Projet de loi sur le cannabis
Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Suite du débat
1 février 2018
L’honorable Sénatrice Raymonde Gagné :
Honorables collègues, je remercie d’abord notre collègue, le sénateur Dean, qui, en tant que parrain du projet de loi C-45, s’est assuré d’abord et avant tout d’en favoriser et d’en encourager l’étude par tous les sénateurs, et ce, en pleine connaissance de cause.
À la base de ce projet de loi, il y a la reconnaissance du fait que la consommation des produits du cannabis est très répandue au pays et qu’il est dans l'intérêt public qu’elle soit réglementée, tant pour des raisons de santé que de sécurité publique. C’est une position éminemment rationnelle et, pour toutes les raisons invoquées par les sénateurs Pratte et Gold lors de leur discours, j’appuie le projet de loi C-45. Je profite de l’étape de la deuxième lecture de celui-ci pour attirer l’attention de la Chambre et du gouvernement sur l’enjeu de la prévention et de la sensibilisation du public, particulièrement en ce qui a trait au schéma fiscal proposé.
L’un des enjeux clés auxquels le gouvernement veut répondre avec le projet de loi est la mainmise de groupes criminels sur la vente des produits du cannabis. Dans sa proposition de cadre du droit d’accise sur les produits du cannabis, publié en novembre dernier, le ministre des Finances expliquait ce qui suit, et je cite :
Le niveau de taxation proposé a pour objet de maintenir les prix à un bas niveau de manière à éliminer le marché noir, conformément à la discussion des ministres des Finances qui s’est déroulée au mois de juin dernier.
Dans ce même document, le gouvernement fédéral avançait ceci, et je cite :
[…] le taux combiné de taxation de la matière florifère de cannabis contenue dans l’emballage final d’un produit ne devrait pas dépasser le plus élevé des montants suivant : 1,00 dollar par gramme, ou 10 % du prix de vente du producteur.
Notons que, dans l’État du Colorado, la taxe imposée est d’environ 30 p. 100 et que, dans l’État de Washington, elle est de 37 p. 100.
Le contrôle sur le taux de taxation est cependant une arme à double tranchant. Si on peut mieux s’attaquer au marché noir en limitant les taxes sur les produits, on perd aussi l’effet dissuasif que procurent des taxes d’accise élevées sur des produits jugés nocifs. Le parallèle avec les produits de l’alcool et du tabac est fort utile et porte à réflexion.
Dans son rapport sur l’état de la santé publique au Canada en 2015, l’administrateur en chef de la santé publique expliquait ce qui suit, et je cite :
La fixation des prix et la taxation sont des outils qui peuvent décourager l’achat d’alcool et par conséquent réduire les répercussions sociales et sanitaires associées à l’alcool, en particulier la conduite avec facultés affaiblies et les crimes associés à l’alcool. L’augmentation du prix minimal est l’une des méthodes les plus efficaces, capable de faire diminuer la consommation, les décès liés à l’alcool et les admissions en centre hospitalier.
Le même principe s'applique en matière de tabagisme. En effet, selon un rapport récent produit pour Santé Canada par le professeur David Levy, de l’Université Georgetown, ce sont les taxes qui ont le plus grand effet dissuasif sur la consommation des produits du tabac. Des études et des sondages effectués au Canada démontrent aussi que la consommation de cigarettes est moins élevée dans les provinces où les taxes sur les cigarettes et le prix des cigarettes sont plus élevés.
Dans son rapport, le professeur Levy encourage une hausse des taxes sur les produits du tabac, car la consommation de ceux-ci ne recule plus aussi rapidement que nous le souhaiterions aujourd’hui. Notons que le gouvernement fédéral s’était engagé, en mars 2017, à réduire le taux des fumeurs à moins de 5 p. 100 de la population d’ici 2035, alors que le taux actuel est de plus de 14 p. 100. Or, le taux de taxation des produits du tabac se situe en ce moment à près de 68 p. 100 du prix de vente, et le rapport de M. Levy recommande que celui-ci soit porté à 80 p. 100. Nous sommes bien loin du taux de 10 p. 100 proposé par le gouvernement fédéral pour les produits du cannabis.
(1530)
Nous savons que la consommation des produits du cannabis a des effets importants sur les jeunes âgés de 14 à 25 ans. Selon le Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances, ce sont les adolescents qui sont, et je cite :
[…] particulièrement susceptibles de subir des méfaits liés à la consommation de marijuana, car leur cerveau connaît un développement rapide et intensif.
L’usage chronique de cannabis est associé à des troubles de l’attention, de la mémoire et du raisonnement, surtout parmi ceux qui ont commencé leur consommation au début de l’adolescence. Aux fins de la santé publique, nous pouvons donc juger les produits du cannabis comme étant eux aussi des produits nocifs, particulièrement pour les jeunes.
Ce n’est pas la légalisation en soi qui pose problème. En faisant la lutte au marché noir, je crois que le gouvernement portera un coup important au trafic qui s’effectue présentement dans nos écoles secondaires et même dans nos écoles primaires. Il retirera du marché des produits de moindre qualité qui contiennent des substances dangereuses ou douteuses. Cependant, le gouvernement doit être prêt, en parallèle, à fixer des objectifs de réduction de consommation des produits du cannabis, particulièrement chez les jeunes, et d’investir massivement en faveur de l’éducation et de la sensibilisation sans jamais justifier une absence de tels investissements en alléguant les faibles revenus tirés des taxes d’accise.
À cet égard, le schéma de taxation proposé soulève plusieurs questions qui méritent réflexion, puisque les revenus projetés ne semblent pas suffisants pour répondre aux différents enjeux auxquels on peut s’attendre, particulièrement en matière de prévention et de sensibilisation.
À l’étape de l’étude en comité, il serait pertinent de poser les questions suivantes : puisque le gouvernement a décidé de ne pas se servir de l’outil le plus efficace qu’on connaît en matière de dissuasion de la consommation, par quelles mesures souhaite-t-il y compenser? Si la sensibilisation et l’éducation demeurent les outils de choix du gouvernement pour décourager la consommation des produits du cannabis chez les jeunes, comment le gouvernement entend-il financer de telles campagnes, particulièrement eu égard aux faibles recettes qu’il pourra collecter grâce aux taxes d’accise sur les produits du cannabis? Investira-t-il, à long terme, des sommes supplémentaires à celles perçues en taxes d’accise dans des campagnes de sensibilisation? Investira-t-il dans des études permettant d’évaluer l’efficacité de ces campagnes de santé publique et leur effet sur les connaissances, attitudes, pratiques et croyances des adolescents, des parents, des jeunes adultes et des consommateurs, et même des non-consommateurs? Fixera-t-il des objectifs afin de réduire la consommation récréative des produits de la marijuana comme il le fait pour le tabac, et par quels moyens prévoit-il y arriver?
Ce ne sont que quelques-unes des questions sur lesquelles le comité sénatorial chargé de l’étude de ce projet de loi pourra pousser sa réflexion quant à la mise en œuvre du projet de loi C-45, qui demeure un projet de loi important doté d’objectifs louables du point de vue de la santé et de la sécurité publiques. Merci.