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L’étude sur les questions concernant les affaires sociales, la science et la technologie en général

Adoption du vingt-septième rapport du Comité des affaires sociales, des sciences et de la technologie et de la demande de réponse du gouvernement

25 septembre 2018


L’honorable Sénatrice Kim Pate :

Honorables sénateurs, j’interviens aujourd’hui pour remercier le sénateur Eggleton, la sénatrice Petitclerc, la sénatrice Seidman, ainsi que tous les autres membres du Comité des affaires sociales qui ont examiné l’odieuse histoire des adoptions forcées au Canada. Je salue tous ceux qui ont contribué à l’excellent rapport du comité, en particulier les femmes — et les enfants qu’on leur a arrachés — qui ont parlé des horribles expériences qu’elles ont vécues dans des maternités financées par le gouvernement fédéral et les provinces, ainsi que des séquelles des politiques gouvernementales qui cherchaient à les marginaliser et à les réduire au silence.

J’interviens aujourd’hui pour donner un contexte supplémentaire au rapport du comité en attirant l’attention sur l’expérience des femmes racialisées et des femmes blanches qui ont eu des relations avec des hommes de couleur et qui n’étaient souvent pas les bienvenues dans les maternités dont parle le rapport du comité. Ainsi, au début du XXe siècle en Ontario, des femmes que je connais ou dont je connais les enfants adultes, ainsi que bien d’autres, ont été qualifiées d’incorrigibles et enfermées dans la maison de correction Mercer de Toronto.

De 1896 à 1964, la Female Refuges Act de l’Ontario a permis l’incarcération de femmes et de filles âgées de 16 à 35 ans sous de vagues accusations d’incorrigibilité, de vagabondage et d’immoralité. On invoquait cette loi pour des femmes accusées de promiscuité, parfois après un viol ou pour avoir eu des relations et des enfants avec des hommes racialisés.

En 1939, Velma Demerson avait 18 ans lorsqu’un juge a déterminé, sans procès ni appel, qu’elle était incorrigible. Son crime? Elle était enceinte et vivait avec son fiancé, Harry Yip, un homme d’origine chinoise. Les mémoires de Mme Demerson, Incorrigible, qu’elle a dédiées à son fils, Harry Junior, racontent une partie des tortures infligées aux femmes emprisonnées à la maison de correction Mercer, y compris le confinement dans des cellules de quatre pieds par sept pieds ou, pire encore, dans des cellules sans fenêtre au sous-sol utilisées pour l’isolement cellulaire. Il est aussi question de violence physique, de procédures médicales atroces et irrespectueuses, de chirurgies sans anesthésique, dont des stérilisations, et de menaces de se faire enlever leur enfant. Au cours de son soi-disant traitement, on a administré à Mme Demerson un produit chimique hautement toxique qu’on jugera par la suite comme la cause des problèmes de santé invalidants et persistants que connaît son fils, Harry Junior, depuis sa naissance.

Les autorités à la maison de correction Mercer ont empêché Mme Demerson de visiter son fils à la pouponnière de la prison, puis celui-ci a complètement disparu. On lui a seulement dit qu’il avait été emmené à l’hôpital. Bien qu’elle et lui aient été brièvement réunis, au final, elle a perdu la garde de son fils après sa libération de la maison de correction Mercer, ne le voyant qu’une autre fois alors qu’il avait 26 ans. Le racisme inutile et insensé, le sexisme et la cruauté des politiques qui ont sous-tendu l’envoi de Mme Demerson à la maison de correction Mercer n’ont jamais été reconnus publiquement.

Récemment, plusieurs personnes maintenant adultes dont la mère avait été incarcérée à la maison de correction Mercer ont communiqué avec moi. La mère de l’un des hommes, une Autochtone, avait été arrêtée pour être tombée enceinte sans être mariée. Il dit que, après sa naissance à la maison de correction, il a dû être hospitalisé plus d’une fois alors qu’il était encore un jeune enfant en raison des mauvais traitements que lui faisait subir une des surveillantes à la garderie de la prison, notamment en raison de lésions graves à la tête et aux bras.

Une femme a raconté avoir été adoptée en bas âge. Le traumatisme qu’elle a vécu parce qu’on l’a privée d’une partie de son histoire familiale et de la possibilité de communiquer avec sa famille d’origine pour discuter de son passé l’a empêchée de développer un sentiment d’identité que la plupart d’entre nous tiennent pour acquis. Elle cherche désespérément à obtenir des renseignements au sujet de sa mère et des événements qui ont mené à son adoption; elle peine à obtenir des documents de la maison de correction Mercer au moyen du processus d’accès à l’information.

Elle a lu le rapport du comité et elle considère qu’elle est l’une des personnes décrites par le comité qui « [se sont vues] retirer leur identité dès la naissance » et qui ont subi :

[des] pratiques discriminatoires à cause desquelles elles estiment ne pas s’être vues accorder les droits à l’égalité qui sont inhérents aux autres Canadiens.

Bien que le rapport du comité ne parle pas en particulier des expériences vécues par les femmes incarcérées à la maison de correction Mercer, cette femme affirme se sentir réconfortée par l’éclairage nouveau que jette ce rapport sur les adoptions forcées. Elle peut envisager avec une perspective différente les raisons qui font qu’elle et d’autres enfants adoptés ont été « abandonnés » par leur mère et qui avaient jusqu’ici donné lieu à de pénibles conjectures leur torturant l’esprit. Elle dit que les constatations et les recommandations d’une autorité comme le Sénat sur les problèmes liés aux pratiques d’adoption du passé lui ont mis du baume au cœur.

Les histoires de ces femmes courageuses et de leur famille ne représentent qu’une toute petite partie des adoptions forcées et des autres atrocités subies par les femmes injustement incarcérées à la maison de correction Mercer ainsi que par leurs enfants. Cet épisode honteux de l’histoire du Canada a été occulté pendant beaucoup trop longtemps, ce qui a souvent entraîné le musellement et la marginalisation des survivants qui voulaient dénoncer ce qui s’était produit.

Bien que le rapport final du comité soit applicable aux expériences vécues par ces femmes incarcérées, qui font partie du groupe affecté par les adoptions forcées, leur cas n’est pas étudié à part. Par conséquent, j’exhorte le gouvernement à prendre le temps de s’occuper en particulier du cas de ces femmes et de leur famille lorsqu’il mettra en œuvre les recommandations du comité. Il y a longtemps que ces gens auraient dû recevoir des excuses publiques et qu’on aurait dû sévèrement condamner le traitement qu’ils ont dû subir. En outre, j’exhorte le Sénat à étudier les injustices horribles perpétrées à la maison de correction Andrew Mercer par l’intermédiaire du Comité des affaires sociales ou par d’autres moyens, afin de poursuivre l’excellent travail de ce comité, qui a réussi à soumettre publiquement la question des adoptions forcées à un examen attentif.

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