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Le Code criminel

Projet de loi modificatif—Troisième lecture—Suite du débat

9 juin 2016


L’honorable Sénateur Claude Carignan :

Honorables sénateurs, hier, nous avons adopté un amendement présenté par le sénateur Joyal, qui modifie la définition des personnes admissibles à l'aide médicale à mourir afin de rendre le projet de loi C-14 conforme à la décision de la Cour suprême dans l'arrêt Carter.

Grâce à l'adoption de cet amendement, nous avons ainsi donné accès à l'aide médicale à mourir à un groupe de personnes qui endurent des souffrances intolérables, mais dont la mort n'est pas raisonnablement prévisible.

Cependant, comme c'est un droit qui ne peut s'exercer qu'une seule fois, nous devons faire les choses correctement.

C'est donc un droit fondamental et constitutionnel particulier, car c'est un droit que nous ne pourrons exercer qu'une seule fois.

Aujourd'hui, nous amorçons une discussion aussi cruciale que celle d'hier, puisque nous allons tenter de déterminer le cadre des mesures d'accessibilité permettant de protéger cette classe de personnes qui se voient reconnaître le droit à l'aide médicale à mourir.

Nous devons prévoir certaines mesures de protection pour que nous puissions garantir à ces personnes l'accès et le droit à l'aide médicale à mourir tout en les protégeant si elles sont vulnérables. L'objectif est donc de mettre en place un cadre et un régime permettant de garantir à la fois la liberté de choix et des protections.

Nous devons voir à ce qu'il y ait un ensemble complet et rigoureux de mesures de sauvegarde afin de répondre aux préoccupations soulevées tout au long de ce débat. Nous devons décider quelles seront les mesures de sauvegarde qui distingueront le Canada des autres endroits où l'aide à mourir est légale.

Qui seraient les personnes admissibles? Qui devons-nous protéger?

J'aimerais d'abord expliquer pourquoi nous parlons d'une « classe de personnes ». En effet, les personnes dont nous avons parlé hier vivent toutes une réalité particulière.

Leurs caractéristiques personnelles, leurs maladies et leurs souffrances sont distinctes. Leur mort pourrait survenir après 10, 20 ou 30 ans de souffrance. L'absence d'une mort imminente, donc une douleur prolongée pouvant se prolonger des années avant la mort, fait en sorte que leurs conditions exigent un mécanisme de protection distinct qui doit être adapté à leur situation personnelle et médicale propre.

La loi prévoit déjà des mesures de protection, des mesures de sauvegarde. Elle est appropriée. Nous le verrons, à la suite de nos discussions, lorsque nous serons rendus au thème des mesures de protection. La loi prévoit déjà des mesures qui, à mon avis, sont adaptées aux personnes en fin de vie. Toutefois, les personnes qui ne sont pas en phase terminale font également face à des risques d'abus, de manipulation et de pression indue d'une manière différente des personnes qui sont sur le point de mourir. Par exemple, la pression que l'on peut exercer sur elles pour les presser à mourir peut être plus insidieuse et moins facile à déceler. De plus, la manipulation peut s'étendre sur une plus longue période.

Dans les paragraphes 114 et 115 de l'arrêt Carter de la Cour suprême, il y a une liste de possibles sources d'erreurs. Permettez- moi d'en citer un extrait :

[...] l'affaiblissement des facultés cognitives, la dépression ou d'autres maladies mentales, la coercition, l'abus d'influence, la manipulation psychologique ou émotionnelle, le préjudice systémique (envers les personnes âgées ou les handicapés) et la possibilité d'ambivalence ou de diagnostic erroné comme facteurs susceptibles de passer inaperçus ou de causer des erreurs dans l'évaluation de la capacité.

Le juge conclut donc à des possibilités de vulnérabilité sur une base individuelle. Ainsi, une législation équilibrée qui donne accès à l'aide médicale à mourir doit également offrir une protection.

Comme chaque cas est unique, la solution serait de faire une distinction, d'effectuer des mesures de protection en fonction de chacun des groupes selon la nature individuelle de la personne. Il doit y avoir une évaluation personnalisée de la situation des gens qui ne sont pas en fin de vie. C'est pourquoi les mesures de protection pour les personnes malades, handicapées, qui souffrent de façon intolérable, mais dont la mort n'est pas prévisible, doivent être adaptées à la réalité de chacun. Chaque cas devient différent, et cette différence signifie que les critères à examiner dans le cadre d'une demande d'aide médicale à mourir doivent être subjectifs et, ainsi, évalués au cas par cas. Je propose donc un modèle d'autorisation de vérification judiciaire qui serait exercée par une cour supérieure.

Comme nous avons pu le voir dans les affaires soumises aux cours supérieures pendant la prolongation du délai de quatre mois, cette méthode était impartiale et équilibrée et permettait une surveillance individuelle.

Comme nous l'avons vu dans le jugement Carter 2, la Cour suprême nous donne l'indication qu'une mesure de sauvegarde pourrait, par exemple, être une autorisation judiciaire permettant d'évaluer les cas individuellement pour protéger les personnes vulnérables.

Cette mesure est possible. C'est une mesure qui permet de qualifier la personne pour qu'elle ait accès à l'aide médicale à mourir, mais c'est une mesure qui protège également les personnes vulnérables. Un juge pourrait donc accorder l'accès à l'aide médicale à mourir s'il est convaincu que deux médecins indépendants et un psychiatre confirment que la personne a été informée à la fois de sa condition médicale, du pronostic quant à sa condition médicale, de son espérance de vie, lorsqu'il est possible de le déterminer, des soins palliatifs qui pourraient apaiser ses souffrances et des risques associés à l'aide médicale à mourir. Un psychiatre pourrait attester de la capacité mentale de cette personne à prendre une décision éclairée.

Exiger de chaque personne qu'elle fasse appel devant la Cour supérieure équivaudrait à dresser un obstacle empêchant les personnes qui répondent aux critères d'admissibilité établis dans l'arrêt Carter d'avoir accès à l'aide médicale à mourir. Toutefois, nous devons faire une distinction entre les mourants et les personnes qui ont des souffrances intolérables, mais qui ne sont pas sur le point de mourir.

Comme nous l'avons vu au Québec et dans d'autres provinces, le terme « fin de vie » a un sens médical et juridique bien connu. Il désigne une période de la vie pendant laquelle le cas d'une personne peut être évalué. Les personnes qui n'en sont pas à la fin de leur vie doivent, elles, soumettre leur cas individuellement à un examen judiciaire pour déterminer si elles répondent aux critères.

Je cite l'ordonnance de 2016 de prolongation du délai subséquent à l'arrêt Carter :

Exiger l'obtention d'une autorisation judiciaire durant cette période intérimaire assure le respect de la primauté du droit et offre une protection efficace contre les risques que pourraient courir les personnes vulnérables.

Ce sera encore le cas pour les personnes qui ne seront pas près de mourir, mais qui souhaiteront obtenir de l'aide médicale à mourir et qui répondront aux critères que le projet de loi nous propose de définir au paragraphe 241.1(1) du Code criminel.

Nous ne devons pas exclure les personnes qui souffrent, mais, comme Peter Hogg l'a bien dit au comité, il y a lieu de prévoir des mesures de protection.

Le constitutionnaliste Peter Hogg a déclaré ce qui suit au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, et je cite :

Je crois qu'il pourrait élargir la catégorie de personnes ayant droit. Il pourrait ajouter d'autres mesures de sauvegarde.

Pour chacune de ces situations, comment évalue-t-on le caractère vulnérable des gens? Quelles sont les mesures à mettre en place pour nous assurer que leurs droits sont garantis, tout en protégeant les personnes vulnérables? Hier, en adoptant l'amendement du sénateur Joyal, nous avons élargi l'accès aux gens qui respectent les critères d'admissibilité de l'arrêt Carter. Aujourd'hui, je crois que nous devons commencer à étudier les conditions permettant à ces personnes d'avoir accès à l'aide médicale à mourir.

Dans le cas des personnes qui sont en fin de vie, je crois que les dispositions prévues dans le projet de loi peuvent être adaptées, mais dans le cas des personnes qui ne sont pas en fin de vie, nous devons prévoir un mécanisme. Or, qui dit mécanisme, dit une certaine forme de limite et, comme on le sait, une limite doit, dans un droit démocratique, respecter le test de la raisonnabilité qui est prévu à l'article 1 de la Charte canadienne des droits et libertés. Lorsqu'on fait le test de l'article 1 et qu'on identifie l'objectif urgent et réel que le législateur veut atteindre en mettant en place ces mesures d'accès ou de sauvegarde, on doit regarder l'objectif qui a été fixé.

Dans ce cas-ci, cet objectif est de protéger les personnes vulnérables, et nous devons nous demander si ces mesures portent préjudice ou ont un effet quelconque sur les personnes qui veulent exercer leur droit constitutionnel. Si on veut équilibrer ces droits, il m'apparaît que, dans le cas des personnes qui ne sont pas en fin de vie, l'autorisation judiciaire est la meilleure façon d'y arriver. Le législateur avait choisi l'interdiction totale, la prohibition totale pour les personnes de ce groupe. La Cour suprême a déjà dit que cela n'était pas raisonnable, que ce n'était pas le principe d'atteinte minimale. Je propose donc qu'un juge analyse les demandes, au cas par cas, à l'aide de l'évaluation d'un médecin et d'un psychiatre.

Enfin, hier, nous avons défini un groupe délimité par la croyance raisonnable d'une mort naturelle ou prévisible. Aujourd'hui, mon amendement propose une notion de fin de vie calquée sur la loi québécoise, qui a commencé à faire la preuve de son applicabilité dans le temps et qui est connue dans le milieu médical comme étant aisément applicable.

Motion d'amendement

L'honorable Claude Carignan (leader de l'opposition) : C'est pour cette raison, honorables sénateurs, que je propose :

Que le projet de loi C-14, tel que modifié, ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu'il soit modifié à l'article 3 :

a) à la page 6 :

(i) par adjonction, après la ligne 2, de ce qui suit :

« (1.1) En plus des critères exigés au paragraphe (1), la personne qui n'est pas en fin de vie peut recevoir l'aide médicale à mourir seulement avec l'autorisation d'un juge d'une cour supérieure.

(1.2) Le juge accorde l'autorisation prévue au paragraphe (1.1) s'il est convaincu, à la fois :

a) que la personne remplit les critères prévus au paragraphe (1);

b) que deux médecins indépendants confirment que la personne a été informée, à la fois :

(i) de sa condition médicale,

(ii) du pronostic quant à sa condition médicale et, si elle est connue, son espérance de vie,

(iii) des soins palliatifs pouvant apaiser ses souffrances,

(iv) des risques associés à l'aide médicale à mourir;

c) qu'un psychiatre indépendant confirme que la personne a la capacité à fournir un consentement éclairé à l'aide médicale à mourir. »,

(ii) par adjonction, après la ligne 35, de ce qui suit :

« c.1) s'assurer que la personne qui n'est pas en fin de vie a obtenu l'autorisation visée au paragraphe (1.1); »;

b) à la page 8 :

(i) par substitution, aux lignes 11 et 13, de ce qui suit :

« praticien qui fournit l'aide médicale à mourir, ni celui qui donne l'avis visé à l'alinéa (3)e), ni l'un ou l'autre des médecins qui donnent la confirmation visée à l'alinéa (1.2)b), ni le psychiatre qui donne la confirmation visée à l'alinéa (1.2)c) ne peut :

a) conseiller l'un des autres dans le cadre d'une relation de »,

(ii) par substitution, à la ligne 21, de ce qui suit :

« c) savoir ou croire qu'il est lié à l'un des autres ou à la per- ».

Le but de cette modification est de faire en sorte que, lorsque le médecin arrive à l'article qui détermine la démarche qu'il doit suivre pour donner l'aide médicale à mourir, il s'assure que la personne qui n'est pas en fin de vie a obtenu l'autorisation judiciaire prévue au paragraphe (1.1).

Par la suite, il s'agit de modifications de concordance qui, évidemment, assurent une meilleure applicabilité de la loi.

 

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