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Projet de loi sur les dons de sang volontaires

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Ajournement du débat

31 mai 2018


L’honorable Sénatrice Pamela Wallin :

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi S-252. Je le fais avec fierté et tristesse. Je suis fière que le Sénat se penche enfin sur ce dossier, mais je suis triste que, 20 ans après la crise du sang contaminé, nous n’ayons toujours rien fait pour corriger un problème très évident. Comme le dit le vieux dicton, ceux qui oublient les tragédies du passé sont condamnés à les répéter.

J’espère que ce projet de loi fera en sorte que cela ne se produise pas, mais il y a encore beaucoup de travail à accomplir.

La plupart des jeunes que je connais aujourd’hui n’ont aucun souvenir ou n’ont jamais entendu parler du scandale du sang contaminé, l’un des grands crimes dont notre pays a été témoin. Ce sang contaminé a coûté la vie à des milliers de personnes et en a infecté des milliers d’autres. En fait, plus de 30 000 Canadiens ont contracté le VIH et l’hépatite C en raison de sang et de produits sanguins contaminés. On prévoit que plus de 8 000 Canadiens en mourront.

Ce qui est extrêmement triste, c’est que cette tragédie était évitable.

Le gouvernement de l’époque avait demandé au juge Horace Krever de mener une enquête sur ce qui s’était produit. Aujourd’hui, nous devons nous souvenir de ce qu’il nous a demandé, c’est-à-dire de protéger notre approvisionnement en sang en veillant à ce que les dons de sang demeurent volontaires et à ce que les donneurs ne soient pas rémunérés.

C’est une question que j’ai soulevée à plusieurs occasions au Sénat, parce que, sur une période de plus de 20 ans, j’ai fait la connaissance de personnes qui ont été mises en danger. Ce sont des personnes que je considère comme des amis. En tant que journaliste, j’ai reçu en entrevue des victimes ou leurs êtres chers. Un trop grand nombre de victimes ne sont plus parmi nous et ne sont donc plus en mesure de nous raconter leur histoire ou d’expliquer pourquoi les dons de sang doivent demeurer volontaires. Beaucoup d’autres victimes ne sont plus que l’ombre d’elles-mêmes. Des familles ont été bouleversées, des enfants sont devenus orphelins et des femmes et des hommes ont perdu leur époux ou épouse.

Le juge Krever avait raison : le Canada a besoin d’un système d’approvisionnement en sang sans but lucratif, volontaire et assorti d’obligations de rendre des comptes à la population. Nous voulons que les gens acceptent de donner de leur sang parce que c’est la chose à faire, non pas parce qu’ils veulent une carte-cadeau. Les affiches placées au-dessus des urinoirs dans les universités pour inciter les jeunes hommes à vendre leur sang portent un coup à notre système volontaire. Cela porte atteinte à notre véritable nature, qui est altruiste et qui veut que l’on prenne soin les uns des autres.

Comme nous l’avons observé à la suite de la tragédie qui a frappé les Broncos de Humboldt, l’instinct des gens a été de donner de leur sang pour sauver des vies. Ce fut la même chose à Toronto à la suite de la récente attaque au camion-bélier.

Donner du sang a longtemps été quelque chose de banal pour les gens. Toutefois, après la crise, c’est devenu un peu plus compliqué. Nous devons donc veiller à ce que les gens continuent de se porter volontaires.

En rémunérant les donneurs de sang, on encourage un comportement contraire à ce qu’on veut. Les donneurs canadiens ne sont pas censés servir de sources de revenus pour des sociétés privées qui souhaitent se faire de l’argent. On sait que la rémunération des donneurs de sang mine notre précieux système volontaire. Aujourd’hui, il y a des panneaux publicitaires le long des routes de la Saskatchewan qui réclament des dons.

Il est également important que le Canada soit autonome en ce qui concerne le sang et les produits sanguins. Tout le sang acheté est exporté et vendu aux plus offrants. Je répète : pas une seule goutte de sang provenant de donneurs rémunérés au Canada ne reste au pays.

C’est pourquoi l’Ontario, l’Alberta et la Colombie-Britannique, tout récemment, ont banni le don rémunéré de plasma. Le Québec a, pour sa part, une politique de longue date, adoptée en 1993 ou 1994, qui interdit le paiement des dons de sang, une entreprise risquée.

Pourquoi, alors, les cliniques privées de dons de plasma rémunérés ont-elles même le droit de mener leurs activités en Saskatchewan et au Nouveau-Brunswick? Certains disent que c’est pour l’emploi. Canadian Plasma Resources, l’entreprise qui gère ces cliniques est contrôlée par des intérêts étrangers, mais elle a un permis d’exploitation de Santé Canada. Elle n’a créé qu’une poignée d’emplois dans ces deux provinces, mais elle tient tout de même à prendre de l’expansion.

Il faut se rappeler ceci : l’octroi de permis à des cliniques de prélèvement de plasma contre rémunération au Canada va à l’encontre de toutes les recommandations fondamentales formulées par la Commission Krever.

Aujourd’hui, comme je l’ai signalé, le système canadien des dons de sang volontaires est protégé dans une proportion de 80 p. 100 dans les provinces suivantes : Ontario, Québec, Colombie-Britannique et Alberta. Cela signifie toutefois que les petites provinces pourraient accueillir des cliniques privées de prélèvement de plasma contre rémunération parce qu’elles souhaitent obtenir les quelques emplois qui y sont rattachés.

Santé Canada a fait savoir clairement que, comme l’octroi de permis à des cliniques de prélèvement de plasma contre rémunération n’est pas illégal à l’échelle fédérale, rien n’empêche le ministère d’octroyer d’autres permis à Canadian Plasma Resources et à d’autres entreprises du même genre. Il y a déjà 18 permis en attente d’être attribués à des entreprises privées. Il faut imposer immédiatement un moratoire sur l’octroi de nouveaux permis tant que cette question n’aura pas été entièrement réglée.

La Société canadienne du sang, qui été créée à la suite du rapport de la Commission Krever et qui fait ce que la Croix-Rouge faisait autrefois, est chargée de gérer le système d’approvisionnement en sang au pays. Elle a multiplié les mises en garde à l’endroit du gouvernement fédéral pour qu’il cesse d’octroyer des permis aux courtiers en plasma, car tout le plasma prélevé par ces entreprises privées sera vendu sur le marché international aux plus offrants. Il ne sera même pas utilisé pour des patients canadiens. Santé Canada continue toutefois de faire fi de ces mises en garde.

Il est évident qu’une loi fédérale doit être adoptée pour empêcher Santé Canada de nuire à la sécurité de l’approvisionnement en sang au Canada en octroyant des permis à des cliniques privées à but lucratif.

Le juge Krever avait émis une mise en garde à ce sujet en déclarant ce qui suit :

Les relations entre l’organisme de réglementation et l’organisme réglementé […] ne doivent jamais devenir telles que le premier oublie qu’il applique le règlement dans l’intérêt public et non dans l’intérêt de l’organisme réglementé.

En fait, il est scandaleux qu’un pays qui offre des soins de santé à la fine pointe permette la vente de sang. Cela pose problème à bien des égards. Qui vend son sang et pour quelle raison? Donne-t-on la possibilité à ces centres de prélèvement contre rémunération de s’installer là où ils vont attirer des gens dont la santé est déjà compromise? Exploite-t-on les jeunes étudiants d’université qui manquent toujours d’argent?

Les spécialistes vont soutenir que le système comprend des mécanismes de contrôle. Il est vrai que ces centres sont inspectés et réglementés. Cela dit, il ne s’agit pas de la propreté des planchers ou du confort des fauteuils; il s’agit de l’innocuité des produits sanguins.

On ne savait pas ce qu’était le VIH au début, alors on ne pouvait pas faire les tests nécessaires. On ne connaissait pas les dangers de l’hépatite C au départ, alors on ne pouvait pas faire les tests nécessaires. On ne sait pas ce que sera la prochaine maladie grave pouvant être transmise par le sang, alors on ne peut pas faire les tests nécessaires pour cela non plus.

Il reste que, malgré toutes les nouvelles connaissances scientifiques dont nous disposons, une source sûre et connue de sang constitue la meilleure mesure de prévention contre le sang contaminé.

Vous pouvez donc comprendre pourquoi nous sommes nombreux à avoir tendance à douter quand on nous dit qu’il n’y a plus de danger : on ne peut pas trouver quelque chose qu’on ne sait pas qu’on cherche.

(1920)

L’objectif du projet de loi est simple : il vise à prendre des précautions, comme M. Krever nous a implorés de le faire, car il vaut mieux prévenir que guérir. Une autre question importante, c’est que le gouvernement fédéral doit tenir compte du fait que le public canadien et le gouvernement du Canada n’auront plus le contrôle de cette précieuse ressource une fois que la collecte de plasma relèvera du secteur privé et qu’ils n’y auront même plus accès.

Un jour, cela pourrait devenir une véritable question de sécurité nationale. Nous ne voulons pas que des étrangers possèdent ou contrôlent nos ressources et nos institutions financières. Alors, pourquoi diable laisserions-nous notre système d’approvisionnement en sang dans les mains d’étrangers? Que se passera-t-il à la prochaine crise, qu’il s’agisse d’une épidémie de SRAS ou un attentat terroriste d’une ampleur semblable à celle des événements du 11 septembre? Comment assurerons-nous un approvisionnement de sang sûr et sain au Canada pour répondre à nos propres besoins?

Les cliniques privées de prélèvement de plasma au Canada qui rémunèrent les donneurs ne sont pas dans l’intérêt des Canadiens. Elles ne sont pas intégrées à notre système d’approvisionnement en sang. Ce sont des sociétés privées qui visent à réaliser des profits en exportant du plasma canadien.

Je vous demande à tous de vous joindre au débat et d’exprimer vos réserves à l’égard de la sûreté et de la sécurité du système canadien d’approvisionnement en sang. Je vous demande d’exprimer ces réserves au Sénat, au comité ainsi qu’auprès des dirigeants politiques et de la population. Je vous demande aussi de travailler avec moi pour faire adopter le projet de loi rapidement.

Comme le juge Krever l’a indiqué :

Le système d’approvisionnement en sang au Canada doit reposer sur une valeur fondamentale, à savoir que le sang est une ressource publique donnée de façon altruiste par des personnes au Canada à d’autres personnes au Canada. On ne doit pas faire de profits à partir du sang donné au Canada.

C’était vrai il y a 20 ans, quand le juge Krever a fait cette déclaration, et ce l’est encore aujourd’hui. Merci.

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