Loi modifiant la Loi canadienne sur les sociétés par actions, la Loi canadienne sur les coopératives, la Loi canadienne sur les organisations à but non lucratif et la Loi sur la concurrence
Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Suite du débat
18 octobre 2017
L’honorable Sénateur Paul J. Massicotte :
Honorables sénateurs,
Je prends la parole aujourd’hui à titre de porte-parole libéral officiel à l’occasion de la deuxième lecture du projet de loi C-25, Loi modifiant la Loi canadienne sur les sociétés par actions, la Loi canadienne sur les coopératives, la Loi canadienne sur les organisations à but non lucratif et la Loi sur la concurrence.
Les dispositions de ce projet de loi visent à harmoniser les lois-cadres fédérales sur la gouvernance des sociétés et à les adapter aux évolutions du marché canadien et aux pratiques exemplaires. Elles proposent de rendre le processus d’élection des administrateurs de certaines sociétés et coopératives plus démocratiques. De moderniser les communications entre les sociétés par actions et leurs actionnaires ainsi qu’entre les coopératives et leurs membres. Elles proposent aussi un système pour inciter certaines sociétés à augmenter la participation des femmes et de la diversité dans leur leadership.
Ma préoccupation principale porte sur ce dernier aspect du projet de loi. D’après le texte, les sociétés ayant fait appel au public devront présenter chaque année à leurs actionnaires des renseignements sur la diversité au sein de leurs conseils d’administration et de leur haute direction.
Je tiens tout d’abord à féliciter le gouvernement pour cette proposition qui a le mérite d’élargir au niveau fédéral et à la diversité en général les normes qui existent déjà sur les femmes.
Le Canada accuse un retard par rapport à d’autres pays développés lorsqu’il s’agit de la représentation des femmes au sein des conseils d’administration des entreprises. En 2016, seulement 13 % des membres des conseils des entreprises canadiennes cotées à la Bourse de Toronto étaient des femmes. Ce taux était de 16 % aux États‑Unis et de 26 % au Royaume-Uni pour des entreprises semblables.
De plus, même si le pourcentage de femmes occupant des rôles de leadership dans des entreprises canadiennes augmente, les progrès ne sont pas très satisfaisants. De 2015 à 2017, soit dans les trois ans suivant l’adoption, par la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario, du principe selon lequel les entreprises doivent se conformer ou s’expliquer, le nombre de sièges occupés par des femmes au sein des entreprises cotées à la Bourse de Toronto a augmenté seulement de 11 à 14,5 %.
En 2017, le pourcentage de femmes parmi les cadres supérieurs est de 15 %, soit le même qu’en 2015. À ce rythme, combien de décennies devront s’écouler pour atteindre l’égalité? Je vous laisse faire les calculs…
La situation est encore pire lorsqu’il est question de diversité. En 2017, seulement 3,3 % des membres des conseils d’administration des plus grandes entreprises à Toronto faisaient partie d’une minorité visible. Pourtant, les minorités visibles forment 50 % de la population de Toronto!
Le Canada défend fièrement la diversité comme l’un de ses principaux piliers, et le manque de diversité au sein des entreprises présente un problème d’égalité. Ce manque peut aussi présenter un problème économique si les entreprises ne représentent pas le tissu social de leur marché. On s’entend de plus en plus pour dire que les entreprises ayant des conseils d’administration diversifiés sur les plans des antécédents, des expériences et de l’expertise surpassent les autres, et les données démontrent que c’est bel et bien le cas.
Plusieurs études établissent un lien entre la présence des femmes au sein des conseils d’administration et l’amélioration du rendement financier. Catalyst, une organisation qui préconise l’avancement des femmes au travail, n’est pas le seul groupe à rapporter que les entreprises dont les conseils comptent le plus grand nombre de femmes surpassent les entreprises dont les conseils comprennent le plus faible nombre de femmes.
Même une étude effectuée par Credit Suisse Group, un chef de file mondial en matière de services financiers, montre que les entreprises dont le conseil d’administration compte plus de femmes ont un meilleur rendement et surpassent les autres en bourse. D’après une étude réalisée récemment par le groupe bancaire nordique Nordea auprès de 11 000 entreprises cotées en bourse partout dans le monde, les entreprises dirigées par une femme et celles dont le conseil est dirigé par une femme avaient un rendement annualisé supérieur.
Il est donc évident que vu la lenteur de l’augmentation de la part des femmes et de la diversité dans le leadership des entreprises, on ne peut pas juste compter sur l’évolution naturelle des normes sociales et des pratiques. On a besoin de lois comme celle-ci pour précéder les évolutions sociétales et leur imprimer la pression nécessaire.
Mais est-ce que les mesures sur la diversité prévues par ce projet de loi sont à la mesure de l’étendue du défi à relever?
Laissez-moi vous faire part des deux grandes questions que soulèvent ces propositions et sur lesquelles le Comité devrait se pencher.
Tout d’abord, il faut se demander si de simples déclarations volontaires des sociétés sur l’existence ou non d’une politique de diversité et sur les chiffres de la diversité suffiront à accélérer l’augmentation de la représentation féminine dans leurs conseils d’administration, et surtout dans leurs hautes directions.
Si on veut se rapprocher de la parité hommes-femmes d’ici 2027 – un objectif plutôt raisonnable et logique alors que les femmes représentent aujourd’hui 48 % de la population active et plus de la moitié des diplômés universitaires au Canada – ne devrait-on pas prévoir des mesures plus contraignantes?
Trois ans après l’adoption par la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario du principe « se conformer ou s’expliquer », la proportion des sociétés déclarant avoir une politique écrite sur la diversité du conseil d’administration a effectivement bondi. Elle est passée de 34 % en 2016 à 47 % en 2017. Par contre, on note que 3 % des sociétés seulement se sont fixé des cibles pour le nombre de femmes cadres. Les sociétés citent souvent la notion de mérite pour expliquer ces résultats médiocres.
Mais comme inconsciemment, on continue souvent de définir le mérite selon des caractéristiques traditionnellement associées aux hommes blancs, le statu quo bouge à peine.
Pour véritablement accélérer le changement, doit-on aller jusqu’à l’imposition de quotas? Ou faudrait-il explorer des possibilités de réglementations plus normatives, avec des cibles plus précises et des sanctions?
La deuxième grande question qui se pose porte sur la diversité autre que celle liée au genre : comment peut‑on concilier la nécessité d’accroître la diversité ET éviter la rigidité, la lourdeur et le côté artificiel des politiques sur la diversité?
Devrait-on permettre aux entreprises d’adopter des politiques sur la diversité qui sont adaptées à leur marché et à leur collectivité?
Les entreprises devraient-elles être libres de choisir d’adhérer aux quatre critères minimums en matière de diversité qui seront établis dans la réglementation, à savoir le genre, les Autochtones, les minorités visibles et les personnes handicapées? Elles pourraient évidemment se fixer d’autres critères, comme l’expérience et les origines géographiques.
En outre, devrait-on permettre aux entreprises de fixer les objectifs pour chacun de ces critères en matière de diversité en fonction de leur réalité sociologique?
Voilà qui termine mes commentaires et questions sur la diversité et ce projet de loi. J’espère que le Comité pourra y répondre dans le cadre de son examen et de son étude.
Permettez-moi, avant de terminer, de commenter un dernier aspect du projet de loi. Je constate que le projet de loi ne comporte aucune disposition prévoyant un vote consultatif des actionnaires sur la rémunération des cadres. Il s’agit pourtant d’une mesure qui a été adoptée aux États-Unis et par les plus grandes sociétés ouvertes au Canada. Je m’attendais à ce que projet de loi inclut une telle disposition compte tenu des hausses salariales fulgurantes des cadres au cours des dernières décennies, hausses qui ont contribué à élargir le fossé entre les niveaux de revenu supérieurs et inférieurs. J’espère que le Comité étudiera la question et considérera le mérite d’une telle disposition dans le cadre de son second examen objectif.
Je vous remercie de votre attention.