Le Sénat
Motion concernant le début de l'ordre du jour chaque troisième mardi de séance pour le reste de la présente session--Recours au Règlement--Report de la décision de la présidence
10 mars 2020
Honorables sénateurs, je suis maintenant disposé à entendre des arguments en rapport avec le rappel au Règlement soulevé par le sénateur Gold le 27 février au sujet de la motion no 26 proposée par le sénateur Housakos.
Honorables sénateurs, je prends la parole pour répondre au recours au Règlement du sénateur Gold au sujet de la motion no 26, concernant l’invitation des ministres à comparaître devant le comité plénier, ici, au Sénat.
Je remercie Son Honneur de m’avoir donné le temps de me pencher sur les préoccupations soulevées par le sénateur Gold, qui sont de nature très technique. Je remercie aussi le sénateur Gold d’avoir exprimé ces préoccupations. Assurément, il soulève des points intéressants. Toutefois, il est évident, et ce, dès la déclaration préliminaire, que le recours au Règlement du sénateur Gold ne tient pas la route.
Le sénateur Gold fait valoir, à tort, que ma motion accorderait au leader de l’opposition la « prérogative unilatérale » — et ce qui suit est très important — de « convoquer ». Il soutient, à tort, que la motion donnerait au leader de l’opposition la prérogative unilatérale de « convoquer » un témoin ministériel.
Votre Honneur, ma motion ne fait rien de tel. Elle n’accorde à personne une prérogative unilatérale, un point auquel je reviendrai dans un instant, et je n’utilise nulle part le mot « convoquer ». C’est le mot « invité » qui figure noir sur blanc dans la motion, qui se lit comme suit : « [...] le ministre de la Couronne qui sera invité à comparaître [...] ».
Le sénateur Gold aurait bien raison d’être inquiet si la motion incluait le mot « convoqué » au lieu d’« invité ». C’est pourquoi il n’en est rien. Il convient « d’inviter » des ministres à témoigner. Ce verbe et ses dérivés sont utilisés partout dans le Règlement lorsqu’il est question d’entendre des témoins, y compris dans les articles cités par le sénateur Gold. Dans ces articles, on utilise « invitation » et on précise que le Sénat « peut inviter un ministre ». C’est pourquoi ma motion a recours au mot « invité ».
Il n’y a rien d’irrecevable à ce que le leader de l’opposition puisse « inviter », au nom du Sénat, un ministre à comparaître devant un comité plénier. Il s’agit peut-être d’une simple erreur du leader du gouvernement, qui n’aurait pas remarqué que la motion parlait d’invitation, et non de convocation. Je serais heureux de lui accorder le bénéfice du doute.
Au sujet de la « prérogative unilatérale » qui serait accordée au leader de l’opposition, j’ai quelques points à soulever. Je vais commencer par l’extrait choisi par le sénateur Gold à la page 70 de la quatrième édition de la Parliamentary Procedure de Bourinot. On y parle du droit de convoquer une personne et de l’obliger à témoigner. Comme je l’ai déjà expliqué, le sénateur Gold et moi sommes d’accord pour dire que nous ne pouvons pas convoquer des ministres. Même le Sénat ne dispose pas de ce pouvoir. Ainsi, ce passage en particulier n’est pas pertinent et ne s’applique pas à l’étude de ma motion ou à ce rappel au Règlement. Cependant, le sénateur Gold a raison d’affirmer qu’il revient au Sénat de déterminer les témoins qui comparaîtront en comité plénier. Ma motion ne tente pas de déroger à cette pratique parce que, comme le sénateur Gold l’a souligné à juste titre en citant l’article 12-32(3), les comités délèguent souvent le pouvoir de choisir les témoins aux comités directeurs.
C’est vraiment le seul but de cette motion. En ce qui concerne les préoccupations soulevées par le sénateur Gold, déléguer au leader de l’opposition le pouvoir de choisir les ministres qui comparaissent devant le comité plénier est la même chose que déléguer le choix des témoins à un comité directeur du Sénat.
Dans la même veine, chers collègues, il ne faut pas oublier que ce que le Sénat donne, le Sénat peut reprendre. Il n’y a absolument rien dans ma motion qui empêcherait de quelque façon le Sénat de changer le choix du leader de l’opposition. L’invitation vient en fait du comité plénier, conformément à la règle mentionnée précédemment.
Qui plus est, le sénateur Gold cite également l’article 12-32(4) du Règlement, qui régit expressément la participation des ministres aux comités pléniers. S’ils lisent attentivement cet article, les sénateurs vont remarquer qu’on emploie le mot « peut ». Quand on utilise le mot « peut », on donne la permission de faire une chose, non pas l’instruction de faire une chose de telle ou telle façon.
Pour ce qui est des préoccupations du sénateur Gold concernant la période des questions, celui-ci a raison de dire que le débat n’est pas permis pendant cette période. Le sénateur Gold a cité l’article 4-8(2) du Règlement, qui précise ce qui suit : « Les questions ne sont pas sujettes à débat [...] ». Il a aussi cité la page 73 du Document d’accompagnement du Règlement du Sénat du Canada, qui dit que les explications ne doivent pas donner lieu à un débat. Toutefois, Votre Honneur, rien dans ma motion ne laisse entendre qu’il y aurait un débat ou que le leader de l’opposition pourrait lancer un débat. Ma motion prévoit simplement que le leader de l’opposition puisse faire une courte déclaration. Le sénateur Gold est préoccupé par le fait que la motion ne précise pas ce qui constitue une courte déclaration. Or, pour obtenir une définition, il peut simplement consulter les articles que je viens de mentionner.
Les deux articles tirés de ces ouvrages mentionnent que de brefs commentaires et explications, de courtes explications et de brèves explications sont autorisés. J’estime qu’une courte déclaration est synonyme de brefs commentaires et explications, de courtes explications et de brèves explications. Le Canadian Oxford Dictionary définit comme suit le mot « court » :
[...] de courte durée; bref.
Le mot « bref » figure bel et bien dans la définition du mot « court ». On peut donc convenir que, selon le Canadian Oxford Dictionary, les mots « bref » et « court » sont de parfaits synonymes.
Examinons maintenant la définition du mot « déclaration », cette fois-ci dans le dictionnaire Merriam-Webster :
[...] quelque chose par lequel on déclare, par exemple [...] une affirmation ou un commentaire [...]
Votre Honneur, nous constatons une fois de plus que le mot « commentaire » est en fait inclus dans la définition du mot « déclaration ». L’expression « brève déclaration » a donc la même signification que « bref commentaire ». Selon les citations mêmes du sénateur Gold, les remarques sont autorisées conformément au Règlement. Par conséquent, de courtes déclarations sont autorisées et elles sont bien définies dans le Règlement, ce qui devrait calmer les appréhensions du sénateur Gold.
Je peux comprendre que le sénateur Gold se soucie de disposer d’assez de temps à la période des questions pour répondre à toutes nos questions. Le jour où le leader du gouvernement commencera à vraiment répondre à nos questions, il devrait certes disposer du temps nécessaire pour le faire. Dans cet esprit, sénateur Gold, bien que je pense que le Règlement autorise une telle déclaration pendant la période des questions, il existe une solution simple qui rendrait ce point tout à fait superflu.
Dans l’ouvrage Parliamentary Procedure de Bourinot, on peut lire ceci sur les motions :
L’Orateur peut, avant de la mettre aux voix, y apporter les corrections qu’il juge nécessaires ou utiles pour la rendre conforme aux usages de la Chambre.
L’ouvrage indique également que la motion peut être « modifiée pour ne plus faire l’objet de contestations. » Dans ce cas, nous pourrions remplacer « au cours de » par « après ». La motion se lirait désormais comme suit : « Que le leader de l’opposition au Sénat soit autorisé à désigner, au moyen d’une courte déclaration après toute période des questions. »
Finalement, Votre Honneur, le même principe pourrait s’appliquer également à ce que le sénateur Gold qualifie lui-même de « point technique », soit l’absence d’un article stipulant que le processus proposé doit s’appliquer nonobstant les autres règles et pratiques du Sénat. Un tel article pourrait facilement être ajouté par souci de cohérence.
Votre Honneur, je vous remercie encore une fois de votre indulgence en me laissant le temps nécessaire pour effectuer des recherches et répondre au rappel au Règlement du sénateur Gold. Je vous demande respectueusement d’accepter ma motion et de rejeter ce rappel au Règlement.
Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour appuyer la position de mon collègue le sénateur Housakos à l’égard de ce recours au Règlement.
Je tiens d’abord à contester l’affirmation du sénateur Gold selon laquelle la motion du sénateur Housakos va à l’encontre du Règlement, des traditions et des pratiques du Sénat. En réalité, dans notre système parlementaire, il n’est pas du tout incompatible avec le Règlement, les traditions et les pratiques du Sénat que le leader de l’opposition ait un rôle spécial et distinct. Certains sénateurs souhaitent peut-être qu’il en soit autrement, mais notre système parlementaire est fondé sur le modèle de Westminster, qui attribue des rôles précis et fondamentaux au gouvernement et à l’opposition officielle.
Ce principe est inscrit dans la Constitution. Le préambule de la Constitution indique que le Canada devrait former un gouvernement reposant sur les mêmes principes que ceux du Royaume-Uni. Ces principes comprennent, bien sûr, le système traditionnel de Westminster, qui prévoit un gouvernement et une opposition, en plus de rôles procéduraux prescrits dans les rouages du Parlement pour les chefs des deux caucus.
Dans la citation 3 de la Jurisprudence parlementaire de Beauchesne, on explique en détail le rôle précis de l’opposition au cours de la période des questions :
La période des questions orales repose sur la tradition qui veut que le conseil des ministres soit disposé à soumettre régulièrement sa gestion des affaires publiques à l’examen critique de l’opposition.
Il n’est pas sans précédent pour le leader de l’opposition de tenir un rôle spécial dans la détermination de l’objet d’une étude en comité plénier. D’ailleurs, chaque année, le leader de l’opposition à la Chambre des communes choisit deux ministères dont la Chambre étudiera le budget principal des dépenses en comité plénier. Cela s’inscrit dans le même ordre d’idées que donner au leader de l’opposition au Sénat la capacité de choisir quel ministre sera invité à comparaître devant le comité plénier. Dans un contexte similaire, une pratique établie pourrait également consister à laisser le leader de l’opposition au Sénat, dont le rôle consiste à exiger des comptes du gouvernement, déterminer le sujet ou le ministère qui sera étudié en comité plénier au Sénat.
Le sénateur Gold affirme que « La motion no 26 est irrecevable, car elle reviendrait à donner à un seul sénateur un droit inhérent à l’ensemble du Sénat. » Honorables sénateurs, en pratique, à la dernière session parlementaire, c’était le leader du gouvernement au Sénat qui choisissait les ministres invités à participer à la période des questions du Sénat. Par conséquent, il existe manifestement un précédent pour ce qui est de confier cette responsabilité à un seul sénateur. Bien entendu, le leader du gouvernement au Sénat est la voix du gouvernement ici et a été nommé par le premier ministre. Cela crée un risque de conflit d’intérêts si c’est lui qui choisit le ministre qui sera invité à répondre aux questions des sénateurs.
Puisque le rôle de l’opposition est d’exiger des comptes du gouvernement et des ministres, il est en fait beaucoup plus logique que ce soit le leader de l’opposition au Sénat qui choisisse le ministre à qui le Sénat posera des questions.
Honorables sénateurs, par ce recours au Règlement, le gouvernement tente de prendre le contrôle du processus par lequel les ministres sont appelés à venir témoigner au Sénat. Je trouve que c’est inapproprié. Je m’inquiète de l’habitude qu’a prise le gouvernement de tenter de miner les pouvoirs légitimes accordés à l’opposition au sein du Parlement. Les leaders du gouvernement Trudeau au Sénat font tout pour empêcher que l’on rende des comptes aux Canadiens. Qu’il s’agisse des efforts pour éviter que les comités sénatoriaux étudient des questions controversées comme les prêts du fédéral à Bombardier, le scandale de SNC-Lavalin et l’affaire Mark Norman, le gouvernement actuel a tout fait pour empêcher toute enquête ou toute reddition de comptes. Dans son document de travail, le sénateur Harder proposait de simplement faire disparaître l’opposition au Sénat. Et je n’ai même pas parlé de son antidémocratique comité des travaux du Sénat qu’il chérissait tant.
Ils veulent maintenant avoir la mainmise sur le choix des ministres que les sénateurs pourront interroger ici même dans cette Chambre indépendante sur des enjeux fondamentaux pour les Canadiens.
Honorables sénateurs, le Sénat a le droit de mener ses affaires comme bon lui semble et, selon certains paramètres, de modifier ses règles en fonction de ses besoins. Si le Sénat souhaite déléguer une partie ou une autre de ses pouvoirs au leader de l’opposition au Sénat, il a tout à fait le droit de le faire.
L’opposition a un rôle important bien précis à jouer au sein du système parlementaire canadien selon le Règlement du Sénat. Son rôle est de s’assurer que le gouvernement rende des comptes à tous les Canadiens. La motion du sénateur Housakos reflète ce rôle. Même si le sénateur Gold n’appuie pas la motion du sénateur Housakos, je considère que cette dernière ne contrevient pas au Règlement du Sénat, à ses traditions et à ses pratiques.
Honorables sénateurs, j’aimerais attirer votre attention sur trois éléments qui concernent la formulation de la motion. Le premier élément concerne la discussion à laquelle le sénateur Housakos a fait référence, quant au choix du terme « inviter » plutôt qu’« obliger » quelqu’un à comparaître. Or, le premier paragraphe de la motion fait référence au fait d’« inviter un ministre à comparaître », alors que le dernier paragraphe de la motion mentionne clairement que, si le ministre désigné ne peut comparaître le mardi prévu, la comparution du ministre désigné serait alors remise au mardi suivant.
J’attire votre attention sur le fait que la formulation de la motion semble signifier que l’on invite quelqu’un en prévoyant un système où, ultimement, le ministre sera dans l’obligation de comparaître s’il ne peut pas le faire le mardi où il est invité. Tout cela semble relever de la sémantique, mais, à mon avis, les termes utilisés dans le Règlement du Sénat sont tout de même importants.
Deuxièmement, j’aimerais insister sur le fait que l’opposition officielle au Sénat n’a pas le monopole pour ce qui est d’exiger des comptes de la part du gouvernement. On semble vouloir créer une motion qui fait en sorte que c’est à l’opposition officielle — ce groupe parlementaire — que reviendra l’un des rôles du Sénat, qui consiste à exiger des comptes de la part du gouvernement, alors qu’en fait ce rôle appartient à n’importe quel sénateur ou n’importe quelle sénatrice, à n’importe quel groupe parlementaire, à n’importe quel sénateur, affilié ou non. J’aimerais que cette question soit examinée.
Le troisième élément concerne le choix de formulation de la motion. On chevauche en même temps des éléments relatifs à la période des questions et au comité plénier. Lorsque le rappel au Règlement soulevé par le représentant du gouvernement sera examiné, j’aimerais que la question de l’application de l’article 12-32 du Règlement du Sénat soit précisée.
Dans quelles circonstances et conformément à quelles règles un comité plénier peut-il être constitué? Parallèlement à cela, en vertu des règles portant sur la période des questions, qui se rapportent à l’article 4, comment la période des questions est-elle définie? Comment se déroule-t-elle? J’aimerais que vous nous aidiez à voir le lien entre les deux éléments, et que votre décision porte sur ceux-ci, car ils sont soulevés comme s’ils étaient flexibles au point où il n’y a pas de règles qui s’appliquent, que ce soit des règles précises sur la période des questions, ou des règles précises sur la constitution d’un comité plénier. Je vous remercie.
Je voudrais citer les articles 1-2 et 1-3 du Règlement du Sénat, parce que ceux qui sont nouveaux au Sénat ne les connaissent peut-être pas.
L’article 1-2 dit ce qui suit :
Le Règlement n’a pas pour effet de restreindre le Sénat dans l’exercice ou le maintien de ses pouvoirs, privilèges et immunités.
Cet article nous rappelle que le Sénat est souverain et qu’il peut prendre toutes les décisions qu’il juge opportunes pour la bonne conduite de ses travaux, nonobstant ce que prévoit le Règlement.
L’article 1-3(1), quant à lui, se lit comme suit :
(1) Sauf disposition contraire, une disposition du Règlement peut, avec le consentement du Sénat, être suspendue sans préavis.
Ce sont deux dispositions de préambule qui expliquent bien le rôle du Sénat, ainsi que le rôle des règles visant à encadrer le débat. Or, les règles ne font pas en sorte que le Sénat perd sa compétence et sa juridiction pour prendre toute décision qu’il juge opportune dans la conduite de ses travaux, notamment la décision de convoquer un comité plénier, d’inviter des témoins, ou la façon dont ces témoins seront identifiés et invités.
Je tiens à remercier tous les sénateurs qui ont contribué à ce recours au Règlement plutôt technique. Je vais prendre la question en délibéré.