Aller au contenu

Projet de loi modifiant certaines lois et un règlement relatifs aux armes à feu

Deuxième lecture—Ajournement du débat

27 septembre 2018


L’honorable Sénatrice Julie Miville-Dechêne :

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui afin d’appuyer l’objectif et les grandes lignes du projet de loi C-71 sur les armes à feu. Ce projet de loi va dans la bonne direction.

Comme beaucoup de femmes et beaucoup de Québécois, j’ai été profondément déçue lorsque le gouvernement fédéral précédent a affaibli les lois sur le contrôle des armes à feu. Soyons clairs : au Canada, posséder une arme à feu n’est pas un droit, c’est un privilège. Plus il y a d’armes en circulation dans une société, plus il y a d’accidents et de crimes commis avec des armes, et cela inclut des blessures et des meurtres dans des cas de violence familiale, de violence conjugale et de suicide.

Comme j’ai travaillé ces dernières années sur les enjeux liés à la violence faite aux femmes, je constate qu’il y a des liens essentiels à faire. La présence d’une arme à feu dans un domicile est l’un des principaux facteurs, sinon le principal facteur de risque pour prédire la mortalité dans chaque cas de violence conjugale.

Il est important de noter que, entre 1989 et 2005, le nombre de femmes tuées par arme à feu a diminué de 74 à 32 à travers le pays. Le fait notable, c’est qu’il y a corrélation entre cette forte baisse et l’entrée en vigueur de lois plus sévères sur les armes à feu en 1991 et en 1995. Bien que plusieurs facteurs aient dû jouer dans cette décroissance, il est intéressant de constater que les meurtres commis avec une arme à feu ont connu une chute plus dramatique que les crimes commis avec des couteaux, par exemple.

La gravité du phénomène varie d’une province à l’autre. Au Québec, 3 p. 100 des cas de violence conjugale impliquent des armes. Cette proportion augmente à 13 p. 100 au Manitoba, selon une étude réalisée en 2009. Beaucoup savent que cette forme de violence est un phénomène de genre : ce sont les hommes, et non les femmes, qui, majoritairement, possèdent des armes à feu.

Statistique Canada a calculé que, en 2016, près de 600 femmes canadiennes, comparativement à 100 hommes, ont été victimes de violence conjugale ou de violence entre partenaires intimes commise avec une arme à feu. En Ontario, de 2002 à 2015, le quart des cas de meurtres conjugaux ont été commis avec des armes à feu. Ces crimes touchent les femmes de façon disproportionnée. En outre, au Québec, le tiers des victimes de meurtres conjugaux sont des femmes.

De plus, sur ce grave enjeu, il est trop facile d’opposer le monde rural à l’élite urbaine, comme certains le font. Il n’y a pas que des chasseurs ou des amateurs d’armes à feu qui obéissent aux lois qui vivent à la campagne. N’oublions pas leurs conjointes et leur famille. En fait, les carabines et les fusils de chasse sont les armes qui sont le plus souvent récupérées sur des lieux de crime. Ce sont les plus utilisées dans les cas de violence conjugale, de suicide et de meurtre d’agents de police, particulièrement en région rurale.

Il est également trop facile de limiter cette violence armée aux gangs de rue en ville. En fait, dans les zones rurales, parce qu’elles sont plus isolées, les femmes sont plus à risque.

Voici quelques exemples révoltants, y compris un meurtre, survenu au printemps dernier à Calgary. Nadia El-Dib, une jeune femme de 22 ans qui avait toute la vie devant elle, a été sauvagement assassinée par 40 coups de couteau et 2 coups de feu qui l’ont achevée. Son ex-copain avait acheté légalement une carabine semi-automatique deux semaines auparavant. Selon la sœur de la victime, le jeune homme croyait qu’il avait le droit de tuer son ex-amie de cœur, car elle voulait reprendre le contrôle de sa vie, et elle avait choisi de dire non à un homme qui voulait s’imposer. Ce drame montre bien les mécanismes à l’œuvre dans ce type de violence : pouvoir et usage de la violence pour contrôler le corps des femmes, quitte à les tuer.

En 2016, une Ontarienne de 26 ans a été tuée par balle par son ancien petit ami. L’agresseur avait obtenu un permis de possession et d’acquisition d’arme à feu en dépit de ses antécédents criminels et de ses problèmes de santé mentale.

Durant l’été 2015, dans le comté de Renfrew, en pleine campagne ontarienne, un homme a tué trois de ses anciennes conjointes avec une carabine à canon scié. Il avait un lourd passé de violence conjugale.

En 2015 également, au Manitoba, un autre exemple a fait beaucoup de bruit : Kevin Runke, qui a assassiné son ex-femme, Camille, par balle, à son lieu de travail. L’homme faisait pourtant l’objet d’une ordonnance de protection. Son ex-femme avait affirmé aux autorités qu’il avait une arme et qu’elle vivait dans la peur.

Plusieurs éléments du projet de loi C-71 me satisfont particulièrement, mais je tiens à soumettre à cette Chambre quelques pistes de réflexion en vue de l’étude en comité.

Dans la liste des critères suivis par les agents qui délivrent des permis de port d’arme, on devrait peut-être parler de prévention afin d’encourager des vérifications plus exhaustives. Le fait de refuser un permis d’achat d’arme ne doit pas être perçu comme étant une punition, mais plutôt comme une façon de prévenir les crimes. La tâche des agents qui délivrent ces permis est particulièrement difficile. Ils ont donc besoin d’indications claires dans la loi et les règlements pour bien faire leur travail. Doit-on, par exemple, se contenter de déclarations écrites de la part de répondants ou tenter de les joindre de vive voix pour confirmer qu’ils ou elles n’ont aucune crainte à ce que leur ami ou conjoint obtienne un permis d’arme à feu?

Voici une autre piste de réflexion. Les services policiers devraient-ils avoir davantage de marge de manœuvre afin de consulter rapidement les registres des vendeurs commerciaux ou individuels d’armes à feu sans obtenir de mandat au préalable? C’est ce qui est prévu dans le projet de loi C-71. Souvent, le temps compte dans les enquêtes. Dans les cas de violence conjugale, savoir combien il y a de fusils dans un domicile est crucial.

Le travail en comité, j’en suis certaine, nous permettra de réfléchir à ces questions, mais il est clair pour moi que le projet de loi C-71 est nécessaire et bienvenu. Le contrôle des armes à feu n’est, bien sûr, qu’un élément des stratégies de prévention qui peuvent réduire la violence conjugale et familiale. C’est bien connu, les lois ne suffisent pas, mais elles sont essentielles, car l’objectif de réduire cette inégalité entre les femmes et les hommes qui engendre la violence nécessite des changements profonds de mentalités, donc du temps, beaucoup de temps. Il s’agit ici de sauver des vies, car chaque vie compte, et d’éviter que des milliers de femmes vivent dans la peur parce qu’il y a des armes dans leur domicile. Merci.

Haut de page