Le Code criminel
Projet de loi modificatif—Message des Communes—Adoption de la motion d'adoption des amendements des Communes et de renonciation à certains amendements du Sénat
17 juin 2016
L’honorable Sénatrice Denise Batters :
Honorables sénateurs, j'interviens aujourd'hui au sujet du projet de loi C-14. Comme vous le savez, l'approche que prône le gouvernement libéral en matière d'aide médicale à mourir m'inspirait déjà des préoccupations avant le dépôt du projet de loi. Quand le comité parlementaire mixte a déposé son rapport, qui recommandait de rendre le suicide assisté accessible aux personnes de moins de 18 ans et aux personnes souffrant de troubles mentaux, mes collègues les députés conservateurs et moi avons lutté avec ardeur pour éviter que ces recommandations ne soient intégrées au projet de loi. Si nous avons lutté avec autant d'ardeur, honorables sénateurs, c'est que les Canadiens ne souhaitent pas voir le suicide assisté offert aux personnes les plus vulnérables. Les conséquences d'une erreur sont trop lourdes quand il est question de vie et de mort.
La question du suicide assisté a largement mobilisé l'opinion publique et la population, comme nous l'avons tous constaté. Au cours des derniers mois, des milliers de Canadiens ont communiqué avec mon bureau pour me faire connaître leur point de vue, une situation qui s'est sûrement répétée dans vos bureaux respectifs, honorables sénateurs. C'est cette pression exercée par les Canadiens et par l'opposition conservatrice qui a forcé le gouvernement Trudeau à revenir sur sa première décision d'imposer la ligne de parti aux députés libéraux lors des votes à l'autre endroit sur le projet de loi sur l'aide au suicide. Je tiens à remercier les Canadiens d'avoir exercé une pression considérable sur le gouvernement afin de limiter la portée du projet de loi sur l'aide au suicide de manière à protéger les Canadiens les plus vulnérables.
Lorsque le projet de loi C-14 a été présenté, j'ai fait preuve d'un optimisme prudent. Si nous pouvions ajouter des mesures de sauvegarde, le projet de loi aurait une chance d'atteindre l'équilibre fragile entre l'autonomie personnelle et la protection des personnes vulnérables.
Au Comité sénatorial des affaires juridiques, nous avons convenu de faire une étude préalable du projet de loi afin de pouvoir respecter la date butoir imposée par la Cour suprême du Canada. Nous avons étudié le projet de loi pendant plus de 20 heures, entendu 66 témoins, et formulé plusieurs propositions d'amendement éclairées et réfléchies, dont la moitié ont obtenu l'appui unanime des membres conservateurs, libéraux et indépendants de notre comité.
C'est alors que le gouvernement Trudeau a cessé d'être à l'écoute. Combien de ces recommandations du Comité des affaires juridiques ont-elles été prises en compte par le gouvernement? Aucune, honorables sénateurs.
J'ai été particulièrement découragée par le refus du gouvernement de tenir compte de la recommandation de notre comité — adoptée par la majorité des sénateurs qui en font partie — qui aurait exigé que la personne soit atteinte d'une maladie en phase terminale pour avoir droit à l'aide au suicide. C'est ce que veulent les Canadiens, et c'est ce qu'ils attendent d'un projet de loi sur l'aide au suicide.
Même après avoir rejeté catégoriquement les recommandations de notre comité, la ministre de la Justice, Jody Wilson-Raybould a continué de dire qu'elle allait prendre en considération toutes les propositions d'amendement réfléchies de la part du Sénat en ce qui a trait au projet de loi C-14. Après avoir entendu 66 témoins pendant plus de 20 heures, je ne comprends pas pourquoi les recommandations du Comité des affaires juridiques n'ont pas été considérées comme suffisamment réfléchies.
Quand la Chambre des communes nous a renvoyé le projet de loi C-14, le Comité sénatorial des affaires juridiques a entendu d'autres témoins, il a étudié encore davantage le dossier et il a transmis le projet de loi au Sénat pour qu'il soit débattu en profondeur.
Nous avons tenu un débat remarquable sur ce projet de loi, honorables sénateurs. Les propos exprimés ont été réfléchis, pondérés et, dans bien des cas, extrêmement personnels. Le Sénat dans son ensemble a adopté trois excellents amendements, que j'ai été fière d'appuyer : celui de la sénatrice Eaton, qui proposait de rendre obligatoire l'obtention d'une consultation sur les soins palliatifs pour les patients qui demandent l'aide au suicide; celui du sénateur Plett, qui demandait que les bénéficiaires de la succession de la personne concernée ne puissent pas participer aux gestes conduisant à la mort de celle-ci; et celle de la sénatrice Marshall, qui exigeait que le gouvernement établisse des règles concernant l'utilisation et l'élimination des renseignements sur le suicide assisté.
La ministre de la Justice avait promis de prendre en considération tous les amendements réfléchis proposés par le Sénat, mais ce n'est pas ce qui s'est passé. Quand la ministre a présenté la motion sur le projet de loi C-14 après qu'il soit retourné à la Chambre des communes, les amendements réfléchis dont je viens de parler ont été sensiblement réduits.
Le gouvernement Trudeau a rejeté la partie cruciale de l'amendement du sénateur Plett, qui aurait empêché les bénéficiaires de la succession du patient de participer à l'aide au suicide. Cette importante mesure de sauvegarde, recommandée à l'unanimité par le Comité sénatorial des affaires juridiques, aurait protégé les personnes vulnérables des abus. Le gouvernement a plutôt décidé de n'adopter qu'une partie de l'amendement du sénateur Plett. Il est bien décevant qu'il ne l'ait pas mis en œuvre intégralement.
La ministre de la Justice a également réduit l'amendement de la sénatrice Eaton. Au lieu d'exiger l'obtention d'une consultation sur les soins palliatifs pour quiconque demande l'aide au suicide, le gouvernement libéral a modifié ce qui a été proposé de manière à ce qu'il suffise que la personne soit « informée des moyens disponibles pour soulager ses souffrances, notamment les soins palliatifs ». Encore une fois, le gouvernement a reculé sur une mesure adoptée par le Sénat, la rendant en grande partie inefficace.
L'amendement de la sénatrice Marshall a reçu un traitement semblable. Alors que l'amendement original disait que le ministre « prend des règlements », la motion adoptée par la Chambre des communes dit plutôt qu'il « prend des règlements qu'il estime nécessaires ». Cet ajout, honorables sénateurs, vide de son sens l'amendement de la sénatrice Marshall, qui visait à rendre l'adoption de règlements obligatoires.
En toute franchise, je suis déçue et contrariée que le gouvernement libéral rejette les mesures de sauvegarde additionnelles du projet de loi C-14. J'aurais vraiment aimé qu'il fasse passer la substance avant les apparences.
Certes, les Canadiens ne souhaitent pas voir leurs proches souffrir, mais ils ont aussi signalé, haut et fort, qu'ils ne souhaitaient pas ouvrir grand la porte à l'aide médicale à mourir. Ils ont souligné, encore et encore, qu'il faudrait instaurer des mesures de sauvegarde strictes avant d'établir un régime de suicide assisté.
Le projet de loi C-14 fait quelques pas dans la bonne direction. Il exige l'approbation de deux médecins et impose une période d'attente, malheureusement trop brève, entre la demande d'aide médicale à mourir et l'acte lui-même. Je suis consciente que ces mesures de sauvegarde disparaîtront si le projet de loi C-14 n'est pas adopté. C'est pourquoi je me réjouis de voir le Sénat traiter cette mesure dans les plus brefs délais. Pour bien encadrer la question du suicide assisté, le Canada a besoin d'un cadre national et non d'un assemblage de règlements provinciaux, dont certains laissent déjà entrevoir la possibilité de rendre le suicide assisté accessible aux enfants.
Malgré ses lacunes, le projet de loi C-14 est de loin préférable aux recommandations présentées dans le rapport du comité mixte.
Malgré cela, quand je tiens compte de tous les éléments, je suis déterminée à voter contre la motion présentée aujourd'hui. Je ne pourrais pas, en mon âme et conscience, voter en faveur d'une mesure législative sur l'aide médicale à mourir qui ne comprend pas des mesures de sauvegarde qui m'apparaissent essentielles pour protéger les personnes vulnérables, particulièrement celles qui ont des troubles mentaux. En effet, le projet de loi n'exige pas que les personnes souffrant de troubles mentaux soient évaluées par un psychiatre, et la période d'attente prévue est trop courte pour répondre aux besoins particuliers de ces gens.
Le projet de loi C-14 n'interdit pas expressément l'aide au suicide pour les demandeurs dont la maladie mentale est la seule condition médicale invoquée. En fait, le projet de loi n'exige même pas que la personne qui demande cette aide soit en phase terminale ou en fin de vie, deux critères auxquels s'attendaient les Canadiens.
Sur une question d'une aussi grande importance pour le tissu moral et social du Canada, il est tout à fait normal que le Sénat s'en remette, au bout du compte, aux élus de la Chambre des communes. Par conséquent, j'ai choisi de ne pas présenter d'autres motions ou amendements à cet égard. Je vais simplement voter contre le projet de loi.
En ce qui concerne la décision que nous devons prendre aujourd'hui, chacun de nous a beaucoup à faire. Nous avons entendu et nous avons partagé des histoires fort personnelles, mais, au bout du compte, nous ne pouvons laisser nos expériences individuelles déterminer ce qui est dans l'intérêt supérieur de tous les Canadiens, tout particulièrement les Canadiens vulnérables. Il n'y a pas de réponse simple à la question sur l'aide au suicide, mais je vous demande de tenir tout particulièrement compte des Canadiens vulnérables au moment de voter sur cette question. Je sais que c'est ce que je ferai.