qui s’est joint à nous.

J’ai une question que j’essaie de formuler depuis un certain temps. Elle concerne la manière dont nous pouvons distinguer et dissocier le gouvernement israélien des personnes juives qui sont prises pour cible. Avez-vous des observations à ce sujet?

Mme Krut : Je ne suis pas une experte du Moyen-Orient. Honnêtement, associer ma présence ici à cette question est précisément le problème que je viens combattre. Les étudiants juifs, du simple fait qu’ils sont Juifs, ne devraient pas être tenus, comme vous l’avez dit, de défendre ou de commenter les politiques d’Israël. J’ai été invitée ici en tant que personne capable de parler de l’antisémitisme au Canada, mais honnêtement, tous les étudiants juifs pourraient probablement vous parler de l’antisémitisme au Canada, car ils y sont confrontés chaque jour. Je pense que confondre la judéité avec ce qui se passe en Israël ne fait qu’aggraver les divisions que nous nous efforçons tant de réparer. Je suis Canadienne. Je suis une Juive canadienne. Oui, Israël est important pour moi. Je suis née là-bas, mais je ne suis pas disposée à parler des politiques d’Israël en tant que gouvernement étranger. En classe, on attendait de moi que j’en parle. C’est tout à fait inacceptable.

La présidente : Merci. Y a-t-il d’autres observations?

M. Hebert : L’un des aspects qui m’a posé problème sur mon propre campus et dans le cadre de mon action militante est de savoir comment définir et identifier correctement l’antisémitisme.

L’un des défis particuliers auxquels nous sommes tous confrontés ici consiste à définir ce nouvel antisémitisme par opposition aux formes que nous connaissons depuis des générations. Ce nouvel antisémitisme ne peut en effet pas être correctement appréhendé par une définition claire et nette. Il s’agit d’un phénomène extrêmement fluide. Il est motivé par de nombreux facteurs différents. Il se manifeste souvent par du harcèlement, du vandalisme et de la violence. Il n’apparaît souvent que lorsque nous abordons le sujet d’Israël. Il implique souvent la perception d’Israël comme le « Juif collectif », pour ainsi dire, où les antisémites, comme vous l’avez dit, associent sans discernement le peuple juif aux pires aspects de l’État d’Israël. Cette forme d’antisémitisme se généralise non seulement sur les campus, mais aussi dans les milieux progressistes ou de gauche, d’autant qu’elle brouille la frontière entre la critique légitime d’Israël et les formes d’intervention s’inspirant de stéréotypes antisémites traditionnels. L’un des plus grands défis auxquels nous sommes confrontés lorsque nous observons ces formes moins extrêmes ou moins évidentes de discours haineux s’inspirant de tropes antisémites traditionnels est qu’ils peuvent être plus dangereux, car les gens sont plus facilement persuadés de croire quelque chose qui n’est pas manifestement absurde ou qui ne relève pas manifestement de la haine.

Il est difficile de déterminer la marche à suivre, mais nous devons d’abord nous assurer que les gens comprennent réellement les implications de leurs interventions. Je pense que c’est précisément l’objectif de définitions telles que celle de l’Alliance internationale sur la mémoire de l’Holocauste, ou AIMH. Sans être contraignante, cette définition fournit des exemples clairs de la manière dont la critique d’Israël peut déboucher sur l’antisémitisme. Je pense que la raison pour laquelle nous constatons une telle résistance sur les campus à l’adoption de cette définition est que ceux qui s’y opposent cherchent en réalité à brouiller les pistes. Je pense que ceux qui s’opposent avec tant de véhémence à l’adoption de cette définition sont ceux qui tirent un avantage particulier du fait que les gens confondent les Juifs, les Israéliens et la politique israélienne.

La présidente : Merci. Je vous remercie pour vos réponses.

Madame Peters, souhaitez-vous ajouter quelque chose?

Mme Peters : Merci. Cela peut sembler simpliste, mais si l’on remplace Israël par n’importe quel autre pays ou gouvernement, je ne peux pas imaginer que l’on me déteste simplement parce que je suis moi-même, parce que le premier ministre Carney et le gouvernement libéral sont actuellement au pouvoir. Je pense qu’une fois que l’on considère les choses sous cet angle, il est vraiment difficile pour une personne juive d’accepter cela. Comme cela a déjà été dit, cette attente, voire ce fardeau, qui nous est imposé de nous associer ou de nous dissocier d’un gouvernement situé à 10 000 kilomètres de nous, nous place dans une position impossible et évoque des clichés sur la double allégeance, etc.

La présidente : Je vous remercie pour vos réponses. Elles m’ont fait penser à la situation qui prévaut juste au sud de notre pays, et à la façon dont les gens font de leur mieux pour y faire face, compte tenu de ce qu’ils vivent. J’apprécie beaucoup vos réponses très réfléchies.

Nous allons maintenant passer à la deuxième série de questions.

Le sénateur Arnot : Cette question s’adresse à Mme Krut. Dans quelle mesure le Syndicat canadien des étudiants juifs a-t-il réussi à coordonner ou à collaborer avec le président du groupe U15 Canada et les ministres provinciaux de l’Éducation afin de mettre en place des sanctions cohérentes contre le harcèlement des étudiants ou le vandalisme dans les universités? En d’autres termes, dans quelle mesure avez-vous réussi à rendre les campus universitaires canadiens sûrs et sécurisés pour les étudiants juifs? Si ce n’est pas le cas, quel est l’obstacle?

Mme Krut : Je vais être honnête avec vous. Notre organisation est relativement nouvelle. Nous n’existons que depuis quelques années et nous essayons donc encore de trouver nos marques dans ce domaine.

Je pense toutefois que les organisations et les financements juifs comblent en grande partie les lacunes créées par les universités. Ils permettent de créer des groupes d’étudiants solides sur les campus, dotés des outils nécessaires pour défendre leurs intérêts auprès de l’administration, avec l’aide de professionnels exceptionnels qui en ont fait leur métier. La question est la suivante : pourquoi cela doit-il exister pour les étudiants juifs? Il y a clairement un besoin. C’est ce dont je parlais tout à l’heure, les étudiants juifs ne sont pas inclus dans les initiatives en matière d’accessibilité, d’équité, de diversité et d’inclusion. C’est là le nœud du problème, n’est-ce pas?

En ce qui concerne le Syndicat canadien des étudiants juifs, nous travaillons certainement sur cette question, mais il existe déjà un héritage inhérent à cette situation, car le besoin existait bien avant le 7 octobre. Malheureusement, les événements de cette date ne font qu’accroître ce besoin à mesure que nous avançons.

Le sénateur Arnot : Je vous remercie.

Je me demande si M. Hébert souhaite répondre en se basant sur son expérience à l’Université de Windsor.

M. Hebert : L’Association des étudiants juifs en droit de la faculté de droit de Windsor avait peut-être des objectifs légèrement différents. Tout d’abord, nous n’avons jamais été conçus comme une organisation humanitaire ou militante. Nous étions avant tout un groupe d’étudiants dont le but était d’améliorer la vie des étudiants juifs sur le campus.

Nous existions bien avant le 7 octobre. Je me souviens qu’au moment où j’ai rejoint l’association, nous avons tenu notre première réunion exécutive une semaine ou deux avant le 7 octobre. Le mot « antisémitisme » n’a jamais été mentionné lors de nos discussions sur nos projets pour 2023 et 2024. Après le 7 octobre, nous avons réagi à une crise en temps réel, tout comme le fait aujourd’hui ce comité. Nous n’avions pas le luxe de pouvoir décider de ce qui fonctionnait et de ce qui ne fonctionnait pas, car nous n’avions jamais été confrontés à l’antisémitisme. Il s’agissait d’un problème totalement inédit. Tout ce que nous avions prévu de faire, et qui aurait pu être productif ou positif pour réaffirmer l’identité juive, a dû passer au second plan après le 7 octobre, car il s’agissait simplement d’éteindre un incendie après l’autre.

Au cours de cette expérience — que nous n’avons pas choisie, mais qui nous a été imposée —, nous avons élaboré des stratégies pour lutter contre l’antisémitisme, ou du moins, mes successeurs l’ont fait. La chose la plus importante que nous ayons faite a été d’identifier les lacunes dans la manière dont notre université luttait contre l’antisémitisme, non seulement en termes de nombre de plaintes déposées, mais aussi à titre personnel. Je ne pense pas que les politiques existantes, telles qu’elles sont rédigées aujourd’hui, définissent véritablement l’antisémitisme actuel. Lorsque vous avez autant de plaintes et si peu de résolutions, vous devez examiner où le processus se détériore, car, dans l’état actuel des choses, les étudiants juifs ne voient pas la justice être rendue.

Si je peux me targuer d’une chose, c’est d’avoir encouragé les étudiants à s’engager dans le processus ardu qui consiste à éduquer l’université autant qu’elle nous éduque. Lorsque nous déposons une plainte pour un acte que nous jugeons antisémite, nous devons malheureusement en expliquer les raisons. Nous devons assumer la responsabilité de nous assurer que chaque détail est pris en compte. Nous devons nous plonger dans une quantité considérable d’histoire, de contexte et d’événements actuels pour garantir que l’université comprenne au moins pourquoi cela pourrait être perçu comme préjudiciable pour les étudiants juifs. Si nous n’avons rien fait d’autre au cours des deux dernières années, nous ne pouvons pas prétendre que l’université n’est pas informée. Nous ne pouvons pas dire qu’elle n’est pas au courant.

Je ne sais pas si cela répond à votre question, mais c’est ce que nous avons essayé de faire.

Le sénateur Arnot : Merci beaucoup.

Le sénateur Cardozo : Je souhaite la bienvenue aux invités. Pour votre gouverne, je suis sénateur de l’Ontario. Je ne suis pas membre de ce comité. Je fais partie d’un autre comité qui se réunit au même moment, mais compte tenu de votre ordre du jour ce soir, j’ai souhaité être présent. Nous avons terminé tôt dans l’autre comité, et je tiens à vous assurer que cela n’a rien à voir avec le match de baseball qui vient de commencer.

Vous avez évoqué le fait que les étudiants juifs ne se sentent pas en sécurité sur le campus. Dans quelle mesure les étudiants juifs canadiens choisissent-ils les universités, l’une plutôt que l’autre, en raison de la réputation qu’elle pourrait avoir d’être sûre et non sécuritaire? Dans quelle mesure n’envisagent-ils pas d’aller dans une université au Canada ces jours-ci?

Mme Krut : C’est une préoccupation majeure, tant pour les étudiants que pour les parents. Je reçois en effet de nombreux messages de parents inquiets qui me demandent : « Comment est votre campus? » C’est une préoccupation majeure pour tout étudiant.

J’ai choisi mon université de premier cycle grâce à une bourse. Je connais des étudiants juifs qui ont refusé des bourses importantes dans certaines institutions parce qu’ils ne se voyaient pas étudier dans un environnement qui ne leur convenait pas, ce qui est tout à fait inhabituel au Canada. C’est une préoccupation réelle pour les étudiants comme pour les parents.

Malheureusement, comme je le disais tout à l’heure, aucun campus n’est à l’abri de ce problème. Peu importe l’université qu’un étudiant juif choisit, il sera confronté à cette situation au Canada. C’est la triste réalité. C’est pourquoi nous sommes ici, pour combattre.

M. Hebert : J’aimerais ajouter que nous nous trouvons dans une situation intéressante, car l’une des témoins est actuellement étudiante en droit et l’autre, moi-même, est récemment diplômé. C’est une question difficile à poser, en particulier pour les personnes qui souhaitent se lancer dans le droit, car il existe quelques écoles de droit agréées en Ontario. Cette accréditation est une condition requise pour exercer le droit dans cette province. J’ai souvent entendu dire que la meilleure faculté de droit est celle où l’on est admis. Il y a peu d’alternatives ou de considérations, autres que celle de savoir où l’on a été admis.

Lorsque des étudiants juifs potentiels me posent la question et me disent qu’ils ont été admis à l’Université de Windsor, je leur demande immédiatement : « Où d’autre avez-vous été admis? » En général, le choix se limite à une ou deux options, voire trois si l’on a de la chance. Honnêtement, la plupart des écoles — du moins d’après ce que je sais — se valent toutes dans la manière dont cette question est traitée, ou plutôt mal traitée. C’est difficile.

Je dirais que pour les étudiants de premier cycle, c’est certainement leur principale préoccupation aujourd’hui. C’est sans doute la première et la dernière chose à laquelle ils pensent lorsqu’ils choisissent leur université. Si je devais refaire mes études de premier cycle en 2025, je n’irais pas à Concordia, car c’est sans aucun doute un environnement dangereux pour les étudiants juifs, plus que tout autre campus que j’ai vu ou dont j’ai entendu parler au cours des deux dernières années.

Mme Krut : Je ne dévoilerai pas le nom de l’université, mais pour les étudiants juifs qui nous regardent, en particulier ceux qui souhaitent faire des études de droit, nous savons tous qu’il existe des universités auxquelles les étudiants juifs ne postulent même pas. Ils n’essaient même plus.

Mme Peters : J’aimerais ajouter une note personnelle. Je sais que je suis ici pour parler de l’enseignement primaire et secondaire, mais en tant que mère, je sais que mon fils a choisi de poursuivre ses études supérieures en Israël, car il ne se sent pas en sécurité en tant que Juif visible, portant une kippa, sur un campus canadien à l’heure actuelle.

Le sénateur Cardozo : Merci pour cette intervention. C’est troublant, mais c’est la réalité. J’apprécie vos observations.

La présidente : Merci à tous. La conclusion de cette journée donne à réfléchir. Je vous remercie pour vos contributions et vos présentations exceptionnelles d’aujourd’hui, ainsi que pour le dialogue que nous avons eu et que nous aimerions voir se reproduire dans d’autres contextes. Merci beaucoup.

Au nom du comité, je tiens à souligner que c’est la première fois que nous entendons quatre groupes d’experts. Nous avons beaucoup appris aujourd’hui. Les témoignages entendus nous seront utiles pour nos délibérations. Cela conclut la réunion d’aujourd’hui.

(La séance est levée.)

Haut de page