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Le Code criminel

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture

3 juin 2016


L’honorable Sénateur Peter Harder, c.p. :

Honorables sénateurs, c'est avec beaucoup d'humilité et une très grande fierté à l'endroit de cette assemblée que j'interviens pour participer au débat. La semaine que je viens de vivre ici a été incroyable, et je sais que c'est aussi le cas pour bon nombre d'entre vous qui avez parlé de votre expérience dans ce domaine.

Au cours du présent débat, nous avons pu voir à l'œuvre la force de la raison et des arguments. Nous avons aussi pu voir la force, tout aussi puissante, de nos sentiments et de nos vécus personnels. En tant que législateurs, nous avons le devoir de faire la synthèse de la raison, de la logique, des anecdotes et des sentiments pour arriver en fin de compte à nous former une opinion individuelle qui, au fil de nos travaux, se conjuguera aux opinions des autres sénateurs pour façonner notre perspective collective.

C'est dans ce contexte que je prends la parole pour participer au présent débat, dont les origines se trouvent dans l'arrêt Carter, comme nous le savons tous. La Cour suprême a demandé au gouvernement, au Parlement, de donner suite à cet arrêt dans un délai d'un an. Puis, pour les raisons que le sénateur Patterson a bien décrites et qui découlent des circonstances particulières de l'année dernière, qui a été une année de changement au Parlement, celui-ci n'a pas eu le temps qu'il aurait normalement eu pour satisfaire à l'exigence de la Cour suprême. Je suis d'avis que, dans le temps dont le Parlement et le gouvernement disposaient, ils sont parvenus à susciter une large participation des parlementaires, des autres acteurs, des gouvernements provinciaux et territoriaux, des populations visées, des personnes handicapées et des juristes. Au Parlement, l'autre Chambre est parvenue, compte tenu de son mode de fonctionnement, à examiner une série de positions et d'amendements pour, en fin de compte, faire le choix, d’une façon non partisane, d'adopter le projet de loi qui nous est maintenant soumis et au sujet duquel nous devons nous acquitter de nos responsabilités.

Je ne vois pas comment nous pourrons terminer notre étude du projet de loi autrement qu'en définissant une position autour de laquelle pourra se constituer un consensus non traditionnel qui transcendera les allégeances partisanes au Sénat. Il nous incombera, au cours des prochains jours, de trouver un mécanisme nous permettant d'y parvenir.

Je tiens à vous dire qu'à mes yeux, cela fait également partie de mes obligations. Je m'engage à collaborer avec vous du mieux que je pourrai, conformément au rôle que je dois jouer, afin que ce projet de loi soit l'occasion, pour le Sénat, de faire la preuve de sa capacité de remplir de son mandat dans le respect des normes les plus élevées qui s'y rattachent.

Des voix : Bravo!

Le sénateur Harder : Bien que certains diront que l'examen parlementaire a été fait à la hâte, le débat a été long; il a été lancé il y a 23 ans, avec l'affaire Rodriguez, et on a fait référence à de nombreuses reprises aux travaux des comités sénatoriaux, en particulier à ceux des sénateurs Nancy Ruth et Larry Campbell, au travail effectué dans les forums de politique publique par les instituts et les groupes professionnels sur toute la question de l'aide médicale à mourir et à la façon dont la société doit composer avec cette nouvelle manière de voir les choses, pas nécessairement dictée par les tribunaux au départ, mais par la société même.

Je dirais que le projet de loi dont nous sommes saisis est un projet de loi démocratique, en ce sens qu'il propose une approche équilibrée et qu'il reflète les divers points de vue des parties concernées et des Canadiens de partout au pays. Je crois que le projet de loi, en ce moment historique, constitue la bonne approche pour notre pays à l'heure actuelle.

Pour la première fois dans l'histoire canadienne, le droit pénal permettrait aux médecins et aux infirmiers praticiens de fournir une aide médicale afin que les patients en voie de mourir, dont les souffrances sont intolérables, puissent mourir paisiblement sans devoir subir une mort lente ou douloureuse. Le projet de loi C-14 inscrirait dans le Code criminel les garanties rigoureuses que la Cour suprême, dans l'arrêt Carter, considérait comme essentielles pour protéger les personnes les plus vulnérables.

Le projet de loi établirait également le cadre d'un régime de surveillance pancanadien qui nous permettrait de recueillir les données requises pour évaluer adéquatement la mise en œuvre de l'aide médicale à mourir.

Le projet de loi est le fruit d'un examen minutieux des besoins sur le plan de l'autonomie personnelle, de l'accès aux services de soins de santé, de la protection des personnes vulnérables et de la liberté de conscience des fournisseurs de soins de santé.

Avec le projet de loi C-14, le gouvernement vise à exempter les fournisseurs de soins de santé des dispositions du Code criminel concernant le suicide assisté et l'homicide, afin de leur permettre d'offrir ou d'aider à offrir une aide médicale à mourir, comme l'a déterminé la Cour suprême.

Le projet de loi définit les critères d'admissibilité à l'aide médicale à mourir. Certaines mesures de protection doivent être prises pour garantir que ces critères sont respectés et que la demande est bel et bien faite sans contrainte. Cela est extrêmement important pour protéger les populations vulnérables. Comme l'a déclaré la ministre de la Santé durant la séance en comité plénier, le projet de loi établit l'obligation de surveiller la prestation de l'aide médicale à mourir pour que nous sachions comment elle se déroule au Canada.

Nous pouvons être certains que le projet de loi appuie l'autonomie des patients en fin de vie tout en protégeant les personnes les plus vulnérables de la société. Il est juste de dire que le projet de loi va trop loin selon certains et qu'il demeure trop timide aux yeux des autres. Certains sénateurs ont demandé notamment ce que signifie l'expression « mort naturelle raisonnablement prévisible ».

Il ne faut pas oublier que ce critère doit être considéré en même temps que tous les autres, qui exigent que la personne soit atteinte d'une maladie, d'une affection ou d'un handicap graves et incurables; que sa situation médicale se caractérise par « un déclin avancé et irréversible de ses capacités » et que son état lui cause des souffrances physiques ou psychologiques persistantes qui lui sont intolérables et qui ne peuvent être apaisées dans des conditions qu'elle juge acceptables.

Le caractère raisonnablement prévisible de la mort naturelle correspond au moment où, étant donné tous les facteurs contribuant au problème de santé de la personne, il est devenu assez clair que celle-ci se dirige inéluctablement vers la mort, même en l'absence de diagnostic clair ou précis sur l'évolution de la maladie ou le temps qu'il lui reste. Ce critère indique clairement l'intention du projet de loi : offrir l'option de l'aide médicale à mourir aux personnes capables dont l'état se caractérise par un déclin irréversible vers la mort.

Dans certains cas, la mort peut être prévisible en raison d'un problème de santé mortel. Toutefois, la mort peut aussi être prévisible en raison d'une combinaison de circonstances et de conditions, dont aucune, prise isolément, n'est mortelle ou ne risque de causer la mort.

La ministre de la Santé a expliqué aux honorables sénateurs que les professionnels de la santé disposent des connaissances, de la formation et de l'expérience professionnelles nécessaires pour évaluer l'ensemble des circonstances pouvant conduire à la mort naturelle d'un patient. Les critères forment un tout qui a été conçu dans le but d'orienter et d'aider les fournisseurs de soins médicaux à évaluer l'admissibilité d'un patient, tout en leur accordant la souplesse nécessaire pour faire preuve de jugement clinique.

Cependant, les évaluations de ce genre ne relèvent pas d'une science exacte. C'est pourquoi le projet de loi prévoit d'autres mesures de protection, comme le fait d'exiger que les fournisseurs de soins agissent avec la connaissance, les soins et l'habilité raisonnables et en conformité avec les lois, les règles ou les normes provinciales applicables, et que le patient soit évalué par deux médecins ou infirmiers praticiens.

Pour ce qui est de la liberté de conscience, le gouvernement s'est engagé à collaborer avec les provinces et les territoires pour mettre sur pied un système de coordination des soins de fin de vie, qui permettrait d'établir un équilibre efficace et pratique entre, d'une part, la liberté de conscience des médecins et, d'autre part, les intérêts des Canadiens souhaitant avoir accès à l'aide médicale à mourir. Je signale également que le Comité de la justice et des droits de la personne a amendé le projet de loi C-14 pour que le préambule fasse état plus clairement de la liberté de conscience, pour qu'une disposition du Code criminel souligne l'importance de la liberté de religion et de conscience garantie par la Charte et pour qu'il soit précisé dans le corps même du projet de loi que rien n'oblige qui que ce soit à agir contre ses convictions profondes.

Le cadre régissant l'aide médicale à mourir au Canada doit tenir compte d'un certain nombre de facteurs, dont, bien entendu, notre cadre constitutionnel et le fait que les Canadiens vivent dans un pays très vaste, qui compte des régions éloignées et rurales, puisque c'est sur ces facteurs que reposera la mise en œuvre d'une approche valide sur le plan constitutionnel.

D'un bout à l'autre du pays, les infirmiers praticiens fournissent un éventail complet de services de santé de grande qualité, tout particulièrement dans les régions éloignées et rurales, où il manque de médecins.

Selon l'Association des infirmières et infirmiers du Canada, on envoie depuis longtemps du personnel infirmier en pratique avancée desservir les besoins en matière de soins de santé primaires des 9 millions de personnes habitant dans des collectivités rurales ou éloignées. Neuf millions de personnes, c'est un quart de la population canadienne. C'est l'une des raisons pour lesquelles le projet de loi C-14 prévoit des exemptions pour que les médecins autant que les infirmiers praticiens puissent offrir l'aide médicale à mourir. Les infirmiers praticiens, ou autres infirmiers de désignation équivalente, sont autorisés dans bien des provinces à assumer des fonctions médicales nécessaires pour offrir une aide médicale à mourir. À l'instar de leurs collègues médecins, les infirmiers praticiens ont un grand champ d'activités et disposent de l'autonomie et de l'indépendance nécessaires pour effectuer une évaluation de l'état de santé, poser un diagnostic et proposer un traitement en fonction des besoins du patient, dont l'aide médicale à mourir.

Exclure les infirmiers praticiens de la responsabilité pénale, comme le projet de loi cherche à le faire, donnerait aux provinces et aux territoires une autre option pour faciliter l'accès à l'aide médicale à mourir dans les régions mal desservies.

En ce qui concerne les demandes anticipées, nous nous sommes intéressés aux initiatives mises en œuvre à l'étranger et aux résultats de celles-ci. Des trois pays d'Europe où on a le droit de faire une demande anticipée d'aide médicale à mourir, seuls les Pays-Bas autorisent les personnes conscientes, mais incapables d'exprimer leur volonté, comme les patients atteints de démence ou de la maladie d'Alzheimer, à présenter une telle demande. En Belgique et au Luxembourg, une demande anticipée est seulement autorisée lorsque la personne est inconsciente et que son état est jugé irréversible.

Soyons clairs : ce n'est pas ce que cherchent les partisans des demandes anticipées au Canada. D'après l'expérience des Pays-Bas, il semblerait que les médecins sont en général réticents à administrer une aide médicale à mourir aux patients atteints de démence lorsque ceux-ci ne sont plus en mesure d'exprimer leur volonté. Voilà qui soulève de sérieuses questions sur la perspective d'autoriser une procédure que les médecins et les infirmiers praticiens au Canada risquent de ne pas vouloir effectuer.

L'Association médicale canadienne qui, comme vous le savez, représente 83 000 médecins au Canada, a fait écho à ces préoccupations. Elle a expliqué que, dans la pratique actuelle, même dans les situations les moins complexes, les directives anticipées sont extrêmement difficiles à appliquer. Ajouter l'aide médicale à mourir parmi les actes visés par des directives anticipées ne ferait rien pour simplifier les choses. L'AMC a souligné les difficultés potentielles qui pourraient être liées à l'exécution des demandes anticipées dans des circonstances d'une telle complexité, particulièrement au cours des premières années où les médecins devront s'habituer à fournir de l'aide médicale à mourir. De l'avis de l'AMC, il sera vraisemblablement fort difficile pour de nombreux médecins de souscrire à cette pratique.

Voilà pourquoi le gouvernement s'est engagé à examiner cette question complexe. Je tiens également à féliciter le Comité de la justice et des droits de la personne de l'autre endroit d'avoir amendé le projet de loi de façon à ce que les ministres soient tenus de faire réaliser une étude indépendante sur la question dans les 180 jours suivant la sanction royale.

Enfin, je souligne qu'il est crucial que cette mesure législative fédérale soit mise en place dans les meilleurs délais. Le 7 juin, il n'y aura pas de cadre législatif fédéral sur l'aide médicale à mourir au Canada. Par conséquent, mis à part au Québec, aucune mesure de sauvegarde aussi explicite que le Code criminel et aucun système de surveillance pour la collecte de données ne seront en place alors que la Cour suprême a statué que ces éléments étaient nécessaires pour réduire les risques d'abus et d'erreurs.

L'incertitude quant à l'admissibilité à l'aide médicale à mourir demeurerait étant donné que les juristes, les universitaires et les tribunaux continuent d'être en désaccord sur la signification des paramètres énoncés dans l'arrêt Carter. Cette situation entraînerait un manque d'uniformité dans l'application de l'aide médicale à mourir à l'échelle du pays, et cette imprécision sur le plan juridique quant à la portée de l'exemption pénale créée dans l'arrêt Carter pourrait inciter certains médecins à refuser d'aider leurs patients à mourir alors qu'ils seraient autrement disposés à fournir une telle aide.

Comme la ministre de la Santé nous l'a dit ici même l'autre jour, cela pourrait avoir des incidences sur les Canadiens qui attendent d'avoir accès à l'aide médicale à mourir. Autrement dit, les droits des Canadiens qui souffrent sont inextricablement liés au fait de procurer une certitude juridique aux professionnels de la santé.

Plusieurs personnes ont affirmé, tant dans l'enceinte du Sénat qu'à l'extérieur, qu'il n'est pas nécessaire de tenir compte de l'échéance imposée par la Cour suprême puisqu'il existe des lignes directrices provinciales. Je reconnais que la Terre n'arrêtera pas de tourner en cas de non-respect de l'échéance, mais nous avons la responsabilité de reconnaître et de comprendre que les normes et les protections adoptées varient grandement selon les provinces et les territoires.

À titre d'exemple, le projet de loi C-14 contient des exemptions explicites à l'intention des infirmiers praticiens, d'autres fournisseurs et de personnes qui aident à offrir l'aide médicale à mourir à la demande expresse du patient. En comparaison, les lignes directrices publiées par les organismes de réglementation de la profession médicale ne touchent que les médecins.

Au Nouveau-Brunswick, en Nouvelle-Écosse et à Terre-Neuve, les personnes atteintes de troubles mentaux pourraient être admissibles à l'aide médicale à mourir. Dix provinces et territoires n'exigent pas que le demandeur réside sur leur territoire pour être admissible. En Ontario et en Colombie-Britannique, les lignes directrices ne mentionnent pas d'âge, ce qui laisse entendre qu'on pourrait étudier la demande d'un mineur mature. Le Québec, l'Île- du-Prince-Édouard, la Nouvelle-Écosse et Terre-Neuve ne précisent aucune période d'attente. Enfin, seulement deux administrations, l'Alberta et le Yukon, exigent deux témoins. La plupart des autres provinces et territoires n'en exigent qu'un, ou même aucun.

Bien que le débat juridique mérite tout notre respect, nous devons aussi tenir compte des besoins des patients et des fournisseurs de soins de santé. D'après de nombreux organismes — parmi lesquels l'Association des infirmières et infirmiers du Canada, l'Association médicale canadienne, l'Association canadienne de protection médicale et SoinsSantéCAN — les fournisseurs de soins de santé ne fourniront probablement pas d'aide médicale à mourir tant qu'il n'y aura pas de loi fédérale, ce qui bloquerait du coup l'accès à ces services, à l'opposé de ce que souhaitent la Cour suprême, de nombreux Canadiens et les honorables sénateurs. On craint grandement que l'absence de mesures de protection appropriées puisse mettre en péril des populations vulnérables.

Les associations médicales, les autorités médicales, les provinces et les territoires demandent au gouvernement fédéral de faire preuve de leadership dans ce dossier extrêmement complexe, et c'est exactement ce qu'accomplit le projet de loi C-14. Il établit un cadre national solide et trouve un juste équilibre entre l'autonomie des personnes aux prises avec des souffrances intolérables qui souhaitent mourir dans la quiétude, et la protection des personnes rendues vulnérables par l'âge, la maladie, un handicap ou d'autres facteurs comme la solitude.

Honorables sénateurs, à l'instar du sénateur Sinclair, je suis d'avis que le projet de loi est constitutionnel et conforme à la décision Carter. Il respecte la Charte, mais utilise une formulation dont la portée est plus vaste dans une langue que les patients et les fournisseurs de soins comprennent. Le gouvernement et l'autre endroit reconnaissent qu'il s'agit simplement d'un point de départ. Ils n'attendront pas le moment de l'examen obligatoire pour entreprendre les études indépendantes dont il est question dans la mesure législative.

Selon moi, le projet de loi dont nous sommes saisis satisfait aux critères d'un projet de loi démocratique. Il découle de vastes consultations qui n'ont pas été faites à la hâte en l'espace de quelques mois, mais dans le contexte général du débat tenu au Canada sur la question au cours des dernières décennies.

Nous avons l'obligation d'honorer l'engagement pris, le projet de loi ayant été adopté avec un appui bipartite. Nous devons mettre en place le plus rapidement possible un régime législatif conforme à la décision de la Cour suprême et entreprendre sans tarder la collecte de données et les études indépendantes.

Au cours des dernières décennies, les baby-boomers — ce qui inclut certains d'entre nous — ont défini toutes les questions d'intérêt public propres à leur génération. Je ne doute pas qu'il continuera d'en être ainsi. Par conséquent, le Parlement et le Sénat continueront d'examiner cette question et les autres qui se rapportent à la fin de la vie et au traitement des aînés en tenant compte de l'évolution de notre mode de pensée et de nos considérations sociales, de ce que nous aurons appris de la recherche et des données recueillies ainsi que des consultations effectuées, qui constitueront le fondement de nos futurs choix en matière de politiques publiques. L'expérience des prochains mois et des prochaines années fera en sorte que nous serons appelés à réétudier la question et à prendre de nouvelles mesures.

Le sénateur Cowan : Le sénateur Harder accepterait-il de répondre à une question?

Le sénateur Harder : Oui.

Le sénateur Cowan : Tout d'abord, je vous remercie de votre discours réfléchi. Je pense que nous sommes tous d'accord : beaucoup d'aspects de ce projet de loi méritent d'être appuyés, car il renferme beaucoup de bonnes dispositions.

Cela dit, je crois que ce qui préoccupe bon nombre d'entre nous, ce sont les aspects qui n'y figurent pas. Je pense que c'est la sénatrice Lankin qui a mentionné une chose qui m'a frappé. Ce qui m'inquiète, c'est que, à première vue, dans sa forme actuelle, le projet de loi fait une distinction entre divers groupes de Canadiens qui, pourtant, vivent les mêmes souffrances. Elle a donné l'exemple suivant. Supposons que deux personnes, l'une qui est âgée et l'autre qui est plus jeune, ont exactement le même handicap et exactement les mêmes souffrances intolérables. Elles souhaitent toutes les deux se prévaloir de l'aide médicale à mourir. Puisque l'une d'entre elles est plus âgée et que, pour cette raison, sa mort risque donc de survenir plus tôt, elle peut avoir accès à l'aide médicale à mourir, tandis que l'autre personne, elle, devra vivre avec ses souffrances pendant des mois ou des années, ou encore pendant une période indéterminée. À mon avis, c'est discriminatoire. Je pense que nous estimons tous que c'est injuste; à tout le moins, cela provoque un malaise.

Ici, dans cette enceinte, les ministres nous ont dit que le gouvernement a décidé d'offrir l'aide médicale à mourir seulement aux personnes dont la mort approche, qui sont en route vers la mort, afin qu'elles puissent s'éteindre paisiblement. Par contre, nous devons nous soucier tout autant des personnes qui devraient avoir droit à l'aide médicale à mourir compte tenu des critères d'admissibilité qui sont énoncés au paragraphe 127 de l'arrêt Carter.

Donc, si le gouvernement se soucie véritablement de ces personnes et des droits qui leur sont conférés par la Charte, comme ce devrait être le cas, au lieu de leur interdire l'accès à l'aide médicale à mourir, comme le prévoit le projet de loi, pourquoi n'envisage-t-il pas la possibilité de créer des mesures de protection supplémentaires pour veiller à ce qu'il n'y ait aucune influence indue et à ce que chacune puisse donner son consentement éclairé? Pourquoi ne leur donnerions-nous pas accès à l'aide médicale à mourir en prévoyant des mesures de protection supplémentaires, au besoin, même si je ne suis pas convaincu que c'est nécessaire? Si de telles mesures sont nécessaires, au lieu de priver ces Canadiens de leurs droits constitutionnels, pourquoi ne les autorisons-nous pas à exercer leur droit en les protégeant grâce à des mesures de protection supplémentaires?

Le sénateur Harder : Je remercie l'honorable sénateur de sa question. Avant d'y répondre, je tiens à souligner que je ne fais pas partie du ministère, et que je ne peux donc rien dire sur les délibérations qui y ont certainement eu lieu. Cependant, selon mes discussions avec les ministres — et les questions posées en comité plénier, bien sûr —, je peux dire, premièrement, que les ministres ont fait appel à nous et nous ont encouragés à considérer les critères d'admissibilité comme un tout cohérent qui ferait partie de l'évaluation.

Deuxièmement, la structure du projet de loi porte à croire que, compte tenu des changements importants qu'implique la mise en place de l'aide médicale à mourir, nous devrions répondre par la mise en place d'un régime qui ne tient pas compte de toutes les questions de politique publique qui restent encore à éclaircir.

Cela dit, le projet de loi prévoit que la résolution de ces questions de politique publique devrait s'appuyer sur des données et des consultations ainsi que sur un échéancier défini dans le projet de loi.

Pour conclure, à mon avis, et de l'avis de la procureure générale du Canada et d'autres érudits qui ont été cités — je ne parle évidemment pas de ceux qui sont d'un autre avis —, ce projet de loi est un point de départ qui répond aux exigences de la Charte. Je suggère donc que nous commencions à le mettre en œuvre, tout en reconnaissant que la tâche sera ardue, et à protéger le plus rapidement possible le droit établi par la Cour suprême.

Le sénateur Cowan : Je reconnais que cela suppose un processus et que le gouvernement accepte que d'autres études s'imposent à certains égards. Le comité mixte a eu certes de vraies inquiétudes concernant les mineurs matures, le consentement préalable et la question de la compétence en ce qui concerne les personnes atteintes d'une maladie mentale.

L'autre jour, la ministre de la Justice a déclaré que le gouvernement avait l'intention de limiter l'accès aux mourants. Or, cette distinction n'apparaît nulle part dans l'arrêt Carter, dans la décision de la Cour d'appel de l'Alberta, dont nous avons abondamment parlé, ou dans les décisions de divers autres tribunaux au Canada. Le gouvernement nous demande donc de reconnaître les droits de certains Canadiens qui endurent des souffrances intolérables et de reporter à une date ultérieure l'étude des mêmes droits pour les Canadiens qui ne sont pas mourants. Cela me paraît injuste et inutile.

La simple reconnaissance des critères énoncés dans ce paragraphe de la décision Carter, auquel nous avons si souvent fait allusion, permettrait de résoudre certains problèmes. Pourquoi ne dirions- nous pas tout simplement que la Cour suprême du Canada a établi que les Canadiens qui répondent à ces critères sont admissibles, sous réserve de toutes les mesures de protection prévues dans le projet de loi? Ne pourrions-nous pas également ajouter des dispositions visant la protection des personnes vulnérables? Pourquoi n'utiliserions- nous pas un libellé très clair qui ne fait pas de discrimination entre les Canadiens dont les droits constitutionnels ont été confirmés? C'est sur ce point que j'achoppe, sénateur Harder.

Le sénateur Harder : Encore une fois, je vous remercie de votre question. C'est une question dont nous avons beaucoup débattu en comité plénier avec la procureure générale et la ministre de la Santé. Je rappellerai simplement que le gouvernement du Canada a élaboré un cadre de politiques publiques qu'il estime conforme à la Charte et qui prévoit un régime d'admissibilité facile à comprendre et inclusif, qu'il est sûr de voir accepté par la communauté des praticiens.

Le sénateur Plett : Le sénateur accepterait-il de répondre à une autre question?

Le sénateur Harder : Oui.

Le sénateur Plett : Sénateur Harder, vous avez parlé brièvement de l'objection de conscience. Je crois que vous avez dit que le libellé indique que « la présente loi n'a pas pour effet ».

Or, la précision dit : « Il est entendu que le présent article n'a pas pour effet [...] ». La précision ne s'applique même pas à la loi. Le paragraphe 241.2(9) se lit comme suit :

Il est entendu que le présent article n'a pas pour effet d'obliger quiconque à fournir ou à aider à fournir l'aide médicale à mourir.

À mon avis, pas le moindre avocat, même ceux qui appuient cet amendement, ne peut croire que cette phrase aura une importance pratique.

Il n'y a peut-être rien dans ce paragraphe qui oblige une personne à fournir ou à aider à fournir l'aide médicale à mourir, mais, ce qui est plus important, il n'y a rien qui empêche la province d'obliger quelqu'un à offrir une aide au suicide.

L'Ontario forcera les médecins à aiguiller le patient vers un collègue disposé à offrir l'aide médicale à mourir à moins que le projet de loi ne l'interdise clairement. En tant que gouvernement fédéral, ne pouvons-nous pas créer des règlements de la santé pour les provinces? Je ne veux pas insinuer que nous devrions nous mêler de ce qui relève des compétences provinciales, mais nous inscrivons une exemption dans le Code criminel pour qu'un suicide assisté qui se déroule conformément à ces paramètres ne soit pas considéré comme un meurtre.

J'ai donc deux questions : en quoi n'incombe-t-il pas au gouvernement fédéral de déterminer ces paramètres? En tant que législateurs, ne devons-nous pas protéger les témoins qui ont comparu au comité et qui nous ont expressément demandé d'inclure l'objection de conscience dans l'exemption du Code criminel, de sorte qu'ils ne soient pas forcés d'aiguiller un patient vers un autre médecin et, essentiellement, d'approuver le suicide assisté?

Le sénateur Harder : Je remercie le sénateur de sa question et de son intérêt soutenu à l'égard du droit à la liberté de conscience. Je respecte le travail que vous avez fait avec un vaste éventail d'intervenants au Canada dans ce dossier. Je me suis entretenu avec le gouvernement à ce sujet.

Le gouvernement, les constitutionnalistes et les juristes estiment que le passage dont vous parlez a été ajouté par souci de clarté, car nous pensons que la liberté de conscience est protégée par d'autres dispositions du projet de loi. Toutefois, pour plus de clarté, ce passage a été ajouté.

Les constitutionnalistes jugent que les mesures de sauvegarde que prévoit le projet de loi permettent au gouvernement fédéral d'aller aussi loin qu'il le peut sans empiéter sur les compétences provinciales. L'exemple que vous donnez à propos du Code criminel relève évidemment du fédéral.

Je veux aussi parler, toutefois, de l'engagement qui a été pris. La ministre de la Santé nous a dit, au comité plénier, qu'elle s'engageait à collaborer avec ses homologues provinciaux, car cette question ne relève pas de sa compétence. Le gouvernement du Canada veut toutefois que la mise en œuvre de la loi par les provinces soit la plus uniforme possible. Il veut aussi que, dans ce contexte, la liberté de conscience soit protégée ou, du moins qu'on en discute.

Le sénateur Plett : Le sénateur Sinclair a dit hier que 50 p. 100 des avocats ont tort. C'est la même chose pour les constitutionnalistes. Ils défendent les deux positions; par conséquent, 50 p. 100 d'entre eux ont tort. Admettons que ceux qui jugent que le projet de loi est constitutionnel ont raison.

Au comité plénier, les deux ministres ont clairement dit vouloir que la mesure législative soit appliquée de façon uniforme dans l'ensemble du pays. C'est du Code criminel qu'il s'agit. Elles veulent que la mesure législative soit mise en œuvre uniformément au Canada. La ministre a exprimé son intention de collaborer avec ses homologues provinciaux, mais il pourrait arriver qu'il y ait de multiples lois différentes, peut-être 5, peut-être même 10 ou 11. Pour que ces lois soient harmonisées, il faut que le gouvernement fédéral ait son mot à dire. D'ailleurs, la question le concerne parce qu'il est question du Code criminel.

Le sénateur Harder : Nous vivons dans une fédération, et quand les deux ordres de gouvernement de cette fédération ont divers rôles à jouer, il est toujours difficile de mettre en œuvre des politiques publiques ou des pratiques administratives, car il faut prendre soin de respecter les compétences de chacun et faire en sorte que les intérêts des citoyens soient toujours bien servis par leurs gouvernements.

Le Code criminel est de compétence fédérale. Les soins de santé, eux, sont de compétence provinciale, tout comme la réglementation des organismes concernés.

Je suis conscient — et la ministre en est certainement consciente elle aussi — du fait que les gens souhaitent que les choses soient le plus uniformes possible. Notre fédération a réussi à évoluer en respectant les compétences de chacun, et nous faisons de notre mieux à l'intérieur du cadre fédéral pour maintenir un certain niveau de cohérence et de prévisibilité.

(1240)

Je crois que le projet de loi assure l'équilibre entre la protection du droit à la liberté de conscience des fournisseurs de soins et l'accès à ce droit par les citoyens de l'ensemble du pays.

Le sénateur Joyal : Le sénateur accepterait-il de répondre à une autre question?

Sénateur Harder, vous avez entendu les sénateurs exprimer leurs préoccupations profondes et authentiques relatives à l'incidence du projet de loi C-14 dans sa forme actuelle pour les Canadiens qui vivent des souffrances intolérables, comme la sénatrice Petitclerc a su le décrire mieux que quiconque. Ces gens ont l'impression de subir de la discrimination de la part du gouvernement. Ce sentiment profond est omniprésent au Sénat.

Ne vaudrait-il pas mieux que le gouvernement se présente devant la Cour suprême lundi, puisque celle-ci avait prescrit un délai strict au Parlement, et lui demande de se prononcer sur la constitutionnalité du projet de loi pour veiller à ce que la décision du gouvernement ne soit pas discriminatoire?

Sénateur Harder, je crois que nous devons tirer des leçons de ce qu'a fait le gouvernement au sujet de la réforme du Sénat, qui faisait partie de la plateforme électorale du Parti conservateur lorsqu'il a été élu il y a plus de 10 ans. Les Canadiens lui avaient donné pour mandat de réformer le Sénat. Il fallait d'abord présenter un projet de loi pour restructurer le Sénat.

Certains d'entre nous, moi y compris, ont remis en question la constitutionnalité de cette initiative. Nous nous sommes relancé le débat d'une Chambre à l'autre et la question a été renvoyée au Comité des affaires juridiques et constitutionnelles. À un certain moment, même si le gouvernement était conseillé par le ministère de la Justice — les mêmes avocats qui ont conseillé le gouvernement libéral sur la constitutionnalité de son initiative —, le gouvernement précédent a, à mon avis, pris la bonne décision en renvoyant l'affaire à la Cour suprême.

Nous avons obtenu une décision de la cour qui, à mon avis, est probablement la décision la plus utile pour déterminer la nature de notre institution et son évolution.

Sur une question aussi délicate que la vie et la mort, ne serait-il pas sage et judicieux, lundi prochain, de s'adresser à la Cour suprême et de dire : « Nous avons fait de notre mieux et nous voulons être certains que cette mesure répond aux attentes des Canadiens, que c'est une bonne mesure et qu'elle est conforme à la Constitution »?

Je pense que cela donnerait aux Canadiens la certitude qu'ils attendent de la part d'un gouvernement — qui est, comme vous le savez, en territoire inconnu — pour accepter ce projet de loi. Je ne pense pas que le gouvernement essuierait des critiques négatives, car ce sur quoi nous nous penchons ici est le plus grand don de tous, la vie, et ce que nous faisons de la nôtre.

Le sénateur Harder : Je remercie l'honorable sénateur de sa question et, pour tout dire, de ses conseils.

Il ne m'appartient pas, bien sûr, de prendre des engagements au nom du gouvernement en réponse à votre question, mais je peux vous garantir que votre question et votre suggestion seront portées à son attention.

Je pense que, du point de vue du gouvernement, il serait préférable que, lundi, le Sénat poursuive son bon travail et s'emploie à se faire une opinion commune, mais c'est au Sénat d'en décider et, finalement, au gouvernement de déterminer s'il suivra votre suggestion. J'espère que nous pourrons avancer dans nos travaux et je veillerai à transmettre votre suggestion.

L'honorable Art Eggleton : Il a beaucoup été question des directives anticipées dans ce débat et, à ce propos, le projet de loi propose d'étudier plus à fond le sujet et de recueillir plus d'information.

La Chambre a d'ailleurs amendé le texte afin qu'il précise que l'examen portant sur cette question devra être lancé au plus tard dans les 180 jours suivant la sanction royale, et la sénatrice Lankin a laissé entendre que nous devrions peut-être aussi fixer une date limite. Bref, l'aspect temporel de la chose semble avoir été pris en considération.

Il ne faut pas en conclure pour autant qu'un projet de loi sera présenté. Il ne manque pas d'excellents rapports qui finissent par prendre la poussière sur une tablette. Cela dit, nous sommes aujourd'hui saisis du projet de loi C-14. Comment pouvons-nous être sûrs qu'un projet de loi modificatif portant sur les demandes anticipées sera présenté un jour?

Le sénateur Harder : Je ne peux pas vous le garantir. Je peux seulement vous parler de ce qui se trouve actuellement dans le projet de loi et vous assurer que, s'il est adopté, un examen indépendant sera lancé dans un laps de temps prédéterminé et que cet examen sera accompagné de vastes consultations. Maintenant, j'imagine qu'on peut présumer que ces consultations serviront à alimenter la discussion publique et qu'elles pourraient mener à un changement législatif.

Vous parlez de directives anticipées. Dans mon allocution, j'ai parlé de ce qui se fait aux Pays-Bas. J'ai lu le rapport qui a été publié dans la revue de la société de gériatrie sur l'expérience néerlandaise concernant les directives anticipées, et je suis convaincu que c'est exactement le genre de document qui intéressera les responsables du futur examen indépendant. On y souligne notamment à quel point cette question est complexe et on y parle d'une série de facteurs qui devraient faire l'objet d'une réflexion plus approfondie.

Comme j'ai tenté de le faire valoir à la fin de mon allocution, les enjeux relatifs à l'aide médicale à mourir et à la qualité de vie des aînés n'iront pas en se simplifiant. Ils risquent au contraire de se complexifier et de toucher de plus en plus de sujets, peut-être même d'une manière que nous ne pouvons pas encore imaginer. Je ne vois pas comment, sénateur Eggleton, le processus politique pourrait défaillir si les conseils judicieux qui nous seront prodigués donnent lieu à des recommandations sensées et favorisent la mobilisation publique.

Son Honneur le Président : Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

La sénatrice Raine : Est-ce que je pourrais vous demander, à titre de représentant du gouvernement au Sénat, de présenter une demande pour que le Sénat effectue une étude sur la question des directives anticipées?

Le sénateur Harder : Cette demande pourrait être faite soit au moyen d'un amendement, soit par moi dans le cadre de mon rôle. Honnêtement, les deux solutions me conviendraient. Je laisserai donc les sénateurs prendre cette décision.

Le sénateur Lang : Je veux revenir à la question sur les directives établies par les provinces et les territoires. Comme vous vous en souvenez, au cours du débat, j'ai signalé que je croyais que le projet de loi serait plus restrictif que les directives établies par les provinces et les territoires et que l'accès à l'aide médicale à mourir serait plus limité s'il était adopté que s'il ne l'était pas.

D'après votre étude des directives médicales des provinces et des territoires, croyez-vous que ces derniers devront modifier leurs directives pour s'adapter à ce qui est prévu dans le projet de loi C- 14, s'il est adopté?

Le sénateur Harder : De toute évidence, je ne peux pas parler au nom des provinces, mais je crois que, sauf avis contraire, elles tenteront d'inclure des directives anticipées dans leurs régimes respectifs, mais qu'il y aura un manque d'uniformité.

 

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