Aller au contenu

Projet de loi sur le cannabis

Projet de loi modificatif—Troisième lecture—Suite du débat

6 juin 2018


L’honorable Sénateur Marc Gold :

Honorables collègues, je pense que c’est un jour faste au Sénat, un jour faste pour le Canada. Le sénateur Patterson a toute ma reconnaissance. Je suis conscient du fait que ce n’est pas facile pour vous de renoncer à cet amendement, car je sais l’importance que revêt la question à vos yeux. Je pense que vous méritez notre reconnaissance à tous.

Des voix : Bravo!

Le sénateur Gold : Je suis plus heureux de prendre la parole aujourd’hui, car je n’ai pas à m’opposer à un amendement que vous avez présenté. J’ose dire que je préfère la collaboration.

J’aimerais penser que nous avons fait un important pas en avant aujourd’hui dans l’établissement d’une relation de nation à nation, mais il ne faut pas sous-estimer le chemin qu’il nous reste à parcourir. Pour que les choses puissent progresser, comme elles le feront, je l’espère, il nous faut d’abord bien comprendre d’où nous partons et sur quelles bases notre pays a été fondé.

Je vais donc prendre un moment pour exprimer quelques vérités simples, incontournables et pénibles que m’ont apprises mes années passées à étudier le droit constitutionnel canadien. Je pense que ce sont les vérités sur lesquelles reposent les recommandations et les idéaux du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones et dont s’est inspiré le gouvernement — du moins je l’espère — dans les engagements qu’il a pris aujourd’hui. Chose certaine, elles guident mes espoirs personnels pour l’avenir.

Quelles sont ces vérités simples et incontournables? La première, c’est que notre système juridique repose sur des bases coloniales. Je ne fais pas simplement allusion au fait que le Canada a déjà été une colonie britannique, bien que cela fasse partie de l’explication. L’ensemble de notre système juridique, y compris la Constitution elle-même, repose sur une conception coloniale du droit et de notre relation avec la terre et les peuples qui l’occupent.

Je me rappelle fort bien lorsqu’un de mes anciens collègues, le professeur Brian Slattery, s’est mis à écrire sur ce sujet. La situation semblait vraiment étrange aux yeux d’un jeune professeur de droit à l’époque précédant l’adoption de la Charte. Toutefois, grâce à une nouvelle génération de légistes, autochtones et non autochtones, cette perception des choses est maintenant répandue dans tous les milieux, à tout le moins dans les cercles de droit constitutionnel. Le fondement colonial de notre droit a façonné le milieu et l’imagination juridiques canadiens de bien des manières, notamment pour ce qui est des règles fondamentales qui régissent la façon dont on a mis en application la common law anglaise dans les provinces et les territoires.

Pourquoi tout cela est-il important pour nous aujourd’hui? C’est parce que la situation a fait perdre toute pertinence sur le plan juridique aux traditions et institutions juridiques et politiques riches et variées qui caractérisaient les peuples autochtones que les Européens ont rencontrés à leur arrivée sur le continent, ce qui a mis fin à l’application des lois autochtones sur les territoires qui ont été conquis ou cédés en vertu d’un traité ou auxquels on n’a tout simplement pas touché. C’est pourquoi les Autochtones demandent qu’on leur consente le pouvoir législatif et le pouvoir de taxation nécessaires en ce qui concerne le cannabis dans les territoires qui relèvent de leur compétence, comme le recommande le rapport du comité.

La deuxième vérité, c’est la mesure dans laquelle la Couronne, avant et après la Confédération, n’a tout simplement pas respecté ni la lettre ni l’esprit des traités qu’elle avait signés avec les Premières Nations. Pourtant, ces traités étaient essentiels à la création du Canada, plus encore que l’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1867.

Il y a beaucoup d’ouvrages sur le sujet, mais j’en profite pour vanter le livre de mon ancien mentor et estimé collègue, le professeur Peter Russell, intitulé Canada’s Odyssey : A Country Based on Incomplete Conquests, que je recommande à tous mes collègues ainsi qu’à tous les Canadiens qui nous écoutent.

[Français]

L’une des conséquences a été de ne pas traiter les Autochtones à titre de partenaires et de bénéficiaires du développement des territoires qui étaient initialement les leurs, et qu’ils ont accepté de céder, conformément aux traités antérieurs. Cela constitue le fondement de la demande du comité visant à répartir les avantages économiques de la légalisation du cannabis avec les communautés autochtones.

(1540)

Honorables collègues, alors que nous franchissons les premières étapes d’une réconciliation, nous devons ancrer notre parcours dans les vérités de notre passé, dont une grande partie des Canadiens ignorent l’existence.

Si nous regardons le monde qui nous entoure, d’autres vérités inévitables devraient nous gêner. Celles-ci comprennent la prévalence des problèmes de toxicomanie et de santé mentale dans les communautés autochtones, ainsi que le manque relatif de programmes et l’absence de services de traitement consacrés à ces problèmes, pour n’en nommer que deux.

Il ne s’agit pas de nouveaux problèmes, mais bien de problèmes de longue date. Il s’agit de vérités indéniables que nous ne pouvons pas et ne devons pas ignorer.

[Traduction]

Les engagements formels qu’a pris le gouvernement aujourd’hui marquent des progrès tangibles dans ce dossier en vue de répondre à des besoins très réels.

Il est tout aussi important de constater que le gouvernement semble avoir franchi une étape importante en collaborant avec les chefs des communautés autochtones pour régler les questions épineuses et difficiles de compétence, de participation et de partage des recettes. Nous nous en réjouissons.

Le sénateur Patterson, l’autre semaine, m’a gentiment reproché les propos que j’ai tenus dans cette enceinte au sujet de la diversité des pouvoirs législatifs au sein des communautés autochtones, mais je pense qu’il avait malheureusement mal compris l’argument que j’essayais de faire valoir, peut-être pas de la meilleure façon, alors permettez-moi un deuxième essai. Je pense que c’est important de bien comprendre alors que nous poursuivons dans cette voie. Il n’en demeure pas moins que l’étendue des pouvoirs législatifs et fiscaux des communautés autochtones est très complexe.

[Français]

D’abord, chaque communauté a des pouvoirs différents, notamment une autodétermination gouvernementale en vertu de traités, et des pouvoirs de réglementation en vertu de la Loi sur les Indiens. Tenir compte des intérêts légitimes des communautés à l’égard du contrôle qu’elles exercent sur leur territoire est un élément nécessaire de l’évolution de notre relation coloniale vers une relation de nation à nation. J’appuie cette évolution. Il faudra cependant plus d’un an avant d’y parvenir.

Cela étant dit, il existe des moyens de progresser de façon constructive à l’heure actuelle. J’aimerais que le gouvernement fasse preuve de plus de souplesse dans son interprétation du pouvoir de réglementation prévu dans la Loi sur les Indiens pour permettre aux communautés qui le désirent de réglementer le cannabis de la même façon qu’elles peuvent actuellement réglementer l’alcool. Ce n’est pas impossible. Il ne s’agit pas uniquement de volonté politique.

Je crois également qu’il existe des moyens créatifs pour les gouvernements et les communautés autochtones de se rencontrer et de trouver de nouvelles façons d’établir des partenariats justes et équitables pour répartir les avantages économiques qui pourraient découler de la légalisation et de la réglementation du cannabis.

[Traduction]

Sur ce dernier point, nous pourrions nous inspirer des recommandations qu’a formulées le chef régional de l’Ontario, Isadore Day, lorsqu’il a témoigné devant le Comité permanent des peuples autochtones dans le cadre de son étude sur les nouvelles relations entre le Canada et les Premières Nations, les Inuits et les Métis.

L’idée est de revenir à l’esprit et à l’interprétation des premiers traités, au moment où ils ont été conclus, et non pas de réécrire le passé; c’est impossible et nous le savons. Il s’agit de prendre les principes sous-jacents de ces traités et de les appliquer aujourd’hui, concrètement et avec créativité, aux circonstances actuelles.

Ainsi, honorables sénateurs, les communautés autochtones devraient être considérées comme de véritables partenaires des gouvernements dans la planification et le partage des recettes, non seulement provenant de l’industrie du cannabis, mais aussi de toutes les activités de développement économique qui se déroulent actuellement sur les terres visées par ces traités, et dans la création d’institutions destinées à répondre aux besoins des communautés, notamment en matière d’éducation et de santé.

À cet égard, le travail effectué pour aider les demandeurs autochtones de licences de production et le nombre de licences demandées sont très encourageants, de même que l’engagement pris aujourd’hui en vue d’établir une nouvelle relation financière avec les communautés autochtones — je soupçonne qu’il faudra du temps pour que cela se réalise, mais il s’agit néanmoins d’un engagement.

Soyons clairs et ne nous faisons pas d’illusions. Il faudra du temps pour venir à bout de ces questions. Il n’est pas réaliste de s’attendre à ce que nous puissions remédier à des siècles d’unilatéralisme et de colonialisme en un an. Nous ne devrions pas le faire non plus au détriment du projet de loi C-45, car, chaque jour où nous maintenons l’interdiction criminelle à l’égard de la possession et de la consommation du cannabis, nous faisons plus de mal que de bien.

Cela m’amène à mon dernier point. Honorables sénateurs, le système actuel de criminalisation de la consommation du cannabis n’a pas réussi à garder le cannabis non seulement hors de la portée des Autochtones du Canada et de leurs communautés, mais aussi hors de celle de l’ensemble des Canadiens, jeunes et vieux. Cependant, il a réussi de manière admirable à marginaliser et à stigmatiser les jeunes et les adultes autochtones alors que ceux-ci ne disposent pas d’un accès adéquat à des traitements et à d’autres services de base. Je suis reconnaissant au Comité sénatorial permanent des peuples autochtones d’avoir soulevé ces questions…

 

Haut de page