La Loi sur le droit d'auteur
Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Ajournement du débat
7 juin 2016
L’honorable Sénateur Peter Harder, c.p. :
Honorables sénateurs, je suis heureux de pouvoir prendre la parole aujourd'hui à propos du projet de loi C-11, c'est-à-dire, comme je l'ai indiqué, la Loi modifiant la Loi sur le droit d'auteur. Les changements prévus dans le projet de loi sont à la fois ciblés et importants. Je voudrais décrire brièvement ces changements, mais permettez-moi avant tout de vous expliquer le problème que l'on cherche à résoudre.
Près d'un million de Canadiens sont totalement ou partiellement aveugles. De plus, environ 3 millions de Canadiens ont une déficience qui leur rend difficile la lecture des imprimés, notamment des livres. Par exemple, les personnes atteintes de la maladie de Parkinson peuvent être incapables de tenir ou de manipuler un livre. Le nombre de personnes concernées devrait augmenter à mesure que la population vieillit. Les Canadiens doivent être capables de lire et d'accéder à l'information pour participer pleinement à la vie sociale, et pourtant, il existe une pénurie majeure de livres accessibles pour les personnes qui sont aveugles ou qui ont un autre problème les empêchant de lire des imprimés. Parmi l'ensemble des livres publiés chaque année, seulement environ 7 p. 100 sont disponibles sous une forme accessible pour les personnes souffrant d'un handicap visuel.
Lorsqu'on parle de supports accessibles, on entend la reproduction de publications sur un support qui permet à une personne ayant une déficience de lecture des imprimés d'avoir accès à ce contenu. Il existe divers types de supports substituts. Le braille est le système international de lecture utilisé pour les personnes aveugles. Il y a aussi les livres imprimés à gros caractères, qui aident les malvoyants.
Les supports audio donnent accès aux documents imprimés du fait qu'ils sont lus à haute voix par un dispositif de lecture. Il existe aussi diverses technologies d'assistance que les personnes ayant une déficience de lecture des imprimés peuvent utiliser.
Il y a sur le marché des livres parlés et des livres numériques, mais ces supports ne répondent pas toujours aux besoins des personnes aveugles ou ayant une déficience de lecture des imprimés. Par exemple, nombre de livres parlés ou numériques sont difficiles d'utilisation pour une personne aveugle ou ayant une déficience de lecture des imprimés. Une des raisons de cette lacune vient de ce que les lois sur le droit d'auteur ne sont pas harmonisées entre pays, et il est donc difficile d'obtenir certaines publications étrangères.
Le Traité de Marrakech a été négocié afin de régler ce problème. Le document établit des normes internationales qui régissent les exceptions aux lois internationales sur le droit d'auteur afin d'autoriser la production, la distribution, l'importation et l'exportation de livres sur support accessible. Il s'agit de faciliter la circulation mondiale de documents accessibles, dans l'intérêt des Canadiens et autres personnes ayant une déficience de lecture des imprimés, dans le monde entier.
Je suis fier de parrainer ce projet de loi au Sénat et je suis impatient de voir nos lois sur le droit d'auteur harmonisées avec les règles du Traité de Marrakech.
Permettez-moi maintenant de décrire brièvement les changements que le projet de loi propose d'apporter à la Loi canadienne sur le droit d'auteur.
La Loi sur le droit d'auteur du Canada a été modernisée en 2012 pour tenir compte de l'évolution du contexte numérique. Notre Loi sur le droit d'auteur prévoit déjà des exceptions pour permettre la reproduction d'ouvrages sur des supports accessibles. Toutefois, la loi actuelle ne répond pas entièrement aux exigences du traité. Un petit nombre de changements ciblés s'imposent donc pour que les exceptions déjà prévues correspondent aux règles du Traité de Marrakech.
Le projet de loi apportera d'importants changements à la Loi canadienne sur le droit d'auteur pour que nous puissions satisfaire aux exigences du traité. Premièrement, le projet de loi autorisera la production de livres en gros caractères, qui ne figurent pas pour l'instant parmi les exceptions au droit d'auteur prévues dans la loi canadienne.
Deuxièmement, le projet de loi réduira les contraintes imposées à l'importation de documents accessibles. Il existe à l'heure actuelle une restriction dans les dispositions du Canada en matière d'exportation, et cette restriction est liée à la nationalité de l'auteur. Seules les œuvres d'auteur canadien ou d'auteur citoyen du pays de destination peuvent être exportées. Le projet de loi élimine ces contraintes relatives à la nationalité de l'auteur.
Troisièmement, le projet de loi modifie les contraintes concernant la disponibilité commerciale. Il permet aux éditeurs qui décident d'offrir leurs livres sur support accessible de les vendre sur le marché. Pour cette raison, le projet de loi reconnaît que, lorsqu'un livre existe sur un support accessible qui répond aux besoins de la personne souffrant d'une déficience, la version commerciale de ce livre devrait être achetée.
Pour le marché international, une contrainte est également imposée. Dans le cas des exportations à destination de pays qui sont partie prenante au Traité de Marrakech, il incombera aux titulaires du droit d'auteur de prouver que des exemplaires de leur œuvre sur support accessible sont déjà vendus dans ces pays, pour empêcher l'exportation d'exemplaires vers ces pays. Les titulaires du droit d'auteur sont les plus à même de déterminer si leurs œuvres sont disponibles dans le commerce dans les pays étrangers.
Un autre important changement proposé dans le projet de loi vise à réduire les obstacles à l'accès à des contenus protégés par un verrou numérique. La Loi sur le droit d'auteur comprend des interdictions visant la désactivation de mesures techniques de protection, c'est-à-dire les verrous numériques, sous réserve de certaines exceptions et notamment dans le cas des personnes ayant une déficience perceptuelle. Le Traité de Marrakech exige que les pays membres veillent à ce que les mesures de protection juridiques pour les verrous numériques et les lois n'empêchent pas les utilisateurs de se prévaloir des exceptions prévues pour les personnes incapables de lire les imprimés.
La modification proposée toucherait les exceptions relatives aux verrous numériques pour les personnes ayant une déficience perceptuelle afin d'éliminer de possibles obstacles, en particulier une condition voulant que le verrou ne soit pas indûment désactivé. Bref, le projet de loi précise que la désactivation des verrous numériques est acceptable en autant qu'il s'agit d'accorder l'accès à des personnes ayant une déficience perceptuelle et de permettre aux personnes ayant une déficience perceptuelle, ou à ceux qui les aident, de se prévaloir des exceptions prévues à leur intention.
Grâce à ce projet de loi, la Loi canadienne sur le droit d'auteur sera précisée de façon à indiquer que certains organismes sans but lucratif, par exemple des bibliothèques, peuvent fournir des exemplaires en format accessible ou donner accès à de tels exemplaires directement aux personnes autorisées qui se trouvent à l'extérieur du Canada. Ils ne peuvent toutefois le faire que si la personne autorisée a présenté sa demande par l'entremise d'un organisme sans but lucratif dans le pays de destination.
Le projet de loi élargit les exceptions ciblant les documents en format accessible pour les personnes ayant une déficience perceptuelle déjà désignées dans nos lois, mais il prévoit aussi des mesures de protection pour encourager les titulaires du droit d'auteur à offrir des versions commerciales et à continuer de faire respecter leurs droits.
La Loi canadienne sur le droit d'auteur ainsi modifiée comprendrait les mesures de protection suivantes pour les titulaires du droit d'auteur. Comme je l'ai dit précédemment, les contraintes relatives à la disponibilité commerciale font en sorte que les exceptions ne joueront pas si des exemplaires en format accessible sont déjà offerts sur le marché.
Deuxièmement, la désactivation de verrous numériques sera autorisée dans le seul but d'aider les personnes ayant une déficience perceptuelle.
Troisièmement, des mesures supplémentaires protégeant les droits moraux feront en sorte que les utilisateurs respecteront l'intégrité de l'œuvre et la réputation du créateur lorsqu'ils produiront et fourniront des exemplaires adaptés.
Enfin, des recours seront encore mis à la disposition des titulaires du droit d'auteur pour les aider à faire respecter leurs droits et à lutter contre les pirates informatiques.
Lorsque le Traité de Marrakech sera en vigueur, les organisations qui produisent des exemplaires d'ouvrages en format accessible, par exemple en braille ou en version audio, pourront profiter de la mise en commun des ressources. Ces avantages ne découleront pas uniquement de l'accès à des œuvres d'art. Ils viendront aussi de l'accès à un plus large éventail d'ouvrages, dont des traités et des documents de recherche, pour élargir les possibilités offertes aux personnes ayant une déficience perceptuelle.
La mise en œuvre du Traité de Marrakech devrait constituer une priorité pour le Canada, parce que la création d'un milieu plus inclusif pour les Canadiens ayant une déficience reflète nos valeurs collectives et ouvre des perspectives à tous les Canadiens.
Les bibliothèques, les établissements d'enseignement et les organisations qui aident les personnes ayant une déficience visuelle ou une déficience de lecture des imprimés en tireront parti et seront mieux en mesure d'appuyer l'éducation et l'emploi des personnes ayant des déficiences. Le Canada a ici l'occasion de faire montre de leadership sur la scène internationale en contribuant à mettre le traité en œuvre.
Le traité n'entrera en vigueur que lorsque 20 pays l'auront ratifié ou y auront adhéré. Jusqu'à maintenant, 17 pays ont ratifié le traité ou y ont adhéré. Même si le Canada n'a pas signé le traité avant l'échéance de juin 2014, le gouvernement précédent et le gouvernement actuel ont exprimé ouvertement leur appui à son égard, tout comme l'ont fait tous les partis à l'autre endroit.
S'il était parmi les 20 premiers pays à adhérer au traité, le Canada manifesterait son appui de façon concrète en jouant un rôle essentiel dans son entrée en vigueur. Dans ce but, l'étude au Parlement du projet de loi C-11, qui donnerait force de loi au traité et autoriserait le Canada à y adhérer officiellement, s'est faite de façon accélérée avec l'appui unanime des députés. Compte tenu de l'importance de cette initiative pour les personnes ayant une déficience de lecture des imprimés, de la possibilité pour le Canada d'agir de façon positive sur la scène internationale, et des avantages que le traité procurera aux Canadiens dès son entrée en vigueur, je presse tous les sénateurs d'appuyer l'adoption rapide de cet important projet de loi.
L'honorable Wilfred P. Moore : Le sénateur accepterait-il de répondre à une question?
Le sénateur Harder : Certainement.
Le sénateur Moore : C'est un projet de loi très intéressant. Jusqu'à présent, 17 pays ont adhéré au traité, et il en faut 20 pour qu'il entre en vigueur. Je songe à l'aspect linguistique. Le traité couvre-t-il la plupart de nos principaux partenaires commerciaux comme les États-Unis et l'Angleterre, ou est-ce aussi un traité qui inclut notamment nos artistes et nos auteurs francophones?
Le sénateur Harder : Je n'ai pas la liste des pays qui ont adhéré au traité. Je peux confirmer que le traité a été négocié par l'entremise de l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle, basée à Genève, et qu'il s'applique à une foule d'intervenants et de langues.
Le sénateur Moore : Si nous adhérons au traité, y a-t-il des candidats pressentis pour les deux autres adhérents? Sommes-nous près de l'objectif?
Le sénateur Harder : Les fonctionnaires responsables me disent que notre adhésion serait perçue comme un autre incitatif à atteindre l'objectif, et que cela encouragerait les assemblées législatives qui ne l'ont pas encore fait à apporter les modifications nécessaires à cet égard.
Le sénateur Moore : Avons-nous une idée de l'échéancier dont nous disposons? Je sais que nous sommes à l'étape de la deuxième lecture, mais pouvons-nous espérer mettre en œuvre ce traité pendant l'année civile en cours? Qu'en pense le gouvernement?
Le sénateur Harder : C'est une très bonne question, honorable sénateur. À l'autre endroit, toutes les étapes de l'étude ont été franchies en une seule séance. Le gouvernement espère que ce projet de loi recevra la sanction royale très bientôt, si le Sénat y consent, bien entendu.