
Interpellation sur la Motion 410
Motion tendant à réaffirmer l’importance des deux langues officielles comme fondement de notre fédération compte tenu des coupes faites par le gouvernement de l’Ontario aux services en français—Motion d’amendement—Report du vote
6 décembre 2018
L’honorable Sénateur Marc Gold :
Honorables sénateurs et sénatrices, je prends la parole aujourd’hui pour appuyer la motion no 410 qu’a présentée initialement la sénatrice Miville-Dechêne, et pour m’opposer à l’amendement proposé par le sénateur Housakos.
J’appuie la motion initiale, parce que je crois fermement que le traitement équitable des francophones hors Québec est une question d’importance nationale et une obligation constitutionnelle. En tant que membre de la minorité anglophone du Québec, je comprends combien il est essentiel que nous ayons accès à l’éducation et aux services sociaux dans notre langue maternelle et que nous gardions le contrôle des institutions qui sont au cœur de l’avenir de notre communauté. Si c’est important pour les anglophones du Québec, ce l’est encore plus pour les francophones hors Québec.
J’appuie également la motion initiale, parce qu’elle nous a réunis au Sénat. C’est du moins ce que j’ai cru. C’est pourquoi je ne peux soutenir l’amendement proposé par le sénateur Housakos. Cet amendement vise à remplacer la référence aux deux langues officielles du Canada par une référence, et je cite : « à l’importance de la dualité linguistique, français et anglais, que nous ont léguée nos deux peuples fondateurs ».
Je ne sais pas ce qui a motivé le sénateur Housakos à proposer cet amendement, après que tant de sénateurs, y compris plusieurs de ses collègues du caucus conservateur, se sont exprimés avec passion pour appuyer la motion initiale. Je ne sais pas non plus pourquoi le texte de son amendement n’a pas été partagé avec la sénatrice Miville-Dechêne ni avec aucun des membres du Groupe des sénateurs indépendants, avant qu’il ne le présente en Chambre jeudi dernier. Ce que je sais, c’est que cela nous a tous surpris.
Quoi qu’il en soit, je voudrais me concentrer sur les termes de son amendement et expliquer pourquoi je ne peux pas l’appuyer.
Les mots comptent. Comme le sénateur Pratte l’a déclaré dans ses remarques en cette enceinte, on a soigneusement pesé chaque mot de la motion initiale afin de parvenir à un consensus dans cette Chambre, et le texte a été partagé avec les membres de chaque groupe parlementaire dans le but de dégager ce consensus, parmi nous tous, indépendamment de notre idéologie politique et de notre héritage ethnique, religieux ou linguistique.
Si les discours sur la motion sont un guide, il semble évident que ces efforts ont réussi à nous unir sur cette question fondamentale d’importance nationale.
La motion a eu de nombreuses versions provisoires. Dans sa version finale, elle se fonde sur le fait que le français et l’anglais sont les deux langues officielles du Canada. En réaffirmant ce fait juridique incontestable, elle fait le lien entre nous et notre rôle de sénateur, appelé au Sénat pour défendre la Constitution et faire respecter les droits des minorités.
Le sénateur Housakos croit que son amendement améliore la motion. Ce n’est pas le cas. Ce qu’il fait, c’est transformer une motion qui réaffirme un fait juridique incontestable au sujet des deux langues officielles du Canada en une motion qui fait valoir un fait historique selon lequel le Canada a été créé par « nos deux peuples fondateurs ».
Honorables sénateurs, nous sommes des parlementaires, pas des historiens. Si nous voulons jouer les historiens, il faut au moins faire les choses correctement.
Comme le sénateur Housakos, on m’a enseigné l’histoire canadienne dans les écoles publiques du Québec. Comme il l’a si bien dit, on nous a tous enseigné que le Canada est le produit de deux peuples fondateurs, les Français et les Anglais. Certes, les livres d’histoire des écoles primaires ne faisaient pas complètement abstraction de la présence des peuples autochtones dans l’histoire du Canada, mais ces derniers étaient des personnages secondaires dans les histoires qu’on nous a enseignées : des commerçants dans le meilleur des cas, sinon des sauvages, jouant leur petit rôle dans les aventures héroïques des coureurs des bois comme Radisson et des Groseilliers.
Toutefois, depuis ces années-là, ma compréhension de l’histoire du Canada a évolué et changé. Je lis maintenant ces livres d’histoire pour enfants avec des yeux d’adulte. Je comprends maintenant beaucoup mieux, quoique toujours en partie seulement, à quel point les nombreuses nations qui habitaient cette terre depuis bien avant l’arrivée des Européens étaient riches et diversifiées. J’en apprends encore beaucoup sur l’organisation politique des peuples autochtones du Canada et je découvre à quel point leurs traditions et leurs pratiques juridiques étaient développées et je me permettrais d’ajouter, à quel point elles font véritablement partie intégrante du droit canadien en vertu de notre Constitution.
Le fait est que notre pays n’a pas été créé par deux peuples fondateurs. Notre pays existait avant l’arrivée des Français et des Anglais, et ce sont les interactions de ceux-ci avec les Premières Nations qui occupaient déjà le territoire qui a façonné notre pays. Voilà la véritable histoire du Canada. L’amendement proposé par le sénateur Housakos dénature cette histoire et nous ramène à une époque où nous étions aveugles ou indifférents aux faits réels de l’histoire du Canada.
C’est notre vraie histoire, mais la reconnaître n’enlève rien au fait qu’il est important de protéger et de promouvoir les droits des minorités francophones et anglophones au Canada. Au contraire. Mieux nous appréhenderons la complexité de notre histoire et les difficultés que nous vivons tous pour que l’identité canadienne à laquelle nous aspirons n’exclue personne et respecte toutes nos différences, plus nous serons conscients du rôle fondamental que les Canadiens d’expression française ont joué et continuent de jouer dans l’évolution et le développement de notre pays.
La motion d’origine présentée par la sénatrice Miville-Dechêne a été libellée de manière à nous unir tous, au Sénat, et à nous unir tous en tant que Canadiens. L’amendement proposé par le sénateur Housakos nous divise. Pourquoi?
Honorables sénateurs, je voterai contre cet amendement et je vous presse d’en faire autant.