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Un avenir à zéro émission nette

Interpellation--Suite du débat

29 novembre 2022


L’honorable Hassan Yussuff [ + ]

Honorables sénateurs, je prends la parole pour appuyer l’interpellation de la sénatrice Coyle au sujet du climat. Le contexte me rappelle ma vie antérieure, mais je parle maintenant à titre de sénateur.

Pendant que des gens étaient réunis en Égypte la semaine dernière à l’occasion de la COP 27, nous avons appris que nous n’arriverions peut-être pas à atteindre l’objectif fixé, c’est-à-dire à réduire la température mondiale de 1,5 degré. Bon nombre d’entre nous ne seront peut-être pas sidérés par cette nouvelle, mais je crois que nous devrions tous être extrêmement inquiets.

Ce n’est pas la première fois qu’on nous dit que les objectifs fixés par les Nations unies et par de nombreux gouvernements ne sont pas réalisables. Chaque fois qu’on nous dit qu’il faudrait faire un choix différent, je me demande — en tant qu’être humain et en tant que père — à quoi ressemblera la planète dans un proche avenir.

Pendant que les gouvernements s’évertuent encore à trouver des façons d’atteindre les objectifs, chaque jour présente, quelque part sur la planète, des défis que nous n’avions pas encore vus de notre vivant : des incendies se propagent avec une violence incontrôlable et nous ne semblons pas trouver la détermination nécessaire pour trouver des solutions. Des tempêtes comme nous n’en avions jamais vu font rage et détruisent nos collectivités. Nous nous demandons si nous pouvons faire quoi que ce soit, une question vraiment fondamentale. Nous connaissons la réponse, mais nous n’avons pas la détermination qu’il faudrait pour prendre les mesures nécessaires.

Il y a la perte de la biodiversité : presque chaque jour, on nous annonce qu’un autre animal ou une autre espèce est en péril. On ne sait pas s’ils continueront d’exister sur la planète ou s’ils disparaîtront de notre vivant. C’est sans parler des pertes de vie à chaque tempête ou incendie, que ce soit au Canada ou ailleurs dans le monde.

L’océan se réchauffe aussi — je ne cesse de regarder des documentaires — et on se pose des questions. Combien de temps les choses peuvent-elles continuer ainsi avant que nous ne soyons dans une situation de crise que nous ne pourrons pas résoudre?

Chers collègues, je sais que bon nombre de questions auxquelles nous devrons nous attaquer dans le dossier des changements climatiques ne sont pas simples. Je le sais en tant qu’ancien président du Congrès du travail du Canada. Notre pays s’est engagé à abandonner progressivement la production d’électricité à partir du charbon d’ici 2030. Quatre provinces — elles seront bientôt trois — utilisent toujours le charbon pour produire de l’électricité. Cela fait partie de ce que nous sommes. En fait, si on jette un œil à l’histoire du Canada, on constate que le charbon a été la pierre d’assise de la Révolution industrielle : les travailleurs et les régions qui en ont profité n’ont rien fait de mal. Aujourd’hui, nous savons — grâce à la science — que la combustion du charbon est néfaste pour l’environnement et la santé humaine, ainsi que pour le climat.

Cependant, c’est loin d’être facile de convaincre un travailleur de renoncer à son gagne-pain et de cesser d’avoir recours au charbon en lui disant que c’est un choix moral, sans parler de convaincre les collectivités qui seront touchées. Lorsqu’on ferme une centrale au charbon, on enlève les ressources qu’elle générait. On enlève aussi une part de l’assiette fiscale dont dépendent les travailleurs pour bâtir leur municipalité et accroître les services offerts. La liste ne s’arrête pas là.

Nous pouvons planifier de prendre toutes ces mesures en temps opportun. Cela dit, nous nous sommes tout de même engagés à cesser de brûler du charbon pour générer de l’électricité au pays d’ici 2030. En Saskatchewan, nous brûlons toujours du charbon pour générer de l’électricité. En Nouvelle-Écosse et au Nouveau‑Brunswick aussi. Toutefois, 2030 est l’objectif.

On m’a demandé de coprésider un groupe de travail qui consulterait les travailleurs, les employeurs et les communautés pour savoir comment nous pourrions effectuer cette transition d’une manière logique sur le plan politique. Ce n’était pas facile; m’entretenir avec des travailleurs en tant que dirigeant syndical et leur dire que leur emploi disparaîtra n’est pas exactement une chose agréable que l’on souhaite faire consciemment à moins d’être déterminé à défendre le bien commun. Je me rends compte que c’était une chose importante à faire. Après tout, je réclame depuis longtemps des solutions à la crise climatique.

J’estime que les travailleurs ont un rôle important à jouer pour relever ces défis. Même s’ils ne sont pas responsables, ils ont un rôle important à jouer. J’ai présidé deux congrès. Nous avons passé une journée entière à discuter des changements climatiques. Pourquoi était-ce important? Parce que je ne crois pas qu’un gouvernement puisse atteindre ses objectifs de lutte contre les changements climatiques à moins que les travailleurs fassent partie de la solution. Car, cela aura une incidence sur eux, leur emploi, leur vie familiale et leur communauté.

Je me suis acquitté de mes responsabilités en parlant aux travailleurs. Comme je me rendais à différents endroits, ce n’était pas facile. Beaucoup de travailleurs ne voulaient pas entendre ce que j’avais à dire. Dans de nombreuses collectivités et installations, les travailleurs gagnaient entre 60 000 $ et 100 000 $ par an en faisant ce genre de travail, et je leur disais qu’ils devaient renoncer à leur emploi parce que telle était la volonté des gouvernements provincial et fédéral. Cela n’a pas été une conversation facile, mais un bon nombre des syndicats qui représentent ces travailleurs ont convenu que c’était un objectif que nous devions essayer d’atteindre.

Avant de me rendre en Saskatchewan, on m’a averti de ne pas y aller parce que je serais accueilli avec hostilité. J’ai répondu à mes collègues que j’acceptais la responsabilité et que je garderais leur avertissement à l’esprit. Je leur ai dit qu’aucun d’entre eux n’était obligé de venir, mais que je devais y aller.

Je suis effectivement allé en Saskatchewan. J’ai rencontré les gens merveilleux qui travaillent dans les collectivités qui comptent une centrale au charbon. La première question qu’ils m’ont posée est la suivante : combien me payait-on pour faire ce que je faisais? J’avais la sagesse de savoir que je ne devais pas accepter une seule prime ou un seul sou du gouvernement pour coprésider le groupe de travail. J’ai répondu que je n’étais pas payé pour assumer ce rôle, mais que je reconnaissais que c’était nécessaire.

Ils voulaient savoir ce qui adviendrait de leur collectivité. Qu’adviendrait-il du prix de leurs logements? Qu’arriverait-il à leurs familles? Devraient-ils déménager? Je n’avais pas les réponses pour eux. Voilà ce que nous essayions d’évaluer. Cependant, en discutant avec eux, j’ai constaté qu’ils avaient autant d’espoir que moi que nous puissions trouver une solution. Ils connaissent les données scientifiques et ils savent que brûler du charbon ne correspond plus à la réalité de l’époque où ils sont entrés dans cette industrie.

Nous — ici, en Ontario — avons éliminé progressivement les centrales au charbon. Nous avons beaucoup appris de ce processus. Grâce à cela, de nombreux enfants de cette province peuvent aujourd’hui sortir l’été et jouer dans les rues et sur les terrains de jeux. Nous n’avons plus de jours d’alerte au smog pendant lesquels les enfants devaient rentrer et se cacher s’ils souffraient d’asthme ou de problèmes respiratoires.

La Saskatchewan, l’Alberta, la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick devront relever le défi de l’élimination graduelle du charbon. J’ai beaucoup appris en participant à ce processus : à moins d’obtenir la participation des travailleurs et des collectivités, l’élimination graduelle du charbon rencontrera beaucoup d’opposition. Plus important encore, il faut admettre qu’on ne peut pas simplement faire fi des travailleurs et supposer qu’ils seront capables de se débrouiller seuls tandis que nous relevons le défi encore plus grand qui consiste à faire la transition vers une économie plus verte.

Nous avons présenté au gouvernement fédéral 10 recommandations adoptées à l’unanimité par les membres du groupe de travail. Bien entendu, le gouvernement fédéral et les provinces doivent maintenant veiller à ce que nous soyons en mesure d’atteindre ces objectifs.

Parallèlement, le gouvernement fédéral devra assurer une transition équitable, comme il est énoncé dans l’objectif des Nations unies — l’Accord de Paris. Le Canada peut être fier de pouvoir le faire pour montrer aux travailleurs qu’il existe une voie à suivre pour faire la bonne chose.

J’ai aussi appris quelque chose de plus important, à savoir que les Canadiens se parlent sans vraiment dialoguer, la plupart du temps. À mon avis, la crise des changements climatiques, qui touche notre pays et le monde entier, fait que nous allons devoir trouver des manières plus efficaces de communiquer à propos de ce que nous pouvons faire pour atteindre cet objectif.

Je crois que l’interpellation de la sénatrice Coyle sur le changement climatique porte sur la façon d’améliorer les conversations dans notre pays.

Dans mon parcours professionnel au sein du mouvement syndical, j’ai eu le privilège de voir les quatre coins de notre merveilleux pays. C’est le plus beau territoire que j’ai vu de toute ma vie. J’aimerais que tous les Canadiens puissent avoir la même chance que j’ai eue. J’ai rencontré des gens extraordinaires partout où je suis allé. Ils veulent tous contribuer à cet objectif. Toutefois, nous devons trouver une meilleure manière de communiquer les uns avec les autres pour trouver une façon de collaborer.

Je sais que ce n’est pas un objectif facile à atteindre. En Alberta, les centrales au charbon ont pratiquement disparu. On a converti ces centrales au gaz à titre de mesure temporaire, car on continuera à prendre d’autres mesures pour relever le défi de la production d’électricité.

La Saskatchewan est en train d’entamer cette démarche. Il faudra trouver des solutions, car la production d’électricité à partir du charbon est le seul moyen de produire suffisamment d’électricité pour répondre aux besoins de la population de la Saskatchewan.

La Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick recevront probablement une partie de l’électricité de Terre-Neuve. Elles entameront très bientôt leur production. Bien que cela les aidera à abandonner la production d’électricité à partir du charbon, ce n’est qu’une étape pour y arriver.

Plus important encore, l’interpellation de la sénatrice Coyle porte sur la façon dont nous devons en discuter en tant que Canadiens, car nous devons faire preuve de leadership dans le contexte de la lutte aux changements climatiques. Ce qui est encore plus important, c’est que le temps ne joue pas en notre faveur si nous voulons atteindre nos objectifs de 2030 et 2050. Nous allons devoir agir beaucoup plus rapidement.

Je voudrais conclure, chers collègues, en disant que, comme beaucoup d’entre vous, chaque fois que nous voyons une tempête énorme qui perturbe notre collectivité ou un terrible incendie de forêt auquel sont confrontés nos collègues dans une partie de ce grand pays, nous nous demandons comment nous pouvons éviter cela. Je sais qu’il n’y a peut-être pas de réponse. Le sénateur Ravalia vient de dire comment nous pourrions mieux travailler avec les municipalités. Nos municipalités n’ont pas tous les outils nécessaires pour faire face aux défis climatiques. Leurs infrastructures ont été construites à une époque où l’on ne savait pas ce qui allait arriver avec les tempêtes. Comment pouvons-nous les revitaliser pour veiller au bien commun de la société et répondre aux besoins de la population, tout en nous assurant que nos municipalités restent dynamiques pour fournir les services qu’elles offrent?

Je souhaite conclure sur une note d’espoir. Je ne serai peut-être plus sur cette planète dans cent ans. Je le sais pertinemment. Mais ma fille, qui a maintenant 14 ans et qui héritera probablement de ce grand pays quand elle grandira, ne cesse de me demander : « Papa, cet animal sera-t-il encore là quand j’aurai ton âge? » Je la regarde et je lui dis : « Je ne peux pas le dire avec certitude. » C’est une chose terrible à dire à un enfant. Mes parents ne m’ont jamais dit ça. Pourquoi dois-je dire cela à ma fille?

La vérité, chers collègues, c’est que nous devrons faire mieux. En tant que Canadiens, nous pouvons faire mieux. Certaines des solutions proposées pour lutter contre les changements climatiques sont réelles; elles sont sous nos yeux. Il faudra investir davantage dans ces solutions. De plus, il faudra collaborer davantage si nous voulons arriver à quelque chose.

En conclusion, je veux remercier mon amie d’avoir proposé cette brillante idée d’interpellation, parce que cette dernière nous donnera l’occasion de discuter et, je l’espère, d’arriver à un consensus pour faire du Canada un pays encore meilleur. Merci beaucoup.

Le sénateur Yussuff accepterait-il de répondre à une brève question?

Le sénateur Yussuff [ + ]

Oui.

Je vous remercie d’avoir mentionné ma province, la Saskatchewan, et ses formidables habitants dans votre discours. Je me demande simplement si, lors de votre séjour en Saskatchewan, vous avez eu l’occasion de voir la technologie de calibre mondial du charbon propre et de la capture du carbone que la Saskatchewan a développée et qu’elle essaie de promouvoir dans le monde entier, et de constater l’avenir très prometteur que cela représente non seulement pour les habitants de la Saskatchewan et du Canada, mais aussi pour le monde entier. En fait, je ne sais pas si vous le saviez, mais, selon une statistique très intéressante que j’ai apprise récemment, si la Chine utilisait la technologie du charbon propre de la Saskatchewan pour seulement 15 % de ses centrales au charbon qu’elle développe et met en service constamment, cela permettrait en fait d’effacer toutes les émissions de gaz à effet de serre du Canada chaque année. Je me demande si vous avez entendu parler de la technologie du charbon propre de la Saskatchewan et de l’avenir prometteur qu’elle représente.

Le sénateur Yussuff [ + ]

Je vous remercie de la question. Non seulement j’ai entendu parler de cette technologie, mais je l’ai vue à l’œuvre en personne. Il y a un coût à cela. La technologie fonctionne, mais il y a un coût qui s’y rattache.

Il est vrai que la technologie de captage du carbone a évolué considérablement depuis sa conception en Saskatchewan, et qu’elle est employée dans bien des régions du monde. Je ne peux me prononcer sur ce que fera la Chine, mais je sais que le Canada peut faire mieux. La conception de cette innovation technologique montre que le Canada sait faire preuve de créativité et que nous pouvons trouver des idées et des solutions pour nous attaquer aux nombreux problèmes qu’il nous faudra résoudre.

Je sais que la combustion du charbon pour produire de l’électricité pourrait être en grande partie chose du passé, mais la technologie conçue en Saskatchewan a bien d’autres utilités non seulement au Canada, mais partout dans le monde.

D’autres pays s’en inspirent. J’étais récemment en Norvège, et cette dernière va se servir de la technologie de captage du carbone pour capter du carbone à un endroit, puis le stocker dans la mer du Nord. Une telle technologie existe. Son utilisation est maintenant soutenue par le marché. On s’est beaucoup inspiré de ce qu’ont fait les merveilleux habitants de la Saskatchewan. J’espère que la prochaine fois que je me rendrai dans cette province, ce que j’ai promis de faire l’été prochain, je pourrais visiter certaines des communautés que j’étais chargé de consulter. Elles ont beaucoup progressé dans l’élimination des obstacles auxquels elles se heurtent pour abandonner progressivement l’utilisation du charbon dans un avenir prochain, tout en continuant de produire de l’électricité en vue de répondre aux besoins des Saskatchewanais.

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