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Projet de loi sur la modernisation des transports

Projet de loi modificatif—Message des Communes—Motion d’adoption des amendements des Communes et de renonciation aux amendements du Sénat—Ajournement du débat

7 mai 2018


L’honorable Sénatrice Raymonde Gagné :

Honorables sénateurs, je souhaite partager avec vous mes réflexions sur le message que nous avons reçu de l’autre endroit et sur certains amendements qui ont été rejetés.

On a fait grand bruit du nombre important d’amendements qu’a proposés le Comité sénatorial permanent des transports et des communications et de l’intransigeance du ministre, l’honorable Marc Garneau, qui a répété à plusieurs reprises qu’il souhaitait n’en voir aucun.

La réalité, bien sûr, est plus nuancée. Plusieurs des amendements faisaient partie d’une même proposition. Par exemple, j’ai proposé cinq amendements, mais qui ne visaient que deux sujets distincts. Je préfère donc parler de mes « deux amendements ».

Finalement, malgré sa position initiale, le ministre a approuvé certains amendements et en a modifié d’autres. Il faut saluer l’échange qui s’est tenu entre les deux Chambres. Nous pouvons affirmer que le projet de loi C-49 est meilleur aujourd’hui qu’il ne l’était lorsque le comité a entamé son étude.

Cependant, je souhaite m’exprimer au sujet de certains amendements qu’a proposés notre comité et qui ont été refusés à l’autre endroit, surtout parce que ceux-ci n’ont pas fait l’objet de débats au Sénat à l’étape de la deuxième ou de la troisième lecture.

(1820)

Parmi les deux amendements que j’ai proposés et que notre comité a approuvés, le premier portait sur la protection de la vie privée des travailleurs des compagnies ferroviaires. Cet amendement a d’ailleurs été élaboré de concert avec l’honorable sénateur Pratte, qui partageait plusieurs de mes préoccupations.

Le projet de loi C-49 inclut plusieurs mesures qui visent à améliorer la sécurité du transport ferroviaire, et son intention est louable. Parmi ces mesures, nous trouvons l’installation d’enregistreurs audio et vidéo dans les locomotives. Ces enregistrements permettront aux compagnies ferroviaires, à la suite de tout incident ou accident qui doit être rapporté au Bureau de la sécurité des transports, d’étudier ce qui s’est passé à l’intérieur de la locomotive. Dans ce contexte précis, l’atteinte à la vie privée des travailleurs semble justifiable.

[Traduction]

Le projet de loi C-49 va cependant plus loin. Il ne donne pas seulement accès aux compagnies ferroviaires aux enregistrements vidéo et audio relatifs à un incident ou accident, mais aussi à des enregistrements choisis au hasard sans lien avec aucun incident ou accident.

Les témoins n’ont pas été en mesure d’expliquer pourquoi l’obtention de ces autres enregistrements était nécessaire. Par conséquent, mon amendement visait à retirer aux compagnies ferroviaires l’accès à ces derniers enregistrements. Accorder un tel droit élargi à ces compagnies signifie véritablement pour les cheminots qu’ils sont surveillés en permanence, même quand il n’y a pas d’incident à signaler.

[Français]

Si l’objectif est d’améliorer la sécurité et les pratiques des entreprises ferroviaires, il me paraissait et me paraît toujours tout à fait raisonnable de limiter l’accès aux seuls enregistrements liés à des incidents et à des accidents. Ce matériel devrait suffire amplement aux compagnies ferroviaires pour leur permettre d’améliorer leurs pratiques.

Dans son message, la Chambre des communes rejette cet argument. Ce qui est problématique, c’est que nous ne saurons jamais si cet empiétement additionnel sur la protection de la vie privée des travailleurs était justifié.

Nous pouvons nous attendre à une amélioration des pratiques des compagnies ferroviaires en matière de sécurité, mais cette amélioration sera-t-elle la conséquence de l’étude des enregistrements liés aux incidents ou aux accidents, tel que je le crois, ou des enregistrements effectués de manière aléatoire?

Nous ne le saurons jamais. Il sera donc extrêmement difficile de retourner en arrière et de mieux défendre le droit à la vie privée. Cette question est encore plus difficile à traiter, puisque les compagnies ferroviaires, de l’aveu même de certains de leurs représentants et de la présidente du Bureau de la sécurité des transports, ont souvent adopté une approche axée sur la discipline plutôt que sur la prévention.

[Traduction]

Nous pouvons donc espérer une baisse des incidents et accidents ferroviaires. Sera-t-elle imputable à l’étude de vidéos liées à des incidents ou accidents, ou à des vidéos choisies de manière aléatoire aucunement liées à un quelconque incident? Nous pouvons logiquement en déduire qu’elle s’expliquera par la première assertion, mais nous ne le saurons en fait jamais, et il s’avérera finalement très difficile pour nous de réduire la surveillance et de mieux protéger les droits des travailleurs à la vie privée.

[Français]

En toute candeur et transparence, il n’est pas clair que cette disposition, que mon amendement souhaitait retirer, serait déclarée inconstitutionnelle par les tribunaux. Je ne peux pas m’avancer pour dire qu’il y a violation non justifiée d’un droit protégé par la Charte. Il était cependant de ma responsabilité, en tant que sénatrice, de tenter de faire pencher davantage la balance en faveur de la protection de la vie privée. Il est décevant que cet effort n’ait pas été entendu.

Le deuxième amendement que j’ai proposé visait à maintenir le droit de tierces parties, comme les groupes de protection des consommateurs, tout particulièrement, de porter plainte auprès de l’Office des transports pour toute violation de l’éventuelle charte des droits des voyageurs. La loi actuelle permet à des tiers de porter plainte en matière de transport aérien. La Cour suprême a même reconnu, en janvier dernier, après l’adoption du projet de loi C-49 à l’autre endroit, l’importance des plaintes déposées par des groupes d’intérêt public.

Dans l’affaire Delta Air Lines Inc. c. Lukács, la Cour suprême a jugé déraisonnable la décision de l’Office des transports de rejeter une plainte pour la seule raison que le plaignant n’avait pas été personnellement lésé. Pour la cour, une telle interprétation irait à l’encontre de l’esprit de la loi par laquelle le législateur avait voulu donner à l’office un large pouvoir de réparation. La cour ajoute qu’il serait déraisonnable d’interpréter le pouvoir discrétionnaire de l’Office des transports d’une manière qui l’empêcherait d’entendre des plaintes de tout groupe de défense de l’intérêt public.

Or, avec l’adoption du projet de loi C-49 tel qu’il est rédigé, le Parlement modifierait l’esprit réparateur de la loi, celui même que la Cour suprême du Canada a souligné et souhaité protéger tout récemment dans l’arrêt Delta Air Lines Inc. Cette limitation est aussi contraire à l’esprit du projet de loi lui-même, dont le but avoué est de renforcer plutôt que d’affaiblir le régime de protection des droits des voyageurs aériens.

Ce sont en fin de compte les voyageurs, surtout les plus vulnérables, qui seraient pénalisés par une telle approche limitative, puisque les plaintes déposées par les groupes de protection des consommateurs ont mené à des avancées majeures et historiques au profit des droits du public voyageur. Alors même que le projet de loi élargira et clarifiera la portée des droits des voyageurs, les articles 17 et 18 limiteront simultanément l’exercice de ceux-ci.

Encore une fois, je ne crois pas que les tribunaux pourront déclarer cette nouvelle limitation inopérante. Dans l’affaire Delta Air Lines Inc., la Cour suprême avait jugé que l’Office des transports avait mal interprété son pouvoir discrétionnaire d’entendre des tierces parties. Avec le projet de loi C-49, le gouvernement ne laisse tout simplement pas beaucoup de place à la discrétion, ce qui a trait au rôle des groupes d’intérêt public dans l’application de l’éventuelle charte des droits des voyageurs. Ils n’y ont pas leur place. On ne viole donc pas la loi, mais on dénature son esprit, qui se voulait réparateur.

À titre de sénatrice, je trouvais important de retirer cette nouvelle limitation injustifiée du projet de loi. Nous devons être vigilants lorsque des groupes plus vulnérables de la population risquent d’être touchés par une nouvelle loi. Sur cet amendement aussi, l’autre endroit a exprimé son désaccord.

La Chambre des communes a aussi opposé une fin de non-recevoir à un autre amendement, celui de l’honorable sénateur Cormier. Cet amendement était pourtant tout simple : il indiquait que, lorsque l’Office des transports entamera ses consultations pour élaborer, par règlement, la charte des droits des voyageurs, il devrait aussi traiter des obligations linguistiques des compagnies aériennes. L’amendement ne créait aucune nouvelle obligation linguistique. Il laissait à l’office le soin d’étudier et de traiter de la question. L’amendement visait surtout à faire en sorte que la question des langues officielles ne soit pas oubliée, comme c’est encore malheureusement trop souvent le cas.

Honorables collègues, la responsabilité de cette Chambre à l’égard de la protection de nos communautés de langue officielle est claire. L’amendement du sénateur Cormier, que l’autre endroit a rejeté, relevait pleinement du rôle que doivent jouer les sénateurs et du rôle de notre Chambre.

C’est donc avec une certaine perplexité que j’étudie le message que nous avons reçu au sujet du projet de loi C-49. Les amendements approuvés ont amélioré le projet de loi, sans contredit.

[Traduction]

L’amendement de l’honorable sénateur Don Plett sur l’interconnexion était nécessaire pour le secteur agricole, et l’amendement de la sénatrice Diane Griffin sur le soja aidera une industrie en plein essor au Manitoba et ailleurs.

[Français]

L’autre endroit a donc entendu raison sur certaines questions de politique publique et a maintenu sa position sur d’autres. Or, on a rejeté tous les amendements qui touchaient de près ou de loin à la protection des droits constitutionnels des minorités ou des groupes plus vulnérables de la population.

[Traduction]

Honorables collègues, je pense qu’il est temps d’adopter le projet de loi C-49, parce que certains de ses aspects sont assez pressants. De plus, je ne crois pas que, en refusant certains amendements, y compris les miens, l’autre endroit ait proposé une mesure législative qui est manifestement inconstitutionnelle ou qui nuit indûment à une région ou à une minorité. Cependant, je souhaite réaffirmer ma déception concernant la réponse reçue au sujet des amendements proposés par le Sénat, qui ont été déposés et adoptés précisément dans l’esprit de notre rôle complémentaire.

 

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