Aller au contenu

La Loi canadienne sur les droits de la personne Le Code criminel

Projet de loi modificatif—Troisième lecture—Suite du débat

8 juin 2017


L’honorable Sénateur Marc Gold :

L'honorable Marc Gold : Je voudrais commencer par remercier le sénateur Plett d'avoir soulevé cette question. Je sais que les propos de ce genre sont souvent accueillis avec un certain scepticisme, un peu comme quand on dit : « Je vous remercie de votre question » après avoir été vertement critiqué par quelqu'un.

Je vous affirme que mes remerciements sont sincères. J'ai commencé ma carrière universitaire de professeur de droit en écrivant des textes sur l'égalité. J'ai examiné la Déclaration canadienne des droits — car je suis vieux — et, plus tard, la Charte. Cependant, je n'ai jamais minimisé l'importance des autres droits et libertés. En particulier, j'attache une énorme importance à la liberté de pensée et à la liberté d'expression et d'opinion. Ces libertés sont essentielles, voire fondamentales pour notre démocratie constitutionnelle. Je prends très au sérieux l'argument selon lequel le projet de loi C-16 pourrait empiéter sur la liberté d'expression en forçant quelqu'un à dire une chose à laquelle il s'oppose. C'est la question du discours forcé. Elle est assez sérieuse pour qu'on ne veuille pas en faire abstraction.

Je dois admettre que j'ai trouvé la question difficile. Je sais que je ne suis pas le seul dans ce cas. Nous avons tous été aux prises avec cette difficulté.

Je vous remercie donc sincèrement de l'avoir soulevée. Cela m'a obligé à y réfléchir longuement. Après l'avoir fait, je ne peux pas appuyer l'amendement. Je vais vous dire pourquoi.

Je ne suis pas d'accord avec vous pour dire qu'il s'agit d'une question de discours forcé. De plus, je ne peux pas appuyer l'amendement car, à mon avis, il n'est pas souhaitable dans une perspective de droits de la personne et, en toute franchise, il n'est pas nécessaire pour protéger la liberté d'expression comme nous la comprenons d'un point de vue constitutionnel et comme elle est protégée par la Constitution.

L'amendement n'est pas souhaitable dans une perspective de droits de la personne, car il y a des circonstances où la façon dont nous nous parlons, et même l'emploi de certains pronoms, pourrait bien être assimilés à du harcèlement et, partant, à une pratique discriminatoire aux termes de la Loi canadienne sur les droits de la personne, mais cela constituerait, à mon avis, une limite raisonnable à notre liberté d'expression.

Deuxièmement, l'amendement n'est pas nécessaire, car nos processus actuels relatifs aux droits de la personne et notre système judiciaire sont assez bien conçus pour établir un équilibre approprié entre des droits et libertés contradictoires et, par conséquent, pour garantir que notre droit constitutionnel de parler librement n'est pas indûment compromis par les dispositions d'une mesure législative telle que le projet de loi C-16.

Honorables sénateurs, commençons par situer la question dans son plein contexte. Tout d'abord, il est clair pour nous tous que la question des pronoms ne joue pas un rôle fondamental dans le projet de loi C-16. L'objet central du projet de loi et, par conséquent, la plupart sinon la totalité des plaintes porteront sur des cas allégués de discrimination contre des personnes transgenres et non binaires en matière d'emploi, de logement, de services, etc. Admettons, pour être honnêtes, que les pronoms que nous utilisons ne jouent qu'un rôle périphérique dans le projet de loi.

Deuxièmement, comme on l'a mentionné à plusieurs reprises au cours du débat, il n'y a aucune obligation d'utiliser un pronom spécifique. Une personne a toujours le choix de s'adresser à une autre personne par son nom de famille.

Pour dire les choses simplement, ce n'est pas vraiment un cas de discours forcé.

Troisièmement, soyons très clairs sur ce qui représente vraiment un enjeu, dans le cas qui nous intéresse, et ce qui n'en est pas un. Le projet de loi C-16 n'empêcherait pas un individu, comme le professeur Petersen, par exemple, d'exprimer son objection à l'utilisation de pronoms neutres d'identité de genre.

Voici ce qu'affirmait le juge Rothstein, de la Cour suprême, dans l'arrêt Whatcott (2013) concernant les propos haineux :

Les dispositions législatives interdisant les propos haineux ne visent pas à décourager l'expression d'idées répugnantes ou offensantes. Par exemple, elles n'interdisent pas les propos dans lesquels on débat de l'opportunité de restreindre ou non les droits des groupes vulnérables de la société. Elles visent seulement à restreindre le recours à des propos qui les exposent à la haine dans le cadre d'un tel débat.

En tant qu'intellectuel, M. Peterson est libre de critiquer la thèse des sciences sociales sur laquelle se fonde la notion que le genre est plus fluide que ce que nous avons été habitués à croire ou à comprendre. Il est libre de critiquer le projet de loi et l'utilisation des pronoms. Ce n'est pas la question qui se pose ici. Nous devons dire clairement — et je trouve cela heureux — que cela ne constitue pas un élément central du débat.

Admettons que tout ce que je viens de dire, de même que l'essentiel de ce qui a été dit au cours de ce débat, ne répond pas pleinement aux préoccupations des gens qui estiment que le projet de loi fait courir des risques, en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne, à ceux qui n'utilisent pas le pronom choisi par les intéressés.

Admettons aussi — comme on l'a noté aujourd'hui — qu'il y a des circonstances susceptibles d'être assimilés à du harcèlement et, par conséquent, à une pratique discriminatoire en vertu de la loi. On peut quand même se demander ceci : quand? Dans quelles circonstances? À quel moment l'omission du pronom approprié est-elle assimilable à de la discrimination en vertu de la loi?

On a beaucoup parlé des politiques produites par la Commission ontarienne des droits de la personne. Cela est facile à comprendre. Soyons clairs : il s'agit de politiques et non d'énoncés de droit. Ces énoncés de politique ne lient pas la Commission ontarienne des droits de la personne. Ils ne lient pas non plus la Commission canadienne des droits de la personne, mais ils ont de l'importance. Ils témoignent d'une orientation. Ils valent la peine d'être pris en considération, et c'est pourquoi je les prends au sérieux. Nous devrions tous les prendre au sérieux.

Nous avons déjà entendu ce que la Commission ontarienne des droits de la personne a dit au sujet de sa politique sur les pronoms neutres dans son document diffusé le 14 avril 2014. Je ne vais pas le répéter. Le sénateur Plett l'a souligné à deux occasions, et c'est exact. J'aimerais toutefois ajouter ce qu'on dit également au sujet du harcèlement, puisque le Code des droits de la personne de l'Ontario et la Loi canadienne sur les droits de la personne abordent la question du harcèlement en tant qu'acte discriminatoire. Alors, qu'entendons-nous par harcèlement? La Commission ontarienne des droits de la personne a défini le harcèlement de la façon suivante : « Fait pour une personne de faire des remarques ou des gestes vexatoires lorsqu'elle sait ou devrait raisonnablement savoir que ces remarques ou ces gestes sont importuns. »

Lors d'une réunion du comité chargé d'étudier le projet de loi, j'ai posé la question suivante à un témoin :

Si je vous dis de vous adresser à moi en utilisant un pronom neutre parce que c'est ainsi que je me perçois, car il est blessant que vous m'appeliez « monsieur », « madame » ou peu importe, mais que vous refusez, et que je vous dis que vous pouvez m'appeler « Marc » si cela vous rend mal à l'aise, mais que vous refusez de nouveau et que vous continuez de vous adresser à moi de la façon qui m'est offensante...

— parce que cela ne correspond pas à qui je suis —

... n'est-ce pas une situation à laquelle la loi peut remédier adéquatement?

— pour ne pas dire « devrait » remédier adéquatement?

Honorables sénateurs, cet exemple est-il si différent du comportement d'une personne qui continuerait d'utiliser le mot « boy », en anglais, lorsqu'elle s'adresse à un Afro-Canadien, sachant fort bien que l'intention est de blesser et de diminuer? Est-ce si différent de l'emploi du terme « ma jolie » lorsqu'on s'adresse à une employée de sexe féminin, alors que celle-ci vous a dit, comme si vous ne le saviez pas déjà, qu'elle trouve ce terme dégradant?

À mon avis, l'utilisation répétée et intentionnelle de termes qui ne correspondent pas au genre de la personne, si celle-ci a dit qu'ils ne correspondaient pas à sa réalité et étaient blessants pour elle, surtout dans le milieu de travail ou dans un autre milieu public, équivaudrait probablement à du harcèlement, ce qui constituerait une infraction à la loi. À mon avis, on considérerait qu'il s'agit là d'une limite raisonnable à la liberté de dire tout ce qu'on veut, ce qui est parallèle aux dispositions sur le libelle et la diffamation.

Vous remarquerez que je n'ai pas parlé de discours haineux, car j'ai du mal avec les dispositions sur le discours haineux. Bien des amis à moi, dans mon milieu, n'aiment pas beaucoup que je dise cela. Je me considère comme un partisan de la liberté d'expression. J'ai reçu un courriel méchant après avoir dit cela au cours d'une séance de comité, mais je maintiens ma position. Ces dispositions ont été jugées constitutionnelles, mais cela ne veut pas dire qu'elles donnent de bonnes lois. Nous avons droit à nos divergences d'opinions.

Mais les lois sur le libelle et la diffamation... Il nous est interdit de dire des choses qui causent un préjudice à autrui. Ce n'est pas plus compliqué que cela. Tout dépend du contexte et de l'intention.

Convenons que la façon dont nous nous exprimons dans certains contextes et certaines circonstances peut constituer du harcèlement et, par conséquent, de la discrimination, même si les dispositions du Code criminel sur le discours haineux ne peuvent s'appliquer. Convenons également que tout cela fait surgir un problème de liberté d'expression, mais ce n'est pas un problème de discours forcé, j'insiste là-dessus. C'est néanmoins un problème de liberté d'expression.

Honorables sénateurs, s'il s'agit là d'un cas relativement clair, d'autres seront plus difficiles. Admettons-le également.

Et si la personne n'avait aucune mauvaise intention, mais souffrait d'une simple difficulté personnelle à utiliser le pronom désiré?

Certains mots ne viennent pas aisément, c'est sûr.

Ou s'il ne s'agissait pas d'un comportement habituel, mais bien d'un cas isolé?

De plus, qu'en est-il des causes présentées de mauvaise foi — malheureusement, cela arrive — aux commissions, à la seule fin de se servir du présumé agresseur? Que fait-on de ces cas? Ne devrions- nous pas être inquiets des conséquences qu'auront ces dossiers sur la liberté d'expression?

Cela m'amène à la deuxième raison pour laquelle je m'oppose à l'amendement : il n'est pas nécessaire pour protéger nos droits à la liberté d'expression.

Honorables sénateurs, nous devons faire confiance dans une certaine mesure à nos processus administratifs et juridiques et aussi à notre système juridique. N'oublions pas que le projet de loi C-16 n'a pas inventé un processus tout nouveau pour les enquêtes et l'arbitrage en matière de droits de la personne. Il existe un système juridique bien établi, avec ses règles et ses processus bien connus.

La Commission des droits de la personne a de l'expérience en ce qui concerne l'évaluation des réclamations et la sélection des demandes qui méritent d'être examinées ou rejetées. De plus, la liberté d'expression n'est qu'un des nombreux droits et libertés qui sont protégés par la loi. Parfois, ces droits coexistants entrent en conflit et exigent ainsi un arbitrage. À ce titre, la commission et les tribunaux ont acquis une grande expérience dans le traitement des situations conflictuelles, qu'il s'agisse d'égalité, de liberté religieuse ou d'autres situations apparemment contradictoires.

Troisièmement, et c'est le plus important, la commission et les tribunaux sont liés par la Charte canadienne des droits et libertés, ainsi que par l'obligation de protéger la liberté d'expression qu'elle garantit. C'est là un point fondamental et il est souvent négligé, à dire vrai, dans les discussions de cette nature : nous avons tendance à mettre l'accent sur le rôle des tribunaux dans la protection des droits et libertés et la recherche d'un juste équilibre entre des droits qui sont en conflit — et cela se comprend.

Veiller au respect de la Constitution et de la Charte n'est pas la responsabilité des seuls tribunaux. Au Sénat, nous le savons, car c'est aussi notre responsabilité. La Commission des droits de la personne et le Tribunal des droits de la personne — aux niveaux fédéral et provincial — sont tenus par la Constitution et par la loi de veiller à ce que leurs actes soient respectueux de l'ensemble des droits et libertés, dont la liberté d'expression garantie par la Charte canadienne. Nous avons parfaitement le droit de nous attendre à ce que la commission tienne compte de ce fait lorsqu'elle décide de donner suite ou non à une plainte. Nous avons parfaitement le droit de nous attendre à ce que les tribunaux en tiennent compte aussi dans leurs décisions.

À tous les stades du processus de la protection des droits de la personne, la question du droit constitutionnel à la liberté d'expression est prise en considération, et elle doit l'être aussi lorsqu'il s'agit de voir s'il y a eu discrimination aux termes de la loi.

Bien sûr, la décision d'un tribunal peut donner lieu à un appel, qui peut franchir tous les stades jusqu'à la Cour suprême du Canada.

Voilà le processus en place, depuis longtemps du reste, aux termes de la Loi canadienne sur les droits de la personne, et le projet de loi C-16 n'y change rien. Bien sûr, il y aura des affaires difficiles à trancher et les choses ne sont pas toujours parfaitement claires. Pourquoi s'en étonner? La loi, tout comme la vie, est une affaire compliquée et pas toujours propre, mais nous avons un système juridique perfectionné qui est solidement constitué pour traiter les affaires épineuses dans lesquelles des droits peuvent s'opposer. Lorsque ces affaires difficiles se présentent, les tribunaux sont là pour les élucider.

Voyons maintenant les principaux objectifs et les conséquences probables du projet de loi C-16. Il ne s'agit pas des droits à la libre expression de ceux qui refusent de respecter la volonté d'autres personnes qui veulent qu'on s'adresse à elles en fonction de qui elles sont.

Son Honneur le Président : Sénateur Gold, je suis désolé de vous interrompre, mais votre temps de parole est écoulé. Demandez-vous plus de temps?

Le sénateur Gold : Puis-je avoir encore cinq minutes?

Son Honneur le Président : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D'accord.

Le sénateur Gold : Merci. L'objectif visé est de protéger la communauté trans contre la discrimination constante et cruelle dont elle est régulièrement victime. Nous avons les moyens de gérer les affaires difficiles de liberté d'expression lorsqu'elles surgissent. Donnons-nous enfin les moyens d'aider à protéger des membres de notre société qui sont parmi les plus vulnérables.

Honorables sénateurs, l'amendement n'est ni nécessaire ni souhaitable. Je vais voter contre et je vous invite à faire de même.

Haut de page