Transports et communications
Motion tendant à autoriser le comité à étudier les questions reliées aux fonds publics fédéraux prêtés à Bombardier Inc.—Ajournement du débat
6 avril 2017
L’honorable Sénateur Leo Housakos :
Honorables sénateurs, je suis certain que vous avez entendu parler de la plus récente mise à pied massive chez Bombardier. C'est très troublant. Elle est exacerbée par les nouvelles parues au même moment sur le fait qu'un certain nombre de membres de la haute direction ont reçu des primes de plus de 50 p. 100.
Pire encore, Bombardier, bien que ce soit une entreprise privée, a reçu près de 1,5 milliard de dollars du gouvernement provincial du Québec et du gouvernement fédéral, sans qu'il y ait eu d'entente sur la façon dont l'argent serait utilisé afin d'empêcher justement ce genre de scandale.
Malgré le fait qu'ils se servent de l'argent des contribuables, ils estiment que ceux-ci ne méritent pas d'avoir de garantie que leur argent sera dépensé de façon judicieuse. En fait, selon Québec et le gouvernement fédéral, les contribuables n'ont même pas le droit de poser de questions.
Le premier ministre Couillard a dit ce qui suit hier :
Si le gouvernement donne le signal au monde que quand vous venez au Québec avec une entreprise, le gouvernement met ses grosses pattes dans vos affaires et gère votre entreprise à votre place, on n'ira pas loin au Québec.
Ce serait très bien s'il ne s'agissait pas d'une entreprise qui ne cesse de mettre ses grosses pattes dans le Trésor public. L'argument selon lequel on ne peut pas s'immiscer dans les affaires d'une entreprise est bien mince lorsque celle-ci maintient ses opérations grâce à l'argent des contribuables. Nous ne parlons pas ici d'une entreprise totalement autonome comme Bell. Nous parlons d'une entreprise qui a reçu des centaines de millions de dollars — voire des milliards — du public canadien.
Le gouvernement Trudeau a octroyé ce prêt à Bombardier dans le cadre de l'Initiative stratégique de l'aérospatiale et de la défense sans pratiquement aucune condition concernant l'utilisation des fonds. Il s'agissait de créer et de protéger des emplois de la classe moyenne, mais aucun mécanisme n'avait été prévu pour garantir que ce soit le cas. Comme nous le savons aujourd'hui, c'est tout le contraire qui est arrivé.
Si nous devons continuer à proposer des prêts ou des accords comme celui-ci, nous devons le faire de façon stratégique et responsable. Ce sont les deniers publics qui sont en jeu ici. Non seulement les gouvernements se doivent d'être totalement transparents par rapport aux conditions de ces ententes, mais ils doivent aussi faire preuve de responsabilité en appliquant des restrictions quant à l'utilisation des fonds. Les banques, les prêteurs privés et d'autres investisseurs n'hésitent pas à dresser une longue liste de conditions, de représentations et de garanties pour protéger leurs intérêts. Les contribuables ne méritent-ils pas ce genre de protection?
C'était en tout cas l'avis du gouvernement précédent. En 2013, Air Canada avait le couteau sous la gorge, se débattant avec les déficits de son régime de retraites et envisageant la perspective de fermeture. Le gouvernement Harper se devait d'agir. Toutefois, le ministre des Finances, Jim Flaherty, ne s'est pas laissé démonter par l'urgence de la situation et s'est bien gardé d'utiliser l'argent des contribuables de façon irresponsable et irréfléchie. Il a assorti de conditions l'entente conclue avec l'entreprise, en exigeant notamment le gel des salaires des dirigeants et leur indexation au taux d'inflation, ainsi que la suppression des primes spéciales et des programmes d'incitatifs destinés aux dirigeants. C'était faire preuve de prudence, et c'est de cette prudence dont il faut faire preuve aujourd'hui, chers collègues.
Il est aussi préoccupant de constater le manque de transparence autour du prêt consenti à Bombardier par le gouvernement Trudeau. Les Canadiens ne méritent-ils pas de connaître les moindres détails d'un prêt aussi énorme? Bombardier croit que non, ce qui n'étonnera personne. En effet, en neuf ans, cette entreprise s'est rendue une dizaine de fois devant les tribunaux pour éviter d'avoir à divulguer des renseignements sur le financement gouvernemental qu'elle reçoit. On peut peut-être voir, dans les révélations récentes au sujet de la rémunération de ses cadres, la raison de ses réticences.
En général, Bombardier fait valoir qu'elle ne peut pas divulguer les renseignements demandés parce que cela nuirait à sa position concurrentielle. Ses concurrents acceptent pourtant, dans bien des cas, de communiquer des renseignements semblables.
Quelle que soit l'excuse du gouvernement, les libéraux de Trudeau adorent brandir le drapeau de la transparence, mais ils montrent, à répétition, un manque flagrant d'ouverture et de transparence. Il ne s'agit pas ici de demander à l'entreprise de révéler des plans de construction ou quoi que ce soit du genre. On souhaite obtenir des renseignements de base normalement accessibles à un prêteur, c'est- à-dire connaître le calendrier de remboursement et savoir s'il s'agit d'un prêt sans intérêt. Est-ce trop demander? Il semble que oui, comme je l'ai découvert quand le leader du gouvernement m'a reproché d'avoir osé poser, au nom des Canadiens, des questions sur leur argent durement gagné.
Le gouvernement dépense les fonds publics avec désinvolture et il se montre condescendant quand on lui demande d'en rendre compte, une attitude intolérable. Même s'il est trop tard pour changer quoi que ce soit à l'entente avec Bombardier, nous pouvons au moins faire le nécessaire pour que les futures ententes du même genre soient entourées de la plus grande transparence possible et de mécanismes de protection optimaux.
Si le gouvernement Trudeau refuse de donner aux Canadiens les réponses qu'ils méritent à propos de l'utilisation des fonds publics, je crois qu'il revient au Sénat de le faire. Voilà pourquoi je propose :
Que le Comité sénatorial permanent des transports et des communications soit autorisé à étudier, pour en faire rapport, les questions reliées aux 373 millions de dollars de fonds publics fédéraux prêtés à Bombardier Inc., y compris, mais sans s'y limiter, à la rentabilité de l'investissement dans l'intérêt des canadiens;
Que le comité dépose son rapport final au Sénat au plus tard le 7 juin 2017 et qu'il conserve tous les pouvoirs nécessaires pour diffuser ses conclusions dans les 180 jours suivant le dépôt du rapport final.