Projet de loi de 2017 sur la sécurité nationale
Deuxième lecture—Suite du débat
23 octobre 2018
L’honorable Sénatrice Pamela Wallin :
Honorables sénateurs, je prends la parole à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi C-59, Loi concernant des questions de sécurité nationale.
Mon point de vue sur le projet de loi et la sécurité nationale en général est partiellement influencé par le temps que j’ai passé aux États-Unis durant les jours et les années qui ont suivi les événements du 11 septembre et mes visites subséquentes en Afghanistan.
Même si c’était hier le quatrième anniversaire de l’attaque sur la Colline du Parlement, le Canada a largement évité l’horreur d’être victime d’actes de terrorisme fréquents et à grande échelle, ce qui est surtout attribuable à son rang parmi les pays du monde plutôt qu’à son état de préparation.
De toute évidence, nous ne connaîtrons jamais toutes les attaques évitées de justesse parce que nos forces de sécurité, en collaboration avec nos alliés, ont fait leur travail, et parce que les citoyens qui ont remarqué quelque chose l’ont signalé.
Le projet de loi C-59 vise à rendre certains des impératifs de sécurité énoncés dans son prédécesseur, le projet de loi C-51, plus conformes à la Charte, ce qui est utile.
La surveillance et la reddition de comptes de nos organismes de renseignement sont importantes, tout comme leur capacité de contrer les menaces à mesure qu’elles évoluent en pratique et en temps réel. Nous devons donc accorder une certaine latitude à ces organismes si on veut qu’ils soient efficaces sur le plan opérationnel.
Je crois qu’une surveillance éclairée et en temps opportun permet d’accroître l’efficacité de nos organismes de sécurité, parce que les gens savent quoi faire et ne pas faire lorsque les règles sont claires. Cependant, comme nous le savons tous, l’accroissement et le chevauchement des niveaux de réglementation et la hausse du nombre d’obstacles bureaucratiques assurent rarement la transparence. Au contraire, ils sont plus susceptibles de nuire à l’efficacité opérationnelle.
Le projet de loi prévoit la création d’un poste de commissaire au renseignement qui superviserait le Centre de la sécurité des télécommunications et qui aurait le mandat d’approuver les autorisations de renseignement étranger et de cybersécurité délivrées par le ministre de la Défense nationale. Comment la structure fonctionnerait-elle en pratique? Par exemple, un poste à temps partiel serait-il le choix le plus approprié? Qu’en est-il du personnel et des besoins en recherche? Est-il obligatoire que le commissaire au renseignement soit un juge à la retraite d’une Cour supérieure? Pouvons-nous faire en sorte que les employés du bureau du commissaire aient une expertise sur toutes les questions liées au terrorisme, qui se trouvent souvent dans les zones grises de la loi?
Bien sûr, il faut évaluer la légalité des activités, mais il faut aussi déterminer si elles sont raisonnables ou nécessaires, ce qui entraîne une responsabilité politique. Qui sera ultimement tenu responsable — le juge ou le ministre — des cas d’inaction ou des actes qui enfreignent la loi?
Une partie de ces questions s’appliquent aussi à la constitution du nouveau bureau d’examen, l’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement, qui remplacerait l’actuel Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité et le Bureau du commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications. Les membres de l’office pourraient examiner les activités du SCRS, du CST, de l’Agence des services frontaliers du Canada, du CANAFE et de la GRC lorsqu’elles sont liées à la sécurité nationale.
L’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement peut ordonner à un ministère de revoir ses actions et veiller à ce qu’elles respectent la loi et les instructions et directives ministérielles.
Même si j’appuie la structure opérationnelle de base de l’office, je pense qu’au moins un comité sénatorial devra se pencher sur le projet de loi pour évaluer la manière dont l’office définira la « surveillance en temps opportun ».
Comme je l’ai déjà dit, examen officiel ne rime pas automatiquement avec transparence. C’est facile de camoufler des renseignements ou des problèmes importants dans un rapport de 500 pages publié un vendredi après-midi, et c’est toujours tentant de blâmer quelqu’un d’autre et d’attribuer la responsabilité à d’autres ministères. Il est donc très important d’évaluer l’éventail des activités de collecte de renseignements permises et la capacité de communiquer en temps opportun des renseignements à des organismes distincts et aux alliés.
Je comprends qu’il soit difficile de prédire tous les scénarios différents qui pourraient arriver au pays, mais les témoignages d’experts en la matière nous aideront à assumer notre responsabilité de sénateurs.
Permettez-moi de dire quelques mots sur le processus de collecte de renseignements — un autre élément clé de ce projet de loi. Les organismes de sécurité nationale collectent, communiquent et conservent activement des renseignements. Pour certains, la protection des renseignements personnels est la priorité absolue. Il y en a d’autres qui aimeraient bien que le gouvernement prenne des mesures plus énergiques pour prévenir la violence et les actes de terrorisme et qui, et au nom de la sécurité collective, sont prêts à être un peu moins stricts sur le plan de la protection des renseignements personnels.
Je défends le droit constitutionnel à la protection de la vie privée, mais nous avons aussi tous le droit d’être protégés des actes de terrorisme.
Voici ce qu’a déclaré l’expert en sécurité Scott Newark lorsqu’il a témoigné devant le comité de l’autre endroit :
[...] ce sont des droits qui existent dans le contexte d’une société civile. [...] cette signification a des ramifications du point de vue de ce que les citoyens ont le droit d’attendre de leur gouvernement. Je ne veux pas que le gouvernement fasse intrusion dans ma vie privée, mais, en même temps, si le gouvernement a la capacité d’accéder à des renseignements pertinents et de prendre des mesures à l’égard d’une personne qui pose une menace pour ma famille et moi, je m’attends, au titre de mon droit civil, à ce que le gouvernement fasse ce qu’il a à faire pour étendre cette protection.
Autrement dit, nous avons tous le droit d’être protégés.
L’examen des politiques de sécurité nationale doit s’inscrire dans le contexte actuel : le choc des horreurs du 11 septembre s’est estompé et la réalité technologique a également beaucoup évolué. Les appareils BlackBerry était une nouveauté à l’époque. Aujourd’hui, nous donnons volontiers des renseignements personnels pour faire des opérations bancaires en ligne ou prendre de l’avance dans les achats de Noël sur Amazon, qui offre des aubaines en fonction des achats précédents.
N’imposons pas deux poids, deux mesures à nos organismes de sécurité en espérant qu’ils seront parfaits dans tous les cas pour ce qui est du respect de la vie privée, alors que nous-mêmes nous mettons en position de vulnérabilité.
Plus important encore, si un terroriste fait du recrutement en ligne, il devrait y avoir des conséquences et les responsables de la sécurité nationale doivent avoir la capacité de prendre des mesures préventives.
J’ai bien peur que ce projet de loi fasse en sorte qu’il sera un peu plus difficile de procéder à une arrestation préventive pour faire échec à un acte criminel ou terroriste, mais il doit être examiné davantage.
Le projet de loi C-59 vise à édicter la Loi sur le Centre de la sécurité des télécommunications. Les responsabilités du centre seront donc définies dans une loi et ne dépendront plus du pouvoir discrétionnaire du ministre.
Si je comprends bien, ce centre peut être proactif. Il n’a pas à se limiter aux mesures réactives ou défensives. Il a la responsabilité de protéger l’infrastructure cybernétique essentielle, qui représente aujourd’hui le plus grand risque pour la sécurité nationale du Canada. Cependant, je le répète, le mandat du centre est restreint; nous devons donc examiner la portée, la définition, le libellé et l’objectif de cette mesure législative.
Pierre Paul-Hus, vice-président du Comité de la sécurité nationale de la Chambre des communes, a soulevé un problème connexe relativement aux définitions de la propagande terroriste et aux critères préliminaires de preuve.
Dans l’ancien projet de loi, l’article 83.22(1) du Code criminel s’applique à :
quiconque, sciemment [...] préconise ou fomente la perpétration d’infractions de terrorisme en général [...]
Le projet de loi C-59 lui substitue un degré de preuve beaucoup plus élevé en ajoutant au libellé les mots suivants :
[...] quiconque conseille à une autre personne de commettre une infraction de terrorisme [...]
Certains soutiennent que l’emploi de l’expression « une autre personne » signifie que l’acte doit viser spécifiquement une personne plutôt que la cible plus vaste que visent généralement les réseaux de terroristes. De nombreux spécialistes de la sécurité ont soulevé ce problème et, selon moi, il vaudrait mieux établir une mesure législative ayant une portée plus étendue.
La définition de « propagande terroriste » telle qu’elle est établie à l’article 83.222 contribuera-t-elle à diminuer considérablement la capacité des forces de l’ordre à combattre la propagande terroriste, comme certains le craignent?
Chers collègues, nous savons tous que les questions relatives à la sécurité nationale sont sujettes à controverses. Nous abordons tous ces discussions avec une vision du monde qui a été façonnée par notre propre vie. Cependant, c’est notre travail de débattre de ces questions sensibles, comme dans quelle mesure la police et nos forces de sécurité ont le droit de savoir qui va et qui vient et de détenir et d’interroger à l’étranger des personnes présentant un intérêt.
Dans cette enceinte et dans le pays en général, nous avons tous réagi différemment devant le versement de 10 millions de dollars à Omar Khadr et devant le dilemme éthique auquel nous avons été confrontés quand un flot de resquilleurs a été autorisé à traverser la frontière dans le mépris apparent de l’Entente sur les tiers pays sûrs. Pour certains, ils sont des immigrants illégaux; pour d’autres, ils sont des demandeurs d’asile.
Puis, il y a le problème actuel du retour des combattants étrangers. Que faut-il faire de ces individus qui se sont rendus coupables d’actes abjects et haineux et ont mis nos soldats en danger?
Par ailleurs, que dire de Huawei, ce géant des télécommunications chinois qui propose des réseaux mobiles de nouvelle génération? Selon certains médias, le Centre de la sécurité des télécommunications travaille déjà dans des laboratoires construits par Huawei, ce qui nous rend tous vulnérables à des cyberattaques organisées par un État étranger.
Chers collègues, il s’agit d’un projet de loi complexe qui doit être étudié soigneusement et examiné dans le contexte de la réalité d’aujourd’hui. Les choses ont changé, mais les menaces pesant sur la sécurité nationale demeurent et doivent être contrées.
Si, au cours du débat et de l’étude en comité, le Sénat recommande des amendements, il faut espérer que le gouvernement sera véritablement ouvert aux conseils et aux améliorations en ce qui concerne cette question essentielle qu’est la sécurité nationale.
Travaillons ensemble pour renvoyer ce projet de loi au comité le plus vite possible.
Merci.