Aller au contenu

Le Programme de contestation judiciaire

Interpellation—Suite du débat

13 décembre 2016


L’honorable Sénatrice Raymonde Gagné :

L'ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur l'interpellation de l'honorable sénatrice Chaput, attirant l'attention du Sénat sur le Programme d'appui aux droits linguistiques, l'importance d'assurer un financement public pour des recours en justice visant une société juste et équitable et l'urgence pour le gouvernement fédéral de rétablir le Programme de contestation judiciaire.

La sénatrice Gagné : Honorables sénateurs, je participe aujourd'hui à l'interpellation lancée par la sénatrice Maria Chaput au sujet du Programme d'appui aux droits linguistiques. La sénatrice Chaput avait attiré l'attention du Sénat sur ce sujet en décembre dernier, à la suite de l'annonce de la décision du gouvernement fraîchement élu de rétablir le Programme de contestation judiciaire. Je prends la parole à ce sujet aujourd'hui, parce qu'il y a eu des développements dans ce dossier depuis que l'interpellation a été lancée, et je crois qu'il est utile et pertinent que le Sénat, comme Chambre du Parlement chargée de protéger les minorités, en soit informé.

Notons d'abord que le dernier budget fédéral, déposé au printemps 2016, prévoyait 5 millions de dollars par an pour financer le Programme de contestation judiciaire. Le Comité permanent de la justice et des droits de la personne de l'autre endroit a aussi décidé, le 23 février dernier, d'entreprendre une étude sur l'accès en matière de justice sur plusieurs phases, la première consistant justement à effectuer un examen du Programme de contestation judiciaire.

Mon intention n'est pas de m'attarder sur chacune des recommandations de ce rapport, mais bien de soulever les principes qui les sous-tendent et qui ont une signification particulière pour nous, au Sénat. Je crois qu'il est opportun de réitérer l'importance absolue de ce programme, mais aussi de lancer la réflexion sur son contenu et ses modalités.

Premièrement, le Comité permanent de la justice et des droits de la personne de l'autre endroit recommande, dans la section D de son rapport, un élargissement de la portée du programme, comparativement à sa dernière itération. Dans ses trois dernières recommandations au sujet du Programme de contestation judiciaire renouvelé, le comité recommande de permettre, aussi, le financement de contestations fondées sur les lois fédérales, comme la Loi sur les langues officielles et, bien sûr, le financement de contestations fondées sur des obligations linguistiques énoncées dans d'autres lois fédérales. Il s'agit de la recommandation no 11.

De plus, il recommande le financement de contestations fondées sur l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés dans les causes autonomes relatives au droit à l'égalité. C'est la recommandation no 12. En outre, le comité recommande de financer la contestation de lois provinciales et territoriales, pourvu que les causes aient une portée et des répercussions nationales. C'est la recommandation no 13. Cet élargissement de la portée serait, selon moi, une avancée positive, toute demande de financement étant assujettie à une étude de l'importance et de la pertinence du recours.

Une autre recommandation du comité, la deuxième, soulève des doutes dans mon esprit. Le comité recommande que le programme soit, et je cite :

[...] une entité indépendante et autonome [...]

[...] installée dans les locaux d'un ministère ou d'un organisme du gouvernement fédéral, comme la Commission canadienne des droits de la personne.

Le comité ajoute aussi ce qui suit :

[Qu'] au moment de choisir le ministère ou l'organisme indiqué, il doit être tenu compte des questions de capacité, d'accessibilité et de perception du public à l'égard de l'indépendance.

Or, je crois qu'il a lieu de s'attarder plus longuement sur cette proposition. Le gouvernement peut-il bien loger un programme qui finance des recours à son encontre?

Je me réjouis à l'idée que, dans un avenir rapproché, le Sénat ou son Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles auront fort probablement à se pencher sur ces questions, au sujet des modalités d'un nouveau Programme de contestation judiciaire.

Je souhaite, quant à moi, attirer votre attention surtout sur un aspect particulier du programme qui a été soulevé par cette étude et qui touche, selon moi, à la raison d'être du Sénat. Tous les intervenants, et le comité également, reconnaissent l'importance d'assurer la pérennité du programme. Le comité note que, depuis sa création à la fin des années 1970, le Programme de contestation judiciaire a été aboli deux fois et que son administration a été transférée à quelques reprises.

Soulignons aussi que la mise en place de l'actuel Programme d'appui aux droits linguistiques — pour certains, connu sous l'acronyme PADL — est, quant à elle, due à un règlement à l'amiable intervenu entre le gouvernement et la Fédération des communautés francophones et acadienne, justement à la suite de la décision du gouvernement d'abolir le Programme de contestation judiciaire. Rappelons que ce programme est même appelé, dans les médias, « the oft-cancelled Court Challenges Program. »

Le comité recommande que le Programme de contestation judiciaire soit consacré par la loi afin d'en améliorer la pérennité et de faire en sorte que tout gouvernement souhaitant l'annuler soit tenu d'obtenir l'approbation du Parlement. La sénatrice Chaput avait apporté cette même proposition lors de son discours sur cette interpellation en décembre 2015, citant le juriste Michel Doucet. Je souscris pleinement à cette proposition. Le rétablissement d'un tel programme, qui touche l'exercice et l'évolution des droits protégés par la Charte, mérite une loi du Parlement. La question doit être étudiée par les deux Chambres du Parlement. Il ne faut pas oublier que le Programme de contestation judiciaire a été aboli en raison d'une décision d'un ministre sans qu'il y ait eu de vote au Parlement.

Le comité rejette l'idée d'inscrire le Programme de contestation judiciaire à la Constitution, en raison des complications inhérentes aux modifications à la Constitution, ainsi que l'idée de doter ce programme d'une fondation ayant son propre fonds de dotation, en raison des coûts importants qui y seraient associés. Le comité reconnaît que la simple promulgation d'une loi n'est pas la solution parfaite, car une loi peut être défaite par une autre. Je souligne ici, chers collègues, le rôle particulier qu'aurait à jouer le Sénat dans ce dossier.

Si, effectivement, un Programme de contestation judiciaire rétabli par une loi du Parlement est un jour menacé d'abolition par un nouveau projet de loi, je crois qu'il pourrait revenir à notre Chambre de s'assurer que raison soit entendue et que le gouvernement, indépendamment de toute idéologie politique à laquelle il adhère, reconnaisse l'importance de ce droit qu'ont les citoyens non seulement de recourir aux tribunaux afin de clarifier et d'élargir des droits, mais aussi d'avoir les ressources nécessaires pour le faire.

Le droit à la justice ne doit pas être seulement théorique, et le gouvernement, comme garant de la paix, de l'ordre et de la bonne gouvernance, doit veiller à ce que l'accès à la justice soit pratiquement réalisable. Le Programme de contestation judiciaire n'est pas une panacée, mais il demeure un élément essentiel.

Vous comprendrez, honorables sénateurs, la crainte que soulève en moi le menu législatif d'un gouvernement qui sèmerait des obstacles sur le chemin de ceux qui souhaitent recourir aux tribunaux.

Le dernier rapport annuel du Programme de contestation judiciaire, celui de 2006-2007, avant que le programme soit aboli, l'expliquait ainsi, et je cite :

Les droits et libertés énoncés dans la Charte doivent avoir un sens, une raison d'être. Seuls les tribunaux, gardiens de la Constitution, sont habilités à définir la portée et le sens de nos droits et libertés. Si les parties lésées ne peuvent avoir recours aux tribunaux, que reste-t-il de l'accès à la justice ou de la protection de nos droits et libertés fondamentaux?

Sauf à quelques rares exceptions, une démarche juridique contre le gouvernement est assez inégale. Peu de justiciables ont les ressources nécessaires pour s'opposer au gouvernement. Ceci est encore plus vrai pour les personnes vulnérables qui souhaitent invoquer la Charte pour dénoncer une discrimination quelconque. Comment justifier, dans ce contexte, de vouloir priver ces justiciables d'un certain appui financier? Ceci ne trahit-il pas une certaine insécurité quant à la qualité des lois en cause? Il y a de quoi faire réfléchir le Sénat, cette Chambre qui a la mission de veiller aux intérêts des minorités de ce pays.

Des voix : Bravo!

Haut de page