
La Loi canadienne sur les sociétés par actions - La Loi canadienne sur les coopératives - La Loi canadienne sur les organisations à but non lucratif - La Loi sur la concurrence
Projet de loi modificatif—Troisième lecture—Ajournement du débat
8 février 2018
L’honorable Sénateur Paul J. Massicotte :
Honorables sénateurs, c’est la deuxième fois que je prends la parole au sujet du projet de loi C-25, Loi modifiant la Loi canadienne sur les sociétés par actions, la Loi canadienne sur les coopératives, la Loi canadienne sur les organisations à but non lucratif et la Loi sur la concurrence. Au cours des débats que nous avons eus à l'étape de la deuxième lecture du projet de loi en octobre dernier, j’avais exprimé mes préoccupations sur le système qui est proposé pour inciter les sociétés fédérales cotées en bourse à augmenter la participation des femmes et la diversité au sein de leur équipe de dirigeants.
Il est clair que, compte tenu de la lenteur de la progression de la proportion de femmes et de la diversité dans les entreprises canadiennes, le système du type « se conformer ou s’expliquer » proposé par le gouvernement fédéral n’est pas à la hauteur du défi qu’il est grand temps de relever à l’aube de 2018.
Disons-le, même si le Canada est perçu par le reste du monde comme un modèle dans le domaine des droits des femmes et du multiculturalisme, les grandes entreprises du pays demeurent encore aujourd’hui majoritairement dirigées par des hommes blancs. Il y a quelques semaines à peine, alors qu’il était de passage à Davos, le premier ministre Trudeau a livré un vibrant plaidoyer en faveur de l’avancement des femmes et de la diversité dans le milieu des affaires. Voici ce qu’il a dit :
[…] pas seulement parce que c’est la bonne chose à faire ou parce que c’est un geste sympathique, mais bien parce que c’est un geste intelligent.
Plusieurs études ont conclu que la diversité pousse le rendement à la hausse et que les conseils d’administration composés de gens de tous les horizons, personnels et professionnels, font meilleure figure que ceux qui sont plutôt homogènes. Vous remarquerez que personne n’est en train de dire qu’il faut pour ce faire embaucher des gens moins chevronnés ou moins compétents.
Si l’on veut sérieusement atteindre l’équilibre hommes-femmes — un objectif raisonnable et logique, puisque les femmes représentent aujourd’hui 48 p. 100 de la population active et 60 p. 100 des diplômés universitaires du Canada —, il faut prévoir des mesures plus contraignantes à la hauteur des déclarations du premier ministre Trudeau.
Examinons d’abord comment le système proposé est insuffisant. Si l’on se contente de suivre les dispositions actuelles et de demander simplement aux sociétés visées de présenter chaque année à leurs actionnaires leur politique sur la diversité — si elles en ont une — et d’expliquer pourquoi elles n’en ont pas, le cas échéant, aucun progrès significatif ne se fera au chapitre de la représentation de la diversité au sein des conseils d’administration et de la haute direction. Il suffit de regarder les résultats qu’ont obtenus jusqu’à présent des mesures similaires prises à l’égard des femmes.
Même si la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario a adopté cette façon de faire il y a déjà trois ans, 53 p. 100 des entreprises inscrites à la Bourse de Toronto n’ont toujours pas de politique sur la représentation des femmes. La proportion de femmes siégeant au conseil d’administration de ces mêmes entreprises est passée de 11 p. 100 en 2015 à 14,5 p. 100 en 2017.
Pour ce qui est de la proportion de femmes dans les postes de haute direction, il est demeuré à 15 p. 100 depuis 2015. À ce rythme, combien de décennies devra-t-on attendre avant d’atteindre la parité?
Le tableau s’assombrit encore plus quand on s’intéresse à la représentation des groupes autres que les femmes dans le milieu des affaires. Parmi les 500 plus grandes entreprises canadiennes recensées par le Financial Post, seulement 1,1 p. 100 des administrateurs sont Autochtones, 3,2 p. 100 sont handicapés et 4,3 p. 100 sont membres d’une minorité visible.
Il faut bien l’admettre, le projet de loi C-25 a l’avantage d’avoir une plus vaste portée que les mesures que l’on voyait jusqu’ici, qui obligeaient les entreprises qui ne se conforment pas à se justifier. Le projet de loi traite de la diversité en général, et pas seulement des femmes. C’est un pas important dans la bonne direction. Le ministre a aussi accepté récemment de définir la diversité en fonction, notamment, des quatre groupes désignés dans la Loi sur l’équité en matière d’emploi de 1995, soit les femmes, les personnes qui font partie des minorités visibles, les Autochtones et les personnes handicapées. Nous sommes très heureux que le gouvernement ait reconnu l’importance de définir la diversité.
Cependant, quelle serait l’utilité de cette définition sans l’obligation, pour les entreprises, de se fixer des objectifs et de rendre compte de leurs progrès pour augmenter la représentation de la diversité?
Les chiffres que je vous ai cités montrent que l’on part de tellement loin qu’il est clair qu’un système de simples déclarations volontaires des politiques sur la diversité ne suffira pas à accélérer l’augmentation de la représentation féminine et des autres formes de diversité au sein des conseils d’administration et, a fortiori, dans la haute direction.
Je vais donc expliquer ce que nous proposons aujourd’hui.
Nous devons donner du mordant à la disposition actuelle du projet de loi C-25. Les sociétés cotées en bourse et agréées par le gouvernement fédéral doivent être tenues d’établir elles-mêmes des objectifs quantitatifs, par exemple des pourcentages, afin d’accroître la représentation de la diversité au sein des conseils d’administration et de la haute direction. En fait, le ministre Bains, responsable de l’innovation, a récemment déclaré devant un groupe d’étudiants à Windsor que les sociétés devraient être dotées d’une politique en matière de diversité qui prévoit des objectifs précis. Comme ce n’est pas le cas dans la mesure législative actuelle, nous proposons de l’ajouter.
En outre, on devrait demander aux sociétés de fournir au gouvernement leurs chiffres et leurs objectifs en matière de diversité, de sorte que le ministre puisse chaque année produire un rapport faisant état de l’ensemble des données reçues.
Je vais donner des détails au sujet de ces éléments.
Je répète que ce que nous proposons, ce sont des objectifs et non des quotas. Il ne s’agit pas d’un système de quotas comme ceux que l’on retrouve en Europe et dans de nombreux pays. Dans notre cas, il s’agit d’objectifs. Je suis convaincu que nous pouvons accroître la diversité tout en évitant les aspects stricts, artificiels et lourds des quotas. Nous ne voulons pas établir des minimums. Les sociétés auraient la souplesse voulue pour établir les objectifs les mieux adaptés à leurs marchés et à leurs milieux. Les sociétés seraient tenues de présenter chaque année un rapport faisant état des progrès réalisés en vue d’atteindre leurs objectifs, mais elles disposeraient de toute la latitude requise pour établir leurs propres objectifs et leurs propres échéances en fonction de leurs stratégies et particularités.
Nous savons que cette façon de procéder accélère la diversification. Selon les Autorités canadiennes en valeurs mobilières, les émetteurs qui établissent leurs propres cibles en matière de représentation des femmes au sein des conseils d’administration se retrouvent avec une proportion de femmes de plus de deux fois supérieure — 26 p. 100 — à celle des sociétés qui n’établissent pas ce genre de cible — 12 p. 100.
Je répète que les sociétés seraient libres d’établir leurs propres cibles, soit strictement pour les quatre groupes désignés, soit pour d’autres catégories en plus si elles le souhaitent, comme les minorités linguistiques, le bagage régional, et ainsi de suite.
De cette façon, on s’assure que, tant les objectifs que les groupes ciblés pour assurer la diversité sont adaptés aux contraintes et aux circonstances propres à l’industrie, de même qu’au tissu social des marchés desservis par ces sociétés.
Enfin, j’aimerais dire quelques mots de plus au sujet des rapports.
Si nous voulons savoir si de véritables progrès ont été réalisés en matière de représentation des femmes et de diversité au sein des conseils d’administration et de la haute direction des sociétés, il nous faut absolument un bilan périodique, complet et à jour de la situation. C’est pourquoi nous demandons que les sociétés ouvertes de régime fédéral transmettent aussi au gouvernement le rapport sur la diversité qu’elles doivent fournir à leurs actionnaires. Cela n’exige aucun travail supplémentaire. Le gouvernement serait tenu de produire et de déposer chaque année devant les deux Chambres du Parlement un rapport présentant les données de l’année précédente. Ce rapport serait également rendu public.
Chers collègues, le système flexible que nous proposons est le meilleur équilibre possible entre l’autoréglementation optionnelle proposée par le projet de loi C-25, qui a déjà clairement montré ses limites, et un système « omnivalent » comme les quotas.
En demandant aux entreprises de se doter de politiques sur la diversité et d’objectifs de leur choix, nous remplissons le devoir qui nous incombe en tant que collectivité de donner aux femmes et aux groupes minoritaires l’occasion de contribuer à leur juste valeur aux plus hauts échelons des entreprises, d’être reconnus pour ce travail et d’en faire bénéficier les entreprises.
Motion d’amendement
L’honorable Paul J. Massicotte : Par conséquent, honorables sénateurs, je propose l’amendement suivant :
Que le projet de loi C-25, tel que modifié, ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu’il soit modifié, à l’article 24 :
a) à la page 9, par adjonction, après la ligne 34, de ce qui suit :
« 172.01 Dans l’année suivant la date d’entrée en vigueur du présent article, les sociétés visées par règlement établissent des objectifs chiffrés, tel un pourcentage, visant la représentation de chaque groupe désigné au sens des règlements, au sein des administrateurs et au sein des membres de la haute direction au sens des règlements, ainsi qu’un calendrier visant la réalisation de ces objectifs. »;
b) à la page 10 :
(i) par adjonction, après la ligne 2, de ce qui suit :
«(1.1) À l’assemblée annuelle tenue au moins un an après la date d’établissement des objectifs visés à l’article 172.01 et à chaque assemblée annuelle subséquente jusqu’à ce que ces objectifs soient réalisés, les administrateurs présentent également aux actionnaires un rapport sur les progrès que la société a accomplis dans la réalisation de ces objectifs au cours de l’année précédente. »,
(ii) par substitution, aux lignes 3 et 4 (telles qu’elles ont été remplacées par décision du Sénat le 7 février 2018), de ce qui suit :
« (2) La société fournit les renseignements visés aux paragraphes (1) et (1.1) à »,
(iii) par substitution, aux lignes 6 et 7 (telles qu’elles ont été remplacées par décision du Sénat le 7 février 2018), de ce qui suit :
« écrit qu’ils ne souhaitent pas les recevoir, en les envoyant avec l’avis visé au paragraphe 135(1) ou en les mettant à sa disposition avec toute circulaire visée au paragraphe 150(1).
(3) La société envoie simultanément au directeur les renseignements visés aux paragraphes (1) et (1.1), en la forme établie par lui, pour enregistrement.
(4) Dans les trois mois suivant leur réception, le directeur communique au ministre les renseignements enregistrés en application du paragraphe (3).
(5) Le ministre établit et fait déposer, devant chaque chambre du Parlement, dans les quinze premiers jours de séance de celle-ci suivant le 31 octobre, un rapport annuel qui contient, à l’égard de l’année précédente, une synthèse des données tirées des renseignements reçus en application du paragraphe (4). Le ministre publie le rapport après son dépôt. ».