
Le Sénat
Motion tendant à demander au gouvernement de reconnaître le génocide des Grecs pontiques et de désigner le 19 mai comme journée nationale de commémoration—Suite du débat
14 février 2017
L’honorable Sénateur Leo Housakos :
Honorables sénateurs, je suis honoré de prendre la parole aujourd'hui pour appuyer la motion de ma collègue, la sénatrice Merchant, demandant au Parlement du Canada de reconnaître le génocide des Grecs pontiques. Chers collègues, je vous demande de réfléchir à l'extrait suivant, qui nous vient du Centre for the Study of Genocide and Human Rights, de l'Université Rutgers :
Ils ont commencé à s'en prendre aux hommes grecs en bonne santé, les enrôlant de force dans des bataillons de travail, où ceux-ci étaient réduits à l'esclavage et contraints aux travaux forcés pour la société turque. Les enfants grecs ont été enlevés et assimilés de force dans la société turque. Des villages grecs ont été pillés et terrorisés prétendument dans le but d'assurer la sécurité intérieure. En effet, tout comme les Arméniens, les Grecs étaient généralement accusés d'être la « cinquième colonne », c'est-à-dire des traîtres. Ultimement, la plus grande partie de la population a été rassemblée et déportée de force vers l'intérieur.
Il ne fait aucun doute que toutes ces actions que je viens de décrire correspondent à la définition légale de « génocide » inscrite à l'article 2 de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de l'ONU. D'ailleurs, les mêmes actions ont été commises contre les Arméniens et il a été reconnu, au pays et à l'international, qu'elles représentaient un génocide.
Cependant, si le génocide des Arméniens est bien connu et reconnu, le génocide des Grecs pontiques, survenu à la même période, est resté dans l'ombre. Il est grand temps que le Canada remédie à cette situation, à l'instar d'autres gouvernements.
Le professeur André Gerolymatos, du Centre pour les études grecques de l'Université Simon Fraser, a écrit ce qui suit au sujet du génocide des Arméniens et du génocide des Grecs pontiques :
Le génocide des Arméniens et des Grecs pontiques orthodoxes commis par les Ottomans ciblait spécifiquement les minorités chrétiennes et avait pour but d'opérer un nettoyage ethnique de l'État.
Avant la Première Guerre mondiale, 700 000 Grecs orthodoxes habitaient, comme leurs ancêtres depuis des millénaires, la région de l'Empire ottoman bordant la mer Noire, région appelée le Pont.
Pendant la guerre, le gouvernement de l'Empire ottoman a commis des actes répréhensibles qui ont donné lieu au génocide des Arméniens et des Grecs pontiques.
Comme le rapporte M. Gerolymatos, le génocide a été commis :
[par des] actes sadiques [qui] devaient susciter la terreur chez les minorités survivantes au sein de l'Empire ottoman. Les actes de génocide comprennent notamment les viols collectifs, la destruction gratuite, la torture pour la torture, peu importe le sexe ou l'âge de la personne, le viol d'enfants, souvent en présence des parents, avant que la famille au complet soit mise à mort.
Des maris, des femmes et des enfants étaient souvent brutalement torturés avant d'être mis à mort.
Comme dans le cas des Arméniens, le régime ottoman s'est employé à exterminer les Grecs pontiques en plusieurs étapes.
Au début de la Première Guerre mondiale, comme cela a été le cas pour les Arméniens, les hommes grecs pontiques orthodoxes ont été amenés de force à l'intérieur de la Turquie où ils ont dû joindre des bataillons d'ouvriers.
En janvier 1916, George Hutton, le consul général des États-Unis au Proche-Orient, a relaté dans un rapport le début des déportations des Grecs pontiques orthodoxes de la région de la mer Noire. Voici ce qu'il a écrit :
Ces milliers de malheureux ont traversé la ville de Merzifon, la plupart à pied, dans le cadre d'une longue marche de trois jours dans la neige et la boue.
[Tel que prévu par les autorités ottomanes], des milliers d'entre eux s'écroulaient de fatigue. [Ils arrivaient dans la ville] toujours escortés de gendarmes turcs.
En novembre 1916, le Conseil autrichien a indiqué que Rafet Bey, un haut fonctionnaire ottoman, lui avait déclaré : « Nous devons enfin faire aux Grecs ce que nous avons fait aux Arméniens [...] »
Le traitement réservé aux Grecs pontiques a toutefois été différent de celui dont ont été victimes les Arméniens. Une tactique différente a été employée. Il semble que les Ottomans avaient appris de l'indignation internationale déclenchée par leurs actions contre les Arméniens. Malheureusement, la leçon qu'ils avaient tirée n'était pas de ne plus commettre ce genre d'atrocités, mais simplement de le faire à l'abri des regards.
Dans son rapport, George Hutton, le consul général des États- Unis, a décrit le traitement dont ont été victimes les Grecs pontiques comme étant « encore plus atroce qu'un simple massacre, comme celui dont les Arméniens avaient été victime avant eux ».
L'année suivante, comme Hutton l'avait fait avant lui, le chancelier autrichien Hollweg a aussi noté que les Ottomans avaient changé de tactique par rapport à celle qu'ils avaient employée pour exterminer les Arméniens et qu'ils forçaient plutôt les Pontiques à se déplacer vers l'intérieur du pays pour les tuer sans attirer l'attention du monde extérieur.
Les Ottomans ont réussi : ils ont tué une importante proportion des Grecs pontiques Le génocide des Grecs orthodoxes pontiques a tué plus de 350 000 hommes, femmes et enfants. Quelque 350 000 personnes sur 700 000 — la moitié de la population — ont été exterminées.
Nous devons dire clairement que c'est une grande tragédie, un génocide. Non seulement les fantômes des Grecs orthodoxes pontiques ont gagné le droit d'affronter leurs assassins, mais pour paraphraser un homme sage je dirai que ceux qui oublient les tragédies du passé sont condamnés à les répéter dans le futur. Bien sûr, le monde a choisi de fermer les yeux sur le génocide des Arméniens et des Grecs pontiques, ce qui nous a obligés à affronter l'Holocauste nazi des juifs d'Europe. Comme nous avons fait abstraction du Rwanda, nous nous occupons maintenant de génocides tels que le massacre des yézidis par le groupe État islamique.
(1700)
En invitant le Parlement à reconnaître le génocide des Grecs pontiques, nous ne demandons pas au Canada ou aux Canadiens de porter un jugement sur d'autres. Nous ne cherchons pas à défaire ce qui a été fait par le passé.
Bien au contraire, nous voulons reconnaître, guérir et éduquer et, ce faisant, prévenir la répétition de telles atrocités.
À titre de Chambre haute du Parlement, le Sénat du Canada est vraiment bien placé pour montrer le chemin en adoptant une position fondée sur des principes et en reconnaissant le génocide des chrétiens pontiques.
À titre de Chambre indépendante du Parlement, le Sénat est moins sujet à l'opportunisme politique. Nous pouvons et devons ouvrir la voie pour que le Parlement du Canada dans son ensemble adopte une position juste sur cette importante question.
La reconnaissance de ce génocide ne vise aucune vengeance. Il s'agit simplement de reconnaître des faits historiques indéniables et de faire ainsi un premier pas essentiel vers la réconciliation.
Avec sa propre histoire des pensionnats indiens, le Canada ne le sait que trop bien. Le 11 juin 2008, le premier ministre Stephen Harper a pris la parole à l'autre endroit, à la Chambre des communes, et a dit ceci :
Le gouvernement reconnaît que l'absence d'excuses a nui à la guérison et à la réconciliation. Alors, au nom du gouvernement du Canada et de tous les Canadiens et Canadiennes, je me lève devant vous, dans cette Chambre si vitale à notre existence en tant que pays, pour présenter nos excuses aux peuples autochtones pour le rôle joué par le Canada dans les pensionnats pour Indiens.
Bien que M. Harper et son gouvernement n'aient pas contribué à faire subir cette terrible tragédie aux Premières Nations, ils ont admis qu'il était temps que le gouvernement du Canada, le Parlement du Canada, en assument la responsabilité.
Le premier ministre Harper a ajouté : « Le fardeau de cette expérience pèse sur vos épaules depuis beaucoup trop longtemps. Ce fardeau nous revient directement, en tant que gouvernement et en tant que pays. »
Ces aveux et ces excuses historiques ont pavé la voie à la Commission de vérité et réconciliation, créée en 2009 et présidée par notre honorable collègue, le sénateur Murray Sinclair.
La commission a tracé une feuille de route vers la réconciliation entre le Canada et les Premières Nations qui était honnête dans son évaluation de ce qui a été fait aux peuples autochtones du Canada pendant des générations.
Si difficile que cela ait été à entendre et à assumer, nous devions le faire pour avancer. Il faut parfois du courage et de la force pour admettre ses torts, mais cela montre qu'on est déterminé à apprendre de ses erreurs.
On ne peut nier les chapitres sombres et peu reluisants de notre histoire, surtout si, comme pays, nous voulons rester dignes de notre place dans le monde, comme ce fut le cas de l'Allemagne, par exemple.
Le refus de la Turquie moderne de reconnaître les génocides des chrétiens arméniens, assyriens et pontiques est indigne, compte tenu de l'important statut dont elle jouit actuellement au sein de la communauté internationale.
Toutefois, collègues, même si la Turquie elle-même refuse de reconnaître ces génocides, nous devons, comme parlementaires et, ce qui est plus important, comme Canadiens, nous dresser pour dénoncer les génocides passés et présents.
Tout comme nous avons reconnu notre sombre histoire, nous devons maintenant reconnaître le génocide des Grecs pontiques chrétiens. À titre de parlementaires, nous devons nous joindre à nos homologues internationaux, comme l'Autriche, les Pays-Bas, la Suède, l'Australie et les États-Unis, ainsi qu'aux États tels que la Floride, le Massachusetts, le New Jersey, New York et même, chez nous, à des municipalités telles que Toronto, Hamilton et Ottawa, pour reconnaître comme génocide les actes commis par l'Empire ottoman contre les Grecs pontiques. Chers collègues, je vous remercie.