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La Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre

Projet de loi modificatif--Douzième rapport du Comité de l'agriculture et des forêts--Report du vote

2 novembre 2023


L’honorable Pat Duncan [ - ]

Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet du douzième rapport du Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts, qui amende le projet de loi C-234, Loi modifiant la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre.

Comme nous le savons tous, le fédéralisme est l’une des formes de gouvernement les plus difficiles, peut-être même la plus difficile. Par ailleurs, le Canada est un pays vaste et diversifié où la crise climatique mondiale présente des défis, peut-être même davantage que dans tout autre pays.

Étant donné ces deux enjeux, il est incroyablement difficile d’élaborer des mesures législatives, particulièrement quand il est question de politiques en matière de taxes et de remboursement. Il n’est pas facile d’instaurer des mesures législatives ou des mécanismes de taxation qui s’attaquent aux problèmes, font changer les comportements et tiennent compte de toutes les réalités canadiennes.

Comme j’ai déjà été membre du Comité des finances nationales, j’ai senti le besoin, en étudiant le projet de loi et en écoutant le débat, de retourner consulter le dossier des taxes sur le climat. Ce n’est pas un sujet facile, même pour quelqu’un qui détient un doctorat en économie, ce qui n’est pas mon cas, alors imaginez pour le Canadien moyen, ce qui me décrit mieux.

Pour avoir déjà côtoyé plusieurs ministres des Finances — qui se rencontrent d’ailleurs demain dans le cadre de ce qui s’appelle désormais le Conseil de la fédération —, je peux seulement imaginer les conversations difficiles qui les attendent.

Qu’il s’agisse de changements climatiques, de taxes ou de remboursements, les approches varient beaucoup d’une région à l’autre.

Au départ, l’allégement accordé aux agriculteurs pour la taxe sur le carburant s’inspirait d’un programme britanno-colombien. C’est ce qui est ressorti des travaux du comité. À cause d’un oubli dans la loi, le carburant servant à sécher les céréales et celui qu’utilisent abondamment les éleveurs de volaille ont été omis. Il s’agit de deux points très importants, car ils ont donné naissance au projet de loi C-234. Cette mesure législative, dans la version actuelle adoptée par la Chambre des communes, s’attaque de manière équitable à ces deux points et établit une date limite claire.

Honorables sénateurs, je m’en voudrais de ne pas vous rappeler qu’en plus de procéder à un second examen objectif, nous sommes aussi là pour représenter les régions. Il manque de sénateurs en provenance de l’Alberta, de la Saskatchewan, du Manitoba et de la Colombie-Britannique; or, c’est précisément dans l’Ouest du pays que vivent bon nombre de ces agriculteurs et que les programmes de taxes sur le climat comportent de très nettes différences.

Chers collègues, je ne cherche à dénigrer aucun sénateur, mais plutôt à faire comprendre que nous ne tenons pas compte de certains points de vue.

Honorables sénateurs, je remarque qu’on parle beaucoup de dépenses totales et d’avantages globaux. Les chiffres des analystes sont fondés sur des moyennes nationales ou provinciales. Or, il s’agit d’une façon très centralisée, très urbaine, d’aborder cette question. Le projet de loi dont nous sommes saisis a précisément pour but de contrer cette façon de regrouper les choses et de trouver les points faibles du régime actuel de tarification du carbone.

Selon ce que je retiens de l’étude du comité et de mes discussions avec les agriculteurs, il y a un énorme écart entre la réduction des émissions de carbone que nous voudrions obtenir par les innovations technologiques et ce à quoi les acteurs économiques ont facilement accès. Donnons aux agriculteurs le temps dont ils jugent avoir besoin pour corriger la situation et pour être d’honnêtes partenaires qui contribuent à trouver des solutions climatiques réalistes.

Honorables sénateurs, le projet de loi corrige une lacune. Certains agriculteurs touchés par ce projet de loi étaient auparavant exclus.

J’ai été très touchée par les hommages qu’on a rendus aujourd’hui à un très honorable homme public. Ces hommages m’ont aussi rappelé la prière de l’Assemblée nationale du Yukon dont vous m’avez souvent entendu parler. Il s’agit d’une prière au Créateur pour que nous puissions toujours prendre des décisions sages et justes au nom des gens que nous représentons.

C’est la notion d’équité qui me frappe sans cesse dans ce projet de loi. Il est juste d’inclure les agriculteurs qui ont été laissés pour compte pour corriger cette omission.

Je ne considère pas qu’il s’agit d’une omission délibérée et je ne dirais pas qu’il s’agit d’une erreur de rédaction dans le projet de loi initial. Je reconnais que le projet de loi C-234 corrige un oubli. Ce n’est pas la première fois qu’on nous demande de faire cela. À maintes reprises, au Comité des finances nationales, lorsque nous avons dû faire face à la situation difficile de la pandémie et étudier les prestations à offrir aux Canadiens, nous avons corrigé des projets de loi parce que des personnes étaient laissées pour compte. Il y a d’abord eu les artistes et la communauté artistique.

C’est une situation semblable. Je crois qu’elle a été quelque peu éclipsée par les événements de la semaine dernière et les discussions portant sur d’autres situations qui se produisent dans notre pays. Nous devons concentrer nos efforts sur ce projet de loi. C’est pourquoi je crois que nous ne devons pas accepter les recommandations qui ont été formulées dans le rapport du Comité de l’agriculture, mais plutôt rejeter le rapport et permettre la tenue d’un débat en bonne et due forme à l’étape de la troisième lecture, qui permettra de tenir une discussion équitable sur tous les amendements et sur tous les points de vue au Sénat afin que nous puissions entendre tout le monde.

À mon avis, discuter de façon approfondie du projet de loi C-234 nous donnera l’occasion de corriger une omission. En effet, l’adoption du projet de loi C-234 n’entraînera pas de fardeau excessif pour les caisses du gouvernement fédéral. Il ne faut pas oublier que le gaz naturel et le propane sont les combustibles les plus propres. Accorder ce remboursement et adopter le projet de loi C-234 fera-t-il une énorme différence pour l’atteinte des objectifs du Canada en matière de changement climatique? Je ne pense pas. Adopter ce projet de loi permettra de corriger une omission et de traiter équitablement toutes les parties concernées.

Je pense que nous devons adopter le projet de loi tel quel et envoyer un message informant la Chambre des communes que le Sénat l’a adopté sans proposition d’amendement.

J’invite donc tous les sénateurs à écouter ce que leurs collègues ont à dire, car je crois comprendre que nous pourrons — mais peut-être pas aujourd’hui — exprimer notre point de vue sur le rapport du Comité de l’agriculture. J’invite les sénateurs à tenir compte de mes propos d’aujourd’hui sur l’équité, et à se pencher sur la question. Encore une fois, en rejetant ce rapport, en adoptant le projet de loi C-234 tel quel et en tenant un débat juste et approfondi, nous pourrons faire de notre mieux en tant que sénateurs pour les Canadiens et pour l’ensemble du pays. Je vous remercie, honorables sénateurs.

L’honorable Colin Deacon [ - ]

Honorables sénateurs, je prends la parole pour m’opposer à l’adoption du rapport du Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts et à l’amendement du projet de loi C-234 qui y est proposé, de même que pour faire valoir l’adoption du projet de loi non modifié.

Je tiens à expliquer pourquoi je crois que le projet de loi modifié réduirait les revenus tirés de la production agricole au Canada, affaiblirait notre sécurité alimentaire et minerait nos efforts de lutte contre les changements climatiques.

J’ai été membre du Comité de l’agriculture et des forêts durant mes cinq premières années au Sénat. J’adore ce comité. Sans réserve. J’ai été et continue d’être inspiré par les producteurs et les transformateurs que j’ai rencontrés dans le cadre de ce travail. Siéger au Comité de l’agriculture et des forêts m’a ramené à l’époque où, dans ma jeunesse, j’ai élevé du bétail et travaillé pour mon cousin après l’école, les fins de semaine et l’été, contribuant à tous les aspects de sa production de blé, de soja et de maïs.

Les agriculteurs sont novateurs. Pour survivre, ils doivent être des touche-à-tout toujours à la recherche de solutions. De nos jours, le secteur agricole du Canada est encore plus novateur, rien que pour survivre. Toutefois, les agriculteurs doivent innover prudemment en raison de tous les risques externes auxquels ils sont constamment exposés.

Lorsque j’ai suivi la réunion du Comité de l’agriculture, il y a deux semaines, j’ai été étonné de voir autant de nouveaux visages. J’ai vite compris que la présence de ces nouveaux membres s’inscrivait dans un effort coordonné visant à opposer une résistance au projet de loi C-234. J’ai la plus grande estime pour mes collègues, mais, comme ils sont venus avec un seul objectif bien précis, ils n’étaient probablement pas au courant de l’importante étude sur la santé des sols que le comité a entreprise. Les membres du comité sont, comme on peut le lire sur le t-shirt, « fidèles au sol », et la question de la santé des sols est directement liée au projet de loi C-234.

Au cours du débat au comité qui a conduit au dépôt du rapport, il était évident que des deux amendements, celui qui a été proposé par le sénateur Dalphond et qui a été intégré au rapport vise à retirer le chauffage des granges ou des serres de la liste des activités qui seraient exemptées de la Loi sur la tarification de la pollution par les gaz à effet de serre. Autrement dit, si le projet de loi est adopté avec cet amendement, le chauffage des granges ou des serres sera soumis au régime de tarification du carbone.

Je parlerai plus tard de cet amendement particulier, mais je voudrais d’abord dire que les efforts visant à amender le projet de loi passent à côté d’un problème ou d’une possibilité bien plus vaste. Il y a trois ans, j’ai commencé à creuser la question de la santé des sols — pardonnez le jeu de mots. Bien avant que le Comité de l’agriculture ne commence à étudier cette question, j’ai été stupéfait par le rôle capital que les sols agricoles peuvent jouer au chapitre de la séquestration du carbone atmosphérique. Ce domaine de recherche est communément appelé « agriculture régénératrice ».

Le potentiel et l’avenir de l’agriculture régénératrice étaient tellement inspirants qu’elle est devenue le principal centre d’intérêt de mes collaborateurs pendant le printemps et l’été 2020. Toutes les données que nous avons consultées ont montré tout ce que l’agriculture régénératrice peut faire pour les agriculteurs. Nous avons discuté avec d’éminents chercheurs de partout en Amérique du Nord, avec des entreprises qui conçoivent des technologies permettant de mesurer le carbone dans le sol de manière précise et peu coûteuse et avec des agriculteurs qui ont eux-mêmes fait l’expérience de l’agriculture régénératrice. Je n’en revenais pas d’avoir trouvé un moyen prometteur de séquestrer les gaz à effet de serre présents dans l’atmosphère tout en rendant les sols plus productifs, en réduisant le coût des intrants que doivent payer les agriculteurs et en générant de nouvelles sources de revenus à la ferme grâce à la vente des droits d’émission de carbone.

Mon enthousiasme s’est vite estompé, cela dit. Après avoir discuté du dossier avec Agriculture et Agroalimentaire Canada, j’ai constaté que les systèmes et les mesures incitatives censés aider les agriculteurs à séquestrer du carbone et à récompenser ceux qui le font laissent sérieusement à désirer.

Par exemple, les agriculteurs qui ont été les premiers à adopter la séquestration du carbone n’ont droit à aucun des avantages financiers, même si ce sont eux qui ont défriché le terrain. Étonnamment, les représentants d’Agriculture et Agroalimentaire Canada qui ont comparu devant le Comité de l’agriculture et des forêts ont confirmé qu’il n’était pas question de récompenser ces pionniers.

Voilà pourquoi, chers collègues, nous devons adopter le projet de loi C-234 sans l’amender.

Pour simplifier, en quoi est-ce logique de punir les agriculteurs pour leur utilisation de combustibles à base de carbone servant à produire nos aliments si on ne leur permet pas de bénéficier des mesures incitatives axées sur le marché qui ont pour but de les récompenser pour le carbone qu’ils séquestrent? Si nous voulons atteindre les cibles de carboneutralité d’ici 2050, nous ne pouvons pas nous contenter de limiter notre production de gaz à effet de serre. Nous devons aussi commencer à en retirer de l’atmosphère. Les agriculteurs peuvent être extrêmement utiles à cet égard.

Nous avons découvert, par exemple, que l’agriculture pourrait être un puits de carbone net et que le secteur agricole pourrait séquestrer au moins 11 % de l’ensemble des émissions de gaz à effet de serre du Canada — c’est-à-dire plus que ce que ce secteur produit lui-même — et que cette proportion pourrait même atteindre 82 %.

Les sénateurs Black et Cotter sont allés à Glasgow, à l’été 2022, pour participer au Congrès mondial des sciences du sol. Ils y ont découvert que le Canada est à la traîne en matière de politiques publiques sur la séquestration du carbone dans le sol. Il y a déjà d’excellents exemples — en Australie, en Nouvelle-Zélande, en France et aux États-Unis — de politiques qui donnent des résultats sûrs aux agriculteurs et aux gouvernements.

Ces programmes d’incitatifs sont nécessaires, car on sait qu’en général, les agriculteurs doivent constamment composer avec des risques et des facteurs qui échappent entièrement à leur contrôle. Qu’il s’agisse des problèmes qui touchent le commerce mondial, comme l’interdiction du canola en Chine et notre interdiction des engrais russes, ou les phénomènes météorologiques de plus en plus graves qui causent des sécheresses et des conditions trop humides au printemps ou à l’automne, ou encore des programmes de stabilisation des prix agricoles qui retardent l’aide d’au moins 18 mois, les agriculteurs doivent faire face à toutes sortes de circonstances.

La pratique de l’agriculture comporte de nombreux risques. Dans ma jeunesse, il y avait des années où le revenu que je gagnais en une heure dépassait le revenu horaire que mon cousin touchait pour l’ensemble de ses activités agricoles. Malheureusement, cette réalité existe encore aujourd’hui. Selon une étude récente de la Fédération canadienne de l’agriculture, le montant total de la dette agricole au Canada a augmenté pour atteindre 138 milliards de dollars en 2022, ce qui représente une augmentation de 15 % en deux ans seulement. Les dépenses d’exploitation des agriculteurs ont aussi augmenté de 21,2 % pendant la dernière année seulement. Par conséquent, les producteurs ont maintenant plus de difficulté à acheter ou même à entretenir de l’équipement essentiel. De plus, étant donné qu’à l’heure actuelle, les agriculteurs n’ont même pas le droit de réparer leur propre équipement — ce qui était autrefois un moyen essentiel d’économiser de l’argent —, cela fait augmenter encore davantage les coûts.

Chers collègues, je pense que vous conviendrez que les temps sont très difficiles. Cependant, les agriculteurs canadiens continuent d’innover, pas parce qu’ils ont accès à une abondance d’incitatifs et d’occasions, mais bien malgré l’absence de ceux-ci. Le projet de loi C-234 sans amendement permettra de dégager des liquidités et des capitaux dont les agriculteurs pourront se servir pour investir dans des solutions de rechange novatrices.

Je trouve extrêmement préoccupant que certains fassent valoir que cet amendement encouragerait en quelque sorte les agriculteurs et d’autres entreprises à innover plus rapidement dans leur recherche de modes de chauffage de remplacement. En fait, l’amendement nuit aux efforts déployés par les agriculteurs, qui tentent déjà de faire le maximum en recevant très peu d’aide financière. Je crains que l’amendement, en plus d’aller à l’encontre de l’esprit du projet de loi initial, compromette les pratiques actuelles pour améliorer la santé des sols et lutter contre les changements climatiques.

L’amendement ne tient pas non plus compte des conditions nécessaires pour produire des solutions de rechange efficaces et peu coûteuses que les agriculteurs peuvent adopter à grande échelle. Chers collègues, comme vous le savez, j’ai déjà été entrepreneur. J’ai réussi à commercialiser et à vendre des produits à l’international. Selon mon expérience, je peux vous dire qu’il est beaucoup plus long de commercialiser de nouveaux produits novateurs au Canada qu’ailleurs. Tous les ordres de gouvernement doivent s’attaquer à la stagnation réglementaire et permettre la mise en place des conditions nécessaires pour catalyser les efforts du secteur privé visant à faire rayonner les solutions d’intérêt public.

Permettez-moi de donner des exemples concrets. En août, mon équipe et moi avons visité des entreprises agricoles de la vallée d’Annapolis, en Nouvelle-Écosse. Une de ces entreprises est dirigée par Luke teStroete, un producteur de poulet de troisième génération. Ses installations de dernier cri sont vraiment impressionnantes. Il a mis des mesures en place pour maximiser la santé des animaux, lutter contre la grippe aviaire et réduire la consommation d’énergie. Il y a de l’éclairage et de la ventilation spécialisés, des camions éconergétiques et un système de gestion de la ferme entièrement informatisé.

Cependant, le prochain investissement d’envergure que M. teStroete entend faire pour la production d’énergie solaire est retardé en raison des limites imposées par la Nouvelle-Écosse en matière de revente d’électricité au réseau. Cet investissement lui permettrait de réduire sa consommation de propane, la seule option à l’heure actuelle pour son exploitation. Il demande avec insistance que les tarifs de rachat garanti soient modifiés afin qu’il puisse faire cet investissement novateur bénéfique pour l’environnement qu’on l’empêche de faire.

Je pose de nouveau la question : comment pouvons-nous justifier que les agriculteurs soient pénalisés pour des émissions qu’ils cherchent déjà à réduire alors que nous ne créons pas les conditions pour leur permettre de faire des investissements écologiques novateurs à la ferme?

Plutôt que d’amender le projet de loi C-234, trouvons une façon d’établir un système réglementaire agile dans les différents ordres de gouvernement qui, au lieu d’empêcher la mise en œuvre de technologies abordables existantes permettant de réduire les émissions de carbone et les coûts des exploitations agricoles, agira comme moteur de cette mise en œuvre. Nous ne pouvons pas laisser les agriculteurs du pays comme Luke continuer de payer des frais plus élevés sans soutien.

Chers collègues, alors que nous nous demandons comment relever le défi important que posent les besoins croissants en matière de sécurité alimentaire, il sera important de ne pas oublier d’aider les agriculteurs à innover, en utilisant la carotte au lieu du bâton.

Selon l’Arrell Food Institute de l’Université de Guelph, si la population continue d’augmenter à son rythme actuel, notre espèce devra fournir plus de nourriture au cours des 35 prochaines années qu’au cours des 10 000 dernières années combinées. Il s’agit d’un défi effrayant, surtout quand nous considérons à quel point nous tenons nos agriculteurs pour acquis et à quel rythme on cultive pour la dernière fois les terres agricoles les plus productives. En Ontario, par exemple, on perd tous les jours 300 acres des terres agricoles les plus productives au profit de la construction effrénée de maisons, de centres commerciaux et de routes. Cette situation est extrêmement alarmante.

J’aimerais vous faire part d’une dernière réflexion avant de conclure. Vous vous souvenez peut-être du débat sur le projet de loi C-208 qui a eu lieu en juin 2021 au cours de la 43e législature. Il s’agissait d’une loi modifiant la Loi de l’impôt sur le revenu afin de permettre le transfert intergénérationnel équitable d’une petite entreprise ou d’une société agricole ou de pêche familiale.

Après un long débat, nous avons choisi de ne pas amender ce projet de loi qui, à l’instar du projet de loi C-234, avait obtenu l’appui de tous les partis à la Chambre des communes. Le ministère des Finances du Canada nous avait prévenus que le fait d’assurer l’équité des transferts intergénérationnels d’exploitations agricoles, d’entreprises de pêche ou de petites entreprises déclencherait une vague d’évasion fiscale et coûterait des milliards de dollars.

Au bout du compte, parce que nous avons tenu bon, le gouvernement a choisi de travailler avec les intervenants pour élaborer des mesures de protection simples qui ont été mises en place dans le budget de 2023. Je suis fier que le Sénat ait tenu bon, qu’il ait adopté le projet de loi sans amendement et, par conséquent, qu’il ait amené le gouvernement à travailler avec les intervenants pour trouver une solution équitable. Je ne peux qu’espérer que nous choisirons la même voie ici.

Chers collègues, permettez-moi de résumer pourquoi je vous demande de rejeter cet amendement à l’étape du rapport et de proposer l’adoption du projet de loi C-234 sans amendement. L’amendement réduira de manière insignifiante la consommation de combustibles fossiles des agriculteurs. En outre, il risque d’inciter ces derniers à passer du gaz naturel ou du propane au diésel parce que, pour eux, il n’est pas assujetti à la taxe sur le carbone. Adopter le projet de loi sans amendement permettra de libérer les ressources financières dont les agriculteurs ont besoin à un moment où ils subissent d’énormes pressions financières, ainsi que des capitaux pour investir dans des solutions de rechange novatrices afin de lutter concrètement contre la crise climatique. Nous ne pouvons pas continuer à punir les agriculteurs pour le carbone qu’ils émettent afin de produire nos aliments alors qu’il n’existe aucune mesure incitative pour les récompenser pour la séquestration du carbone et d’autres gaz à effet de serre. Cet aspect est particulièrement important à un moment où ils sont extrêmement endettés et que d’autres dépenses liées à l’ensemble de leurs activités ont augmenté.

Chers collègues, nous avons l’occasion de faire ce qu’il faut pour les producteurs d’aliments du Canada en les aidant à augmenter leurs revenus agricoles tout en séquestrant les gaz à effet de serre pour atteindre les objectifs climatiques. Notre sécurité alimentaire, notre capacité à lutter contre la crise climatique et la résilience du secteur agricole canadien dépendent de notre rejet de ce rapport et de l’adoption du projet de loi C-234 sans amendement. Merci, chers collègues.

L’honorable Mary Jane McCallum [ - ]

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour m’opposer au 12e rapport du Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts concernant le projet de loi C-234, Loi modifiant la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre.

Honorables sénateurs, l’agriculture occupe une place spéciale dans mon cœur. Lors d’un débat précédent, j’ai mentionné que j’avais rencontré le Dr Robert Glenn en 1972, lorsque je travaillais avec lui en tant qu’assistante dentaire. Il m’a prise sous son aile et est devenu pour moi un père substitut.

En plus d’être dentiste, il était aussi agriculteur et me parlait d’agriculture. Je lui ai demandé pourquoi il continuait à cultiver la terre alors que tant de choses pourraient être contre lui, comme la météo, les coûts et le temps. J’ai vite compris, malgré le temps et l’éthique de travail nécessaires et la possibilité qu’il n’ait peut-être pas fait d’argent d’ici la fin de la saison, l’amour qu’il avait pour l’agriculture. Il a dit : « Ma fille, j’ai ça dans le sang. »

C’est ce que je constate quand je vois des agriculteurs.

Si nous divisons la terre en quatre quarts, trois quarts représentent l’eau — les océans, les lacs et les rivières. Le quart restant représente la terre. La moitié de cette terre, le huitième de la terre, est trop hostile pour nous soutenir. Cela nous laisse le huitième du monde sur lequel nous pouvons vivre. Je vous exhorte à ne pas l’oublier dans le cadre de ce débat.

En octobre 2023, le ministère de l’Agriculture, de l’Alimentation et des Affaires rurales de l’Ontario a déclaré :

Traditionnellement, les bâtiments à faible consommation énergétique étaient ceux pourvus d’une bonne isolation. Les principaux coûts en production avicole étaient l’alimentation et le coût des poussins, mais n’incluaient pas les coûts énergétiques. Dorénavant, les producteurs font face à des situations où les coûts énergétiques pourraient doubler dans un avenir rapproché.

« Nous avons sérieusement commencé à nous préoccuper des coûts d’énergie il y a environ trois ans, notamment durant les mois d’été quand il y a eu des pannes de courant successives », explique Bill Revington.

M. Revington est directeur général des activités agricoles d’un important producteur commercial de volailles.

Selon le rapport du vérificateur indépendant publié en 2022 intitulé La tarification du carbone — Environnement et Changement climatique Canada, sous le sous-titre « Soutien offert aux groupes portant le fardeau de la tarification », on peut lire que « certains groupes continuaient d’être touchés de façon disproportionnée par la tarification du carbone ». Ces groupes comprennent « les ménages à faible revenu, les peuples autochtones, les collectivités nordiques et éloignées, les industries à forte intensité d’émissions et exposées au commerce, et les petites et moyennes entreprises ».

Le gouvernement fédéral a mis en œuvre des mesures visant à atténuer le fardeau du filet de sécurité fédéral pour les groupes qui seraient disproportionnellement pénalisés par la tarification du carbone. Toutefois, le Bureau de la vérificatrice générale a constaté que les petites et moyennes entreprises étaient toujours disproportionnellement pénalisées.

Les politiques de tarification du carbone doivent réserver une partie des recettes qu’elles génèrent pour éviter de constituer un fardeau indu pour certains groupes, et il s’agissait justement de l’un des principes qui a guidé l’instauration d’une approche pancanadienne pour la tarification de la pollution par le carbone. Le ministère de l’Environnement et du Changement climatique a tâché de recenser les groupes susceptibles d’être disproportionnellement touchés par la tarification du carbone et il a inclus les petites et moyennes entreprises dans le lot. Sans mesures d’atténuation, ce type de politique peut faire augmenter le coût de la vie, faire disparaître des emplois et augmenter les frais d’exploitation de certains secteurs d’activité tributaires du commerce. Selon le Bureau du vérificateur général, les effets relatifs des régimes de tarification du carbone sur les groupes les plus directement touchés et sur les peuples autochtones ne seront évalués que lors du prochain examen intermédiaire du modèle, en 2026. Les agriculteurs vont rester dans les limbes encore longtemps.

Afin d’aider certains organismes, 218 millions de dollars provenant des redevances sur les combustibles ont été confiés à Environnement et Changement climatique Canada pour qu’il en assure la redistribution sur deux ans par l’entremise du Paiement pour l’incitatif à agir pour le climat. Ce programme a été créé afin d’aider les organismes à modifier leurs pratiques et à rénover leurs locaux afin de dépenser moins d’énergie, de réduire les coûts et de produire moins de carbone, et le financement est divisé selon ces trois objectifs. Y sont notamment admissibles les petites et les moyennes entreprises de même que les municipalités, les universités, les écoles et les hôpitaux.

Au cours de l’exercice financier 2019-2020, aucuns des fonds alloués au Fonds d’incitation à l’action pour le climat n’ont été dépensés. Au cours de l’exercice financier 2020-2021, 44 % des fonds alloués, c’est-à-dire 95 millions de dollars, ont été dépensés. Le ministère a dit au Bureau du vérificateur général que les modifications visant à remédier à ces problèmes n’avaient pas été mises en œuvre parce que le Fonds d’incitation à l’action pour le climat tirait à sa fin. Le ministère n’avait pas tenu compte du fardeau de la tarification du carbone qui pesait sur les PME.

Le Bureau du vérificateur général a recommandé ceci : « Pour tenir compte du fardeau disproportionné de la tarification du carbone sur certains groupes et les peuples autochtones, Environnement et Changement climatique Canada devrait travailler avec les provinces et territoires pour : évaluer le fardeau des systèmes de tarification du carbone imposé à certains groupes [...] [et] publier des rapports sur les mesures mises en œuvre dans les administrations pour atténuer le fardeau de la tarification du carbone imposé à ces groupes. »

Honorables sénateurs, le coût de la production d’aliments et la superficie du territoire consacrée à cette production sont de plus en plus incompatibles avec le resserrement de la concentration et de la distribution du pouvoir économique. L’étalement urbain et les modifications de zonage en vue de permettre l’aménagement de lotissements domiciliaires risquent de réduire la superficie de terres agricoles pouvant être exploitées pour nourrir les Canadiens. Pourquoi les gens laisseraient-ils les terres qui constituent notre principale source d’aliments être réaffectées à une vocation résidentielle, entraînant la perte d’entreprises agricoles?

Comme l’a expliqué Jeff Rubin dans un article paru à l’automne 2013 dans le Globe and Mail  :

Au Canada, le prix des terres agricoles, qui a crû en moyenne de 12 % en cinq ans, a dépassé celui des terrains résidentiels et des terrains commerciaux. À certains endroits où la demande est particulièrement forte, comme dans le Sud-Ouest de l’Ontario, le prix par acre a parfois augmenté de 50 % par année. Même les régimes de retraite et les fonds spéculatifs se sont mis à la recherche des meilleures terres agricoles, ce qui a évidemment contribué à faire augmenter les prix encore plus.

La pression pour un changement de zonage est une réalité pour de nombreuses fermes.

La Politique agricole commune de l’Union européenne, qui a vu le jour en 1962, est un partenariat entre le milieu agricole et la société, entre l’Europe et ses agriculteurs. Elle a pour principaux objectifs d’améliorer la productivité agricole afin que les consommateurs puissent compter sur un approvisionnement alimentaire stable et que les agriculteurs européens puissent gagner convenablement leur vie. Cinquante ans après la création de la Politique agricole commune, l’Union européenne a jugé bon de s’attaquer aux enjeux suivants : la sécurité alimentaire mondiale — la production alimentaire devra doubler pour nourrir 9 milliards de personnes en 2050; les changements climatiques et la gestion durable des ressources naturelles; le soutien aux régions rurales de partout en Europe et la survie de l’économie rurale; la formation de gestionnaires des terres, d’agriculteurs et de conseillers agricoles; la prestation de conseils et d’aide pour l’élaboration de plans de conservation; et la rémunération des agriculteurs pour les biens et les services écologiques qu’ils fournissent, comme l’eau potable ou les habitats pour la faune.

Honorables sénateurs, ne croyez-vous pas que nous devons la même chose à tous les producteurs alimentaires du Canada? La discussion va bien au-delà de la tarification du carbone; c’est la sécurité et la souveraineté alimentaires qui sont en jeu.

Comme je le disais, je m’oppose au rapport et je vous demande d’adopter le projet de loi C-234 le plus rapidement possible. Je vous remercie.

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) [ - ]

Honorables sénateurs, je tiens d’abord à remercier les sénateurs Duncan, McCallum et Deacon de leurs discours. Je suis absolument d’accord avec eux et je voudrais ajouter mon point de vue.

Je pense que le sénateur Deacon a dit qu’il a siégé au comité de l’agriculture pendant cinq ans. Pour ma part, je crois que j’y ai siégé pendant neuf ans. Il me semble que j’y ai siégé pendant tout le mandat du gouvernement conservateur, et même avant. J’ai eu le privilège de parrainer, je crois, tous les projets de loi sur l’agriculture que notre gouvernement a présentés pendant ses neuf années au pouvoir. C’était une expérience extraordinaire.

Je veux toutefois m’opposer à ce qui est dit dans le rapport sur le projet de loi C-234.

C’est bien le sénateur Wells qui est le porte-parole de notre parti au sujet de ce projet de loi, mais j’ai suivi ce dossier de près. J’ai assisté aux réunions que le comité a consacrées à l’étude article par article et j’aimerais faire quelques observations.

L’idée derrière ce projet de loi est très simple, sénateurs. Lorsque le gouvernement a conçu la taxe sur le carbone, il a prévu quelques exemptions, dont une sur l’utilisation de l’essence et du diésel dans le secteur agricole. Le projet de loi C-234 étendrait les exemptions qui s’appliquent actuellement à l’essence et au diésel — qui représentent 88 % des émissions de gaz à effet de serre produites par le secteur agricole — au gaz naturel, qui est à l’origine de 10 % de ces émissions, et au propane, qui n’émet que 2 % de ces émissions.

Ce projet de loi vise également à élargir cette exemption pour qu’elle s’applique à ces combustibles lorsqu’ils sont utilisés pour le séchage du grain ou pour le chauffage et la climatisation des bâtiments agricoles.

Après avoir initialement omis d’accorder une exonération pour le gaz naturel et le propane, le gouvernement a annoncé un remboursement pour ces combustibles dans sa Mise à jour économique et budgétaire de 2021. Malheureusement, ce remboursement ne s’est pas montré aussi efficace ni aussi ciblé qu’il aurait dû l’être — peut-être à dessein —, et doit donc être remplacé par une exemption, ce qui est évidemment l’objectif du projet de loi C-234.

Si le gouvernement est prêt à accorder un remboursement pour le gaz naturel et le propane, c’est parce qu’il considère que la consommation de ces combustibles ne nuit pas à l’atteinte de ses objectifs en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Remplacer ce remboursement par une exemption ne change rien à cela.

Cependant, bien que son effet sur l’environnement soit négligeable, le projet de loi C-234 est essentiel pour les agriculteurs.

Chers collègues, je ne suis pas le seul à le dire. En effet, le Parti vert, le Bloc québécois et le NPD ont appuyé cette mesure législative à l’unanimité.

Le président libéral du Comité permanent de l’agriculture et de l’agroalimentaire de la Chambre des communes a non seulement voté en faveur du projet de loi C-234, mais il en est également un ardent défenseur.

D’innombrables représentants du secteur agricole sont venus témoigner devant notre comité et nous ont remis des mémoires qui étaient tous favorables à l’adoption de ce projet de loi tel quel.

Les agriculteurs de tout le pays veulent que ce projet de loi soit adopté de toute urgence, parce que l’hiver approche. Il y a même eu de la neige, hier, ici à Ottawa.

Qu’y a-t-il dans le rapport à l’étude? Le Comité de l’agriculture a laissé intacte la version du projet de loi C-234 que la Chambre des communes nous avait renvoyé, à l’exception d’une chose : l’exemption pour l’utilisation du propane ou du gaz naturel pour le chauffage ou le refroidissement d’un bâtiment a été retirée. Chers collègues, c’est à la fois regrettable et alarmant pour un certain nombre de raisons que je voudrais expliquer brièvement.

Premièrement, comme l’indique la décision rendue par le président du Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts au sujet du recours au Règlement de la sénatrice Burey, l’amendement adopté va à l’encontre de l’esprit du projet de loi — c’est ce qu’indique la décision du sénateur Black.

Même si cette décision du président du comité a été invalidée, la conclusion à laquelle il était arrivé n’en demeure pas moins fondée. D’ailleurs, le président du comité de la Chambre des communes — un libéral, comme je l’ai mentionné — avait rendu une décision semblable. En tout cas, l’amendement a été adopté. Si nous ne changeons pas de cap, le projet de loi sera renvoyé à la Chambre des communes tel qu’amendé et nous ne savons pas quand il sera de nouveau à l’étude. On s’attend à ce qu’il reste sur les tablettes jusqu’à ce qu’il meure au Feuilleton.

Le sénateur Cotter l’a souligné au comité lorsqu’il a dit ceci :

[...] chaque amendement que nous apportons au projet de loi compromet la probabilité qu’une exemption, de quelque forme que ce soit, entre un jour en vigueur. Cela me semble triste et paradoxal étant donné que [...] nous avons exprimé notre appui envers un aspect de l’exemption au comité, particulièrement en ce qui concerne le séchage du grain.

Le sénateur Cotter a bien raison. Avec ce projet de loi, c’est tout ou rien. Amender le projet de loi revient, chers collègues, à le rejeter — il ne faut pas en douter. Si vous voulez rejeter le projet de loi, vous devez bien sûr voter selon votre conscience. Il ne faut toutefois pas penser qu’un projet de loi amendé sera adopté à la Chambre des communes.

Le Sénat doit rejeter le rapport du comité, rétablir la version initiale du projet de loi C-234, puis l’adopter.

Chers collègues, je suis certain que, tout comme moi, vous avez reçu une avalanche de courriels en provenance de producteurs inquiets d’un bout à l’autre du pays. Ils souhaitent ardemment que le projet de loi soit adopté sans amendement par le Sénat.

Au cas où vous n’auriez pas eu l’occasion de lire ces courriels, je vais en citer un, plus précisément une lettre envoyée par Keith Currie, président de la Fédération canadienne de l’agriculture. Le 27 octobre dernier, M. Currie a notamment écrit ce qui suit :

Honorables sénateurs, au nom des membres de la Fédération canadienne de l’agriculture nous exhortons les sénateurs à voter contre le rapport du Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts qui propose des amendements au projet de loi C-234 [...]

Outre le fait que ces amendements empêchent des milliers d’agriculteurs canadiens de recevoir une aide financière essentielle, l’approbation de ces amendements risque de retarder considérablement l’adoption du projet de loi C-234. Les agriculteurs attendent ce projet de loi depuis longtemps et d’autres retards risquent de torpiller le projet de loi.

C’est pourquoi nous exhortons le Sénat à rejeter l’amendement et à rétablir la forme initiale du projet de loi qui a été adoptée par la Chambre des communes.

Il y a, essentiellement, six raisons de voter contre le rapport. Premièrement, comme je l’ai dit, je suis fermement convaincu que l’amendement est irrecevable. Cela a été souligné à plusieurs reprises par le parrain du projet de loi et les organisations agricoles du pays, ainsi que par le président du Comité sénatorial de l’agriculture et le président du Comité permanent de l’agriculture et de l’agroalimentaire de la Chambre des communes.

Par exemple, dans une lettre que vous avez reçue de la Saskatchewan Cattlemen’s Association, on peut lire ce qui suit :

[...] la Saskatchewan Cattlemen’s Association est très préoccupée par l’amendement proposé par le Comité sénatorial de l’agriculture qui vise à supprimer les dispositions relatives au chauffage et au refroidissement des étables, des serres et d’autres bâtiments utilisés pour la production alimentaire. Cet amendement modifie radicalement la portée et le principe du projet de loi C-234.

Il est regrettable que la décision du président ait été infirmée, et cela devrait être corrigé. Voter contre le rapport permettrait aux sénateurs de le faire.

Les sénateurs Dalphond et Woo ont essayé, sans vouloir leur manquer de respect, de torpiller le projet de loi C-234, selon moi. Ils ont insisté sur le fait que toute exemption supplémentaire à la taxe carbone mettrait en péril la lutte du gouvernement contre les changements climatiques.

Je vois deux problèmes avec ce raisonnement. Premièrement, comme je l’ai dit plus tôt, les exemptions à l’application de la taxe sur le carbone sont un élément du programme. Même en y apportant des amendements, le projet de loi C-234 accordera une exemption pour les séchoirs à grains, mais pas pour les bâtiments. Encore une fois, et je le dis respectueusement, il y a lieu de se demander comment des sénateurs dont aucun n’est un agriculteur, et je m’inclus là-dedans, peuvent décider qu’il est moins dommageable pour le climat de sécher les grains au propane que de chauffer des poulaillers avec ce même propane.

Deuxièmement, le gouvernement planifiait déjà d’annoncer une exemption de la taxe sur le carbone pour le mazout domestique tandis que les opposants au projet de loi C-234 nous disaient qu’il est impossible d’accorder des exemptions. Le manque de cohérence, chers collègues, est renversant. Devant le comité, l’argument invoqué en faveur de l’amendement proposé au projet de loi C-234 voulait que d’exempter les agriculteurs de la taxe sur le carbone quand ils chauffent leurs granges au propane et au gaz naturel irait à l’encontre de la lutte contre les changements climatiques. Au cours de la même semaine, le gouvernement a annoncé que le mazout domestique sera désormais exempté de la taxe sur le carbone. Je ne comprends pas. Pourquoi est-il acceptable de soustraire une catégorie de combustible pour le chauffage d’un certain type de bâtiment, mais pas un autre pour le chauffage d’un autre type de bâtiment? Comment se fait-il que la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre soit nécessaire pour certains Canadiens, mais facultative pour les autres?

Comme l’a dit le premier ministre pendant l’annonce de la semaine dernière, il s’agit d’un moment important, où nous rajustons des politiques pour qu’elles aient le résultat souhaité.

Le projet de loi C-234 a justement été conçu pour produire le résultat souhaité, chers collègues.

L’objectif, c’est de continuer la lutte contre les changements climatiques sans nuire au secteur agricole ni à la sécurité alimentaire. Il est profondément incohérent et illogique de reconnaître que le mazout domestique devrait être exempté de la taxe sur le carbone, mais de refuser une exemption pour le chauffage des bâtiments agricoles. Le Sénat devrait veiller à ce que la taxe sur le carbone, comme toute autre politique, soit appliquée de manière équitable dans les divers secteurs et régions. Je crois que cette préoccupation était vraiment au cœur de ce qu’a dit la sénatrice Duncan, pendant son discours, à propos du traitement équitable des régions et des secteurs.

Le fait de voter contre le rapport et de remettre dans le projet de loi l’exemption pour les bâtiments agricoles ne va pas à l’encontre de l’esprit du système de taxe sur le carbone, et cela ne vient pas ajouter un obstacle dans la lutte contre les changements climatiques. Il s’agit simplement d’être logiques et de se montrer équitables envers les agriculteurs.

Je vous donne maintenant une troisième raison de voter contre le rapport : la prémisse de l’amendement est fausse. Les auteurs de l’amendement ont soutenu que le maintien de l’exemption pourrait décourager les agriculteurs d’apporter des changements en vue de rendre le chauffage de leurs bâtiments plus efficace.

Chers collègues, c’est tout simplement faux. Pensez-y. Les agriculteurs ont depuis longtemps des motifs pour améliorer l’efficacité du chauffage. Le chauffage de leurs étables est l’un des coûts les plus importants qu’ils ont à assumer. L’efficacité du chauffage leur permet donc d’économiser de l’argent sur les coûts de chauffage et de refroidissement. L’application d’une taxe sur le carbone ne renforce pas cette motivation, qui existe déjà. Elle ne fait que pénaliser les agriculteurs qui font déjà ce que la taxe sur le carbone est censée les inciter à faire.

L’Association des fruiticulteurs et des maraîchers de l’Ontario a formulé les choses ainsi :

Au lieu d’avoir l’effet escompté, à savoir un changement de comportement, la réduction des émissions et la décarbonisation, les millions de dollars collectés par le gouvernement fédéral ne sont pas restitués et empêchent ces mêmes entreprises de prendre de véritables mesures pour le climat. La tarification accrue du carbone ne peut pas motiver les nombreux propriétaires de serres du Canada qui, poussés par les efforts de réduction de leurs coûts d’exploitation, ont déjà investi dans des rénovations et des mises à niveau, y compris des rideaux thermiques, des améliorations de l’isolation des murs et l’installation d’une troisième couche de couverture de toit.

La taxe sur le carbone ne fait qu’augmenter le coût de production des denrées alimentaires, exerçant des pressions inflationnistes sur les consommateurs par l’intermédiaire du prix des denrées alimentaires, mais aussi sur la viabilité financière et la compétitivité des agriculteurs canadiens.

Refuser d’accorder aux agriculteurs des exemptions pour leurs bâtiments ne les aidera pas à trouver des solutions de remplacement. Celles-ci n’existent pas. Et même si des solutions de remplacement se présentaient dans un avenir proche, de nombreux agriculteurs auront été contraints de mettre la clé sous la porte avant de pouvoir faire quoi que ce soit.

La quatrième raison de rejeter le rapport a trait aux effets de l’amendement sur l’inflation qui touche les aliments. Comme le dit la lettre de l’Association des fruticulteurs et des maraîchers de l’Ontario, l’amendement du projet de loi C-234 ne fera qu’augmenter les coûts d’exploitation des agriculteurs, ce qui fera grimper également le coût des aliments pour les Canadiens. Nous entendons parler tous les jours des nombreuses personnes qui doivent faire la file dans les banques alimentaires à cause du coût des aliments. Compte tenu des circonstances actuelles, adopter une mesure qui ferait grimper le coût des aliments sans raison valable est la pire chose que le Sénat puisse faire. Honorables collègues, nous pouvons combattre l’inflation de façon concrète en votant contre l’adoption de ce rapport.

La cinquième raison de voter contre, c’est le grave danger que l’amendement pose pour certains agriculteurs. Les auteurs de l’amendement ont laissé entendre que l’exemption pour les bâtiments agricoles n’est pas nécessaire parce que les dépenses liées aux combustibles de chauffage sont très modestes comparativement à l’ensemble des dépenses d’exploitation des agriculteurs. Encore une fois, ils ont tort.

Bien que les dépenses liées aux combustibles de chauffage représentent moins de 1 % des dépenses d’exploitation dans l’ensemble des secteurs agricoles, le fardeau de ces dépenses n’est pas réparti uniformément. Par exemple, les serres comptent pour 34 % de l’ensemble des dépenses de chauffage, tandis que l’élevage compte pour plus de 41 % de ces dépenses. Par ailleurs, certaines exploitations agricoles sont extrêmement sensibles au moindre changement de température, de telle sorte que, si on ne parvient pas à maintenir le niveau de chaleur requis, cela peut avoir des conséquences désastreuses.

Chers collègues, comme je l’ai dit, je ne suis pas agriculteur. Je ne l’ai jamais été, mais j’ai eu le plaisir de travailler sur des fermes et avec des agriculteurs. Pendant mon adolescence, j’ai travaillé dans des poulaillers. J’attrapais les poulets. Je les voyais lorsqu’ils arrivaient, et qu’ils étaient encore de petits poussins. J’aidais à les décharger. Puis, à 15 ans, je me réveillais à trois ou quatre heures du matin pour attraper des poulets qui allaient être vendus sur le marché. J’ai travaillé comme ouvrier pendant mon adolescence et, plus tard, comme entrepreneur en chauffage. Nous avons travaillé dans des granges aux quatre coins du Manitoba. En tant qu’entrepreneur, j’ai installé de nombreux systèmes de chauffage dans des poulaillers et des porcheries, où les températures doivent être surveillées avec diligence, car même les plus petites variations peuvent avoir des effets dévastateurs sur la santé des animaux. Le refroidissement des températures peut accroître les risques d’éclosion, tandis que leur réchauffement peut causer du stress aux bêtes et augmenter les niveaux d’humidité. Les deux sont susceptibles d’exacerber les risques de maladies et de troubles respiratoires, ce qui peut littéralement coûter des millions de dollars à un producteur.

L’idée que ces risques puissent être atténués par l’installation de thermopompes ou l’ajout d’isolant est tout simplement ridicule, chers collègues. C’est impossible. Mark Reusser, qui élève des dindes en Ontario, l’explique ainsi :

Nous élevons des dindes de leur naissance jusqu’à leur mise en marché. Dès le départ, un bébé dinde a besoin d’une température ambiante de 32 degrés Celsius et ne peut pas vivre sous ce seuil.

Quoi qu’on en dise, dans le climat qui est le nôtre, c’est impossible d’élever de la volaille sans chauffage d’appoint. Même pendant les jours les plus chauds de l’année, il faut démarrer le chauffage la nuit.

Tout écart de température supérieur à 2 degrés peut causer de graves problèmes de santé, voire la mort de l’animal.

Dans notre climat, la volaille ne peut pas être élevée sans chauffage d’appoint. Notre ferme familiale a investi [...]

 — écoutez bien ceci, chers collègues —

[...] dans toutes les technologies disponibles, de l’isolant au chauffage haute efficacité en passant par la ventilation.

Sur notre ferme, qui est un élevage de dindes de taille moyenne, nous sommes allés aussi loin que nous le pouvions du côté des technologies, mais pour le moment, il n’existe aucun combustible de rechange pour remplacer le propane et le gaz naturel.

Les 10 000 $ que nous coûte annuellement la taxe sur le carbone aujourd’hui passeront à plus de 32 000 $ par année d’ici 2030, si bien que nous n’aurons pas les moyens de nous procurer les nouvelles technologies à mesure qu’elles deviendront disponibles.

Permettez-moi de citer également un passage de la lettre que vous devriez tous avoir reçue de la part du Conseil du porc du Manitoba. Le conseil dit :

L’amendement adopté par le comité ferait en sorte que les dispositions du projet de loi ne s’appliquent pas aux éleveurs de porcs. Nous avons de la difficulté à comprendre ce qui le justifie.

Les éleveurs de porcs du Manitoba s’enorgueillissent énormément des soins qu’ils procurent à leurs animaux. Cela comprend l’offre d’un environnement sûr et confortable. Évidemment, un « environnement sûr et confortable » inclut des porcheries chauffées durant l’hiver, puisque nous sommes situés dans les Prairies. Or, le chauffage représente l’un des coûts les plus importants pour les producteurs, et il n’existe aucune solution de rechange. Les producteurs ne peuvent pas utiliser moins d’énergie. Ils n’ont accès à aucune source d’énergie « verte ». Les porcheries doivent être chauffées au gaz naturel ou à l’électricité, et la taxe sur le carbone augmente considérablement ce coût inévitable. Selon les estimations, on parle d’une augmentation pouvant aller jusqu’à 25 %.

Les élevages de porcs sont exactement le genre d’exploitations que vise le projet de loi C-234. Ces exploitations agricoles sont essentielles et n’ont aucune solution énergétique de rechange.

La dernière raison de voter contre ce rapport, c’est que son adoption, comme je l’ai dit plus tôt et comme d’autres l’ont dit, torpillera le projet de loi. Cependant, comme vous le savez, si nous adoptons le projet de loi sans amendement, l’étape suivante sera celle de la sanction royale. Les agriculteurs seront protégés pour la saison hivernale qui commence en ce moment même. Il fait déjà beaucoup plus froid au Manitoba qu’ici, à Ottawa.

Chers collègues, aujourd’hui, je joins ma voix à celle des agriculteurs et des organisations agricoles de partout au pays qui nous inondent de lettres nous exhortant et nous implorant de rejeter le rapport du comité et d’adopter rapidement le projet de loi initial tel qu’il a été approuvé à la Chambre des communes. Chers collègues, notre secteur agricole compte sur nous, et j’espère que nous sommes tous à l’écoute. Merci.

Son Honneur la Présidente intérimaire [ - ]

Les sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Son Honneur la Présidente intérimaire [ - ]

L’honorable sénateur Black, avec l’appui de l’honorable sénatrice Osler, propose que le rapport soit adopté. Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Son Honneur la Présidente intérimaire [ - ]

Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.

Son Honneur la Présidente intérimaire [ - ]

Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.

Son Honneur la Présidente intérimaire [ - ]

À mon avis, les non l’emportent.

Son Honneur la Présidente intérimaire [ - ]

Je vois deux sénateurs se lever. Y a-t-il entente au sujet de la sonnerie?

Honorables sénateurs, je propose que le vote soit reporté à la prochaine séance du Sénat.

Son Honneur la Présidente intérimaire [ - ]

Conformément à l’article 9-10(1) du Règlement du Sénat, le vote est reporté à 17 h 30, le prochain jour où le Sénat siège, et la sonnerie retentira à 17 h 15.

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