La Loi canadienne sur les sociétés par actions, La Loi canadienne sur les coopératives, La Loi canadienne sur les organisations à but non lucratif, La Loi sur la concurrence
Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Suite du débat
24 octobre 2017
L’honorable Sénatrice Pamela Wallin :
Honorables sénateurs, je cite l’ancienne première dame Michelle Obama :
Lorsqu’on a travaillé fort et qu’on a eu du succès, on ne doit pas faire obstacle aux autres personnes qui aspirent à la réussite. Il faut leur donner les mêmes chances de réussir.
Cela correspond à mon expérience dans le milieu des affaires et au sein de conseils d’administration, et c’est ce qui m’amène à participer à ce débat sur le projet de loi C-25. Le projet de loi a pour objectifs louables d’améliorer la transparence des entreprises, de renforcer la participation démocratique des actionnaires, de réduire le fardeau réglementaire et d’accroître la participation des femmes et de divers groupes de la société au sein des conseils d’administration et de la haute direction d’entreprises.
Selon une étude des Autorités canadiennes en valeurs mobilières, au Canada, les femmes n’occupent que 14 p. 100 des postes au sein des conseils d’administration. C’est 3 p. 100 de plus par rapport au taux de 2015.
Les grandes entreprises ont fait un peu mieux. Pour les entreprises avec une capitalisation boursière de plus de 10 milliards de dollars, 24 p. 100 des postes au conseil d’administration étaient occupés par des femmes. Encore une fois, cela représente une hausse de 3 p. 100 par rapport au taux de 2015.
Plus encourageant encore, 61 p. 100 des entreprises canadiennes ont au moins une femme au sein de leur conseil d’administration, ce qui représente une hausse de 49 p. 100 par rapport à il y a trois ans seulement.
C’est donc dire que la situation s’améliore, et elle continuera de s’améliorer parce que c’est rentable.
Comme le sénateur Wetston et d’autres l’ont souligné, d’importantes études réalisées par le FMI, McKinsey & Company ainsi que le Peterson Institute établissent clairement le lien direct entre la hausse du rendement financier d’une entreprise et la présence de femmes à la haute direction.
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Autant les hommes que les femmes s’entendent pour dire que les attributs généralement considérés comme féminins sont essentiels à la prise de décisions dans le contexte économique actuel, qui est souvent chaotique. Je parle notamment d’une pensée non linéaire, de la capacité d'accomplir plusieurs tâches à la fois et d’une sensibilité aux problèmes de culture d’entreprise.
Une amie qui est une mentore pour moi, Maureen Kempston Darkes — ancienne présidente de GM Canada —, croit que les femmes apportent vraiment un nouveau point de vue au conseil d’administration et à la haute direction. Elle a dit ce qui suit :
Nous posons parfois des questions différentes. Notre expérience peut différer de celle des hommes. Il est possible que nous ayons un point de vue différent sur le leadership organisationnel en matière de ressources humaines; nous pourrions parler d’expériences distinctes au conseil d’administration et à la haute direction au sujet de la gestion financière.
Maureen, qui a pris sa retraite de GM, siège aux conseils de plusieurs sociétés de premier ordre, comme le CN, Enbridge et Brookfield Asset Management. Elle est aussi convaincue qu’un changement s’opère. Elle a affirmé ceci :
[…] davantage de femmes siégeront aux conseils d’administration parce qu’elles occupent des postes de plus en plus élevés dans la hiérarchie. Leur expertise sera donc recherchée par les conseils. Étant donné que ces derniers sont vieillissants, il y aura plus d’occasions d’intégrer des femmes […]
On peut se demander ceci : comment faire pour favoriser ce changement? Le gouvernement devrait-il y participer? Le gouvernement a décidé que ce serait le cas, et il a choisi le modèle « se conformer ou s’expliquer ». Il s’agit de l’approche adoptée par de nombreux organismes provinciaux de réglementation des valeurs mobilières, ainsi que par le groupe TSX, le FTSE de Londres et l’Australie.
Selon ce modèle, les sociétés doivent communiquer annuellement à leurs actionnaires leurs politiques sur la diversité, y compris sur la représentation des femmes au sein des conseils d’administration et de la haute direction. Si elles ne le font pas, elles doivent expliquer pourquoi elles n’ont pas de telles politiques en place. Je crois que cette approche privilégie la carotte plutôt que le bâton. Elle permet aux actionnaires de demander des comptes aux membres de la direction sur leur façon de promouvoir la diversité en leur sein. S’il n’y a qu’une faible amélioration, le gouvernement a déjà annoncé son intention de revoir la loi dans cinq ans et de mettre en place des mesures plus sévères.
Il est intéressant de noter qu’un changement important s’opère au Royaume-Uni et en Australie, où le modèle « se conformer ou s’expliquer » a été adopté. Toutefois, nous ne savons pas si cela découle de la mise en place d’une politique gouvernementale, d’un changement de la réalité démographique dans le monde du travail ou d’une combinaison des deux. Est-il nécessaire d’adopter une approche légaliste, compte tenu des changements qui ont lieu dans la société canadienne et ailleurs dans le monde?
Les femmes comptent maintenant pour plus de 60 p. 100 de tous les diplômés universitaires. La plupart des diplômés en droit sont des femmes. Le nombre d’entrepreneurs croît deux fois plus vite chez les femmes que chez les hommes et leurs revenus augmentent plus rapidement. De plus en plus de femmes occupent des postes de direction et font partie de conseils d’administration. Elles vont inviter d’autres femmes à se joindre à elles. Peut-être que cela n’a pas toujours été vrai, mais il semblerait que ce soit de plus en plus le cas. Quelqu’un a déjà dit que toute femme qui réussit a derrière elle un groupe de femmes qui ont réussi elles aussi et qui la soutiennent. C’est l’expérience que j’ai eue dans le monde des affaires.
Je le répète, les changements démographiques et la diversité croissante s’expliquent par divers facteurs, notamment la politique d’immigration et le système d’éducation du Canada. Quiconque regarde chaque printemps les publicités pleine page de la revue Report on Business, où on trouve la liste et les photos des nouveaux titulaires d’une maîtrise en administration des affaires des meilleures écoles de gestion du pays, verra que la diversité du Canada y est à l’honneur. Grâce à leurs différentes origines, ces titulaires d’une maîtrise en administration des affaires aideront les entreprises canadiennes à avoir accès aux marchés du monde entier.
Maureen croit également qu’une plus grande diversité dans les conseils d’administration est une pratique commerciale intelligente. Elle a dit ce qui suit :
Ce qu’il faut tenter de faire, c’est d’avoir la vision la plus large possible sur l’entreprise et ses décisions en matière de contrôle, d’idées et de prévoyance. Une plus grande diversité favorise le dialogue.
Ainsi, la tendance vers la diversité dans les conseils d’administration du Canada est inexorable, avec ou sans politiques gouvernementales. C’est pourquoi j’espère que les règlements et les avis, bien qu’ils ne soient pas pleinement expliqués dans le projet de loi, tendront à être plus persuasifs que normatifs.
Pour tout dire, le projet de loi ne définit pas la diversité. Il faudrait que le comité se penche sur cette question. Le ministre Bains a expliqué à ses collègues de la Chambre la semaine dernière que le gouvernement ne souhaite pas définir ce concept, parce que cela risquerait de restreindre la portée de la mesure législative. Mais alors, comment peut-on demander aux entreprises de se conformer à nos attentes? Où placer la barre?
Je vois aussi d’un bon œil que le gouvernement ait évité d’imposer des quotas. C’est toujours quand le gouvernement veut changer les choses en légiférant qu’abondent les conséquences inattendues, surtout s’il s’aventure dans un domaine où son expertise laisse à désirer. Imposer un nombre « x » de candidates à des postes de décision sans connaître intimement les rouages du milieu ou sans tenir compte de l’expertise, de l’indépendance et des intérêts des personnes en cause peut seulement mener à des décisions douteuses, voire pire, puisque la situation pourrait causer un certain ressentiment à l’interne, et ce seront toutes les femmes qui en subiront alors les conséquences, alors que ce sont précisément elles que le gouvernement cherche à aider.
Cela dit, il y a une chose qui me chicote par-dessus tout : l’imposition de quotas va directement à l’encontre du principe de l’égalité des chances pour tous. Les femmes devraient grimper les échelons parce qu’elles le méritent et parce qu’elles sont compétentes, et c’est vrai aussi pour les hommes. Elles sont de plus en plus nombreuses à accéder aux postes de décision parce que, comme nous l’avons vu, les profits augmentent quand les femmes sont présentes à tous les niveaux de la hiérarchie, et les faits sont là pour le prouver. Il faut dire aussi que les hommes prennent de l’âge.
Si j’hésite à donner mon appui au principe des quotas, c’est à cause des contraintes qu’ils imposent aux femmes. Si j’en arrive à la conclusion que le candidat qu’il me faut est une femme, non pas parce qu'elle est une femme, justement, mais parce qu’elle est compétente et intelligente et qu’elle possède l’expérience et les connaissances que je recherche, qui me dit qu’on ne dira pas par la suite que je l’ai embauchée seulement parce qu’elle était de sexe féminin?
Les femmes seront-elles embauchées et promues parce qu’elles représentent les femmes, et non les hommes, ou les actionnaires — à moins qu’il ne s'agisse de femmes là aussi? Au lieu d’être un tremplin, les quotas pourraient-ils devenir un plafond?
Les femmes peuvent rivaliser avec les hommes sur la foi de leur mérite. Dans un tel cas, personne ne peut leur enlever leurs succès. D’accord, l’imposition de quotas ferait augmenter plus rapidement le nombre de femmes au sein des conseils d’administration, mais, selon une étude intitulée The Nordic Gender Equality Paradox, sur le paradoxe de l’égalité des sexes dans les entreprises et les sociétés nordiques, dont les conseils d’administration doivent déjà compter 40 p. 100 de femmes, celles-ci ont un effet sur le rendement de leur organisation si elles ont l’expérience et l’expertise requises, mais, si elles sont choisies uniquement pour remplir un quota, les avantages s’estompent aussitôt.
Les données montrent donc que l’imposition de quotas n’a aucun effet positif et a même souvent des répercussions négatives sur l’avancement des femmes et le rendement de l’entreprise, deux domaines qui sont censés être avantagés par cette mesure.
En Norvège, il n’y a pas eu de diminution sensible de l’écart salarial entre les hommes et les femmes ou d’augmentation du nombre de femmes inscrites dans les programmes d’administration des affaires. De plus, il y a eu peu de preuves de changements fondamentaux dans les décisions des femmes concernant le mariage et la reproduction. Cependant, ce qui est encore plus troublant, c’est que, lorsque toutes les entreprises ont été obligées de respecter les quotas en 2006, une centaine des 500 entreprises concernées ont apporté des changements complexes, mais légaux, à leur structure afin de contourner la nouvelle loi.
Le cours des actions a baissé après l’annonce de la mesure législative sur les quotas. En outre, selon les auteurs d’une étude, l’imposition de quotas a mené à la nomination au sein des conseils d’administration de membres plus jeunes et moins expérimentés, ce qui a entraîné une augmentation du recours aux leviers financiers et aux acquisitions et une détérioration du rendement d’exploitation.
Aux États-Unis, on consacre sans grand succès environ 8 milliards de dollars par année aux questions touchant la diversité, le gouffre financier de la diversité, comme l’appellent les auteurs d’un nouvel ouvrage. Dans Results at the Top: Using Gender Intelligence to Create Breakthrough Growth, Barbara Annis et Richard Nesbitt affirment que responsabiliser les dirigeants, offrir un encadrement tenant compte de la spécificité des sexes, faire parrainer des femmes par des hommes et laisser les conseils d’administration planifier leur relève donnent de meilleurs résultats que l’imposition de quotas. Nous enseignons aux hommes depuis très longtemps à ne pas tenir compte du sexe d’une personne, et maintenant nous voulons qu’ils mettent l’accent là-dessus. Cela sèmera inévitablement la confusion dans leur esprit, et ils craindront d’être tenus responsables d’une mauvaise blague ou d’un mauvais geste.
Là où je veux en venir, c’est que nous devrions encourager plutôt qu’obliger les entreprises à trouver les meilleurs membres pour leurs conseils d’administration. De nos jours, le Canada regorge de personnes talentueuses qui se spécialisent dans de nombreux domaines. L’Institut des administrateurs de sociétés et le Conseil canadien pour la diversité administrative, de même que des groupes comme Catalyst, ont créé des listes ou des registres comprenant le nom de plusieurs milliers de Canadiens qui sont prêts à devenir membres d’un conseil d’administration, c’est-à-dire qui possèdent les compétences, les qualités et la formation requises. À mesure que plus de femmes et de membres des minorités deviendront des cadres supérieurs et des administrateurs, les entreprises nommeront davantage de femmes et de membres des minorités au sein de leurs conseils d’administration.
J’aimerais parler brièvement des autres amendements proposés aux lois canadiennes sur le cadre financier. Il est logique de procéder à l’élection de chaque administrateur plutôt que d’avoir une liste de candidats parmi lesquels choisir, et d’exiger un vote majoritaire pour avoir un administrateur dont l’élection ne sera pas contestée. Ce processus est largement utilisé par les sociétés cotées en bourse.
Je suis inquiète de la proposition de tenir des élections annuelles pour les sociétés cotées en bourse. Le fait de confier des mandats d’un an aux administrateurs pourrait entraîner un roulement trop fréquent ou un manque de continuité et d’expertise, mais cette façon de faire est en train de devenir la norme dans l’industrie et une exigence pour s’inscrire à de nombreuses bourses. C’est vers là que le projet de loi se dirige.
Cela dit, il y a une très bonne raison de vouloir encourager la diversité dans les conseils d’administration du Canada, et aucune raison de ne pas le faire. À mesure que plus de femmes y accéderont, la direction et les conseils d’administration des entreprises se voudront un meilleur reflet de la société canadienne. Merci.