Le Sénat
Motion tendant à encourager le gouvernement à tenir compte des objectifs de développement durable des Nations Unies dans l’élaboration des lois et l’établissement de politiques en matière de développement durable—Suite du débat
15 février 2018
L’honorable Sénatrice Kim Pate :
Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet de la motion du sénateur Dawson sur le Programme à l'horizon 2030 et les objectifs de développement durable connexes. Je remercie le sénateur Dawson d’avoir attiré l’attention du Sénat sur ces objectifs, et la sénatrice Bellemare de ses propos en faveur de la motion. Moi aussi, j’appuie la motion.
Les deux sénateurs ont très bien expliqué ce programme et les objectifs de développement durable. Je ne les répéterai pas, mais il est important de les connaître et de savoir ce que nous, législateurs canadiens, pouvons faire pour que le Canada les atteigne.
Le Programme à l’horizon 2030 est un plan d’action international qui a été adopté par les Nations Unies en 2015 et qui vise à éradiquer la pauvreté dans le monde. Les 17 objectifs de développement durable et les 169 cibles du programme sont le fruit d’une consultation intensive à l’échelle mondiale. Les objectifs du programme reposent sur le principe voulant que le développement durable nécessite un engagement en vue de mettre fin à la pauvreté, de protéger l’environnement et d’assurer un accès équitable à l’éducation, l’égalité des sexes et l’accès à la justice. Le but ultime du programme est de faire en sorte que les personnes, les pays et l’environnement se portent bien, partout dans le monde.
Le Canada a indiqué qu’il adhérait au Programme à l’horizon 2030 en élaborant la Stratégie fédérale de développement durable. La stratégie 2016-2019 est axée sur la lutte contre les changements climatiques, la promotion d’un environnement sain et l’édification de collectivités propres, durables et saines. Selon la mise à jour de la stratégie publiée à l’automne 2017, le Canada a fait des progrès en vue d’atteindre ces objectifs, mais il reconnaît qu’il reste encore beaucoup de chemin à faire.
Le Canada est l’un des pays les plus riches au monde. Pourtant, un Canadien sur sept vit toujours dans la pauvreté. Les statistiques sont encore pires dans le cas des personnes marginalisées. Un Autochtone sur cinq — soit 20 p. 100 — vit dans une maison nécessitant des réparations majeures. Une personne handicapée sur quatre touche un faible revenu, et les personnes handicapées représentent 41 p. 100 de la population à faible revenu.
Par ailleurs, 62 p. 100 des femmes âgées de 25 à 34 ans qui n’ont pas terminé leurs études secondaires ont au moins un enfant. Dans ce groupe, une femme sur cinq est chef de famille monoparentale.
Le revenu médian annuel des ménages est de 70 336 $, et une personne est considérée à faible revenu si elle gagne 23 861 $ ou moins par année.
En comparaison, en 2010, le directeur parlementaire du budget a calculé qu’il en coûtait à l’État 348 000$ par année pour incarcérer une femme dans une prison fédérale. Le Service correctionnel du Canada ne tient pas compte de tous les coûts, mais il estime tout de même que l’incarcération d’une femme coûte plus de 210 000 $ par année.
Pour de trop nombreuses détenues et pour les personnes démunies qui vivent en dehors des murs des prisons, ce qui vaut aussi pour les élèves que j’ai rencontrés le mois dernier à Thunder Bay, c’est en partie parce qu’elles vivent dans la pauvreté qu’elles sont des victimes et qu’elles font l’objet de discrimination et ont maille à partir avec la justice. En fait, tous ces facteurs sont intrinsèquement liés.
Le Programme de développement durable à l’horizon 2030 rappelle que, pour éradiquer la pauvreté, il faut se débarrasser des inégalités. Pour mettre fin à la discrimination, à la criminalisation et à la pauvreté au Canada, il faut s’attaquer de front à ces inégalités.
Je tiens d’ailleurs à souligner le travail du caucus anti-pauvreté composé de représentants de tous les partis, dont le coprésident pour le Sénat est le sénateur Eggleton. Il s’emploie à sensibiliser la population et à stimuler la discussion sur l’instauration d’un revenu de subsistance garanti ou de diverses initiatives de réduction et d’élimination de la pauvreté. Il insiste aussi sur les résultats qu’il est possible d’obtenir quand on vise l’égalité pour tous : amélioration de la santé mentale et physique; diminution des dépenses consacrées à la santé, aux tribunaux, à la police et aux services correctionnels; baisse de la criminalité; et, enfin, accroissement de la sécurité publique.
Pour régler ces problèmes, il faut étudier d’un œil extrêmement critique l’absence d’investissements dans les services communautaires et l’affectation de sommes quasi infinies à la construction et à la rénovation de prisons. Le gouvernement fédéral est, par exemple, disposé à dépenser au moins 76 millions de dollars pour bâtir un nouveau pénitencier au Nunavut au lieu de prendre acte du fait que le quart des Inuits vivent dans une maison qui ont besoin de réparations majeures et de faire le nécessaire pour remédier à la situation.
Dans le rapport intitulé Le logement dans l’Inuit Nunangat : Nous pouvons faire mieux!, qui porte sur le logement dans le Nord, le Comité sénatorial permanent des affaires autochtones aborde la question et envoie un message sans équivoque à propos d’une des urgences de santé publique les plus pressantes du pays : « [Si] nous voulons vraiment que les jeunes Inuits puissent participer pleinement à la vie de leur communauté, il faut alors investir en priorité dans le logement. »
Le rapport Sustainable Development Goals Index and Dashboards Report 2017 permet de voir si les pays participant au Programme des objectifs de développement durable sont près d’atteindre les 17 objectifs établis. Le Canada arrive au 17e rang.
Les quatre pays les plus près de concrétiser les objectifs de développement durable sont la Suède, le Danemark, la Finlande et la Norvège. Ce n’est pas un hasard si les taux de victimisation, de criminalisation et d’incarcération y sont moins élevés qu’au Canada.
Le Programme 2030 prévoit clairement que, pour que ses objectifs soient atteints, tous les pays, les intervenants et les gens doivent travailler ensemble. Les nations autochtones doivent faire partie intégrante de ce partenariat au Canada et à l’échelle internationale. Le Programme de développement durable à l'horizon 2030 offre au gouvernement fédéral une occasion de respecter les droits qu’il s’est engagé à protéger dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.
En incluant les nations autochtones dans le partenariat mondial, on s’assure que les personnes touchées par la pauvreté peuvent donner leur avis sur les meilleures façons de l’éliminer. Selon le Rapport sur les objectifs de développement durable, le Canada présent des taux élevés d’obésité, d’incarcération et de pauvreté. Les Autochtones sont particulièrement touchés par ce problème, comparativement au reste des Canadiens. Les appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation constituent une feuille de route pour la concrétisation des objectifs de développement durable. Ceux qui touchent le bien-être des enfants et l’accès à l’éducation, le sport et la santé, par exemple, tracent la voie à suivre au Canada pour en arriver à une société plus juste et plus égalitaire pour les générations à venir.
L’élimination de la pauvreté au Canada exige un engagement sérieux à l’égard de la relation de nation à nation. Le Sénat a un rôle essentiel à jouer pour ce qui est de veiller à ce que le gouvernement s’engage sur la voie de la réconciliation et respecte les droits des Autochtones.
Dans un témoignage, Doris Young, membre du Comité des survivants des pensionnats indiens, a dit que l’un des principaux aspects de la réconciliation consistait à veiller à ce que les valeurs autochtones :
[…] soient respectueusement reconnues et que le Sénat en tienne compte dans son analyse des politiques et des programmes gouvernementaux. En particulier, je propose que le Sénat reconnaisse la vision des Autochtones à l’égard de la terre et ce que signifie […] cette terre, la culture, la langue, nos ancêtres et nos liens spirituels avec la terre.
Le Programme de développement durable à l’horizon 2030 peut nous aider à respecter les promesses que nous avons faites aux Autochtones.
L’inclusion des Autochtones dans ce partenariat cadre aussi avec les objectifs de développement durable. Le Canada est loin d’atteindre les objectifs qui se rapportent aux relations avec les Premières Nations, les Inuits et les Métis. Le Rapport sur les objectifs de développement durable de 2017 donne au Canada la cote rouge pour ce qui est de la pollution, des océans et de la protection de l’environnement. Les systèmes juridiques des Autochtones sont dotés d’excellents mécanismes en ce qui concerne les rapports avec l’environnement. Le Canada a beaucoup à apprendre de ces systèmes juridiques et de ces traditions quant aux moyens de protéger le territoire canadien.
On peut lire ceci dans le préambule du programme : « Nous considérons que l’élimination de la pauvreté […] constitue le plus grand défi auquel l’humanité doive faire face, et qu’il s’agit d’une condition indispensable au développement durable. » L’élimination de la pauvreté et la protection de notre planète sont nécessaires pour l’avenir des Canadiens. Ces objectifs sont importants, et je ne veux en rien diminuer les obstacles à surmonter pour les réaliser.
Il ne faut pas penser que l’élimination de la pauvreté est chose facile. Pour atteindre cet objectif, il faut que les gouvernements, les intervenants et la population unissent leurs efforts. Aucun particulier, aucun organisme, aucun gouvernement ne peut à lui seul contrer les changements climatiques.
Nous, sénateurs, avons la responsabilité de demander des comptes au gouvernement fédéral quant au respect des engagements du Canada. Il faut que nous nous acquittions de notre mandat afin de faire du Canada un meilleur endroit où vivre. Je ne peux imaginer de meilleure façon d’assumer nos responsabilités qu’en contribuant à éliminer la pauvreté et à protéger notre planète.
Je vous remercie. Meegwetch.