Le Code criminel
Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Ajournement du débat
2 juin 2016
L’honorable Sénatrice Denise Batters :
Honorables sénateurs, je prends aujourd'hui la parole à l'étape de la deuxième lecture du projet de loi C-14, mesure législative du gouvernement Trudeau portant sur l'aide au suicide. Vous êtes nombreux à le savoir, j'ai déjà soulevé de graves préoccupations sur cet enjeu, surtout par rapport à la maladie mentale. C'est d'autant plus important pour moi que l'un de mes proches s'est suicidé. À titre de sénatrice, par ailleurs, je me dois de faire en sorte que cette mesure législative prévoie les protections auxquelles s'attendent les Canadiens.
Le Comité sénatorial des affaires juridiques et constitutionnelles, dont je suis membre, a récemment terminé une étude préalable approfondie de cette mesure sur le suicide assisté. Lors du débat sur cet enjeu complexe, nous avons entendu 66 témoins pendant plus de 20 heures de séance. À l'issue du processus, nous avons proposé une série d'amendements rigoureux prévoyant, entre autres protections, de considérer la « maladie terminale » comme critère de l'aide au suicide. Je dois vous avouer que j'ai été déçue en constatant que le gouvernement libéral avait essentiellement rejeté ces propositions, dont aucune ne figurait dans le projet de loi renvoyé par la Chambre des communes.
Dans l'actuel débat, il ne faut surtout pas oublier que le suicide assisté concerne d'abord et avant tout la vie des gens et, plus précisément, l'autorisation de se faire euthanasier. Il ne faut jamais perdre cela de vue tandis que nous débattons de cette loi au Sénat. Le projet de loi C-14 ne porte pas sur le retrait du maintien des fonctions vitales, mais plutôt sur l'intervention de l'État pour mettre fin à une vie humaine, ce qui constitue une énorme responsabilité. En tant que parlementaires, nous avons l'obligation de débattre de la question d'un point de vue théorique et philosophique, tant avec notre tête qu'avec notre cœur, et d'instaurer des mesures de sauvegarde qui protégeront les Canadiens les plus vulnérables.
Selon les sondages, les Canadiens sont en grande majorité pour le suicide assisté pourvu que des balises strictes soient en place. Certains s'opposent moralement à toute forme de suicide assisté.
Peu importe notre opinion sur la question, il demeure que la Cour suprême du Canada a établi dans l'arrêt Carter que la décriminalisation du suicide assisté fera désormais partie de la réalité canadienne. En tant que sénateurs, il nous incombe de rendre le processus aussi sécuritaire que possible par la mise en œuvre de mesures de sauvegarde rigoureuses.
Penchons-nous d'abord sur les critères d'admissibilité à l'aide médicale au suicide que la Cour suprême formule dans l'arrêtCarter. Au paragraphe 127, la cour déclare que l'aide médicale à mourir devrait être accessible à toute :
[...] personne adulte capable qui (1) consent clairement à mettre fin à sa vie; et qui (2) est affectée de problèmes de santé graves et irrémédiables (y compris une affection, une maladie ou un handicap) lui causant des souffrances persistantes qui lui sont intolérables au regard de sa condition.
La cour poursuit ainsi :
Cette déclaration est censée s'appliquer aux situations de fait que présente l'espèce. Nous ne nous prononçons pas sur d'autres situations où l'aide médicale à mourir peut être demandée.
Les faits sur lesquels repose l'arrêt Carter se rapportent à la situation de deux femmes : Gloria Taylor et Kay Carter. Mme Taylor souffrait d'une maladie neurodégénérative mortelle, tandis que Mme Carter était atteinte d'une sténose du canal rachidien. Les deux personnes étaient des adultes capables, qui étaient aux prises avec des problèmes physiques plutôt que des troubles psychologiques.
Au paragraphe 111, la cour a rejeté l'argument concernant l'euthanasie pour les mineurs et ou les personnes atteintes de troubles psychiatriques, affirmant qu'il s'agit de cas « auxquels ne s'appliqueraient pas les paramètres proposés dans les présents motifs. »
Il est par conséquent curieux que, dans le projet de loi C-14 — qui, au dire de la ministre de la Justice Wilson-Raybould, répond à l'arrêt Carter —, le gouvernement libéral s'engage à étudier de plus près la question des demandes faites par des mineurs matures, des demandes anticipées et des demandes où la maladie mentale est la seule condition médicale invoquée. Aucune de ces situations n'était pertinente dans l'arrêt Carter et, à mon avis, aucune ne devrait se retrouver dans la mesure législative dont nous sommes saisis.
Au cours de l'année dernière, j'ai discuté de la question du suicide assisté avec des centaines de personnes. Beaucoup sont atterrées de constater que le projet de loi proposé par le gouvernement Trudeau n'exige pas que le requérant soit en phase terminale, mais ouvre la porte à la possibilité pour des enfants et des malades mentaux, notamment, d'avoir accès au suicide assisté.
Honorables collègues, la grande majorité des Canadiens ne veulent pas de cela. Ceux qui sont en faveur du suicide assisté veulent qu'il soit offert aux personnes en phase terminale — pour leur faciliter le passage de vie à trépas, qui peut être long et pénible. Ils ne veulent pas que la solution effroyablement irrémédiable qu'est le suicide assisté soit offerte à des personnes atteintes d'une maladie mentale, dont les symptômes peuvent fluctuer et nuire à leur capacité de consentir pleinement et en toute connaissance de cause à l'aide médicale à mourir. Les Canadiens rejettent aussi massivement l'accessibilité de l'aide médicale à mourir aux enfants de moins de 18 ans.
À peine neuf États dans le monde permettent une forme quelconque d'aide médicale à mourir. Parmi eux, six imposent le critère de la maladie en phase terminale. Certains États qui ont donné accès à l'aide médicale à mourir à des patients qui ne sont pas en phase terminale commencent à remettre en question leur décision.
La professeure de droit Margaret Sommerville a comparu devant le Comité sénatorial des affaires juridiques et elle a dit que, si le régime qui a cours aux Pays-Bas et en Belgique était instauré au Canada, nous pourrions nous attendre à environ 9 000 décès par année au Canada. Honorables sénateurs, ce nombre dépasse la population totale de petites villes de ma province, la Saskatchewan. L'aide médicale à mourir ne devrait pas devenir la « norme » au Canada, mais constituer strictement un dernier recours.
La Cour suprême a déclaré, dans l'arrêt Carter, que l'interdiction complète de l'aide médicale à mourir n'était pas constitutionnelle et que les personnes qui fournissent l'aide médicale à mourir à des patients qui répondent aux critères définis dans l'arrêt Carter ne devraient pas être poursuivies aux termes du Code criminel. Le tribunal n'a pas établi que l'État devait aider les patients à mourir de cette façon ni qu'il avait l'obligation de rendre le suicide assisté accessible au plus grand nombre.
La permissivité du projet de loi C-14 m'inquiète. Quel est l'objectif? S'agit-il de donner accès à l'aide médicale à mourir de façon généralisée ou de protéger les personnes vulnérables? Il faut manifestement trouver l'équilibre entre les deux. C'est essentiel. Les professeurs Dianne Pothier and Trudo Lemmens nous ont dit qu'il fallait fixer des limites au fameux « droit à la mort » afin de protéger les personnes vulnérables. Mme Pothier a déclaré ce qui suit au Comité sénatorial des affaires juridiques :
[...] en l'absence d'une telle condition contraignante, les risques de faire une erreur augmentent considérablement. Si le risque d'erreur et d'abus est faible, l'arrêt Carter affirme que l'autonomie prévaut. Si le risque d'erreur et d'abus est élevé, la protection de la personne vulnérable devrait s'imposer.
Honorables sénateurs, à titre de législateurs fédéraux, il nous incombe d'élaborer un projet de loi qui modifie le Code criminel, et à mon avis, dans le cadre de ce processus, notre principale responsabilité consiste à protéger les personnes vulnérables. Je soutiens, et la majorité des Canadiens sont d'accord avec moi, que la meilleure façon d'atteindre cet objectif consiste à limiter l'accès à l'aide médicale à mourir aux patients en phase terminale dans le projet de loi. Autrement, les risques sont beaucoup trop grands.
Le Comité des affaires juridiques a entendu le témoignage de nombreux experts du domaine juridique et constitutionnel, qui ont affirmé que le Parlement respecterait la Constitution s'il restreignait les critères d'admissibilité au suicide assisté, comme il le fait dans le projet de loi C-14. Voici ce que le professeur Dwight Newman a déclaré à ce sujet :
[...] l'arrêt Carter n'a pas un caractère législatif. Ce n'est tout simplement pas le rôle de la Cour suprême, et le Parlement n'a pas à s'assujettir à la Cour suprême comme s'il s'agissait d'un corps législatif. Le vocabulaire employé par la Cour suprême dans cet arrêt n'a donc pas à être entièrement déterminant.
Il a ensuite affirmé ceci :
[...] la cour a rendu une décision sur certaines questions constitutionnelles, mais la déclaration de la cour n'est pas une loi, et c'est au Parlement qu'il incombe en fin de compte d'élaborer une loi qui réponde aux objectifs qui semblent le plus valables au Parlement.
Le professeur Hamish Stewart a lui aussi témoigné devant le comité. Il a déclaré que la formulation actuelle du projet de loi C-14 établit « des mesures de sauvegarde constitutionnellement valables pour garantir que les gens qui, comme l'a dit la cour, seraient tentés de se donner la mort dans un moment de faiblesse en seront dissuadés. » Selon le professeur Stewart, la Cour suprême a rejeté l'interdiction générale relative à l'aide médicale à mourir parce qu'elle était un peu excessive, mais les limitations qui figurent dans le projet de loi pourraient être justifiées par l'article 1 de la Charte, « si le gouvernement peut convaincre le tribunal que c'est le mieux qu'on puisse faire pour distinguer entre les personnes vulnérables et les personnes non vulnérables qui veulent obtenir une aide médicale à mourir. » Le professeur Stewart soutient que les dispositions du projet de loi C-14 survivraient à une contestation constitutionnelle.
La meilleure façon de protéger les personnes vulnérables contre l'aide au suicide est d'inclure dans le projet de loi des mesures de protection vigoureuses. Le projet de loi C-14 propose un début de solution à cet égard, mais il va falloir aller plus loin si nous voulons adéquatement protéger les Canadiens.
Comme je l'ai mentionné précédemment, je me soucie tout particulièrement de l'absence, dans le projet de loi, de mesures de protection pour les personnes atteintes de troubles de la santé mentale qui cherchent à obtenir l'aide médicale à mourir. D'abord et avant tout, quiconque demande une aide à mourir en invoquant pour seul motif la souffrance psychologique ne devrait pas être admissible. Point. Je reconnais qu'il en est vaguement question dans le préambule du projet de loi C-14, mais ce n'est pas assez si on n'en parle pas dans le corps du texte.
Randal Graham, professeur de droit, a dit ceci au Comité des affaires juridiques :
[...] le projet de loi C-14 est une loi portant modification et non pas une loi autonome. S'il est adopté, il ne fonctionnera pas comme loi autonome, mais comme loi portant modification du contenu d'autres lois, dont le Code criminel. Une fois que les modifications créées par la loi portant modification sont mises en œuvre, la loi portant modification est considérée comme périmée, ce qui veut dire que, à toutes fins pratiques, elle n'a plus d'autre utilité juridique. [...] Le préambule proprement dit ne sera pas incorporé dans d'autres lois courantes et n'existera que dans la loi portant modification, elle-même périmée.
C'est pourquoi il est essentiel que nous renforcions l'interdiction pour les demandes où la maladie mentale est la seule condition médicale invoquée pour demander l'aide au suicide en incluant une disposition en la matière dans le corps du texte.
Pourquoi est-ce si important? Parce que beaucoup d'aspects de la maladie mentale amoindrissent la capacité que l'on a de donner son consentement éclairé à l'égard de la décision finale qui consiste à demander l'aide médicale à mourir. Il est impossible de changer d'avis après avoir obtenu de l'aide au suicide, honorables sénateurs; c'est pourquoi nous devons veiller à protéger adéquatement les Canadiens vulnérables au moyen des dispositions proposées.
De nombreux psychiatres et spécialistes de la santé mentale ont témoigné devant notre comité, et tous sauf un ont convenu qu'un régime d'aide médicale à mourir devrait prévoir une considération et des sauvegardes spéciales dans les cas de maladie mentale.
Honorables sénateurs, il n'existe aucune norme dans le domaine des soins de santé mentale pour déterminer ce qui peut être considéré comme « irrémédiable ». La maladie mentale peut souvent être traitée et elle n'est pas fatale. Dans bien des cas, les symptômes peuvent fluctuer, et le patient est plus lucide à certains moments. Même ce que l'on appelle la « dépression réfractaire au traitement » ne peut pas nécessairement être qualifiée d'irrémédiable. Étonnamment, cette expression signifie que les symptômes de la dépression ne se sont pas suffisamment résorbés à la suite de deux cycles de traitement. Souvent, il faut de multiples traitements ou médicaments pour apporter une amélioration sensible; il faut donc beaucoup de patience et de temps pour traiter la maladie mentale.
Certaines thérapies reposent sur la confiance entre le patient et le fournisseur de soins — une relation qui ne s'établit généralement qu'avec le temps. En outre, l'évaluation et le traitement de la maladie mentale sont souvent plus complexes et doivent tenir compte non seulement des systèmes biomédicaux, mais aussi des facteurs psychosociaux. Ces facteurs sociaux peuvent certainement influer sur la gravité de la maladie mentale et les risques de rechute. La réflexion non objective qui accompagne nombre de maladies mentales peut accentuer les tendances suicidaires. Nous avons aussi entendu des témoignages selon lesquels certains médicaments utilisés en psychiatrie peuvent accroître le risque de suicide — car l'apparition d'idées suicidaires peut malheureusement en être un effet secondaire! La maladie mentale est extrêmement complexe, en particulier devant la terrible finalité du suicide assisté.
Comme je l'ai déjà dit, je crois que la souffrance psychologique ne devrait pas constituer à elle seule une base suffisante pour accéder à l'aide médicale à mourir, et cela devrait figurer dans les dispositions du projet de loi. Compte tenu de la complexité de la maladie mentale, je pense également qu'il faudrait prévoir des sauvegardes supplémentaires dans la loi lorsqu'un patient qui éprouve une souffrance physique intolérable est également atteint de maladie mentale. La principale de ces mesures de sauvegarde devrait être l'exigence qu'un psychiatre évalue la capacité du patient à donner un consentement éclairé au suicide assisté dans les cas de maladie mentale.
Le président de l'Association des psychiatres du Canada a déclaré au comité qu'il appuyait cette mesure de sauvegarde dans les cas de maladie mentale, parce que certains changements cognitifs associés à la maladie mentale peuvent être fort subtils et qu'il est facile de ne pas les reconnaître si l'on n'est pas spécialiste du domaine. Lorsque les conséquences d'une erreur d'évaluation sont si graves, il nous incombe de veiller à ce que la compétence, dans de telles situations, soit adéquatement évaluée. Malheureusement, il y a des lacunes importantes dans notre système de santé mentale au Canada. Bien qu'il ne relève pas du droit pénal de combler ces lacunes, nous devons être réalistes quant aux façons dont ces lacunes pourraient toucher une personne atteinte d'une maladie mentale qui demande de l'aide médicale à mourir. Notamment, les délais d'attente pour consulter un professionnel en santé mentale au Canada peuvent s'étendre sur des mois, voire des années, selon la région. Le projet de loi C-14 fixait une période d'attente de 15 jours avant que l'aide soit fournie. Le comité de la Chambre des communes à majorité libérale a réduit cette période à 10 jours. Ce délai est totalement insuffisant en cas de maladie mentale. La Commission de la santé mentale du Canada a suggéré une période d'attente de trois mois pour les patients qui demandent de l'aide médicale à mourir et qui sont atteints d'une maladie mentale. Je suis d'accord avec cet organisme de spécialistes.
Certains prétendent que de demander des mesures de protection supplémentaires pour les patients atteints de santé mentale serait discriminatoire. À titre de défenseure des personnes souffrant de maladie mentale depuis plusieurs années, je crois que rien n'est plus faux. Le Dr K. Sonu Gaind, président de l'Association des psychiatres du Canada, avait ceci à dire à ce sujet :
[...] il n'est pas discriminatoire de tenir compte des caractéristiques particulières de la maladie mentale dans le cadre des discussions sur l'AMM. L'« équité » ne signifie pas que tout le monde doit être traité de la même façon; cela signifie qu'il faut traiter les choses de façon équitable et impartiale. Le fait de ne pas prendre en considération les circonstances particulières de la maladie mentale et leur impact possible sur les processus liés à l'AMM, pourrait être considéré comme de la stigmatisation et de la discrimination, puisqu'une telle position ferait fi des réalités de la maladie mentale sur les malades et dans le cadre de leur vie.
Étant donné la complexité des troubles psychologiques, des mesures de protection supplémentaires sont requises. La Cour suprême a jugé que l'interdiction générale de l'aide médicale à mourir avait une portée excessive, mais a convenu avec la juge de première instance « qu'un régime assorti d'exceptions, rigoureusement circonscrit et surveillé attentivement » permettrait de réaliser l'objectif du législateur de protéger les personnes vulnérables. Une évaluation psychiatrique et une période d'attente plus longue pour les patients atteints de maladie mentale sont deux précautions que nous devons inclure dans ce projet de loi pour éviter le risque que des Canadiens vulnérables soient mis à mort par erreur en vertu de cette loi.
Mais il y a, bien sûr, d'autres catégories de personnes vulnérables qui, dans le cadre d'un régime de suicide assisté, doivent elles aussi être protégées. Certains souhaitent que des enfants, les soi-disant « mineurs matures », des jeunes de moins de 18 ans, se voient eux aussi reconnaître le droit au suicide assisté. Selon le projet de loi C- 14, le gouvernement devrait plus tard se pencher sur la question d'étendre aux mineurs le droit à l'aide médicale au suicide. Je ne suis pas du tout de cet avis, et cela est vrai de la plupart des Canadiens. Je précise qu'au comité, un représentant du groupe Dying with Dignity, pourtant favorable à l'euthanasie, a dit que, selon lui, le droit à une aide médicale au suicide ne devrait être reconnue aux mineurs que s'ils souffrent d'une maladie terminale ou s'ils sont en fin de vie.
Son Honneur le Président : Vous avez écoulé votre temps de parole. Voulez-vous encore cinq minutes? Le consentement est-il accordé?
Des voix : Oui.
La sénatrice Batters : Il nous faut, alors que nous nous penchons sur la question, réfléchir à la gravité de ce que nous encouragerions en autorisant une étude plus poussée de l'idée de reconnaître aux mineurs matures le droit à une aide médicale au suicide. Ainsi que l'a fait remarquer mon collègue le sénateur White, dans ses fonctions antérieures de policier, il n'avait même pas le droit d'interroger une personne de moins de 18 ans sans la présence de l'un de ses parents. Un mineur mature n'a pas le droit de voter. Et pourtant, si ce projet de loi C-14 n'est pas amendé, nous allons continuer à envisager l'idée d'accorder à cet enfant le droit de demander à être tué avec l'aide d'un professionnel de la santé.
Chers collègues, nous avons tous eu 12, 14, 16 ans, et je suis certaine qu'aucun d'entre nous n'a oublié combien il était difficile d'imaginer que notre situation allait changer. C'est pour ça que « It Gets Better », la campagne contre l'intimidation et les brimades, a été lancée à l'intention des adolescents, afin de favoriser chez eux une certaine distanciation par rapport à la situation immédiate, ce qui est parfois très difficile à cet âge.
Les enfants sont parmi les plus vulnérables d'entre nous. Honorables sénateurs, nous ne devons pas envisager de leur reconnaître le droit à une aide médicale au suicide et je ne peux pas souscrire aux dispositions de ce projet de loi autorisant que la question soit étudiée plus avant. Selon l'arrêt Carter, il est clair que seuls les adultes capables doivent avoir le droit à une aide à mourir. La cour n'a manifestement pas voulu reconnaître ce droit aux enfants.
Je pense, dans un même ordre d'idées, que dans le cadre de ce projet de loi C-14, le gouvernement Trudeau a pris certaines libertés en élargissant la catégorie des professionnels de la santé autorisés à évaluer la capacité d'un patient à se prévaloir d'une aide au suicide, à autoriser cela, et à prescrire et administrer des médicaments provoquant la mort. Pour la première fois, les infirmiers praticiens se voient, aux termes du projet de loi C-14, reconnaître à cet égard les mêmes pouvoirs que les médecins.
Les juges de la Cour suprême ont voulu que seuls les médecins puissent fournir une aide médicale au suicide. Je précise que, dans l'arrêt Carter, on trouve le mot « médecin » plus de 100 fois alors que le mot « infirmière » ou « infirmier » ne s'y trouve pas du tout.
Le gouvernement Trudeau a dit avoir élargi à cet égard la catégorie des professionnels de la santé et englobé les infirmiers praticiens afin d'élargir l'accès à l'aide au suicide dans les zones rurales et éloignées. Or, on ne trouve aucune restriction géographique de cet ordre dans le texte du projet de loi. Ainsi, non seulement les patients pourraient-ils faire la tournée des médecins afin d'en trouver un ou deux qui accepteront de les aider à mourir, mais ils pourraient désormais faire la tournée des infirmières praticiennes afin d'en trouver deux qui n'auraient pas besoin de l'aval d'un médecin.
Je tiens à préciser que je n'entends aucunement amoindrir le rôle ou les compétences des infirmiers praticiens. Je reconnais l'importance du travail qu'ils effectuent, notamment dans les communautés rurales et éloignées. Il se peut très bien que ce soit les professionnels de la santé qui connaissent le mieux la situation du patient. Reconnaissons, cependant, que malgré leur éducation et leur formation, les infirmiers praticiens ne sont pas des médecins. L'Ontario et la Colombie-Britannique, deux des provinces canadiennes les plus peuplées, ne permettent pas aux infirmiers praticiens de prescrire des opiacés. Cela dit, je me demande pourquoi le gouvernement fédéral envisage d'élargir le champ de pratique des infirmiers praticiens en leur autorisant à évaluer la capacité de décision du patient, et donner suite à une demande d'aide au suicide. Il n'y a pas en effet de geste médical plus grave que celui qui consiste à avaliser la mort d'un patient. D'après moi, une telle évaluation doit être réservée aux médecins qui seuls possèdent l'éducation et les connaissances nécessaires.
L'Association des infirmières et infirmiers du Canada a déclaré au Comité des affaires juridiques et constitutionnelles que le personnel infirmier aurait le temps d'appeler un médecin en renfort au cas où l'opinion d'un médecin serait nécessaire pour approuver une demande de suicide assisté, et ce, même dans les régions rurales et éloignées.
L'élargissement de la catégorie des fournisseurs de soins de santé pour inclure les infirmiers praticiens est emblématique de tout ce qui cloche au sens large, selon moi, avec le projet de loi C-14. Sans aucune raison valable, ce projet de loi ouvre des portes qui n'ont pas besoin d'être ouvertes. Il étend la catégorie de fournisseurs de soins de santé habilités à prendre part au suicide assisté aux infirmiers praticiens en plus des médecins et il laisse entrevoir que nos concitoyens les plus vulnérables, c'est-à-dire ceux qui souffrent de maladie mentale et même les enfants, auront eux aussi accès au suicide assisté. En essayant de plaire à tout le monde, ce projet de loi ne plaît à personne.
Je vous en conjure, honorables sénateurs : prenez toute la mesure de la gravité des décisions de vie ou de mort que nous devons prendre en décidant quoi faire avec ce projet de loi. Nous risquons de n'avoir qu'une seule chance de faire les choses correctement, et les décisions que nous prendrons ici-même au sujet de ce projet de loi auront de profondes répercussions pendant très longtemps.
Tout au long du débat sur ce projet de loi, le gouvernement libéral a énormément mis l'accent sur le fait d'aider des gens à mourir. Je crois qu'il devrait consacrer davantage d'efforts à aider les gens à vivre. Nous devons utiliser notre second examen réfléchi pour renforcer les mesures de sauvegarde concernant le suicide assisté prévues dans le projet de loi afin que nos concitoyens les plus vulnérables soient protégés.
Merci.