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Les universités régionales

Interpellation—Suite du débat

11 avril 2017


L’honorable Sénatrice Raymonde Gagné :

Honorables sénateurs, c'est avec beaucoup d'enthousiasme que je joins ma voix à celle de la sénatrice Tardif en ce qui a trait à l'importance des petites et moyennes universités pour nos communautés, nos régions et l'ensemble du Canada.

Pour ma part, je voudrais attirer votre attention sur la réalité, l'importance et les besoins particuliers des collèges et universités de la francophonie canadienne et sur leur contribution à l'inclusion et à la prospérité du Canada. Je crois que ces collèges et universités devraient être davantage reconnus et appuyés par le gouvernement fédéral.

Je vais vous expliquer en quoi le rôle et les besoins de ces établissements d'enseignement diffèrent de ceux de la majorité et vous donner quelques exemples de leur contribution à leurs collectivités respectives.

Les 21 collèges et universités de langue française sont tous situés dans des communautés francophones en situation minoritaire à l'extérieur du Québec. Pour ces communautés, chaque établissement représente un véritable pilier, qui contribue à leur croissance économique et culturelle en formant une main-d'œuvre bilingue hautement qualifiée. Ainsi, chaque collège et université de langue française joue un rôle essentiel pour assurer la vitalité et la durabilité de la communauté.

Les collèges et universités de la francophonie canadienne jouent donc un rôle de porte-étendards des langues officielles, de l'identité canadienne, de l'inclusion, du dynamisme et de la résilience de ces communautés et, ultimement, de la prospérité de notre pays.

Plusieurs de ces établissements d'enseignement, francophones ou bilingue, sont de plus petite taille et certains se trouvent dans des régions rurales. Ils offrent plus de 1 150 programmes d'études en français, accueillent plus de 42 600 étudiants et forment plus de 10 000 diplômés par année.

Ce qui distingue les établissements d'enseignement postsecondaire de la francophonie canadienne des autres établissements est ce double mandat qu'ils doivent assumer, soit celui d'offrir des programmes de formation postsecondaire de qualité à leurs clientèles et de contribuer directement à la vitalité de leurs communautés francophones minoritaires respectives.

En plus de ce double mandat, la plupart des collèges et universités de la francophonie canadienne se distinguent également par leurs cohortes d'étudiants plus petites, la compétition importante avec les plus grands et plus nombreux établissements anglophones, ainsi que les besoins spécifiques à leurs clientèles étudiantes, tant au niveau de leur recrutement, de leur rétention et de leur réussite.

Leurs clientèles étudiantes comprennent toutes personnes désireuses de poursuivre leurs études postsecondaires en français : les jeunes, les finissants et finissantes des écoles francophones et des programmes d'immersion française, les membres d'expression française des communautés de Premières Nations et de Métis, les immigrants, les étudiants internationaux et les adultes en apprentissage continu et du marché de l'emploi.

Depuis 2009, le gouvernement fédéral accorde chaque année un financement de 259,5 millions de dollars pour l'apprentissage de la langue seconde au primaire et au secondaire. Un montant correspondant n'est pas nécessairement disponible au niveau postsecondaire. Donc, bien qu'il y ait environ 380 000 jeunes Canadiens inscrits actuellement dans des programmes d'immersion de la maternelle à la 12e année, seuls 5 000 élèves ayant terminé ces programmes fréquentent un établissement postsecondaire de langue française. Il y a donc de grandes possibilités de croissance. Munis des ressources et d'un appui appropriés, les collèges et universités de langue française seront en mesure d'attirer cet important bassin inexploité de clients.

Les collèges et universités de la francophonie canadienne assurent la formation d'une main-d'œuvre francophone et bilingue hautement qualifiée. Le fait de maîtriser le français et la terminologie professionnelle en français dans un domaine permet en plus de saisir les occasions liées au développement de marchés étrangers à dominance francophone.

Selon une récente étude du professeur Kai Chan de l'Institut européen d'administration des affaires, le français serait la troisième langue des affaires dans le monde et fera toujours partie des langues les plus parlées au monde à l'horizon 2050, avec 750 millions de locuteurs. Il va sans dire que deux langues, c'est bon pour les affaires.

J'aimerais maintenant passer à l'enjeu de l'internationalisation des collèges et universités de la francophonie canadienne. S'il est vrai que le phénomène du vieillissement de la population touche le pays dans son ensemble, les pressions démographiques sont encore plus fortes sur les communautés minoritaires francophones. Elles courent le risque de ne plus avoir suffisamment de travailleurs disponibles pour y consolider une économie moderne axée sur les technologies. Les collèges et universités ont reconnu cette réalité et s'y sont adaptés. Aujourd'hui, le portrait démographique de leur population étudiante a beaucoup changé et est des plus diversifiés. Au cours des dernières années, ces collèges et universités ont accueilli de plus en plus d'étudiants internationaux et ont offert divers programmes de formation et d'employabilité aux immigrants d'expression française venus s'établir dans les communautés minoritaires francophones.

À titre d'exemple, les étudiants internationaux représentent maintenant 23 p. 100 de l'ensemble des effectifs étudiants de l'Université de Moncton, au Nouveau-Brunswick, plus de 10 p. 100 à l'Université Sainte-Anne, en Nouvelle-Écosse, et près de 25 p. 100 à l'Université de Saint-Boniface, au Manitoba.

Les collèges et universités de la francophonie canadienne veulent faire plus en matière d'éducation internationale et d'immigration pour assurer le développement socioéconomique de leurs collectivités. Toutefois, pour ce faire, les services de soutien devront être adaptés aux besoins de ces clientèles étudiantes qui possèdent des capacités langagières et des cultures des plus variées.

Les établissements postsecondaires de la francophonie canadienne génèrent d'importantes retombées économiques pour les communautés et leur province d'attache. Il s'agit de songer un instant à l'apport économique des 600 employés, 1 500 étudiants réguliers et 4 200 inscriptions d'étudiants adultes en formation continue à l'Université de Saint-Boniface, mon alma mater, dans une communauté d'environ 110 000 francophones et francophiles. De toute évidence, l'université génère un effet multiplicateur considérable.

Une récente étude d'impact économique, publiée le 8 mars dernier, démontre que l'Université de Moncton, ma deuxième alma mater, contribue pour plus de 1,6 milliard de dollars à la croissance du Nouveau-Brunswick et du Canada. En 2015, cette université a généré plus de 466 millions de dollars en ventes annuelles dans la province et plus de 237 millions de dollars au Canada, alors que la contribution des diplômés est estimée à près de 900 millions de dollars pour la même année.

La recherche fondamentale et appliquée réalisée dans les établissements d'enseignement postsecondaire de la francophonie canadienne en fait des pôles de recherche et d'innovation. On sait déjà que les communautés les plus prospères sont celles qui ont su se tourner vers l'économie du savoir. La capacité grandissante de recherche dans ces établissements favorise donc directement la création d'emplois dans les communautés francophones minoritaires.

Dans ce contexte, le niveau élevé de collaboration entre les établissements postsecondaires et les entreprises de toute taille de leur région et province mérite d'être souligné.

Évidemment, les étudiants aiment beaucoup les stages et les placements d'étudiants parce que cela leur permet de se perfectionner. Dans les communautés francophones en situation minoritaire, ce genre de stage permet aussi aux entreprises de surmonter la difficulté que représente l'embauche d'employés francophones et bilingues qualifiés. Les programmes de stages jouent alors un rôle clé dans le renforcement de l'assise économique d'une collectivité, et facilitent la rétention de diplômés au sein du secteur privé francophone et bilingue local.

Au-delà de leur contribution à l'économie locale et régionale, les établissements participent activement, par leurs actions au service de la communauté, à la construction identitaire de ses membres. En plus des infrastructures culturelles et sportives qu'ils mettent à la disposition de la communauté, les membres du corps étudiant, professoral et professionnel des collèges et universités développent des programmes permettant d'améliorer concrètement la vie des citoyens et des citoyennes en matière de santé, de services sociaux, d'expression culturelle et artistique ou de développement durable.

Les collèges et universités de la francophonie canadienne jouent un rôle particulièrement important dans deux domaines essentiels pour les communautés francophones en situation minoritaire, soit la santé et la justice.

Comme vous le savez, l'accès aux services de santé et de justice en français constitue un défi supplémentaire pour ces communautés. Dans ces deux domaines, les bénéficiaires de services sont vulnérables et la barrière linguistique aggrave leur situation. Il est donc primordial de former des professionnels aptes à offrir des services dans les deux langues officielles.

Même si l'éducation et la santé sont de compétence provinciale et territoriale, le financement fédéral est essentiel pour ces communautés, car il crée un effet de levier important dans les provinces. La mise en place en 2003 du Consortium national de formation en santé (CNFS), qui regroupe 11 des 21 collèges et universités de la francophonie canadienne, en est la preuve tangible.

Grâce à l'appui financier de Santé Canada et des gouvernements provinciaux, le CNFS a dirigé la création de 73 nouveaux programmes postsecondaires en santé en français et la bonification d'une trentaine de programmes existants. Plus de 6 700 diplômés de ces programmes sont aptes à offrir des services de santé en français et, selon un récent sondage, 94 p. 100 d'entre eux travaillent dans des communautés francophones minoritaires et 91 p. 100 travaillent dans leur province d'origine. Ces chiffres sont éloquents.

Dans le domaine de la justice, soulignons l'établissement d'un Réseau national de formation en justice en février 2014, qui est formé de neuf des établissements postsecondaires de la francophonie canadienne et d'autres organismes. Grâce à l'appui du gouvernement fédéral, le réseau a pu augmenter de façon significative le nombre de diplômés des programmes postsecondaires en justice en français, la participation aux formations en cours d'emploi, ainsi que la production et l'accès aux outils juridiques et jurilinguistiques à l'intention des jurilangagiers, des professionnels de la justice et des justiciables.

Fort des réussites dans les domaines de la santé et de la justice, les 21 collèges et universités, francophones ou bilingues, se sont regroupés en avril 2015 pour former l'Association des collèges et universités de la francophonie canadienne. L'ACUFC vise à accroître l'accès à l'enseignement postsecondaire en français dans l'ensemble du pays et à offrir ainsi un réel continuum de l'éducation en français, de la petite enfance au postsecondaire.

Ce regroupement permet de réaliser des projets collectifs pancanadiens, de partager des ressources, et permet conséquemment une économie d'échelle significative. Ces projets ne pourraient pas voir le jour sans cette association et sans l'appui du gouvernement fédéral.

Il est clair que les collèges et universités de la francophonie canadienne occupent une place unique et structurante dans les communautés minoritaires francophones et jouent un rôle de leadership essentiel. Ils ne peuvent toutefois remplir leur mission qu'en partenariat avec les autres acteurs, y compris le gouvernement fédéral, les gouvernements provinciaux et les gouvernements territoriaux.

Chers collègues, en renforçant la capacité des collèges et universités de la francophonie canadienne, le gouvernement peut réaliser ses objectifs en matière de bilinguisme et de vitalité des communautés francophones minoritaires.

Pour ce faire, j'ajoute ma voix à celle de l'Association des collèges et universités de la francophonie canadienne afin de proposer le développement d'une politique publique qui viserait à renforcer la capacité de ces établissements d'enseignement dans la réalisation de leur double mandat et d'accroître leur impact en matière de développement humain, social, culturel et économique dans les communautés qu'ils desservent.

Cette politique publique peut devenir un levier efficace, un outil d'alignement des rôles et responsabilités ministériels fédéraux envers les communautés francophones en situation minoritaire et offrir aux gestionnaires et aux fonctionnaires un outil stratégique pour encadrer leurs actions.

Honorables sénateurs, les collèges et universités de la francophonie canadienne jouent un rôle essentiel dans la création et la diffusion du savoir, deux facteurs qui contribuent grandement à la croissance économique et sociale. Leur double mandat leur confère également le rôle d'assurer la vitalité et la pérennité des communautés francophones minoritaires qu'ils desservent.

Merci beaucoup de votre attention.

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