Ordre du jours - Les familles d’enfants autistes en crise
Le dixième anniversaire du rapport du Sénat—Interpellation—Suite du débat
26 octobre 2017
L’honorable Sénatrice Kim Pate :
Honorables sénateurs, je prends la parole dans le cadre de l’interpellation du sénateur Munson, qui attire l’attention du Sénat sur le 10e anniversaire d'un rapport révolutionnaire intitulé Payer maintenant ou payer plus tard : Les familles d’enfants autistes en crise.
Je félicite les sénateurs Munson, Housakos et Bernard pour leur leadership exemplaire dans le cadre de cette initiative et pour la prise de conscience collective qu’ils ont suscitée à l’égard de l’autisme.
L’autisme touche toutes les sphères de la société. Nous devons élaborer une stratégie nationale sur l’autisme qui tienne compte des obstacles systémiques et des attitudes négatives qui empêchent les gens d’avoir accès à des services multisectoriels pour les troubles du spectre autistique.
Le système pénal n’échappe pas à la règle. En effet, selon les études qui ont été faites depuis une vingtaine d’années, les gens ayant un trouble du spectre autistique ou un autre trouble du comportement courent sept fois plus de risques que le reste de la population d’avoir des démêlés avec la justice au cours de leur vie. Dans la mesure où certains problèmes de santé mentale, comme l’anxiété et la dépression, sont fréquents chez les personnes ayant un trouble du spectre de l’autisme, les prisonniers autistes souffrent beaucoup en milieu carcéral.
Honorables sénateurs, il faut veiller à ce que les personnes ayant un trouble du spectre de l’autisme ou d’autres troubles mentaux invalidants ne se retrouvent pas en prison, où ils n’auront pas accès aux ressources et aux traitements dont ils ont besoin.
Pas plus tard que la semaine dernière, deux cas de ce genre ont été portés à mon attention.
Dans le premier cas, on a incité des parents — dont l’un est policier — à s’adresser à la police lorsque les débordements agressifs de leur adolescent devenaient difficiles à contenir. On les a avisés que leur fils recevrait davantage de services dans le système de justice pénale. Ce n’était pas vrai. Leur fils est aujourd’hui plus ingérable que jamais, sa confiance en ses parents a été sérieusement ébranlée et ceux-ci dépensent maintenant des milliers de dollars en frais juridiques et médicaux pour le soustraire à ce système. S’ils réussissent, ils devront continuer d’affronter les difficultés causées par l’insuffisance des appuis, des services et des ressources qui seraient nécessaires.
(1510)
Le deuxième cas porte sur une femme purgeant une peine de prison. Le personnel la juge handicapée au point de ne pas pouvoir consentir à des évaluations et encore moins à des traitements. La mère de cette femme avait pourtant dit que sa fille avait reçu un diagnostic d’autisme.
Elle est isolée dans une unité à sécurité maximale, là où l’on peut gérer le plus facilement son comportement autodestructeur. Lorsqu’on n’arrive plus à la contrôler, on la vaporise de poivre. On l’amène ensuite à la douche pour la décontaminer, mais, au lieu d’ouvrir le robinet pour elle ou de l’inviter à le faire, on la laisse se débrouiller toute seule. N’ayant pas elle-même le réflexe de faire couler l’eau pour apaiser la sensation de brûlure, elle se frappe le visage. Dans une vidéo, on la voit se frapper une centaine de fois. Le lendemain de l’incident, sa peau était brûlée par le poivre et son visage était tuméfié comme si elle avait été frappée avec un bâton de baseball.
Ces deux cas, parmi bien d’autres, justifient l’investissement dans des appuis et services communautaires. Nous devons nous assurer par ailleurs que ceux qu’on ne peut pas empêcher d’être criminalisés ou emprisonnés soient placés dans des centres de santé provinciaux ou territoriaux. L’article 29 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, qui s’applique aux prisons fédérales, précise que des détenus peuvent être transférés afin de recevoir les soins de santé dont ils ont besoin.
Les familles doivent pouvoir compter sur les ressources et l’orientation requises pour répondre aux besoins de leur enfant autiste. Comme l’ont souligné les sénateurs qui ont pris la parole avant moi et comme le montre la recherche, l’intervention précoce peut contribuer à renverser certains des effets de l’autisme. Or, les familles ont déjà du mal à assumer tout ce qu’il en coûte pour élever un enfant autiste.
La situation est particulièrement difficile pour les enfants dont la mère est incarcérée et ceux qui vivent sous le seuil de la pauvreté. Pour la plupart, les mères incarcérées n’ont aucune aide pour subvenir aux besoins de leur famille au moment où elles se retrouvent en prison, et ce sont les soins offerts à leurs enfants qui en souffrent le plus. Ce fardeau est particulièrement lourd dans le cas des enfants ayant des besoins spéciaux, comme les autistes.
Quand Nelson Mandela, qui a lui-même déjà fait de la prison, a pris les rênes de l’Afrique du Sud, il a ordonné que toutes les détenues ayant des enfants de moins de 12 ans soient relâchées. Pour justifier sa décision, il a dit que, collectivement, le gouvernement, la société civile et le secteur privé devaient unir leurs efforts afin que tous les enfants soient pris en charge, qu’ils mangent à leur faim et qu’ils reçoivent les soins dont ils ont besoin.
Dans sa future stratégie nationale sur l’autisme, le Canada doit tenir compte du rôle que jouent les mères dans la santé de leurs enfants et les aider à y voir, surtout dans le cas des familles à qui les autres ressources font défaut. Nous devons faire le nécessaire pour que le réseau carcéral cesse d’aggraver la situation des enfants autistes en les séparant de leur mère.
Nous devons aussi nous attaquer aux préjugés qui empêchent les parents qui ont un casier judiciaire de soutenir activement l’apprentissage de leurs enfants autistes. Certaines mères de ma connaissance ne demandent pas mieux que de faire du bénévolat dans la classe de leurs enfants, mais elles ne le peuvent pas, parce qu’elles ont un casier judiciaire. Pour être viable et aider concrètement les autistes, la future stratégie devra accorder une place prépondérante aux solutions de rechange à l’emprisonnement et à l’accès accru aux ressources décrites dans le rapport Payer maintenant ou payer plus tard : Les familles d’enfants autistes en crise.
Il faut être conscient du fait que l’autisme ne fait pas de discrimination en fonction de la race, de l’origine ethnique ou de la situation socioéconomique. Ainsi, il est extrêmement injuste de laisser ces différences bloquer l’adoption d’une stratégie nationale sur l’autisme. Les communautés autochtones peinent à accéder aux services destinés aux personnes atteintes de troubles du spectre de l’autisme à cause de l’isolation sociale et de la discrimination raciale systémique. Tout cadre d’une stratégie nationale sur l’autisme doit prendre en compte les besoins des groupes marginalisés. C’est la seule façon de garantir une offre de services équitable et efficace.
Honorables collègues, plusieurs d’entre nous demandent au Sénat d’appuyer les recommandations du rapport intitulé Payer maintenant ou payer plus tard : Les familles d’enfants autistes en crise ainsi que le retrait des obstacles systémiques au sein des diverses communautés et du système de justice pénale. Les deux approches sont essentielles à une stratégie nationale visant à aider les personnes atteintes de troubles du spectre de l’autisme et les familles qui les appuient.
Merci. Meegwetch.