![](/media/37542/com_pho_banner_2017-01-05_f_final.jpg?&quality=90&width=1140)
La Loi canadienne sur les droits de la personne - Le Code criminel
Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Suite du débat
28 février 2017
L’honorable Sénatrice Raymonde Gagné :
Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet du projet de loi C-16, Loi modifiant la Loi canadienne sur les droits de la personne et le Code criminel. Je remercie l'honorable sénateur Grant Mitchell d'avoir expliqué en détail les éléments du projet de loi, ainsi que tous les honorables collègues qui ont déjà participé au débat sur ce projet de loi pour y apporter leur appui. À mon tour, je souhaite appuyer le projet de loi C-16 en faisant appel au cœur et à la raison.
Commençons par la raison. Le projet de loi C-16 mérite d'être adopté, car il répond à un besoin criant de notre société. Le projet de loi est certainement une importante déclaration d'ouverture et de respect, mais il est, à la base, une réponse législative visant à protéger des personnes qui, en ce moment, ne sont pas suffisamment protégées. Les études démontrent que la population transgenre est beaucoup plus vulnérable que la moyenne des Canadiens. Le sondage national Canadian Trans Youth Health Survey, publié en 2015, a permis de montrer, entre autres, que deux tiers des jeunes transgenres se sentaient victimes de discrimination à cause de leur identité sexuelle, et que la moitié se sentaient victimes à cause de leur apparence physique. Soixante-dix pour cent des jeunes se disaient aussi victimes de harcèlement sexuel.
Il ne faut pas perdre de vue cette réalité. La question à laquelle nous devons répondre n'est pas : « Que pensez-vous des personnes transgenres? », même si je souhaiterais que la réponse à une telle question soit une réponse d'ouverture, d'écoute et d'acceptation. La question à laquelle nous devons répondre par le truchement de ce projet de loi est plutôt celle-ci : « Acceptez-vous qu'un groupe vulnérable et persécuté soit laissé sans protection adéquate? » La distinction est importante, et je crois qu'elle permet de constater la portée réelle de ce projet de loi, qui n'est pas aussi controversé, en réalité.
Prenons le premier élément du projet de loi. On ajoute un élément à l'article 2 de la Loi canadienne sur les droits de la personne afin d'ajouter l'identité ou l'expression de genre aux considérations qui ne peuvent pas servir de motifs de discrimination pour priver un individu de son droit à l'égalité des chances d'épanouissement et à la prise de mesures visant à la satisfaction de ses besoins.
Maintenant, imaginons un autre scénario, un projet de loi qui, au lieu d'inclure l'identité ou l'expression de genre, ajouterait plutôt la phrase suivante à la fin de l'article 2 de la loi :
Toutefois, il demeure permis, pour des considérations fondées sur l'identité ou l'expression de genre, de priver tout individu de l'égalité des chances d'épanouissement et de la prise de mesures visant à la satisfaction de leurs besoins.
Je crois qu'il nous serait à tous impossible de voter pour un amendement qui aurait pour effet de priver sciemment des personnes transgenres des garanties accordées à tout individu par la Loi canadienne sur les droits de la personne. Je vous encourage, honorables sénateurs, à ne pas permettre implicitement ce que vous refuseriez, à juste raison, de faire expressément.
Certains diront que la loi actuelle protège déjà les personnes transgenres. Le sénateur Mitchell a fait état de cet argument. Si tel est le cas, il n'y a aucun mal à le redire, mais d'une façon un peu différente. Si telle est l'intention de la loi, force est d'admettre que celle-ci n'a pas su, pour les personnes transgenres, avoir l'effet désiré. La réalité est que les personnes transgenres demeurent vulnérables. Plusieurs de nos collègues ont déjà fait état de statistiques sans équivoque et fort troublantes à cet égard. L'honorable sénatrice Renée Dupuis a, quant à elle, fait état du fait que la discrimination vécue est également systémique. Est-ce que la loi actuelle protège déjà les personnes transgenres? Si elle le fait, elle ne le fait pas assez bien. Il est urgent de la clarifier. Si elle ne le fait pas, il faut qu'elle le fasse le plus vite possible. Je le répète : seriez-vous prêts à voter en faveur d'un amendement qui permettrait expressément la discrimination systémique? Bien sûr que non. Or, celle-ci existe. À nous de dire, sans le moindre délai, que cette situation est inacceptable.
Le projet de loi C-16 ajoute aussi, au paragraphe 3(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, l'identité de genre et l'expression de genre à la liste des motifs de distinction illicite.
Honorables sénateurs, demandez-vous encore une fois s'il serait acceptable de modifier ce paragraphe afin qu'on y lise ceci : « Pour l'application de la présente loi, l'identité de genre et l'expression de genre demeurent des motifs de distinction autorisés. »
Voteriez-vous en faveur de cette modification? Je suis convaincue que cette modification n'aurait l'appui, à juste titre, de personne. Je vous implore encore une fois, honorables sénateurs, de ne pas permettre implicitement ce que vous n'autoriseriez jamais explicitement. Comme l'a déclaré le juge La Forest, de la Cour suprême du Canada, l'absence de référence explicite à l'identité sexuelle dans la Loi canadienne sur les droits de la personne rend les transgenres « invisibles ».
Le projet de loi apporte aussi deux amendements au Code criminel. Le premier vise à ajouter l'identité ou l'expression de genre aux « groupes identifiables », c'est-à-dire à titre de section du public qui se différencie des autres par une caractéristique spécifique. Les autres caractéristiques reconnues sont la couleur, la race, la religion, l'origine nationale ou ethnique, l'âge, le sexe, l'orientation sexuelle, et la déficience mentale ou physique. Il est important de préciser ici qu'on ne crée pas de nouveaux crimes ou de précédents législatifs au Canada. Le principe des groupes identifiables existe déjà dans le Code criminel, et on ajoute un groupe clairement vulnérable à cette liste.
Le deuxième amendement touche aux facteurs aggravants à l'étape de la sentence. Il est important de le noter : l'article 718.2 ne s'applique que lorsqu'il y a déjà une décision sur culpabilité et qu'une peine doit être imposée. L'infraction doit, en plus, être motivée par des préjugés ou de la haine fondés sur l'identité ou l'expression de genre. La question à se poser est donc la suivante : sommes-nous en présence de facteurs aggravants quand l'infraction criminelle a été commise contre une personne parce que cette dernière est transgenre? La réponse est évidente. Notre Code criminel reconnaît que les infractions motivées par des préjugés ou de la haine fondés sur le facteur identitaire de la victime méritent des peines plus sévères. L'inclusion expresse de l'identité ou de l'expression de genre à ces facteurs identitaires respecte pleinement l'esprit de la loi.
Bref, ce projet de loi prend des mesures raisonnables pour traiter d'un problème réel. Les objections entendues ne résistent pas à une analyse plus poussée. Mes honorables collègues, en particulier la sénatrice Dyck, il y a quelques minutes, ont bien expliqué — et je dirais même, anéanti — le faux débat des toilettes. La sénatrice Mobina Jaffer a même exprimé très clairement les grandes souffrances que peuvent causer de telles rumeurs infondées. Je n'ai rien à ajouter sur ce point.
Honorables sénateurs, il s'agit tout simplement d'une bonne mesure législative, parce qu'elle propose des modifications raisonnables qui règleraient un problème important et irréfutable sur le plan statistique.
Je fais encore appel à la raison en vous rappelant, comme certains de nos honorables collègues l'ont fait, que huit provinces canadiennes ainsi que les Territoires du Nord-Ouest se sont déjà dotés de lois sur les droits de la personne qui mentionnent l'expression de genre ou l'identité de genre. Au Manitoba, le Code des droits de la personne inclut aussi l'identité sexuelle comme une caractéristique dont on ne peut se servir pour traiter une personne différemment, et sur la base de laquelle on ne peut refuser de répondre de façon raisonnable aux besoins spéciaux d'un particulier ou d'un groupe.
Les campus universitaires s'adaptent aussi en offrant des salles d'eau unisexes afin de mieux accommoder leurs étudiants. Comme nous pouvions nous y attendre, et comme il se devait de le faire, le Musée canadien pour les droits de la personne, à Winnipeg, prêche aussi par l'exemple à cet égard.
Le Manitoba, comme huit autres provinces et un territoire, reconnaît donc que l'identité sexuelle peut servir de base à la discrimination. Effectivement, honorables sénateurs, les statistiques sont indéniables; l'inaction n'est pas une option.
Chers collègues, permettez-moi, une dernière fois, de faire appel à la raison en vous rappelant que le Sénat a un rôle reconnu de protection des minorités. Nous mentionnons souvent la responsabilité de cette Chambre à cet égard et nous faisons souvent état de cette responsabilité qui nous incombe lorsque vient le temps d'expliquer en quoi notre Chambre se distingue de l'autre endroit. Il est temps que ce projet de loi soit étudié.
Maintenant, pour le cœur. Je souhaiterais faire ici appel à la compassion afin de reconnaître la souffrance d'individus marginalisés par la société et de voir à y remédier.
Souvent, dans la vie, il faut écouter son cœur pour comprendre sa pensée. Je terminerai donc mon allocution en partageant avec vous le fait que mon fils et moi sommes à la recherche d'Alexia, une jeune femme qui était autrefois prénommée Allen. Allen était un bon ami de mon fils jusqu'au jour où il a dévoilé à sa bande d'amis qu'« il » devenait « elle » et qu'il souhaitait désormais se faire reconnaître comme telle. Les amis se trouvent alors incapables de s'ajuster à sa nouvelle identité. Elle est mise à l'écart, les garçons ne veulent plus sa présence, l'amitié est rompue.
Cette situation s'est présentée il y a une dizaine d'années et, pour moi, l'oubli s'est installé. Pour mon fils, par contre, la réalité était tout autre. Il m'a confié récemment qu'il est toujours rongé par les remords et qu'il souhaiterait, d'une façon ou d'une autre, tenter de réparer le tort qui a été commis. Si seulement il pouvait la retrouver. Il connaît très bien les défis auxquels font face les personnes transgenres, car, depuis cet événement, mon fils est devenu enseignant, un enseignant sensible et à l'écoute des jeunes. Il est surtout attentif aux besoins des jeunes qui sont vulnérables et marginalisés, car il sait très bien qu'il est en mesure de faire une différence dans leur vie et celle de leur famille.
Vous vous demandez sans doute pourquoi je suis, moi aussi, à sa recherche. La raison est que je suis restée beaucoup trop longtemps silencieuse et passive face à Alexia et aux personnes transgenres. De plus, je souhaiterais qu'elle sache qu'aujourd'hui, j'ajoute ma voix à ceux et celles qui ont déjà exprimé leur appui au projet de loi.
Je vous remercie.