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La Loi constitutionnelle de 1867, La Loi sur le Parlement du Canada

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Suite du débat

11 mai 2016


L’honorable Sénateur Leo Housakos :

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd'hui au sujet de la motion présentée par mon ami, l'honorable sénateur Terry Mercer. Le Sénat du Canada devrait-il élire son Président?

Le débat sur la réforme de la Chambre haute est aussi vieux que notre nation. En effet, notre institution a joué un rôle essentiel dans l'intervention d'un compromis unissant les diverses nations francophones et anglophones pour former ce grand pays. Les débats déchirants sur ce qu'il fallait faire du Sénat ont commencé presque immédiatement. Nous voilà maintenant, un siècle et demi plus tard, encore en train de débattre.

À la lumière de certains événements récents survenus ici, au Sénat, je pense pouvoir dire sans risquer de me tromper que nous reconnaissons la nécessité de faire certaines choses différemment; toutefois, je ne suis pas certain que nous sommes tous d'accord sur les choses dont il s'agit et sur les changements à faire. Il faut se rappeler que le système politique canadien, dans les faits, est basé sur des précédents et des conventions, et est l'aboutissement de plus de deux siècles de compromis et de bonne intelligence. En songeant à y apporter des changements, nous devons nous demander quel problème nous cherchons à régler et quelles seront les conséquences à long terme.

Alors que certaines critiques résonnent haut et fort, nous devons plus que jamais faire preuve d'une extrême réserve et nous retenir de changer les choses simplement pour faire taire les appels incessants à la réforme, car nous pourrions nous retrouver avec une institution méconnaissable et non fonctionnelle. Nous devons absolument continuer d'axer nos efforts sur des changements concrets et significatifs, qui montreront hors de tout doute aux Canadiens que nous avons l'efficience, la transparence et la reddition de comptes à cœur, mais surtout, que nous avons pour maître-mot le respect des contribuables, comme en fait foi le nouveau modèle de divulgation que nous avons adopté la semaine dernière.

Même si j'applaudis au désir de changement de mon collègue, j'ai peur que les critiques incessantes ne nous poussent à agir précipitamment et à faire fi des traditions et des conventions qui ont toujours très bien servi — et continuent de servir — les intérêts de notre institution et de notre pays.

Les Pères de la Confédération ont beaucoup réfléchi avant d'adopter le régime parlementaire britannique et ont consacré énormément d'efforts pour en faire ensuite le modèle hybride qui est actuellement le nôtre. Fondé essentiellement sur la tradition de Westminster, mais adapté à la réalité canadienne, notre régime parlementaire est à l'origine de tous nos succès depuis près de 150 ans.

Chers collègues, les règles et les traditions de notre démocratie parlementaire sont essentielles à son bon fonctionnement. Les mots qui forment ces règles ont été soigneusement choisis; en les envoyant à la trappe sans autre forme de procès, nous irions à l'encontre de la Constitution et de la Loi sur le Parlement. La motion dont nous sommes saisis, qui propose que le Sénat élise son Président, contrevient à la Constitution et va — quand on y pense — à l'encontre du rôle même du Président tel qu'il a été défini.

C'est à dessein, et non sans raison, que les fondateurs du Canada ont choisi de faire du Sénat une institution non élue. Comme chez nos cousins de Grande-Bretagne, la Chambre haute n'est pas censée être le double de la Chambre des communes. Dès le départ, le Sénat devait faire office de Chambre indépendante de second examen objectif, loin de la pression exercée par la politique électorale, et représenter les intérêts des régions et des provinces tout en contribuant concrètement aux débats et en exerçant sa logique et son jugement pour rehausser la qualité des travaux de la Chambre de la volonté populaire.

Je dois souligner que notre rôle exige de la discipline, de la rigueur intellectuelle et un engagement à conserver notre indépendance par rapport aux pressions exercées par les sondages d'opinion publique, tout en faisant en sorte que les débats soient fondés strictement sur la raison et la logique. Cela dit, l'élection d'un Président dans un organisme législatif nommé est dénué de tout fondement logique; je crois fermement que le fait de suivre le modèle de la Chambre des communes, où le Président est élu, ne constituerait qu'un affront aux obligations du Sénat sur le plan historique et constitutionnel.

Honorables sénateurs, je dois le répéter : le Sénat n'a pas été conçu pour fonctionner comme l'assemblée élue, et ce, pour des raisons précises. Imaginez, par exemple, l'impasse législative dans laquelle nous nous retrouverions si, demain, 105 sénateurs élus siégeaient dans cette enceinte sans qu'ils soient le reflet du gouvernement en place.

Le rôle du Sénat n'est pas de s'opposer à la volonté des gens qui sont représentés par les députés de la Chambre des communes. Cependant, c'est ce qui se produirait plus souvent qu'autrement si le Sénat devenait une deuxième Chambre élue en fonction de la volonté de la population. Si le fait d'être élu est le facteur qui détermine la crédibilité et la responsabilité, pourquoi s'en tenir au Sénat? Pourquoi ne pas élire aussi les juges de la Cour suprême? Pourquoi ne pas élire le gouverneur général? Où cela s'arrêtera-t-il, chers collègues?

Comme nous le savons tous, le débat concernant la transformation du Sénat en un organe élu a déjà engendré un bouleversement politique très réel qui peut dangereusement survenir lorsqu'il est question de modifications constitutionnelles. En effet, lorsque les Canadiens songent à la crise constitutionnelle du siècle dernier, rares sont ceux qui souhaiteraient compromettre la relative tranquillité politique que nous avons établie.

Chers collègues, nous devons tirer des leçons des erreurs commises par le premier ministre Harper sur le plan de la réforme du Sénat et, par extension, nous avons l'obligation d'examiner attentivement le jugement rendu par la Cour suprême du Canada sur cette question. Ce n'est qu'en apportant des modifications concrètes à la Loi sur le Parlement et en modifiant la Constitution que nous pourrons effectuer des changements à la Chambre indépendante du Parlement qu'est le Sénat.

Nous naviguons actuellement en eaux troubles, alors que nous sommes obligés de nous adapter au programme du parti au pouvoir à l'autre endroit. Toutefois, je mets en garde le Sénat contre l'idée de s'aventurer encore plus loin en territoire inconnu en apportant des changements qui ne se justifient aucunement, mais que l'on pourrait vouloir effectuer simplement parce qu'ils cadrent bien dans un programme de parti politique ou parce que l'occasion s'y prête bien. De plus, il serait encore pire d'envisager ces changements sans tenir compte comme il se doit des traditions et des lois qui, dans notre pays, régissent les changements de cette nature, y compris la loi et la Constitution.

Chers collègues sénateurs, les fonctions du Président du Sénat du Canada ne sont pas du tout les mêmes que celles du Président de la Chambre des communes. Comme mes prédécesseurs et mentors les Présidents Kinsella et Nolin me l'ont rappelé avec insistance, le Président du Sénat doit agir à titre de baromètre du consensus, ce qui est très différent de ce que fait le Président de la Chambre des communes. En outre, même si le Président du Sénat est responsable de faire respecter le décorum, il a le droit, contrairement au Président de la Chambre élue, de participer aux débats et de se prononcer depuis son fauteuil, lors des votes.

Chers collègues, je dois également souligner un fait dont vous êtes tous conscients : l'importance du protocole parlementaire dans notre système de gouvernement. Voici l'ordre de préséance de la hiérarchie protocolaire au Parlement du Canada : premièrement, le gouverneur général; deuxièmement, le premier ministre; troisièmement, le juge en chef de la Cour suprême du Canada; quatrièmement, le Président du Sénat. Je rappelle à tout le monde une caractéristique très importante de tous ces postes, comme l'ont voulu nos ancêtres : les quatre plus hauts placés de la hiérarchie protocolaire du Parlement sont nommés à leur poste, et non élus.

Dans la Constitution du Canada, le Président du Sénat représente la direction de notre institution lorsqu'il préside nos débats. Cependant, nous devons nous rappeler que ce n'est pas le seul rôle que le Président est appelé à jouer. Il a aussi des fonctions à l'extérieur de cette enceinte, dans les relations diplomatiques et en tant que représentant du gouvernement du moment. Ces fonctions pourraient être gravement minées si nous tentons d'établir un système où le Président du Sénat doit être élu.

Cela est clairement énoncé dans notre Constitution, qui fait état de la dignité et de l'importance de la fonction de Président. Une fois de plus, ce fait est reconnu en raison de l'ordre de priorité que je viens de mentionner.

En outre, notre Constitution prévoit que le gouverneur général, le juge en chef de la Cour suprême du Canada et tous les sénateurs sont nommés sur la recommandation finale du premier ministre. Par conséquent, notre légitimité à tous découle de la Constitution et du premier ministre, qui est le chef élu du parti politique ayant obtenu la majorité des voix à la Chambre des communes.

Chers collègues, je sais que, pour certains d'entre vous, le terme « partis politiques » est un concept redouté, mais j'ai des nouvelles pour vous. Dans notre régime démocratique parlementaire, ce sont ces partis qui engagent le dialogue avec les Canadiens sur la politique et qui orientent le débat sur la politique gouvernementale, ce sont eux qui nomment les candidats aux élections pour la Chambre des communes, et ce sont aussi eux qui choisissent parmi leurs membres les candidats qui occuperont le poste de premier ministre. L'affiliation politique n'a rien de honteux, tout comme le fait d'être nommé sénateur ou Président du Sénat du Canada n'a rien de honteux.

Chers sénateurs, la motion à l'étude remet en cause notre Constitution, nos lois et nos traditions, et encore beaucoup plus que cela. Elle remet en question l'obligation constitutionnelle du premier ministre et, ce qui est tout aussi important, son jugement. Si un premier ministre a les capacités nécessaires pour nommer des sénateurs, nous devons certainement tous convenir qu'il a les capacités nécessaires pour nommer le Président du Sénat.

Certes, je félicite le sénateur Mercer de sa volonté de changement, mais je demande instamment à tous les sénateurs de ne pas perdre de vue en quoi doit consister ce changement, si nous voulons regagner la confiance des Canadiens.

Nous devons continuer d'adopter des mesures qui garantissent un changement réel, concret et significatif plutôt que des stratégies qui ne portent que sur les apparences. Voilà ce que les Canadiens exigent de nous, et c'est ce à quoi ils ont droit. D'abord et avant tout, nous devons montrer clairement aux Canadiens notre attachement à l'efficacité, à la transparence et à la reddition de comptes, et non à des changements structurels qui ne feront rien pour rebâtir la confiance.

Chers collègues sénateurs, nous devons par-dessus tout chercher à jouer notre rôle de protecteurs de la Constitution, tout en assumant nos responsabilités en participant au discours politique et en enrichissant le processus législatif comme les Canadiens le souhaitent, et c'est là un processus sur lequel les Canadiens comptent et qu'ils méritent.

Merci beaucoup.

 

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