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Projet de loi portant sur un conseil national de réconciliation

Troisième lecture--Débat

7 novembre 2023


Merci, honorables sénateurs et sénatrices.

[Note de la rédaction : La sénatrice Audette s’exprime en innu‑aimun.]

Je remercie également le peuple anishinabe. Merci de m’accueillir chez vous tous les jours, et ce, pour encore longtemps, je l’espère, le temps de vivre mon expérience en tant que sénatrice.

Merci également à mes collègues sénateurs et sénatrices.

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour échanger avec vous et discuter du projet de loi C-29, Loi prévoyant la constitution d’un conseil national de réconciliation.

Avant d’entrer dans le vif du sujet, il est important de retracer — j’aime beaucoup l’histoire — ce qui a été fait ici, dans cette Chambre, ce que vous avez fait bien avant que certains d’entre nous arrivent au Sénat.

Comme vous l’avez peut-être entendu quand j’ai prononcé mon discours inaugural, j’aime beaucoup parler des perles, du portage, du chemin de la guérison et ainsi de suite.

Chaque perle que nous déposons a quelque chose de précieux qui permet d’atteindre la voie de la guérison, et donc le chemin vers la réconciliation et la guérison, mais aussi le chemin vers la construction d’une nouvelle relation et le maintien de celle qui existe déjà, une relation qui est, bien sûr, fondée sur le respect, le partenariat et la reconnaissance des droits.

En 2007, nous étions tous très vivants et très vivantes. Pour ceux et celles qui s’en souviennent, nos leaders, les membres de nos familles et les personnes qui ont été affectées par les pensionnats ont travaillé très fort pour arriver à un règlement relatif aux pensionnats indiens visant à assurer une réparation. Ce règlement contenait plusieurs dispositions, dont celle ayant trait à la mise sur pied d’une Commission de vérité et réconciliation. On a évidemment parlé de présenter des excuses. Ce sont les leaders, les gens de cette époque que je tiens à remercier pour leur courage et leur détermination, qui nous permettent aujourd’hui de poursuivre ce qu’ils ont commencé, pour prendre un nouveau départ et aller de l’avant, et ce, en partenariat.

En juin 2008, le premier ministre Stephen Harper a présenté des excuses aux peuples autochtones. Pour plusieurs d’entre nous, et pour moi aussi, ces excuses étaient importantes. Elles étaient plus que symboliques. Elles venaient mettre des mots à nos maux et à plusieurs de nos souffrances.

Dans son message, que je vous invite à relire, le premier ministre Harper s’est excusé auprès des Premières Nations, des Métis et des Inuits pour ceux et celles qui ont vécu les effets des pensionnats ou ont subi des sévices dans les pensionnats.

Voici une partie de son message :

Le gouvernement reconnaît que l’absence d’excuses a nui à la guérison et à la réconciliation. Alors, au nom du gouvernement du Canada et de tous les Canadiens et Canadiennes, je me lève devant vous, dans cette chambre si vitale à notre existence en tant que pays, pour présenter nos excuses aux peuples autochtones pour le rôle joué par le Canada dans les pensionnats pour indiens.

En 2015, quelqu’un que nous avons connu et côtoyé, notre ancien collègue l’honorable Murray Sinclair, accompagné des anciens commissaires Wilton Littlechild et Marie Wilson, de la Commission de vérité et réconciliation, ont déposé et rendu public leur rapport final. Beaucoup d’entre nous étaient sur place. J’y étais. On s’en souvient.

Marie Wilson, ancienne commissaire de la Commission de vérité et réconciliation, lors d’une étude menée en 2018 par le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, a expliqué ceci :

Nous avions mené une vaste consultation auprès des Autochtones, la plus vaste de toute l’histoire du Canada, laquelle comprend notamment 130 années où le Canada a forcé les enfants autochtones à étudier dans des pensionnats. Nous avons publié les résultats de nos travaux en 10 volumes. Ils étaient fondés sur près de 300 jours d’audiences publiques dans toutes les régions du pays, d’un océan à l’autre. Ils se fondaient aussi sur les dizaines de rapports de recherche que nous avions commandés et sur des centaines de sources documentées, une liste exhaustive.

Puis, elle a ajouté ce qui suit :

Surtout, nous avons fondé nos conclusions sur près de 7 000 témoignages d’anciens élèves qui ont passé leur enfance dans l’un des plus de 150 pensionnats gérés par l’Église et financés par le gouvernement. Ces personnes ont été isolées de leurs terres traditionnelles et de leurs fondements culturels, séparées de leurs proches et privées du dévouement, de la protection et de l’amour de leurs parents.

Par la suite, le premier ministre Justin Trudeau, après avoir reçu le rapport final de la Commission de vérité et réconciliation, a déclaré ceci :

Aujourd’hui, au nom du gouvernement du Canada, j’ai l’honneur d’accepter le rapport final de la Commission. J’ai le très grand espoir que ce rapport et ses conclusions aideront à apaiser la douleur causée par le système des pensionnats indiens et à rétablir la confiance perdue depuis si longtemps.

Le 3 juin 2021, le Sénat a adopté le projet de loi C-5, afin de créer la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation. Lors du processus législatif menant à la sanction royale du projet de loi, qui répond à l’appel à l’action no 80 de la Commission de vérité et réconciliation, notre collègue le sénateur Francis s’est exprimé ainsi :

Honorables sénateurs, la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation ne constitue qu’une étape. Cependant, c’est la somme de toutes nos actions individuelles et collectives, de tous les appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation, qui, une fois mis en œuvre, mèneront à une nouvelle normalité. En suivant cette voie, notre pays continuera de progresser dans la bonne direction.

Toujours dans cette Chambre, chers collègues, on a adopté la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, pour donner suite aux appels à l’action nos 43 et 44 de la Commission de vérité et réconciliation.

Bien sûr, vous avez également emboîté le pas avec la Loi modifiant la Loi sur la citoyenneté, qui répondait à l’appel à l’action no 94 de la Commission de vérité et réconciliation.

Des choses se sont passées, et il est important pour moi de les exprimer.

Près de huit ans se sont écoulés depuis que la Commission de vérité et réconciliation du Canada a publié son rapport final et les 94 appels à l’action. Ces appels à l’action représentent des pistes de solution et un plan pour tous les pouvoirs publics, partout au pays. Je parle des gouvernements aux niveaux municipal, provincial et territorial. Je parle du secteur de l’éducation et de la santé et du secteur privé. Ces appels à l’action visent tout le Canada. Il nous incombe à tous de faire notre part.

À mon avis, il est également très important de nous rappeler que nous devons veiller à ce que les peuples autochtones soient respectés, valorisés et, évidemment, pris en compte aujourd’hui, demain et dans l’avenir.

C’est ce que le projet de loi C-29 vous propose, car il vise à établir un conseil national de réconciliation. Voici une perle de plus, une action de plus à se donner pour nous assurer de réaliser au Canada des progrès importants sur ce chemin commun qu’est la réconciliation.

Le projet de loi C-29 répondra aux appels à l’action nos 53 à 56 du rapport de la Commission de vérité et réconciliation du Canada. Il créera un conseil national responsable de surveiller les progrès en matière de réconciliation au Canada, de publier des rapports et de faire des recommandations à ce sujet.

De plus, le projet de loi C-29 permettra, conformément à un plan d’action pluriannuel, de faire de la recherche. La recherche est importante, les données sont importantes. Le fait d’arrimer les savoirs et les sciences des deux grands, Autochtones et Occidentaux, est primordial pour faire progresser la réconciliation, et ce, notamment dans l’espoir de proposer de nouvelles façons de faire et de nouveaux programmes pour sensibiliser les gens qui sont à l’extérieur des appareils gouvernementaux.

Marie Wilson, ex-commissaire de la Commission de vérité et réconciliation, est venue témoigner devant le comité tout récemment au moment de l’étude du projet de loi. Elle nous a rappelé ce qui suit :

Nous savons tous, je l’espère, que nous avons perdu plus de la moitié des survivants qui étaient encore vivants à ce moment‑là. Toutes ces années plus tard, nous ne parvenons toujours pas à dire si la situation s’améliore ou empire. De quelles sources d’inspiration pouvons-nous tirer des leçons? Quelles sont les choses décourageantes et qui se détériorent auxquelles nous devons prêter plus attention? Le conseil national est donc, comme nous l’avons dit alors, essentiel.

Ce projet de loi a connu un très longtemps parcours. Rappelez‑vous quand j’ai commencé à parrainer cette mesure, comme on dit en anglais, ou à l’épouser, comme je le dirais dans mes mots, je faisais partie d’un groupe alors qu’aujourd’hui, je porte une autre paire de mocassins. Néanmoins, j’éprouve la même passion, les mêmes sentiments et les mêmes émotions. Nous devons nous rappeler que ceux qui étaient engagés dans ce dossier et qui y ont travaillé avant nous sont des acteurs clés. Il s’agit des membres du conseil provisoire et du comité de transition qui ont apporté leurs connaissances, leur passion et leur expertise. Évidemment, je les en remercie. Rappelons-nous ceci : ces acteurs clés dirigés par des Autochtones étaient indépendants et le sont encore aujourd’hui — c’est ce que nous avons demandé — et ils ont joué un rôle déterminant dans ce processus. Je les remercie de tous les efforts qu’ils y ont mis.

Il y a déjà presque un an, soit le 1er décembre 2022, ce projet de loi a été adopté à l’unanimité à la Chambre des communes. Je tiens à dire merci à tous ceux et celles qui représentent les partis politiques et à tous les gens qui ont travaillé très fort sur ce projet de loi au comité. Merci.

J’aimerais également remercier mes collègues, les membres du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, qui ont pris le temps d’écouter les 52 témoins, des gens qui ont accepté de venir nous voir et de partager avec nous leurs préoccupations, leur vision ou leur désir d’aller plus loin, et qui ont fait en sorte que le projet de loi a avancé. Il s’agit de plusieurs heures d’étude, sans compter tous les mémoires et les réponses écrites que le comité a reçus. Vous vous souviendrez que cela a été difficile, mais nous l’avons fait et j’ai confiance. Merci à celles et ceux qui sont venus pour partager avec nous, encore une fois, leur vérité.

Leurs témoignages nous ont permis de soulever des observations et d’avoir des échanges constructifs entre collègues au Comité sénatorial permanent des peuples autochtones et, bien sûr, de proposer des façons de renforcer le projet de loi.

Après la sanction royale, la première étape en vue de la création du Conseil national de réconciliation sera, bien sûr, l’établissement d’un conseil d’administration, qui sera composé de 9 à 13 personnes qui possèdent des connaissances et de l’expérience en ce qui touche les peuples autochtones et la mission du conseil. Le ministre des Relations Couronne-Autochtones et le comité de transition choisiront le premier groupe de personnes. Elles formeront le premier conseil d’administration, qui devra compter au minimum deux tiers d’Autochtones, un enjeu qui était très sensible. Il est important que je dise ce qui suit en français, parce que je serai plus à l’aise.

Les organisations détentrices de droits, qu’est-ce que cela veut dire pour une femme innue, une femme québécoise? Je porte mes deux cultures.

Par exemple, je fais partie de la communauté d’Uashat mak Mani-utenam, et mon conseil de bande si l’on utilise le jargon de la Loi sur les Indiens... Notre chef va participer s’il le souhaite, que j’aie voté ou non pour cette personne. C’est notre forme de gouvernance, que je respecte complètement, peu importe où l’on habite, peu importe le lieu de résidence. Nos élus peuvent participer à l’assemblée des chefs du Québec et du Labrador qui, elle aussi, peut participer, et ce, toujours à notre discrétion — c’est nous, les élus des communautés, qui avons ce pouvoir — à l’assemblée des chefs.

C’est ce que cela veut dire lorsqu’on parle d’organisations détentrices de droits.

Nous confions un mandat, comme dans la démocratie au Canada, où il est possible d’adhérer à un parti politique ou à un mouvement social; c’est votre droit individuel. C’est très important lorsqu’on parle de ces organisations. Elles ont été très sensibles à la façon dont on allait organiser ou proposer ce conseil d’administration.

À cause de cette sensibilité, bien entendu, des échanges se feront justement pour s’assurer que les Inuits, les Métis et les Premières Nations membres de ces organisations politiques détentrices de droits puissent nommer des gens pour siéger au conseil d’administration.

Nous avons eu également beaucoup de commentaires et d’échanges sur la présence de femmes, d’hommes, de jeunes et de moins jeunes, de gens qui vivent dans le Nord, de gens qui ont des connaissances, des anciens pensionnaires ou de ceux et celles qui sont issus de la deuxième génération.

Lorsqu’on examine la disposition du projet de loi sur qui peut devenir membre ou être membre, on retrouve ces personnes; elles sont bien présentes. Bien sûr, elles sont là également pour représenter ceux et celles qui parlent le français comme deuxième langue ou comme première langue. Pour certaines des nations autochtones au Québec, c’est le français qui est la première langue. On s’assure donc d’avoir aussi un espace pour ces gens et pour ceux et celles qui veulent garder leur langue autochtone. C’est un exercice qui sera important pour le conseil d’administration, qui devra s’assurer que cette mosaïque et cette expertise issues de différents territoires et de différents milieux soient autour de ce grand cercle.

Pour ceux qui étaient présents, vous vous souvenez sûrement de M. Case, qui fait partie du comité de transition. Il portait une veste pleine de perles. Je vais faire un commentaire très important et le paraphraser.

Il nous a dit qu’il ne fallait pas laisser la perfection être l’ennemi du bien. Autrement dit, il faut bien comprendre que lorsqu’on commence quelque chose, ce n’est pas toujours parfait, mais c’est fondamental et c’est important.

Une fois que le conseil d’administration sera choisi, bien sûr, toute la dimension technique sera primordiale pour incorporer cette organisation dans la loi touchant les organisations sans but lucratif, pour que le conseil puisse obtenir son statut d’organisme sans but lucratif, ce qui lui donnera en même temps un statut juridique lui permettant d’obtenir des contrats; la plupart d’entre nous ont œuvré dans ce genre d’organismes sans but lucratif. On peut avoir notre propre nom, on peut aussi signer des contrats, mais surtout, dans ce cas-ci, on peut être à l’extérieur de l’appareil gouvernemental.

C’était un appel à l’action très important de la Commission de vérité et réconciliation de s’assurer que l’organisation joue un rôle indépendant. Il faut souligner à nouveau, pour moi et les gens qui ont suivi les travaux, l’importance de l’indépendance.

Des témoins ont soulevé des préoccupations au sujet du financement, c’est-à-dire le manque de financement ou des préoccupations au sujet du financement annuel du conseil prévu dans le projet de loi C-29. C’est un point important que je veux soulever. Cela nous préoccupait en tant que membres du Comité des peuples autochtones, et nous voulons nous assurer que cela figure également dans le rapport à titre d’observation.

Je ne pense pas que j’étais présente le jour où le ministre est venu et que cette question a été soulevée.

Je vais passer en revue ce que le ministre Anandasangaree a dit au sujet du financement.

Dans le budget de 2019, on parle de 125,6 millions de dollars pour appuyer la mise sur pied, la démarche et les travaux de ce conseil, dont 1,5 million de dollars la première année pour appuyer les opérations et la mise en place, et un fonds de dotation de 125 millions de dollars pour les opérations de ce conseil. C’est donc écrit dans la loi, en plus d’être attaché au budget de 2019.

Il est clair qu’on n’est pas en mesure de savoir, dans la première année, quels sont les coûts. On doit faire confiance aux experts qui ont déjà géré de plus gros fonds que ces 126 millions de dollars pour une fondation semblable qui touche les peuples autochtones. Cette confiance est importante, bien sûr.

Merci à mes collègues pour les questions posées lors du passage du ministre. Le ministre Anandasangaree s’est engagé à appuyer un financement supplémentaire si une telle demande du conseil était déposée, et il a dit ce qui suit :

Dans ce cas particulier, l’une des principales recommandations de la Commission de vérité et réconciliation est que le conseil soit indépendant. Il serait indépendant du gouvernement, ce qui signifie qu’il ne dépendrait pas du gouvernement. Le montant initial de 125 millions de dollars est un investissement important dans un fonds de dotation qui assurera au conseil la capacité de fonctionner d’une manière robuste dès le départ. Maintenant, au fur et à mesure que le conseil sera mis en œuvre et que celui-ci élaborera un plan d’action et déterminera la portée des travaux et les exigences budgétaires, nous devons être ouverts à l’idée d’augmenter le financement. Pour ma part — et je peux vous assurer qu’il en est de même pour le gouvernement —, je répondrai à cet appel. Comme point de départ, 125 millions de dollars, c’est une somme importante, vous en conviendrez, qui permettra de démarrer. Au fur et à mesure que le plan de travail sera élaboré et mis en œuvre, nous serons certainement ouverts à d’autres conversations, et je m’engage personnellement à appuyer un financement supplémentaire au besoin.

Ensuite, on a écouté les représentants des organisations politiques. Vous vous rappelez certainement qu’au printemps dernier, Inuit Tapiriit Kanatami (ITK) a soulevé certains enjeux concernant les organisations détentrices de droits qui travaillent déjà à la réconciliation et à préserver l’intégrité des mécanismes bilatéraux en place. Je remercie mon collègue le sénateur Patterson qui a travaillé avec ces organisations et le gouvernement pour proposer des amendements. Nakurmiik, merci pour les travaux que vous avez faits.

Grâce à nos relations, dans mon magnifique petit bureau, on a essayé de comprendre, avec les membres du comité de transition et les bureaux politiques, comment il fallait s’assurer que ce conseil n’a pas le rôle de la case à cocher quand un gouvernement décide de consulter une organisation autochtone. Non, il ne faut pas que cela fasse ombrage au travail important que vous avez entrepris avec les gouvernements, dont le gouvernement fédéral. C’est super important. Merci pour les amendements proposés à cet effet.

Son Honneur la Présidente intérimaire [ + ]

Sénatrice McCallum, avez-vous une question?

L’honorable Mary Jane McCallum [ + ]

En tant qu’ancienne élève d’un pensionnat autochtone, j’aimerais corriger un point.

Son Honneur la Présidente intérimaire [ + ]

Souhaitiez-vous poser une question, sénatrice McCallum?

La sénatrice McCallum [ + ]

D’accord, je vais poser une question.

Son Honneur la Présidente intérimaire [ + ]

Sénatrice Audette, accepteriez-vous de répondre à une question?

Oui.

La sénatrice McCallum [ + ]

Cela fait trois fois que j’entends qu’une vaste consultation a été menée auprès des survivants des pensionnats autochtones. En tant qu’ancienne élève, il m’a fallu huit heures pour raconter mon histoire. On ne peut pas mener de consultation lorsqu’on nage en pleine obscurité et qu’on commence à peine à faire le tri des expériences. Ne croyez-vous pas que le fait de reléguer au rang de consultation ces témoignages faits en public au sujet de douloureux souvenirs personnels est blessant pour ces anciens élèves? Merci.

Merci beaucoup. Si les choix de mots font mal, j’en suis désolée. Si les mots que j’ai utilisés pour les citations d’une ancienne commissaire vous ont blessée, j’en suis désolée. Cependant, pour beaucoup de gens dans ma famille — et pour moi qui y ai participé en parallèle —, quand on nous a demandé s’il s’agissait d’une consultation claire et précise, je pourrais peut-être répondre qu’on nous a bien demandé si nous avions des recommandations ou des suggestions à faire.

Cela dépend des régions, j’imagine, mais il n’y aura jamais assez de dialogues — on peut éliminer le terme « consultations ». Je prends toutefois bonne note de votre message, parce qu’il est important; vous faites partie de ceux et celles à qui l’on a imposé de vivre ces traumatismes. Je suis vraiment désolée; je ferai attention.

Je veux tout de même honorer ceux et celles qui ont demandé que nous en fassions plus. Ensemble, peut-être pouvons-nous choisir de meilleurs mots pour en faire plus collectivement.

L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l’opposition) [ + ]

Honorables sénateurs, je prends la parole à titre de porte-parole officielle de l’opposition à l’étape de la troisième lecture du projet de loi C-29, Loi prévoyant la constitution d’un conseil national de réconciliation.

Le projet de loi C-29 prévoit un cadre pour la mise en œuvre d’un conseil national de réconciliation. L’appel à l’action no 53 de la Commission de vérité et réconciliation du Canada énonce les conditions de la création du conseil, comme suit :

Nous demandons au Parlement du Canada d’adopter, en consultation et en collaboration avec les peuples autochtones, des dispositions législatives visant à mettre sur pied un conseil national de réconciliation. Plus particulièrement, nous demandons que ces dispositions établissent le conseil en tant qu’organisme de surveillance indépendant de portée nationale dont les membres, autochtones et non autochtones, sont nommés conjointement par le gouvernement du Canada et des organisations autochtones nationales.

Comme je l’ai dit à l’étape de la deuxième lecture : « C’est l’avenir des peuples autochtones qui doit être au cœur des efforts de réconciliation [...] » En tant que sénateurs, nous avons l’importante responsabilité de veiller à ce que notre travail soit accompli dans l’intérêt de toutes les personnes qui seront les plus touchées par le projet de loi.

Je tiens à saisir cette occasion pour souligner le travail de la sénatrice Audette en tant que marraine du projet de loi, du sénateur Francis en tant que président du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, et pour remercier tous les membres du comité, la greffière, les analystes et les chercheurs pour tous leurs efforts à l’égard de cet important projet de loi. Dans le cadre des travaux du comité, des témoins et des représentants d’organisations nous ont présenté des témoignages convaincants et transmis des connaissances importantes.

Le projet de loi C-29, dans sa forme actuelle, reconnaît les groupes suivants : l’Assemblée des Premières Nations, l’Inuit Tapiriit Kanatami, le Ralliement national des Métis et l’Association des femmes autochtones du Canada. Le projet de loi leur garantit à tous un siège au sein du conseil d’administration.

J’appuie le projet de loi C-29 et le travail de ces importants organismes nationaux. La réconciliation avec les Autochtones est au cœur du parcours continu du Canada vers la reconnaissance des torts du passé et la création d’un avenir plus juste et équitable pour tous les Canadiens, qu’ils soient Autochtones ou non. La réconciliation représente un engagement à guérir les blessures historiques infligées aux peuples autochtones, à réparer les relations brisées entre les Canadiens autochtones et non autochtones et à bâtir un pays où les cultures, les contributions et les droits des peuples autochtones sont pleinement reconnus et respectés.

Il est essentiel de reconnaître les injustices historiques commises contre les peuples autochtones du Canada. Depuis des siècles, les communautés autochtones ont fait face à l’éviction forcée de leurs terres ancestrales, à l’imposition des pensionnats et à la discrimination, qui persiste depuis des générations. Les conséquences de ces mesures se font encore sentir aujourd’hui sous la forme de disparités économiques, d’inégalités en matière de santé et de problèmes sociaux qui touchent de façon disproportionnée les collectivités autochtones.

Essentiellement, le projet de loi C-29 constitue une étape importante vers la réconciliation entre les Autochtones et non-Autochtones du Canada. Près de huit ans après la publication du rapport de la Commission de vérité et réconciliation, nous sommes enfin saisis d’un projet de loi visant à donner suite à l’appel à l’action no 53, qui vise à créer un conseil national pour la réconciliation.

À mon avis, l’appel à l’action est une étape importante vers la réconciliation. Si nous voulons évaluer rigoureusement les progrès de la réconciliation au Canada, nous devons disposer d’un conseil national capable de surveiller, d’évaluer et de faire rapport, afin d’assurer la responsabilité du gouvernement. Le gouvernement doit répondre dans les 60 jours au rapport annuel qui résume les plans du gouvernement du Canada pour faire avancer la réconciliation.

De nombreuses préoccupations ont été exprimées dans les témoignages et les discours prononcés à l’étape de la deuxième lecture. Par exemple, lors de son discours en deuxième lecture, la sénatrice Anderson a soulevé l’importante question des consultations, ou de l’absence de consultations, du gouvernement avec les peuples autochtones. Cela va à l’encontre des appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation, selon lesquels les consultations doivent être menées auprès des organismes autochtones et non pas auprès d’entités triées sur le volet par le gouvernement. Je partage cette préoccupation, car, trop souvent, le gouvernement fédéral consulte qui il veut.

Dans son discours sur le rapport de la commission, le sénateur Francis a fait valoir à juste titre que la Commission de vérité et réconciliation s’est appuyée sur des recherches et des consultations pour recommander la création d’un conseil national. D’après mon expérience, le gouvernement fédéral, dans son ensemble, utilise trop souvent le terme « consultation » de manière très large. En ce qui concerne le projet de loi C-29, la consultation des organisations autochtones est cruciale.

Pendant l’étude en comité, nous avons entendu toute une gamme de témoins, notamment des organisations nationales, des associations provinciales et divers intervenants dont des jeunes. Certains témoins, particulièrement l’organisme Inuit Tapiriit Kanatami, l’ITK, ont dit craindre que la création du conseil national de réconciliation ait une incidence sur les mécanismes bilatéraux et les consultations gouvernementales. Le comité a adopté des amendements qui confirment bien, je l’espère, que la création du conseil telle qu’elle est prévue par le projet de loi ne devrait pas nuire à ces mécanismes.

Enfin, de nombreux témoins ont signalé au comité leurs préoccupations quant à la composition du conseil d’administration. Comme on peut le voir à l’article 10, le projet de loi C-29 garantit actuellement un siège au conseil d’administration à quatre des cinq organisations nationales, soit l’Assemblée des Premières Nations, l’ITK, le Ralliement national des Métis et l’Association des femmes autochtones du Canada.

Honorables sénateurs, une seule organisation nationale, le Congrès des peuples autochtones, ou CPA, ne figure pas dans le projet de loi. Depuis plus de 50 ans, le CPA défend les droits et les intérêts des gens des Premières Nations qui n’ont pas le statut d’Indien et qui vivent en région urbaine et à l’extérieur des réserves, ainsi que des Métis et des Inuits du Sud. Il est souvent le seul à représenter ces communautés autochtones. Pendant l’étude du Comité permanent des affaires autochtones et du Nord de la Chambre des communes, un amendement a été proposé pour que le Congrès des peuples autochtones et l’Association des femmes autochtones du Canada fassent partie des organismes auxquels on garantit un siège au conseil d’administration.

Cet amendement a été adopté à la majorité. Cependant, une fois à l’étape du rapport, le gouvernement a décidé d’annuler la décision du comité en retirant au Congrès des peuples autochtones son siège garanti au conseil d’administration. En comité, nous avons entendu des témoignages qui justifiaient certainement qu’on garantisse au congrès un siège au conseil. Par conséquent, au Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, j’ai proposé un amendement visant à garantir au congrès un siège au conseil d’administration, avec les quatre autres groupes. L’amendement a été rejeté de justesse en raison d’une égalité des voix.

Honorables sénateurs, comme je l’ai dit plus tôt dans mon discours, j’appuie le projet de loi. Je crois que le projet de loi C-29 est une étape importante de la réconciliation. J’ai soulevé la question de la représentation au sein du conseil d’administration parce que je crains, comme certains de mes collègues du comité, que le gouvernement supprime une voix importante. À mon avis, cette décision va à l’encontre de l’esprit du projet de loi puisque le gouvernement choisit lui-même qui il accepte ou refuse.

Le préambule du projet de loi C-29 énonce clairement ce qui suit : « [attendu que le gouvernement du Canada] reconnaît la nécessité que soit constitué un organisme indépendant, apolitique et permanent qui doit être dirigé par des Autochtones ». Comme vous pouvez le constater, chers collègues, le projet de loi C-29 est clair : le conseil national de réconciliation doit être apolitique. Pourtant, la décision du gouvernement d’accepter l’Association des femmes autochtones du Canada et non le Congrès des peuples autochtones semble politique. Au lieu d’accepter les deux organisations, comme l’avait fait le comité de la Chambre, le gouvernement semble avoir appliqué un ensemble particulier de règles à l’association, mais pas au congrès. Le gouvernement a annulé la décision du comité. Il est injuste de ne pas permettre au congrès de faire partie du conseil d’administration alors que le comité de l’autre endroit lui avait accordé un siège permanent, à lui et à l’association.

L’objectif du conseil est de favoriser la réconciliation entre les Autochtones et les non-Autochtones. Comment la réconciliation peut-elle progresser pour tout le monde lorsqu’une organisation nationale comme le Congrès des peuples autochtones est écartée? En mon âme et conscience, je ne peux pas rester les bras croisés.

Les témoignages entendus par le comité étaient convaincants. Le sénateur Brazeau a donné un excellent aperçu de la longue histoire du Congrès des peuples autochtones. Il a fourni un contexte important pour mieux comprendre qu’il existe cinq organisations nationales et que le Congrès des peuples autochtones a un patrimoine historique. Son témoignage était important, et je le remercie de ses propos perspicaces.

Comme l’a dit le vice-chef national du Congrès des peuples autochtones, Kim Beaudin :

Ce n’est pas parce que nos gens quittent la réserve que leurs traumatismes disparaissent. La réconciliation ne peut se limiter à certains groupes; elle doit s’adresser à tous.

Honorables sénateurs, il s’agit d’une déclaration percutante : la réconciliation doit inclure tout le monde.

Avec ses 11 organismes provinciaux et territoriaux affiliés, le Congrès des peuples autochtones, ou CPA, peut fournir des points de vue importants provenant de différentes régions du pays et continuer de faire avancer la réconciliation au Canada. En ajoutant le CPA, un cinquième organisme national, je crois que tous les segments des communautés autochtones au Canada seront mieux représentés.

Inclure le CPA dans le projet de loi C-29 nous permet d’en respecter l’esprit, à savoir que le conseil soit apolitique et indépendant. Garantir que le CPA dispose d’un siège au conseil vise à reconnaître les nombreuses expériences des centaines de milliers d’Autochtones qu’il représente au Canada ainsi que les nombreuses difficultés qu’ils connaissent.

Comme je l’ai dit plus tôt, le Comité permanent des affaires autochtones et du Nord de l’autre endroit a appuyé l’amendement, alors que, au sein de notre comité sénatorial, l’amendement n’a pas été adopté en raison d’une égalité des voix.

Par conséquent, je me tourne maintenant vers vous, honorables sénateurs, pour solliciter votre soutien afin de corriger la décision politique du gouvernement de ne retirer que le CPA à l’étape du rapport à l’autre endroit, ainsi que de réintégrer celui-ci en tant que membre garanti du conseil d’administration du conseil de vérité et de réconciliation. Ce faisant, nous tiendrions également compte des importantes observations contenues dans le rapport du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones sur le projet de loi C-29 :

Par ailleurs, le conseil d’administration du Conseil devrait viser une représentation plus large des personnes autochtones que celle prévue par le projet de loi; notamment, il devrait rendre compte de la grande diversité, des antécédents et des expériences des Autochtones, toutes régions confondues.

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