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Le Code criminel

Projet de loi modificatif—Troisième lecture—Suite du débat

10 juin 2016


L’honorable Sénatrice Denise Batters :

Honorables sénateurs, en tant que parlementaires et législateurs, nous avons la responsabilité de considérer les implications d'un vaste accès au suicide assisté.

Je suis inquiète lorsque je vois certaines mesures de sauvegarde être rejetées parce qu'elles restreindraient l'accès à l'aide médicale à mourir. Si nous considérons les mesures de sauvegarde à titre de simples obstacles qui nous empêchent de mettre fin à la vie d'une personne, alors nous avons perdu de vue la gravité de la question.

Les termes sont non équivoques : le suicide assisté signifie enlever la vie à une personne. Il ne devrait pas être facile d'y avoir accès. Ce devrait être une solution de dernier recours. Étant donné ce qui est en jeu, il est tout à fait raisonnable de prendre une pause pour réfléchir à quelques moments au cours du processus d'approbation. Je crains que dans notre hâte d'examiner ce projet de loi, nous omettions de nous assurer que toutes les mesures de sauvegarde sont en place pour protéger les personnes vulnérables de façon appropriée.

Le projet de loi C-14 omet d'exprimer plusieurs mesures de sauvegarde. Lorsqu'on soulève la question des mesures de sauvegarde, on nous répond que le gouvernement fédéral laissera les organismes de réglementation de chaque province et de chaque territoire trouver une solution. Or, la réglementation varie grandement d'une région à une autre.

Par exemple, le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles nous a appris lundi — et je trouve cela très troublant — que trois administrations — l'Alberta, le Nouveau-Brunswick et le Yukon — ont établi des règlements médicaux qui pourraient permettre à des enfants d'avoir recours à l'aide au suicide. D'autres provinces et territoires font correspondre l'âge d'admissibilité à celui de la majorité.

Pour plus de clarté, le gouvernement libéral devrait expliquer ces situations dans la loi de sorte qu'il n'y ait aucune confusion possible quant aux pratiques acceptables.

Honorables sénateurs, je m'inquiète surtout de l'absence de mesures de sauvegarde pour les personnes atteintes de maladie mentale dans le projet de loi. Les partisans du projet de loi C-14 font valoir que son préambule empêche d'invoquer les souffrances psychologiques à titre de seul fondement pour le recours au suicide assisté, comme s'il s'agissait d'une mesure de sauvegarde adéquate pour les personnes atteintes de maladie mentale. J'estime que ce n'est pas le cas.

Les demandes d'aide médicale à mourir présentées par des personnes qui sont atteintes d'une maladie mentale et qui souffrent de problèmes de santé graves et irrémédiables seront elles aussi prises en considération au titre de cette mesure législative. Il n'existe pas de mesures de sauvegarde particulières pour ce genre de cas complexe, et je crois qu'il faudrait en prévoir.

Lorsque la ministre Wilson-Raybould s'est adressée au Sénat la semaine dernière, elle a mentionné la récente décision de la Cour d'appel de l'Alberta relativement à une Albertaine, E.F., qui a demandé une aide médicale à mourir. Dans cette affaire, l'un des médecins avait évalué la patiente grâce à l'application FaceTime. La ministre s'est dite bouleversée par cette nouvelle, bien sûr, mais elle n'a pas mentionné que son projet de loi, le projet de loi C-14, n'exige qu'une évaluation sommaire de la part d'un médecin avant de déterminer qu'un patient atteint d'une maladie mentale est admissible à la prestation de l'aide médicale à mourir. C'est tout simplement inacceptable.

Comme je l'ai expliqué lors de mon allocution à l'étape de la deuxième lecture, le Comité sénatorial des affaires juridiques a entendu de nombreux témoignages sur cette question de la part d'experts en santé mentale. Ceux-ci ont précisé qu'il faut prévoir des dispositions spéciales pour les personnes atteintes d'une maladie mentale, puisque l'on ne peut pas revenir en arrière lorsqu'on autorise le suicide assisté.

Voici ce que le président de l'Association des psychiatres du Canada a dit devant le Comité des affaires juridiques :

Les symptômes d'une maladie mentale peuvent donc rendre certaines personnes particulièrement influençables et susceptibles, durant une période de faiblesse, d'être incitées à mettre fin à leurs jours.

Les symptômes de la maladie mentale peuvent avoir un impact sur la résilience émotionnelle d'une personne, rendant même les stress normaux de la vie intenables. Ils peuvent entraîner des distorsions cognitives, y compris une vision négative de soi et de l'avenir. Par conséquent, les symptômes de la maladie mentale peuvent non seulement entraîner de la souffrance, mais aussi avoir un impact indépendant sur le processus décisionnel de la personne touchée au sujet de sa volonté de vivre ou de mourir.

Les symptômes d'une maladie mentale peuvent donc rendre certaines personnes particulièrement influençables et susceptibles, durant une période de faiblesse, d'être incitées à mettre fin à leurs jours.

Les symptômes de la maladie mentale peuvent avoir un impact sur la résilience émotionnelle d'une personne, rendant même les stress normaux de la vie intenables. Ils peuvent entraîner des distorsions cognitives, y compris une vision négative de soi et de l'avenir. Par conséquent, les symptômes de la maladie mentale peuvent non seulement entraîner de la souffrance, mais aussi avoir un impact indépendant sur le processus décisionnel de la personne touchée au sujet de sa volonté de vivre ou de mourir.  

Honorable sénateurs, je ne suis que trop consciente de ce à quoi ressemble la diminution des capacités d'une personne qui est atteinte d'une maladie mentale. Comme nombre d'entre vous le savent, mon époux, l'ancien député Dave Batters, a beaucoup souffert d'anxiété et de dépression et il s'est enlevé la vie en 2009. Malheureusement, je connais bien en quoi consistent les capacités décisionnelles d'une personne qui est atteinte d'une maladie mentale et ses pensées suicidaires. Une personne atteinte d'une maladie mentale peut avoir une vision très étroite des choses, et cela peut l'amener à vouloir mettre un terme à sa vie, même lorsqu'il y a de nombreuses autres solutions qui sont évidentes pour les gens qui l'entourent.

La maladie mentale n'est pas mortelle. Elle peut souvent être traitée et bien des symptômes des maladies psychologiques peuvent fluctuer selon ce que vit la personne, ses problèmes, les facteurs de stress dans sa vie, etc. Un des principaux symptômes d'un grand nombre de maladies mentales est le manque de recul par rapport à sa vie et à sa valeur. Il va sans dire que l'aide médicale à mourir ne devrait pas être offerte à une personne qui se trouve dans cet état mental.

De plus, il est vrai qu'un certain nombre de maladies psychiatriques peuvent augmenter sensiblement le risque de suicide. Les professionnels en santé mentale à notre comité ont expliqué que certains médicaments prescrits en psychiatrie peuvent aussi avoir comme effet secondaire d'accroître la fréquence des pensées suicidaires. Encore une fois, c'est une chose dont j'ai malheureusement été témoin.

Sachant cela, je pense qu'il serait injuste que nous ne tenions pas compte des considérations spéciales liées à la maladie mentale lorsqu'elle est présente dans les cas d'aide au suicide. Nous devons mettre en place des mesures de sauvegarde rigoureuses pour qu'aucune personne atteinte de maladie mentale ne puisse demander à l'État de mettre fin à ses jours s'il y a un espoir que sa vie s'améliore. Comment détermine-t-on si un patient atteint de maladie mentale est capable de donner un consentement éclairé à sa propre mort? Il faudrait qu'au moins un psychiatre ou psychologue évalue les patients dans le cadre du processus d'approbation des demandes.

Comme le Dr K. Sonu Gaind, président de l'Association des psychiatres du Canada, nous l'a dit lors de nos délibérations sur le projet de loi C-14 au Comité des affaires juridique :

[...] un psychiatre doit participer à une partie de l'évaluation de l'aptitude en présence de maladie mentale, surtout parce que certains des changements cognitifs peuvent être très subtils et qu'ils peuvent passer inaperçus si on n'est pas expert dans le domaine.

Dans sa version actuelle, le projet de loi C-14 permettrait à un infirmier praticien d'assumer ce rôle. Les infirmiers praticiens peuvent suivre de la formation et acquérir de l'expérience dans de nombreux domaines différents, mais ce ne sont pas des experts en psychiatrie.

Un autre témoin expert qui a comparu devant le comité a parlé des difficultés liées à l'évaluation de la capacité des personnes atteintes d'une maladie psychiatrique. Voici ce qu'il a déclaré :

[...] j'insisterais sur le fait qu'une personne qui ne tient pas compte des difficultés liées à l'évaluation de la capacité des personnes atteintes de graves problèmes psychiatriques demandant l'aide médicale à mourir ne fonde pas son opinion sur les données existantes.

C'est pourquoi il est impératif qu'un professionnel de la santé mentale soit chargé d'effectuer cette évaluation.

Qui plus est, une période d'attente plus longue devrait être requise lorsque le patient, en plus d'avoir des problèmes de santé physique graves et irrémédiables, est aussi atteint d'une maladie mentale. Dans sa version actuelle, le projet de loi C-14 prévoit qu'il doit s'écouler au moins 10 jours entre le moment où la demande d'aide médicale à mourir est présentée et le moment où cette aide est fournie. De toute évidence, une telle période d'attente est totalement inadéquate dans le cas d'une personne qui souffre d'une maladie mentale.

Au Canada, une personne doit attendre en moyenne des mois, voire des années, avant de pouvoir consulter un psychiatre, selon la région où elle habite. Comme je l'ai mentionné plus tôt, l'intensité de la maladie mentale peut varier et, lorsque la situation change, les symptômes de la maladie mentale ne sont souvent plus les mêmes.

Il faut aussi tenir compte des facteurs psychosociaux. Le clinicien qui connaît bien son patient, comme ses relations, sa situation professionnelle, ses problèmes affectifs et la présence ou non d'un réseau de soutien, est mieux en mesure d'évaluer sa capacité de consentir à sa propre mort. Une période d'une semaine et demie n'est même pas suffisante pour permettre à un professionnel d'observer de façon complète la maladie mentale de son patient au fil de plusieurs rendez-vous.

Plusieurs professionnels de la santé mentale qui ont témoigné devant le Comité sénatorial des affaires juridiques ont mentionné qu'il est important de prévoir un plus long délai d'attente pour les personnes aux prises avec une maladie mentale.

Le Dr Padraic Carr, un psychiatre, a insisté sur l'importance de « prévoir un délai adéquat entre les évaluations pour s'assurer que le résultat des entrevues n'est pas indûment influencé par les circonstances immédiates. » Il a ensuite dit que le délai d'attente de 15 jours « semble inadéquat si une maladie mentale est présente ou soupçonnée. »

La Commission de la santé mentale du Canada, elle, préconise une période d'attente de trois mois entre le moment où la demande est présentée et celui où l'aide médicale à mourir est offerte. Patrick Baillie, un psychologue, a déclaré au Comité des affaires juridiques que la Commission de la santé mentale du Canada est en faveur d'une période d'attente plus longue.

[...] non seulement pour permettre une évaluation plus poussée, mais également pour donner à la personne l'occasion peut-être de s'informer sur les autres formes de traitements disponibles, au-delà des interventions pharmacologiques, par exemple, dont elle aurait déjà fait l'essai.

Honorables sénateurs, ces propos ont été tenus par des spécialistes de la santé mentale, par des gens qui travaillent tous les jours avec des patients qui ont une maladie mentale ou des idées suicidaires. Ils vous diront qu'il faut beaucoup plus qu'une semaine et demie pour évaluer entièrement l'état d'une personne qui a des problèmes psychiatriques et qui prétend vouloir mourir.

C'est pour cette raison que le Comité sénatorial des affaires juridiques, qui est composé de sénateurs conservateurs et libéraux et d'un sénateur indépendant, a convenu à l'unanimité de recommander, dans son rapport découlant de l'étude préliminaire du projet de loi, un délai d'attente de 90 jours.

Certains font valoir qu'il est discriminatoire d'exiger des mesures de sauvegarde supplémentaires pour les personnes qui ont une maladie mentale. Puisque j'ai moi-même consacré beaucoup de temps à la défense des droits des personnes souffrant de problèmes de santé mentale et à la prévention du suicide au cours des dernières années et que j'ai aussi survécu au suicide d'un proche, je rejette entièrement cet argument.

Puisque je vais proposer un amendement, nous pourrions peut- être commencer à distribuer les documents dès maintenant.

La maladie mentale présente un ensemble unique de difficultés et de facteurs dont le futur régime, quel qu'il soit, devra tenir compte si on veut que les personnes atteintes d'une maladie mentale puissent se prévaloir de l'aide médicale à mourir. Comme l'a dit le Dr Gaind :

L'« équité » ne signifie pas que tout le monde doit être traité de la même façon; cela signifie qu'il faut traiter les choses de façon équitable et impartiale. Le fait de ne pas prendre en considération les circonstances particulières de la maladie mentale et leur impact possible sur les processus liés à l'AMM, pourrait être considéré comme de la stigmatisation et de la discrimination, puisqu'une telle position ferait fi des réalités de la maladie mentale sur les malades et dans le cadre de leur vie.

Je n'aurais pu mieux le dire, honorables sénateurs. En tant que législateurs, nous devons tenir compte des besoins particuliers des Canadiens atteints d'une maladie mentale et y répondre de manière sensible et prudente chaque fois qu'il est question d'eux dans une mesure législative.

Il n'existe pas d'enjeu plus fondamental que celui dont nous débattons aujourd'hui, honorables sénateurs. Il s'agit littéralement d'une question de vie ou de mort.

Le Sénat du Canada a créé un précédent en entreprenant la première étude d'envergure nationale sur la santé mentale. Cette étude, qui s'est faite sous la présidence de l'ancien sénateur Michael Kirby, a produit le rapport intitulé De l'ombre à la lumière. Certains des sénateurs ici présents ont d'ailleurs pris part avec lui à cette extraordinaire aventure.

Le Sénat s'est toujours fait un point d'honneur de protéger les personnes vulnérables, et il n'y a pas plus vulnérable qu'une personne souffrant de maladie mentale. Nous avons la responsabilité, nous les sénateurs, de les défendre et de voir à ce que la mesure législative sur le suicide assisté protège leurs intérêts. Faisons tous un second examen objectif et resserrons les mesures de sauvegarde destinées aux Canadiens atteints d'une maladie mentale.

Que vous soyez d'avis que le projet de loi C-14 est trop restrictif ou que vous trouviez au contraire qu'il ne l'est pas assez, je vous demande respectueusement de me donner votre appui afin que les personnes atteintes d'une maladie mentale en plus de problèmes de santé graves et irrémédiables soient tenues de subir une évaluation psychiatrique et d'observer une période d'attente de 90 jours.

Motion d'amendement

L'honorable Denise Batters : Par conséquent, honorables sénateurs, je propose :

Que le projet de loi C-14, tel que modifié, ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu'il soit modifié à l'article 3 :

a) à la page 5, par adjonction, après la ligne 26, de ce qui suit :

« psychiatre Médecin autorisé par le droit d'une province à exercer la psychiatrie. (psychiatrist)

psychologue Personne autorisée par le droit d'une province à exercer la psychologie. (psychologist) »;

b) à la page 6, par adjonction, après la ligne 23, de ce qui suit :

« a.1) s'assurer, si la personne est affectée d'une maladie mentale, qu'un psychiatre ou psychologue l'a jugée capable de prendre des décisions en ce qui concerne sa santé »;

c) à la page 7 :

(i) par substitution, à la ligne 6, de ce qui suit :

« g) sous réserve du paragraphe (3.1), s'assurer qu'au moins dix jours francs se sont écou- »,

(ii) par adjonction, après la ligne 22, de ce qui suit :

« (3.1) Si la personne qui demande l'aide médicale à mourir est affectée d'une maladie mentale en plus des problèmes de santé graves et irrémédiables visés à l'alinéa (1)c), la période visée à l'alinéa (3)g) est d'au moins quatre-vingt-dix jours francs. »;

d) à la page 9, par substitution, à la ligne 2, de ce qui suit :

« alinéas 241.2(3)a.1) à h) et au paragraphe 241.2(8) commet ».

Je vous remercie.

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, l'honorable sénatrice Batters, avec l'appui de l'honorable sénateur Oh, propose la motion d'amendement suivante :

Que le projet de loi C-14, tel que modifié, ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu'il soit modifié à l'article 3 :

a) à la page 5...

Puis-je me dispenser de lire la motion?

Des voix : Oui.

Son Honneur le Président : Comme c'est la première fois que les honorables sénateurs voient cet amendement, nous devrions peut- être, avant de poursuivre le débat, prendre quelques minutes pour l'étudier et voir comment il pourrait cadrer dans la structure du projet de loi amendé.

L'honorable James S. Cowan (leader des libéraux au Sénat) : Honorables sénateurs, puis-je me permettre de faire remarquer à mes collègues que, pour que nous puissions étudier comme il se doit les amendements, il serait utile qu'on les distribue au préalable? Selon moi, la qualité du débat en pâtit lorsqu'on propose des amendements sérieux, mais que nous n'avons pas l'occasion de les étudier à l'avance. Bien des sénateurs ont distribué leurs amendements à l'avance. Votre Honneur, pourriez-vous conseiller aux sénateurs de procéder ainsi?

Son Honneur le Président : Le sénateur Cowan soulève un point intéressant, mais la décision de distribuer ou non le texte de l'amendement avant sa présentation revient entièrement au sénateur qui le propose.

Le sénateur Cowan : Je comprends.

Son Honneur le Président : Laissons aux sénateurs le temps de se familiariser avec l'amendement, après quoi nous passerons aux questions.

Les honorables sénateurs sont-ils prêts à poser des questions? Sénateur Plett, vous avez la parole.

L'honorable Donald Neil Plett : Merci, Votre Honneur. Je remercie beaucoup la sénatrice Batters de l'amendement qu'elle a présenté. J'estime qu'il est impératif qu'un professionnel de la santé mentale évalue la capacité de consentir étant donné la gravité des circonstances envisagées. Patrick Baillie a lui aussi présenté des arguments convaincants en faveur de la prolongation de la période d'évaluation de l'admissibilité au suicide assisté, mais le gouvernement a préféré la réduire.

L'honorable sénatrice pourrait-elle nous expliquer sa décision de permettre non seulement aux psychiatres, mais aussi aux psychologues d'effectuer l'évaluation en question?

La sénatrice Batters : Je remercie l'honorable sénateur de sa question et de tout son appui en ce qui concerne ce genre de questions.

Premièrement, Patrick Baillie, de la Commission de la santé mentale du Canada, a présenté des arguments convaincants au comité au sujet du temps qu'il faut au Canada pour consulter un psychiatre. On m'a également fait remarquer plus tôt aujourd'hui qu'il faut parfois attendre longtemps avant que certains médicaments commencent à prendre effet. Il faut parfois attendre six semaines, voire plus. C'est pourquoi il faut vraiment donner la chance aux gens d'obtenir de l'aide, surtout compte tenu du fait que c'est peut-être la première fois qu'ils en demandent. Bien trop de personnes atteintes de troubles de la santé mentale au Canada n'appellent pas à l'aide; j'encourage tout le temps les gens à consulter un médecin et à se faire traiter le plus tôt possible, avant que la maladie ne progresse.

En ce qui a trait à la question des psychiatres et des psychologues, la raison pour laquelle j'ai décidé d'ajouter les psychologues dans cette partie, à titre de possibilité, c'est pour reconnaître les importantes lacunes en matière de santé mentale au Canada. En effet, les psychiatres se font peut-être rares dans nombre de régions du pays, mais les psychologues y sont plus nombreux. C'est donc une possibilité qui n'élimine pas l'autre option, et l'accès à un psychologue est souvent plus rapide et moins coûteux. Certaines régions offrent même ces services par l'entremise de divers organismes. L'amendement vise à offrir un meilleur accès et à permettre à plus de gens d'obtenir de l'aide.

Le sénateur Plett : J'ai une dernière question. Hier soir, j'ai présenté un amendement qui n'a malheureusement pas été adopté. Dans l'amendement d'aujourd'hui, au sujet du paragraphe 241.2(3), on peut lire : « [...] à h) [...] ». Le projet de loi a été corrigé; on y a ajouté l'alinéa i).

C'est peut-être une question d'ordre administratif, mais je l'avais corrigé dans mon amendement, qui parlait des alinéas a) à i). Or, dans le vôtre, on parle des alinéas a) à h), alors que l'alinéa i) existe. Je présume, sénatrice Batters et Votre Honneur, qu'il s'agit d'une erreur administrative, mais il y a un alinéa i).

Son Honneur le Président : Sénatrice Batters, votre temps de parole est écoulé. Demandez-vous plus de temps pour répondre à la question?

La sénatrice Batters : Oui, votre Honneur, pour répondre à la question du sénateur Plett.

Des voix : D'accord.

La sénatrice Batters : Oui, c'est une erreur administrative qui n'a pas été corrigée. Je vous remercie de nous l'avoir fait remarquer. Nous avons remarqué l'ajout de l'alinéa a).1, mais c'était une question d'ordre administratif; les responsables de la rédaction législative pourraient l'intégrer à titre d'amendement favorable acceptable. Je ne sais pas exactement comment il serait libellé, mais je l'accepterais volontiers. Merci.

Son Honneur le Président : Sénatrice Batters, demandez-vous plus de temps pour pouvoir répondre à d'autres questions?

La sénatrice Batters : Oui, je voudrais qu'on m'accorde cinq minutes de plus.

Son Honneur le Président : D'accord, chers collègues?

Des voix : D'accord.

L'honorable Jim Munson : Je voudrais savoir pourquoi vous avez choisi 90 jours francs. Le nombre 90 est-il magique? Aviez-vous une raison particulière de le choisir, plutôt que 100 ou 60 jours, par exemple?

La sénatrice Batters : Premièrement, les mots « jours francs » se trouvent déjà dans la version actuelle du projet de loi, là où il est question de la période d'attente de 10 jours francs. Ce n'est pas une expression nouvelle ou magique.

Par ailleurs, j'ai indiqué 90 jours parce que c'est la durée demandée par la Commission de la santé mentale du Canada, un organisme bien connu qui fait beaucoup de bon travail pour des gens partout au pays, dans ce domaine. Les représentants de cet organisme ont parlé à notre comité des longues périodes d'attente pour consulter un psychiatre, au Canada, alors ils nous ont suggéré une période d'attente de trois mois. C'est un choix justifié. Voilà pourquoi j'ai inscrit 90 jours dans mon amendement.

L'honorable Carolyn Stewart Olsen : Accepteriez-vous de répondre à une question?

La sénatrice Batters : Tout à fait.

La sénatrice Stewart Olsen : Certains diront que le projet de loi que nous sommes en train d'étudier contient déjà une disposition ayant le même effet que cet amendement, à savoir que la personne doit être un adulte mentalement capable de prendre des décisions. N'est-il pas juste de dire qu'une personne qui souffre d'une grave dépression peut quand même être considérée comme mentalement capable de prendre des décisions?

La précision pourrait être importante.

La sénatrice Batters : Oui. Il est vrai qu'on peut souffrir d'une maladie mentale et être tout de même mentalement capable de prendre des décisions. Dans le cas d'une personne souffrant d'une maladie mentale, il serait plus approprié que l'évaluation de la capacité à prendre des décisions soit faite par un professionnel de la santé mentale, c'est-à-dire un psychologue ou un psychiatre, plutôt que par un médecin pratiquant dans une autre spécialité ou par une infirmière praticienne. Il s'agit aussi de s'assurer que la personne qui demande l'aide médicale à mourir le fait parce qu'elle veut vraiment mourir, et non parce qu'elle souffre d'une maladie mentale et n'est pas capable de voir la lumière au bout du tunnel. Il est possible que la personne ait simplement besoin d'aide pour s'en sortir.

L'honorable Jane Cordy : À l'article 9.1 du projet de loi, à la page 13, on indique qu'il y aura un examen indépendant. On dit ceci :

Le ministre de la Justice et le ministre de la Santé lancent, au plus tard cent quatre-vingts jours après la date de sanction de la présente loi, un ou des examens indépendants des questions portant sur les demandes d'aide médicale à mourir faites par les mineurs matures, les demandes anticipées...

Et on poursuit ainsi :

... et les demandes où la maladie mentale est la seule condition médicale invoquée.

Je ne suis pas sûre de comprendre toutes les conséquences liées à la présentation d'une demande d'aide à mourir par une personne atteinte de maladie mentale. Je préférerais que la ministre fasse porter l'étude sur toute la question de la maladie mentale afin d'éclaircir des éléments auxquels nous ne pensons peut-être même pas aujourd'hui. Que pensez-vous de l'aspect du projet de loi qui prévoit un examen indépendant concernant les demandes où la maladie mentale est invoquée et de la position adoptée relativement à l'aide à mourir?

La sénatrice Batters : Je m'oppose à ces dispositions particulières depuis un certain temps. J'en ai souvent parlé dans les médias nationaux et dans mes discours au cours des six derniers mois. Je ne crois pas que les personnes qui invoquent la maladie mentale comme seule condition médicale devraient être admissibles au suicide assisté. Je comprends que le gouvernement ait décidé d'effectuer cette étude.

Cet aspect n'est pas lié à cette possibilité. L'étude pourrait prendre deux ou trois ans. Entre-temps, nous voulons nous assurer que les personnes ayant une maladie mentale en plus d'une maladie physique grave, comme le cancer, demandent l'aide au suicide pour les bonnes raisons. Une personne pourrait souffrir d'une dépression et d'un cancer. Nous voulons nous assurer que ces personnes reçoivent l'aide et les soins adéquats et que, si elles ont décidé de demander l'aide au suicide, ce n'est pas simplement parce que leur maladie mentale les pousse à vouloir mourir. Nous voulons que leur situation soit évaluée de façon indépendante par une personne qualifiée pour le faire.

Le gouvernement mènera une étude sur ces autres questions particulières. Je veux m'assurer que, lorsque cette mesure législative entrera en vigueur, des mesures de sauvegarde adéquates seront en place pour les personnes atteintes d'une maladie mentale.

Pour ce qui est des personnes atteintes uniquement d'une maladie mentale, lorsque j'ai expliqué mes préoccupations aux Canadiens, ceux-ci se sont dits tout à fait opposés à la prestation d'une aide médicale à mourir. J'ai été inondée de courriels, d'appels téléphoniques et de lettres me remerciant de défendre les personnes qui pourraient se retrouver sans aide ou sans ressources. Les Canadiens estiment que le fait d'offrir le suicide assisté et aucune autre option n'est pas une réponse appropriée. Merci.

L'honorable Claude Carignan (leader de l'opposition) : Je relisais l'amendement et j'essayais de trouver des situations pratiques où cela pourrait se produire. Or, j'en ai trouvé plusieurs. L'un de mes proches souffre d'Alzheimer, et je me dis que ce serait de la discrimination — à cause de la maladie dont cette personne est atteinte et qui affecte ou peut affecter son jugement — que d'étirer sa souffrance pendant 90 jours de plus, compte tenu du simple fait qu'on ajoute des aspects liés à la maladie mentale. J'ai de la difficulté à trouver rationnel le fait d'étirer de 90 jours la souffrance d'une personne parce qu'elle est atteinte d'une maladie mentale, alors qu'elle était apte lorsqu'elle a fait la demande d'aide médicale à mourir. Je ne comprends pas.

Son Honneur le Président : Votre temps de parole prolongé est écoulé. Demandez-vous la permission de répondre à la question du sénateur Carignan?

La sénatrice Batters : Oui, s'il vous plaît.

Son Honneur le Président : Le consentement est-il accordé, chers collègues?

Des voix : Oui.

La sénatrice Batters : Sénateur Carignan, je ne voudrais jamais que quelqu'un croie que je fais preuve de discrimination envers les personnes atteintes d'une maladie mentale. C'est un dossier que je défends énergiquement depuis de nombreuses années, et je fais toujours preuve d'une grande prudence lorsque je m'exprime à ce sujet.

Comme je l'ai dit dans mon allocution, le fait de traiter des personnes différemment parce qu'elles se trouvent dans des situations différentes n'équivaut pas nécessairement à de la discrimination. Nous ne cherchons qu'à proposer une capacité décisionnelle différente aux personnes qui souffrent d'une maladie mentale. Nous avons reçu beaucoup de témoignages à cet égard au Comité des affaires juridiques. Nous voulons garantir que les personnes qui ont vraiment besoin d'aide reçoivent cette aide et qu'elles ne cherchent pas à se suicider pour se sortir de leur situation, alors que ce qu'il leur faut, c'est un traitement adéquat pour leur maladie mentale.

Peut-être que ce dont ces personnes ont besoin, c'est de voir un médecin, d'obtenir les bons médicaments, de se faire traiter, de voir un psychologue qui peut faire une psychothérapie, de consulter leur famille et leurs amis, d'avoir ce temps pour s'assurer qu'on les soigne adéquatement car, pour tant de ces personnes, ce qu'elles ont perdu dans leur vie avec la maladie mentale, c'est l'espoir. Nous voulons leur procurer de l'aide, des ressources et de l'espoir, pas seulement les moyens de se tuer.

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