Aller au contenu

Le Code criminel

Projet de loi modificatif—Troisième lecture—Ajournement du débat

12 décembre 2017


L’honorable Sénateur Claude Carignan :

Honorables sénateurs, je suis heureux de prendre la parole aujourd'hui dans le cadre du débat à l'étape de la troisième lecture du projet de loi S-230, Loi modifiant le Code criminel (conduite avec les capacités affaiblies par les drogues).

Le projet de loi S-230 est un texte de loi très important qui vise à combler une lacune d'envergure en matière de sécurité routière, soit l'absence d'un appareil de détection approuvé pour déceler la présence de drogue dans l'organisme des conducteurs soupçonnés de conduire avec les facultés affaiblies par les drogues.

Le projet de loi S-230 vise à accomplir essentiellement trois choses. Permettez-moi de vous les expliquer à l'aide des témoignages que nous avons entendus en comité.

D'abord, le projet de loi S-230 donne au procureur général du Canada le pouvoir d'autoriser, par ordre en conseil, l'utilisation d'un appareil de détection approuvé permettant de déceler la présence de drogues dans l'organisme de conducteurs sur le bord de la route. Un tel appareil serait approuvé par le procureur général du Canada après consultation auprès d'experts en sciences judiciaires. D'ailleurs, c'est le même processus qui est utilisé pour approuver les appareils de détection d'alcool.

L'utilisation d'appareils de détection dans les cas de conduite avec facultés affaiblies par les drogues s'impose depuis un certain temps. Le Canada accuse d'ailleurs un retard considérable par rapport à de nombreuses juridictions qui utilisent déjà des appareils de détection, notamment des États américains, l'Australie, l'Allemagne, la France, la Belgique, l'Espagne, l'Italie et le Royaume-Uni. En Australie, les autorités utilisent cet appareil depuis au moins une décennie.

Ce genre d'appareil décèle la présence de drogues dans l'organisme, et non la quantité de drogue. Permettez-moi de reprendre les propos de la Dre Miles, une scientifique qui a témoigné dans plus de 300 procès, et je cite :

Il a été démontré qu'un instrument d'analyse de liquide buccal permet d'effectuer, sur le bord de la route, un dépistage fiable de l'affaiblissement des facultés par les drogues. Cet instrument donne aux agents d'application de la loi un nouvel outil pour justifier une arrestation pour conduite avec facultés affaiblies par une drogue.

Ces appareils seraient programmés afin de détecter les catégories de drogues. On sait qu'au Royaume-Uni, les autorités ont choisi de détecter la présence de deux drogues qui font des ravages sur les routes, c'est-à-dire la marijuana et la cocaïne.

La Dre Miles a ajouté que ces « appareils sont conçus et fabriqués pour indiquer une consommation récente [...]. Par conséquent, ils détecteront la présence de drogue, le cas échéant, mais seront programmés pour détecter uniquement la présence récente de drogue. »

Deuxièmement, le projet de loi fait en sorte qu'un agent de la paix qui a des motifs raisonnables de soupçonner que les facultés d'un conducteur sont affaiblies par les drogues puisse demander à ce dernier de subir un test de dépistage des drogues. L'appareil ne serait pas utilisé sans qu'il y ait des motifs raisonnables de soupçonner la conduite avec facultés affaiblies.

Honorables sénateurs, cet article est modelé sur le régime qui est en place à l'heure actuelle pour l'alcool dans le cadre du test de type ALERT. En vertu du Code criminel actuel, les policiers qui ont des motifs raisonnables de soupçonner une conduite avec facultés affaiblies par l'alcool peuvent exiger que le conducteur passe le test de dépistage de l'alcool. Si une personne échoue, ce n'est pas un crime, mais cela fournit un indice important aux policiers pour déterminer si un conducteur est bel et bien intoxiqué.

Comme il n'y a pas d'appareil de dépistage des drogues en place à l'heure actuelle, les policiers doivent envoyer la personne au poste de police pour qu'elle subisse un test en 12 étapes, d'une durée de 45 à 60 minutes, administré par un agent évaluateur de drogues. Ce texte de loi ferait en sorte qu'un agent de la paix, avant d'emmener de force un conducteur au poste de police et de faire remorquer sa voiture, puisse s'assurer qu'il ne se trompe pas et qu'il ne fait pas erreur en confirmant la présence de drogue dans l'organisme du conducteur.

En présence d'un résultat négatif — une personne fatiguée, par exemple —, le conducteur serait exonéré et n'aurait pas à subir des tests supplémentaires. En d'autres mots, l'appareil sert à renforcer les motifs raisonnables de croire en la présence de drogue. Une personne innocente pourra repartir plus rapidement avec son véhicule. Le fait d'échouer le test ne constitue pas un acte criminel, mais fournit un indice supplémentaire aux policiers et leur permet de mieux déterminer s'ils disposent d'éléments objectifs pour établir des motifs raisonnables de croire qu'une personne est intoxiquée par la drogue et que cela affaiblit ses capacités.

Le constitutionnaliste Gerald Chippeur a rédigé une opinion juridique au sujet du projet de loi. Je cite :

Le projet de loi rend les articles 253 et 254 du Code criminel plus compatibles avec la Charte, parce qu'il crée une situation moins importune pour l'automobiliste. En fait, pour la personne dont les facultés ne sont pas affaiblies par la drogue, ce test met immédiatement fin à une vérification qui pourrait prendre plus de temps s'il n'était pas disponible. [...] À mon avis, le projet de loi respecte la Charte et rend le Code criminel davantage conforme aux dispositions de celle-ci.

Enfin, le projet de loi S-230 permettrait aussi à un policier, lorsqu'il a des motifs raisonnables de croire qu'un conducteur présente des signes évidents de conduite avec facultés affaiblies par les drogues, de demander à ce conducteur de se rendre au poste de police pour y subir d'autres tests avec un agent évaluateur des drogues, comme cela se fait déjà en vertu du Code criminel. Le projet de loi ne modifie pas le travail des agents évaluateurs. Ces derniers demeurent les seuls à pouvoir effectuer les 12 tests de dépistage de 45 minutes dont je parlais tout à l'heure. Or, j'ai eu l'occasion de parler à une agente évaluatrice. Elle m'a expliqué que son travail était très laborieux et qu'elle était débordée. Elle m'a confié qu'il n'y a pas suffisamment d'agents évaluateurs, que l'appareil de dépistage serait un outil supplémentaire pour les policiers et qu'il leur permettrait de gagner un temps précieux.

En présence de cas évidents de conduite avec facultés affaiblies par la drogue — lorsqu'il y a des signes évidents de consommation, comme le visage rouge, une odeur d'alcool ou de drogue, les yeux rouges, de la confusion ou un manque de coordination —, un agent de la paix pourrait demander le prélèvement d'un échantillon de liquide corporel au poste de police sans devoir passer par les 12 étapes de l'agent évaluateur.

Honorables collègues, le projet de loi S-230 reçoit l'appui de l'Association canadienne des chefs de police et des associations de défense des victimes. L'ombudsman fédéral des victimes appuie les objectifs de protection du public prévus dans ce texte de loi. La Canadian Association of Police Governance appuie également ce projet de loi. La Fondation Katherine Beaulieu, qui mène des compagnes de prévention, nous exhorte à l'adopter. En outre, une pharmacienne, Mme Magali Cyr, dont la mère a été tuée par une conductrice dont les facultés étaient affaiblies par la cocaïne, vous demande d'appuyer ce projet de loi afin que le Canada modernise son approche à l'égard de la conduite avec facultés affaiblies par les drogues. Le Canada est en retard.

Les conducteurs les plus vulnérables sur les routes, c'est-à-dire les adolescents, sont portés à croire que le fait de conduire après avoir consommé des drogues n'est pas dangereux. En fait, les jeunes se disent entre eux que, s'ils sont intoxiqués par l'alcool, ils peuvent se faire prendre. Ils savent que, s'ils consomment de la drogue, ils ont très peu de chances de se faire arrêter.

Ce projet de loi pourrait sauver des vies humaines. Au Canada, les données les plus récentes indiquent que les conducteurs de 16 à 24 ans représentent 26,9 p. 100 des accidents mortels liés aux drogues. En comité, de nombreux témoins nous ont expliqué pourquoi les policiers ne disposent pas des outils nécessaires, à l'heure actuelle, pour retirer de la route les conducteurs dont les facultés sont affaiblies par les drogues. Le nombre de conducteurs aux facultés affaiblies par les drogues est sous-estimé, parce qu'il n'y a pas d'outil de dépistage. Des statistiques révèlent que, sur des millions de transports qui sont effectués chaque jour, cinq personnes sont accusées. C'est tout simplement irréaliste de penser que le système actuel fonctionne.

La science est unanime en ce qui concerne les risques élevés que représente la conduite avec facultés affaiblies par les drogues. Un conducteur dont les facultés sont affaiblies par les drogues peut avoir un temps de réaction plus lent, être somnolent et désorienté, et avoir de la difficulté à se concentrer, à juger les distances, à demeurer dans sa voie et à maintenir une vitesse constante. Ces facteurs augmentent le nombre d'accidents, de blessures et de décès. Nous pouvons cependant contribuer à prévenir ces tragédies en adoptant ce projet de loi, qui fournira des outils de dépistage supplémentaires.

Un témoin de la Traffic Injury Research Foundation que nous avons entendu en comité a dit ce qui suit, et je cite...

Selon la Traffic Injury Research Foundation, en 2012, 40 p. 100 des conducteurs blessés mortellement ont obtenu des résultats positifs au test de dépistage — oui, 40 p. 100 — et, en 2013, ce sera 45 p. 100. La police ne peut pas repérer ces conducteurs tant qu'ils ne se tuent pas ou ne tuent pas quelqu'un.

Selon le gouvernement du Canada, 97 p. 100 des poursuites intentées au Canada en 2013 pour des causes impliquant la conduite avec facultés affaiblies étaient liées à la consommation d'alcool, tandis que seulement 3 p. 100 des cas étaient liés à la consommation de drogue. Ces 3 p. 100 représentent environ cinq cas par jour de conduite avec facultés affaiblies par les drogues dans l'ensemble du pays. Manifestement, ces données ne sont pas représentatives de la réalité.

Selon MADD Canada, en 2012, la drogue était présente dans l'organisme de conducteurs lors de 614 décès de la route comparativement à 475 décès liés à l'alcool. Le Centre canadien de lutte contre l'alcoolisme et les toxicomanies confirme également cette tendance.

Plusieurs organismes, je le rappelle, réclament l'adoption de ce projet de loi. À ce chapitre, l'Association canadienne des chefs de police a adopté, en 2014, la Résolution 2014-01 dans le cadre de sa 109e conférence annuelle. Cette résolution exhorte le gouvernement à approuver de toute urgence des outils qui, en passant, sont non invasifs, puisqu'il s'agit de prélèvements de liquide buccal pour détecter la présence de drogues dans l'organisme des conducteurs.

La mise en place d'un test de détection de drogue obligatoire relève des compétences du Parlement. Dans l'arrêt R. c. Bernshaw [1995] 1 R.C.S. 254, la Cour suprême a déclaré ce qui suit, au paragraphe 49 de son jugement :

Le test de détection routier est un moyen utile de confirmer ou de rejeter un soupçon relativement à la perpétration d'une infraction de conduite avec facultés affaiblies en contravention de l'art. 253 du Code.

Les victimes comptent sur votre appui.

Honorables sénateurs, j'espère que vous vous joindrez à moi pour appuyer le projet de loi S-230 afin qu'il soit renvoyé à la Chambre des communes pour y être adopté le plus rapidement possible, au nom de toutes les victimes de conduite avec facultés affaiblies.

 

Haut de page