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Le Code criminel

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Suite du débat

6 avril 2017


L’honorable Sénatrice Kim Pate :

Honorables sénateurs, je suis heureuse d'intervenir aujourd'hui pour parler du projet de loi S-206, qui vise à abroger l'article 43 du Code criminel du Canada.

Je vais expliquer pourquoi, selon moi, l'article 43 doit être abrogé. Tout d'abord, j'aimerais, pour deux raisons, parler de la décision rendue en 2004 par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Canadian Foundation for Children, Youth and the Law c. Canada (Procureur général).

Premièrement, cette décision illustre la complexité de cette disposition, de sorte que, en ce qui concerne l'article 43, ce que l'on voit n'est pas nécessairement le reflet de la réalité.

L'article 43 est souvent perçu comme un moyen de défense invoqué par les parents ou les enseignants bien intentionnés contre une accusation de voies de fait. Toutefois, il existe énormément de confusion dans la loi au sujet de l'article 43, notamment pour ce qui est des critères complexes fixés par la Cour suprême pour tenter de restreindre et d'interpréter son application.

Dans son discours sur ce projet de loi, le sénateur Sinclair a présenté un survol de la loi relativement à l'article 43. Il a conclu que si cette disposition servait un jour de moyen de défense efficace pour un parent, « ce serait par pur hasard, compte tenu de l'état vague et confus de la loi sur le châtiment corporel ».

Je n'ajouterai rien à cette observation avisée, si ce n'est pour dire que ma propre expérience le confirme. J'ai travaillé durant des dizaines d'années auprès de femmes marginalisées qui ont eu des démêlées avec la justice. Pas une seule fois je n'ai vu une de ces femmes échapper à la prison, ou des enfants éviter de se trouver sans parents, grâce à l'article 43.

Certains pensent que l'article 43 sous-entend qu'il revient aux parents de décider si les corrections sont dans l'intérêt de leur enfant. Si elle a conclu à la constitutionnalité de l'article 43, la Cour suprême a aussi maintenu que les châtiments corporels n'apportent rien aux enfants.

En fait, pas un seul témoin dans l'affaire n'a suggéré que les châtiments corporels avaient un mérite quelconque. La Cour suprême n'a pas conclu que les châtiments corporels pouvaient s'avérer bénéfiques pour l'enfant. Au contraire, elle a soutenu clairement que l'intérêt supérieur de l'enfant, lequel est servi par la prévention du châtiment corporel, pouvait être subordonné à d'autre intérêts dans des contextes appropriés.

Des travaux de recherche effectués par le Centre hospitalier pour enfants de l'est de l'Ontario, ou CHEO, déboulonnent complètement le mythe selon lequel les corrections sont bénéfiques pour les enfants. Je cite :

Bien que de nombreux parents croient que les châtiments corporels éviteront à leurs enfants d'avoir des ennuis, il a été prouvé que la délinquance et les comportements antisociaux augmentent avec le temps chez les enfants qui subissent des corrections.

Le châtiment corporel constitue « un risque de blessure physique pour l'enfant et d'érosion de la relation parent-enfant ».

Les enfants qui se font souvent frapper sont aussi plus susceptibles d'avoir plus de mal à s'adapter psychologiquement et d'être plus agressifs, et ce, tout au long de leur vie.

Enfin, l'hôpital affirme que, en autorisant les agressions contre les enfants, on « perpétue le recours à la violence sur plusieurs générations ». Tout en gardant en tête ces conséquences sur la prochaine génération, je peux maintenant expliquer aux sénateurs la deuxième raison — plus personnelle, celle-là — pour laquelle je me reporte à la décision rendue par la Cour suprême en 2004.

À l'époque, mes enfants, qui sont aujourd'hui des adultes, étaient encore à l'âge où le jugement s'appliquait directement à eux. Mon petit rusé de fils, Michael, avait alors 13 ans, et ma tout aussi merveilleuse fille, Madison, en avait 5. Mon fils avait suivi l'affaire avec intérêt et il en a interprété la conclusion en bon grand frère qu'il était, surtout en ce qui concerne la règle voulant que seuls les enfants âgés de 2 à 12 ans puissent faire l'objet d'un châtiment corporel. Qu'en a-t-il conclu, croyez-vous? « Personne ne peut me frapper, nous a-t-il annoncé, mais nous pouvons tous frapper Madison. »

Ce qui a attiré l'attention de mon fils — et ce qui devrait aujourd'hui attirer la nôtre —, c'est la terrible et absurde réalité au cœur de l'article 43. Aucun enfant ne devrait avoir à attendre l'adolescence pour que la loi le protège contre les coups au même titre qu'elle protège les adultes. Nous ne devrions pas non plus risquer qu'ils apprennent qu'ils méritent d'être agressés ou, pire encore, que c'est pour leur bien s'ils se font frapper. Une fois grands, les enfants à qui l'on fait régulièrement subir des voies de fait dans le but de corriger leurs défauts de comportement risquent de subir des souffrances susceptibles d'avoir de graves répercussions, sur eux et sur les générations suivantes.

La déclaration commune sur les châtiments corporels infligés aux enfants et aux adolescents, rédigée grâce à la coordination du Centre hospitalier pour enfants de l'est de l'Ontario, repose sur des études qui mettent systématiquement en évidence le taux relativement élevé de personnes qui ont subi des châtiments corporels pendant l'enfance qui manifestent des comportements agressifs, criminels ou antisociaux à l'âge adulte et qui maltraitent leurs enfants ou encore leur conjointe ou conjoint.

Ces effets ne se limitent pas aux cas d'abus graves. Ils existent aussi lorsqu'on inflige une punition comme la fessée, qui est souvent considérée comme une agression mineure.

Il ne peut y avoir de démonstration plus claire de la nécessité de protéger les enfants contre les agressions physiques que la montagne de preuves et de témoignages sur les effets néfastes des châtiments corporels et des autres moyens agressifs de « corriger les enfants » que l'on retrouve dans le rapport de la Commission de vérité et réconciliation, sous forme de descriptions détaillées et souvent aussi atrocement douloureuses que nécessaires.

En demandant l'abrogation de l'article 43, la Commission de vérité et réconciliation nous montre le rôle des châtiments corporels et de la croyance qu'ils devraient pouvoir être infligés aux enfants en toute impunité dans la perpétuation des sévices qui ont marqué les pensionnats autochtones. Les traumatismes vécus pendant l'enfance par les rescapés du système de pensionnats autochtones du Canada se sont répercutés de génération en génération. Ils ont continué d'avoir des conséquences néfastes, voire dévastatrices dans les familles et les collectivités.

Depuis la décision de la Cour suprême, en 2004, mes enfants sont devenus des adultes. Leur génération a grandi sans qu'aucun progrès ne soit réalisé dans le droit pénal. Le cycle de la violence engendré par les châtiments corporels infligés aux enfants perdure.

Les enfants du passé, du présent et du futur méritent que nous remédiions au vide juridique qui nous amène à fermer les yeux sur les agressions physiques contre les enfants. Il est temps d'entendre l'appel de la Commission de vérité et réconciliation, du Comité des droits de l'enfant des Nations Unies, du Centre hospitalier pour enfants et des organismes qui sont près de 600 à avoir signé la déclaration commune. Il est plus que temps, chers amis et collègues, d'abroger l'article 43 pour qu'enfin, les enfants soient pleinement protégés contre les agressions physiques. Merci, thank you, meegwetch.

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