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Projet de loi sur le réseau de digues de l'isthme de Chignecto

Deuxième lecture--Suite du débat

20 novembre 2025


Honorables sénatrices et sénateurs, c’est avec un profond sentiment de responsabilité envers ma province, la Nouvelle-Écosse, que je prends la parole aujourd’hui pour appuyer le projet de loi S-216, Loi sur le réseau de digues de l’isthme de Chignecto.

Le sujet dont il est question ici touche directement la sécurité, la prospérité et la résilience d’une région qui relie ma province au reste du Canada. C’est une question d’intérêt national, d’équité interprovinciale et de respect de nos engagements envers les collectivités qui y vivent depuis des siècles.

L’isthme de Chignecto est une bande de terre d’environ 21 kilomètres qui relie la Nouvelle-Écosse au Nouveau-Brunswick. Il s’agit du seul lien terrestre entre la Nouvelle-Écosse et le reste du pays. C’est par cet étroit corridor que passent la route Transcanadienne, la voie ferrée principale du CN, les réseaux électriques et les lignes de communication, comme la fibre optique.

En d’autres mots, si l’isthme venait à être inondé, la Nouvelle-Écosse serait littéralement coupée du Canada. Le commerce interprovincial, l’approvisionnement en biens essentiels, les déplacements des citoyens, les services d’urgence : tout serait paralysé.

Ce n’est pas une hypothèse lointaine. Le risque est bien réel. Le réseau de digues qui protège cette zone a été construit à l’origine par les Acadiens au XVIIIe siècle, puis renforcé par la suite. Aujourd’hui, cependant, ces infrastructures vieillissent. Les digues sont fragilisées par les changements climatiques, la montée du niveau de la mer et l’augmentation de la fréquence des tempêtes.

Un bris majeur entraînerait des conséquences économiques et sociales incalculables, non seulement pour la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick, mais pour tout le Canada atlantique. La protection de l’isthme de Chignecto dépasse les capacités et les responsabilités d’une seule province. Il s’agit manifestement d’un enjeu d’intérêt national.

Le transport des marchandises vers les ports de Halifax, de Saint John et de Sydney est vital pour l’économie canadienne. Ces routes soutiennent notre commerce international, notre sécurité énergétique et nos chaînes d’approvisionnement.

C’est pourquoi le projet de loi S-216 propose que le gouvernement fédéral assume la responsabilité du réseau de digues de l’isthme, afin d’assurer une approche coordonnée, durable et équitable. Ce modèle d’intervention fédérale n’est pas inédit; pensons, par exemple, au pont de Québec ou au pont Samuel-De Champlain, deux infrastructures d’importance nationale que le gouvernement fédéral a prises en charge pour en garantir la sécurité et la pérennité.

Il s’agit ici du même principe. Le Parlement du Canada a le devoir d’agir lorsque la sécurité d’une province entière et la continuité du commerce national sont en jeu. Ce projet de loi découle d’une préoccupation exprimée depuis longtemps par les collectivités locales des deux provinces. Les municipalités de Tantramar, Amherst et Sackville ont toutes réclamé une solution durable et coordonnée. Elles reconnaissent que seule une approche fédérale peut garantir la protection à long terme de cette région stratégique.

Le projet de loi bénéficie également de l’appui de nombreux groupes acadiens et autochtones, dont la Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick, la Fédération acadienne de la Nouvelle-Écosse et la Société nationale de l’Acadie. En 2024, les groupes acadiens ont entrepris une démarche visant à créer un parc national dans l’isthme de Chignecto. D’ailleurs, en date de dimanche dernier, le 16 novembre 2025, lors de ses assises annuelles, la Société nationale de l’Acadie a entériné une motion qui dit ce qui suit :

Que la Société nationale de l’Acadie soutienne pleinement l’initiative du projet de loi S-216, y compris tout projet de loi allant dans ce sens, lequel reconnaît le réseau de digues de l’isthme de Chignecto et ses infrastructures connexes comme étant d’un intérêt général pour le Canada.

Ces organisations ont aussi souligné l’importance de préserver les sites culturels et patrimoniaux acadiens présents dans la région, car ils sont les témoins d’une histoire profondément enracinée dans notre identité collective. Ces terres, ces marais et ces digues racontent l’ingéniosité et la résilience du peuple acadien, tout en témoignant d’une présence autochtone millénaire sur ces territoires.

En appuyant ce projet de loi, nous honorons cette mémoire partagée et nous veillons à ce que ces lieux de patrimoine soient protégés de manière uniforme, durable et respectueuse. Certains se sont interrogés sur la compétence du Parlement à intervenir dans ce dossier. Rappelons que la Cour de la Nouvelle-Écosse s’est prononcée sur cette question et qu’elle a choisi de ne pas se substituer au législateur. Elle a laissé cette décision à la seule appréciation du Parlement du Canada.

Cela signifie, honorables sénateurs, que la responsabilité nous incombe à nous directement. C’est à nous, législateurs, de décider si la protection de l’isthme de Chignecto relève de l’intérêt national. De toute évidence, la réponse est oui.

Quand l’unité géographique, économique et humaine d’une province dépend d’un seul lien terrestre, le gouvernement fédéral a non seulement la légitimité, mais aussi l’obligation morale d’intervenir.

Les estimations actuelles évaluent les travaux de modernisation et de renforcement du réseau de digues à environ 650 millions de dollars. Ce chiffre provient d’une étude conjointe menée par les gouvernements du Canada, du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse en 2022.

Ce coût peut sembler élevé, mais il représente un investissement stratégique dans la sécurité nationale et la résilience climatique du pays. Si on le compare aux pertes économiques et humaines qu’engendrerait une inondation majeure, des pertes évaluées à plusieurs milliards de dollars, cet investissement est non seulement justifié, mais urgent.

Même si les gouvernements du Canada, de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick sont parvenus à s’entendre sur le financement des travaux à l’isthme de Chignecto, l’action du Parlement demeure cruciale. Une simple entente financière, aussi importante soit-elle, ne confère pas la compétence ni la responsabilité légale sur cette infrastructure vitale.

Sans l’exercice du pouvoir déclaratoire, les digues resteraient sous juridiction provinciale. Les provinces continueraient donc d’assumer la gestion, l’entretien et l’adaptation aux changements climatiques, même avec l’appui financier du gouvernement fédéral.

Or, l’isthme de Chignecto n’est pas qu’une question locale; c’est aussi une question nationale, un enjeu stratégique pour l’économie, la sécurité et la cohésion du pays.

C’est pourquoi il est essentiel que le Parlement déclare ces digues d’intérêt national. Une telle déclaration permet au gouvernement du Canada de prendre la responsabilité pleine et entière de cette infrastructure, d’assurer une gestion durable et coordonnée et de garantir que les investissements publics soient protégés par des normes techniques et environnementales rigoureuses.

Toutefois, au-delà des aspects pratiques, il s’agit d’un message de vision nationale. L’isthme de Chignecto est le cordon vital qui relie les provinces atlantiques au reste du Canada. Protéger ces digues, ce n’est pas seulement protéger des terres et des infrastructures : c’est préserver l’intégrité et l’avenir collectif de notre pays.

En exerçant ce pouvoir déclaratoire, le Parlement affirme que le Canada agit avec prévision, responsabilité et unité, et qu’il ne se contente pas de réagir aux crises, mais qu’il se dote des moyens nécessaires pour protéger ses citoyens et son territoire à long terme.

L’isthme de Chignecto n’est pas seulement une frontière entre deux provinces; c’est un pont naturel entre deux régions, entre nos peuples et notre histoire. C’est un symbole de coopération entre la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick, entre les Acadiens, les Mi’kmaqs et tous ceux qui vivent et travaillent dans cette région.

Appuyer le projet de loi S-216, c’est choisir la prévention plutôt que la réaction. C’est agir avant qu’une catastrophe ne nous force à le faire. C’est défendre une approche fédérale, coordonnée et responsable pour protéger un lien vital du Canada atlantique, qui est sans équivoque un bien à l’avantage du Canada.

Je vous invite donc, chers collègues, à appuyer le projet de loi S-216 pour la sécurité de nos citoyens, pour la vitalité de notre économie et pour la préservation de notre patrimoine commun.

Merci.

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