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L'étude sur les questions relatives à l'Examen de la politique de défense entrepris par le gouvernement

Onzième rapport du Comité de la sécurité nationale et de la défense et demande de réponse du gouvernement—Suite du débat

13 juin 2017


L’honorable Sénatrice Mobina S. B. Jaffer :

Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet du onzième rapport du Comité sénatorial permanent de la Sécurité nationale et de la défense, intitulé Réinvestir dans les Forces armées canadiennes : Un plan pour l'avenir.

Avant d'entrer dans le vif du sujet, je voudrais remercier le sénateur Lang, qui préside ce comité, pour son aide afin d'orienter l'étude, ainsi que le sénateur Kenny, dont l'expertise sur le sujet nous a grandement aidés à rédiger le rapport. Je voudrais aussi remercier les autres membres du comité qui ont mis la main à la pâte. Enfin, je tiens à souligner le travail de Marcus Pistor, Holly Porteous et Katherine Simmonds, de la Bibliothèque du Parlement, ainsi que le travail d'Adam Thompson, greffier du comité.

Réinvestir dans les Forces armées canadiennes : Un plan pour l'avenir est le deuxième rapport publié dans le cadre de l'Examen de la politique de défense entrepris par le Comité sénatorial permanent sur la sécurité nationale et de la défense. Ce rapport élargit le contenu du premier rapport, Sous-financement des Forces armées canadiennes : Passons de la parole aux actes, en élaborant un plan pour que le gouvernement puisse surmonter efficacement les difficultés stratégiques que vivent le Canada et les militaires qui servent leur pays au sein des Forces armées canadiennes au XXIe siècle.

Ce plan est énoncé dans 30 recommandations, adoptées par le comité après un long processus de discussions, de débats et de compromis. Ces recommandations sont groupées en deux catégories : les questions liées au manque de matériel des Forces armées canadiennes, et les questions liées aux militaires des Forces armées canadiennes.

Au cours de son discours concernant ce rapport, le sénateur Lang a parlé de façon exhaustive des parties de ce plan qui exigent des investissements urgents en équipements pour les militaires canadiens; je n'en parlerai donc pas en détail aujourd'hui. Par contre, j'aimerais faire écho à son message sur l'importance de traiter avec le sous-financement et les lacunes capacitaires au sein des Forces armées canadiennes.

Le fait de consacrer 0,88 p. 100 du PIB à la défense n'est tout simplement pas suffisant pour composer avec les nombreuses exigences du Canada en matière de défense. Voilà pourquoi je suis heureuse que le ministre Sajjan se soit engagé à mieux soutenir nos soldats et nos anciens combattants en rééquipant nos miliaires. Il s'agit d'un premier pas important que le Canada doit faire pour combler les lacunes capacitaires que le comité a mis en lumière dans ce rapport, notamment, une flotte de chasseurs vieillissante, dont nombre d'aéronefs datent de la guerre froide; un manque de bâtiments qui peuvent surveiller nos côtes et naviguer dans l'Arctique canadien; l'incapacité de ravitailler les bâtiments et les aéronefs à l'étranger; et, enfin, le manque de formation, d'équipements et de financement appropriés pour les réservistes. Sans un soutien et des équipements adéquats, nos militaires ne pourront pas accomplir tout ce à quoi nous nous attendons d'eux.

Cela dit, j'aimerais parler ce soir des parties du rapport qui portent sur les défis que doivent relever les femmes et les hommes des Forces armées canadiennes. Quand on pense à tout ce que risquent les membres des Forces armées canadiennes en servant le pays ici et à l'étranger, il nous incombe d'aplanir les obstacles auxquels elles font face. Notre rapport signale deux grands domaines où le gouvernement doit agir afin d'appuyer les Forces armées canadiennes : l'inconduite sexuelle et la diversité.

Le premier, l'inconduite sexuelle, a constamment été un problème majeur dans les Forces armées canadiennes. Selon Statistique Canada, 960 membres à temps plein des Forces armées canadiennes, soit 2 p. 100 de l'effectif total, ont rapporté une agression sexuelle au cours de l'année passée. De plus, 27,3 p. 100 de toutes les femmes ont rapporté avoir été victime d'une agression sexuelle au moins une fois depuis qu'elles sont entrées dans l'armée. En d'autres termes, les femmes des Forces armées canadiennes courent deux fois plus de risques d'être victimes d'inconduite sexuelle que dans la population civile.

Pour souligner le caractère dévastateur de ces expériences, j'aimerais vous communiquer l'histoire d'une victime d'inconduite sexuelle dans les Forces armées canadiennes. Son histoire montre à quel point il importe de s'attaquer au problème.

À l'âge de 18 ans, Lise Gauthier est entrée dans l'Aviation royale canadienne, où elle a servi pendant 25 ans. Tout au long de sa carrière, Lise a été victime de viol, d'agression sexuelle, de harcèlement et de bien d'autres formes d'abus de la part d'autres militaires. Voilà comment elle décrit son traumatisme :

Je pense tout le temps aux attaques, 24 heures sur 24. Je ne peux pas m'en empêcher. Je ne souhaite à personne de vivre ce que j'ai vécu, même à mon pire ennemi. La vie s'arrête et l'on est en mode de survie. Le mieux qu'on peut faire, c'est de respirer.

Honorables sénateurs, c'est tout simplement inacceptable. Les problèmes d'inconduite sexuelle dans les Forces armées canadiennes en font un milieu de travail dangereux pour les femmes qui servent notre pays. Cela a des répercussions graves pour les Forces armées canadiennes. Tous les témoins s'étant exprimés sur ce sujet ont précisé clairement que, lorsque les membres ne se sentent pas en sécurité dans leur milieu de travail, cela entraîne une baisse du moral, une diminution du recrutement, ainsi que des difficultés à maintenir en poste des femmes au sein des Forces armées canadiennes. Pour cette raison, nous sommes bien loin de notre objectif visant à ce que les femmes représentent 25 p. 100 de l'effectif des Forces armées canadiennes. Nous avons à peine atteint la moitié de cette cible. Les femmes représentent seulement 14,6 p. 100 de l'effectif des Forces armées canadiennes et 8,9 p. 100 de celui de l'Aviation royale canadienne. Les Forces armées canadiennes ne pourront jamais atteindre leur plein potentiel si elles demeurent un milieu de travail dangereux.

Pour remédier à ce problème, notre comité a souligné deux mesures que le gouvernement doit prendre.

Premièrement, nous encourageons le gouvernement à suivre toutes les recommandations du rapport Deschamps, qui souligne la nécessité d'un sérieux changement de culture au sein des Forces armées canadiennes pour mettre fin à l'inconduite sexuelle et énumère plusieurs étapes importantes pour que ce changement soit possible. Ces étapes sont l'adoption de l'analyse comparative entre les sexes, la clarification des définitions d'agression sexuelle et de harcèlement sexuel, la création de structures de soutien aux victimes de harcèlement sexuel et d'agression sexuelle, la création d'un centre spécialisé de responsabilisation chargé de recevoir les plaintes en matière d'agression sexuelle et la mise en place de programmes de formation pour prévenir les agressions et le harcèlement sexuels.

Notre comité convient que la juge Deschamps a tracé une importante feuille de route pour faire des Forces armées canadiennes un lieu de travail sûr et en encourage vivement l'adoption.

Deuxièmement, nous encourageons le gouvernement à prioriser la mise en vigueur de l'opération HONOUR, une initiative lancée par le chef d'état-major de la Défense, Jonathan Vance, pour mettre fin aux comportements sexuels préjudiciables au sein des Forces armées canadiennes au moyen de programmes à court terme et à long terme. L'opération HONOUR est facilement l'un des meilleurs outils du Canada pour éliminer l'inconduite sexuelle et faire des Forces armées canadiennes un lieu de travail plus sûr.

Les cas de harcèlement sexuel sont maintenant examinés aux plus hauts niveaux au ministère de la Défense nationale et plusieurs programmes de formation ont été lancés pour aider les militaires à réagir sur-le-champ-aux incidents d'inconduite sexuelle.

Cela étant dit, il reste encore beaucoup à faire. Au cours de notre étude, nous avons appris que les progrès réalisés grâce à l'opération HONOUR sont lents et qu'un grand nombre des initiatives qu'il prévoit en sont encore aux premiers stades. Notre comité veut voir des résultats et s'est engagé à faire un suivi, au moyen d'audiences et d'un rapport, au cours de la présente législature. Nous sommes déterminés à faire des Forces armées canadiennes un lieu de travail sûr pour les femmes et nous continuerons de faire pression pour l'application des recommandations du rapport Deschamps et la poursuite de l'opération HONOUR.

Le deuxième défi vient du fait que les Forces armées canadiennes n'atteignent pas leurs objectifs d'équité en matière d'emploi. Le gouvernement a fixé la cible à 11,8 p. 100 pour la représentation des minorités visibles et à 3,4 p. 100 pour la représentation des Autochtones. Toutefois, les Forces ne sont qu'à mi-chemin dans l'atteinte de leurs cibles. À l'heure actuelle, les minorités visibles ne composent que 6,5 p. 100 des forces armées canadiennes et les Autochtones, seulement 2,5 p. 100. Lorsque nous négligeons d'inclure tous les Canadiens, nous nous privons des compétences et des talents qu'ils possèdent. Comme l'ont souligné le vérificateur général, le chef d'état-major de la Défense et le ministre Sajjan, nous ratons ainsi une bonne occasion de renforcer les capacités opérationnelles des Forces armées canadiennes.

Notre échec par rapport à l'atteinte de ces cibles s'explique par une raison bien simple : nous ne tentons même pas d'aller à la rencontre de la population diversifiée et multiculturelle du Canada. Avant le début de l'année en cours, le Canada ne s'était même pas doté d'un plan global pour attirer les minorités visibles et les Autochtones. Nous devons continuer dans cette voie. Pour que les minorités visibles et les Autochtones se joignent aux Forces armées canadiennes, nous devons axer nos efforts en ce sens.

Il faut aller à la rencontre de tous les Canadiens. Quelques projets ont été lancés pour ce faire. Plus tôt cette année, le ministère de la Défense nationale a mis sur pied un groupe de travail sur le recrutement et la diversité et l'a chargé de planifier et d'exécuter des programmes en vue d'augmenter la diversité à tous les niveaux et dans tous les secteurs de l'armée.

Les mesures prises par le gouvernement ne doivent pas se limiter à cela. Pour assurer la véritable intégration des minorités visibles et des Autochtones, les Forces armées canadiennes doivent remplir leurs obligations aux termes de la Loi sur l'équité en matière d'emploi. Parce qu'il reconnaît l'efficacité de ce genre d'approche, le comité souhaite que le gouvernement continue dans cette direction et adhère à ses obligations aux termes de cette loi.

Avant de terminer, j'aimerais parler brièvement du rapport dans son ensemble. Bien que je n'approuve pas toutes ses recommandations, telle est la nature des comités. Nos rapports sont le produit de discussions et de compromis. Malgré cela, je peux dire sans réserve que j'appuie les Forces armées canadiennes et je crois qu'on devrait leur donner tout ce dont elles ont besoin pour réussir.

Lorsque j'ai voyagé avec les Forces armées canadiennes dans plusieurs pays, les gens m'ont parlé de nos réalisations militaires. Au Darfour et au Soudan, les habitants m'ont dit que les Forces armées canadiennes sont des hommes et des femmes exceptionnels. « Le jour, ils travaillent dur pour sauver nos vies, et le soir, la nuit et les fins de semaine, ils travaillent inlassablement pour nous aider à bâtir des orphelinats et des écoles et donner de l'espoir à notre pays. »

Honorables sénateurs, les membres des Forces armées canadiennes mettent leur vie en danger dans le cadre de leur travail et font du Canada et du monde des lieux plus sûrs. Les deux parties du rapport énoncent les problèmes les plus importants pour les militaires, allant du sous-financement chronique au vieillissement du matériel, sans oublier un lieu de travail non sécuritaire. La moindre des choses que nous puissions faire pour eux est de remédier aux difficultés qu'ils éprouvent. Pour cette raison, je vous demande votre appui pour l'adoption du rapport.

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