
Projet de loi sur l’évaluation d’impact - Projet de loi sur la Régie canadienne de l’énergie - La Loi sur la protection de la navigation
Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Suite du débat
11 décembre 2018
L’honorable Sénatrice Pamela Wallin :
J’aimerais ajouter ma voix au débat sur le projet de loi C-69, Loi édictant la Loi sur l’évaluation d’impact et la Loi sur la Régie canadienne de l’énergie, modifiant la Loi sur la protection de la navigation et apportant des modifications corrélatives à d’autres lois.
De nombreuses questions se posent quant à l’objet de ce projet de loi et aux conséquences qu’il aura. C’est même devenu une grande source d’inquiétude pour tout un secteur économique et pour les familles et les localités qui dépendent du secteur énergétique.
Je sais que ce n’est pas ce projet de loi qui est à l’origine de la crise qui secoue le secteur pétrolier, mais l’attitude d’Ottawa, certains de ses gestes, et ses intentions concernant la filière pétrolière ont créé énormément de frustration, de colère et de ressentiment chez les Canadiens, notamment dans mon coin de pays, et ils sentent qu’un immense fossé les sépare de ceux qui sont à la tête du pays.
Qu’on se comprenne bien : je ne suis pas en train de parler des mouvements prônant la séparation des provinces de l’Ouest ni de répéter les habituelles positions partisanes. À vrai dire, ce que je perçois est beaucoup plus troublant. J’ai l’impression que les Canadiens ont perdu confiance et sentent qu’on ne les respecte plus et qu’ils ne font plus partie des plans d’avenir du pays.
Bien sûr, dans un pays aussi vaste que le Canada, le vécu et la réalité de chacun varient énormément. À regarder le premier ministre Mulroney, la semaine dernière, rendre hommage avec autant d’éloquence à un ami cher et à un grand chef d’État, nous avons été nombreux à nous remémorer ses grandes et puissantes envolées. La citation qu’en a retrouvée le sénateur Tkachuk est directement venue me chercher :
« Nous sommes tous le reflet de notre environnement, a dit Mulroney, le jugement que nous appliquons aux problèmes qui se posent à nous a été formé par la réalité que nous avons vécue. »
Je vais vous faire part de ma propre réalité et de la perspective dans laquelle moi et les personnes que je représente au Sénat voyons le projet de loi C-69 et d’autres mesures législatives dont nous avons été saisis.
Nous reconnaissons tous sincèrement la nécessité de nous soucier de l’environnement. Toutefois, il m’est impossible de revenir à la maison à vélo le long du canal, de prendre les transports en commun ou de faire appel à Uber.
Voici comment les choses se passent dans mon cas: je prends l’avion pour me rendre à Toronto, où je change d’avion et prends un vol de trois heures et demie vers Regina ou Saskatoon. À l’aéroport m’attend ma voiture, qui est branchée. Je dois faire fonctionner le moteur 20 minutes avant de partir afin de ménager le moteur, puis j’entreprends un trajet de trois heures et demie jusque chez moi.
Comme il fait 20 ou 30 degrés sous zéro ces jours-ci, je branche ma voiture à la maison également, pour qu’elle démarre si je dois me rendre à l’épicerie ou au bureau de poste, qui est à 20 minutes de route, ou si j’ai besoin de voir un médecin, qui se trouve à trois heures et demie de chez moi.
La réalité, c’est que j’ai besoin de combustibles fossiles. C’est également le cas de ma localité. Nous en avons besoin pour chauffer nos maisons, pour que les agriculteurs puissent cultiver les aliments que nous consommerons et que nous exporterons, pour que les parents puissent se rendre au travail et pour que les équipes de hockey locales puissent aller dans d’autres petites villes pour affronter leurs équipes. Les voitures électriques ne sont pas utiles lorsqu’une personne est coincée dans une tempête de neige ou qu’elle se retrouve dans un fossé. Cependant, un réservoir rempli d’essence pourrait bien sauver une vie.
Ma localité a besoin des emplois et des revenus générés par les jeunes hommes et femmes faisant la navette vers l’Alberta ou ma province pour travailler dans l’industrie pétrolière. Nous avons besoin de leur force d’esprit et de leur éthique du travail.
Quand le premier ministre et d’autres personnes affirment que les travailleurs de la construction, notamment ceux qui participent à la construction de pipelines, sont une préoccupation sociale et qu’ils représentent une menace pour la sécurité des femmes et des familles, ils devraient peut-être prendre un moment pour réfléchir à ce qu’ils disent non seulement aux travailleurs du secteur de l’énergie et à leur famille, mais aussi à des personnes comme la mère seule qui a publié un message sur Facebook l’autre jour. Cette femme, qui travaille comme serveuse, a affirmé qu’elle pouvait nourrir ses enfants et payer leur équipement de hockey grâce aux pourboires de « ces hommes dont nous devrions avoir peur ».
Les mots comptent. Vos mots peuvent blesser et ils témoignent d’une profonde méconnaissance du fait que ces pilleurs potentiels sont des maris, des pères, des fils et des filles — dans mon cas, un neveu et de nombreux amis proches. Ce sont des gens qui ont des familles et qui travaillent fort. Leurs enfants font du sport. Ils sont animés d’un esprit communautaire. L’équipe de mon neveu espère travailler pendant la période de Noël même si cela veut dire ne pas rentrer chez eux parce que maintenant que le travail est aussi irrégulier, c’est encore plus pressant pour eux de pouvoir payer leur hypothèque.
Rien que la possibilité que le projet de loi c-69 soit adopté frappe durement les communautés. Les propos diffamatoires ont des conséquences plus profondes que vous ne pouvez l’imaginer. Cela montre le manque de compréhension concernant la façon dont beaucoup de Canadiens, surtout dans l’Ouest, sont obligés de subir les grandes distances, la réglementation coûteuse, le temps froid et un choix limité d’emplois.
Je tiens à vous rappeler d’autres décisions d’Ottawa qui heurtent ma région du monde pour que vous puissiez savoir dans quel contexte le projet de loi C-69 est accueilli. Il y a la taxe sur le carbone. Les petites entreprises et les agriculteurs sont doublement frappés à la fois en tant que clients et producteurs. Leur rendre leur argent n’aide pas vraiment les entreprises parce qu’elles sont trop petites pour avoir droit à une subvention. Cela n’aide pas non plus les producteurs parce qu’ils n’ont pas droit à un remboursement quand ils achètent des intrants agricoles ou quand ils expédient des produits vers les marchés. La Saskatchewan a déjà un plan de réduction du carbone. Ottawa ne l’aime tout simplement pas.
Le projet de loi C-48, un moratoire sur la circulation des pétroliers, est lui aussi vu comme une mesure qui cible et vient limiter encore davantage la capacité de l’Alberta d’acheminer son pétrole vers les marchés étrangers, ce qui se traduit par des pertes d’emplois.
Il y a ensuite le projet de loi C-68, dont il a été question un peu plus tôt, que la plupart d’entre nous aimeraient appuyer si ce n’était du fait qu’il prévoit l’éventuelle création d’habitats pour le poisson sur les terres agricoles et rurales. Les gens des Prairies savent ce que sont les sécheresses. Chez nous, l’eau est une ressource précieuse. Notre subsistance en dépend. J’habite sur la rive d’un lac. Je comprends. Nous allons à la pêche. Nous mangeons le poisson pêché. Par contre, l’agriculteur qui a un bourbier au milieu de son champ ou, encore, un fossé d’irrigation ou de drainage pour quand il y a trop de pluie ou pas assez, ne devrait pas avoir à s’assurer que des poissons peuvent y survivre. Nous avons là un autre exemple d’une réglementation qui va trop loin, et ce sont les agriculteurs qui font les frais du fardeau coûteux et inutile causé par ces règles qui ont un autre objectif légitime.
J’ai relevé le même genre de situation en parlant du projet de loi C-71 récemment. Le problème : la criminalité, les armes illégales et le carnage qui en découle dans les villes. Afin d’apaiser une partie de la population, on impose de nouvelles formalités et limites de transport et de nouveaux permis aux gens honnêtes pour qui un fusil est un outil et non une arme. Cela ne règle pas le problème dont nous reconnaissons l’existence.
Pensons au tollé entourant le fractionnement du revenu et l’inaptitude manifeste des autorités responsables à comprendre la situation des petites entreprises ou des exploitations agricoles où les conjoints et les membres de la famille travaillent, sans salaire ni reconnaissance, pour que l’affaire demeure à flot. Cette mesure fiscale mineure était considérée comme excessive, alors qu’on accorde volontiers de l’aide financière à GM ou Bombardier.
Il y a eu le fiasco d’Emplois d’été Canada, où on a refusé des fonds à certains groupes confessionnels et à des jeunes de milieux défavorisés désireux de fréquenter ou de travailler dans un camp de vacances.
Ce à quoi nous avons assisté au cours des deux dernières années a été perçu et ressenti comme un affront au Canada rural. Je ne suis pas naïve. Je suis consciente que le pays s’urbanise et que le fait de choisir la vie rurale entraîne des coûts et des conséquences. J’ai vécu dans de grandes villes et j’ai parcouru le monde. Je ne m’attends pas à trouver les commodités d’une grande ville dans chaque village, mais je m’attends à y trouver des soins de santé et un service de téléphonie cellulaire décents, et, surtout, je m’attends à un traitement juste et respectueux.
Les gouvernements doivent gouverner toutes les régions et il leur incombe de concilier des impératifs qui s’opposent. Il faut agir contre les changements climatiques, certes, mais il faut aussi être réalistes par rapport aux besoins énergétiques actuels.
Chaque année, nous avons la même discussion à propos de l’acheminement du grain et des légumineuses vers les marchés. Oui, à l’instar du pétrole et du gaz, plus de 65 000 producteurs de grain, qui nourrissent les Canadiens et le reste du monde, doivent acheminer leurs produits vers les marchés. Cette mesure législative est aussi tombée dans les griffes d’un autre projet de loi omnibus. À cause des délais, les producteurs ont eu du mal à payer leur hypothèque et leurs intrants.
La semaine dernière, au Comité de l’agriculture, nous avons appris que, en limitant la publicité indue destinée aux enfants, nous avons déclaré et classé le pain comme un aliment malsain, et ce, à un moment où on se fait dire que le panier d’épicerie des ménages augmentera de plus de 400 $ par année. Pourquoi? Parce que les fruits et les légumes deviennent de plus en plus chers du fait, entre autres, que les entreprises exploitant des serres se retirent de l’industrie des aliments sains au profit de la culture de la marijuana, qui est beaucoup plus lucrative.
La légalisation a exacerbé un autre problème : les services policiers en milieu rural. Les détachements de la GRC manquent désespérément de personnel et ils doivent patrouiller des centaines de kilomètres carrés. Nous ne devrions pas tolérer une situation où un appel au 911 demeure sans réponse — ou bien l’appelant se fait dire de verrouiller les portes et de se cacher parce qu’aucun agent de peut se rendre sur place.
Je suis sûre que certains sénateurs lèvent les yeux au ciel pendant que je raconte les expériences vécues par les habitants de ma région. Les politiques et les attitudes ont cependant des conséquences imprévues, ou peut-être prévues, et le projet de loi C-69 représente un autre message puissant en des temps difficiles.
(2030)
Oui, la plupart d’entre nous savons qu’il n’est pas question de la source de tous les maux. Ce n’est pas ce qui a empêché la construction de pipelines ou causé l’écart de prix, mais ses effets se font déjà sentir. Les investissements fuient le pays parce que rares sont ceux qui croient que des projets énergétiques parviendront à remplir tous les critères.
Il n’est donc pas surprenant que la ministre de l’Énergie et des Ressources de la Saskatchewan, Bronwyn Eyre, ait affirmé que le projet de loi C-69 est « une menace existentielle à notre compétitivité ». C’est l’économie du Canada, pas seulement celle de l’Alberta ou de la Saskatchewan, qui en souffrira.
Le projet de loi C-69 apporte différents changements d’envergure au processus d’évaluation d’impact. Il promet de réduire le délai des périodes d’évaluation, mais donne des pouvoirs discrétionnaires au ministre, ce qui ajoute au climat d’incertitude.
La liste à jour des projets qui sont ou non ciblés par le pouvoir discrétionnaire du ministre fait encore l’objet de débats, alors nous ne savons pas, pendant notre étude du projet de loi, quels projets figureront sur cette liste.
Une partie du libellé du projet de loi est mal définie. On peut y lire :
[...] le gouvernement du Canada, le ministre [...] doivent exercer leurs pouvoirs de manière à favoriser la durabilité [...]
Or, le terme « durabilité » n’est pas défini. Il n’y a pas de définition. Aussi, qu’entend-on par « l’interaction du sexe et du genre avec d’autres facteurs identitaires »?
On nous dit qu’il ne faut pas trop s’inquiéter des dispositions du projet de loi puisque, après son adoption, la réglementation viendra rassurer et informer les gens. Nous savons toutefois que, trop souvent, ce qui n’arrive pas à entrer par la grande porte du processus législatif se faufile par la petite porte de la réglementation.
Il n’est pas facile de déterminer où se situe le juste équilibre entre l’économie et l’environnement du pays. J’espère donc que plusieurs comités examineront attentivement ce projet de loi. J’admets toutefois que je préférerais, au point où nous en sommes, que les rédacteurs législatifs retournent à la case départ et s’efforcent de faire mieux.
Je reconnais volontiers que la loi actuelle pose problème, mais une erreur n’en répare pas une autre. Faisons les choses comme il se doit. Dans le contexte actuel, il m’est impossible d’appuyer le projet de loi C-69. C’est un enjeu trop important pour les gens de chez moi et pour ma région. Merci.