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Le Code criminel—La Loi sur les Indiens

Projet de loi modificatif--Deuxième lecture--Débat

17 octobre 2023


L’honorable Scott Tannas [ + ]

Propose que le projet de loi S-268, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur les Indiens, soit lu pour la deuxième fois.

 — Avant de commencer, je vous remercie, sénateur Boisvenu. Je sais que nous aurons le temps de célébrer ce que vous léguerez à la postérité. Vous nous laissez un projet de loi pour y faire honneur, et nous vous en sommes très reconnaissants.

Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet du projet de loi S-268. Je parraine pour la première fois un projet de loi d’intérêt public du Sénat. Je suis ici depuis plus de 10 ans, et c’est mon premier projet de loi.

Je tiens à préciser que je siège au Comité sénatorial permanent des peuples autochtones depuis mon tout premier jour au Sénat. Cette tâche n’a pas toujours été facile, mais cela reste un honneur de travailler avec ses membres sur diverses questions et les obstacles liés à la réconciliation.

J’aimerais remercier les membres des Premières Nations en général, ainsi que le chef Roy Whitney de la Nation des Tsuut’ina et le chef Bobby Cameron de la Fédération des nations autochtones souveraines en particulier, de m’avoir inspiré au départ à parrainer cette mesure au nom de toutes les Premières Nations.

Je me permets de parler de l’objectif du projet de loi. Comme nous en sommes à l’étape de la deuxième lecture, mon discours sera relativement bref. Je serai heureux de répondre à des questions. Je vais essayer de m’en tenir au principe du projet de loi.

En termes simples, le projet de loi confirme la compétence et le pouvoir des gouvernements des Premières Nations pour ce qui est de régir les activités liées aux jeux de hasard sur les terres de leur réserve, et ce, d’une manière qui correspond en tous points à la compétence et aux pouvoirs de la province où la réserve se trouve.

Le projet de loi S-268 donnerait officiellement le contrôle des jeux aux Premières Nations, mais uniquement dans les réserves. Ce ne serait plus les provinces qui auraient le contrôle de ces activités, y compris la délivrance des licences et — c’est là l’aspect délicat — l’appropriation des profits. L’objectif, c’est que les gouvernements dûment élus des Premières Nations contrôlent, sur leurs territoires et dans leurs réserves, l’ensemble des activités et des profits liés aux jeux qui relèvent de leurs domaines de compétence. Cela générerait des recettes de centaines de millions de dollars par année pour les communautés des Premières Nations concernées. C’est ce que le projet de loi vise à faire.

Je vais vous brosser un bref tableau historique pour que vous compreniez la situation actuelle. Il y a environ 40 ans, le gouvernement fédéral a conclu deux accords avec les provinces qui ont eu pour effet de confier à celles-ci le contrôle des jeux ou, comme on les appelait avant, des loteries. Cette délégation des pouvoirs comprenait la modification du Code criminel pour y préciser que seuls les gouvernements provinciaux pouvaient mettre sur pied et administrer des jeux ou, comme on les appelait à l’époque, des loteries.

Bien sûr, puisque c’était il y a 40 ans, il ne semble pas qu’on ait pensé aux Premières Nations ou qu’on les ait prises en considération, pas plus que les gouvernements territoriaux d’ailleurs. Ce n’est guère surprenant étant donné que la Constitution n’avait pas été signée depuis très longtemps à ce moment-là.

Depuis ce temps, les gouvernements des Premières Nations tentent de faire valoir leur droit et leur compétence dans ce domaine en citant l’article 35 de la Constitution et en s’appuyant sur des preuves indiquant que le jeu et les paris font partie de la culture autochtone depuis des millénaires. Ils sont certainement antérieurs à l’arrivée des colons européens et des premiers contacts avec eux.

De nombreuses Premières Nations sont entrées dans l’industrie du jeu dans l’espoir que leur compétence serait un jour reconnue. Elles ont construit des infrastructures et développé une expertise de bonne foi, malgré une relation asymétrique et parfois injuste avec les provinces. Aujourd’hui, il y a plus de 30 établissements de jeux appartenant à des communautés autochtones dans les réserves à l’échelle du pays.

Des générations successives de dirigeants et de délégations des Premières Nations ont discuté avec des ministres qui leur ont assuré que le gouvernement fédéral travaillait à reconnaître les droits et la compétence en matière de jeu sur le territoire des réserves. Des années durant, les dirigeants et les délégations ont été abreuvés de ces belles paroles.

Il est devenu évident que rien ne se passe. Personne ne travaille pour faire avancer ce dossier. Pourquoi? En cette ère de réconciliation, comment l’expliquer? Je suppose que la véritable raison réside dans la difficulté de la tâche : faire ce qui s’impose aura un prix pour ceux qui détenaient auparavant un monopole. Après l’éclatement du monopole, ils devront faire face à une concurrence et innover. Au bout du compte, les recettes seront moins importantes que dans le contexte d’un monopole. Voilà en quoi consiste une réconciliation économique digne de ce nom. C’est difficile.

Depuis une dizaine d’années, de nombreux efforts sont déployés en matière de réconciliation, surtout en ce qui a trait à la reconnaissance de notre passé dans toute sa réalité, au financement et à l’essor des gouvernements autochtones, ainsi qu’à l’attribution de ressources et de compétences en matière d’éducation, de culture, de services sociaux et de développement communautaire — tous des domaines coûteux, en passant. Nous avons attribué des compétences et des ressources dans chacun d’entre eux.

Il reste beaucoup de travail à abattre dans tous ces domaines, mais on est vraiment passé de la parole aux actes en ce qui a trait aux affaires autochtones. Je l’ai moi-même constaté au cours de mes 10 années au sein du comité.

La réconciliation économique est plus difficile parce qu’elle vient perturber le statu quo. Elle déloge ceux à qui profitaient les politiques du passé. On parle d’argent, de concurrence accrue et de redistribution des parts du marché. Cependant, chers collègues, il s’agit assurément de la bonne chose à faire.

Après des décennies de suppression inéquitable et injuste des droits et des compétences des Premières Nations et après des années de promesses et d’assurances timides de la part des ministres, maintenant que nous passons d’une réconciliation symbolique à une réconciliation économique concrète, il est temps d’agir. Comme l’a dit, il y a longtemps, John F. Kennedy : « Nous avons choisi [de le faire] non pas parce que c’est facile, mais justement parce que c’est difficile. »

Chers collègues, le projet de loi comporte un certain nombre de nuances, et j’espère qu’elles seront étudiées au Comité des peuples autochtones. Je serai heureux qu’on apporte des améliorations à l’étape du comité.

Je m’en tiendrai à cela pour l’instant. Je me ferai un plaisir de répondre à toutes vos questions aujourd’hui, et vous m’entendrez certainement parler plus en détail du projet de loi à l’étape de la troisième lecture. Merci.

L’honorable Denise Batters [ + ]

Sénateur Tannas, j’espérais obtenir un peu plus de détails sur votre projet de loi, car je n’ai pas eu l’occasion de l’étudier en profondeur. D’habitude, à l’étape de la deuxième lecture, j’espère entendre un peu plus de détails.

Avez-vous consulté des gouvernements provinciaux lors de la rédaction du projet de loi sur ce changement radical à l’industrie canadienne du jeu?

Le sénateur Tannas [ + ]

Non, je ne l’ai pas fait. J’ai l’intention d’inviter les gouvernements provinciaux à venir nous expliquer quels seront les effets de ce projet de loi, sachant qu’au final, c’est une question de souveraineté pour les Autochtones et les Premières Nations. Or, leur souveraineté ne peut pas être reconnue à moitié. Soit nous croyons à la réconciliation et nous respectons leur compétence sur leurs terres, soit nous ne la reconnaissons pas. Nous savons très bien ce que les provinces vont nous dire : cela va leur coûter de l’argent. Il s’agit pour elles d’un manque à gagner sur les jeux d’argent et les paris qui ont lieu dans les réserves. Nous leur donnerons l’occasion de venir s’exprimer à ce sujet. Peut-être que certaines provinces verront cela comme une mesure positive, viable, et qu’elles seront en mesure de l’appuyer.

Comme le gouvernement fédéral n’a pas consulté les Premières Nations lorsqu’il a accordé ce pouvoir aux provinces, nous avons consulté les Premières Nations et reçu l’appui de l’Assemblée des Premières Nations, par l’entremise de son sous-comité sur les jeux de hasard. Cette dernière a d’ailleurs déjà commencé à travailler sur certaines initiatives en ce sens, au cas où le projet de loi serait adopté — mais non, je n’ai pas discuté avec les provinces.

L’honorable Mary Jane McCallum [ + ]

L’amendement que j’avais proposé au projet de loi C-218, qui a donné lieu au droit inhérent des Premières Nations de s’adonner à des jeux de hasard, a été rejeté au Sénat et n’a pas été adopté.

En quoi le projet de loi diffère-t-il de cet amendement? De plus, inclut-il les jeux de hasard en ligne? Comme vous le savez, aux termes du projet de loi C-218, les Premières Nations au Canada ne peuvent pas participer aux jeux de hasard en ligne et sont littéralement exclues. Les Mohawks, l’Assemblée des chefs du Manitoba et les autres chefs de l’Ontario — c’est en leur nom que je soulève la question — cherchent à corriger cette situation. Pourriez-vous répondre à ces questions?

Le sénateur Tannas [ + ]

Ce sont toutes d’excellentes questions. En ce qui concerne l’amendement que vous aviez proposé, je crois m’y être opposé. J’avais l’impression qu’il proposait une modification corrélative qui sortait de la portée de ce projet de loi et qu’il fallait y consacrer un projet de loi à part entière, et c’est ce qui est à l’étude du Sénat, à l’heure actuelle. Cela étant dit, je crois que nous pouvons discuter des autres éléments.

En ce qui a trait au jeu en ligne, la première tâche consiste à placer les gouvernements des Premières Nations sur un pied d’égalité avec les provinces. J’ai beau chercher, je ne vois aucune règle régissant le jeu en ligne dans les lois canadiennes. L’Ontario et d’autres soutiennent que les règles qui s’y appliquent sont déterminées par le lieu de résidence de la personne qui s’adonne au jeu en ligne. C’est leur interprétation, mais chose certaine, ce n’est pas du tout clair.

Pour commencer, nous voulions faire en sorte que la loi et le Code criminel autorisent les Premières Nations à exploiter le jeu à l’intérieur de leur réserve. Nous nous sommes bien assurés d’inclure, dans le libellé, qu’elles sont autorisées à exploiter des serveurs de jeu en ligne dans une réserve.

La question de l’interaction de leur compétence, à titre de gouvernement des Premières Nations élu établi sur une réserve, avec celle de telle ou telle province ou de tel ou tel pays est quelque chose qu’il faudra régler par voie de négociation, mais dans un contexte où les autres pays et les autres provinces tenteront de comprendre ce qu’il en est.

L’honorable Karen Sorensen [ + ]

Sénateur Tannas, acceptez-vous de répondre à une autre question?

Tout d’abord, je tiens à vous remercier du rôle que vous jouez au Comité des peuples autochtones. Par souci de clarté, ce projet de loi protège-t-il les intérêts des Premières Nations qui ne veulent pas de loterie dans leurs réserves? Si ce projet de loi est adopté, les Premières Nations seront-elles toutes obligées de participer à l’industrie du jeu?

Le sénateur Tannas [ + ]

C’est l’une des nuances que j’ai mentionnées. Lorsque nous avons rédigé le projet de loi, j’avais à l’esprit la légalisation du cannabis. Des communautés des Premières Nations et des communautés inuites nous ont fait savoir qu’elles souhaitaient que le cannabis demeure illégal sur leur territoire, et elles nous ont demandé de faire en sorte que cela puisse être le cas. Je me suis dit que nous pourrions nous trouver dans la même situation et que certaines communautés autochtones ne sont peut-être absolument pas intéressées par cette possibilité.

Le projet de loi offre cette possibilité en affirmant un droit, et les communautés des Premières Nations devront donner un court préavis au gouvernement fédéral pour l’informer de leur intention de l’exercer. Ainsi, les communautés qui ne souhaitent pas exercer ce droit n’auront pas à le faire. Merci de votre question.

Merci beaucoup, sénateur Tannas. Je comprends qu’on utilise beaucoup le terme « réconciliation économique », mais puisque je viens de la communauté de Maliotenam, qui est située à 15 kilomètres de Sept‑Îles... Nous avons fortement refusé d’accueillir un casino, pour des raisons de santé publique, de santé mentale, de crime organisé et ainsi de suite. On parle de plusieurs années.

Aujourd’hui, on voit les effets de tout cela. Même si nous avons refusé, nous avons quand même trouvé des façons de diminuer toute la dépendance au jeu pathologique.

Je me souviens du moment où ce projet de loi a été présenté et j’ai besoin de savoir quels sont les mécanismes qui ont été mis en place. Comme femme innue membre des Premières Nations, tout en sachant que je souhaite que nos nations soient autonomes — nous n’avons pas beaucoup de territoire et parfois, malheureusement, le jeu devient une solution —, vous comprendrez que je ne suis pas à l’aise.

Dans le cas des gouvernements des provinces et des territoires, quels sont les mécanismes mis en place lorsqu’on crée des jeux comme ceux-ci ou qu’on implante des casinos? Le gouvernement doit aussi prendre des engagements sur les plans de la santé mentale et de la lutte contre le crime organisé.

En ce qui concerne votre projet de loi, quels mécanismes sont prévus pour s’assurer qu’on ne tiendra pas seulement compte de l’aspect économique, mais aussi d’une réconciliation globale qui inclut la sécurité, la santé et ainsi de suite?

Le sénateur Tannas [ + ]

C’est une excellente question, merci.

Permettez-moi de dire que si nous croyons vraiment à la réconciliation et que nous croyons aux compétences des gouvernements autochtones, nous ne pouvons pas leur imposer toute une série de conditions lorsque nous leur remettons quelque chose qui leur appartient déjà. Si nous croyons que cette chose leur appartient déjà, il est difficile de commencer à poser des conditions et à établir des règles.

Les gouvernements autochtones qui sont des acteurs du secteur du jeu le reconnaissent. Une autre nuance du projet de loi est qu’on y envisage la possibilité pour les collectivités autochtones d’établir une commission des jeux autochtone où elles travailleraient ensemble à des normes communes.

Est-ce que l’adhésion à cette commission serait obligatoire d’une manière ou d’une autre ou est-ce qu’elle serait inscrite dans la loi? Probablement pas. Il s’agirait plutôt d’une association qui procéderait à des audits, qui s’assurerait que les normes sont respectées et, dans le cas contraire, qui émettrait des avis à l’intention des consommateurs.

Cependant, l’essentiel est que c’est le travail qui doit être fait par cet ordre de gouvernement qui veut et qui croit qu’il a déjà ces droits, dans certains cas. En fait, il y a une communauté au Québec qui est probablement contre ce projet de loi parce que ses membres craignent que, d’une certaine façon, son acceptation constitue une admission qu’ils n’ont pas les droits qu’ils croient avoir maintenant. Ils fonctionnent comme ils l’entendent et défient quiconque de venir leur dire qu’ils ne disposent pas des droits pour le faire.

Le projet de loi permet également aux gouvernements des Premières Nations, à mesure qu’ils assument leurs compétences, de coopérer à l’établissement du régime de réglementation de leur choix.

Merci.

L’honorable Brent Cotter [ + ]

Sénateur Tannas, accepterez-vous de répondre à une question ou deux?

Le sénateur Tannas [ + ]

Oui.

Le sénateur Cotter [ + ]

Merci.

C’est une initiative fascinante, sénateur Tannas. Elle offre nombre de possibilités fascinantes, ainsi que quelques défis.

Je tiens d’abord à m’inspirer de la sénatrice Batters, si vous me le permettez. En Saskatchewan, il y a des casinos dans environ cinq réserves. Chaque dollar gagné par ces casinos est actuellement remis aux communautés des Premières Nations.

Ensuite, cet argent est distribué proportionnellement à toutes les bandes de la province, même celles dans le Grand Nord qui ne pourraient jamais exploiter un casino même si elles en voulaient un : il n’y aurait pas de clients.

Bien franchement, le fait de donner aux Premières Nations qui se trouvent dans des emplacements géographiques attrayants le pouvoir d’exploiter leurs propres casinos semble perturber cet arrangement relativement équitable en Saskatchewan. La bande située à l’extérieur de Saskatoon... Mon bon ami et le vôtre, Darcy Bear, administre un casino dans la Première Nation dakota de Whitecap, mais l’argent gagné par ce casino est mis en commun dans le cadre d’un accord à l’échelle de la province. Il me semble que votre proposition permet au chef Bear de continuer à exploiter son casino et de garder tous les profits, ce qui serait une bonne chose pour la Première Nation dakota de Whitecap, comme pour certaines Premières Nations autour de Phoenix, par exemple, mais une moins bonne pour le reste de la province.

Qu’en pensez-vous?

Le sénateur Tannas [ + ]

Oui, et vous avez raison...

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